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09/02/1994 | FRANCE | N°92-11111

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 09 février 1994, 92-11111


Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que les époux X... se sont mariés, le 20 avril 1956, sous le régime de la séparation de biens ; que, le 30 juin 1969, ils ont acquis conjointement un appartement à Paris pour le prix de 696 000 francs, dont 326 000 francs payés comptant par les deux époux de leurs deniers personnels, et le solde de 370 000 francs au moyen de prêts bancaires ; que l'acte de vente comportait une clause d'accroissement, dite " clause de tontine ", ainsi rédigée :

" Acquéreurs ici présents et qui acceptent, acquéreurs pour le survivant d'entre

eux, convenant par les présentes, de mettre les biens et droits im...

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que les époux X... se sont mariés, le 20 avril 1956, sous le régime de la séparation de biens ; que, le 30 juin 1969, ils ont acquis conjointement un appartement à Paris pour le prix de 696 000 francs, dont 326 000 francs payés comptant par les deux époux de leurs deniers personnels, et le solde de 370 000 francs au moyen de prêts bancaires ; que l'acte de vente comportait une clause d'accroissement, dite " clause de tontine ", ainsi rédigée :

" Acquéreurs ici présents et qui acceptent, acquéreurs pour le survivant d'entre eux, convenant par les présentes, de mettre les biens et droits immobiliers présentement acquis par eux en tontine, à titre de pacte aléatoire au profit du survivant d'entre eux sans que les héritiers et représentants du prédécédé puissent prétendre à aucun droit sur les biens et droits immobiliers présentement acquis. Au moyen de la présente convention à forfait, le survivant des acquéreurs demeurera seul propriétaire incommutable des biens ci-dessus désignés, et le prédécédé sera considéré comme n'ayant jamais eu aucun droit sur lesdits biens. En conséquence, aucun des acquéreurs ne pourra, sans le consentement de l'autre, disposer de sa part dans lesdits biens, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux " ; que, par jugement du 6 décembre 1979, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé le divorce des époux X... aux torts exclusifs de la femme, et débouté celle-ci de sa demande en attribution de jouissance de la moitié de l'appartement acquis en 1969 ; que, sur ce point, ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 27 février 1981 ; que, le 3 novembre 1987, le notaire liquidateur a dressé un procès-verbal de difficultés, à la suite duquel Mme X... née Y... a assigné son ex-mari en vue de se faire attribuer la " jouissance divise " de cet appartement ; que, par jugement du 14 juin 1990, le tribunal de grande instance de Paris a accueilli cette demande ; qu'au cours de l'instance d'appel, M. X... a assigné à son tour Mme Y... en nullité de la " clause de tontine ", au motif que celle-ci aurait dissimulé une donation déguisée ; qu'il a demandé à la cour, saisie de la question distincte de l'attribution en jouissance de l'appartement litigieux, de surseoir à statuer jusqu'à décision sur sa propre action ; que l'arrêt attaqué (Paris, 14 novembre 1991) a rejeté la demande de sursis à statuer et a ordonné la jouissance divise de l'appartement litigieux, tout en désignant un expert pour déterminer les conditions matérielles de mise en oeuvre de cette jouissance divise ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de sursis à statuer, alors, selon le moyen, que, lorsque l'acte d'acquisition d'un bien par deux époux contient une indication mensongère sur l'origine des deniers, il y donation déguisée et la nullité de l'opération entraîne la restitution en nature au donateur de l'immeuble acquis en commun ; que l'article 1099-1 du Code civil ne s'applique, en effet, qu'en l'absence de déguisement de la donation ; que, dès lors, en jugeant que la nullité de la donation déguisée ne pourrait avoir aucun effet sur le droit de propriété de la femme, de telle sorte que l'instance pendante à ce sujet serait dépourvue de toute incidence sur sa demande en attribution de jouissance de la moitié de l'appartement litigieux, l'arrêt attaqué a violé l'article 1099 du Code civil ;

Mais attendu que c'est par une exacte application de l'alinéa 1er de l'article 1099-1 du Code civil que la cour d'appel a retenu que même s'il était démontré que Mme Y... avait acquis les droits immobiliers litigieux avec des deniers donnés à cette fin par son mari, cette donation, fût-elle déguisée et à ce titre nulle, ne serait que de deniers, de telle sorte que M. X... pourrait seulement réclamer la restitution de cette somme, réévaluée conformément au second alinéa du même article ; qu'elle en a justement déduit que la décision à intervenir sur la demande en nullité formée par M. X... demeurerait sans incidence sur les droits de propriété des anciens époux sur l'immeuble ; qu'elle a ainsi légalement justifié son refus de sursis à statuer et que le premier moyen ne peut être accueilli ;

Sur le second moyen pris en ses trois branches :

Attendu qu'il est également reproché à l'arrêt de ne pas répondre aux conclusions selon lesquelles, d'une part, l'immeuble acquis en tontine n'est susceptible d'être partagé ni en pleine propriété, ni en jouissance, puisqu'il n'est pas en indivision, et, d'autre part, le comportement de l'épouse rendait impossible le partage de jouissance demandé ; que M. X... soutient encore qu'il avait fait valoir qu'il avait la jouissance exclusive de l'appartement en vertu de l'ordonnance de non-conciliation du 20 novembre 1975, du jugement de divorce du 6 décembre 1979, et de deux arrêts de la cour d'appel de Paris, en date respectivement du 5 juin 1980 et du 27 février 1981 ; qu'en modifiant cette mesure sans relever aucune circonstance nouvelle, de nature à justifier un changement de l'exercice du droit de jouissance, la cour d'appel a violé l'article 1083 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que par motifs adoptés, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à de simples arguments d'opportunité, a rappelé que la clause d'accroissement " écartait toute indivision puisqu'il n'y aura jamais eu qu'un seul titulaire du droit de propriété ", puis estimé à juste raison que, tant que la condition ne s'est pas réalisée, les parties ont des droits concurrents qui emportent le droit pour chacune d'entre elles de jouir indivisément du bien, droit dont l'exercice peut être organisé par le juge ; qu'elle a ainsi répondu aux conclusions invoquées ;

Attendu, ensuite, que la mesure provisoire prise par le juge du divorce lorsqu'il autorise l'un des époux à occuper l'ancien domicile conjugal, est sans incidence sur le droit que peut avoir l'autre partie de jouir des fruits et revenus de l'immeuble ;

D'où il suit que le second moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 92-11111
Date de la décision : 09/02/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° SEPARATION DE BIENS CONVENTIONNELLE - Acquisition d'un immeuble par les époux - Acquisition par l'un des époux - Acquisition à l'aide de deniers provenant de son conjoint - Effets - Propriété exclusive de l'époux acquéreur.

1° SEPARATION DE BIENS CONVENTIONNELLE - Acquisition d'un immeuble par les époux - Acquisition par l'un des époux - Acquisition à l'aide de deniers provenant de son conjoint - Nature de la donation - Donation en deniers 1° DONATION - Donation entre époux - Article 1 du Code civil - Application - Généralité - Application à toute remise gratuite d'argent.

1° Sous le régime de la séparation de biens, lorsqu'un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par son conjoint à cette fin, la donation, fût-elle déguisée et à ce titre nulle, n'est jamais que des deniers ; dès lors, la demande en nullité de cette donation demeure sans incidence sur le droit de propriété du bien.

2° INDIVISION - Chose indivise - Jouissance - Immeuble acquis par deux personnes avec clause d'accroissement - Droits concurrents des acquéreurs.

2° PROPRIETE - Immeuble - Acquisition conjointe par deux personnes - Clause d'accroissement - Effets - Droits des parties à la propriété - Incompatibilité entre eux jusqu'au décès du prémourant 2° PROPRIETE - Immeuble - Acquisition conjointe par deux personnes - Clause d'accroissement - Effets - Droits concurrents sur l'immeuble jusqu'au décès du prémourant - Droit de jouissance indivis - Modalités d'exercice.

2° Les acquéreurs d'un immeuble avec clause d'accroissement ont, tant que la condition du prédécès de l'un d'eux ne s'est pas réalisée, des droits concurrents sur l'immeuble, dont celui, pour chacun d'eux, de jouir indivisément du bien ; l'exercice de ce droit peut être organisé par le juge.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 novembre 1991

DANS LE MEME SENS : (1°). Chambre civile 1, 1991-12-17, Bulletin 1991, I, n° 362, p. 238 (cassation)

arrêt cité. A RAPPROCHER : (2°). Chambre civile 1, 1986-05-27, Bulletin 1986, I, n° 140, p. 140 (rejet), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 09 fév. 1994, pourvoi n°92-11111, Bull. civ. 1994 I N° 60 p. 47
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1994 I N° 60 p. 47

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonction. .
Avocat général : Avocat général : M. Lesec.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Thierry.
Avocat(s) : Avocats : M. Choucroy, Mme Luc-Thaler.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:92.11111
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