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16/06/1999 | FRANCE | N°99-411

France | France, Conseil constitutionnel, 16 juin 1999, 99-411


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 mai 1999 par MM José Rossi, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Abelin, Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, MM François d'Aubert, Pierre-Christophe Baguet, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Jacques Blanc, Emile Blessig, Roland Blum, Mme Christine Boutin, MM Loïc Bouvard, Yves Bur, Dominique Bussereau, Dominique Caillaud, Pierre Cardo, Antoine Carré, Hervé de Charette, Pascal Clement, Georges Colombier, René Couanau, Charles de Courson, Yves Coussain, Bernard Deflesselles, Francis Delattre, Yves Deniaud, Léonce Deprez, Franck Dhersin, Lau

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Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 mai 1999 par MM José Rossi, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Abelin, Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, MM François d'Aubert, Pierre-Christophe Baguet, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Jacques Blanc, Emile Blessig, Roland Blum, Mme Christine Boutin, MM Loïc Bouvard, Yves Bur, Dominique Bussereau, Dominique Caillaud, Pierre Cardo, Antoine Carré, Hervé de Charette, Pascal Clement, Georges Colombier, René Couanau, Charles de Courson, Yves Coussain, Bernard Deflesselles, Francis Delattre, Yves Deniaud, Léonce Deprez, Franck Dhersin, Laurent Dominati, Renaud Donnedieu de Vabres, Dominique Dord, Renaud Dutreil, Charles Ehrmann, Alain Ferry, Nicolas Forissier, Jean-Pierre Foucher, Claude Gaillard, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Hervé Gaymard, Germain Gengenwin, Claude Goasguen, François Goulard, Hubert Grimault, Pierre Hellier, Pierre Hériaud, Patrick Herr, Philippe Houillon, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM Jean-Jacques Jegou, Henry Jean-Baptiste, Aimé Kergueris, Christian Kert, Marc Laffineur, Edouard Landrain, Jean-Claude Lemoine, Jean-Claude Lenoir, Jean Leonetti, François Léotard, Pierre Lequiller, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, Christian Martin, Jean Marsaudon, Michel Meylan, Alain Moyne-Bressand, Mme Louise Moreau, MM Hervé Morin, Jacques Myard, Yves Nicolin, Jean-Marc Nudant, Dominique Paillé, Robert Pandraud, Paul Patriarche, Bernard Perrut, Henri Plagnol, Jean-Luc Préel, Jean Proriol, Didier Quentin, Marc Reymann, Jean Rigaud, Jean Roatta, Gilles de Robien, François Rochebloine, André Santini, Joël Sarlot, François Sauvadet, Guy Teissier, Jean Ueberschlag, Philippe Vasseur, Gérard Voisin, Michel Voisin, Jean-Jacques Weber et Pierre-André Wiltzer, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de la conformité à celle-ci de la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants du réseau de transport public de voyageurs ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de la route ;

Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 1er juin 1999 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs en arguant d'inconstitutionnalité les articles 6, 7 et 8 de celle-ci ;

2. Considérant que la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à l'intégrité physique des personnes, la recherche et la condamnation des auteurs d'infractions sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits de valeur constitutionnelle ; qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent notamment la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir ;

- SUR L'ARTICLE 6 :

3. Considérant que l'article 6 de la loi déférée insère dans le code de la route un article L. 21-2 aux termes duquel :

"Par dérogation aux dispositions de l'article L. 21, le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est redevable pécuniairement de l'amende encourue pour des contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées et sur les signalisations imposant l'arrêt des véhicules, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu'il n'apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction.

"La personne déclarée redevable en application des dispositions du présent article n'est pas responsable pénalement de l'infraction. Lorsque le tribunal de police, y compris par ordonnance pénale, fait application des dispositions du présent article, sa décision ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire, ne peut être prise en compte pour la récidive et n'entraîne pas retrait des points affectés au permis de conduire. Les règles sur la contrainte par corps ne sont pas applicables au paiement de l'amende.

"Les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 21-1 sont applicables dans les mêmes circonstances" ;

4. Considérant que les auteurs de la saisine font grief à cet article de méconnaître l'interdiction des peines automatiques et de porter en conséquence atteinte au principe de nécessité des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'aux principes de personnalité des peines et de responsabilité personnelle issus du code pénal ; qu'ils soutiennent également que cette disposition établirait une présomption de responsabilité contraire au principe de la présomption d'innocence énoncé par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi" ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ;

6. Considérant, en l'espèce, que le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est tenu au paiement d'une somme équivalant au montant de l'amende encourue pour des contraventions au code de la route en raison d'une présomption simple, qui repose sur une vraisemblance raisonnable d'imputabilité des faits incriminés ; que le législateur permet à l'intéressé de renverser la présomption de faute par la preuve de la force majeure ou en apportant tous éléments justificatifs de nature à établir qu'il n'est pas l'auteur de l'infraction ; qu'en outre, le titulaire du certificat d'immatriculation ne peut être déclaré redevable pécuniairement de l'amende que par une décision juridictionnelle prenant en considération les faits de l'espèce et les facultés contributives de la personne intéressée ; que, sous réserve que le titulaire du certificat d'immatriculation puisse utilement faire valoir ses moyens de défense à tout stade de la procédure, est dès lors assuré le respect des droits de la défense ; que, par ailleurs, manque en fait le moyen tiré du caractère automatique de la sanction ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'en l'absence d'événement de force majeure tel que le vol de véhicule, le refus du titulaire du certificat d'immatriculation d'admettre sa responsabilité personnelle dans la commission des faits, s'il en est l'auteur, ou, dans le cas contraire, son refus ou son incapacité d'apporter tous éléments justificatifs utiles seraient constitutifs d'une faute personnelle ; que celle-ci s'analyserait, en particulier, en un refus de contribuer à la manifestation de la vérité ou en un défaut de vigilance dans la garde du véhicule ; qu'est ainsi respecté le principe, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ;

8. Considérant, en troisième lieu, que, selon les termes mêmes du deuxième alinéa de l'article L. 21-2 du code de la route, les dispositions de l'article en cause n'ont pas pour effet d'engager la responsabilité pénale du titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule ; que le paiement de l'amende encourue, dont le montant maximal est celui prévu pour les contraventions correspondantes, ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire, n'est pas pris en compte au titre de la récidive et n'entraîne pas de retrait de points affectés au permis de conduire ; qu'au surplus, les règles de la contrainte par corps ne sont pas applicables audit paiement ; que la sanction résultant de l'application de l'article L. 21-2 du code de la route ne saurait donc être considérée comme manifestement disproportionnée par rapport à la faute sanctionnée ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les griefs soulevés par les auteurs de la saisine à l'encontre de l'article 6 doivent être écartés ;

- SUR L'ARTICLE 7 :

10. Considérant que l'article 7 de la loi déférée ajoute au titre Ier du code de la route un article L. 4-1 aux termes duquel : " Est puni de trois mois d'emprisonnement et de 25 000 francs d'amende tout conducteur d'un véhicule à moteur qui, déjà condamné définitivement pour un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h, commet la même infraction dans le délai d'un an à compter de la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive. " ;

11. Considérant que les députés auteurs de la saisine font grief à cette disposition de méconnaître les principes de nécessité et de proportionnalité des peines énoncés par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'ils soutiennent à cette fin que " le législateur, en créant un nouveau délit gravement sanctionné, a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard du dispositif répressif existant " ; qu'ils font valoir à cet égard que les dispositions pénales actuellement en vigueur prévoient que le dépassement d'au moins 50 km/heure de la vitesse maximale autorisée constitue une contravention de la cinquième classe, le retrait de points affectés au permis de conduire pouvant au surplus être encouru ; qu'en outre, certains comportements que le législateur souhaite voir sanctionnés entreraient d'ores et déjà dans le champ de l'article 223-1 du code pénal relatif au délit de mise en danger d'autrui ;

12. Considérant qu'il revient au législateur, compte tenu des objectifs qu'il s'assigne, de fixer, dans le respect des principes constitutionnels, les règles concernant la détermination des crimes et délits, ainsi que des peines qui leur sont applicables ;

13. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires... " ; qu'en conséquence, il appartient au Conseil constitutionnel de vérifier qu'eu égard à la qualification des faits en cause, la détermination des sanctions dont sont assorties les infractions correspondantes n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

14. Considérant que les éléments constitutifs du délit institué par l'article L. 4-1 nouveau du code de la route sont distincts de ceux du délit de mise en danger d'autrui institué par l'article 223-1 du code pénal qui est puni d'un an d'emprisonnement et de 100.000 francs d'amende ; qu'en l'état de la législation, le dépassement d'au moins 50 km/h de la vitesse maximale autorisée ne constitue qu'une contravention de la cinquième classe pour laquelle la récidive n'est pas prévue ; qu'en prévoyant la récidive de cette contravention, pour répondre aux exigences de la lutte contre l'insécurité routière, et en la réprimant par une peine délictuelle de trois mois d'emprisonnement et de 25 000 francs d'amende , le législateur a fixé une peine maximale inférieure au quantum de la peine pouvant être prononcée si le comportement délictueux répond aux conditions de l'article 223-1 du code pénal, prenant ainsi en considération le degré de gravité propre aux différents faits incriminés ; qu'enfin, si un même comportement est susceptible de faire l'objet de qualifications distinctes au titre tant de l'article 223-1 du code pénal que de l'article L. 4-1 du code de la route, la peine prononcée ne pourra excéder le maximum prévu pour le délit de mise en danger d'autrui ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les peines prévues par l'article L. 4-1 du code de la route ne sont pas entachées de disproportion manifeste ; qu'en l'absence d'une telle disproportion, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur ;

16. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'agissant des crimes et délits, que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ; qu'en conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l'article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l'article 8 de la même Déclaration, la définition d'une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci ;

17. Considérant qu'en l'espèce, en l'absence de précision sur l'élément moral de l'infraction prévue à l'article L. 4-1 du code de la route, il appartiendra au juge de faire application des dispositions générales de l'article 121-3 du code pénal aux termes desquelles "il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre" ; que, sous cette stricte réserve, l'article 7 est conforme aux prescriptions constitutionnelles ci-dessus rappelées ;

- SUR L'ARTICLE 8 :

18. Considérant que l'article 8 de la loi déférée modifie le a) de l'article L. 11-1 du code de la route ; qu'il ajoute le nouveau délit institué par l'article L. 4-1 du code de la route à la liste des infractions entraînant, lorsqu'est établie leur réalité par le paiement d'une amende forfaitaire ou par une condamnation définitive, la réduction de plein droit du nombre de points affecté au permis de conduire ;

19. Considérant que les auteurs de la saisine estiment que la perte de plein droit de points affectés au permis de conduire, encourue par l'auteur du délit instauré par l'article L. 4-1 du code de la route, porte une atteinte excessive " au principe de liberté de circulation, liberté individuelle garantie par la Constitution " ; qu'ils soutiennent également que " la décision de retrait de points doit pouvoir être soumise à l'appréciation de l'autorité judiciaire, juge des libertés individuelles au sens de l'article 66 de la Constitution " ; qu'ils font en outre valoir qu'eu égard au nombre de points pouvant être ainsi perdus, la disposition critiquée méconnaît les principes de proportionnalité et de nécessité des peines ; qu'enfin ils estiment qu'il serait porté atteinte " à l'exigence d'un recours de pleine juridiction à l'encontre de toute décision infligeant une sanction " ;

20. Considérant, en premier lieu, que la procédure instaurée par l'article L. 11-1 du code de la route ne porte pas atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution ; qu'eu égard à son objet, et sous réserve des garanties dont est assortie sa mise en oeuvre, elle ne porte pas davantage atteinte à la liberté d'aller et venir ;

21. Considérant, en deuxième lieu, que, dans l'hypothèse où l'une des infractions énumérées à l'article L. 11-1 du code de la route a été relevée à l'encontre du conducteur, celui-ci est informé de la perte de points qu'il peut encourir ; que cette perte de points, directement liée à un comportement délictuel ou contraventionnel portant atteinte aux règles de la circulation routière, ne peut intervenir qu'en cas de reconnaissance de responsabilité pénale, après appréciation éventuelle de la réalité de l'infraction et de son imputabilité par le juge judiciaire, à la demande de la personne intéressée ; qu'en outre, la régularité de la procédure de retrait de points peut être contestée devant la juridiction administrative ; que ces garanties assurent le respect des droits de la défense et celui du droit au recours ;

22. Considérant, en troisième lieu, qu'en application de l'article L. 11-2 du code de la route, la perte de points, pour la commission de délits, est égale à la moitié du nombre de points initial, alors qu'elle est, en matière contraventionnelle, au plus égale au tiers de ce nombre ; que les conditions dans lesquelles les pertes de points peuvent se cumuler sont précisées par cet article ; qu'en conséquence, la perte du nombre de points affecté au permis de conduire est quantifiée de façon variable en fonction de la gravité des infractions qui peuvent l'entraîner ; que cette sanction, qu'elle soit appliquée en matière contraventionnelle ou délictuelle, y compris au délit institué par l'article L.4-1 du code de la route, n'est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits qu'elle réprime ;

23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les griefs soulevés à l'encontre de l'article 8 doivent être rejetés ;

24. Considérant qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office des questions de conformité à la Constitution ;

Décide :

Article premier :

Les articles 6, 7 et 8 de la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants du réseau de transport public de voyageurs sont déclarés conformes à la Constitution, sous les réserves énoncées dans la présente décision.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 juin 1999, présidée par M Yves GUÉNA, et où siégeaient : MM Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR, M Pierre MAZEAUD et Mme Simone VEIL.

Le président,

Yves GUÉNA


Synthèse
Numéro de décision : 99-411
Date de la décision : 16/06/1999
Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voygeurs :

Les diverses mesures destinées à améliorer la sécurité routière adoptées depuis vingt ans ont permis d'obtenir, sur cette période, une réduction de moitié des accidents corporels impliquant des véhicules automobiles. Le nombre des décès liés à ces accidents a également fortement diminué, mais à concurrence de 30 % seulement, et plus de 8 000 personnes trouvent encore la mort chaque année sur les routes de notre pays, sans compter le nombre de celles qui se retrouvent définitivement handicapées à la suite d'un accident de la circulation. La France se situe ainsi parmi les pays membres de l'Union européenne dans lesquels le risque routier, qu'il soit mesuré en rapportant le nombre de tués au parc automobile ou à la population, est le plus élevé : deux fois plus, en particulier, qu'au Royaume-Uni, en Suède ou aux Pays-Bas, une fois et demie plus qu'en Italie. Cette insécurité touche particulièrement les jeunes de 15 à 24 ans, pour qui elle constitue la première cause de mortalité.

Une situation aussi grave exige une politique déterminée de sécurité routière, afin de faire baisser de manière significative le nombre des victimes de la route. A cet égard, le Gouvernement s'est fixé un objectif de réduction de moitié de ce nombre dans les cinq ans. Pour l'atteindre, il importe naturellement de faire appel au sens civique de chacun, et de mettre l'accent sur la formation à la sécurité routière.

Il est aussi nécessaire d'obtenir, le cas échéant au moyen de sanctions efficaces et dissuasives, le respect des règles essentielles sans lesquelles cette sécurité ne peut être assurée.

Même si la répression ne peut suffire à porter remède à ce fléau national, l'expérience montre que l'adoption de réglementations plus strictes se traduit par une baisse significative du nombre des victimes de la route, ainsi que l'a prouvé, notamment, l'entrée en vigueur du permis à points en 1992.

C'est parce que rien ne doit être négligé pour mettre fin à cette hécatombe, que le Gouvernement a invité le Parlement à se prononcer sur un certain nombre de mesures, mettant l'accent à la fois sur la prévention, à travers l'amélioration de la formation des usagers de la route, sur un meilleur respect de la réglementation existante, et sur le renforcement de la répression pour les infractions les plus graves. Ces propositions ont fait l'objet d'un large consensus, ce qui a permis à la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, après avoir été votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, d'être définitivement adoptée le 19 mai 1999.

Certaines de ces mesures ont néanmoins été contestées par une soixantaine de députés, qui ont saisi le Conseil constitutionnel d'un recours dirigé contre trois articles de ce texte. Les critiques adressées à ces dispositions appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :

I : Sur l'article 6

A : Cet article insère dans le code de la route un nouvel article L 21-2, relatif à la présomption de responsabilité pécuniaire des propriétaires de véhicules.

1. Cette mesure procède du constat de l'insuffisante " crédibilité " de la réglementation, faute de contrôles véritablement efficaces. En effet, l'efficacité des contrôles automatiques sans interception est faible, en raison notamment des précautions prises, par ceux qui en font l'objet, pour éviter toute identification. De nombreux conducteurs dont le comportement est dangereux parviennent ainsi à échapper aux sanctions, dont l'effet dissuasif est gravement altéré par le sentiment d'impunité qui en résulte. Or, pour des raisons de sécurité, les contrôles sans interception sont pourtant les seuls contrôles susceptibles d'être pratiqués dans les endroits où, précisément, les conditions de circulation sont les plus dangereuses (virages, montées).

S'inspirant du mécanisme introduit en 1972 pour le stationnement, le Parlement a donc décidé de rendre le titulaire du certificat d'immatriculation redevable, dans des conditions strictement définies, du paiement de certaines amendes, sanctionnant les comportements les plus dangereux, c'est-à-dire les excès de vitesse et les franchissements de " feux rouges " et de " stop ". Ce faisant, le législateur a suivi la voie ouverte par plusieurs pays européens.

On constate ainsi que plusieurs pays dont le système juridique est comparable au nôtre connaissent des mécanismes de responsabilité du propriétaire du véhicule pour les infractions routières commises au moyen de celui-ci : tel est notamment le cas des Pays-Bas (loi Mulder de 1990) et du Royaume-Uni (Road Trafic Act de 1991). D'autres Etats, tels que l'Autriche, l'Espagne et l'Italie ainsi que certains cantons suisses, ont également mis en uvre des mesures analogues avec une efficacité démontrée sur la sécurité routière.

Le premier alinéa du nouvel article L 21-2 précise que cette obligation est exclue en cas de vol ou de tout événement de force majeure. Elle ne joue pas davantage lorsque le propriétaire apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction.

La portée de cette mesure est en outre encadrée et limitée par le deuxième alinéa du même article : la personne déclarée pécuniairement redevable n'est pas responsable pénalement de l'infraction ; la décision ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire ; elle ne peut être prise en compte pour la récidive ; elle n'entraîne aucun retrait de points affectés au permis de conduire ; enfin les règles de la contrainte par corps ne lui sont pas applicables.

2. Pour contester cette disposition, les requérants commencent par constater qu'elle s'apparente à une responsabilité d'ordre pénal. Ils en déduisent que le prononcé de la sanction pécuniaire doit bénéficier des garanties qui encadrent les peines prononcées par les juridictions répressives. Or l'article 6 de la loi déférée méconnaîtrait, selon eux, les règles et principes constitutionnels applicables en la matière. Ils mettent à cet égard en cause le caractère de " peine automatique " que présenterait cette sanction.

Ils y voient une contradiction avec le principe de nécessité des peines posé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ce faisant, le législateur aurait également méconnu les principes de personnalité des peines et de responsabilité personnelle.

Les auteurs de la saisine invoquent enfin une incompatibilité avec l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui énonce le principe de la présomption d'innocence.

B : Pour sa part, le Gouvernement considère que l'article 6 est conforme à la Constitution.

A titre liminaire, il convient de souligner que l'argumentation des requérants se situe sur un terrain qui, s'agissant du contrôle de constitutionnalité d'une loi, n'est pas parfaitement adéquat.

Il n'est certes pas contestable que la disposition critiquée présente, indépendamment de ses finalités préventives et dissuasives, un aspect punitif. Il n'est donc pas douteux que sa conformité à la Constitution doit être vérifiée au regard des règles qui en découlent en matière répressive, et en particulier des principes déduits de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.

De même est-il certain que, bien que n'instaurant pas une responsabilité pénale, au sens plein de ce terme, la mesure en cause est soumise, pour les mêmes raisons, au principe de présomption d'innocence.

Mais c'est à tort que les auteurs de la saisine croient devoir rechercher le fondement de ce principe dans le paragraphe 2 de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme : une telle argumentation est à la fois inopérante car : hormis le cas, très particulier, visé à l'article 88-3 de la Constitution : les traités ne font pas partie du " bloc de constitutionnalité " et surtout inutile, car le principe de la présomption d'innocence trouve un fondement constitutionnel suffisant dans l'article 9 de la Déclaration de 1789.

Cela étant, et même en la replaçant dans un cadre juridiquement pertinent, cette argumentation ne peut être accueillie.

1. Il est clair, d'abord, que le moyen tiré du caractère automatique de cette mesure manque en fait.

Le nouvel article L 21-2 du code de la route a pour seul objet de rendre, dans certains cas, le propriétaire du véhicule pécuniairement redevable du paiement d'une amende. Son mécanisme ne prévoit ni n'implique aucune automaticité. Il ne pourra jouer qu'après intervention d'un juge, comme l'impliquent les termes mêmes du deuxième alinéa, qui suppose que l'intéressé ait été " déclaré redevable " et précise les modalités et conséquences de cette intervention.

Il n'aura, par définition, à jouer que dans les cas où l'infraction constatée n'a pas donné lieu à interception du conducteur du véhicule, et dans la mesure seulement où le propriétaire de celui-ci contesterait en avoir été le conducteur au moment des faits.

S'il s'agit d'une contravention des quatre premières classes donnant lieu à la procédure d'amende forfaitaire, le titulaire de la carte grise qui entend présenter une telle contestation adressera une réclamation à l'officier du ministère public, lequel devra saisir le juge de police, soit par réquisition d'ordonnance pénale, soit par citation directe. Dans le cas d'un grand excès de vitesse, qui correspond à une contravention de cinquième classe, l'affaire sera directement examinée par le juge.

Dans tous les cas, et en fonction des éléments qui lui seront contradictoirement fournis, ce magistrat devra apprécier :

: si la responsabilité pénale de l'intéressé doit être retenue, avec les conséquences qui en résultent, s'agissant notamment du nombre de points affectés au permis de conduire ;

: dans la négative, si l'intéressé peut se prévaloir de l'une des causes d'exonération de sa responsabilité pécuniaire, soit qu'il s'agisse du vol : par exemple par la fourniture d'un récépissé de dépôt de plainte : ou de diverses situations de force majeure, soit que le propriétaire ait justifié d'une impossibilité d'avoir été le conducteur, aussi bien en montrant, par tous moyens, qu'il se trouvait ailleurs au moment des faits, qu'en fournissant des renseignements sur le véritable conducteur.

Il est donc inexact de qualifier ce mécanisme de sanction automatique, alors que le texte a prévu de larges possibilités d'exonération et que sa mise en uvre ne peut résulter que de la décision d'un juge du siège, contre laquelle les voies de recours habituelles pourront naturellement s'exercer.

2. La disposition contestée ne méconnaît pas davantage le principe de présomption d'innocence.

De manière générale, en effet, l'existence d'une présomption légale n'est, par elle-même, nullement incompatible avec ce principe.

On soulignera, à cet égard, que le droit connaît de nombreuses hypothèses de présomptions de responsabilité, non seulement en matière civile, administrative, fiscale et douanière, mais aussi en matière pénale. C'est ainsi que, comme on l'a souligné plus haut, plusieurs pays dont le droit est régi par la présomption d'innocence font peser des présomptions sur les propriétaires de véhicules.

Notre droit pénal connaît lui-même des mécanismes de présomption en prévoyant que, par exemple, toute personne qui ne peut justifier des ressources correspondant à son train de vie :

: est présumée trafiquant de stupéfiants, si elle est en relations habituelles avec des trafiquants ou des usagers de stupéfiants (art 222-39-1 du code pénal) ;

: est présumée proxénète, si elle vit ou est en relations habituelles avec une ou plusieurs prostituées (art 225-6) ;

: est présumée receleur, si elle a autorité sur un mineur qui vit avec elle et se livre habituellement à des crimes ou des délits contre les biens d'autrui (art 321-6).

Il s'agit toujours de présomptions simples, la personne poursuivie pouvant échapper à la condamnation en justifiant l'origine licite de ses ressources, renversant ainsi les apparences sur lesquelles repose la présomption légale.

Il n'est pas non plus indifférent de souligner qu'au regard des exigences, matériellement identiques, de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, de tels mécanismes ne sont pas jugés incompatibles avec la présomption d'innocence.

C'est ce qui résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, pour l'application du mécanisme analogue prévu par l'article L 21-1 du code de la route. C'est également ce qu'a admis la Cour européenne des droits de l'homme, à propos d'une présomption prévue par la législation douanière française (7 octobre 1988, Salabiaku c/France ; 25 septembre 1992, Pham Hoang c/France). Il ressort de sa jurisprudence qu'en matière répressive les présomptions de fait ou de droit ne sont pas contraires à la présomption d'innocence, à la condition que les Etats les enserrent " dans des limites raisonnables, prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense ".

Au regard de ces critères, la présomption prévue par l'article L 21-2 n'est nullement contraire à la présomption d'innocence, dès lors qu'elle est enfermée dans des limites raisonnables. Apprécié en ayant en vue l'objectif poursuivi, ce caractère raisonnable est marqué à la fois par les conditions de mise en uvre de cette présomption et par les possibilités ouvertes pour la renverser.

L'objectif recherché : accroître l'efficacité de la sécurité routière : est, en effet, plus que légitime. A défaut d'une telle présomption, seuls les contrôles routiers effectués après interception du conducteur, alors même qu'ils présentent : notamment en matière d'excès de vitesse : un risque considérable pour la sécurité des usagers de la route, pourraient permettre la mise en uvre de la responsabilité des contrevenants. Les contrôles par " flashage " risqueraient de demeurer inefficaces, comme ils le sont trop souvent actuellement.

S'agissant des conditions de mise en uvre, il n'est pas contestable que, dans les hypothèses les plus fréquentes, le propriétaire du véhicule en est bien le conducteur effectif. C'est si vrai que, jusqu'à l'insertion, en 1958, de l'article L 21 du code de la route posant le principe de la responsabilité personnelle du conducteur, la jurisprudence avait tendance à appliquer d'elle-même une telle présomption (Cass. crim. 12 février 1904 ; Cass. crim.

12 avril 1924).

En ce qui concerne la force de cette présomption, elle est singulièrement ténue puisque la personne qu'elle vise peut, par tous les moyens évoqués plus haut, aisément convaincre le juge qu'elle n'était pas le conducteur, de sorte que, mis à part les cas de mauvaise foi, seuls les propriétaires de véhicules témoignant d'un défaut de vigilance caractérisé n'y parviendront pas.

En tout état de cause, on relèvera que les conséquences de cette présomption de responsabilité sont limitées, car elle ne se traduit que par le paiement d'une somme d'argent et n'entraîne ni inscription sur le casier judiciaire, ni récidive, ni contrainte par corps, ni perte de points du permis de conduire.

Dans tous les cas, la loi préserve pleinement les droits de la défense et la possibilité de s'expliquer devant un juge. A cet égard, il importe de souligner que, tel qu'il est conçu, le nouvel article L 21-2 implique que celui sur lequel pèse la présomption puisse combattre celle-ci à tout moment. Il en résulte que la jurisprudence qui, pour l'application de l'article L 21-1 actuel, exige que le conducteur fournisse les informations que la loi met à sa charge dès la réclamation formée sur le fondement de l'article 530 du code de procédure pénale, sans pouvoir le faire à l'audience, ne devrait pas pouvoir être transposée au mécanisme institué par l'article 6 de la loi déférée.

C'est donc à tort que les auteurs de la saisine mettent en cause sa conformité à la Constitution.

II. : Sur les articles 7 et 8

A : Les articles 7 et 8 de la loi déférée sont relatifs au délit dit de " très grande vitesse " en récidive.

1. La nécessité de réprimer de manière exemplaire les excès de vitesse procède d'une conviction qui découle de toutes les études menées en la matière : la vitesse excessive apparaît comme le facteur déterminant dans 48 % des accidents mortels et le simple respect des limitations de vitesse aurait permis de sauver, chaque année, plus de 3 000 vies. On a ainsi constaté que, si le nombre d'accidents a diminué de 0,7 % de 1997 à 1998, celui des tués a, dans le même temps, augmenté de 5,6 %.

Afin d'inciter à la baisse de l'ensemble des vitesses pratiquées, il est donc apparu nécessaire de compléter l'institution récente, par décret, d'une contravention de cinquième classe pour tout dépassement de la vitesse autorisée égal ou supérieur à 50 km/h, par un délit spécifique en cas de récidive. Ce dispositif en deux étapes vise ainsi à être dissuasif et pédagogique.

C'est pourquoi l'article 7 ajoute un nouvel article L 4-1 du code de la route, créant un délit en cas de réitération, dans un délai d'un an, de l'infraction consistant à dépasser la vitesse maximale autorisée d'au moins 50 km/heure. Ce délit peut être puni de peines atteignant au maximum trois mois d'emprisonnement et 25 000 F d'amende.

Quant à l'article 8, il insère un renvoi à ce nouvel article L 4-1 dans le a) de l'article L 11-1, relatif aux nombres de points affectés au permis de conduire, prévoyant ainsi, pour cette infraction, un retrait de six points.

2. Les députés, auteurs de la saisine, estiment que ces articles méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines affirmés par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Selon eux, le législateur aurait ainsi commis une erreur manifeste d'appréciation au regard du dispositif existant, compte tenu notamment de l'article 223-1 du code pénal, relatif à la mise en danger délibérée d'autrui.

Les requérants contestent également le retrait de points prévu par l'article 8, l'auteur du délit en cause pouvant ainsi perdre, pour deux infractions, dix points sur les douze que compte le permis de conduire. Dans la mesure où le retrait total des points entraîne l'annulation du permis, cette disposition porte, selon eux, une atteinte excessive au principe de la liberté de circulation, tout en méconnaissant les exigences de proportionnalité et de nécessité des peines.

Les auteurs de la saisine font, par ailleurs, grief au mécanisme de retrait de points de ne pas respecter les exigences posées par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Ils considèrent, en outre, que la décision de retrait de points doit pouvoir être soumise à l'appréciation de l'autorité judiciaire en application de l'article 66 de la Constitution. Enfin, ces articles portent, selon eux, atteinte à l'exigence d'un recours de pleine juridiction à l'encontre de toute décision infligeant une sanction.

B : Cette argumentation n'est pas fondée.

1. S'agissant de la violation alléguée de l'article 8 de la Déclaration de 1789, le Gouvernement entend d'abord rappeler qu'il faut se garder de confondre, comme semblent le faire les requérants, la discussion qui a pu avoir lieu devant le Parlement, quant à l'opportunité du renforcement du dispositif existant, avec le débat qui, la loi ayant été adoptée par la représentation nationale, ne peut porter, devant le Conseil constitutionnel, que sur la conformité du texte à la Constitution.

A cet égard, la haute juridiction a fréquemment eu l'occasion de souligner : notamment en réponse à de semblables moyens fondés sur l'article 8 de la Déclaration : qu'elle ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation équivalent à celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas, en l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue, de substituer sa propre appréciation à celle du législateur, en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies par la loi (n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1980 ; n° 86-215 DC du 3 septembre 1986 ; n° 94-346 DC du 29 juillet 1994).

Ce contrôle restreint n'empêche certes pas le juge constitutionnel de censurer la violation de l'article 8, notamment lorsque la sanction s'avère manifestement dépourvue de rapport suffisant avec les manquements qu'il s'agit de réprimer, comme le montre, en dernier lieu, la décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999.

Mais, sauf à remettre profondément en cause l'équilibre raisonnable qui résulte d'une jurisprudence bien établie : comme l'implique en réalité l'argumentation de la saisine : l'on ne saurait déclarer une disposition répressive contraire à la Constitution du seul fait que certains des manquements en cause pourraient, par ailleurs, être réprimés à un autre titre.

Quoi qu'il en soit, c'est à tort que les auteurs de la saisine font état de l'existence de l'article 223-1 du code pénal pour soutenir que l'adoption de l'article 7 de la loi déférée reposerait sur une " erreur manifeste d'appréciation ".

a) Dans la mesure où il vise à réprimer des comportements particulièrement dangereux, il n'est certes pas douteux que le délit de risques causés à autrui, prévu par l'article 223-1, peut notamment trouver à s'appliquer en matière de sécurité routière.

Mais il comporte néanmoins des éléments constitutifs spécifiques, dès lors qu'il sanctionne le fait d'exposer directement une personne à un risque immédiat de mort, de mutilation ou d'infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. La jurisprudence en a déduit que le non-respect d'une règle de prudence ou de sécurité ne suffit pas à en constituer l'élément matériel. Ainsi a-t-il été jugé que le seul fait, pour un automobiliste, de rouler à plus de 200 km/h sur une chaussée d'autoroute rectiligne et sèche, avec une visibilité parfaite, une circulation fluide, dans un véhicule en parfait état de marche, n'est pas constitutif du délit réprimé par l'article 223-1 (Cour d'appel de Douai, 26 octobre 1994).

Cet article ne permet donc pas de réprimer le seul dépassement excessif de la vitesse maximale autorisée. En outre, la condamnation d'un automobiliste dangereux sur son fondement n'entraîne pas de retrait des points du permis de conduire. Or il est nécessaire, et légitime, de mettre en place un dispositif dissuasif suffisamment efficace, sans attendre que les conducteurs qui méconnaissent délibérément la réglementation aient effectivement mis des tiers en danger.

Il est donc cohérent d'instituer un délit spécifique pour les infractions les plus graves au code de la route, avec, d'une part, une peine encourue inférieure à celle que prévoit l'article 223-1, mais en permettant, d'autre part, d'en tirer les conséquences nécessaires quant à l'aptitude à conduire un véhicule d'une personne reconnue coupable de violations graves et réitérées des obligations pesant sur tout conducteur en matière de limitations de vitesse.

L'on ne saurait donc raisonnablement soutenir : sauf à altérer profondément les principes constitutionnels issus de l'article 8 de la Déclaration : qu'une telle mesure n'est manifestement pas nécessaire pour lutter contre la délinquance routière.

b) On soulignera en outre que le nouvel article L 4-1 du code de la route est nécessairement régi par le principe du caractère intentionnel des délits, énoncé à l'article 121-3 du code pénal. Il ne comporte, en effet, aucune des exceptions que ce dernier texte permet d'apporter au principe général qu'il énonce.

Le tribunal ne pourra donc entrer en voie de condamnation que s'il est établi que l'infraction a été commise de manière intentionnelle.

c) De même est-il évident que les peines encourues en vertu de l'article L 4-1 ne sont qu'un maximum, et qu'il appartiendra au juge de choisir, à l'intérieur de ce plafond, le montant le mieux adapté aux circonstances de l'infraction et à la personnalité de son auteur.

En résumé, l'existence de l'article 223-1 ne saurait suffire à établir qu'il n'était manifestement pas nécessaire d'ouvrir, comme le Parlement l'a estimé opportun, la possibilité de réprimer, plus sévèrement que par une simple contravention, le dépassement de plus de 50 km/h de la vitesse autorisée, lorsqu'il est le fait d'une personne qui a déjà été condamnée définitivement, depuis moins d'un an, pour avoir déjà commis une infraction de cette nature.

Enfin, et même si les requérants n'apportent guère de précisions à l'appui de leur grief tiré de l'absence de proportionnalité, on ajoutera qu'il serait pour le moins paradoxal de décider qu'il est manifestement excessif de prévoir la possibilité de sanctionner par des peines délictuelles des comportements récidivistes aussi graves, alors que, par ailleurs, celui qui conduit sous l'empire d'un état alcoolique, même pour la première fois, encourt, en vertu de l'article L 1er du code de la route, des peines bien plus sévères.

2. Les moyens dirigés contre l'article 8 de la loi, relatif aux conséquences d'une condamnation sur le fondement de l'article L 4-1 sur le nombre de points affectés au permis de conduire, ne sont pas non plus de nature à en justifier la censure.

Dès lors qu'il est clair que le droit répressif dégagé à partir de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme s'applique à toute sanction administrative ayant le caractère de punition, c'est à cette aune que doit être appréciée la conformité à la Constitution du mécanisme de retrait de points, la jurisprudence l'ayant ainsi qualifié (cf CE 8 décembre 1995, Mouvement de défense des automobilistes ; et par analogie, au regard de la notion de matière " pénale ", au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, CEDH 23 septembre 1998, Malige c/France).

Mais il est tout aussi clair que ni la disposition contestée ni, de manière générale, le mécanisme du permis à points ne méconnaissent ces principes.

a) En premier lieu, il est difficile de considérer comme manifestement déraisonnable un dispositif en vertu duquel le conducteur qui se placerait : délibérément, par définition : dans la situation entrant dans les prévisions de l'article L 4-1 pourrait perdre, pour deux infractions commises en un an, dix points sur les douze que comporte son permis de conduire.

A cet égard, il convient de souligner qu'en invoquant une prétendue interdiction des sanctions " automatiques ", les auteurs de la saisine se méprennent sur la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. S'il est exact que cet élément est souvent pris en compte dans le contrôle de constitutionnalité de dispositions répressives, c'est seulement en tant que paramètre permettant d'apprécier si les exigences de nécessité et de proportionnalité ne sont pas manifestement méconnues. Un tel élément peut, il est vrai, s'avérer parfois décisif, lorsque la sanction dont l'application automatique est prévue s'avère manifestement dépourvue de rapport suffisant avec les manquements qu'il s'agit de réprimer, comme le montre la censure prononcée par la décision, déjà citée, du 15 mars 1999.

Mais il résulte clairement de la décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 que les principes régissant le droit répressif n'imposent nullement au législateur de s'en tenir, dans tous les cas, à un maximum, à l'intérieur duquel le montant de la sanction devrait être modulé. Le Conseil constitutionnel a, en effet, expressément validé une sanction administrative " automatique ", applicable dès lors qu'un manquement à une obligation est constaté, alors que, comme a pu le souligner un commentateur (JE Schoettl, chronique AJDA 1998, p 124) les députés qui l'avaient saisi faisaient précisément grief à cet article de ne permettre aucune marge d'appréciation quant au montant de la sanction.

b) En second lieu, c'est en vain que les auteurs de la saisine mettent en cause les conditions d'intervention du juge en matière de retrait de points.

Il résulte en effet de ce qui a été dit ci-dessus que la Constitution n'impose pas nécessairement que le montant de la sanction soit, dans tous les cas, laissé à l'entière appréciation du juge. La notion de recours de pleine juridiction, à laquelle se réfère parfois la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les sanctions administratives, signifie donc essentiellement que le juge ne peut s'en tenir à un contrôle restreint, la personne sanctionnée devant bénéficier de la garantie d'un plein contrôle sur la réunion des conditions fixées par la loi (cf obs. B Genevois sur la décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, RFDA 1989, p 227).

De même est-ce à tort que les requérants invoquent l'article 66 de la Constitution pour critiquer l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire dans la contestation du retrait de points. Comme le relevait le même auteur dans son commentaire de la décision n° 89-261 DC du 29 juillet 1989 (RFDA 1989, p 696), cet article a pour origine première le souci d'instituer en droit français l'équivalent de la procédure anglaise d'habeas corpus. Aussi est-il abusif de se prévaloir de cet article à propos de la possibilité de conserver l'autorisation administrative à laquelle est subordonnée la possibilité de conduire un véhicule automobile, cette possibilité ne mettant pas directement en cause la liberté individuelle, au sens précis que les rédacteurs de la Constitution ont entendu donner à cette notion : c'est dire que celle-ci ne saurait être confondue avec les diverses formes que peut prendre le principe de liberté énoncé par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

Enfin l'argumentation tirée de ce que le mécanisme de retrait de points ne respecterait pas les exigences posées par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut davantage être accueillie. Outre le caractère inopérant du moyen fondé sur une convention internationale, cette argumentation n'appelle que les deux remarques suivantes.

D'une part, elle se heurte, en tout état de cause, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui a écarté, dans son arrêt du 23 septembre 1998, Malige c/France, de pareils griefs dirigés contre le mécanisme adopté par le législateur français pour le contentieux des retraits de points du permis de conduire. Cet arrêt juge, en particulier, que cette législation satisfait à l'exigence du contrôle entier, dès lors qu'un contrôle suffisant se trouve incorporé dans la décision pénale de condamnation, sans qu'il soit nécessaire de disposer d'un contrôle séparé portant sur le retrait de points. La cour relève également que le juge administratif est à même de veiller au respect des garanties spécifiques de la procédure administrative de retrait de points.

D'autre part, rien ne fait obstacle, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelée plus haut, à ce que celui-ci s'inspire d'un semblable raisonnement pour écarter, sur le terrain du droit constitutionnel, l'argumentation des requérants, d'autant que l'arrêt Malige a pris soin de relever, en outre, que la loi avait elle-même procédé à une modulation du nombre de points retirés en fonction de la gravité des infractions. Par là-même, cette gradation satisfait ainsi pleinement aux exigences de proportionnalité.

En définitive, le Gouvernement considère qu'aucun des griefs invoqués n'est de nature à justifier une censure du texte contesté.

Aussi demande-t-il au Conseil constitutionnel de bien vouloir rejeter le recours dont il est saisi.

SAISINE DEPUTES :

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, afin qu'il lui plaise de déclarer cette loi contraire à la Constitution, pour les motifs ci-dessous énoncés.

I : Sur l'article 6

Cet article insère un nouvel article 21-2 du code de la route, qui déroge à l'article L 21 du code de la route disposant que le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule.

Le premier paragraphe de l'article 6 de la loi déférée consacre la responsabilité pécunaire du titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule en cas d'infractions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées et sur les signalisations imposant l'arrêt des véhicules. Cette présomption de responsabilité peut être levée en cas de vol ou de tout autre événement de force majeure, ou bien encore lorsque le propriétaire apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction.

Le deuxième paragraphe de cet article dispose que la personne déclarée pécuniairement redevable n'est pas responsable pénalement de l'infraction, que la décision ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire, qu'elle ne peut être prise en compte pour la récidive, ni n'entraîne de retraits de points affectés au permis de conduire.

Malgré les termes de ce deuxième paragraphe, les députés requérants constatent que le mécanisme de responsabilité d'office du conducteur s'apparente à une responsabilité d'ordre pénal.

En premier lieu, en effet, l'article 21-2 du code de la route est un article de droit pénal, dérogeant explicitement aux termes de l'article L 21 qui traite de la responsabilité pénale du conducteur du véhicule. En second lieu, dans la pratique, le titulaire de la carte grise sera poursuivi comme s'il était l'auteur de l'infraction, cité devant le tribunal de police, sanctionné par une amende de première classe. La décision devenue définitive sera bien exécutée conformément aux articles 707 et suivants du code de procédure pénale portant sur l'exécution des sentences pénales. Le texte précise qu'il s'agit d'une " amende encourue pour les contraventions ", qui sont, au titre de l'article 111-1 du code pénal, une des classifications des infractions pénales.

Par ailleurs, la sanction encourue, une amende pouvant aller jusqu'à 5 000 F selon la nature de l'infraction, a le caractère d'une punition.

Or, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, notamment réaffirmée dans la décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, les principes régissant le prononcé d'une sanction ne concernent " pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition ".

Le prononcé de la sanction pécuniaire doit donc bénéficier des mêmes garanties qui encadrent les peines prononcées par les juridictions répressives. Ces principes sont issus de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 6, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l'homme.

En l'espèce, cet article méconnaît les règles et principes constitutionnels concernés :

En prévoyant que le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est systématiquement redevable de l'amende encourue pour les contraventions qu'il vise, cet article institue une peine automatique, sans considération de la nature et des circonstances de la commission de l'infraction, en méconnaissance de l'interdiction d'automaticité des peines établie par la décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 ;

Dans une décision n° 98-404 du 18 décembre 1998, le Conseil constitutionnel avait également jugé qu'en édictant une sanction automatique sur une personne " quel qu'ait été son comportement individuel le législateur n'a pas fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels avec l'objet de la loi ". En conséquence, le caractère automatique de la sanction est en contradiction absolue avec le principe de nécessité des peines posé à l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

En établissant une responsabilité automatique du conducteur, quand bien même ce dernier n'aurait en aucune manière participé à la commission de l'infraction, l'article 6 méconnaît les principes de personnalité des peines et de responsabilités personnelles, issus des articles 123-24 et 121-21 du code pénal (décision n° 70 DC des 19 et 20 janvier 1981) ;

Enfin, l'article 6 établit une présomption de responsabilité contraire à l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que " toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ".

Si la Cour européenne des droits de l'homme a eu l'occasion d'affirmer que la Convention ne met pas d'obstacles de principe aux présomptions de fait ou de droit, elle a également jugé que la Convention obligeait les Etats contractants, en matière pénale, à ne pas dépasser un certain seuil, commandant notamment aux Etats de les enserrer dans des limites raisonnables (arrêt Salabiaku, 7 octobre 1988).

Or, la présomption instituée par l'article 6 de la loi déférée n'est pas " raisonnable " au sens de la Convention européenne des droits de l'homme. Alors que l'affaire Salabiaku concernait un cas de présomption de droit concernant un délit matériel, fondé sur un acte personnel et concret, même univoque, de la personne poursuivie (s'agissant d'une affaire de douanes où la personne poursuivie est de toute façon l'auteur matériel de transport de l'objet litigieux), l'article 4 de la loi institue une présomption de culpabilité pure, portant sur la détermination de l'identité même de l'individu qui sera poursuivi, alors même qu'il n'aurait commis aucun élément de l'infraction.

La présomption de responsabilité automatique instituée par cet article apparaît contraire aux principes de valeur constitutionnelle.

Pour toutes ces raisons, l'article 6 doit être déclaré non conforme à la Constitution.

II. : Sur les articles 7 et 8

L'article 7 de la loi déférée ajoute un nouvel article L 4-1 du code de la route, créant un délit en cas de récidive de dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/heure dans un délai d'un an. Ce délit est puni de trois mois d'emprisonnement et de 25 000 F d'amende. Au titre de l'article 8 de la loi, ce dépassement donne également lieu de plein droit à un retrait de six points affectés au permis de conduire.

Ces articles méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines affirmés par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Si l'accroissement de la sécurité routière apparaît comme un objectif d'intérêt général, le législateur, en créant un nouveau délit gravement sanctionné, a commis une erreur manifeste d'appréciation, au regard du dispositif répressif déjà existant.

Les excès de vitesse constituent des contraventions de quatrième classe et sont sanctionnés à ce titre d'une peine d'amende pouvant aller jusqu'à 5 000 F (R 232 du code de la route). Par ailleurs, tout dépassement de la vitesse maximale autorisée entraîne un retrait de points affectés au permis de conduire, allant de deux à quatre points selon le département de la vitesse maximale autorisée. En outre, l'article 223-1 du code pénal, qui punit d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende la mise en danger délibérée d'autrui, permet déjà de sanctionner les cas de conduite excessive présentant un danger.

De telles dispositions, si elles sont appliquées en totalité, doivent permettre de sanctionner les comportements dangereux et nuisibles sur les routes. Le délit de " grand excès de vitesse " créé par l'article 7 apparaît donc incompatible avec l'exigence de proportionnalité et de nécessité de la peine, d'autant que les sanctions qu'il prévoit sont parmi les plus importantes qui existent en matière de sécurité routière.

L'article 8 prévoit le retrait de six points du permis de conduire pour l'auteur du délit de grand excès de vitesse, alors même que l'intéressé aura déjà perdu quatre points au titre de la première infraction. En conséquence, l'intéressé aura perdu pour deux infractions dix points sur les douze que compte le permis de conduire. Dans la mesure où le retrait total des points entraîne l'annulation du permis de conduire, cette mesure porte excessivement atteinte au principe de liberté de circulation, liberté individuelle garantie par la Constitution, et paraît également contraire aux principes de proportionnalité et de nécessité des peines.

La décision de retrait de points, qualifiée de sanction pénale accessoire par la Cour européenne des droits de l'homme dans une décision du 23 septembre 1998, doit s'entourer des garanties posées par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. En particulier, dans la mesure où l'annulation du permis de conduire pouvant résulter du retrait de la totalité des points constitue une atteinte à la liberté de circulation, la décision de retrait de points doit pouvoir être soumis à l'appréciation de l'autorité judiciaire, juge des libertés individuelles au sens de l'article 66 de la Constitution.

Enfin, cet article porte atteinte à l'exigence d'un recours de pleine juridiction à l'encontre de toute décision infligeant une sanction (décision n° 92-307 du 25 février 1992).

Pour toutes ces raisons, les articles 7 et 8 de la loi déférée doivent être déclarés non conformes à la Constitution.

Pour ces motifs et pour tout autre que les auteurs de la présente saisine se réservent d'invoquer et de développer, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public des voyageurs.


Références :

DC du 16 juin 1999 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 16 juin 1999 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°99-411 DC du 16 juin 1999
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1999:99.411.DC
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