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30/10/2014 | BELGIQUE | N°C.08.0510.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 octobre 2014, C.08.0510.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0510.F

Martin y Paz diffusion, societe anonyme dont le siege social est etabli àNivelles (Baulers), rue de la Ferme du Chapitre, 11,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

1. D. D.,

2. Fabriek van Maroquinerie Gauquie, societe anonyme dont le siege socialest etabli à Ypres, Diksmuidseweg, 130,

defendeurs en cassation,>
representes par Maitre Ludovic De Gryse et Maitre Bruno Maes, avocats àla Cour de cassation, dont le cabin...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0510.F

Martin y Paz diffusion, societe anonyme dont le siege social est etabli àNivelles (Baulers), rue de la Ferme du Chapitre, 11,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

1. D. D.,

2. Fabriek van Maroquinerie Gauquie, societe anonyme dont le siege socialest etabli à Ypres, Diksmuidseweg, 130,

defendeurs en cassation,

representes par Maitre Ludovic De Gryse et Maitre Bruno Maes, avocats àla Cour de cassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue deLoxum, 25, ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 8 novembre 2007par la cour d'appel de Bruxelles et contre l'arret interpretatif rendu parcelle-ci le 12 septembre 2008.

Par arret du 2 decembre 2011, la Cour a pose à la Cour de justice del'Union europeenne deux questions prejudicielles auxquelles cettejuridiction a repondu par son arret nDEG C-661/11 du 19 septembre 2013.

Le president de section Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general Andre Henkes a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- articles 6, 1134, alinea 3, 1382 et 1383 du Code civil ;

- principe general du droit prohibant l'abus de droit ;

- principe general du droit selon lequel le debiteur d'une obligation àduree indeterminee ou illimitee peut resilier à tout moment etunilateralement son engagement, principe exprime notamment à l'article1736 du Code civil, tel qu'il a ete remplace par l'article 8 de la loi du20 fevrier 1991 relative aux baux à loyer, l'article 1780 du Code civilet l'article 43 du Code des societes, ou, subsidiairement, au cas ou il nes'agirait pas d'un principe general du droit, ces trois dispositionslegales en tant qu'elles expriment la regle selon laquelle le debiteurd'une obligation à duree indeterminee ou illimitee peut resilier à toutmoment et unilateralement son engagement et, pour autant que de besoin,lesdits articles ;

- articles 2.20, alinea 1er, et 2.32, alinea 1er, de la Convention Beneluxen matiere de propriete intellectuelle, faite à La Haye le 25 fevrier2005 et approuvee par la loi du 22 mars 2006.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir dit non fondes tant l'appel des defendeurs que la demandenouvelle par lesquels ils poursuivaient la nullite ou la decheance desenregistrements Benelux des marques « N », « Nathan » et « NathanBaume », et donc apres avoir reconnu la validite et le maintien de cesenregistrements au profit de la demanderesse pour tous les produits vises,y compris les sacs à main et les chaussures, l'arret attaque du 8[novembre] 2007, interprete par celui du 12 septembre 2008, assortit soninterdiction aux defendeurs de faire usage des marques « N » et« Nathan Baume » d'une exception pour ce qui est des sacs à main et deschaussures, dans les termes suivants :

« a) Constate qu'en faisant usage des marques Benelux `N', enregistreesous le nDEG 0636308 pour des produits repris dans les classes 14, 16, 18,22 et 25 de la classification de Nice, et `Nathan Baume', enregistree sousle nDEG 0712962 pour les produits des classes 18 et 25, tels qu'ils sontenumeres dans lesdits enregistrements, sauf pour des sacs à main ou deschaussures, [les defendeurs] portent atteinte à ces marques et posent unacte contraire aux usages honnetes en matiere commerciale ;

b) Ordonne [aux defendeurs] de cesser de faire usage, dans la vie desaffaires et dans les deux mois qui suivront la signification de l'arret,d'un signe identique ou ressemblant aux marques Benelux `N', enregistreesous lenDEG 0636308 pour les produits repris dans les classes 14, 16, 18, 22 et25 de la classification de Nice, et `Nathan Baume', enregistree sous lenDEG 0712962 pour des produits des classes 18 et 25, tels qu'ils sontenumeres dans lesdits enregistrements, sauf pour des sacs à main ou deschaussures, sous peine d'une astreinte de 10.000 euros par infractionconstatee », et cela par les motifs suivants :

« Le maintien de l'enregistrement des differentes marques au profit de[la demanderesse] lui confere, il est vrai, un droit d'usage exclusif.Theoriquement, elle serait donc en droit d'obtenir la cessation de toutecommercialisation des produits faisant usage desdites marques.

[La demanderesse] ne fait pas mystere que sa decision d'introduire uneaction en cessation constituait une reponse au refus de [la defenderesse]d'entrer, apres la prononciation du premier jugement du tribunal decommerce de Nivelles, dans un processus de cogestion qu'elle appelait deses voeux. La demande, telle qu'elle etait formulee dans sa rigueurabsolue, venait par ailleurs se heurter à dix annees de pratiquescontraires.

En utilisant une procedure à d'autres fins que celles pour lesquelleselle a ete prevue, [la demanderesse] a commis un abus de droit. [...]

En ce qui concerne les marques `N' et `Nathan Baume', dont l'usage -faut-il le rappeler - n'est pas regle par les conventions de 1990 et de1995, [la demanderesse] a toujours reconnu que [la defenderesse] etait endroit d'utiliser ces signes, notamment pour les sacs à main et leschaussures.

Contrairement à ce qu'elle a tente de soutenir dans sa lettre du 15decembre 2003, il ne fut jamais question dans son chef d'octroi d'unelicence à duree indeterminee renouvelable par tacite reconduction maisbien d'un partage de l'exploitation de ces marques. [La demanderesse] irameme jusqu'à reconnaitre une forme de copropriete sur les signes,utilisant, entre autres, la premiere personne du pluriel dans sa lettre du18 decembre 2001 lorsqu'elle parlait du depot de la lettre N.

Il s'en deduit que, depuis les enregistrements des 14 aout 1998 et 24janvier 2002, [la demanderesse] a donne un consentement irrevocable à ceque [la defenderesse] applique ces marques sur les sacs à main et leschaussures.

Tant que les parties se cantonnaient, l'une dans la distribution des sacset des chaussures, et l'autre dans la maroquinerie, leurs relationsrestaient sinon harmonieuses, à tout le moins correctes. La difficulte asurgi lorsque [la demanderesse] a commence à commercialiser d'autresproduits et a exige une concertation sur le choix des matieres et descoloris, ainsi que sur la communication.

Interdire [aux defendeurs] de faire usage des marques `N' et `NathanBaume' pour des sacs à main et des chaussures constituerait, des lors, unabus de droit ».

Griefs

1. En vertu de l'article 2.20, alinea 1er, de la Convention Benelux enmatiere de propriete intellectuelle, la marque enregistree confere à sontitulaire un droit exclusif qui lui permet d'interdire à tout tiers, enl'absence de son consentement, notamment l'usage, dans la vie desaffaires, de la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquelselle est enregistree ou d'un signe pour lequel, en raison de son identiteou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identite ou de lasimilitude des produits ou services couverts par la marque et le signe, ilexiste, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend lerisque d'association entre le signe et la marque.

Ce droit exclusif est circonscrit par quelques restrictions inscrites àl'article 2.23 de la Convention Benelux en matiere de proprieteintellectuelle.

2. En vertu de l'article 2.32, alinea 1er, de la Convention Benelux enmatiere de propriete intellectuelle, la marque peut faire l'objet d'unelicence pour tout ou partie des produits ou services pour lesquels lamarque a ete deposee ou enregistree.

Un tiers (une autre personne que le titulaire) ne peut faire usage de lamarque que s'il beneficie d'une licence, laquelle constitue leconsentement vise à l'article 2.20, alinea 1er, de la Convention Beneluxen matiere de propriete intellectuelle. Aucune autre possibilite n'estprevue par la Convention Benelux en matiere de propriete intellectuelle,en vertu de laquelle un tiers puisse faire de celle-ci un usage comprisdans le droit exclusif du titulaire tel que ce droit exclusif est definipar les articles 2.20 et 2.23 de cette convention.

Donner son consentement à l'usage d'une marque, c'est s'engager à ne pass'y opposer.

3. Or, il est de regle, et meme d'ordre public, qu'une obligation ne peutpas etre consentie à titre irrevocable ou perpetuel, elle ne peut l'etreque pour une duree determinee ou pour une duree indeterminee, l'engagementpouvant en ce dernier cas prendre fin à tout moment par la seule volontede son auteur (resiliation unilaterale), sans justification necessaire(« ad nutum »).

L'article 1780 du Code civil exprime cette regle à propos du louage deservices. L'article 1736 du meme code, remplace par l'article 8 de la loidu 20 fevrier 1991, exprime la regle à propos du louage de choses.L'article 1869 du meme code, aujourd'hui abroge, l'exprimait à propos ducontrat de societe. On la retrouve exprimee à l'article 43 du Code dessocietes.

4. La cour d'appel n'a constate nulle part, et les defendeurs nesoutenaient pas davantage, que la demanderesse eut donne pour une dureedeterminee son consentement à l'usage par eux de ces marques pour cesproduits, ou qu'elle eut retire ce consentement avant l'expiration d'unetelle duree.

5. Or, l'arret attaque decide que la demanderesse ne peut interdire auxdefendeurs l'usage des marques « N » et « Nathan Baume » pour les sacsà main et les chaussures aux motifs 1. qu'une telle action en cessationd'usage est detournee de ses fins parce qu'elle repond à un refusd'accord de la part des defendeurs et se heurte à une longue pratiquecontraire et 2. que cela « constituerait, des lors, un abus de droit »en raison du « consentement irrevocable » donne par elle à cet usagepartage.

6. Par le premier motif, l'arret attaque meconnait d'abord à la fois ledroit exclusif attache à la marque enregistree et la notion d'abus dedroit ou de faute en considerant comme un abus de droit, et donc comme nonfondee, l'action judiciaire par laquelle s'exerce ledit droit exclusifapres que l'engagement de son titulaire de ne pas l'exercer a pris fin, etsans relever aucun autre fait ou circonstance que le refus du beneficiairede cet engagement d'encore s'entendre avec le titulaire apres une longueperiode.

6.1. En effet, en vertu de la nature meme du droit exclusif attache à lamarque, le titulaire decide librement de l'usage de celle-ci et seul leconsentement donne par le titulaire à l'usage concerne de la marque faitobstacle à l'action visant à faire cesser cet usage.

Des lors, en l'absence de ce consentement de sa part, le titulaire disposepleinement de son droit exclusif et doit pouvoir l'exercer en justice.

L'arret attaque, qui constate le defaut du maintien de ce consentementmais refuse à la demanderesse l'exercice du droit exclusif attache à lamarque, meconnait donc le contenu legal de ce droit exclusif (violation del'article 2.20, alinea 1er, de la Convention Benelux en matiere depropriete intellectuelle).

6.2. Il meconnait en meme temps la notion d'abus de droit ou de faute : untel exercice en justice du droit exclusif ne peut pas etre considere, auregard de l'article 2.20, alinea 1er, de la Convention Benelux en matierede propriete intellectuelle, comme fait à une autre fin que celle pourlaquelle ce droit a ete institue par la loi, et ainsi abusif, en raison dela seule circonstance qu'il fait suite au defaut d'accord, en l'espece nonmaintenu, entre le titulaire et le defendeur, alors que cette circonstanceest au contraire inherente au droit exclusif tel que defini par la loi.

Par là, l'arret attaque viole les articles 1382 et 1383 du Code civil (sil'on considere qu'il s'est place dans le champ extracontractuel), 1134,alinea 3, du meme code (s'il faut considerer qu'il se fonde sur unerelation contractuelle) et le principe general du droit prohibant l'abusde droit et, au besoin, l'article 2.20, alinea 1er, de la ConventionBenelux en matiere de propriete intellectuelle.

7. Par le second motif prerappele, l'arret attaque meconnait egalement laregle d'ordre public de l'interdiction des engagements perpetuels par laqualification d'irrevocable qu'il donne au consentement de la demanderesseet par la consequence qu'il en deduit que l'action en cessation d'usagedes marques concernees constitue un abus de droit (violation du principegeneral du droit selon lequel le debiteur d'une obligation à dureeindeterminee ou illimitee peut resilier à tout moment et unilateralementson engagement et des articles 6 et 1736 du Code civil, ce dernier telqu'il a ete remplace par l'article 8 de la loi du 20 fevrier 1991 relativeaux baux à loyer, de l'article 1780 du Code civil et de l'article 43 duCode des societes en tant qu'ils expriment ce principe general du droitou, à defaut, en tant que tels).

8. Aussi bien la notion d'abus de droit est-elle violee, le juge nepouvant qualifier comme tel l'exercice d'un droit du seul fait qu'ilsuccede à la resiliation par son titulaire de l'engagement à dureeindeterminee de ne pas l'exercer (violation du principe general du droitprohibant l'abus de droit et des articles 1134, alinea 3, 1382 et 1383 duCode civil, qui l'expriment respectivement en matiere contractuelle et enmatiere quasi delictuelle, selon que l'on considere que l'arret se placeà l'un ou l'autre point de vue).

9. De meme, l'arret attaque viole-t-il à la fois les articles 2.20,alinea 1er, et 2.32, alinea 1er, de la Convention Benelux en matiere depropriete intellectuelle par ce second motif selon lequel il y a unpartage de l'exploitation des marques par l'effet d'un consentementirrevocable de la demanderesse alors que, en vertu dudit article 2.32,alinea 1er, c'est seulement par une licence que le titulaire d'une marquepeut consentir à l'exploitation de sa marque, ce qui exclut par la naturepersonnelle et non perpetuelle de cet engagement qu'il puisse y avoirpartage definitif de l'exploitation d'une marque, et alors que, en vertududit article 2.20, alinea 1er, seul le titulaire, par cette qualite meme,a un droit exclusif d'usage de la marque (violation de ces deuxdispositions de la Convention Benelux en matiere de proprieteintellectuelle et, au besoin, du principe general du droit et desdispositions legales visees au point 7 ci-dessus).

10. Enfin, subsidiairement, à supposer que l'arret attaque ait pulegalement qualifier d'abus de droit dans le chef de la demanderessel'action de celle-ci visant à faire cesser l'usage litigieux des marquesconcernees, encore meconnait-il la sanction qui s'y attache, en declarantnon fondee cette action, c'est-à-dire en privant entierement lademanderesse de l'exercice de son droit, alors que cette sanction ne peutconsister, soit qu'à reduire l'exercice du droit à sa mesure normale etnon à l'empecher totalement, soit à faire reparer le prejudice quel'abus, une fois commis, a cause (seconde solution exclue en l'espece àdefaut pour l'action d'avoir ete accueillie et donc d'avoir pu etreexecutee et causer un prejudice) (violation des articles 1382 et 1383 duCode civil [si l'on considere que l'arret attaque s'est place dans lechamp extracontractuel] et du principe general du droit prohibant l'abusde droit).

Second moyen

Dispositions legales violees

- articles 6, 1134, alinea 3, 1382 et 1383 du Code civil ;

- principe general du droit prohibant l'abus de droit ;

- principe general du droit selon lequel le debiteur d'une obligation àduree indeterminee ou illimitee peut resilier à tout moment etunilateralement son engagement, principe exprime notamment à l'article1736 du Code civil, tel qu'il a ete remplace par l'article 8 de la loi du20 fevrier 1991 relative aux baux à loyer, l'article 1780 du Code civilet l'article 43 du Code des societes, ou, subsidiairement, au cas ou il nes'agirait pas d'un principe general du droit, ces trois dispositionslegales en tant qu'elles expriment la regle selon laquelle le debiteurd'une obligation à duree indeterminee ou illimitee peut resilier à toutmoment et unilateralement son engagement et, pour autant que de besoin,lesdits articles ;

- articles 2.20, alinea 1er, 2.26, alinea 1er, a), et 2.32, alinea 1er, dela Convention Benelux en matiere de propriete intellectuelle, faite à LaHaye le 25 fevrier 2005 et approuvee par la loi du 22 mars 2006 ;

- articles 23, 1DEG (tel qu'il a ete modifie par l'article 5, 1DEG, de laloi du 25 mai 1999) et 8DEG (tel qu'il a ete modifie par l'article 5,6DEG, de la loi du 25 mai 1999), et 93 de la loi du 14 juillet 1991 surles pratiques du commerce et sur l'information et la protection duconsommateur.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir dit non fondes tant l'appel des defendeurs que leur demandenouvelle par lesquels ils poursuivaient la nullite ou la decheance desenregistrements Benelux des marques « N », « Nathan » et « NathanBaume », et donc apres avoir reconnu la validite et le maintien de cesenregistrements au profit de la demanderesse pour tous les produits vises,y compris les sacs à main et les chaussures, l'arret attaque du 8novembre 2007, interprete par celui du 12 septembre 2008, statuant sur lesappels des parties contre le jugement du 9 mai 2007, interdit à lademanderesse l'usage des marques « N » et « Nathan Baume » pour lessacs à main et les chaussures, dans les termes suivants :

« c) Constate qu'en faisant usage, dans la vie des affaires, des signes`N', `Nathan' et `Nathan Baume' pour des sacs à main et des chaussures,[la demanderesse] commet un acte de concurrence deloyale portant prejudiceaux interets de [la defenderesse] ;

d) Ordonne à [la demanderesse] de cesser de faire usage, dans la vie desaffaires et dans les deux mois qui suivront le signification [de l'arretattaque], d'un signe identique ou ressemblant aux marques `N', `Nathan' et`Nathan Baume', enregistrees sous les numeros 0636308, 0636309 et 0712962,pour des sacs à main ou des chaussures, sous peine d'une astreinte de10.000 euros par infraction constatee », par les motifs suivants :

« [La demanderesse] a toujours reconnu volontairement et en dehors detoute convention que l'interdiction qui pesait sur elle de ne pas faire deconcurrence deloyale à monsieur B., en ce qui concerne la fabrication etla distribution de sacs avec les modeles et le nom `Nathan' (cf. article 3de la convention du 6 juin 1990), s'est etendue aux marques `N' et `NathanBaume' pour les sacs à main et les chaussures dont les collections sontintimement liees.

Les pieces deposees par [la defenderesse] demontrent qu'elle a enormementinvesti, depuis de nombreuses annees, pour faire connaitre au public cetype de produits de haute qualite.

Dans les circonstances de l'espece, vouloir entamer dans le chef de [lademanderesse] une commercialisation de ce type de produits sous lesmarques `N' et `Nathan Baume' constituerait un acte de concurrencedeloyale dans la mesure ou elle tirerait indument profit de toute lapublicite effectuee par [la defenderesse] et serait susceptible de creerune grave confusion dans l'esprit de la clientele ».

Griefs

1. En vertu de l'article 2.20, alinea 1er, de la Convention Benelux enmatiere de propriete intellectuelle, la marque enregistree confere à sontitulaire un droit exclusif qui lui permet d'interdire à tout tiers, enl'absence de son consentement, notamment l'usage dans la vie des affairesde la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquels elle estenregistree, ou d'un signe pour lequel, en raison de son identite ou de sasimilitude avec la marque et en raison de l'identite ou de la similitudedes produits ou services couverts par la marque et le signe, il existe,dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risqued'association entre le signe et la marque.

Ce droit exclusif est circonscrit par quelques restrictions legalesinscrites à l'article 2.23 de la Convention Benelux en matiere depropriete intellectuelle.

Ce droit exclusif d'usage implique, à l'evidence, le droit pour letitulaire de la marque de l'utiliser lui-meme ou d'en autoriser l'usage àun tiers de son choix (licence).

Le titulaire de la marque est, au demeurant, tenu d'exercer ce droitd'usage sous peine de decheance de son droit à la marque (article 2.26,alinea 1er, a), de la Convention Benelux en matiere de proprieteintellectuelle).

2. Comme expose au soutien du premier moyen, en vertu de l'article 2.32,alinea 1er, de la Convention Benelux en matiere de proprieteintellectuelle, la marque ne peut etre utilisee par un tiers dans le champdu droit exclusif que par l'effet d'une licence et celle-ci, si elle n'estpas consentie pour une duree determinee, peut à tout moment etre resilieepar la volonte unilaterale de l'une ou l'autre des parties, et donc par letitulaire de la marque, en raison de l'interdiction de la perpetuite desobligations.

L'engagement à duree indeterminee ici en cause est celui frequemmentconsenti par le titulaire, en complement de l'autorisation d'utiliser lamarque, de ne pas faire lui-meme usage de la marque, ce que l'arretattaque decrit en l'espece comme « l'interdiction » que la demanderesses'etait faite de « faire concurrence » sous les marques litigieuses pourdes sacs à main et des chaussures. Une telle licence est alors diteexclusive au sens strict.

3. Lorsqu'une telle licence prend fin, il resulte de l'article 2.20,alinea 1er, de la Convention Benelux en matiere de proprieteintellectuelle que le titulaire reprend le plein exercice de son droitexclusif et peut utiliser sa marque. Il en resultera necessairement etlegalement que le tiers, n'etant plus autorise à l'usage de la marque, neverra plus operer à son profit les effets de la marque sur le marche.

Le « profit » resultant pour le titulaire de l'usage par lui de lamarque au regard de la publicite faite par le tiers autorise auparavant etle « risque de confusion » ne sont ainsi que les consequencesnecessaires et legales du droit pour le titulaire d'utiliser sa marqueapres qu'il en a retire l'autorisation donnee à ce tiers et qu'il a misfin à son abstention d'usage.

4. Certes, le titulaire d'une marque enregistree ne peut-il faire decelle-ci un usage contraire à la loi, et notamment à la loi du 14juillet 1991 sur les pratiques du commerce et l'information et laprotection du consommateur. On ne peut toutefois, à peine de vider de soncontenu le droit du titulaire d'utiliser sa marque, considerer cet usagecomme contraire à la loi precitee sans relever l'une ou l'autrecirconstance particuliere, c'est-à-dire distincte de ce qui constitue laconsequence susdecrite et inherente à l'exercice du droit d'usage de lamarque par le titulaire lorsqu'un tiers n'est plus autorise à cet usage.

5. L'arret attaque constate que la demanderesse entend utiliser elle-memeles marques litigieuses pour des sacs à main et des chaussures ; il avaitdonc ete mis fin par la demanderesse à sa reconnaissance d'une« interdiction » pesant sur elle (ibidem) de ne pas utiliser les marquespour des sacs à main et des chaussures.

Il resulte aussi de la demande meme formee par la demanderesse d'interdireaux defendeurs tout usage des marques litigieuses que la demanderesseavait mis fin à son consentement à tout usage par eux de ces marques.

6. La cour d'appel n'a constate nulle part, et les defendeurs nesoutenaient pas davantage, que la demanderesse eut donne pour une dureedeterminee son consentement à l'usage par eux de ces marques pour cesproduits ni qu'elle se fut engagee pour une duree determinee à ne pasutiliser les marques litigieuses pour ces deux categories de produits.

7. En considerant comme un acte de concurrence deloyale vis-à-vis de ladefenderesse l'usage des sacs à main et des chaussures des marques« N » et « Nathan Baume » par la demanderesse qui a mis fin à sonengagement de consentir à cet usage par elle et de ne pas utiliserelle-meme ces marques pour ces produits, et en interdisant en consequencedefinitivement à la demanderesse cet usage de ces deux marques, l'arretattaque meconnait à la fois :

- l'effet du retrait de l'engagement du titulaire de ne pas utiliser samarque, c'est-à-dire de la fin de la licence consentie (violation del'article 2.32 de la Convention Benelux en matiere de proprieteintellectuelle) ;

- le droit de celui qui a pris un engagement à duree indeterminee de nepas faire, en l'espece l'engagement du titulaire d'une marque de ne pass'opposer à un certain usage de celle-ci et de ne pas utiliser lui-memela marque, de mettre fin unilateralement et à tout moment à cetengagement (violation du principe general du droit selon lequel ledebiteur d'une obligation à duree indeterminee ou illimitee peut resilierà tout moment et unilateralement son engagement, des articles 6 et 1736du Code civil, ce dernier tel qu'il a ete remplace par l'article 8 de laloi du 20 fevrier 1991 relative aux baux à loyer, de l'article 1780 duCode civil et de l'article 43 du Code des societes en tant qu'ilsexpriment ce principe general du droit ou, à defaut, en tant que tels) ;

- le droit du titulaire d'une marque enregistree d'utiliser celle-ci pourtous les produits couverts par l'enregistrement à l'exclusion de touttiers non autorise par lui (violation de l'article 2.20, alinea 1er, de laConvention Benelux en matiere de propriete intellectuelle), ainsi que, aubesoin, le devoir de ce titulaire de faire usage de la marque pour tousces produits à peine de decheance de son droit à la marque (violation del'article 2.26, alinea 1er, a), de la Convention Benelux en matiere depropriete intellectuelle) ;

- la notion d'acte contraire aux usages honnetes en matiere commerciale(« concurrence deloyale ») inscrit à l'article 93 de la loi du 14juillet 1991 sur les pratiques du commerce et l'information et laprotection du consommateur ainsi que les notions de publicite trompeuse(article 23, 1DEG, de la meme loi) et de publicite pretant à confusion(article 23, 8DEG, de la meme loi), des lors que ne peut pas etre interditen vertu de ces articles, et sauf autre circonstance particuliere quel'arret attaque ne constate pas, un acte qui n'est que l'exercice d'undroit accorde par la loi, en l'espece celui du titulaire d'une marqueenregistree d'en faire usage apres qu'un tiers ne beneficie plus de sonengagement de ne pas utiliser la marque (violation desdits articles 23,1DEG et 8DEG, ainsi que 93 de la loi du 14 juillet 1991 vises au moyen) ;

- au besoin, s'il faut comprendre que, par « concurrence deloyale »,l'arret attaque entend un abus de droit, et pour la raison qui vientd'etre exposee, la notion d'abus de droit (violation du principe generaldu droit prohibant l'abus de droit et des articles 1134, alinea 3, 1382 et1383 du Code civil qui l'expriment respectivement en matiere contractuelleet en matiere quasi delictuelle, selon que l'on considere que l'arret seplace à l'un ou l'autre point de vue).

8. Subsidiairement, au cas ou il aurait legalement juge qu'il y avaitviolation d'une des dispositions precitees de la loi susdite du 14 juillet1991 ou un abus de droit, l'arret attaque, en interdisant definitivementà la demanderesse l'usage litigieux de ses marques, et en n'adoptant pasune solution moins restrictive, meconnait le droit du titulaire d'unemarque enregistree d'utiliser celle-ci pour tous les produits couverts parl'enregistrement (violation de l'article 2.20, alinea 1er, de laConvention Benelux en matiere de propriete intellectuelle) et, au besoin,le devoir dudit titulaire de le faire (violation de l'article 2.26, alinea1er, de la Convention Benelux en matiere de propriete intellectuelle).

III. La decision de la Cour

En vertu de l'article 2.20, alinea 1er, a) et b), de la Convention Beneluxdu 25 fevrier 2005 en matiere de propriete intellectuelle (marques etdessins ou modeles), qui constitue la transposition de l'article 5, S:1er, de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 decembre 1988 rapprochantles legislations des Etats membres sur les marques, la marque enregistreeconfere à son titulaire un droit exclusif qui lui permet d'interdire àtout tiers, en l'absence de son consentement, l'usage, dans la vie desaffaires, d'un signe identique à la marque pour des produits ou servicesidentiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistree ou d'un signepour lequel, en raison de son identite ou de sa similitude avec la marqueet en raison de l'identite ou de la similitude des produits ou servicecouverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, unrisque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe etla marque.

Par l'arret precite du 19 septembre 2013, la Cour de justice de l'Unioneuropeenne a dit pour droit que « l'article 5 de la premiere directive89/104/CEE du Conseil du 21 decembre 1988 rapprochant les legislations desEtats membres sur les marques, telle qu'elle a ete modifiee par l'accordsur l'Espace economique europeen du 2 mai 1992, s'oppose à ce qu'untitulaire de marques qui, dans le cadre d'une exploitation partagee avecun tiers, avait consenti à l'usage par ce tiers de signes identiques àses marques pour certains produits relevant des classes pour lesquellesces marques sont enregistrees, et qui n'y consent plus, soit prive detoute possibilite d'opposer le droit exclusif qui lui est confere parlesdites marques audit tiers et d'exercer lui-meme ce droit exclusif pourdes produits identiques à ceux du meme tiers ».

Sur le premier moyen :

Il suit de l'article 2.20, alinea 1er, a) et b), precite, tel qu'il doitetre interprete à la lumiere de l'article 5, S: 1er, de la directive89/104/CEE dont l'arret de la Cour de justice de l'Union europeenne du 19septembre 2013 precise la portee, que, si le titulaire d'une marque aconsenti à l'usage par un tiers d'un signe identique à cette marque pourdes produits couverts par l'enregistrement de celle-ci mais qu'il n'yconsent plus, il ne peut pas etre prive de toute possibilite d'opposer sondroit exclusif à ce tiers.

Ni par la consideration que la demanderesse « a donne un consentementirrevocable à ce que [la defenderesse] applique [les] marques [`N' et`Nathan Baume'] sur [des] sacs à main et [des] chaussures » ni par cellequ' « interdire [aux defendeurs] de faire usage [de ces] marques [...]pour [ces produits] constituerait [...] un abus de droit », l'arretattaque du 8 novembre 2007, qui constate que la demanderesse ne maintientpas son consentement, ne justifie legalement sa decision d'exclure lessacs à main et les chaussures de l'interdiction qu'il intime auxdefendeurs de faire usage desdites marques.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Sur le second moyen :

Il suit de l'article 2.20, alinea 1er, a) et b), precite, tel qu'il doitetre interprete à la lumiere de l'article 5, S: 1er, de la directive89/104/CEE dont l'arret de la Cour de justice de l'Union europeenne du 19septembre 2013 precise la portee, que, si le titulaire d'une marque aconsenti à l'usage par un tiers d'un signe identique à cette marque pourdes produits couverts par l'enregistrement de celle-ci mais qu'il n'yconsent plus, il ne peut pas etre prive de toute possibilite d'exercerlui-meme ce droit pour les produits concernes.

Par la consideration que, « dans les circonstances de l'espece », lavolonte de la demanderesse d'entamer « une commercialisation de [sacs àmain et de chaussures] sous les marques `N' et `Nathan Baume'constituerait un acte de concurrence deloyale », l'arret attaque du 8novembre 2007 ne justifie pas legalement sa decision d'interdire à lademanderesse l'usage de ces marques pour ces produits.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Et la cassation de l'arret attaque du 8 novembre 2007 entrainel'annulation de celui du 12 septembre 2008 dans la mesure ou, en decidantce qu'il faut entendre par sac à main, il en est la suite.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque du 8 novembre 2007 en tant qu'il statue sur l'usagedes marques « N » et « Nathan Baume » pour des sacs à main et deschaussures ;

Annule l'arret du 12 septembre 2008 en tant qu'il decide ce qu'il fautentendre par sac à main ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse et de l'arret partiellement annule ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du trente octobre deux mille quatorze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+-----------+----------------|
| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
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30 OCTOBRE 2014 C.08.0510.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.08.0510.F
Date de la décision : 30/10/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-10-30;c.08.0510.f ?
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