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30/11/2023 | MONACO | N°TS/2022-28

Monaco | Tribunal Suprême, 30 novembre 2023, Monsieur A. V. c/ État de Monaco, TS/2022-28


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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par M. A. V., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 14 septembre 2022 sous le numéro TS 2022-28, tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 3 décembre 2021 par laquelle le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté publique lui a retiré sa carte de séjour de résident temporaire et de la décision implicite du Ministre d'État rejetant son recours hiérarchique ; d'autre part, à la condamnation de l'État

aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que, selon la requête, M. A. V. a créé en 2018 une soc...

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par M. A. V., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 14 septembre 2022 sous le numéro TS 2022-28, tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 3 décembre 2021 par laquelle le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté publique lui a retiré sa carte de séjour de résident temporaire et de la décision implicite du Ministre d'État rejetant son recours hiérarchique ; d'autre part, à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que, selon la requête, M. A. V. a créé en 2018 une société à responsabilité limitée dénommée MATACHAIN, immatriculée le 27 avril 2018 au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le n° 18S07737 ; que M. V. était associé-gérant de cette société dont le siège social a été fixé au 44 boulevard d'Italie Château d'Azur à Monaco ; que, parallèlement, M. V. a sollicité la délivrance d'une première carte de séjour temporaire, laquelle lui a été octroyée le 16 août 2018, sous le numéro XXXX ; qu'à l'expiration de ladite carte, il en a sollicité le renouvellement ; qu'il a ensuite été autorisé, par décision du Conseiller du Gouvernement - Ministre des Finances et de l'économie en date du 26 octobre 2020, à exercer une activité en son nom personnel ayant pour objet l'« étude, analyse, conseil et conception en matière d'infrastructure numérique en lien avec la technologie Blockchain et l'Internet des objets » ; que le siège de cette activité a été établi à son domicile ; que les formalités d'inscription de ladite activité ont été suspendues dans l'attente du renouvellement de sa carte de séjour nécessaire à leur accomplissement ;

Attendu que, par décision du 3 décembre 2021, notifiée suivant procès-verbal du 21 février 2022, le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique a décidé, au visa des « instructions de Monsieur le Conseiller de Gouvernement - Ministre de l'Intérieur », du retrait de la carte de séjour de Monsieur V. considérant que : « […] les consommations d'énergie électrique relevées dans le logement de Monsieur V. A. [...] ne caractérisent raisonnablement pas une occupation effective ; […] Les justificatifs de ressources produits […] ne garantissent pas que Monsieur V. A. en dispose pour l'heure suffisamment pour vivre en Principauté de Monaco ; […] par conséquent […] l'intéressé ne remplit plus les conditions pour être titulaire d'une carte de séjour » ; que M. V. a introduit, par courrier du 15 mars 2022 reçu le 17 mars 2022, un recours hiérarchique auprès du Ministre d'État ; qu'aucune réponse n'a été donnée à ce recours ; que M. V. a saisi le Tribunal suprême aux fins d'annulation de la décision de retrait de sa carte de séjour temporaire de résident et de la décision implicite rejetant son recours hiérarchique ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. V. expose, en premier lieu, que les décisions attaquées seraient entachées d'un vice de motivation au sens de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, en ce que la décision ne contiendrait pas les raisons de fait et de droit pour lesquelles cette décision de résiliation a été prise, contrairement à ce qu'impose l'article 2 de la loi susmentionnée ; que, d'une part, la décision se bornerait à faire référence aux « instructions de Monsieur le Conseiller de Gouvernement - Ministre de l'Intérieur », sans autre précision, les instructions censées fonder la décision attaquée n'ayant pas été portées à la connaissance du requérant, pas davantage que les raisons pour lesquelles elles auraient été données ; que M. V. se trouverait, de ce fait, privé de la faculté de pouvoir utilement les contester ; que, d'autre part, les motifs qui tiennent lieu de considérations de fait fondant la décision déférée ne satisfont pas aux exigences posées par l'article 2 de loi n° 1.312, la décision visant en effet des consommations d'énergie électrique relevées dans le logement de M. V., lesquelles ne caractériseraient « raisonnablement pas une occupation effective » ; que la décision n'indique pas, en outre, quel est le montant desdites consommations, ni en quoi, elles ne permettraient pas de justifier d'une occupation effective ;

Attendu, en outre, que la décision énonce que les justificatifs de ressources produits par le requérant « ne garantissent pas que Monsieur V. A. en dispose pour l'heure suffisamment pour vivre en Principauté de Monaco », le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique se bornant à procéder par voie d'affirmation, en omettant de préciser quelles ressources seraient jugées suffisantes pour vivre en Principauté de Monaco ; qu'il n'est pas davantage fait état, dans la décision, des raisons pour lesquelles les justificatifs de ressources auxquels la décision se réfère ont été considérés comme insatisfaisants pour justifier la décision de retrait ;

Attendu que M. V. expose, en second lieu, que la décision du 3 décembre 2021 est entachée d'une erreur de droit, le motif tiré du défaut d'occupation effective de son logement étant erroné ; que, selon le requérant, l'exigence d'une occupation effective du logement n'est aucunement exigée par l'article 6 de l'ordonnance n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions de séjour des étrangers dans la Principauté, que l'étranger fasse une première demande de carte de séjour temporaire ou en sollicite le renouvellement ; que, par voie de conséquence, le défaut supposé d'occupation effective du logement ne peut fonder une décision de retrait d'une carte de séjour temporaire ; qu'à l'appui de sa requête, le requérant cite une décision du Tribunal Suprême en date du 12 juillet 2022 (2021-08) qui juge qu'il est « loisible à l'Administration de refuser l'octroi d'une première carte de séjour ou le renouvellement de cette carte lorsqu'il apparaît que la demande est manifestement dépourvue d'utilité en se fondant [...] le cas échéant sur le défaut de séjour effectif [du demandeur] sur le territoire de la Principauté », mais à la condition que le refus soit effectivement fondé sur l'inutilité de la demande, la preuve de cette inutilité pouvant être établie par la démonstration de l'absence de séjour effectif ; que, selon le requérant, tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce, la décision indiquant seulement que les relevés de consommation électrique « ne caractérisent raisonnablement pas une occupation effective » sans expliquer en quoi, ni le prouver ; que, dès lors, en faisant grief au requérant de ne plus respecter une condition non prévue par la loi pour décider du retrait de sa carte de séjour, le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique aurait entaché sa décision d'une première erreur de droit ;

Attendu que M. V prétend ensuite que la décision attaquée serait entachée d'une seconde erreur de droit, puisqu'en fondant sa décision sur l'insuffisance des ressources du requérant, l'Administration a fait une inexacte application de l'article 6 de l'Ordonnance n° 3.153 susmentionnée, qui dispose que l'étranger qui sollicite la délivrance d'une carte de séjour temporaire doit justifier soit d'être titulaire d'une autorisation d'exercer une activité professionnelle à Monaco, soit de disposer de moyens suffisants d'existence s'il n'entend exercer aucune profession ; que, selon le requérant, ces conditions s'appliquent alternativement, l'exigence relative à la justification de ressources suffisantes ne trouvant de surcroît à s'appliquer que dans l'hypothèse où le demandeur n'entend exercer aucune activité professionnelle sur le territoire de la Principauté ; qu'en revanche, dès lors que le demandeur dispose des autorisations administratives nécessaires pour exercer une activité professionnelle à Monaco, aucune disposition légale n'impose qu'il justifie en tirer des revenus considérés comme suffisants, non plus qu'il dispose par ailleurs d'autres moyens d'existence ;

Attendu que le requérant estime par ailleurs que l'article 6 prévoit de manière exhaustive les conditions légales devant être remplies pour obtenir la délivrance d'une première carte de séjour ou son renouvellement ; que l'Administration se trouve ainsi en situation de compétence liée ; car, dès lors que le demandeur remplit lesdites conditions, l'Administration n'a pas d'autre choix que de faire droit à la demande ; que le requérant cite à l'appui de sa requête une décision du Tribunal Suprême 14 juin 2006, Sieur D. A. c/ Ministre d'État, a contrario ; qu'au cas d'espèce, au soutien de ses demandes tant de délivrance d'une première carte de séjour temporaire que de renouvellement, M. V. a produit les autorisations qui lui ont été délivrées par les autorités compétentes pour exercer les fonctions de gérant-associé de la SARL METACHAIN ; que le niveau de ressources qu'il retire de cette activité régulièrement autorisée est indifférent puisque la condition relative à l'autorisation d'exercer une activité professionnelle sur le territoire de la Principauté posée par l'article 6 est remplie ; que le requérant fait en outre observer qu'au jour de la décision querellée, il bénéficiait d'une seconde autorisation d'exercer une activité en son nom personnel, notifiée 27 octobre 2020 ; qu'il justifie par conséquent d'une autorisation d'exercer une activité professionnelle en Principauté sans que les autorités aient à contrôler s'il dispose de ressources suffisantes ;

Attendu que le requérant souligne enfin que, si le dernier alinéa de l'article 6 de l'ordonnance 3.153 susmentionnée dispose que la carte de séjour temporaire peut être retirée à tout moment si les autorités compétentes le jugent nécessaire, le pouvoir discrétionnaire dont ces dernières disposent ne saurait être absolu ; que l'autorité administrative qui entend faire usage de son pouvoir d'appréciation de la situation de l'intéressé pour décider du retrait d'un titre de séjour demeure tenue de qualifier les faits qui, selon elle, justifient de la nécessité de retirer le titre ; qu'en l'espèce, l'Administration a retenu l'insuffisance des moyens d'existence du requérant pour décider du retrait de son titre de séjour, alors que ce dernier disposait des autorisations visées par l'article 6 de l'Ordonnance ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 16 novembre 2022, par laquelle le Ministre d'ÉTAT conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée est suffisamment motivée, cette dernière précisant qu'elle s'appuie sur la circonstance que les consommations d'énergie électrique relevées dans le logement de M. V. ne caractérisent pas une occupation effective de ce logement et que ses ressources, telles qu'elles résultent des justificatifs qu'il a lui-même produits, ne permettent pas de vivre en Principauté de Monaco ; qu'elle comporte donc bien l'indication des éléments de fait sur lesquels elle s'appuie ;

Attendu que, selon le Ministre d'État, le requérant n'est pas fondé à reprocher à l'Administration de ne pas avoir porté à sa connaissance, sur le fondement de l'article 4 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 précitée, les raisons pour lesquelles les justificatifs des ressources qu'il a produits n'ont pas été considérés comme permettant le retrait de la décision du 3 décembre 2021, qu'en effet, aux termes de cet article, le destinataire d'une décision implicite peut demander la communication des motifs de cette décision dans le délai du recours contentieux, l'autorité auteur de la décision étant alors tenue, dans cette hypothèse, de communiquer les motifs de la décision dans un délai d'un mois à peine de nullité de celle-ci ; que M. V. s'étant abstenu de solliciter la communication des motifs de la décision de rejet de son recours gracieux avant l'expiration du délai de recours contentieux contre cette décision, il ne peut plus soutenir utilement que cette décision serait insuffisamment motivée ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en second lieu, s'agissant des moyens tirés de l'erreur de droit, que l'Administration peut tenir compte de l'absence de séjour effectif en Principauté de la personne qui demande une carte de séjour, dans le cadre de l'appréciation de l'utilité de cette demande, conformément à l'article 6 de l'ordonnance n° [3.153] susmentionnée, qui dispose que la carte de résident temporaire ne peut être renouvelée que si l'étranger satisfait aux conditions qu'il pose (activité professionnelle ou moyens d'existence suffisants) et qu'elle peut être retirée à tout moment s'il est établi que le requérant cesse de remplir lesdites conditions ou si les autorités compétentes le jugent nécessaire ; qu'au cas présent, M. V. s'est prévalu de sa qualité d'associé cogérant d'une société et de son autorisation d'exercer d' « étude, analyse, conseil et conception en matière d'infrastructure numérique en lien avec la technologie Blockchain et l'Internet des objets » ; qu'il lui appartenait d'établir qu'il remplissait la seconde condition prévue par l'article 6 de l'ordonnance n° 3.153 du 19 mars 1964 précitée tenant à la détention de moyens suffisants d'existence ; que ses ressources ont été estimées insuffisantes par les services de la Sûreté Publique, à partir de faits objectifs constatés par un expert-comptable de Monaco : bénéfices de 7.000 euros en 2018, pas de rémunération de l'associé-gérant entre mars 2018 et juin 2019, chiffre d'affaires de 12.000 euros entre mars 2018 et juin 2019 ; que le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique n'a commis aucune erreur dans la qualification des faits en fondant sa décision sur la circonstance que M. V. ne justifiait pas de ressources suffisantes pour vivre en Principauté ;

Vu la réplique déposée au Greffe Général le 16 décembre 2022 par laquelle le requérant maintient ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 3 décembre 2021, en se fondant sur les mêmes moyens que dans sa requête ;

Attendu que le requérant rappelle d'abord que, si la décision attaquée vise bien l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté modifiée, elle n'indique pas quelles dispositions particulières de ladite Ordonnance Souveraine ont servi de fondement au retrait de sa carte de séjour ; qu'en outre et contrairement à ce qu'affirme le Ministre d'État, l'illégalité d'une décision insuffisamment motivée ne saurait être couverte a posteriori par le simple fait que l'intéressé n'aurait pas exercé une faculté qui lui est offerte par la loi sans que celle-ci ne l'érige en obligation, encore moins à peine de déchéance de droit si elle n'est pas exercée, les motifs ayant prétendument justifié la décision implicite de rejet, que le requérant est censé avoir pu solliciter, n'étant pas davantage communiqués par le Ministre d'État dans la présente instance ;

Attendu que le requérant estime, s'agissant de l'erreur de droit, que le Ministre d'État ne peut utilement alléguer que la décision de retrait aurait été prise en considération de la prétendue absence d'utilité de la carte de séjour de M. V. dès lors, d'abord, que ce motif ne figure pas dans les visas de la décision ; ensuite que le caractère permanent et général des instructions du Conseiller de gouvernement - Ministre de l'Intérieur, selon le propre aveu du Ministre d'État, exclut que la décision ait pu être prise au regard de circonstances particulières liées à l'inutilité manifeste de la carte de séjour déduite de la prétendue absence d'effectivité du séjour du requérant ;

Attendu enfin qu'en réponse à l'argument du Ministre d'État selon lequel il se serait abstenu de démontrer qu'il remplissait la seconde condition posée par l'article 6 de l'ordonnance n° [3.153] tenant à la justification de moyens d'existence suffisants, M. V. oppose le fait que le demandeur est tenu de produire les justificatifs démontrant qu'il dispose de moyens d'existence suffisants si et seulement si il n'entend exercer aucune profession ; qu'en revanche, si le demandeur est dûment autorisé à exercer une activité professionnelle à Monaco, comme c'est le cas de M. V., les revenus qu'il en retire sont indifférents ; qu'à l'occasion de sa première demande comme à l'occasion du renouvellement de sa carte de séjour, M. V. a bien justifié être autorisé à exercer une activité professionnelle à Monaco ;

Vu la duplique enregistrée au Greffe Général le 16 janvier 2023, par laquelle le Ministre d'État maintient ses conclusions aux fins de rejet, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans la contre-requête ; que le Ministre d'État estime, notamment, s'agissant de l'erreur de droit, que, quel que soit le statut social du demandeur, ce n'est pas tant de son activité professionnelle qu'il doit justifier que de l'importance et de l'origine de ses ressources ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.312 du 23 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016, relative à la préservation de la sécurité nationale ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° [3.153] du 19 mars 1964 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu l'Ordonnance du 15 septembre 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Stéphane BRACONNIER, alors Membre titulaire du Tribunal Suprême, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en chef en date du 25 janvier 2023 ;

Vu l'Ordonnance du 16 octobre 2023, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 16 novembre 2023 ;

Ouï Monsieur Stéphane BRACONNIER, Président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Arnaud CHEYNUT, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour M. A. V.;

Ouï Maître François MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

* 1. Considérant que Monsieur A. V. demande l'annulation de la décision du 3 décembre 2021 par laquelle Monsieur le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique a retiré sa carte de séjour de résident Temporaire et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 15 mars 2022, réceptionné le 17 mars 2022 ; que la décision du 3 décembre 2021 doit être regardée comme un refus de renouvellement du titre de séjour de M. V.;

Sur la légalité externe

* 2. Considérant qu'aux termes du 1° de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, « doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives individuelles qui […] restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police » ; que l'article 2 de la même loi précise que « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;

* 3. Considérant qu'en renvoyant aux « instructions de Monsieur le Conseiller de Gouvernement - Ministre de l'Intérieur », ainsi qu'aux consommations d'énergie électrique relevées dans le logement de M. V., lesquelles ont été jugées comme ne caractérisant « raisonnablement pas une occupation effective » et, enfin, aux justificatifs de ressources produits par le requérant, lesquels « ne garantiraient pas que Monsieur V. A. en dispose pour l'heure suffisamment pour vivre en Principauté de Monaco », le Contrôleur Général a suffisamment motivé sa décision de refus de renouvellement de la carte de séjour de résident du requérant ;

Sur la légalité interne

* 4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 1er de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté : « Tout étranger qui désire pénétrer sur le territoire de la Principauté, qui y séjourne plus de trois mois ou qui s'y établit, doit être muni d'un passeport valable, ou de tout titre de voyage ou d'identité en tenant lieu, revêtu des timbres, visas et autorisations permettant l'accès, le séjour ou l'établissement en France, et notamment, dans le département des Alpes-Maritimes » ; que l'article 6 de la même Ordonnance Souveraine dispose : « L'étranger qui sollicite, pour la première fois, une carte de séjour de résident doit présenter, à l'appui de sa requête : / - soit un permis de travail, ou un récépissé en tenant lieu, délivré par les services compétents ; / - soit les pièces justificatives de moyens suffisants d'existence, s'il n'entend exercer aucune profession. /La durée de validité de la carte de résident temporaire ne peut dépasser la durée de validité des documents et visas exigés pour entrer et séjourner dans la Principauté. /La carte de résident temporaire ne peut être renouvelée que si l'étranger satisfait aux conditions prévues aux alinéas ci-dessus. /Elle peut lui être retirée à tout moment, s'il est établi qu'il cesse de remplir ces mêmes conditions ou si les autorités compétentes le jugent nécessaires » ; qu'en vertu de l'article 7 de la même Ordonnance Souveraine : « Pour obtenir une carte de séjour de résident ordinaire, l'étranger doit justifier : / - de l'autorisation des autorités compétentes s'il désire occuper un emploi ou exercer une profession libérale, industrielle ou commerciale ; / - de ressources suffisantes, s'il n'a pas l'intention de se livrer à une activité professionnelle. /La carte de résident ordinaire peut être renouvelée, à la demande de son titulaire, s'il remplit les conditions ci-dessus en ce qui concerne ses ressources ou l'exercice de son activité professionnelle. /La demande de renouvellement doit être souscrite au cours du mois qui précède l'expiration de la validité de la carte et doit faire mention de tout changement intervenu dans la situation de l'intéressé » ;

* 5. Considérant, en premier lieu, que les articles 6 et 7 précités prévoient que le renouvellement d'une carte de séjour est soumis aux mêmes conditions que celles prévues pour l'octroi d'une première carte de séjour de résident ; que ces conditions, énumérées par les mêmes dispositions, tiennent à la possession d'un titre d'identité valable, à la justification d'une autorisation d'exercer une activité professionnelle ou de la disposition de ressources suffisantes ainsi qu'à l'absence de circonstances justifiant que les autorités compétentes, dans l'exercice de leur pouvoir de police administrative, ne délivrent pas la carte de séjour ;

* 6. Considérant, en deuxième lieu, que le demandeur est tenu de produire les justificatifs démontrant qu'il dispose de moyens d'existence suffisants uniquement et dans la mesure où il n'entend exercer aucune profession ; qu'en revanche, si le demandeur est dûment autorisé à exercer une activité professionnelle à Monaco, les revenus qu'il en retire sont indifférents ;

* 7. Considérant, en troisième lieu, que, s'il est loisible à l'Administration de refuser l'octroi d'une première carte de séjour ou le renouvellement de cette carte lorsqu'il apparaît que la demande est manifestement dépourvue d'utilité en se fondant le cas échéant sur le défaut de séjour effectif du demandeur sur le territoire de la Principauté, ce refus doit être fondé effectivement sur l'inutilité de la demande, la preuve de cette inutilité pouvant être établie par la démonstration de l'absence de séjour effectif ;

* 8. Considérant, en dernier lieu, qu'à l'occasion de sa première demande comme à l'occasion du renouvellement de sa carte de séjour, M. V. a bien justifié être autorisé à exercer une activité professionnelle à Monaco, ce qui le dispensait de justifier de ses revenus ; qu'en refusant à M. V. le renouvellement de sa carte de résident au motif qu'il n'aurait pas rempli la condition, posée par l'article 1er de de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964, d'une durée minimale de séjour effectif sur le territoire de la Principauté, sans fonder sa décision sur l'inutilité manifeste de la demande, le Contrôleur Général en charge de la Sûreté publique a fait une inexacte application de cette disposition ; que, par suite, M. V. est fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La décision du Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté publique du 3 décembre 2021 refusant de renouveler la carte de séjour temporaire de Monsieur A. V. et la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique sont annulées.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de l'État de Monaco.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, rapporteur, José MARTINEZ, Vice-président, Pierre de MONTALIVET et Philippe BLACHER, Membres titulaires et Régis FRAISSE, Membre suppléant,

et prononcé le trente novembre deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Bénédicte SEREN-PASTEAU, Greffier.

Le Greffier, Le Président.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2022-28
Date de la décision : 30/11/2023

Analyses

Droit des étrangers


Parties
Demandeurs : Monsieur A. V.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

l'article 7 de la même Ordonnance Souveraine
loi n° 1.430 du 13 juillet 2016
article 6 de l'Ordonnance n° 3.153
'article 1er de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964
décision du Tribunal Suprême en date du 12 juillet 2022 (2021-08)
article 6 de l'ordonnance n° 3.153 du 19 mars 1964
article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
Vu la Constitution
Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964
article 4 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006
loi n° 1.312 du 23 juin 2006
articles 6 et 7
l'article 2 de la loi
Tribunal Suprême 14 juin 2006, Sieur D. A. c/ Ministre d'État
Ordonnance Souveraine n° [3.153] du 19 mars 1964


Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2023-11-30;ts.2022.28 ?

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