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30/11/2023 | MONACO | N°TS/2023-02

Monaco | Tribunal Suprême, 30 novembre 2023, Monsieur J. S. c/ État de Monaco, TS/2023-02


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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par Monsieur J. S., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 novembre 2022 sous le numéro TS 2023-02, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 septembre 2022 du Ministre d'État rejetant sa demande d'abrogation de la décision du 4 mai 2022 révoquant l'autorisation administrative d'exercer dont il bénéficiait et à la condamnation de l'État de Monaco à lui verser la somme de 1 euro à titre de dommages et intérÃ

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par Monsieur J. S., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 novembre 2022 sous le numéro TS 2023-02, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 septembre 2022 du Ministre d'État rejetant sa demande d'abrogation de la décision du 4 mai 2022 révoquant l'autorisation administrative d'exercer dont il bénéficiait et à la condamnation de l'État de Monaco à lui verser la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice économique et du préjudice moral subis et la somme de 5.000 euros au titre de ses frais de justice au visa de l'article 238-1 du Code de procédure civile ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que, par une décision du 20 juin 2007, M. S., de nationalité britannique, a été autorisé à exercer, en qualité d'associé commandité et de gérant, au sein de la société en commandite simple (SCS) S. ET CIE, anciennement dénommée J. C. N. ET CIE, qui a pour activité « l'ordonnancement, le pilotage et la coordination de travaux, les études techniques, la synthèse technique et l'économie de la construction dans le domaine du bâtiment et des travaux publics ; ceci à l'exclusion de toute activité de conception ou de direction de travaux dévolue à la profession d'architecte » ; que l'Administration, ayant constaté que M. S. n'avait pas respecté les dispositions de l'article 70-1 du Code des taxes sur le chiffre d'affaires imposant à tout redevable de la taxe sur la valeur ajoutée « de remettre chaque mois à la recette des taxes et dans le délai fixé par les articles A-139, A-140 et A-144 à A-147 de l'annexe au code une déclaration conforme au modèle prescrit par l'Administration indiquant, d'une part, le montant total des opérations qu'il a réalisées, d'autre part, le détail de ses opérations taxables », l'a invité à comparaître devant la Commission prévue à l'article 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ; que la Commission, qui s'est réunie le 26 janvier 2022, a relevé qu'il résultait de l'examen de la situation fiscale de M. S. qu'il était resté plus de six mois sans exercer d'activité sans motif légitime, n'ayant réalisé aucun chiffre d'affaires depuis le mois de septembre 2018 ; que la Commission a également constaté M. S. n'avait pas déposé de déclarations de chiffre d'affaires depuis le mois de janvier 2019, en méconnaissance de l'article 70-1 précité du Code des taxes sur le chiffre d'affaires et qu'il n'avait pas déposé les comptes des exercices clos les 31 décembre 2019 et 2020 ; qu'elle a enfin relevé que, le 6 avril 2021, le Tribunal de simple police a condamné M. S. à deux amendes de 1.000 euros chacune, assorties de sursis, pour non-remise des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2018, de sorte qu'il ne présentait plus toutes les garanties de moralité requises ; que, par une décision du 4 mai 2022, le Ministre d'État a fait connaître à M. S. que l'autorisation d'exercer dont il bénéficiait était « révoquée » ; que M. S. expose n'avoir pas formé de recours contre cette décision mais en avoir sollicité l'abrogation, par une lettre adressée au Ministre d'État le 4 juillet 2022 ; que cette demande a été rejetée par une décision 7 septembre 2022 du Ministre d'État ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. S. soutient, en premier lieu, que la décision est entachée d'un défaut de motivation, en méconnaissance de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; qu'en effet, M. S. ne demandait pas le retrait de la décision du 4 mai 2022, c'est-à-dire le retrait du retrait de l'autorisation, dans la mesure où M. S. était conscient du caractère tardif des déclarations d'exercice ; que M. S. demandait seulement l'abrogation de la décision, c'est-à-dire d'y mettre fin seulement pour l'avenir ; qu'or, le Ministre d'État a instruit la demande de M. S. comme un recours gracieux et ainsi considéré à tort qu'il était saisi d'une demande de retrait de la décision du 4 mai 2022 ; qu'il n'a ainsi pas répondu à la demande d'abrogation qui lui était adressée et n'a de ce fait pas motivé sa décision de refus d'« abrogation » ;

Attendu qu'en deuxième lieu, le requérant fait valoir que la décision du 7 septembre 2022 est illégale en raison d'une erreur de droit ;

Attendu que, tout d'abord, il est reproché à M. S. de n'avoir réalisé aucun chiffre d'affaires depuis le mois de septembre 2018 et, de ce fait, d'être resté plus de six mois sans exercer ; que, cependant, M. S., la société a travaillé et n'a pas cessé son activité pendant plus de six mois ; que les déclarations de TVA ont été adressées à la Direction des Services Fiscaux par l'expert-comptable de la société ; que si certaines déclarations de TVA ont porté la mention « néant », les suivantes ont été régularisées par l'expert-comptable ; que cette régularisation est possible et se pratique couramment ;

Attendu qu'en outre, il est reproché à M. S. de ne pas avoir déposé les comptes des exercices 2019 et 2020 ; qu'or, depuis, M. S., les comptes de ces exercices ont été déposés auprès de la Direction de l'Expansion Économique ; que le retard dans le dépôt des comptes des exercices clos n'est malheureusement pas de son fait, mais celui de son expert-comptable ; que M. S. a relancé à plusieurs reprises le Cabinet BELAIEFF, ce qui a conduit ce dernier à envoyer le bilan 2019 le 4 juillet 2022 ; qu'aujourd'hui, sa situation comptable et administrative est conforme aux dispositions de la loi du 26 juillet 1991 ;

Attendu qu'enfin, il est reproché à M. S. de ne plus présenter toutes les garanties de moralité, dans la mesure où il a fait l'objet de condamnations par le Tribunal de simple police pour la non-remise des comptes de l'exercice 2018 ; qu'or, selon le requérant, il s'agit d'une condamnation pénale indépendante de la volonté de M. S., qui n'a pu déposer ses comptes faute de réactivité de son expert-comptable ; que, de surcroît, il ne s'agit pas d'une condamnation pénale pour des faits graves qui seraient susceptibles de porter atteinte aux intérêts des tiers ou à leur intégrité ; que l'évocation d'une absence de garanties de moralité ne peut résulter du simple retard de déclarations administratives ; que M. S. présente depuis 2007 toutes les garanties de moralité exigées par la loi du 26 juillet 1991 ;

Attendu que M. S. soutient, en définitive, avoir sollicité l'abrogation de la décision du 4 mai 2022 compte tenu de la régularisation de la situation administrative et comptable de la société ; que lorsque la situation factuelle a changé et que le requérant n'est plus en situation de violation des dispositions légales, la décision individuelle défavorable peut faire l'objet d'une abrogation ; que la jurisprudence du Tribunal Suprême va en ce sens ;

Attendu que M. S. ajoute que le droit à l'erreur est admis en droit administratif ; que le pardon administratif doit être possible pour un administré lorsque celui-ci a commis des erreurs mais qu'il a pu régulariser sa situation pour l'avenir ; qu'en l'espèce, M. S. sollicite que le pardon administratif lui soit accordé afin qu'il puisse continuer à exercer dans le cadre de sa société ;

Attendu qu'en troisième lieu, M. S. estime qu'il a subi un préjudice financier considérable du fait de la décision de refus d'abrogation du retrait de son autorisation d'exercer ; qu'étant dans l'incapacité juridique et administrative de continuer son activité depuis le 4 mai 2022, M. S. subit un préjudice financier très important dans la mesure où les contrats en cours ne peuvent être exécutés, ni les nouveaux contrats – au nombre de deux en l'occurrence – signés ; que M. S. subit également un préjudice moral, dans la mesure où la mention du retrait de l'autorisation de M. S. figure sur l'extrait du Répertoire du Commerce et de l'Industrie de la société ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 9 janvier 2023, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu qu'en premier lieu, le Ministre d'État soutient que le moyen pris du défaut de motivation manque en fait ; que, tout d'abord, le Ministre d'État ne s'est nullement mépris sur l'objet du recours dirigé contre la décision du 4 mai 2022 ; qu'il n'a pas considéré qu'il était saisi d'un recours gracieux, puisqu'il a indiqué prendre la décision du 7 septembre 2022 « au terme d'un examen approfondi de [la] requête en abrogation de la décision du 4 mai 2022 prononçant le retrait de l'autorisation d'exercice susvisée » ; qu'il s'est donc prononcé sur la demande présentée par M. S. sans la dénaturer ; qu'ensuite, les motifs sur lesquels il s'est appuyé justifient pleinement le rejet de la demande d'abrogation ; que le Ministre d'État a retenu, en effet, que la décision du 4 mai 2022 était fondée sur trois manquements aux prescriptions de la loi du 26 juillet 1991 ; que M. S. a reconnu la réalité de ces faits dans sa demande d'abrogation et que, contrairement à ses affirmations, il a manqué à ses obligations déclaratives, non pas depuis 2018 comme il l'a affirmé, mais depuis 2009 ; que ces éléments étaient de nature à justifier le rejet de la demande d'abrogation de la décision du 4 mai 2022 ;

Attendu qu'en deuxième lieu, selon le Ministre d'État, le moyen pris de l'erreur de droit est mal fondé ; que les 3°, 7° et 5° de l'article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 prévoient que l'autorisation mentionnée aux articles 5, 6, 7 et 8 de la loi peut être suspendue en ses effets ou révoquée, notamment si son titulaire « est resté, sans motif légitime, plus de six mois sans exercer », « si, dans l'exercice de son activité, autorisée ou déclarée, il a méconnu les prescriptions légales ou réglementaires qui lui sont applicables » et « s'il advient qu'il ne présente plus toutes les garanties de moralité » ; que la décision du 4 mai 2022 était fondée sur trois éléments : l'absence de réalisation d'un quelconque chiffre d'affaires depuis le mois de septembre 2018, laquelle établissait que M. S. est resté sans motif légitime plus de six mois sans exercer ; l'absence de dépôt de déclarations de chiffre d'affaires depuis le mois de janvier 2019 et l'absence de dépôt des comptes des exercices clos les 31 décembre 2019 et 2020, qui établissaient qu'il avait méconnu les prescriptions légales ou réglementaires qui lui étaient applicables ; la condamnation pénale pour non-remise des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2018 prononcée contre M. S., qui démontrait qu'il ne présentait plus toutes les garanties de moralité ; que la décision du 7 septembre 2022 relève tout à la fois que M. S. a reconnu, tant devant la Commission lors de son audition du 26 janvier 2022 que dans sa demande d'abrogation, la réalité des manquements reprochés et qu'il a affirmé que « certaines régularisations sont sur le point d'intervenir » ; qu'ainsi le Ministre d'État a bien constaté, d'une part, que les faits ayant motivé l'abrogation de l'autorisation d'exercer dont bénéficiait M. S. ne sont pas contestés et, d'autre part, que sa situation administrative n'était pas régularisée à la date à laquelle il s'est prononcé ; que, par ailleurs, dès lors qu'une condamnation pénale a été prononcée à son endroit afin de sanctionner la non-remise des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2018, M. S. ne pouvait plus être considéré comme présentant toutes les garanties de moralité exigées des dirigeants d'une société monégasque ; qu'en l'état de ces constatations, il n'y avait pas lieu d'abroger le retrait de l'autorisation dont bénéficiait M. S., ce retrait continuant à être justifié au regard des exigences de l'article 9 de la loi du 26 juillet 1991, dès lors qu'il est demeuré plus de six mois sans exercer sans motif légitime ; qu'il a méconnu les prescriptions légales ou réglementaires qui lui étaient applicables et qu'il ne présentait plus toutes les garanties de moralité ; qu'il résulte par ailleurs des éléments qui précèdent que, contrairement à ce qu'affirme M. S. dans sa requête, sa situation administrative n'avait pas été régularisée à la date de la décision attaquée, puisqu'il s'est borné à affirmer dans sa demande d'abrogation 4 juillet 2022 que sa situation allait être régularisée dans l'avenir ;

Attendu qu'en troisième lieu, le Ministre d'État soutient que la demande indemnitaire présentée par M. S. ne pourra qu'être rejetée, par voie de conséquence du rejet de ses conclusions aux fins d'annulation ; qu'elle le sera d'autant plus que le requérant n'établit ni la réalité du préjudice qu'il affirme avoir subi, ni l'importance de ce préjudice, ni l'existence d'un lien de causalité entre ce préjudice et la décision dont il demande l'annulation ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 3 février 2023, par laquelle M. S. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu qu'en premier lieu, le requérant ajoute, à propos de la motivation de la décision, que, même si le Ministre d'État a évoqué le terme « abrogation » dans sa lettre du 7 septembre 2022, la demande d'abrogation n'a pas été analysée comme telle, mais comme une demande de retrait ; qu'il est en effet écrit dans la décision du 7 septembre 2022 que « la décision querellée ne saurait être rapportée » ; qu'or M. S. n'a pas demandé que la décision du 4 mai 2022 soit rapportée, c'est-à-dire retirée, mais abrogée ; que, conscient de ses erreurs administratives et du fait que les comptes des exercices 2019 et 2020 n'ont pas été déposés dans les délais par son expert-comptable, M. S. n'a pas déposé de demande de retrait, visant à effacer les manquements passés et reconnus, mais une demande pour l'avenir ; que M. S. a procédé aux régularisations administratives concernant les retards des dépôts des exercices que la Commission lui avait reproché de ne pas avoir déposés et démontre que la société n'est pas restée six mois sans activité, en communiquant les déclarations de TVA concernant les mois d'octobre 2018 à décembre 2019 ; que les bilans des exercices comptables ont aussi été déposés ; que les dispositions de la loi n° 1.144 ont été respectées a posteriori ; qu'il n'y avait dès lors plus de raison, pour l'avenir, de refuser la demande d'abrogation présentée par M. S. ; que, cependant, l'État de Monaco s'est mépris, en instruisant la demande d'abrogation comme une demande de retrait ;

Attendu que le requérant maintient, en deuxième lieu, que la décision du 7 septembre 2022 est illégale en raison d'une erreur de droit ; que, tout d'abord, à propos de la réalisation du chiffre d'affaires, la société a travaillé et n'a pas cessé son activité pendant plus de six mois ; que les déclarations de TVA du mois d'octobre 2018 au mois de décembre 2019 démontrent que la société exerçait une activité réelle ; que le chiffre d'affaires a été déclaré et figure dans les formulaires de déclaration de TVA mensuelles ; qu'ensuite, à propos du dépôt des comptes des exercices clos 2019 et 2020, M. S. ne saurait, certes, contester que ces comptes n'ont pas été déposés à temps ; que, cependant, ils ont été déposés auprès de la Direction de l'Expansion Économique depuis la décision du 4 mai 2022 ; que, dans la mesure où sa situation administrative et comptable était en cours de régularisation, un sursis aurait pu lui être accordé, ce qui lui aurait permis de démontrer que les comptes ont été déposés ; qu'en tout état de cause, c'est pour cette raison M. S. a sollicité l'abrogation de la décision du 4 mai 2022, ce qui lui aurait permis de continuer à exercer une activité pérenne ; que les conditions d'une abrogation sont réunies, en l'état d'un changement des circonstances de fait qui avaient motivé la décision du 4 mai 2022 ; qu'enfin, en ce qui concerne la question des garanties de moralité, un simple retard administratif ne peut être considéré comme une absence de garantie de moralité ;

Attendu que le requérant maintient, en troisième lieu, qu'il a subi un préjudice financier considérable du fait de la décision de refus d'abrogation du retrait de son autorisation d'exercer ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 6 mars 2023, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute, en premier lieu, en ce qui concerne le défaut allégué de motivation, qu'il s'est fondé, pour rejeter la demande de M. S., sur « l'absence de régularisation de la situation administrative » de ce dernier, ce qui constitue bien une réponse à la demande d'abrogation présentée par l'intéressé ;

Attendu que le Ministre d'État maintient, en deuxième lieu, que le moyen tiré de l'erreur de droit manque en fait, dans la mesure où M. S. n'avait pas régularisé sa situation administrative à la date de la décision attaquée ; que M. S. a en effet reconnu la réalité des manquements qui lui étaient reprochés, tant devant la Commission prévue par la loi du 26 juillet 1991, que dans sa demande d'abrogation, dans laquelle il a indiqué que « certaines régularisations sont sur le point d'intervenir » ; que la circonstance que M. S. aurait régularisé sa situation postérieurement à l'adoption de la décision attaquée est, quant à elle, inopérante, la légalité d'une décision administrative s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise ;

Attendu que le Ministre d'État maintient, en troisième lieu, que la demande indemnitaire présentée par M. S. devra être rejetée, à titre principal, par voie de conséquence du rejet de ses conclusions aux fins d'annulation et, à titre subsidiaire, au motif que le requérant n'établit ni la réalité du préjudice qu'il affirme avoir subi, ni l'importance de ce préjudice, ni l'existence d'un lien de causalité entre ce préjudice et la décision dont il demande l'annulation ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 modifiée, concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ;

Vu l'Ordonnance du 9 novembre 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 15 mars 2023 ;

Vu l'Ordonnance du 16 octobre 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 17 novembre 2023 ;

Ouï Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur J. S. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

1. Considérant que Monsieur J. S. demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 septembre 2022 du Ministre d'État rejetant sa demande d'abrogation de la décision du 4 mai 2022 révoquant l'autorisation administrative d'exercer dont il bénéficiait ;

Sur la légalité externe

* 2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives individuelles qui : / 1° - restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; / (…) / 3° - refusent une autorisation ou un agrément ; / (…) » ; que le premier alinéa de l'article 2 de la même loi précise que « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;

* 3. Considérant que la décision attaquée mentionne les dispositions sur le fondement desquelles elle est prise, tirées de l'article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ; qu'elle fait état des faits reprochés à M. S., tenant à l'absence d'exercice d'activité de la société, sans motif légitime, pendant plus de six mois, à l'absence de dépôt des comptes des exercices clos 2019 et 2020 ainsi qu'à l'altération de la moralité professionnelle de M. S.; qu'il résulte de ces éléments que la motivation est écrite et comporte, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement, conformément aux prescriptions de la loi du 29 juin 2006 ; que le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait insuffisamment motivée doit donc être écarté ;

Sur la légalité interne

* 4. Considérant, en premier lieu, que si la décision mentionne que « la décision querellée ne saurait être rapportée », elle fait référence à une « requête en abrogation », de sorte que le Ministre d'État ne s'est pas mépris sur le sens de la demande formulée par M. S. ; qu'ainsi la décision attaquée n'est pas entachée, sur ce point, d'une erreur de droit ;

* 5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 5 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques : « L'exercice des activités visées à l'article premier par des personnes physiques de nationalité étrangère est subordonné à l'obtention d'une autorisation administrative » ; que selon son article 9 : « Par décision du Ministre d'État, la déclaration visée aux articles 2, 3 et 4 peut être privée d'effets ou suspendue en ses effets et l'autorisation mentionnée aux articles 5, 6, 7 et 8 suspendue en ses effets ou révoquée dans les cas suivants : /3° [Si l'auteur de la déclaration, le titulaire de l'autorisation ou la société] est resté, sans motif légitime, plus de six mois sans exercer ; /[…] 5° s'il advient qu'il ne présente plus toutes les garanties de moralité ; / […] 7° si, dans l'exercice de son activité, autorisée ou déclarée, il a méconnu les prescriptions légales ou réglementaires qui lui sont applicables ; / […] » ;

* 6. Considérant, d'une part, qu'aucun des éléments fournis par le requérant ne permet d'établir que sa société ne serait pas restée, sans motif légitime, plus de six mois sans avoir réalisé de chiffre d'affaires ; que les déclarations fournies par l'expert-comptable de la société, portant seulement sur la période allant d'octobre 2018 à décembre 2019, ne sont pas de nature à remettre en cause cette constatation ; que le Ministre d'État a ainsi pu considérer que la société est restée, sans motif légitime, plus de six mois sans exercer et que, partant, la décision du 4 mai 2022 n'avait pas à être abrogée ;

* 7. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que le Tribunal de simple police a condamné, le 6 avril 2021, M. S. à deux amendes de 1.000 euros chacune, assorties de sursis, pour non-remise des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2018 ; que le Ministre d'État a pu se fonder sur ces faits à l'origine des condamnations pour estimer que M. S. ne présentait plus les garanties de moralité professionnelle suffisantes et que la décision du 4 mai 2022 n'avait pas, dès lors, à être abrogée ;

* 8. Considérant, en dernière part, qu'il ressort des pièces du dossier que M. S. n'a pas déposé dans les délais requis le bilan, le compte des pertes et profits ainsi qu'une attestation de la société relatifs aux exercices clos les 31 décembre 2019 et 2020, en méconnaissance de ses obligations découlant de l'article 51-7 du Code de commerce et des articles 4 et 5 de l'Ordonnance Souveraine n° 993 du 16 février 2007 portant application de la loi n° 1.331 du 8 janvier 2007 relative aux sociétés ; que, si ces documents ont été finalement déposés postérieurement à la décision du 4 mai 2022, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment de l'accusé de réception émis par la Direction de l'Expansion Economique le 30 septembre 2022, que M. S. ait régularisé sa situation à la date à laquelle le Ministre d'État a statué ; que le Ministre d'État a ainsi pu légalement se fonder sur ces éléments pour estimer que la décision du 4 mai 2022 n'avait pas à être abrogée ;

* 9. Considérant qu'il résulte de tous ces éléments que la régularisation partielle de la situation de M. S. à la date à laquelle la décision attaquée a été prise n'est pas suffisante pour conduire à considérer que la décision du 4 mai 2022 serait devenue illégale en raison de circonstances de fait et de droit postérieures à son édiction et donc que le Ministre d'État aurait été tenu de l'abroger ; que le moyen tiré de l'erreur de droit doit donc être écarté ;

* 10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. S. n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque ; que ses conclusions indemnitaires ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête de Monsieur J. S. est rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de M. S..

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Pierre de MONTALIVET, rapporteur, Philippe BLACHER, Membres titulaires, Jean-Philippe DEROSIER, Membre suppléant ;

et prononcé le trente novembre deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Bénédicte SEREN-PASTEAU, Greffier.

Le Greffier, Le Président.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2023-02
Date de la décision : 30/11/2023

Analyses

Loi et actes administratifs unilatéraux ; Limitation légale d'activité professionnelle


Parties
Demandeurs : Monsieur J. S.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

loi du 26 juillet 1991
articles A-139, A-140 et A-144 à A-147 de l'annexe au code
loi n° 1.331 du 8 janvier 2007
loi n° 1.312 du 29 juin 2006
article 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
articles 5, 6, 7 et 8 de la loi
article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
article 9 de la loi du 26 juillet 1991,
Vu la Constitution
articles 4 et 5 de l'Ordonnance Souveraine n° 993 du 16 février 2007
l'article 70-1 du Code des taxes sur le chiffre d'affaires
article 5 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006
loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
article 51-7 du Code de commerce
article 238-1 du Code de procédure civile
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
Code des taxes sur le chiffre d'affaires
article 70-1 du Code des taxes sur le chiffre d'affaires


Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2023-11-30;ts.2023.02 ?

Source

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