La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/06/2012 | CADHP | N°RANDOM256692773

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 26 juin 2012, RANDOM256692773


Texte (pseudonymisé)
Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1
Aj Y c. Union africaine (compétence) (2012)
121

RJCA 121 121

Aj Y c. Union africaine
Jugement du 26 juin 2012. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges AH, AKUFFO, MUTSINZI, AJ, GUINDO,
OUGUERGOUZ, RAMADHANI, TAMBALA, THOMPSON et ORÉ
Le requérant, un ressortissant nigérian, a intenté une action contre
l’Union africaine alléguant la violation de ses droits, du fait que le Nigéria
n’avait pas fait la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. La
Cour, à la

majorité de sept voix contre une, a estimé que, n'étant pas
partie au Protocole, l’Union africaine ne pouva...

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1
Aj Y c. Union africaine (compétence) (2012)
121

RJCA 121 121

Aj Y c. Union africaine
Jugement du 26 juin 2012. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges AH, AKUFFO, MUTSINZI, AJ, GUINDO,
OUGUERGOUZ, RAMADHANI, TAMBALA, THOMPSON et ORÉ
Le requérant, un ressortissant nigérian, a intenté une action contre
l’Union africaine alléguant la violation de ses droits, du fait que le Nigéria
n’avait pas fait la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. La
Cour, à la majorité de sept voix contre une, a estimé que, n'étant pas
partie au Protocole, l’Union africaine ne pouvait être soumise aux
obligations découlant dudit instrument et que, de ce fait, la Cour n’était
pas compétente en l'espèce.
Compétence (organisation internationale en qualité de défendeur, 69-72)
Opinion individuelle A X, AJ et THOMPSON
Droit international (l’Union africaine a la personnalité juridique, 7.1,
7.1.1, 8 ; la Cour n’a pas le pouvoir d’annuler des dispositions du
Protocole, 16)
Opinion individuelle : MUTSINZI
Compétence (seuls les États peuvent être parties devant la Cour, 8)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (la requête doit être rejetée par le Greffe, 1, 3 ; les requêtes
ne peuvent être déposées que contre les Etats, 9-12)
La preuve (admission de documents, 25)
I Objet de la requête
1. Par requête datée du 14 février 2011, M. Aj Y, Esq. (ci-après dénommé « le requérant »), ressortissant du Nigéria qui se présente lui-même comme un défenseur des droits de l'homme, demeurant à Lagos, Ay, a saisi la Cour d’une requête contre l’Union africaine, (ci-après dénommée « le défendeur »).
2. Dans sa requête, le requérant allègue qu’il a tenté, en vain, à plusieurs reprises, d'obtenir que la République fédérale du Nigéria (ci- après dénommée « le Nigéria ») dépose la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et

122 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole »). Il allègue en outre qu’il a été empêché de saisir la Cour en raison de l’inertie du Nigéria ou de son refus de déposer la déclaration acceptant la compétence de la Cour, conformément à l’article 34(6) du Protocole
3. Le requérant fait valoir dans sa requête que face à l'échec de ses tentatives pour amener le Nigéria à faire ladite déclaration, il a décidé de déposer une requête à l'encontre du défendeur, en tant que représentant de ses 53 Etats membres (désormais 54), demandant à la Cour de déclarer l’article 34(6) du Protocole incompatible avec les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte »), du fait qu’à son avis exiger d’un Etat qu’il fasse une déclaration permettant aux individus et aux organisations non gouvernementales (ONG) de saisir directement la Cour est une violation des droits du requérant à la non- discrimination, à l'égalité devant la loi, à l’égalité de traitement et à ce que sa cause soit entendue
Il La procédure
4. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 20 février 2011
5. Par lettre datée du 18 mars 2011, le Greffier a accusé réception de la requête
6. À sa vingtième session ordinaire tenue du 14 au 25 mars 2011 à Au AIApZ, la Cour a décidé que la requête devait être signifiée au défendeur. La Cour a également décidé que les communications requises en vertu de l’article 35 du Règlement intérieur de la Cour (ci- après dénommé le « Règlement ») devaient être envoyées aux intéressés.
7. En application de l’article 35(2)(a) du Règlement et par lettre datée du 28 mars 2011 adressée au Président de la Commission l’Union africaine le Greffier a communiqué une copie de la requête au défendeur par courrier recommandé. Il a demandé à celui-ci de lui d'indiquer, dans les trente (30) jours, les noms et adresses de ses représentants et de répondre à la requête dont il fait l’objet dans un délai de soixante (60) jours
8. Conformément à l’article 35(3) du Règlement, par lettre également datée du 28 mars 2011, le Greffier a informé du dépôt de la requête le Conseil Exécutif de l’Union africaine et les États parties au Protocole, par l'intermédiaire du Président de la Commission de l’Union africaine. 9. Par lettre datée du 29 avril 2011, le défendeur a accusé réception de la requête et par une communication de la même date, a indiqué que son représentant serait le Conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine. Le défendeur a également déposé sa réponse en date du 29 avril 2011. Ces documents ont été reçus au Greffe le 18 mai 2011 et ils ont été communiqués au requérant par lettre datée du même jour
10. Durant sa vingt-et-unième session ordinaire, qui s’est tenue du 6 au 17 juin 2011 à Au AIApZ, la Cour a décidé que le requérant devait être informé qu’il pouvait répliquer à la réponse du défendeur dans un délai de trente (30) jours, à compter du 8 juin 2011

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 123
11. Par lettre datée du 15 juin 2011, le Greffier a informé le requérant de la décision de la Cour l’invitant à répliquer à la réponse du défendeur. La réplique du requérant, non datée mais signée, a été reçue au Greffe de la Cour le 23 juin 2011.
12. Par lettre datée du 24 juin 2011, le Greffier a communiqué au défendeur la réplique du requérant, informant celui-ci par la même occasion que les plaidoiries étaient clôturées et que les parties seraient informées des dates fixées pour l'audience. Une copie de ce courrier a été envoyée au requérant
13. Par deux lettres distinctes, toutes datées du 20 octobre 2011, le Greffier a informé les parties que lors de sa vingt-deuxième session ordinaire tenue du 12 au 23 septembre 2011 à Au AIApZ, la Cour avait décidé que les parties seraient invitées à une audience publique qui serait organisée lors de sa vingt-troisième session ordinaire, prévue du 5 au 16 décembre 2011. Par ces mêmes lettres, le Greffier a informé les parties que les dates proposées pour l’audience étaient les 12 et 13 décembre 2011 et il leur a demandé de confirmer leur disponibilité à ces dates avant le 4 novembre 2011 au plus tard.
14. Par courriel en date du 21 octobre 2011, le requérant a confirmé sa disponibilité pour l’audience publique aux dates proposées.
15. Par lettre datée du 11 novembre 2011, le Conseiller juridique de la Commiission de l’Union africaine, a informé le Greffe que le défendeur «ne pouvait pas confirmer [sa] disponibilité en raison de circonstances imprévues et d’engagements antérieurs ». Dans ladite lettre, le Conseiller juridique demandait en outre que « l'audience prévue soit reportée/ajournée ».
16. Par deux lettres distinctes, toutes datées du 8 décembre 2011, le Greffier a informé les parties que la Cour avait décidé qu’en raison de l’indisponibilité du défendeur, l'audience publique sur la requête aurait lieu les 22 et 23 mars 2012 durant la vingt-quatrième session ordinaire de la Cour, prévue du 19 au 30 mars 2012, à Au AIApZ, même si seule une partie était présente.
17. Par courriel daté du 7 février 2012, le Bureau du Conseiller juridique de la Commission de l'Union africaine a informé le Greffe que le défendeur serait représenté à cette audience par Maître Bahame Mukirya Tom NYANDUGA, qui serait assisté par des fonctionnaires du Bureau du Conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine. 18. Par courriel en date du 18 février 2012, le requérant a confirmé sa disponibilité pour l’audience publique aux dates proposées.
19. Par lettre datée du 19 mars 2012, le Greffe a reçu une lettre officielle du Bureau du Conseiller juridique de l'Union africaine désignant Maître Bahame Mukirya Tom NYANDUGA « pour apporter son assistance au Bureau du Conseiller juridique du défendeur dans cette affaire ».
20. L'audience publique sur la requête a eu lieu les 22 et 23 mars 2012, à Au AIApZ et la Cour a entendu les observations orales et les répliques des parties :
Pour le requérant : Aj Y, Esq.

124 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Pour le défendeur :
i) M. Al AL), Juriste au Bureau du Conseiller de la Commission de l’Union africaine
ii) Maître Bahame Mukirya Tom NYANDUGA
21. Durant l’audience, les Juges de la Cour ont posé des questions aux parties et celles-ci y ont répondu.
22. Après les délibérations, le Greffe a reçu des observations supplémentaires du requérant, datées du 27 mars 2012, dans lesquelles celui-ci indiquait qu’elles étaient déposées en vertu de l’article 47 du Règlement. La Cour a décidé que ces nouvelles observations n'étaient pas recevables étant donné qu’elles n’étaient pas conformes au Règlement et le Greffier a reçu pour instructions d'informer les parties en conséquence.
23. Par lettre datée du 24 avril 2012, le Greffier a communiqué la décision de la Cour aux parties.
II. Les positions des parties
A. La position du requérant
24. Le requérant indique d’abord que conformément à l’article 34(6) du Protocole adopté par le défendeur, chaque Etat partie doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir et statuer sur des requêtes portant sur les droits de l'homme et déposées par des individus ou des ONG.
25. S'agissant de la compétence de la Cour, le requérant soutient qu’en l'espèce, cette compétence demeure, car le défendeur n’est pas « un Etat membre de l'Union africaine ». || soutient encore que c’est le défendeur qui a adopté et publié la Charte et le Protocole, et que c'est lui qui est actionné en tant que personne morale agissant au nom de ses Etats membres. || ajoute qu’il est clair que l’Union africaine dans son ensemble représente les peuples africains et leurs gouvernements et que, de ce fait, elle est qualifiée pour défendre les actions intentées contre les Etats membres.
26. Le requérant argue en outre que la compétence de la Cour ne peut cesser que lorsque la Cour est convaincue, au vu des éléments de preuve produits devant elle, que le droit qu’elle cherche à faire respecter est éteint.
27. Le requérant soutient également qu’il est bien établi en droit qu’une Cour a compétence pour déterminer si sa propre compétence a cessé. Il souligne que la compétence de la Cour pour statuer sur sa propre compétence est garantie par l’article 3(2) du Protocole, qui dispose qu’« en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ».
28. Enfin, le requérant fait valoir qu’étant donné que l’article 34(6) du Protocole n’exige pas du défendeur ou de l’une de ses institutions de faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour, celle-ci est, de ce fait, compétente pour connaître de la requête.

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 125
29. En ce qui concerne la recevabilité de la requête, le requérant soutient que l'exigence de l'épuisement des voies de recours internes n’est pas applicable en l'espèce puisque le défendeur ne peut pas être attrait devant les juridictions nationales de ses Etats membres. II fait valoir en outre que l’incorporation par le Nigéria de la Charte et de l’Acte constitutif de l’Union africaine dans sa législation doit être interprétée comme un acte qui lui permet de saisir directement la Cour.
30. S'agissant de son /ocus standi, le requérant affirme qu’il a qualité pour agir dans l'intérêt public car il est de son devoir de promouvoir la saisine des juridictions pour défendre l'intérêt général dans le domaine des droits de l’homme, en s'appuyant sur l’article 27(1) de la Charte, qui dispose que chaque individu a des devoirs envers la famille et la société, envers l'Etat et les autres collectivités légalement reconnues et envers la communauté internationale, et en se fondant sur l’article 29(7) de la Charte qui prescrit que chacun a le devoir de veiller au renforcement des valeurs culturelles africaines positives.
31. Le requérant soutient également qu’en sa qualité d'avocat chevronné et défenseur des droits civiques dans son pays, il a des clients qui souhaiteraient saisir la Cour mais qu’en raison de l’article 34(6), il ne peut s'acquitter de ses devoirs envers eux à cause de l’exigence que contient l’article 34(6) du Protocole.
32. Enfin, le requérant fait valoir qu’en raison de ce qui précède, il a qualité pour saisir la Cour de la présente requête.
33. En ce qui concerne le fond de l'affaire, le requérant affirme que l’article 34(6) du Protocole est incompatible avec les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte.
34. Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 1 de la Charte (l’obligation pour les Etats parties de reconnaître les droits, devoirs et libertés énoncés dans la Charte et d'adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer), le requérant soutient qu’il ne fait l'ombre d'aucun doute que l’article 34(6) du Protocole a dérogé à l’article 1 de la Charte.
35. En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 2 de la Charte (droit à la non-discrimination), le requérant affirme que, contrairement aux ressortissants des pays qui ont fait la déclaration, il ne peut pas attraire son pays devant la Cour pour violation des droits de l'homme et qu’en lui refusant l’accès à la Cour, son droit à la non-discrimination a été violé sur la base de son origine nationale.
36. S'agissant de la violation alléguée de l’article 7 de la Charte (droit à un procès équitable), le requérant soutient qu’en subordonnant l'accès à la Cour au dépôt d’une déclaration par les Etats membres du défendeur, son droit à ce que sa cause soit entendue et tranchée par la Cour a été violé.
37. Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 13(3) de la Charte (le droit d’user des biens et services publics dans la stricte égalité de tous devant la loi), le requérant affirme que personne ne conteste le fait que la Cour est la propriété du public et que chaque individu a le droit d'y avoir accès dans la stricte égalité de tous. || soutient donc qu’en refusant l'accès à la Cour aux personnes dont les pays d’origine n’ont

126 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
pas fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour, le droit du requérant à accéder à une propriété publique dans la stricte égalité de tous devant la loi a été violé sans aucune justification juridique.
38. En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 26 de la Charte (devoir des Etats parties à garantir l'indépendance des Tribunaux), le requérant fait valoir qu’en fondant la compétence de la Cour sur la discrétion des Etats membres du défendeur à accepter cette compétence, le défendeur a compromis l'indépendance de la Cour.
39. S'agissant de la violation alléguée de l’article 66 de la Charte (le pouvoir d’adopter des protocoles ou accords particuliers afin de compléter les dispositions de la Charte), le requérant soutient qu’en complétant les dispositions de la Charte, tout protocole, comme le Protocole de la Cour, ne peut que renforcer les droits garantis par la Charte, et que toute disposition d’un protocole additionnel qui déroge aux dispositions de la Charte doit être déclarée nulle et non avenue par la Cour.
40. En conclusion :
Dans sa requête, le requérant prie la Cour de :
« a. Déclarer l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour africaine illégal, nul et non avenu car il est incompatible avec les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
b. Déclarer que le requérant est habilité à déposer des requêtes relatives aux droits de l'homme devant la Cour africaine, en vertu de l’article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
c. Rendre une ordonnance annulant l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour africaine, avec effet immédiat ».
Dans sa réplique à la réponse du défendeur, le requérant conclut comme suit :
«15. À la lumière de ce qui précède, le requérant affirme que le défendeur n’a pas de réponse à ses arguments. Les mesures que celui-ci demande à la Cour doivent lui être accordées.
16. Compte tenu de cette réplique du requérant, celui-ci affirme que le défendeur n’a aucun argument à opposer à sa position. »
Dans ses soumissions orales, le requérant prie la Cour de :
« Déclarer que la requête est fondée, qu’elle est valablement constituée et faire droit en conséquence à la requête du requérant en ordonnant l’annulation de l’article 34(6) du Protocole, de telle sorte que toutes les victimes de violations des droits de l’homme sur le continent africain puissent saisir cette Cour, dans l'intérêt de la justice et de l'équité ».
B. La position du défendeur
41. De manière générale, le défendeur affirme que la requête, et chacune des allégations qu’elle contient, n'a énoncé aucun grief fondé contre le défendeur en droit ou en fait, sur la base duquel une mesure corrective pourrait être accordée.
42. En ce qui concerne la compétence de la Cour, le défendeur rejette l’affirmation selon laquelle le Protocole, la Charte et l'Acte constitutif de l’Union africaine ont été adoptés par l’Union africaine, et déclare que

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 127
ces instruments ont été adoptés par les États membres de l’Union africaine, comme l’attestent leurs différents préambules. Il ajoute que selon les articles 63(1) de la Charte et 34(1) du Protocole, les deux instruments sont ouverts à la signature, à la ratification ou à l’adhésion des Etats africains uniquement.
43. Le défendeur soutient que l’article 34(6) du Protocole parle d’État et il fait valoir en conséquence que, l'Union africaine n'étant pas un Etat, elle ne peut pas ratifier le Protocole et que celui-ci ne peut pas être interprété de manière à demander à une personne morale d'assumer des obligations au nom de l'Etat.
44. Le défendeur fait valoir qu’il n’est partie, ni à la Charte ni au Protocole, et que, de ce fait, en tant que personne morale, il ne peut être attrait en justice au sujet des obligations de ses Etats membres en vertu de la Charte et du Protocole.
45. Le défendeur soutient qu’en l'espèce, le pouvoir de ratification des traités par les Etats membres de l’Union africaine n’a jamais été cédé à l'Union africaine par ses Etats membres, que l'Union africaine ne peut être tenue responsable de manquement par les Etats membres à ratifier ces traités ou à faire la déclaration requise.
46. En outre, le défendeur affirme que le requérant n’a pas démontré un lien de causalité tangible entre l'Union africaine et le fait qu’il n'a pas accès à la Cour. En conséquence, le défendeur soutient qu’il n’y a pas de différend ou de contestation entre le requérant et le défendeur sur lequel la Cour soit appelée à statuer.
47. Enfin, le défendeur affirme que le requérant n’est pas habilité à introduire des requêtes devant la Cour, tant en vertu du Protocole que du Règlement et demande instamment à la Cour de déterminer, comme question préliminaire, si la Cour peut exercer sa compétence ratione personae et ratione materiae en ce qui concerne la présente requête.
48. S'agissant de la recevabilité de la requête, le défendeur fait valoir que même si le requérant avait qualité pour saisir la Cour, ce qui n’est pas le cas, il aurait dû d’abord épuiser les voies de recours internes au Nigéria, conformément aux articles 6(2) du Protocole, 56 de la Charte et 40(5) du Règlement de la Cour, ce qu'il n’a pas fait.
49. En ce qui concerne le fond de l'affaire, c'est-à-dire la question de l’incompatibilité de l’article 34(6) du Protocole avec certaines dispositions de la Charte, le défendeur soutient de manière générale que ses Etats membres ont le droit souverain de faire une déclaration au moment de la ratification du Protocole ; que le Protocole est valable à tous égards en vertu de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités et en vertu du droit international coutumier et ne pourrait être nul et non avenu que s’il était en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens), et qu’en conséquence, le défendeur nie que l’article 34(6) du Protocole est illégal ou non avenu. 50. En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 1 de la Charte, le défendeur fait valoir qu’il n’a pas d’obligations au titre de cet article, qui est applicable exclusivement aux Etats membres, à qui il appartient de reconnaître les droits, les devoirs et les libertés énoncés dans la

128 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Charte et de prendre des mesures législatives ou autres pour les appliquer.
51. Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 7 de la Charte, le défendeur soutient que ledit article ne permet en aucune manière au requérant un accès illimité à la Cour comme celui-ci le prétend ; en réalité il ne lui permet aucun accès du tout.
52. En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 13 de la Charte, le défendeur soutient que ledit article porte sur la participation du requérant aux affaires publiques de son pays, sur son droit à un accès équitable à la fonction publique dans son pays et sur le droit d'accéder à la propriété et aux services publics et que cela n’a aucun rapport avec les obligations de l'Union africaine ou avec l’accès à la Cour.
53. S'agissant de la violation alléguée de l’article 26 de la Charte, le défendeur soutient à nouveau qu'il n’est pas un Etat partie à la Charte. 54. Enfin, sur la violation alléguée de l’article 66 de la Charte, le défendeur fait valoir que cet article s'applique uniquement aux Etats parties à la Charte et non pas au défendeur.
55. En conclusion,
Dans sa réplique « le défendeur prie la Cour de rejeter la requête du requérant dans sa totalité. »
Dans ses observations orales, le défendeur prie « la Cour de déterminer, comme question préliminaire, si elle peut exercer une compétence ratione personae et ratione materiae en l'espèce » ; « prie la Cour de rejeter la requête pour défaut de compétence » et «nie que les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte aient été violés. II prie donc la Cour de rejeter la requête ».
IV. Compétence de la Cour
56. À ce stade, conformément aux articles 39(1) et 52(7) du Règlement, la Cour doit examiner les exceptions préliminaires soulevées par le défendeur et en particulier, l'exception relative à la compétence de la Cour pour connaitre de la présente requête.
57. Les articles 3(2) du Protocole et 26(2) du Règlement intérieur disposent qu’ « en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ».
58. Pour régler la question de l'exception préliminaire, l’on se doit de noter que, pour que la Cour puisse examiner une requête introduite directement par un individu, cette requête doit satisfaire notamment, aux exigences énoncées aux articles 5(3) et 34(6) du Protocole.
59. L'article 5(3) du Protocole est libellé comme suit :
« La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
60. Par ailleurs, l’article 34(6) du Protocole dispose que :
« À tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les

Y c. Union africaine (compétence) (2012)1 RJCA121 129
requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
61. Comme la Cour l’a indiqué dans l'affaire An Ab c. République du Sénégal, «il ressort d’une lecture combinée des deux dispositions que la saisine directe de la Cour par un individu est subordonnée au dépôt par l' État défendeur d’une déclaration spéciale autorisant une telle saisine ».
62. Comme cela a été indiqué plus haut, le requérant soutient d’abord que l'exigence de la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole ne s'applique qu'aux Etats membres et non à l’Union africaine elle-même. Il conclut que, puisque l’article n’exige pas que le défendeur ou l’une de ses institutions fasse une déclaration acceptant la compétence de la Cour, celle-ci est de ce fait compétente pour connaître de sa requête. Pour sa part, le défendeur n’aborde pas cet argument de manière spécifique.
63. La Cour considère que le fait qu’une entité non-étatique comme l'Union africaine ne soit pas tenue par l’article 34(6) du Protocole de faire la déclaration ne donne pas nécessairement compétence à la Cour pour accepter les requêtes introduites par des individus contre cette entité ; il pourrait y avoir d’autres bases sur lesquelles la Cour pourrait se fonder pour constater qu’elle n’a pas compétence. En l'espèce, ce qui est expressément envisagé par le Protocole et par l’article 34(6) en particulier, c'est précisément une situation où des requêtes émanant d’individus et d'ONG sont introduites contre les Etats parties. À cet égard, l’article 3(1) du Protocole, qui traite de la compétence de la Cour se réfère à l'interprétation et à l'application des instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme et ratifiés par les « Etats concernés ». De la même manière, l’article 34(6) du Protocole lui-même fait seulement référence à un « Etat partie ».
64. Ensuite, le requérant fait valoir que l'Union africaine peut être attraite devant la Cour, par ce que c'est elle qui a promulgué et adopté le Protocole, en tant que personne morale au nom de ses Etats membres.
65. Pour sa part, comme cela a été indiqué plut [sic] haut, le défendeur soutient que :
« Le Protocole n’a pas été adopté par l’Union africaine en tant que telle, mais par ses États membres, comme en témoigne son préambule
« Le défendeur n’est pas partie au Protocole et qu’à l’article 34(6), il est question d’État ; l'Union africaine n’étant pas un Etat, elle ne peut pas ratifier le Protocole.
« Laratification des traités par les Etats membres de l’Union africaine n’a jamais été cédée à l’Union africaine par ses États membres et l’Union africaine ne peut pas être tenue responsable du manquement des Etats membres à ratifier le Protocole ou à faire la déclaration requise, et en conséquence, aucune requête ne peut être introduite contre l’Union africaine, en tant que personne morale, au sujet des obligations des États membres découlant de la Charte et du Protocole. « L’Union africaine ne peut pas assumer les obligations des États membres souverains qui exercent leur droit souverain de ratifier le Protocole et de faire la déclaration.

130 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
66. En ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel l’Union africaine peut être attraite devant la Cour étant donné que c'est elle qui a promulgué et adopté le Protocole, la Cour relève que le Protocole a été adopté par la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine. La Cour fait observer néanmoins que le Protocole a été conclu par les États membres de l’Union africaine comme en témoigne le préambule du Protocole qui est libellé comme suit : «Les Etats membres de l’Organisation de l’unité africaine (...) Etats parties à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (...) Sont convenus de ce qui suit ».
67. Dans la pratique de l’Union africaine, même si l'adoption des traités est formellement faite par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, leur signature et leur ratification relèvent toujours de la prérogative exclusive de ses Etats membres. Cela est confirmé, notamment par l’article 34(1) du Protocole, qui dispose qu'il « est ouvert à la signature, à la ratification ou à l'adhésion des Etats parties à la Charte » (voir également l’article 63(1) de la Charte). La Cour considère donc que le fait que le Protocole ait été adopté par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement ne suffit pas pour établir que l’Union africaine est partie au Protocole et de ce fait, peut être attraite en justice sur cette base.
68. En ce qui concerne l'affirmation du requérant selon laquelle l’Union africaine peut être attraite en tant que personne morale au nom de ses Etats membres, de l'avis de la Cour, en tant qu’organisation internationale, l’ Ünion africaine a une personnalité juridique distincte de celle de ses États membres. Comme la Cour internationale de Justice l’a déclaré dans son Avis consultatif relatif à la Réparation des dommages subis au service des Bc Ax :
«On doit admettre que ses Membres [les Bc AxZ, en lui assignant certaines fonctions, avec les devoirs et les responsabilités qui les accompagnent, l’ont revêtue de la compétence nécessaire pour lui permettre de s'acquitter effectivement de ses fonctions.
En conséquence, la Cour arrive à la conclusion que l'Organisation est une personne internationale. Ceci n’équivaut pas à dire que l'Organisation soit un État, ce qu’elle n’est certainement pas, ou que sa personnalité juridique, ses droits et ses devoirs soient les mêmes que ceux d’un Etat. (..) Cela signifie que l'Organisation est un sujet du droit international, qu’elle a la capacité d’être titulaire de droits et devoirs internationaux... ».!
69. À cet égard cependant, en principe, les obligations internationales découlant d’un traité ne peuvent pas être imposées à une organisation internationale à moins que celle-ci ne soit partie à ce traité, ou soumise à ces obligations par tout autre moyen reconnu par le droit international.
70. Dans la présente instance, l’Union africaine n’est pas partie au Protocole. En tant que personne morale, une organisation internationale comme l'Union africaine ne pourra être partie à un traité conclu entre Etats, que si un tel traité permet à une organisation
1 Réparation des dommages subis au service des Bc Ax, Avis consultatif, C.l.J. Recueil 1949, P.179.

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 131
internationale de devenir partie. Tant que l’organisation internationale n’est pas partie à un traité, elle ne peut pas être soumise aux obligations juridiques découlant de ce traité. Ceci est en conformité avec l’article 34 de la Convention de Vienne de 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales, qui est libellé comme suit :
« Un traité ne crée ni obligations ni droits pour un État tiers ou pour une organisation tierce sans le consentement de cet Etat ou de cette organisation.» (Voir également l’article 34 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités).
71. En l'espèce, l’Union africaine ne peut donc pas être soumise à des obligations découlant du Protocole, à moins qu’elle n'ait été autorisée à devenir partie au Protocole et qu’elle soit disposée à le faire, ce qui n’est pas le cas en espèce. Dans le même ordre d’idées, le simple fait que l'Union africaine a une personnalité juridique distincte n'implique pas qu’elle peut être considérée comme le représentant de ses Etats membres en ce qui concerne les obligations que ceux-ci assument sur la base du Protocole,
72. La Cour considère donc que l’Union africaine ne peut pas être attraite devant la Cour au nom de ses Etats membres.
73. À ce stade, il convient de souligner que la Cour a été créée par le Protocole et que sa compétence est clairement prescrite par ce Protocole. Lorsqu'une requête est introduite devant la Cour par un individu, la compétence ratione personae de la Cour est définie par les articles 5(3) et 346) lus conjointement, qui, comme mentionné plus haut, prescrivent qu’une ne être recevable si elle est déposée contre un telle État requête qui a ratifié peut le Protocole et qui que a fait la déclaration. La présente affaire, dans laquelle la requête a été introduite contre une entité autre qu'un Etat ayant ratifié le Protocole et fait la déclaration en question, tombe en dehors du champ de compétence de la Cour. En conséquence, la Cour n’a pas compétence pour connaître de la requête.
74. La Cour, ayant conclu qu’elle n’a pas compétence pour connaître de la requête en l'espèce, considère qu’il n'est pas nécessaire d'examiner la question de la recevabilité de la requête et du fond de
75. Par ces motifs,
LA COUR, à la majorité de sept voix contre trois :
Déclare qu'aux termes des articles 5(3) et 34(6) du Protocole lus conjointement, elle n’a pas compétence pour connaître de la requête introduite par Aj Y, Esq. contre l’Union africaine.
Opinion dissidente A X, AJ et THOMPSON
1. Nous avons lu le jugement rendu par la majorité, malheureusement, nous ne pouvons pas y souscrire. L'historique de l'affaire jusqu’à sa

132 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
conclusion est rappelé dans le jugement de la majorité et il n’est point besoin de le répéter ici.
Les Parties :
2. Le requérant :
Le requérant est un citoyen du Nigéria, qui se présente lui-même comme un militant des droits de l'homme. Il affirme avoir reçu des distinctions honorifiques dans ce domaine. Il est avocat et il exerce à Lagos, en République fédérale du Nigéria.
3. Le défendeur :
Le défendeur est l’Union africaine (UA), qui a été créée en vertu de l’article 2 de l’Acte constitutif de l’Union africaine (l’Acte). Cette organisation est composée de tous les États d’Afrique, sauf un. Aux termes de l’article 33, l’Acte a remplacé la Charte de l'Organisation de l’unité africaine (OUA) et l’UA est le successeur de l’'OUA à tous égards. L'une des conséquences de cette succession est que des instruments comme les Chartes et les Protocoles y relatifs qui ont été adoptés, ratifiés ou auxquels ces États ont adhéré dans le cadre de l'OUA, sont contraignants pour les membres de l’Union africaine, à moins qu’ils ne les aient dénoncés, c'est le cas notamment de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ( la Charte) et des protocoles tels que le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (le Protocole). La Charte et le Protocole sont au cœur de cette affaire.
Les arguments du requérant et les mesures correctives demandées
4. Le requérant conteste la validité de l’article 34(6) du Protocole. Cet article empêche les individus et les organisations non gouvernementales (ONG) de saisir directement la Cour, sauf si l’État défendeur a fait une déclaration spéciale acceptant d'être cité par les individus ou les ONG. Le requérant soutient que l’article viole plusieurs articles de la Charte et prie donc la Cour d’ordonner les mesures suivantes :
« A. DÉCLARER que l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour africaine est illégal, nul et non avenu, car il est incompatible avec les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. »
« B. DÉCLARER que le requérant est habilité à déposer des requêtes relatives aux droits de l’homme devant la Cour africaine, en vertu de l’article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. »
« C.Rendre une ORDONNANCE annulant l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour africaine, avec effet immédiat ».
Les arguments du défendeur
5. La requête est contestée par le défendeur aux motifs généraux suivants : d’abord, le défaut de compétence vis-à-vis du défendeur ainsi que l'absence de la qualité pour agir du requérant et, ensuite, le fait que l’article incriminé n’est, en aucune manière, incompatible avec les dispositions de la Charte. Sous le premier point, le requérant

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 133
avance un certain nombre de moyens subsidiaires, qui seront examinés plus loin.
6. Bien que le défendeur ait invoqué le défaut de compétence comme exception préliminaire, la Cour a demandé aux parties de plaider à la fois sur les exceptions préliminaires et sur le fond lors de l’audience et c’est ainsi que s’est déroulée l'audience. L'objectif était d'éviter que les parties ne soient obligées de revenir après la phase préliminaire, gagner du temps et réduire les coûts et les inconvénients pour les parties,
7. Nous sommes conscients qu’une partie qui n’est pas signataire d’un traité ne peut pas être poursuivie en vertu de ce traité. Toutefois, pour des raisons qui apparaîtront plus tard, cette affaire est différente, à notre avis.
8. Comme nous l’avons indiqué plus haut, un certain nombre de points connexes ont été soulevés en rapport avec le défaut de compétence. 8.1. Il est dit que le défendeur ne peut pas être cité en tant que représentant des Etats membres. Cela peut être vrai, mais, le défendeur est cité ici en son nom propre, en tant que personne morale, l'Union africaine ayant été créée en vertu de l’Acte constitutif, en son article 2. Cet article est libellé comme suit : « || est institué par les présentes une Union africaine conformément aux dispositions du présent Acte ». Nous sommes d’accord avec l’opinion de la majorité selon laquelle le défendeur a une personnalité juridique internationale distincte de la personnalité juridique de ses Etats membres. Il n’est donc pas nécessaire pour nous de nous attarder sur cet aspect. Nous ne sommes cependant pas d’accord avec le jugement de la majorité selon lequel le défendeur ne pouvait pas être cité en justice, en
8.1.1. Après avoir rappelé que l'Organisation des Bc Ax est une personne internationale, la Cour internationale de Justice, dans Réparation des dommages subis au service des Bc Ax, avis consultatif, s'est prononcée comme suit : « Cela signifie que l’Organisation est un sujet de droit international, qu’elle a la capacité d’être titulaire de droits et devoirs internationaux et qu’elle a capacité de se prévaloir de ses droits par voie de réclamation internationale ».? Nous sommes d'avis que le droit d’intenter des réclamations internationales entraîne, comme conséquence juridique naturelle, la capacité d’être poursuivi. Nous indiquerons plus loin que l’un des devoirs imposés au défendeur, à travers la Charte, est de protéger les droits de l'homme et des peuples ; cette obligation n’aurait pas de sens si elle ne pouvait pas être appliquée à l'encontre du défendeur lui- même.
8.1.2. Après avoir créé le défendeur en tant qu'’entité juridique, les États membres sont allés plus loin en lui conférant un certain nombre de pouvoirs, dont celui d'assurer la protection des droits de l'homme sur le continent. L'article 3(h) de l’Acte est libellé comme suit au sujet de l’un
2 Recueil de la C.l.J. 1949, p. 174 à la p. 179

134 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
des objectifs du défendeur : « Promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme ». En outre, l’article 4 de l’Acte prévoit que : « L'Union africaine (le défendeur) fonctionne conformément aux principes suivants : … (h) Le droit de l’Union d’intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité… (m) Respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’état de droit et de la bonne gouvernance ……… »
Le prédécesseur du défendeur, l’OUA, avait été également habilitée et chargée par les États membres, de l'obligation de veiller à la protection des droits de l'homme et des peuples. L'Acte, la Charte, ainsi que le Protocole, ont habilité le défendeur à exercer les pouvoirs et à exécuter les obligations que lui confèrent ces instruments. Ces pouvoirs peuvent être conférés de manière explicite par un instrument constitutif, ou ils peuvent être implicites.’ Dès lors qu’elle est ainsi habilitée, l’entité juridique est en mesure de mener à bien ses tâches et ses fonctions de manière indépendante des Etats membres, car elle est une personne morale. Nous estimons que c'est le cas en l'espèce ; en conséquence, il n’était donc pas nécessaire de citer un Etat membre individuellement, et c’est également pour cela que l’article 34(6) n’est pas applicable.
8.1.3. L'une des indications qu’une personne juridique internationale est habilitée à exercer certaines fonctions indépendamment des États membres est sa capacité à prendre des décisions à la majorité. Une décision prise dans ce contexte est contraignante même pour les Etats membres qui ont voté contre elle. En vertu de l’article 7(1) de l’Acte, le défendeur prend ses décisions à la majorité, à défaut de consensus : « La Conférence prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux-tiers des Etats membres de l’Union. Toutefois, les décisions de procédure, y compris pour déterminer si une question est de procédure ou non, sont prises à la majorité simple ».
8.1.4. Une autre indication que le défendeur a été habilité à traiter lui- même des questions touchant aux droits de l'homme et des peuples est que les organes comme la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (la Commission) et cette Cour ont été créés en son sein pour lui permettre de s'acquitter de ces devoirs. Par exemple, le défendeur lui-même, et non les États membres individuellement, organise et supervise l'élection des dirigeants de ces organes ; l’ UA approuve elle-même et fournit le budget des activités touchant à la protection des droits de l'homme et ces organes lui soumettent des rapports périodiques.
8.1.5. Une preuve supplémentaire de la personnalité juridique du défendeur et du fait qu’il a été habilité à s'occuper lui-même des questions de droits de l'homme, indépendamment des Etats membres,
3 Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat en conflit armé, avis consultatif, C.1.J. Recueil 1996, p.66 à 79.
4 The Law of Aq Aw, p. 72, Deuxième edition, N.D White.

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 135
est que le requérant peut saisir la Cour africaine pour un avis consultatif sur ces questions, en vertu de l’article 4 du Protocole.
8.2. Fait important à noter, aucune des mesures demandées par la requérant ne tend à imposer une obligation quelconque au défendeur ou aux Etats membres, en particulier des mesures que nous serions enclins à accorder.
8.3. À la lumière de la totalité des paragraphes 8.1 et 8.2 ci-dessus, l’argument selon lequel le défendeur ne peut pas être attrait car il n’est partie ni à la Charte ni au Protocole, ou qu'aucune action ne peut être intentée contre lui au sujet des obligations des Etats membres et que le requérant n’a pas démontré un lien tangible de causalité entre le défendeur et le fait qu’il ne peut pas saisir la Cour est sans intérêt ; il en est de même pour l’argument selon lequel le défendeur ne peut pas être attaqué en justice au sujet des obligations des Etats membres. Nous soutenons donc que le défendeur a été cité de manière appropriée.
8.4. || est dit également que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes avant de s'adresser à la Cour, comme le prescrit l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte. À cet égard, l'argument avancé est que le requérant, étant un citoyen du Nigéria, aurait dû intenter l’action devant les juridictions nationales, pour l’amener à faire la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. L’argument du défendeur est erroné à deux titres. Tout d’abord, le requérant n’a pas saisi la Cour en tant que citoyen nigérian et il ne demande pas des mesures correctives pour lui-même ou pour les citoyens nigérians seuls. Et même s’il avait réussi, à travers les juridictions du Nigéria, à amener son pays à faire la déclaration en question, des millions de citoyens des autres Etats parties au Protocole qui n’ont pas déposé la déclaration n'auraient toujours pas accès à la Cour. Le fait que seuls cinq Etats parties jusqu’à présent ont fait la déclaration signifie qu’une multitude d’individus sur le continent restent interdits d'accès à la Cour, à cause de l’article 34(6). La déclaration du Nigeria n’aurait fait que très peu de différence. La logique qui découle de l’argument du défendeur est que les ressortissants de chaque Etat partie qui n’a pas fait la déclaration devraient saisir chaque juridiction nationale avant d’avoir accès à la Cour. Il s'agit là d’une approche purement théorique et impraticable, contrairement à l'approche pragmatique adoptée par le requérant. La protection des droits de l’homme est trop importante pour être laissée aux caprices de telles solutions théoriques
8.5. Par ailleurs, le défendeur soutient qu’en vertu de l’article 34(6) du Protocole, le requérant, en tant qu’individu, n’a pas accès à cette Cour. On ne peut certainement pas empêcher le requérant de saisir la Cour en invoquant le même article dont il conteste la validité. La Cour doit d’abord examiner l'affaire et ensuite (souligné) seulement, décider si l’article attaqué est valide ou non. L'article 3(2) du Protocole prévoit qu’« en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ». Pour que la Cour puisse décider, elle doit d’abord être saisie par un requérant. Et c’est précisément la personne qui a été exclue qui devra frapper à la porte pour se faire entendre sur la validité de la clause d'exclusion. Cette Cour a donc

136 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
compétence pour statuer sur la validité de l’article 34(6) à la requête d’un demandeur individuel. La réponse du requérant à l’argument du défendeur est que puisque ce n’est pas un Etat membre qui est cité, mais plutôt le défendeur, l’article 34(6) n’est pas d'application. Cet argument est valable. L'article en question exige seulement que les Etats parties aient fait la déclaration, et non pas les parties non- étatiques. La loi ne vise pas un individu en tant que tel, elle cherche à protéger un Etat partie qui n’a pas fait la déclaration, c’est pour cela que, même un étranger peut attaquer un Etat partie qui a fait la déclaration
8.6. Encore une fois, il est dit qu’en tout état de cause, la Cour n’a pas le pouvoir d’annuler l’article 34(6) du Protocole. Comme cet argument peut être dissocié de la question stricte de compétence, il sera abordé plus loin.
9. En raison du fait que le défendeur a été habilité et chargé par les États membres de l’obligation d’administrer, d'appliquer et de faire la Charte et le Protocole, deux instruments qui forment l’objet de respecter la présente affaire, le défendeur, a dans tous les cas, un intérêt matériel et direct dans l'affaire et il devait donc être cité.
10. Pour les raisons exposées ci-dessus, les exceptions préliminaires sont rejetées. Cela étant le cas, nous pouvons examiner l'affaire sur le fond.
Sur l’incompatibilité de l’article 34(6) du Protocole avec la Charte
11. Comme nous l’avons déjà indiqué, la protection des droits de l’homme et des peuples est l’un des objectifs de l’Acte, tout comme l’était l’ancienne Charte de l'OUA.
12. La Charte : L'objectif fondamental de la Charte était et reste celui de défendre et de protéger les droits de l'homme et des peuples. Cet objectif ressort clairement de son préambule et il est consacré notamment par les articles suivants fréquemment invoqués par le requérant : Article 1 : « Les Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ». Article 2 : « Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, de groupe ethnique, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
Article 7 : «1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : a) Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ; b) Le droit à la présomption d’innocence jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ; c) Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ; d) Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable devant une juridiction

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 137
impartiale. 2. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ».
Article 26 : « Les États parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l'indépendance des Tribunaux et de permettre l'établissement et le perfectionnement d'institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte »
Article 66 : « Des protocoles ou accords particuliers pourront, en cas de besoin, compléter les dispositions de la présente Charte ».
Les dispositions ci-dessus sont quelques-unes des dispositions de la Charte à propos desquelles le requérant soutient que du fait qu’il empêche les individus d’avoir un accès direct à la Cour, l’article 34(6) du Protocole n’est pas valable ».
13. Le Protocole :
13.1. L'article 66 de la Charte prévoit la création de protocoles spéciaux, si nécessaire, pour compléter (souligné) les_dispositions de la Charte portant sur la protection des droits de l'homme. Conformément à cette disposition, le Protocole a été rédigé et a été ensuite adopté le 9 juin 1998, puis dûment ratifié au moins par certains Etats membres. || est entré en vigueur le 25 janvier 2004. Etant un Protocole à la Charte, le Protocole est subordonné à la Charte.
13.2. Le Protocole vise, à travers la Cour, à donner effet à la protection des droits de l'homme, y compris, naturellement, les droits des individus, même si c’est en complémentarité avec la Commission des droits de l'homme. Il s’agit d’une demande impérieuse de l’article 66 de la Charte.
13.3. Le préambule du Protocole indique que les États membres sont fermement « convaincus que la réalisation des objectifs de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples nécessite la création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. »
L'article 1 porte création de la Cour. L'article 3 est libellé comme suit : «1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés. »
«2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ».
13.4. En vertu du Protocole, le mandat de la Cour est donc de protéger les droits de l'homme et sa compétence, sur laquelle elle-même peut décider, s'étend à tous les différends portant sur les droits de l'homme.
14. L’accès à la Cour : L'article 5 du Protocole précise les entités qui ont qualité pour saisir la Cour, par exemple la Commission des droits de l'homme ou un Etat partie. L'article 5(3) prévoit encore que : « La Cour peut permettre aux individus ainsi qu'aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission, d'introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) du Protocole.» L'article 34(6), à son tour est libellé ainsi : « À tout moment, à partir de la ratification du présent

138 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration » L'accès à la Cour est donc contrôlé, du fait des articles 5 et 34(6) lus conjointement. Ce dernier article est celui dont le requérant soutient qu’il est incompatible avec les dispositions de la Charte. Pour déterminer si oui ou non l’article est incompatible avec la Charte, il doit être examiné isolément, sur son propre libellé et sa construction. Ensuite, une bonne compréhension de la relation entre la Charte et le Protocole est essentielle pour résoudre la question de l’incompatibilité alléguée entre eux.
15. La relation entre la Charte et le Protocole
De ce qui précède, il est clair que, d’une part, la Charte prime sur le Protocole, un argument que, sans surprise, le défendeur n’a pas nié. D'autre part, le Protocole a été mis en place uniquement pour renforcer la protection des droits de l'homme et des peuples par la Cour, en complémentarité avec la Commission africaine des droits de l'homme. Ce sont ces droits qui sont reconnus et consacrés dans la Charte.
16. Dans la mesure où l’article 34(6) refuse l'accès direct des individus à la Cour, ce que la Charte ne leur refuse pas, cet article, loin de constituer une mesure supplémentaire pour améliorer la protection des droits de l'homme, comme prévu à l’article 66 de la Charte, fait exactement le contraire. Il est en contradiction avec l'objectif, la lettre et l'esprit de la Charte car il empêche la Cour de connaître des requêtes introduites par les individus contre un Etat qui n’a pas fait la déclaration, même lorsque la protection des droits de l'homme inscrits dans la Charte, est en jeu. Nous estimons donc qu’il est incompatible avec la Charte. Nous le disons, étant pleinement conscients de l’article 30 de la Convention de Vienne sur le droit des traités relatifs à l'application des traités successifs portant sur le même objet. Nous sommes d’avis que cet article n’est pas applicable en l'espèce, étant donné que nous n’avons pas affaire à deux traités, mais plutôt à un seul (la Charte) et un simple protocole y relatif (le Protocole).
Sur la question de savoir si l’article 34(6) doit être déclaré nul et non avenu ou annulé
17. La question se pose de savoir si cette Cour a compétence pour déclarer l’article 34(6) du Protocole nul et non avenu et / ou l’annuler. La Cour est une création du Protocole et ses pouvoirs découlent donc du Protocole. Déterminer si l’article 34(6) est incompatible avec la Charte est une question d'interprétation que la Cour est donc compétente pour déterminer, en vertu de l’article 3(1) du Protocole. De même, en estimant que cette Cour a compétence pour connaître de la présente requête, elle tire sa compétence de l’article 3(2) du Protocole qui l’habilite à décider si oui ou non elle a compétence pour toute question dont elle est saisie. Dans les juridictions nationales où la Constitution est la loi suprême, toute loi incompatible avec la Constitution serait frappée de nullité, celle-ci tirant de cette même Constitution le pouvoir de le faire. En l'espèce, nous ne trouvons aucune disposition dans le Protocole qui confère à la Cour le pouvoir

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 139
de déclarer nul et non avenu ou d’annuler un article quelconque du Protocole. En conséquence, même si cela semble être la conclusion logique qui devrait être tirée compte tenu du fait que nous estimons que ces dispositions sont incompatibles, la demande du requérant n’est pas valable. Il y a lieu d'espérer cependant que les problèmes soulevés par l’article 34(6) feront l’objet de l'attention appropriée.
18. Il est donc constaté ce qui suit :
(a) La Cour a compétence pour connaître de la requête.
(b) _ L'article 34(6) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples est incompatible avec la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
(c) La demande du requérant tendant à ce que l’article 34(6) soit déclaré nul et non avenu ou annulé est rejetée.
Opinion individuelle : MUTSINZI
1. Suivant l’article 28(7) du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples « si l’arrêt de la Cour n’exprime pas, en tout ou en partie, l'opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre une opinion individuelle ou dissidente »
2. L'arrêt adopté par la majorité des membres de la Cour, en son dispositif, énonce ce qui suit : « Déclare qu’en application des articles 5(3) et 34(6) du Protocole, lus ensemble, elle n’a pas compétence pour connaître de la requête introduite par M. Aj Y contre l’Union africaine ».
3. Dans cet arrêt, je suis d'accord avec la conclusion selon laquelle la Cour déclare qu’elle n'a pas compétence pour connaître de la requête introduite par M. Aj Y contre l’'UNION AFRICAINE.
4. Mon désaccord porte sur le fondement juridique de cette incompétence qui, à mon avis, n’est pas constitué par les articles 5(3) et 34(6) du Protocole.
5. En effet, ces articles disposent comme suit : « La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d'introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole » (art. 5(3)); « À tout moment, à partir de la ratification du présent Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration » (art 34(6)).
6. Il résulte de la lecture combinée de ces dispositions que celles-ci visent les requêtes introduites par les individus ou les organisations non gouvernementales contre les Etats parties, hypothèse dans laquelle se pose la question de savoir si l’État partie défendeur a fait la

140 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
ou les organisations non gouvernementales. Or, l'Union africaine n’est pas un Etat ni un Etat partie au Protocole et, en conséquence, ne peut pas faire cette déclaration prévue aux articles 5(3) et 34(6) du Protocole.
7. J'estime, pour ma part, que la question fondamentale à résoudre et qui commande la suite du raisonnement est celle de savoir si, comme dans le cas d'espèce, des entités qui ne sont pas des Etats peuvent être attraits devant cette Cour en qualité de défendeur.
8. Mon opinion est qu’il résulte de l'économie générale des dispositions du Protocole et des articles 3, 30 et 34(1,4), en particulier, que le défendeur devant cette Cour ne peut être qu'un Etat. De ce fait, le dispositif de l’arrêt, après motivation correspondante, devrait être le suivant :
« Déclare, qu'aux termes du Protocole, seuls les États parties peuvent être attraits devant cette Cour en qualité de défendeurs du chef de violation des Droits de l'Homme et qu’en conséquence la Cour n’a pas compétence pour examiner la requête introduite par M. Aj Y contre l’Union africaine ».
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
1. La requête introduite par Monsieur Aj Y contre l'Union africaine soulève la question de l'accès des individus et des organisations non-gouvernementales à la juridiction de la Cour ; elle le fait en mettant en cause la légalité de l’article 34(6) du Protocole qui conditionne la saisine de la Cour par ces entités au dépôt par les Etats parties d’une déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour. Nonobstant l’intérêt et la très grande importance de cette question, je partage l'avis de la majorité de la Cour selon lequel cette dernière n’est pas compétente pour connaître de la requête de Monsieur Y. Je considère toutefois que, la Cour n'ayant « manifestement pas compétence ratione personae pour connaître de cette requête, cette dernière n'aurait pas dû donner lieu à un arrêt en bonne et due forme rendue sur la base de l'article 52(7) du Règlement ; elle aurait du être rejetée sans que la Cour elle-même ait à intervenir, c'est-à-dire de plano par une simple lettre du Greffier.
2. J'ai, à de nombreuses reprises déjà, eu l’occasion d'expliquer ma position de principe en ce qui concerne le traitement à accorder aux requêtes individuelles à propos desquelles l’incompétence personnelle de la Cour est manifeste. Ce qui est le cas des requêtes dirigées contre des Etats parties au Protocole n'ayant pas fait la déclaration facultative prévue à l’article 34(6) du Protocole, contre des Etats africains non parties au Protocole ou non membres de l'Union africaine, ou contre un organe de l’Union africaine (voir mes opinions individuelles jointes aux décisions rendues dans les affaires An Ab c. République du Sénégal, Ae Ba'o Aa c. Parlement panafricain, Convention Nationale des Syndicats du Secteur Education (CONASYSED) c. République du Gabon, Ad International Investments SA, Mr AGL de Av et Mme de Av AG Ai

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 141
d'Afrique du Sud, Az Ar Ah c. République d'Afrique du Sud et Bb Be Am c. République du Soudan, ainsi que dans mon opinion dissidente jointe à la décision rendue dans l'affaire At Ag Ak c. République du Cameroun et République fédérale du Nigéria).
3. Dans tous les cas où l'incompétence ratione personae de la Cour est manifeste, je considère en effet que les requêtes reçues par le Greffe ne doivent pas faire l’objet d’un traitement judiciaire par la Cour mais d’un simple traitement administratif et doivent être rejetées de plano par une simple lettre du Greffier.
4. Dans la plupart des affaires qu’elle a traitées à ce jour, la Cour a rendu des décisions (qu’elle distingue formellement des « arrêts »)" alors même qu’elle reconnaît pourtant formellement qu’il est «manifeste » qu'elle n’a pas compétence pour connaître des requêtes en question (voir par exemple, Bd As c. Royaume du Maroc (para. 12), Ao Ac C Af Ac c. Mozambique Airlines & Mozambique (para. 8), At Ag Ak c. République du Cameroun et République fédérale du Nigéria (para. 10), Convention Nationale des Syndicats du secteur Education (CONASYSED) c. République du Gabon (paras. 11 & 12), Ad International Investments B, Mr AGL de Av et Mme de Av c. République d'Afrique du Sud (paras. 8 & 9), Az Ar Ah c. République d'Afrique du Sud (paras. 10 & 11) et Bb Be Am c. République du Soudan (paras. 8&9).
5. La Cour a même parfois admis qu’il était, selon ses propres termes, « évident » qu’elle n'avait « manifestement pas compétence » pour connaitre des requêtes en question (voir les versions anglaises des décisions Convention Nationale des Syndicats du Secteur Education (CONASYSED) c. République du Gabon (para. 11), Bb Be Am c. République du Soudan (para. 8), Ad International Investments B, Mr AGL de Av et Mme de Av c. République d'Afrique du Sud (para. 8) et Az Ar Ah c. République d'Afrique du Sud (para. 10). 6. Dans la présente espèce, la Cour a également décidé d'accorder un traitement judiciaire à la requête introduite par Monsieur Y contre l’Union africaine. La Cour a toutefois décidé de le faire non pas selon la procédure d'examen accéléré ou sommaire conduisant à l’adoption d’une simple « décisions », mais selon la procédure judiciaire prévue par le Règlement de la Cour, c’est-à-dire en rédigeant un arrêt rendu au cours d’une audience publique, au terme d’une procédure contradictoire composée d’une phase écrite et d’une phase orale. La seule autre affaire que la Cour a traitée de façon similaire est l'affaire An Ab c. République du Sénégal.
7. Dans les développements qui suivent, je vais exposer les raisons pour lesquelles je considère que la requête de Monsieur Y ne méritait pas de faire l’objet d’un traitement judiciaire par la Cour et
1 Sur la distinction introduite par la Cour entre un « arrêt » et une « décision », voir les paragraphes 3, 4 et 5 de mon opinion dissidente jointe à la décision rendue dans l'affaire At Ag Ak c. République du Cameroun et République fédérale du Nigéria.

142 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
encore moins du traitement judiciaire « complet » à laquelle elle a eu droit depuis son introduction au Greffe il y a un peu plus de seize (16) mois maintenant.
8. A titre subsidiaire, je dirai également pourquoi, bien que j'ai voté en faveur du dispositif de l’arrêt, je ne souscris pas à la motivation de cet arrêt, en particulier en ce qui concerne la base juridique sur laquelle repose le constat d'incompétence de la Cour. Je me prononcerai accessoirement sur deux questions de procédure qui me paraissent importantes.
9. || me paraît évident que les requêtes ne peuvent être introduites que contre un « Etat » et que cet Etat doit bien évidemment être partie au Protocole ; cela ressort tant de la lettre que de l’esprit du Protocole. L'article 2 du Protocole prévoit ainsi que la Cour complète les fonctions de protection que la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples a conférées à la Commission africaine ; or, aux termes de la Charte africaine, seuls des « Etats », parties à celle-ci, peuvent faire l’objet d’une communication introduite devant la Commission africaine. Le Protocole à la Charte africaine portant création de la Cour n’a pas entendu déroger à ce principe, comme en témoignent ses articles 3(1), 5(1)(c)), 7, 26, 30, 31 et 34(6), dont aucun ne fait référence à une entité autre que l’« Etat » (« Etats concernés », « Etat contre lequel une plainte a été introduite », « Etats intéressés »,? « Etats parties »).
10. L'article 5 du Protocole mentionne bien, outre l’Etat, la Commission africaine, les organisations intergouvernementales africaines, les individus et les organisations non-gouvernementales, mais c’est à seule fin de les autoriser à introduire une instance contre un Etat partie, et non pas pour en faire des « défendeurs » potentiels devant la Cour.
11. L’Union africaine étant une organisation intergouvernementale, elle n’est donc pas, en l’état actuel du Protocole, une entité contre laquelle une requête peut être introduite devant la Cour ou qui pourrait devenir partie à cet instrument. A ma connaissance, la seule organisation internationale susceptible d’être, dans un proche avenir, attraite devant une juridiction statuant en matière de violations de droits de l'homme est l’Union européenne ; des pourparlers sont en effet en cours pour permettre à l’Union européenne d’adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme et, en conséquence, de faire l’objet de requêtes devant la Cour européenne des droits de l'homme.*
2 L'expression "Etats intéressés" dans la version française de l'article 26(1) du Protocole a été traduite par "States concerned" dans la version anglaise de la même disposition.
3 Voir le «Projet d'Accord portant adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », adopté par le Comité directeur pour les droits de l'homme du Conseil de l'Europe lors de sa session extraordinaire tenue les 12-14 octobre 2011, texte in Comité directeur des droits de l'homme, Rapport au Comité des Ministres sur l’élaboration d'instruments juridiques pour l'adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l'Homme, Conseil des droits de l'homme. Doc. CDDH (2011) 009, Strasbourg, 14 octobre 2011, pp. 5-13, (document téléchargeable à http:// www.coe.int/t/dghl/standardsetting/hrpolicy/cddh-ue/CDDHUE Meeting Reports/

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 143
12. Le Protocole ne souffrant d’aucune ambiguïté quant aux entités susceptibles d’être attraites devant la Cour, il suffisait de l’interpréter selon le sens ordinaire à attribuer aux termes [de cet instrument] dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (Article 31(1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969) et de rejeter de plano, sans qu'une décision judiciaire soit nécessaire, la requête de Monsieur Y sur la base de l’incompétence personnelle manifeste e la Cour.
13. La Cour a toutefois préféré accorder un traitement judiciaire à la requête en s’'engageant dans la voie prévue par son Règlement, c'est- à-dire de l’examiner selon une procédure contradictoire et de rendre un arrêt en audience publique. Ce faisant, la Cour s’est mise dans une position difficile comme en témoigne la relative fragilité et le caractère circulaire de son raisonnement figurant aux paragraphes 56 à 73 de l'arrêt et auquel je ne souscris pas pour les raisons exposées aux paragraphes 9, 10, 11 et 12 ci-dessus.
14. Avant de me pencher sur le raisonnement de la Cour aux fins de déclarer son incompétence, je souhaiterais examiner deux questions de procédure qui me paraissent importantes.
15. Du point de vue procédural, la première question importante qui se pose est celle de savoir pourquoi la Cour n'a pas examiné la requête au cours de deux phases distinctes, l’une consacrée à l'examen de sa compétence et à la recevabilité de la requête et l’autre consacrée au fond de l'affaire (si elle s'était déclarée compétente et avait considéré la requête recevable). L'article 52(3) du Règlement prévoit en effet que, lorsque la Cour est saisie d’exceptions préliminaires, elle doit se prononcer sur celles-ci ou les joindre au fond ; il prévoit aussi que «la présentation de telles exceptions ne suspend la procédure sur le fond que si la Cour le décide ».
16. En l’espèce, la Cour n’a pas décidé de suspendre la procédure sur le fond car les écritures“ et les plaidoiries® des parties ont porté tant sur les questions de compétence de la Cour et de recevabilité de la requête, que sur les questions de fond. Bien qu’elle n'ait pas non plus décidé formellement de joindre l'examen des exceptions préliminaires à celui du fond, il semblerait qu’une telle jonction ait en fait été opérée puisque, comme je viens de l'indiquer, le fond de l'affaire a été débattu par les parties tant durant la procédure écrite que durant la procédure orale.
CDDH 2011 009 fr.pdf). L’adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 est prévue par l’article 6(2) du Traité sur l’Union européenne, en date du 7 février 1992, tel que modifié par le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.
4 Dans ses observations en réponse à la requête de Monsieur Y, en date du 29 avril 2011, l’Union africaine a en effet abordé tant les questions de compétence de la Cour et de recevabilité de la requête, que le fond de l'affaire ; il en va de même du mémoire de Monsieur Y en réponse aux observations de l'Union africaine, en date du 23 juin 2011.
5 Voir les comptes-rendus des audiences des 22 et 23 mars 2012.

144 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
17. L'article 52(3) du Règlement ne précise pas dans quelles circonstances la procédure sur le fond doit être suspendue, pas plus qu’il ne précise dans quelles circonstances la jonction au fond peut être ordonnée ; il conviendrait donc que la Cour comble cette lacune de manière à supprimer toute incertitude en la matière. Dans la pratique de la Cour internationale de Justice, par exemple, la procédure sur le fond est automatiquement suspendue dès qu'une exception préliminaire est soulevée® et l'examen d’une exception préliminaire est joint à celui du fond de l’affaire lorsque cette exception « n’a pas dans les circonstances de l'espèce un caractère exclusivement préliminaire »,” c'est-à-dire lorsque la Cour de La Haye ne peut se prononcer sur cette exception sans examiner le fond de l'affaire. Aux fins d'interprétation et d'application de la seconde phrase de l’article 52(3) du Règlement, le caractère « non exclusivement préliminaire d’une exception pourrait ainsi servir de critère à la Cour pour décider de la jonction au fond d’une exception préliminaire.
18. En l’espèce, et sur la base d'un tel critère, une telle jonction ne s’imposait pas car la Cour pouvait se prononcer sur les exceptions préliminaires soulevées par l’Union africaine sans connaître du fond de l’affaire. Cela ressort clairement, a posteriori, de la motivation de l'arrêt et de son paragraphe 73 en particulier, dans lequel la Cour considère que, s’étant déclarée incompétente pour connaître de la requête, «il n’est pas nécessaire d'examiner [...] le fond de l'affaire ».
19. Pour se conformer scrupuleusement aux prescriptions de l’article 52(3) du Règlement, la Cour aurait donc dû interrompre la procédure sur le fond, comme l’y autorise cette disposition, et se prononcer d'abord sur sa compétence et sur la recevabilité de la requête. L'essentiel de la procédure écrite“ et la totalité de la procédure orale auraient ainsi été consacrés à l'examen de questions de compétence de la Cour et de recevabilité de la requête.
20. L'organisation d’une phase préliminaire d'examen des questions de compétence et de recevabilité vise à éviter des débats sur le fond de l’affaire tant que la contestation sur la compétence de la Cour pour en connaître et la recevabilité de la requête n’est pas tranchée. De manière incidente, l’organisation d’une phase préliminaire permet également d'éviter qu'une opinion dissidente qui pourrait éventuellement être jointe à l’arrêt de la Cour ne traite de questions relevant du fond de l'affaire. Ce n’est que lorsqu'une exception ne possède pas un caractère exclusivement préliminaire et que son examen est joint à celui du fond de l'affaire, qu’une opinion dissidente pourrait aborder le fond de l'affaire, dans cette hypothèse, en effet, l'examen du fond de l'affaire est par définition nécessaire pour trancher les questions de compétence et de recevabilité.
6 L'article 79(5) du Règlement de la Cour internationale de Justice prévoit en effet que « dès réception par le Greffe de l’acte introductif de l'exception, la procédure sur le fond est suspendue ».
7 Article 79(9) du Règlement de la Cour.
8 Dans ses observations en réponse à la requête de Monsieur Y, l'Union africaine a en effet aborde le fond de l'affaire bien qu’elle ait soulevé des exceptions préliminaires.

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 145
21. Au vu de ce qui précède, il me semble que la Cour devrait revisiter le paragraphe 3 de l’article 52 du Règlement et déterminer si ses prescriptions répondent véritablement aux exigences particulières de sa juridiction, c'est-à-dire si elles participent d’une bonne administration de la justice par un organe judiciaire chargé de connaître de différends en matière de droits de l'homme opposant essentiellement des individus à des Etats. Si la réponse est négative, cette disposition devrait être amendée.
22. L'autre question de procédure que la Cour me semble n’avoir pas résolu de manière satisfaisante est celle du statut juridique à accorder à certains documents? produits par les parties lors de la procédure orale.
23. Le 20 mars 2012, c'est-à-dire deux jours avant le début des audiences publiques, le Greffier avait demandé aux parties de soumettre «la copie de leur présentation orale » aux fins de faciliter le travail des interprètes.° Les documents produits par les parties au début des audiences publiques, dont l’un est intitulé « soumissions orales » (« Oral Submissions »), ne reflétaient en aucune manière le contenu de leurs présentations orales lors de ces audiences. Le Règlement de la Cour ne prévoit pas la production de ce type de document lors de la procédure orale ; le seul document relatif à la procédure orale mentionné par le Règlement est celui prévu par l’article 48 et il est produit par le Greffe : il s’agit du « Compte-rendu de l’audience » qui, après sa signature par le Président et le Greffier, fait foi en ce qui concerne la teneur exacte des plaidoiries faites par les parties au cours des audiences publiques.
24. Les documents produits par les parties au cours des audiences ne peuvent donc en aucun cas être considérés comme un compte-rendu des plaidoiries faites par les parties durant la procédure orale : ils ne peuvent pas non plus être considérés comme des pièces de procédure écrite dans la mesure où ils ont été produits après la clôture de la procédure écrite le 24 juin 2011 (voir le paragraphe 12 de l'arrêt) et qu’ils n’ont pas non plus fait l’objet d’un échange entre les parties pour respecter le caractère contradictoire de la procédure.
25. || me paraît donc regrettable que, durant ses délibérations, la Cour ait utilisé des documents au statut juridique incertain pour examiner les
9 Le requérant a déposé un document de 21 pages intitulé « Oral Submissions » et daté du 21 mars 2012 ; le défendeur a pour sa part déposé un document de 16 pages non daté et un second document de 10 pages, daté du 23 mars 2012, et dans lequel il répond tant aux « Oral Submissions » du requérant, qu'aux questions posées par les juges à l'audience du 22 mars 2012.
10 Voir la teneur du message électronique envoyé par le Greffier aux parties le 20 mars 2012 : « Please, as we finalize for the hearing, the Registry would be most obliged if we could have a copy of your oral pleadings in the morning of Thursday to facilitate with interpretation ».
11 L'article 48 du Règlement prévoit en effet qu’une fois corrigé par les parties, qui ne peuvent en aucun cas en modifier le sens et la portée (para. 2), et signé par le Président et le Greffier, le compte-rendu « fait foi de son contenu (para. 3) ; le paragraphe 3 de cet article est beaucoup plus explicite dans sa version anglaise puisqu’ il dispose que «once corrected, the verbatim record [...] shall then constitute a true reflection of the proceedings ».

146 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
thèses développées par les parties ; le paragraphe 55 de l’arrêt reproduit en outre les conclusions du défendeur figurant aux pages 2 et 3 du document soumis le 22 mars 2012. Je considère que le dépôt par les parties de ce qui s'apparente à une nouvelle pièce de procédure écrite durant la procédure orale est source de confusion et ne fait que compliquer la tâche de la Cour. Ces documents possèdent un contenu différent de celui des comptes-rendus des audiences et doivent en outre être traduits dans les langues de travail de la Cour ; les juges ne peuvent donc matériellement pas en prendre connaissance durant les audiences, ni les examiner sérieusement aux fins des délibérations qui suivent immédiatement la clôture de la procédure orale.
26. J'en viens maintenant à l'examen du raisonnement suivi par la Cour pour conclure à son incompétence pour connaître de la requête et commencerais par faire observer que, dans la présente espèce, la Cour n’a pas suivi la démarche qui a été la sienne à l’occasion de l'examen de la requête introduite par Monsieur Ae Ba'o Aa contre un organe de l’Union africaine, en l’occurrence le Parlement panafricain (voir sa décision du 30 septembre 2011) ; dans cette affaire, la Cour a en effet évité de se prononcer sur sa compétence personnelle, comme elle aurait pourtant dû le faire, et a rejeté la requête en invoquant de manière implicite son incompétence matérielle.
27. Les développements de la Cour aux paragraphes 58 à 63 de l’arrêt visent à établir que les articles 5(3) et 34(6) du Protocole, lus conjointement, subordonnent l'accès direct à la Cour par un individu au dépôt par l'Etat défendeur d’une déclaration spéciale ; ces paragraphes ne présentent donc pas vraiment d’intérêt pour la question en examen dans la mesure où la requête n’a pas été introduite contre un Etat partie. La Cour le concède clairement en concluant qu’il « pourrait y avoir d’autres raisons pour lesquelles la Cour n’a pas compétence » (paragraphe 63). Cela ne l'empêche pourtant pas d'invoquer finalement les articles 5(3) et 34(6) susmentionnés pour conclure à son incompétence pour connaître de la requête (voir le paragraphe 73 ainsi que le dispositif de l’arrêt au paragraphe 75).
28. Le reste du raisonnement de la Cour vise à répondre à l'argumentation du requérant selon laquelle l’Union africaine peut être attraite devant la Cour car c'est elle qui a promulgué et adopté le Protocole, en tant que personne morale au nom de ses Etats membres » (paragraphes 25 & 64). La Cour démontre ainsi en substance que 1) l'Union africaine est une organisation internationale ayant une personnalité juridique distincte de celle de ses Etats membres (paragraphe 68) et 2) qu’elle ne saurait donc être soumise à des obligations au titre du Protocole dans la mesure où elle n’est pas partie à cet instrument (paragraphe 71). Ce sont là deux conclusions qui tombent sous le coup de l'évidence.
29. La Cour a cependant cru nécessaire d’ajouter, sans préciser pourquoi elle fait cet ajout, que « le simple fait que l’Union africaine a une personnalité juridique distincte n'implique pas qu’elle peut être considérée comme le représentant de ses Etats membres en ce qui concerne les obligations que ceux-ci assument sur la base du Protocole » (paragraphe 71). Cette assertion vise vraisemblablement à

Y c. Union africaine (compétence) (2012) 1 RJCA 121 147
répondre à l’argument du requérant selon lequel « il est clair que l'Union africaine dans son ensemble représente les peuples africains et leurs gouvernements et que, de ce fait, elle est qualifiée pour défendre les actions intentées contre les Etats membres » (paragraphe 25).
30. Cette assertion de la Cour reflète également une évidence et n’ajoute rien au raisonnement de la Cour ; elle vient au contraire l'obscurcir. Il est en effet difficile de concevoir comment l'Union africaine, organisation internationale dotée d’une personnalité juridique distincte de celle de ses Etats membres, pourrait « être le représentant [de ces derniers] en ce qui concerne les obligations que ceux-ci assument sur la base du Protocole »
31. L'obligation essentielle des États parties au titre du Protocole est celle de comparaître devant la Cour pour répondre de violations alléguées des droits de la personne humaine tels que garantis par la Charte africaine ou un autre instrument relatif aux droits de l'homme auquel ils sont parties. Comment l'Union africaine pourrait-elle être attraite devant la Cour au nom d’un ou de plusieurs Etats membres parties au Protocole, pour répondre de violations alléguées de leurs obligations conventionnelles en matière de droits de l'homme ?
32. L'Union africaine ne pourrait être attraite devant la Cour que pour répondre de ses propres agissements. Il faudrait cependant pour cela qu’elle soit autorisée à adhérer au Protocole et qu’elle accepte d’y adhérer, ce qui suppose qu’elle ait au préalable été autorisée à adhérer à la Charte africaine et qu’elle ait accepté de le faire. En sa qualité de partie à la Charte et au Protocole, l’Union africaine ne saurait en aucun cas être attraite devant la Cour pour répondre des agissements de ses Etats membres parties au Protocole.
33. On pourra en définitive s'interroger sur la raison d'être du raisonnement de la Cour aux paragraphes 66 à 72 de l'arrêt puisqu’au paragraphe 73, cette dernière affirme que « sa compétence est clairement prescrite par le Protocole » et que « la présente affaire, dans laquelle la requête a été introduite contre une entité autre qu’un Etat ayant ratifié le Protocole et fait la déclaration en question, tombe en dehors du champ de compétence de la Cour ». C’est là en réalité tout ce qu'il suffisait d'emblée à la Cour de constater pour rejeter la requête de Monsieur.Y.
34. Je considère par conséquent que la Cour aurait pu faire l’économie de cet arrêt qui soulève plus de questions qu'il n’en résout.
35. Je ferais en outre observer que l’examen de « constitutionnalités de l’article 34(6) du Protocole auquel la Cour était conviée par le requérant, consistant à déclarer cet article « illégal, nul et non avenu » en raison de son incompatibilité avec les articles 1, 2, 7, 13, 26 et 66 de la Charte africaine, pose indirectement la question du droit souverain des Etats parties au Protocole d'accepter ou pas la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant d'individus ou
36. Ce débat, si légitime soit-il, méritait selon moi d’être porté dans un autre forum. La Cour pour sa part n'aurait pas dû accepter de servir de

148 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
tribune à un tel débat en l’absence manifeste de compétence pour le faire ; elle à ainsi pris le risque de voir sa crédibilité affectée.
37. Tout comme Monsieur Y, je suis favorable à l'accès automatique à la Cour des individus et des organisations non- gouvernementales, j'estime toutefois qu’il s'agit là d’une question qui est du seul ressort des Etats membres de l’Union africaine, parties au Protocole. Je considère que cette question importante aurait plus de chance d’être débattue par la Cour dans le cadre de sa compétence consultative, à l’initiative des entités mentionnées à l’article 4 du Protocole, ou dans le cadre d’une procédure d’amendement de cet instrument en raison de la possibilité offerte à la Cour par l’article 35(2) de faire des propositions en la matière « si elle le juge nécessaire ».
38. Pour toutes les raisons susmentionnées, je considère que l’incompétence ratione personae de la Cour étant manifeste, la requête de Monsieur Y aurait dû être rejetée de p/ano par une simple lettre du Greffier.
39. A titre subsidiaire, je considère également que la Cour ayant décidé d'accorder un traitement judiciaire à cette requête, elle aurait dû motiver plus clairement le rejet de celle-ci (voir mon raisonnement aux paragraphes 9, 10, 11 et 12 ci-dessus) et non pas en invoquant, de manière contradictoire, les articles 5(3) et 34(6) du Protocole.
40. Pour finir, j'invite une nouvelle fois mes collègues à revisiter la pratique actuelle de la Cour consistant à rendre systématiquement un « arrêt » ou une « décision » d’incompétence alors qu’elle n’a « manifestement pas compétence pour connaître d’une requête. Le seul mérite, à mes yeux, de cette pratique de la Cour est d’attirer l'attention de l'opinion publique sur des questions comme celle soulevée en l'espèce ou sur des violations alléguées de droits de l’homme ; mais est-ce là véritablement la mission de la Cour ?


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM256692773
Date de la décision : 26/06/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award