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05/06/2008 | CJUE | N°C-226/06

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre République française., 05/06/2008, C-226/06


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 juin 2008 (*)

«Manquement d’État − Directive 89/391/CEE − Mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail – Articles 2, 10, paragraphe 1, ainsi que 12, paragraphes 3 et 4 – Transposition non-conforme»

Dans l’affaire C‑226/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 17 mai 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet et M^me I. Kaufmann-Bühler, en qua

lité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, re...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 juin 2008 (*)

«Manquement d’État − Directive 89/391/CEE − Mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail – Articles 2, 10, paragraphe 1, ainsi que 12, paragraphes 3 et 4 – Transposition non-conforme»

Dans l’affaire C‑226/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 17 mai 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet et M^me I. Kaufmann-Bühler, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par M. G. de Bergues et M^me C. Bergeot-Nunes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič, E. Levits et J.-J. Kasel (rapporteur), juges,

avocat général: M^me V. Trstenjak,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 2, 10, paragraphe 1, et 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO L 183, p. 1), la République
française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive ainsi que des articles 10 CE et 249 CE.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2 L’article 2 de la directive 89/391 définit le champ d’application de celle-ci comme suit:

«1. La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics (activités industrielles, agricoles, commerciales, administratives, de service, éducatives, culturelles, de loisirs, etc.).

2. La présente directive n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante.

Dans ce cas, il y a lieu de veiller à ce que la sécurité et la santé des travailleurs soient assurées, dans toute la mesure du possible, compte tenu des objectifs de la présente directive.»

3 L’article 7 de la directive 89/391, intitulé «Services de protection et de prévention», prévoit notamment que l’employeur désigne un ou plusieurs travailleurs pour s’occuper des activités de protection et des activités de prévention des risques professionnels de l’entreprise et/ou de l’établissement.

4 Selon l’article 9, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, l’employeur doit «tenir une liste des accidents de travail ayant entraîné pour le travailleur une incapacité de travail supérieure à trois jours de travail».

5 L’article 10, paragraphe 1, de la directive 89/391 dispose:

«L’employeur prend les mesures appropriées pour que les travailleurs et/ou leurs représentants dans l’entreprise et/ou l’établissement reçoivent, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, qui peuvent tenir compte en particulier de la taille de l’entreprise et/ou de l’établissement, toutes les informations nécessaires concernant:

a) les risques pour la sécurité et la santé ainsi que les mesures et activités de protection et de prévention concernant tant l’entreprise et/ou l’établissement en général que chaque type de poste de travail et /ou de fonction;

b) les mesures prises conformément à l’article 8, paragraphe 2.»

6 Conformément au paragraphe 3, sous b), de ce même article 10, l’employeur prend les mesures appropriées pour que les travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, ou les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs aient accès, pour l’accomplissement de leur fonction et conformément aux législations et/ou pratiques nationales, à la
liste et aux rapports, prévus à l’article 9, paragraphe 1, sous c) et d), de la directive 89/391.

7 Aux termes de l’article 12, paragraphes 3 et 4, de ladite directive:

«3. Les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique dans la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, ont droit à une formation appropriée.

4. La formation prévue aux paragraphes 1 et 3 ne peut être mise à la charge des travailleurs ou de représentants des travailleurs.

La formation prévue au paragraphe 1 doit se passer durant le temps de travail.

La formation prévue au paragraphe 3 doit se passer durant le temps de travail ou conformément aux pratiques nationales, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de l’entreprise et/ou de l’établissement.»

8 Les obligations des travailleurs sont définies à l’article 13 de la même directive. Cet article dispose:

«1. Il incombe à chaque travailleur de prendre soin, selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, conformément à sa formation et aux instructions de son employeur.

2. Afin de réaliser ces objectifs, les travailleurs doivent en particulier, conformément à leur formation et aux instructions de leur employeur:

a) utiliser correctement les machines, appareils, outils, substances dangereuses, équipements de transport et autres moyens;

[…]

c) ne pas mettre hors service, changer ou déplacer arbitrairement les dispositifs de sécurité propres notamment aux machines, appareils, outils, installations et bâtiments, et utiliser de tels dispositifs de sécurité correctement;

[…]

e) concourir, conformément aux pratiques nationales, avec l’employeur et/ou les travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, aussi longtemps que nécessaire, pour permettre l’accomplissement de toutes les tâches ou exigences imposées par l’autorité compétente afin de protéger la sécurité et la santé des travailleurs au travail;

f) concourir, conformément aux pratiques nationales, avec l’employeur et/ou les travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, aussi longtemps que nécessaire, pour permettre à l’employeur d’assurer que le milieu et les conditions de travail sont sûrs et sans risques pour la sécurité et la santé à l’intérieur de leur champ d’activité.»

9 Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 89/391:

«Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 1992.

Ils en informent immédiatement la Commission.»

La réglementation nationale

10 La directive 89/391 a fait l’objet d’un certain nombre de mesures de transposition dans l’ordre juridique français, notamment, par le truchement de différents ajouts et modifications aux dispositions pertinentes du code du travail.

11 L’article L. 230‑2 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date des faits, est libellé comme suit:

«I. – Le chef d’établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l’établissement, y compris les travailleurs temporaires. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Il veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des
situations existantes.

Sans préjudice des autres dispositions du présent code, lorsque dans un même lieu de travail les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en œuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l’hygiène et à la santé selon des conditions et des modalités définies par décret en Conseil d’État.

II. – Le chef d’établissement met en œuvre les mesures prévues au I ci-dessus sur la base des principes généraux de prévention suivants:

a) Éviter les risques;

b) Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités;

c) Combattre les risques à la source;

d) Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé;

e) Tenir compte de l’état d’évolution de la technique;

f) Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux;

g) Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment en ce qui concerne les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 122‑49;

h) Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle;

i) Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

III. – Sans préjudice des autres dispositions du présent code, le chef d’établissement doit, compte tenu de la nature des activités de l’établissement:

a) Évaluer les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail; à la suite de cette évaluation et en tant que de besoin, les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production mises en œuvre par l’employeur doivent
garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et être intégrées dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement;

b) Lorsqu’il confie des tâches à un travailleur, prendre en considération les capacités de l’intéressé à mettre en œuvre les précautions nécessaires pour la sécurité et la santé;

c) Consulter les travailleurs ou leurs représentants sur le projet d’introduction et l’introduction de nouvelles technologies mentionnées à l’article L. 432‑2, en ce qui concerne leurs conséquences sur la sécurité et la santé des travailleurs.»

12 L’article L. 230-3 du code du travail prévoit:

«Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur ou le chef d’établissement, dans les conditions prévues, pour les entreprises assujetties à l’article L. 122‑33 du présent code, au règlement intérieur, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail.»

13 Aux termes de l’article L. 231-1-1 du code du travail:

«Ne sont pas soumises aux dispositions de l’article L. 231-1:

1. Les mines et carrières et leurs dépendances;

2. Les entreprises de transport par fer, par route, par eau et par air dont les institutions particulières ont été fixées par voie statutaire.

Toutefois, ces dispositions ou celles qui sont prises en application de l’article L. 231‑2 peuvent être rendues applicables, en tout ou en partie, aux entreprises ou établissements mentionnés à l’alinéa précédent ou à certaines parties de ceux-ci par des décrets qui déterminent leurs conditions d’application.»

14 L’article L. 233-5-1 du code du travail dispose:

«I. − Les équipements de travail et les moyens de protection mis en service ou utilisés dans les établissements mentionnés à l’article L. 231‑1 doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la sécurité et la santé des travailleurs, y compris en cas de modification de ces équipements de travail et de ces moyens de protection.

II. – Il est interdit de mettre en service ou d’utiliser des équipements de travail et des moyens de protection mentionnés au 1° du III de l’article L. 233-5 qui ne répondent pas aux dispositions prévues au 3° du III du même article.

[…]»

15 Aux termes de l’article L. 236-4 du code du travail:

«Au moins une fois par an, le chef d’établissement présente au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail:

– un rapport écrit faisant le bilan de la situation générale de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail dans son établissement et concernant les actions qui ont été menées au cours de l’année écoulée dans les domaines définis à l’article L. 236-2;

– un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail.

[…]»

16 Conformément à l’article R. 236‑12 du code du travail, «[d]es arrêtés du ministre chargé du travail, du ministre de l’agriculture et du ministre chargé des transports précisent les informations devant figurer au rapport mentionné à l’article L. 236‑4, [deuxième] alinéa, et déterminent la nature des renseignements que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail doivent fournir à l’administration».

La procédure précontentieuse

17 Faisant suite à un courrier de la Commission du 18 février 1992, les autorités françaises ont communiqué à cette dernière les textes législatifs et réglementaires afférents à la transposition de la directive 89/391 en droit national.

18 Estimant que plusieurs dispositions de ladite directive n’étaient pas transposées ou ne l’étaient pas correctement, la Commission a, le 4 mars 1997, notifié à la République française une lettre de mise en demeure.

19 N’étant pas satisfaite des réponses fournies par les autorités françaises, la Commission a adressé, le 1^er juillet 2002, à la République française, au titre de l’article 226 CE, un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour assurer la transposition correcte de la directive 89/391 en droit national dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis.

20 En dépit de la transmission, par les autorités françaises, d’autres dispositions visant à assurer la transposition complète de ladite directive, la Commission, estimant que la République française n’avait toujours pas pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations qui découlent tant de la directive 89/391 que des articles 10 CE et 249 CE, a décidé d’introduire le présent recours.

Sur le recours

21 Dans sa requête, la Commission invoque trois griefs à l’appui de son recours en manquement, tirés de la violation de certains articles de la directive 89/391, et notamment de son article 2, relatif au champ d’application de celle-ci, de son article 10, paragraphe 1, concernant l’information des travailleurs, ainsi que de son article 12, paragraphes 3 et 4, relatif à la formation des travailleurs.

Sur le premier grief

Argumentation des parties

22 La Commission soutient que la République française n’a pas correctement transposé l’article 2 de la directive 89/391 dans la mesure où l’article L. 231‑1‑1 du code du travail français prévoit des exceptions, relatives au champ d’application de la législation en cause, différentes de celles prévues audit article 2. En l’occurrence, les entreprises RATP et SNCF relèveraient des exceptions prévues à l’article L. 231‑1‑1 du code du travail et ne seraient, dès lors, pas astreintes au respect des
obligations imposées par les différents articles de la directive 89/391.

23 À cet égard, la Commission rappelle que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour (voir arrêts du 3 octobre 2000, Simap, C‑303/98, Rec. p. I‑7963, points 34 et 35, et du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835, point 54, ainsi que ordonnance du 14 juillet 2005, Personalrat der Feuerwehr Hamburg, C‑52/04, Rec. p. I‑7111, points 49 à 51), de telles exceptions au champ d’application de la directive susmentionnée, qui est conçu et défini de manière large,
doivent être interprétées de manière restrictive. Or, les exceptions prévues en droit français, concernant les entreprises RATP et SNCF, dépasseraient les limites de ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde des intérêts que la directive 89/391 permet aux États membres de protéger.

24 En ce qui concerne, en premier lieu, la RATP, la Commission constate que le décret n° 60‑73, du 15 janvier 1960 (JORF du 22 janvier 1960, p. 702), soumettant la RATP aux dispositions du code du travail, prévoit, à son article 2, la possibilité de déroger aux dispositions dudit code par décision du ministre des Travaux publics et des Transports. Nonobstant le fait qu’aucune dérogation n’ait jamais été accordée, l’éventualité qu’il y soit recouru rendrait le maintien de cette réglementation
nationale incompatible avec le droit communautaire.

25 En ce qui concerne, en second lieu, la SNCF, la Commission reproche à la République française de ne pas avoir adopté de réglementation soumettant entièrement cette entreprise au champ d’application des articles du code du travail portant transposition de la directive 89/391. En effet, pour être rendues applicables à la SNCF, les dispositions pertinentes du code du travail doivent faire l’objet d’une procédure d’approbation ministérielle au moyen de règlements communément désignés «directives
SNCF». Or, mis à part les articles du code du travail relatifs à l’information des travailleurs ainsi qu’à la consultation et à la participation de ces derniers, rendus directement applicables à la SNCF par la loi n° 82-1153, du 30 décembre 1982, d’orientation des transports intérieurs (JORF du 31 décembre 1982, p. 4004), telle que modifiée, les mesures nécessaires pour rendre applicables à l’égard de la SNCF les autres dispositions du code du travail portant transposition de la directive 89/391
n’auraient pas été prises.

26 Sur ce point, la Commission relève, dans sa requête, que, en ce qui concerne la transposition des articles 3, 5, 7 à 10, 12 et 13 de la directive 89/391, les «directives SNCF» feraient défaut, seraient insuffisantes pour assurer une transposition complète de ladite directive ou ne seraient pas conformes aux termes de cette dernière.

27 À la suite de la présentation par les autorités françaises d’une version mise à jour d’un tableau de concordance entre la directive 89/391, les dispositions du code du travail et les textes applicables à la SNCF, la Commission a renoncé, dans son mémoire en réplique, aux branches du grief relatifs au non-respect des articles 3, 5, 8, 9, paragraphe 1, sous d), 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 2, sous b), de la directive 89/391, en précisant toutefois que les mesures de transposition en
question ont été, pour partie, adoptées après l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé et, que, en tout état de cause, elles ne lui ont été communiquées que dans le cadre de la procédure contentieuse.

28 En revanche, en ce qui concerne les articles 7, 9, paragraphe 1, sous c), et 13, paragraphe 2, sous a), c), e) et f), de la directive 89/391, la Commission estime que les «directives SNCF» sont toujours incomplètes ou incorrectes. Quant à la question de la transposition de l’article 10 de la directive 89/391 à l’égard de la SNCF, elle se réfère aux développements formulés dans le cadre du deuxième grief, relatif aux mesures générales de transposition dudit article en droit français.

29 S’agissant, en premier lieu, de la transposition de l’article 7 de la directive 89/391 concernant les services de protection et de prévention, la Commission constate que la directive SNCF RH 0409, invoquée par les autorités françaises, ne reprend pas les dispositions récemment adoptées par ailleurs en matière de services médicaux du travail, afin de rendre la réglementation française conforme aux exigences dudit article 7.

30 S’agissant, en deuxième lieu, de l’article 9 de la directive 89/391, intitulé «Obligations diverses des employeurs», il ressort de son paragraphe 1, sous c), que l’employeur est obligé de tenir une liste des accidents de travail ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois jours de travail. Cette disposition ne serait que partiellement transposée par les articles L. 236‑4 et R. 236‑12 du code du travail, rendus directement applicables à la SNCF par la loi n° 82‑1153, dans la
mesure où lesdits articles ne se rapporteraient qu’à l’obligation, pour l’employeur, de présenter au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail un rapport écrit faisant le bilan de la situation générale pour l’année écoulée ainsi qu’un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail.

31 S’agissant, en troisième lieu, de l’article 13 de la directive 89/391, relatif aux obligations à la charge des travailleurs, telles qu’énoncées par le paragraphe 2, sous a), c), e) et f), de cet article, la Commission estime, d’une part, que les dispositions de la directive SNCF RH 0347, qui contient des prescriptions très détaillées sur l’utilisation des équipements mentionnés et qui est destinée à rendre applicable à la SNCF l’article L. 233‑5‑1 du code du travail, font insuffisamment
ressortir le caractère contraignant des obligations à la charge des travailleurs, ainsi que l’exige l’article 13, paragraphe 2, sous a) et c), de la directive 89/391. D’autre part, les dispositions de la directive SNCF RH 0324, invoquée par les autorités françaises comme rendant applicable à la SNCF les articles L. 230‑2 et L. 230‑3 du code du travail, ne se rapporteraient qu’au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive 89/391 et ne sauraient donc transposer les obligations incombant aux
travailleurs conformément aux dispositions de l’article 13, paragraphe 2, sous e) et f), de ladite directive.

32 En ce qui concerne la RATP, la République française ne conteste pas la réalité du manquement reproché et signale que la procédure d’abrogation de l’article 2 du décret n° 60-73 dérogeant aux dispositions de la directive 89/391 est en cours.

33 S’agissant, en ce qui concerne la SNCF, en premier lieu, de l’article 7 de la directive 89/391, intitulé «Services de protection et de prévention», la République française indique, tout en reconnaissant la matérialité et le bien-fondé du manquement reproché, que la modification de la directive SNCF RH 0409, rendant applicable à la SNCF la réglementation française la plus récente en matière de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise et/ou de l’établissement, est
en cours et qu’elle permet d’assurer la transposition intégrale dudit article 7 en droit français.

34 S’agissant, en deuxième lieu, de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/391, relatif aux obligations diverses des employeurs, la République française rétorque que l’article L. 236‑4 du code du travail prévoit que le chef d’établissement doit, au moins une fois par an, établir un rapport écrit effectuant un bilan de la situation générale de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail dans son établissement. L’arrêté du 12 décembre 1985 (JORF du 16 janvier 1986,
p. 772), précisant les informations devant figurer au rapport prévu à l’article L. 236‑12 du code du travail, indiquerait la nature des données devant figurer audit rapport et se référerait, entre autres, au nombre total d’accidents de travail dont ont été victimes les salariés de l’établissement, au nombre d’accidents avec arrêt de travail et au nombre d’accidents mortels, au taux de fréquence et à la gravité des accidents, de sorte que ledit article 9, paragraphe 1, sous c), serait correctement
transposé en droit français.

35 S’agissant, en troisième lieu, de l’article 13 de la directive 89/391, relatif aux obligations des travailleurs, la République française admet que les dispositions en cause, et plus particulièrement l’article L. 233‑5‑1 du code du travail, ne distinguent pas entre les obligations pesant sur les employeurs et celles pesant sur les travailleurs, mais elle explique que «leur mise en œuvre s’insère clairement dans la logique définie par les articles L. 230‑2 et L. 230‑3 du code du travail».
Ainsi, en application de l’article L. 230‑2 du code du travail, il appartient au chef d’entreprise de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé tant physique que mentale des travailleurs. En revanche, l’article L. 230‑3 du code du travail imposerait au salarié de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail.
La circonstance que les obligations incombant aux travailleurs doivent être assumées conformément aux instructions données par l’employeur ne se trouverait pas en désaccord avec la directive 89/391, puisque celle-ci renvoie elle-même, au paragraphe 2 de son article 13, aux instructions de l’employeur.

36 En conséquence, la République française estime que la directive SNCF RH 0324, rendant applicable à la SNCF l’article L. 233‑5‑1 du code du travail, et la directive RH 0347, rendant applicable à la SNCF les articles L. 230-2 et L. 230-3 dudit code, assurent une parfaite transposition de l’article 13, paragraphe 2, sous a), c), e) et f), de la directive 89/391.

Appréciation de la Cour

37 L’existence d’un manquement devant être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, il convient, en l’espèce, d’apprécier les dispositions du droit français applicables au 1^er septembre 2002.

38 En ce qui concerne la RATP, il suffit de constater que la République française a elle-même admis que le droit français prévoyait, au 1^er septembre 2002, une possibilité de déroger à l’application de la législation en matière de sécurité et de santé des travailleurs au travail, contrairement aux dispositions de la directive 89/391.

39 Il s’ensuit que, en ce qui concerne la RATP, le grief tiré de la violation de l’article 2 de la directive 89/391 est fondé.

40 En ce qui concerne la SNCF, la Commission s’étant désistée, dans son mémoire en réplique, de certaines branches de son grief, il n’y a plus lieu de les examiner.

41 En revanche, s’agissant en premier lieu des branches de son grief qui subsistent, il y a lieu de relever que, en ce qui concerne la transposition de l’article 7 de la directive 89/391, relatif aux services de protection et de prévention, la République française reconnaît que, au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les textes applicables à la SNCF ne contenaient pas les dispositions les plus récentes adoptées en matière de protection et de prévention des travailleurs.

42 Cette branche du grief doit, dès lors, être considérée comme fondée.

43 En deuxième lieu, s’agissant de la transposition de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/391, la République française se réfère aux informations contenues dans le rapport écrit que l’employeur est tenu de présenter au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail conformément aux articles L. 236‑4 et R. 236‑12 du code du travail.

44 À cet égard, il convient de relever que l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/391 comporte une obligation pour l’employeur de disposer d’une liste des accidents de travail ayant entraîné pour le travailleur une incapacité de travail supérieure à trois jours de travail, liste à laquelle, en vertu de l’article 10, paragraphe 3, sous b), de ladite directive, les travailleurs ou les représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la
sécurité et de la santé doivent avoir accès (voir, en ce sens, concernant les documents exigés par l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/391, arrêt du 7 février 2002, Commission/Allemagne, C‑5/00, Rec. p. I‑1305, point 24).

45 Certes, le rapport écrit dans lequel l’employeur dresse le bilan pour l’année écoulée de la situation générale de l’établissement et qu’il présente, conformément au droit français, au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, contient des données relatives au nombre total des accidents survenus, au nombre des accidents avec arrêt de travail ainsi qu’aux taux de fréquence et de gravité de ces accidents.

46 Toutefois, force est de constater que la législation française ne contient aucune obligation expresse, à la charge de l’employeur, de tenir une liste des accidents de travail ayant entraîné pour le travailleur une incapacité de travail supérieure à trois jours de travail, alors même qu’une telle liste est explicitement exigée par les articles 9, paragraphe 1, sous c), et 10, paragraphe 3, sous b), de la directive 89/391.

47 En l’absence d’une telle disposition en droit français, il convient de conclure que cette branche du grief soulevé par la Commission est également fondée.

48 En troisième lieu, s’agissant de l’article 13, paragraphe 2, sous a), c), e) et f), de la directive 89/391, il convient de rappeler, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, que la directive 89/391, qui tend à la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, n’a pas seulement pour objet d’améliorer la protection des travailleurs contre les accidents du travail et la prévention des risques professionnels, mais vise également à
mettre en œuvre des mesures spécifiques d’organisation de cette protection et de cette prévention (voir arrêt du 22 mai 2003, Commission/Pays-Bas, C‑441/01, Rec. p. I‑5463, point 38).

49 Par ailleurs, les onzième et douzième considérants de cette directive attestent que celle-ci comprend, parmi ses objectifs, un dialogue et une participation équilibrée des employeurs et des travailleurs en vue de l’adoption des mesures nécessaires à la protection de ces derniers contre les accidents du travail et les maladies professionnelles (voir arrêts Commission/Pays-Bas, précité, point 39, et du 6 avril 2006, Commission/Autriche, C‑428/04, Rec. p. I‑3325, point 74). C’est en
privilégiant l’organisation des activités de protection et de prévention de risques professionnels au sein de l’entreprise que l’effet utile de la directive 89/391 peut être assuré le mieux possible (voir arrêts précités Commission/Pays-Bas, point 54, et Commission/Autriche, point 53).

50 Afin d’assurer la pleine efficacité de la directive en cause, sa transposition dans l’ordre juridique des États membres doit donc tenir compte de la répartition des activités de protection et de prévention établie par ladite directive, qui définit, de façon claire et précise, sous des sections différentes, les obligations s’imposant aux employeurs et celles incombant aux travailleurs.

51 Or, force est de constater que la République française admet elle-même, dans son mémoire en duplique, que le libellé de l’article L. 233‑5‑1 du code du travail n’opère aucune différenciation entre les obligations s’imposant aux employeurs et celles incombant, conformément à l’article 13 de la directive 89/391, aux travailleurs. Elle fait néanmoins valoir que la transposition de l’article 13, paragraphe 2, sous a) et c), de ladite directive, imposant aux travailleurs des obligations
spécifiques en matière d’utilisation des machines et de mise en œuvre des dispositifs relatifs à ces machines, résulterait de l’interprétation de l’article L. 233‑5‑1 du code du travail à la lumière des articles L. 230‑2 et L. 230‑3 du même code.

52 À cet égard, il convient de constater, d’une part, que l’article L. 230‑2 du code du travail, qui ne fait que reprendre le libellé de l’article 6 de la directive 89/391, se rapporte aux seules obligations générales des employeurs et ne saurait, dès lors, porter sur les mesures de transposition de l’article 13, paragraphe 2, sous a) et c), de la même directive, qui impose aux travailleurs des obligations spécifiques en matière d’utilisation des machines. D’autre part, le texte de l’article
L. 230‑3 du code du travail, qui prescrit à la charge du travailleur une obligation générale en matière de sécurité et de santé, correspond à celui de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 89/391. Par conséquent, cet article du code du travail ne saurait être valablement invoqué dans le cadre de la transposition de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 89/391, dont les dispositions contiennent sous a), c), e) et f), à la charge des travailleurs, des obligations spécifiques et distinctes
de celle énoncée au paragraphe 1 dudit article.

53 Il s’ensuit que les articles L. 230‑2 et L. 230‑3 du code du travail ne sont de nature à assurer la transposition ni des dispositions de l’article 13, paragraphe 2, sous a) et c), de la directive 89/391 ni de celles sous e) et f) du même article. Le fait que les obligations incombant aux travailleurs doivent être assumées conformément aux instructions données par l’employeur ne revêt, à ce titre, aucune pertinence.

54 Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que, en ce qui concerne la SNCF, les dispositions de l’article 13, paragraphe 2, sous a), c), e) et f), de la directive 89/391 n’ont pas été transposées en droit français, de sorte que cette branche du grief soulevé par la Commission est fondée.

55 Il convient dès lors de conclure que, en ce qui concerne la SNCF, le grief de la Commission, tiré d’une transposition non-conforme de l’article 2 de la directive 89/391, doit être accueilli.

Sur le deuxième grief

Argumentation des parties

56 La Commission fait valoir que l’article 10, paragraphe 1, de la directive 89/391, relatif à l’information des travailleurs, n’a pas été correctement transposé en droit français. Selon elle, même si cette disposition permet d’organiser l’information des travailleurs conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales, qui peuvent tenir compte en particulier de la taille de l’entreprise et/ou de l’établissement, elle ne permet pas de justifier l’absence, à l’égard d’une certaine
catégorie d’entreprises, de toute obligation d’information des travailleurs incombant à l’employeur, comme le prévoit pourtant le droit français.

57 La République française admet que les dispositions nationales en vigueur ne constituent pas une transposition correcte de la directive 89/391.

Appréciation de la Cour

58 En l’espèce, il est constant que les dispositions du code du travail en vigueur au 1^er décembre 2002 permettent d’exclure, en fonction du nombre de salariés, une certaine catégorie d’entreprises de l’obligation d’information des travailleurs incombant à l’employeur et ne sont donc pas conformes aux prescriptions de l’article 10, paragraphe 1, de la directive 89/391.

59 En conséquence, il convient de conclure que le deuxième grief, tiré d’une violation de cette disposition de la directive 89/391, est fondé.

Sur le troisième grief

Argumentation des parties

60 La Commission reproche à la République française de s’être abstenue d’adopter les mesures contraignantes adéquates pour transposer l’article 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 89/391 au secteur des mines.

61 La République française reconnaît que lesdites dispositions n’ont pas encore fait l’objet de mesures de transposition en ce qui concerne le secteur des mines.

Appréciation de la Cour

62 En l’espèce, force est de constater que la réglementation nationale en vigueur au terme du délai fixé dans l’avis motivé ne permet pas de garantir la transposition complète des dispositions de l’article 12, paragraphes 3 et 4, de ladite directive au secteur des mines.

63 Le troisième grief de la Commission, tiré d’une violation dudit article 12, paragraphes 3 et 4, doit donc également être considéré comme fondé.

64 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en ne prenant pas, dans le délai prescrit, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 2, 10, paragraphe 1, ainsi que 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 89/391, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

Sur les dépens

65 En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1) En ne prenant pas, dans le délai prescrit, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 2, 10, paragraphe 1, ainsi que 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette
directive.

2) La République française est condamnée aux dépens.

Signatures

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* Langue de procédure: le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-226/06
Date de la décision : 05/06/2008
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d’État - Directive 89/391/CEE - Mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail - Articles 2, 10, paragraphe 1, ainsi que 12, paragraphes 3 et 4 - Transposition non-conforme.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Trstenjak
Rapporteur ?: Kasel

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2008:318

Source

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