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23/05/2012 | CJUE | N°C‑159/11

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Azienda Sanitaria Locale di Lecce et Università del Salento contre Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce e.a., 23/05/2012, C‑159/11


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME VERICA TRSTENJAK

présentées le 23 mai 2012 ( 1 )

Affaire C‑159/11

Azienda Sanitaria Locale di Lecce

contre

Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce,

Consiglio Nazionale degli Ingegneri,

Associazione delle Organizzazioni di Ingegneri, di Architettura e di Consultazione Tecnico-economica (OICE),

Etacons Srl,

Ing. Vito Prato Engineering Srl,

Barletti – Del Grosso e Associati Srl,

Ordine degli Architetti della Provincia di

Lecce,

Consiglio Nazionale degli Architetti, Pianificatori, Paesaggisti e Conservatori

[demande de décision préjudicielle fo...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME VERICA TRSTENJAK

présentées le 23 mai 2012 ( 1 )

Affaire C‑159/11

Azienda Sanitaria Locale di Lecce

contre

Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce,

Consiglio Nazionale degli Ingegneri,

Associazione delle Organizzazioni di Ingegneri, di Architettura e di Consultazione Tecnico-economica (OICE),

Etacons Srl,

Ing. Vito Prato Engineering Srl,

Barletti – Del Grosso e Associati Srl,

Ordine degli Architetti della Provincia di Lecce,

Consiglio Nazionale degli Architetti, Pianificatori, Paesaggisti e Conservatori

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Italie)]

«Droit des marchés publics — Partenariat public/public — Directive 2004/18/CE — Défaut de procédure de passation des marchés publics — Fourniture d’une prestation de services consistant à étudier et à évaluer la vulnérabilité sismique de certaines structures hospitalières — Contrats conclus entre un pouvoir adjudicateur et une université, institution de droit public — Contrats à titre onéreux dans lesquels la contrepartie ne dépasse pas les coûts encourus — Qualité d’opérateur économique»

I – Introduction

1. Dans la présente demande de décision préjudicielle introduite en vertu de l’article 267 TFUE, le Consiglio di Stato (Italie, ci-après la «juridiction de renvoi») pose à la Cour une question portant sur l’interprétation de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ( 2 ).

2. La demande de décision préjudicielle s’inscrit dans un litige opposant l’Azienda Sanitaria Locale di Lecce (ci-après l’«ASL Lecce») à une série d’associations d’ingénieurs et d’architectes, à l’occasion d’un accord passé entre l’ASL Lecce et l’Università del Salento (ci-après l’«Université») et portant sur l’exécution, à titre onéreux, d’activités d’études et d’évaluation de la vulnérabilité sismique des structures hospitalières de la province de Lecce. Lesdites associations d’ingénieurs et
d’architectes, qui n’ont pas été associées à ce projet, font grief à l’ASL Lecce d’avoir attribué le marché sans procédure de marchés publics et, partant, de manière illégale. L’ASL Lecce objecte que l’accord relève du domaine de la coopération entre pouvoirs publics, puisqu’il a été conclu en vue d’atteindre un objectif d’intérêt général.

3. La Cour se voit offrir une nouvelle fois par cette affaire la possibilité de poursuivre le développement de sa jurisprudence en matière de droit des marchés publics. En partant de son arrêt Commission/Allemagne ( 3 ), la Cour devra décider si une application des dispositions du droit des marchés publics semble justifiée dans une situation telle que celle de la procédure au principal, où une université, institution de droit public, a obtenu d’une autorité publique un marché portant sur une
activité de conseil. Dans cet examen, il convient de prendre en considération différents aspects, par exemple la compétence de l’Université à intervenir en qualité d’opérateur économique ainsi que le caractère compensateur de frais de la contrepartie reçue.

II – Le cadre juridique

A – Droit de l’Union

4. Selon l’article 1er, paragraphes 2, 8 et 9, de la directive 2004/18:

a) Les ‘marchés publics’ sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de la présente directive.

[…]

d) Les ‘marchés publics de services’ sont des marchés publics autres que les marchés publics de travaux ou de fournitures portant sur la prestation de services visés à l’annexe II.

[…]

8.   Les termes ‘entrepreneur’, ‘fournisseur’ et ‘prestataire de services’ désignent toute personne physique ou morale ou entité publique ou groupement de ces personnes et/ou organismes qui offre, respectivement, la réalisation de travaux et/ou d’ouvrages, des produits ou des services sur le marché.

Le terme ‘opérateur économique’ couvre à la fois les notions d’entrepreneur, fournisseur et prestataire de services. Il est utilisé uniquement dans un souci de simplification du texte.

[…]

9.   Sont considérés comme ‘pouvoirs adjudicateurs’: l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.

Par ‘organisme de droit public’, on entend tout organisme:

a) créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial;

b) doté de la personnalité juridique, et

c) dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

[…]»

5. D’après son article 7, la directive s’applique aux marchés publics dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») est supérieure à 206 000 euros pour autant qu’il s’agisse de marchés publics de fournitures et de services qui sont passés par d’autres pouvoirs adjudicateurs que ceux repris à l’annexe IV. D’après l’article 9 de la directive, le calcul de la valeur estimée d’un marché public est fondé sur le montant total payable, hors TVA, estimé par le pouvoir
adjudicateur. Ce calcul tient compte du montant total estimé, y compris toute forme d’option éventuelle et les reconductions du contrat éventuelles.

6. D’après son article 16, sous f), la directive ne s’applique pas aux marchés publics de services concernant des services de recherche et de développement autres que ceux dont les fruits appartiennent exclusivement au pouvoir adjudicateur pour son usage dans l’exercice de sa propre activité, pour autant que la prestation du service soit entièrement rémunérée par le pouvoir adjudicateur.

7. Il ressort de l’article 20 de la directive que les marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe II A sont passés conformément aux articles 23 à 55. L’article 28 dispose que, «[p]our passer leurs marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs appliquent les procédures nationales, adaptées aux fins de la présente directive». L’annexe II A énumère, entre autres, les catégories de services suivantes: «Services de recherche et de développement» (catégorie 8) ainsi que «Services
d’architecture; services d’ingénierie et services intégrés d’ingénierie; services d’aménagement urbain et d’architecture paysagère; services connexes de consultations scientifiques et techniques; services d’essais et d’analyses techniques» (catégorie 12).

B – Droit national

8. L’article 15, paragraphe 1, de la loi no 241 du 7 août 1990, introduisant de nouvelles dispositions en matière de procédure administrative ainsi que d’accès aux documents (nuove norme in materia di procedimento amministrativo e di diritto di accesso ai documenti amministrativi) ( 4 ) prévoit que les administrations publiques ont toujours la faculté de conclure entre elles des accords portant sur une coopération dans des activités d’intérêt commun.

9. L’article 66 du décret du président de la République (Decreto del Presidente della Repubblica) no 382/1980 dispose ce qui suit:

«Les universités peuvent, pour autant que cela n’entrave pas le déroulement de leur fonction scientifique de transmission des connaissances, effectuer des activités de recherche et de conseil fixées au moyen de contrats et de conventions passés avec des entités publiques et privées. L’exécution de ces contrats et conventions sera confiée, en règle générale, aux départements scientifiques [universitaires] et, lorsque ceux-ci n’auront pas été institués, aux institutions ou aux cliniques
universitaires ou à des enseignants à temps plein.

Les recettes provenant des prestations contractuelles visées à l’alinéa précédent seront réparties selon un règlement […]

Le personnel enseignant et non enseignant qui collaborera à ces prestations pourra être rémunéré à hauteur d’une somme dont le total annuel ne pourra dépasser 30 % de la rémunération totale. En tout état de cause, la somme versée au personnel ne devra pas excéder 50 % du total des revenus provenant des prestations.

Le règlement visé au deuxième alinéa 2 déterminera la somme destinée à compenser les frais à caractère général exposés par l’université et les critères d’attribution au personnel de la somme visée au troisième alinéa. […]

Les revenus issus de l’activité visée à l’alinéa précédent constituent des recettes dans le bilan de l’université.»

10. Il ressort en outre de la demande préjudicielle que, en vertu des dispositions spécifiques régissant leur activité, les universités sont les lieux privilégiés de la recherche scientifique.

III – Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

11. Un accord écrit, consistant dans le cahier des charges approuvé par décision du 7 octobre 2009 du directeur général de l’ASL Lecce et la convention connexe, dénommée «contrat de consultant», a été conclu entre l’ASL Lecce et l’Université. Cet accord portait sur l’étude et l’évaluation de la vulnérabilité sismique des structures hospitalières de la province de Lecce à la lumière des réglementations nationales en matière de sécurité des structures et, notamment, des édifices dits «stratégiques».

12. Le cahier des charges définit ainsi la mission à accomplir:

— détermination de la typologie structurelle, des matériaux employés pour la construction et des méthodes de calcul adoptées, vérification sommaire de la situation par rapport aux documents de projets disponibles;

— vérification de la régularité structurelle, analyse sommaire de la résistance globale du bâtiment aux séismes, analyses locales éventuelles des éléments ou sous-systèmes structuraux significatifs pour la détermination de la résistance sismique globale;

— travail sur les résultats visés au point précédent et rédaction de schémas techniques de diagnostic structurel; devront être fournis, en particulier, des rapports sur la typologie structurelle observée, sur les matériaux et l’état de conservation de la structure, en tenant compte spécifiquement des aspects ayant une incidence majeure sur les réponses structurelles aux risques sismiques au lieu de situation de l’ouvrage; des plans techniques de classement de la vulnérabilité sismique des
hôpitaux; des rapports techniques sur les éléments ou sous-systèmes structuraux jugés critiques au regard des risques sismiques avérés; des suggestions préliminaires et une description sommaire des mesures d’adéquation ou d’amélioration sismique susceptibles d’être adoptées, tenant compte en particulier des avantages et des limites des diverses technologies envisageables en termes technico-économiques.

13. D’après le contrat de consultant, l’activité devait se dérouler en étroite collaboration entre le groupe du travail institué par l’ASL Lecce et le groupe de travail universitaire, avec le concours, le cas échéant, de collaborateurs extérieurs hautement qualifiés. La responsabilité scientifique devait incomber à deux personnes désignées, respectivement, par le commettant et par le département scientifique de l’Université. L’ASL Lecce devait être propriétaire de tous résultats obtenus lors
d’expérimentations, mais, en cas de publication des résultats dans un cadre technique ou scientifique, elle s’engageait à citer expressément le département. L’ASL Lecce devait payer à l’Université, pour l’ensemble de la prestation, une somme de 200000 euros hors TVA, en quatre versements. En cas de résiliation prématurée du contrat, l’Université aurait droit à une somme correspondant à la prestation effectuée jusque-là ainsi qu’aux frais exposés.

14. Saisi de trois plaintes déposées par l’Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce, par l’Associazione delle Organizzazioni di Ingegneri, di Architettura e di Consultazione Tecnico-economica (OICE), à laquelle s’étaient jointes les sociétés Etacons Srl, Ing. Vito Prato Engineering Srl, Barletti – Del Grosso e Associati Srl, ainsi que par l’Ordine degli Architetti della Provincia di Lecce, le Tribunale Amministrativo Regionale (TAR) Puglia a déclaré illicite l’adjudication directe du marché
décrit ci-dessus à l’Université pour non-respect des règles des marchés publics.

15. L’ASL Lecce et l’Université ont introduit des pourvois contre ces jugements devant la juridiction de renvoi. Dans sa décision de renvoi, cette juridiction indique les raisons pour lesquelles elle pense que la conclusion d’un tel contrat pourrait être contraire à la directive 2004/18. Au vu de ces raisons, elle se demande si l’accord litigieux répond aux conditions d’un partenariat public/public, tel que la Cour les a dégagées dans sa jurisprudence. Elle estime que certaines considérations vont
certes dans ce sens, mais que l’on ne parvient pas à une certitude, d’autant que d’autres aspects vont dans le sens contraire. Considérant que la jurisprudence de la Cour ne fournit pas d’indices déterminants pour l’interprétation, le Consiglio di Stato a sursis à la procédure et soumis à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La directive 2004/18/CE et, en particulier, son article 1er, paragraphe 2, sous a) et d), ses articles 2 et 28 et son annexe II, catégories 8 et 12, s’opposent-ils à une réglementation nationale qui autorise la passation d’accords sous forme écrite entre deux pouvoirs adjudicateurs aux fins d’une mission d’étude et d’évaluation de la vulnérabilité sismique de structures hospitalières, mission qui doit être accomplie à la lumière des réglementations nationales en matière de sécurité des
structures et, notamment, des édifices dits ‘stratégiques’, en contrepartie d’une rémunération qui ne doit pas dépasser les frais exposés pour l’exécution de la prestation et alors que l’administration chargée d’exécuter la mission est susceptible de revêtir la qualité d’opérateur économique?»

IV – La procédure devant la Cour

16. La demande de décision préjudicielle, portant la date du 9 novembre 2010, est parvenue au greffe de la Cour le 1er avril 2011.

17. Des observations écrites ont été déposées par l’ASL Lecce, l’Université, le Consiglio Nazionale degli Ingegneri (CNI), l’Associazione delle Organizzazioni di Ingegneri, di Architettura e di Consultazione Tecnico-economica (OICE), le Consiglio Nazionale degli Architetti, Pianificatori, Paesaggisti e Conservatori (CNAPPC), par les gouvernements italien, tchèque, polonais et suédois, ainsi que par la Commission européenne dans le délai fixé à l’article 23 du statut de la Cour de justice.

18. Les mandataires ad litem de l’ASL Lecce, de l’Université, du CNI, de l’OICE, du CNAPPC, des gouvernements italien, polonais et suédois, ainsi que de la Commission, ont comparu à l’audience du 27 mars 2012 et y ont présenté des observations.

V – Les arguments essentiels des parties

19. Nous nous référerons à l’exposé des participants à la procédure dans le cadre de notre analyse, pour autant que ce sera nécessaire.

VI – Appréciation juridique

A – Généralités

20. D’après le libellé de la question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaiterait savoir, en substance, si la réglementation nationale en vigueur peut être tenue pour compatible avec la directive 2004/18 dans la mesure où elle autorise des accords tels que ceux décrits dans la question. Si l’on envisage toutefois le problème juridique posé par la présente affaire dans son contexte global, il y a lieu de constater que la question essentielle, dont la Cour devra s’occuper en priorité, porte
sur la compatibilité de l’accord litigieux avec la directive 2004/18. Afin d’apporter à la juridiction nationale une réponse à ses questions qui lui permette de résoudre l’affaire au principal, il semble utile de concentrer l’analyse sur cet aspect. C’est pourquoi, dans le cadre de notre analyse, nous nous demanderons si les dispositions de la directive 2004/18 ont été enfreintes dans le cas d’espèce. Nous ne jugeons pas absolument nécessaire de reformuler la question préjudicielle à cette fin,
d’autant plus que la constatation d’une infraction éventuelle donne un éclairage immédiat sur la compatibilité du droit national en vigueur avec le droit de l’Union. S’il apparaissait, à la suite de l’analyse, que l’accord litigieux ne respecte pas les dispositions de la directive 2004/18, l’état du droit qui prévaut en Italie ne saurait non plus être tenu pour conforme au droit de l’Union.

21. La directive 2004/18 s’opposerait à un accord tel que celui passé entre l’ASL Lecce et l’Université si ce marché, portant sur l’étude et l’évaluation de la vulnérabilité sismique de certaines structures hospitalières, était obligatoirement soumis, en vertu du droit de l’Union, à une procédure de marché public, étant donné qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, d’appel d’offres. Or, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, le marché litigieux a été attribué directement à
l’Université. Si l’existence d’une obligation de suivre la procédure de marché public devait être établie, il conviendrait de rechercher si, le cas échéant, il existerait une possibilité de dérogation autorisant à se passer d’une adjudication publique, auquel cas pourraient être pertinentes tant les dérogations codifiées dans la directive 2004/18 elle-même que la notion juridique, développée par la jurisprudence de la Cour, de partenariat entre autorités publiques dans le but d’accomplir une
mission d’intérêt général.

B – Applicabilité de la directive 2004/18

22. Cela suppose cependant au préalable que l’accord litigieux entre bien dans le champ d’application de la directive 2004/18. Tel est le premier point à vérifier, ce à quoi nous allons nous attacher tout de suite.

1. Existence d’un marché public

a) Prestation de services

23. Pour pouvoir considérer que le champ d’application matériel de la directive 2004/18 est en cause, il faut qu’il existe un «marché public». Il est possible que l’accord litigieux entre dans l’une des catégories de marchés publics qui sont énumérées à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive. À notre avis, compte tenu des informations factuelles dont nous disposons, un classement en tant que «marché public de services» au sens de la définition légale de l’article 1er, paragraphe 2, sous d),
est envisageable. Les marchés publics de services y sont définis comme des «marchés publics autres que les marchés publics de travaux ou de fournitures portant sur la prestation de services visés à l’annexe II». Par leur objet, les travaux confiés à l’Université, d’après l’accord, relèvent de la catégorie 12 de l’annexe II A («Services d’architecture; services d’ingénierie et services intégrés d’ingénierie; services d’aménagement urbain et d’architecture paysagère; services connexes de
consultations scientifiques et techniques; services d’essais et d’analyses techniques»). Il s’agit de travaux techniques complexes, qui portent tant sur le contrôle de la conformité aux règles de la construction que sur la vulnérabilité sismique de bâtiments. Ils ont manifestement un rapport avec l’architecture et englobent une activité de conseil complète dans ce domaine par du personnel qualifié de l’Université.

b) Contrat passé entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique

24. De plus, la définition du «marché public de services», dans la mesure où elle dérive de la notion de marché public à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18, suppose qu’un contrat écrit soit passé entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique.

25. L’exigence légale d’un document écrit est remplie, puisque le «contrat de consultant» conclu le 29 octobre 2009 a été fixé par écrit.

26. D’après l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18, sont considérés comme «pouvoirs adjudicateurs»«l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public». En sa qualité de composante de l’administration publique, l’ASL Lecce remplit les conditions pour être qualifiée de pouvoir adjudicateur au sens de la directive.

27. Pour ce qui est de la qualification éventuelle de l’Université d’«opérateur économique», il y a lieu de constater que cette notion inclut aussi, en vertu de l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18, les «prestataires de services». On entend par là «toute personne physique ou morale ou entité publique ou groupement de ces personnes et/ou organismes qui offre […] des services sur le marché». L’Università del Salento est elle-même, ainsi que le révèlent ses statuts ( 5 ), une
institution de droit public. Présente une pertinence à cet égard la disposition de l’article 66 du décret no 382/1980 du président de la République, qui habilite les universités à passer des contrats et des conventions avec des entités publiques et privées en vue d’effectuer des activités de recherche et de conseil. Il s’ensuit que le droit national autorise les universités à agir non seulement en tant que lieux d’enseignement et de recherche, mais aussi en tant qu’opérateurs économiques au sens
de la définition précitée.

28. On se référera, à cet égard, à l’arrêt CoNISMa ( 6 ), dans lequel la Cour a établi que les universités, en tant qu’opérateurs économiques, ont aussi le droit de prendre part à des procédures de marché. La Cour a déclaré dans cet arrêt que la notion d’opérateur économique n’était pas limitée aux prestataires de services qui étaient dotés d’une organisation d’entreprise ( 7 ). Au contraire, toute personne ou entité qui, au vu des conditions énoncées dans un avis de marché, est apte à assurer
l’exécution de ce marché, indépendamment de son statut, de droit privé ou de droit public, ainsi que de la question de savoir si elle est systématiquement active sur le marché ou si elle n’intervient qu’à titre occasionnel, ou si elle est subventionnée par des fonds publics ou ne l’est pas, peut faire une offre ( 8 ). De plus, la Cour a établi qu’une interprétation restrictive de la notion d’opérateur économique aurait pour conséquence que les contrats conclus entre des pouvoirs adjudicateurs et
des organismes qui n’agissent pas principalement dans un but lucratif ne seraient pas considérés comme des marchés publics, qu’ils pourraient être passés de gré à gré et qu’ils échapperaient ainsi aux règles de l’Union en matière d’égalité de traitement et de transparence, contrairement à la finalité de ces règles.

29. En conséquence, l’accord passé entre l’ASL Lecce et l’Université est à considérer comme un contrat écrit conclu entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique.

c) Caractère onéreux de la prestation

30. Une autre condition pour qu’un accord soit qualifié de «marché public» au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18est son caractère onéreux. Cette notion exige qu’à la prestation de services par le soumissionnaire corresponde aussi une obligation de rétribution de la part du pouvoir adjudicateur. À côté de l’implication de deux personnes, la réciprocité est envisagée ici sous la forme d’un échange de prestations matérielles. Cette réciprocité de la relation
contractuelle est nécessaire au caractère obligatoire de la procédure de marché.

31. En l’occurrence, l’ASL Lecce s’est, certes, engagée dans l’accord litigieux à rémunérer l’Université. Cependant, la contrepartie promise a ceci de particulier qu’elle a été calculée de manière à ne pas dépasser les coûts exposés. Dans ce cas, la question se pose de savoir si une rémunération qui ne couvre que les coûts répond à la définition du «caractère onéreux». À notre avis, il existe quelques arguments en faveur d’une interprétation large de cette notion, allant jusqu’à englober tout type
de rétribution constitué par une somme en argent.

32. Ainsi que la juridiction de renvoi l’observe à juste titre dans sa demande de décision préjudicielle ( 9 ), l’absence de profit, à elle seule, ne fait pas de l’accord un accord passé à titre gratuit. Considéré d’un point de vue économique, cet accord reste à titre onéreux, d’autant plus que le destinataire reçoit de toute façon une prestation évaluable en argent ( 10 ), et il pourrait donc, en principe, relever ainsi du champ d’application de la directive 2004/18. Par ailleurs, il est légitime
de soutenir que seule une interprétation large de la notion de «caractère onéreux» est à la mesure de la finalité des directives en matière de marchés publics, qui est d’ouvrir les marchés en vue de garantir une concurrence réelle ( 11 ). C’est ainsi seulement qu’il est possible de garantir l’efficacité pratique de ces directives et d’empêcher que le droit des marchés publics ne soit contourné, par exemple en convenant d’autres formes de rétribution, qui ne permettent pas de reconnaître
l’intention lucrative au premier regard, sous la forme de troc, ou de renonciation entre les parties à des créances réciproques ( 12 ).

33. Une telle interprétation de la notion de «caractère onéreux» est aussi en harmonie avec la définition étendue que la Cour en a donnée aux fins de la libre prestation des services de l’article 56 TFUE ( 13 ). Au vu de la circonstance que la directive 2004/18, d’après sa base juridique, l’article 95 CE (actuel article 114 TFUE), est destinée à servir la mise en œuvre des libertés fondamentales dans le marché intérieur, ce qui apparaît dans son considérant 2, une interprétation large de la notion
de «caractère onéreux» semble cohérente. Conformément à cette interprétation large, on ne saurait exiger forcément que le prestataire de services poursuive un but lucratif. Bien au contraire, il doit suffire que le prestataire de services rentre dans ses frais en étant remboursé pour les coûts exposés. Même de simples indemnisations doivent être comprises dans la notion de caractère onéreux ( 14 ).

34. En conséquence, l’accord en question revêt un caractère onéreux et l’on est en présence, dans le cas d’espèce, d’un «marché public de services» au sens de la définition de l’article 1er, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004/18.

2. Les seuils à atteindre

a) Le seuil pertinent est-il dépassé?

35. Les directives en matière de marchés publics et leurs règles procédurales strictes ne s’appliquent pas à tout marché de faible envergure. Il faut que la contrepartie du marché en cause atteigne un certain seuil pour que ce marché relève des règles sur les marchés publics. Ne serait-ce que pour des raisons de proportionnalité, ces procédures, souvent très dispendieuses, ne doivent pas s’appliquer au moindre marché. De plus, une limite basse n’est pas favorable aux manifestations d’intérêt de la
part d’opérateurs transfrontaliers, ce que l’on ne saurait négliger.

36. Ainsi, l’institution d’un seuil a pour effet de répartir les marchés publics en deux catégories. Au-delà de ce seuil, les règles détaillées fixées par les directives doivent être respectées. En deçà du seuil, seules s’appliquent les règles essentielles du droit de l’Union en la matière, y compris les principes non écrits qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour. Cette division s’avère pertinente en l’occurrence, car il est possible que le seuil ne soit pas atteint dans l’affaire au
principal, point que nous allons vérifier.

37. D’après l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/18, le calcul de la valeur estimée d’un marché public est fondé sur le montant total payable, hors TVA, estimé par le pouvoir adjudicateur. Ce calcul tient compte du montant total estimé, y compris toute forme d’option éventuelle et les reconductions du contrat éventuelles. Ainsi qu’il ressort du dossier, l’ASL Lecce s’est engagée à payer une contrepartie de 200000 euros, hors TVA. Si l’on prend cette somme comme la valeur estimée des
prestations contractuelles convenues, il y a lieu de constater qu’elle est inférieure au seuil de 206000 euros tel qu’il était fixé à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/18 dans sa version applicable au 29 octobre 2009, c’est-à-dire à la date de la conclusion de l’accord litigieux. Partant, la compatibilité de l’accord litigieux avec le droit des marchés publics de l’Union ne devrait pas non plus être appréciée à l’aune de la directive 2004/18. Seul le droit primaire et,
surtout, les dispositions relatives aux libertés fondamentales devraient être pertinents à cet égard.

38. Par ailleurs, ainsi que le souligne la Commission dans ses observations écrites ( 15 ), on ne saurait passer sous silence le fait que le seuil a été abaissé peu de temps après à 193000 euros par le règlement (CE) no 1177/2009 de la Commission, du 30 novembre 2009 ( 16 ), avec effet au 1er janvier 2010. Ainsi la valeur estimée des prestations dépasserait-elle le nouveau seuil. La question se pose donc de savoir quel seuil retenir dans le cas d’espèce. Cette question dépend à son tour de celle de
savoir quelle est la version de la directive 2004/18 qui s’applique ici. Pour pouvoir répondre à cette question, il convient de déterminer la date pertinente aux fins de l’applicabilité d’une directive en matière de marchés publics.

39. La directive 2004/18 comporte un ensemble de dispositions qui doivent aider à déterminer la date pertinente pour le calcul de la valeur d’un marché. Ainsi l’article 9, paragraphe 2, de ladite directive prévoit-il, par exemple, que la date pertinente pour cette estimation est celle de l’envoi de l’avis de marché ou, dans les cas où un tel avis n’est pas requis, celle où le pouvoir adjudicateur engage la procédure. Il serait donc envisageable, en principe, de partir de cette disposition pour
déterminer l’applicabilité temporelle de la version pertinente de la directive 2004/18. On observera cependant que ces règles sont fondées sur la prémisse qu’une procédure de marché public a bien eu lieu. Elles n’indiquent pas la conduite à suivre lorsque – comme c’est le cas ici – il n’y a pas eu d’appel d’offres, quelle que soit la raison de cette omission. Étant donné qu’il n’existe pas de règles expresses dans ce cas, quelques réflexions de principe s’imposent afin de trouver une solution
qui tienne compte suffisamment de la situation.

40. Dans nos conclusions dans l’affaire Commission/Allemagne ( 17 ), nous avons attiré l’attention sur la circonstance que les seuils fixés dans les directives en matière de marchés publics faisaient l’objet d’adaptations régulières. Dans ces conditions, il était nécessaire de disposer de règles claires sur la définition des seuils pertinents. C’est pourquoi nous avions proposé dans ces conclusions, en l’absence d’appel d’offres, de considérer la date des négociations contractuelles comme la date
pertinente pour la détermination du seuil pertinent et, partant, directement aussi pour l’applicabilité temporelle d’une directive en matière de marchés publics ( 18 ). Cela paraît raisonnable, d’autant plus que, à cette date, il existe une certitude suffisante quant à l’ampleur du marché et à sa valeur estimée. Les règles précitées de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2004/18 reposent sur la même réflexion. Étant donné qu’il y a lieu de partir de la prémisse que, au plus tard à la date
de la conclusion du contrat, il existait une certitude définitive sur la valeur estimée du marché, cette date devrait être la date pertinente dans la présente affaire. Il s’ensuit que, en l’occurrence, c’est la version précédente de la directive 2004/18 qui s’applique. Étant donné que la valeur de la prestation contractuelle convenue est inférieure au seuil qui y est fixé, ainsi que nous l’avons vu, la compatibilité de l’accord litigieux avec le droit des marchés publics de l’Union ne devrait,
en principe, être vérifiée qu’à l’aune du droit primaire.

41. Certes, les traités ne comportent pas de dispositions explicites en matière de droit des marchés publics ( 19 ). Cependant, la Cour a dégagé dans ce domaine des principes à partir des libertés fondamentales, de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité ainsi que du principe d’égalité de traitement, et elle a fixé des exigences concrètes, à apprécier au cas par cas, que les pouvoirs adjudicateurs ont l’obligation de respecter. Ainsi le principe d’égalité de traitement, qui fait
partie du droit primaire, exige-t-il, en matière de droit des marchés publics, que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres, et cela indépendamment de leur nationalité ( 20 ). De cette exigence d’égalité de traitement et de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité découle une obligation de transparence, qui consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une
ouverture de la concession des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’adjudication ( 21 ).

42. Une analyse approfondie du respect des principes du droit des marchés publics issus du droit primaire se heurte cependant au manque d’informations et d’explications nécessaires de la part de la juridiction de renvoi. La raison en est, entre autres, que celle-ci a limité sa demande d’interprétation du droit de l’Union à la directive 2004/18. Les observations de la juridiction de renvoi portent donc exclusivement sur des points présentant une pertinence pour l’interprétation de cet acte du droit
dérivé.

43. Qu’il soit rappelé, dans ce contexte, que la Cour a insisté, à propos de la recevabilité des demandes préjudicielles, sur l’exigence d’une présentation suffisante du cadre juridique et factuel de l’affaire au principal dans l’ordonnance de renvoi. Cette exigence doit permettre à la Cour, d’une part, de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national ( 22 ) et, d’autre part, de donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties
intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice ( 23 ). Ces deux objectifs ne pourront être satisfaits, au moins dans la présente affaire, que si la juridiction de renvoi adresse à la Cour une demande d’interprétation du droit primaire qui en tienne compte et apporte les explications nécessaires en complément de son exposé du cadre juridique et factuel de l’affaire au principal. Il est donc judicieux d’attirer l’attention de la
juridiction de renvoi sur la possibilité de présenter une demande préjudicielle reformulée.

44. Une reformulation de la demande préjudicielle ne devrait cependant être envisagée que s’il était définitivement confirmé que le seuil pertinent n’a, en fait, pas été atteint. Il appartient au juge national de procéder aux nécessaires constatations factuelles afin d’exclure avec certitude qu’il n’y ait pas à prendre d’autres sommes en considération comme entrant dans la contrepartie convenue. Il faut, en particulier, se demander comment la valeur du marché attribué par l’ASL Lecce a été calculée.
Le juge national devra vérifier tout un ensemble de points en se demandant, entre autres, si des postes de dépenses n’ont pas pu être fixés à un niveau trop bas, si l’accord contractuel prévoyait l’adaptation a posteriori de ces postes aux coûts réels et s’il a été convenu entre les parties d’une répartition des tâches, incluant une imputation séparée des postes de dépenses ( 24 ). Ces points requièrent tout particulièrement des éclaircissements, compte tenu du fait que, dans l’affaire au
principal, le seuil n’est pas loin d’être atteint.

b) Présomption de pertinence de la question préjudicielle

45. S’il apparaissait que la valeur du marché est effectivement inférieure au seuil pertinent, en l’occurrence, de 206000 euros, cette circonstance jetterait des doutes sur la pertinence de la demande préjudicielle, d’autant plus que celle-ci vise expressément l’interprétation de la directive 2004/18, alors que c’est plutôt le droit primaire qui est applicable. Le cas échéant, il se pourrait que la demande préjudicielle se révélât non pertinente dans la mesure où le rapport qu’elle entretient avec
la réalité ou avec l’objet de l’affaire au principal n’est pas absolument clair.

46. On rappellera cependant ici que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la collaboration entre les juridictions nationales et la Cour instituée par l’article 267 TFUE, c’est le juge national qui est le mieux placé pour apprécier, compte tenu des particularités du litige dont il se trouve saisi, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions posées à la Cour ( 25 ). Dans la mesure où les questions posées ont
trait à l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue d’y répondre ( 26 ).

47. Par conséquent, la présomption de pertinence des questions posées par les juridictions nationales à titre préjudiciel ne peut être écartée que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation des dispositions du droit de l’Union mentionnées dans les questions n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ( 27 ). Cela ne s’applique cependant pas à la présente affaire, d’autant plus que l’on ne saurait exclure que,
après avoir apprécié toutes les circonstances de l’affaire, en particulier la manière dont a été calculée la valeur du marché attribué par l’ASL Lecce ( 28 ), la juridiction de renvoi parvienne à la conclusion que, en définitive, l’application de la directive 2004/18 s’impose en l’espèce, parce que le seuil pertinent a été dépassé.

48. Par conséquent, la Cour est tenue d’accéder à la demande de la juridiction de renvoi et d’interpréter la directive 2004/18.

3. Défaut de pertinence d’un cas de dérogation

49. Alors que les seuils constituent une première limite, purement financière, du droit des marchés publics, les directives comportent également des cas de dérogation explicites, appliqués dans des domaines particuliers. Il convient d’en distinguer les exceptions non écrites que la Cour a dégagées dans sa jurisprudence et qui ont trait essentiellement à des situations dans lesquelles des autorités publiques régionales ou locales entreprennent des missions communes dans un but d’intérêt général. Les
dispositions dérogatoires servent, par leur objet même, à affiner les directives en matière de marchés publics. En particulier, doivent être exclus du champ d’application du droit des marchés publics des secteurs dans lesquels il n’existe pas de risques spécifiques pour la concurrence, ni d’intérêt commercial transfrontalier, ou encore des secteurs dans lesquels l’application du droit des marchés publics ne serait pas adaptée à leurs particularités et à leurs besoins spécifiques ( 29 ).

50. Indépendamment du point de savoir quel type de dérogation est pertinent dans un cas donné, il convient de considérer le fait que, en raison de la finalité des directives en matière de marchés publics, qui est de soumettre l’attribution des marchés étatiques dans tous les États membres à des règles communes et d’introduire, de manière générale, des considérations de concurrence dans ce domaine, les dispositions dérogatoires des directives sont exhaustives et, de surcroît, d’interprétation stricte
en principe ( 30 ).

51. Dans le cas d’espèce, il est possible d’envisager des dérogations, tant codifiées que non écrites, dont l’applicabilité va être examinée systématiquement dans cet ordre.

a) Les cas de dérogation codifiés

i) Prestation de services fondée sur un «droit exclusif»

52. On envisagera tout d’abord le cas de dérogation de l’article 18 de la directive 2004/18. Selon cette disposition, «[la] présente directive ne s’applique pas aux marchés publics de services attribués par un pouvoir adjudicateur à un autre pouvoir adjudicateur […] sur la base d’un droit exclusif dont ceux-ci bénéficient en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives publiées, à condition que ces dispositions soient compatibles avec le traité». Ce cas de dérogation ne
serait donc pertinent que s’il apparaissait que l’Université est investie du droit exclusif de fournir des prestations de services telles que celles qui sont convenues.

53. Il suffira d’observer ici que, même si le droit italien, à l’article 6, paragraphe 4, de la loi no 168/1989, déclare que les universités sont le «lieu privilégié de la recherche scientifique», et qu’il les autorise, à l’article 15 de la loi no 241/1990, à «conclure [avec d’autres administrations publiques] des accords portant sur une coopération dans des activités d’intérêt commun», il n’en découle pas de droit exclusif au sens indiqué ci-dessus. On ne trouvera, ni dans l’ordre juridique italien
ni dans le droit de l’Union, de droit exclusif, consacré par la loi, qui réserve aux universités les activités d’études et d’évaluation de la vulnérabilité sismique des structures hospitalières à la demande des autorités publiques. Il convient d’approuver ici le gouvernement tchèque ( 31 ), selon lequel la nature des activités correspond plutôt à une activité de recherche accessoire de l’Université, et qu’elle ne sert donc pas à l’accomplissement de sa fonction scientifique fondamentale de
transmission des connaissances, pour laquelle l’Université bénéficie d’un droit exclusif dans le cadre des systèmes de formation de chacun des États membres.

54. Par conséquent, le cas de dérogation prévu à l’article 18 de la directive 2004/18 n’est pas pertinent en l’espèce.

ii) La dérogation spéciale prévue pour les services de recherche et de développement

55. Il convient, en outre, de rechercher si la dérogation spéciale prévue à l’article 16, sous f), de la directive 2004/18 s’applique dans le cas d’espèce. Selon cette disposition, la directive ne s’applique pas aux marchés publics de services «concernant des services de recherche et de développement autres que ceux dont les fruits appartiennent exclusivement au pouvoir adjudicateur pour son usage dans l’exercice de sa propre activité, pour autant que la prestation du service soit entièrement
rémunérée par le pouvoir adjudicateur».

56. Ce dernier critère est rempli dans la mesure où l’ASL Lecce s’est engagée par contrat à verser une contrepartie. Il n’est pas certain, en revanche, que les autres critères le soient aussi. Même si, en effet, l’ASL Lecce devait, selon le contrat de consultant, acquérir la propriété de tous résultats obtenus lors d’expérimentations, elle s’était néanmoins engagée, en cas de publication des résultats dans un cadre technique ou scientifique, à citer expressément le département scientifique. Cela
soulève la question de savoir dans quelle mesure l’ASL Lecce était titulaire d’un droit de propriété exclusif sur les résultats obtenus lors d’expérimentations. On ne saurait exclure en principe que ce fût le cas. En l’absence de précisions sur le contenu de l’accord et sur les conséquences juridiques qui en découlent en vertu du droit national, il n’est pas possible d’établir avec certitude que ce critère de la dérogation prévue à l’article 16, sous f), de la directive 2004/18 soit rempli. Il
faudrait pour cela rechercher et évaluer les circonstances de fait, ce à quoi la Cour n’est pas habilitée dans le cadre d’une procédure de l’article 267 TFUE ( 32 ). Cela relève plutôt de la compétence du juge national. Il appartient ainsi à celui-ci de rechercher si la dérogation prévue à l’article 16, sous f), de la directive 2004/18 est applicable au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

b) Cas de dérogation non écrits

57. Ainsi que nous l’avons déjà évoqué, la Cour a développé, par voie de construction jurisprudentielle, deux autres cas de dérogation, ce que l’on appelle les procédures «in-house» et diverses formes de coopération intercommunale ( 33 ). Il est utile d’en exposer les caractéristiques essentielles, en vue de vérifier leur applicabilité au cas d’espèce.

i) Les procédures «in-house»

58. Les procédures «in-house» supposent par définition un échange de prestations ayant lieu – d’un point de vue juridique – au sein d’une seule et même autorité. Les procédures «in-house» ne constituent donc pas des procédures d’acquisition de prestations, puisque le pouvoir adjudicateur se les procure par ses propres moyens. Le droit des marchés publics ne s’y oppose pas, ainsi que l’a établi la Cour dans son arrêt Stadt Halle et RPL Lochau ( 34 ). La Cour y a expliqué qu’«[une] autorité publique,
qui est un pouvoir adjudicateur, a la possibilité d’accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques et autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services». D’après la Cour, «[dans] un tel cas, il ne peut pas être question de contrat à titre onéreux conclu avec une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur». Ainsi, il n’y a pas lieu d’appliquer les règles de l’Union en matière de
marchés publics à de tels cas de figure ( 35 ).

59. On examinera également, dans le cadre de la même problématique, la situation dans laquelle une institution de droit public attribue un marché à une personne qui, certes, est juridiquement indépendante, mais avec laquelle elle entretient des relations particulières ( 36 ). Il s’agit en définitive, dans ce cas aussi, de savoir s’il existe un marché soumis à l’obligation d’appel d’offres. La question qui se pose d’emblée est celle de savoir si deux personnes distinctes, intervenant l’une à titre de
pouvoir adjudicateur et l’autre à titre de soumissionnaire, peuvent être impliquées dans le processus. Si l’identité des personnes peut être réfutée d’emblée en raison de leur indépendance juridique, il n’est pas rare que la question de savoir si, dans une procédure concrète, elles se présentent l’une à titre de pouvoir adjudicateur et l’autre à titre de soumissionnaire réserve des difficultés. Selon le cas, il se peut que les deux personnes concernées par un certain contrat soient liées entre
elles de telle manière que, faute de marché, il n’y a pas d’obligation d’appel d’offres.

60. Selon la Cour, il suffit en principe, pour qu’il y ait obligation de procéder à un appel d’offres, qu’un accord soit passé entre un pouvoir adjudicateur et une personne qui en est juridiquement distincte. Depuis l’arrêt de principe Teckal ( 37 ), la Cour part cependant de la prémisse qu’un appel d’offres n’est pas nécessaire et, par conséquent, qu’il existe, en définitive, une procédure «in-house»«dans l’hypothèse où, à la fois, la collectivité territoriale exerce sur la personne en cause un
contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent» ( 38 ).

61. Il convient cependant de relever que nous ne sommes en présence d’aucun de ces deux cas de figure. Premièrement, le contrat qui est en cause ici a été conclu entre deux personnes juridiques distinctes. Deuxièmement, il est constant, d’après les éléments fournis par la juridiction de renvoi ( 39 ), que l’ASL Lecce n’exerce aucune sorte de contrôle sur l’Université. Il ne saurait par conséquent être question d’une procédure «in-house».

ii) La coopération intercommunale

62. Une autre exception non écrite résulte des principes jurisprudentiels qui, dans l’arrêt Commission/Allemagne ( 40 ), ont trouvé une consécration ( 41 ). Cet arrêt indique les circonstances dans lesquelles la coopération intercommunale doit être exclue du champ d’application du droit des marchés publics et les formes que cette coopération est susceptible de revêtir ( 42 ). C’est pourquoi, entre autres, il est utile de résumer les faits qui sont à l’origine de cette décision ainsi que les grands
traits de l’argumentation de la Cour.

– L’argumentation de la Cour dans l’arrêt Commission/Allemagne

63. L’objet de cette action en manquement était l’attribution, sans appel d’offres européen, du marché d’enlèvement des déchets des quatre Landkreise de Basse-Saxe de Rotenburg (Wümme), Harburg, Soltau-Fallingbostel et Stade, à Stadtreinigung Hamburg, entreprise publique revêtant la forme juridique d’un établissement de droit public. Il était prévu, à titre de contrepartie, une rémunération annuelle, assortie d’un mécanisme d’adaptation des prix, sur la base des quantités livrées. La durée du
contrat était de 20 ans. Les parties étaient convenues, au plus tard cinq ans avant l’échéance du contrat, d’entreprendre des discussions sur une éventuelle prorogation du contrat.

64. La Cour a rejeté le recours de la Commission, ne voyant aucune infraction à la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), dans la conclusion du contrat d’enlèvement des déchets sans procédure de marché public et sans appel d’offres européen. La Cour a écarté une éventuelle obligation d’appel d’offres au motif, en substance, que le contrat litigieux instaurait une coopération entre
collectivités locales ayant pour objet d’assurer la mise en œuvre d’une mission de service public qui était commune à ces dernières, à savoir l’élimination de déchets ( 43 ). La Cour est parvenue à cette conclusion en soumettant le contrat à une analyse approfondie dans le cadre de laquelle elle a dégagé les traits qui, à son avis, caractérisent la coopération intercommunale. Ces traits, ainsi que nous le montrerons, sont en même temps les critères qui permettent de déterminer si un certain
accord passé entre des autorités publiques relève de la dérogation non écrite concernant la coopération intercommunale. En d’autres termes, ils constituent les éléments qui caractérisent un cas de dérogation.

65. Il est frappant d’observer que la coopération intercommunale se caractérise, aux yeux de la Cour, par l’effort de toutes les collectivités territoriales intéressées pour exécuter efficacement une tâche d’intérêt public. La raison qui légitime la soustraction de ce secteur au champ d’application du droit des marchés publics est la constatation – déjà dans l’arrêt Coditel Brabant ( 44 ) – qu’une autorité publique peut accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens
ou également en coopération avec d’autres autorités publiques sans être contrainte de faire appel à des entités externes qui n’appartiennent pas à ses services. Cette autonomie suppose cependant, d’après la Cour, qu’un pouvoir adjudicateur doit aussi avoir la liberté de coopérer avec d’autres pouvoirs adjudicateurs et de rassembler ainsi les moyens propres de chacun ( 45 ). Se fondant sur cette argumentation, la Cour a reconnu également aux autorités publiques la liberté de choisir la forme sous
laquelle elles entendent collaborer en vue de l’exécution de leurs missions de service public, que ce soit un simple contrat, comme ici, ou de manière institutionnalisée ( 46 ), en créant une institution de droit public ad hoc. D’une part, elle a justifié formellement sa position, en observant qu’il n’existait pas de règle du droit de l’Union qui prescrive une forme juridique particulière ( 47 ). D’autre part, procédant d’une manière téléologique, elle n’a pas vu non plus de nécessité d’imposer
une forme de coopération aussi longtemps que la concurrence sur le marché intérieur n’était pas faussée par la préférence donnée à une entreprise privée au détriment des autres ( 48 ).

– Les critères fixés par la Cour

66. Contrairement à sa jurisprudence en matière de procédures «in-house» où la Cour a, dès l’arrêt Teckal, résumé les deux critères déterminants dans une formule marquante, on ne trouve pas de formulation comparable dans l’arrêt de principe quant aux prémisses qui permettraient, au-delà du cas d’espèce, de considérer comme licite d’une manière générale la coopération intercommunale sans obligation de passer des marchés publics. Cependant, ainsi que nous l’avons déjà vu, l’argumentation de la Cour
laisse apparaître une série de critères pertinents qui doivent être remplis de manière cumulative. La Cour exempte donc la coopération intercommunale du champ d’application du droit des marchés publics en appliquant les critères suivants:

— exécution d’une tâche ou de tâches d’intérêt public en rapport avec la poursuite d’objectifs d’intérêt général;

— exclusivement par des pouvoirs publics sans intervention de personnes privées;

— sur une base contractuelle ou selon une forme juridique institutionnelle, par exemple un syndicat intercommunal;

— aucune entreprise privée n’est placée dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrentes aux fins de la conclusion du contrat;

— le contrat n’a pas pour but de contourner le droit des marchés publics.

67. On pourrait, en principe, opposer à l’applicabilité directe de cette jurisprudence le fait que, en l’occurrence, il ne s’agisse pas – à la différence du contexte sous-jacent à l’arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne – d’une coopération entre deux collectivités territoriales. En fait, la présente affaire concerne plutôt un accord contractuel passé entre une autorité d’une collectivité territoriale et un organisme de droit public. Dans ces conditions, il faudrait se demander dans quelle
mesure il est possible, à partir d’un cas de dérogation fondé sur cette jurisprudence, d’inclure des formes de coopération telles que celle en cause ici.

iii) La notion juridique de «partenariat public/public»

– Extension du cas de dérogation à diverses formes de coopération entre des autorités publiques

68. Une lecture attentive de l’arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne révèle cependant que l’exception définie par la Cour ne s’oppose pas par principe à de telles formes de coopération.

69. À l’appui de cette thèse, on observera, premièrement, que cette affaire portait sur un contrat conclu entre Stadtreinigung Hamburg et quatre Landkreise limitrophes, Stadtreinigung Hamburg étant un organisme de droit public et non une collectivité territoriale ( 49 ). Deuxièmement, on remarquera que la Cour emploie souvent la notion neutre d’«autorité publique» ( 50 ), laissant ainsi présumer qu’une coopération remplissant les conditions d’application de la dérogation non écrite n’est pas
réservée aux seules communes ( 51 ). Restreindre le champ de la dérogation à la coopération entre des collectivités territoriales serait aussi par trop formaliste et difficilement justifiable compte tenu des différences d’organisation de l’action administrative dans les divers États membres. Il est donc logique, dans ces conditions, d’interpréter largement le champ d’application de ce cas de dérogation non écrit et, partant, de parler d’une «coopération entre des autorités publiques».

70. Il convient donc de poser en prémisse que ce cas de dérogation non écrit peut, en principe, inclure également une situation dans laquelle les cocontractants sont une autorité sanitaire et une université.

– Les critères sont-ils remplis dans le cas d’espèce?

71. Pour que l’ASL Lecce et l’Université puissent se prévaloir de cette dérogation non écrite, il faut que les critères énoncés ci-dessus, qui autorisent une coopération entre des autorités publiques, soient remplis dans le cas d’espèce. Il est constant que l’on est en présence d’un accord contractuel passé exclusivement entre des autorités publiques, sans intervention d’une personne privée sous quelque forme que ce soit, ce qui satisfait d’emblée à plusieurs des critères. D’autres critères
soulèvent en revanche des difficultés et requièrent un examen plus approfondi.

L’accomplissement d’une tâche d’intérêt public

72. En l’occurrence, l’un des points les plus sujets à caution est celui de savoir si le contrat litigieux a été conclu par les deux parties dans le but d’exécuter une tâche d’intérêt public.

73. Ainsi que nous l’avons déjà exposé, l’Université a été chargée d’effectuer des activités d’études et d’évaluation de la vulnérabilité sismique des structures hospitalières de la province de Lecce. Ces travaux doivent être exécutés à la lumière des réglementations nationales édictées en matière de sécurité des structures et, notamment, des édifices dits «stratégiques». Ainsi que l’ASL Lecce l’a expliqué dans ses observations écrites ( 52 ), les résultats de cette étude visaient à servir de base
en vue de ses propres projets futurs d’amélioration de la résistance des structures concernées. Il y a lieu d’en déduire que, en passant le marché portant sur l’accomplissement de cette étude, l’ASL Lecce entendait en fait s’acquitter d’une obligation qui lui était imposée par le droit national dans le but de garantir la sécurité des structures hospitalières. Une telle mission sert l’intérêt public et relève de la compétence de l’État.

74. En conséquence, le contrat litigieux a été passé par les deux parties dans le but d’exécuter une tâche d’intérêt public.

Coopération en vue d’accomplir une mission commune de service public

75. Il est requis en outre que la coopération vise à accomplir une mission commune de service public ( 53 ). Il ne suffit donc pas que l’obligation légale d’exécuter la mission de service public en question ne concerne que l’une des autorités publiques impliquées, alors que l’autre se limite à un rôle d’auxiliaire qui entreprend sur la base d’un contrat une mission qui lui est étrangère. Cette position apparaît défendable si l’on se remémore le sens étymologique du terme «coopération». L’existence
d’une telle coopération repose précisément sur une stratégie, commune aux partenaires, qui est basée sur l’échange et la reconnaissance des intérêts de chacun. Lorsqu’un seul des participants poursuit ses intérêts propres, il est difficile de parler d’une «coopération» au sens décrit ci-dessus ( 54 ).

76. Les indications de la Cour dans l’arrêt Commission/Allemagne ( 55 ) fournissent des indices concrets d’une coopération authentique entre des autorités publiques, s’agissant d’une forme particulière de coopération entre quatre collectivités territoriales et un organisme public, qui leur a permis d’effectuer en commun une mission de service public qui leur incombe à tous, l’élimination des déchets. La Cour a expressément attiré l’attention sur ce point dans ses développements. Ainsi qu’elle l’a
constaté, le rapport entre les cocontractants se caractérisait par la reconnaissance de droits et de devoirs réciproques. De plus, les cocontractants s’engageaient à une assistance et à une sollicitude mutuelles. L’arrêt était donc sous-tendu par des relations d’échange qui allaient au-delà d’une prestation de services en contrepartie d’une simple rémunération ( 56 ).

77. Ainsi que l’ont reconnu avec raison le gouvernement polonais ( 57 ), le CNI ( 58 ) et la Commission ( 59 ), le présent cas se distingue cependant fondamentalement de la situation que nous venons de décrire, car les autorités publiques concernées poursuivent des objectifs différents. Alors que seule l’ASL Lecce est investie d’une obligation légale d’étude et d’évaluation de la vulnérabilité sismique de structures hospitalières, le rôle attribué par la loi à l’Université est la recherche
scientifique. Ce rôle est complété par la fonction traditionnelle de siège académique de transmission de la connaissance, dont il a déjà été question ( 60 ). Il semble clair, dans ces conditions, que l’étude et l’évaluation de la vulnérabilité sismique de structures hospitalières ne sauraient être considérées comme ressortissant à la compétence originelle d’une université. Si l’on observe, en effet, les aspects concrets du cas d’espèce, force est de constater que l’on ne trouve pas de mission
légale correspondante dans le chef de l’Université. Ce point a déjà été établi dans le contexte de l’analyse de l’article 18 de la directive 2004/18 ( 61 ). On ne voit pas davantage de raison de penser que l’Université se chargerait d’elle-même de cette mission. Elle n’en dispose pas moins tant de l’expertise que du personnel et des équipements nécessaires à l’accomplissement de cette mission. C’est à ces moyens qu’a recours l’ASL Lecce pour s’acquitter de sa mission de service public. Elle
profite, d’une certaine manière, des ressources de l’Université. Or, en définitive, seuls les intérêts de l’ASL Lecce sont concernés.

78. Dans ce contexte, la nature des rapports entre les deux participantes revêt de l’importance. Une coopération entre des autorités publiques peut, comme le révèle l’arrêt Commission/Allemagne, être organisée de diverses manières: soit sur une base institutionnelle, par la création d’une structure taillée sur mesure pour les besoins des participantes, à laquelle des compétences sont transférées, ou par le biais de laquelle des compétences sont exercées en commun, ou encore sur une base
contractuelle, par la conclusion d’un contrat de coopération ou d’un accord sur l’accomplissement d’une mission commune de service public ( 62 ). En l’occurrence, il n’y a rien de tel. Le contrat de consultant conclu entre l’ASL Lecce et l’Université ne fixe ni la base ni le cadre juridique d’une coopération au service d’une mission commune de service public. Il n’y a, à la place, qu’une prestation de services contractuelle revêtant la forme d’une consultation technique, pour laquelle il est
prévu une rémunération. En fin de compte, l’ASL Lecce «achète» une étude à l’Université, d’autant plus qu’elle en détient les droits de propriété exclusifs et pourra en disposer comme elle l’entend. L’Université reçoit, quant à elle, une rémunération financière à propos de laquelle on observera à nouveau que le fait qu’elle couvre le coût de la prestation n’enlève rien au caractère onéreux de celle-ci ( 63 ).

79. À cela vient s’ajouter le fait que le contrat de consultant en cause, à la différence de l’accord contractuel sous-jacent à l’arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne, ne prévoit pas d’obligation d’assistance réciproque. Cette conclusion n’est en rien modifiée par la circonstance que les activités prévues devaient être effectuées en étroite coopération entre le groupe de travail désigné par l’ASL Lecce et le groupe de travail de l’Université, étant donné que, en vertu du contrat, il était
admis aussi d’avoir recours à du personnel externe. Les obligations réciproques de soutien étaient donc tenues en lisière et, manifestement, elles ne devaient pas aller au-delà de ce qui était indispensable pour que le groupe de travail de l’Université puisse mener à bien l’étude.

80. Par ailleurs, les observations écrites de l’ASL Lecce ( 64 ) indiquent que, entre les deux groupes de travail institués par celle-ci et par l’Université, en vue de l’accomplissement de la mission de service public prétendument commune, il n’y avait pas d’échange véritable. Bien au contraire, le groupe de travail de l’ASL Lecce devait se consacrer, sur la base des conclusions de l’étude, c’est-à-dire après que l’Université eut accompli sa mission, à l’élaboration de concepts destinés à améliorer
la sécurité des structures analysées. Ce fait vient renforcer la thèse déjà énoncée selon laquelle l’ASL Lecce, en réalité, a confié à l’Université une expertise pour laquelle elle a payé.

81. À l’issue de toutes ces considérations, il convient de constater que le contrat de consultant litigieux ne fonde, au sens de la jurisprudence, aucune coopération véritable entre les autorités publiques participantes dans le but de réaliser une mission commune de service public. Il s’agit donc bien plutôt d’un contrat de services à titre onéreux.

Absence de favoritisme à l’égard d’une entreprise privée par rapport à ses concurrentes

82. De plus, selon les critères fixés par la Cour, aucune entreprise privée ne devrait être placée dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrentes lors de l’attribution d’un marché portant sur une étude.

83. Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, l’Université est apparue en qualité d’«opérateur économique» au sens de l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18 ( 65 ). C’est pourquoi son statut, du point de vue du droit des marchés publics, était le même que celui d’une entreprise privée. Étant donné que l’Université a obtenu ce marché sans qu’il ait été procédé à un appel d’offres public, elle a été placée dans une situation privilégiée par rapport aux associations d’ingénieurs et
d’architectes qui, le cas échéant, eussent été, elles aussi, en mesure de réaliser l’étude en question.

84. Ce critère suppose logiquement et impérativement qu’il existe du tout des concurrents potentiels. On remarquera à ce propos que, dans ses observations écrites, l’ASL Lecce ne conteste pas expressément le fait que d’autres opérateurs économiques auraient pu, eux aussi, mener à bien l’étude en question. Certes, l’efficacité économique, les ressources matérielles et la compétence de l’Université font l’objet de louanges ( 66 ), mais cela n’enlève absolument rien aux aptitudes fondamentales d’autres
opérateurs économiques comme les études d’ingénieurs ou d’architectes. Au vu des observations du CNI à l’appui de sa thèse ( 67 ), selon laquelle une telle activité relève plutôt, en principe, de la compétence des ingénieurs et des architectes, il serait difficile de leur dénier ces aptitudes. Pour autant que l’ASL Lecce ait eu raison de déclarer à l’audience que la complexité de la tâche à accomplir dépassait les capacités des études d’ingénieurs ou d’architectes, elle n’a pu cependant, à la
suite d’une question de la Cour à ce sujet, réfuter que d’autres universités et instituts de recherche privés en Italie et à l’étranger eussent été éventuellement à la hauteur des exigences requises.

85. C’est toutefois au juge national, compétent pour établir les faits, qu’il appartiendra d’éclaircir définitivement ce point. Il faudra pour cela qu’il détermine si les procédures nécessaires pour étudier et évaluer la vulnérabilité sismique sont vraiment d’une complexité telle que seule l’Université désignée – et aucune autre – aurait pu mener à bien cette étude. Il suffira, aux fins de la présente procédure préjudicielle, de relever que, selon toute probabilité, l’ASL Lecce aurait eu le choix
entre différents concurrents potentiels si elle avait lancé un appel d’offres en vue de l’exécution de ladite étude.

86. En conséquence, l’Université a été placée, lors de la conclusion du contrat, dans une situation privilégiée par rapport à des concurrents potentiels. Partant, une autre condition d’application de la dérogation non écrite n’est pas remplie.

Le droit des marchés publics n’est pas contourné

87. Une condition supplémentaire d’applicabilité de la dérogation non écrite au cas d’espèce est que la conclusion du contrat ne doit pas contourner les règles des marchés publics.

88. Nous nous rallierons, à propos de cette condition, à la thèse du gouvernement polonais ( 68 ), selon laquelle il convient de considérer que la concurrence est déjà faussée par le fait qu’il n’y a pas eu d’appel d’offres, bien que, selon toute probabilité, l’étude litigieuse aurait pu être réalisée aussi par les associations d’ingénieurs et d’architectes en concurrence avec l’Université. Il ne faut pas perdre de vue, dans ce contexte, le fait qu’il eût été justement dans l’intérêt de l’ASL Lecce,
en tant que pouvoir adjudicateur, de proposer le marché au plus grand nombre possible de concurrents. Ainsi que l’a expliqué la Cour dans l’arrêt CoNISMa ( 69 ), l’un des objectifs des règles de l’Union en matière de marchés publics est l’ouverture à la concurrence la plus large possible. Cette ouverture à la concurrence la plus large possible est envisagée non pas uniquement au regard de l’intérêt de l’Union en matière de libre circulation des produits et des services, mais également dans
l’intérêt propre du pouvoir adjudicateur impliqué, qui disposera ainsi d’un choix élargi quant à l’offre la plus avantageuse et la mieux adaptée aux besoins de la collectivité publique concernée ( 70 ). L’ASL Lecce s’est privée de cette possibilité en ne permettant pas à des soumissionnaires éventuels de lui faire des offres.

89. Dans ces conditions, nous ne sommes pas convaincue par l’argument de l’ASL Lecce ( 71 ) selon lequel l’attribution du marché à l’Université lui a permis de réaliser des économies considérables, d’autant plus que, faute d’appel d’offres public, elle n’avait pas la possibilité d’étudier les offres de concurrents potentiels. Non seulement l’ASL Lecce n’a pas apporté la preuve de cette allégation, mais elle n’a même pas pu démontrer de manière convaincante comment elle était parvenue au montant
estimatif de 800000 euros que, à son avis, des concurrents – à condition d’être en mesure de réaliser l’étude – auraient demandé. L’allégation, non étayée par des faits, selon laquelle seule l’Université pouvait réaliser l’étude en cause à un prix aussi bas est révélatrice d’une méconnaissance de la finalité du droit des marchés publics.

90. Si l’on autorisait des pouvoirs adjudicateurs – en dehors du domaine du partenariat public/public – à s’adresser à d’autres autorités publiques afin de se procurer des prestations de services sans être soumis aux règles du droit des marchés publics, il serait à craindre que ces règles ne soient contournées à long terme, ce qui, en fin de compte, porterait atteinte à la finalité de l’Union, qui est de garantir la liberté d’établissement et de prestation de services ainsi qu’une concurrence sans
entraves à l’intérieur du marché unique. Pour éviter cela, un contrôle strict du respect des critères fixés par la Cour dans l’arrêt Commission/Allemagne est nécessaire.

91. Il convient donc de constater que le contrat conclu entre l’ASL Lecce et l’Université avait pour but de contourner le droit des marchés publics. Cette constatation milite elle aussi contre une application de la dérogation non écrite.

– Arguments contre la qualification de «partenariat public/public»

92. L’analyse qui précède a montré que plusieurs des critères qui permettent de faire entrer une coopération entre des autorités publiques dans la catégorie du «partenariat public/public» ne sont pas remplis en l’occurrence. Cela vaut d’abord de l’exigence que la coopération vise à accomplir une mission commune de service public ( 72 ). On ne voit pas ici de «coopération» véritable au sens originel, et les participantes ne poursuivent pas de but commun que la loi leur aurait imposé. Il s’agit plutôt
d’une situation dans laquelle une autorité publique a recours, à des conditions financières favorables, aux ressources d’une autre autorité publique. D’un point de vue juridique, il s’agit d’un contrat de services à titre onéreux. De plus, la circonstance que l’Université ait été placée dans une situation privilégiée, à l’occasion de la conclusion du contrat, par rapport à des concurrents potentiels ( 73 ) et que le contrat litigieux ait visé à contourner le droit des marchés publics ( 74 )
plaide contre l’exclusion de l’opération en cause ici du champ d’application du droit des marchés publics. Dans ces conditions, il ne saurait être question ici d’un «partenariat public/public».

c) Conclusion intermédiaire

93. Il y a lieu de constater qu’aucun cas de dérogation pertinent ne permet d’écarter l’application de la directive 2004/18.

4. Résumé

94. On observera, en résumé, que le marché en cause, portant sur la réalisation d’activités d’études et d’évaluation de la vulnérabilité sismique de certaines structures hospitalières, constitue une opération qui est soumise aux règles des marchés publics et à laquelle la directive 2004/18 est applicable. Étant donné que, en l’occurrence, il n’y a pas eu d’appel d’offres, la directive a été enfreinte. Si l’on considère le fait que le droit national autorise des accords tels que celui passé entre
l’ASL Lecce et l’Université, ce droit n’est pas non plus conforme à la directive.

95. Il s’ensuit que la directive 2004/18 et, en particulier, son article 1er, paragraphe 2, sous a) et d), ses articles 2 et 28 et son annexe II, catégories 8 et 12, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui autorise la passation d’accords sous forme écrite entre un pouvoir adjudicateur et une université, institution de droit public, aux fins d’une mission d’étude et d’évaluation de la vulnérabilité sismique de structures hospitalières, mission qui doit
être accomplie à la lumière des réglementations nationales en matière de sécurité des structures et, notamment, des édifices dits «stratégiques», en contrepartie d’une rémunération qui ne doit pas dépasser les frais exposés pour l’exécution de la prestation et alors que l’université chargée d’exécuter la mission est susceptible de revêtir la qualité d’opérateur économique.

VII – Conclusion

96. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre ce qui suit à la question préjudicielle posée par le Consiglio di Stato:

«La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services et, en particulier, son article 1er, paragraphe 2, sous a) et d), ses articles 2 et 28 et son annexe II, catégories 8 et 12, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui autorise la passation d’accords sous forme écrite entre un pouvoir adjudicateur et une
université, institution de droit public, aux fins d’une mission d’étude et d’évaluation de la vulnérabilité sismique de structures hospitalières, mission qui doit être accomplie à la lumière des réglementations nationales en matière de sécurité des structures et, notamment, des édifices dits ‘stratégiques’, en contrepartie d’une rémunération qui ne doit pas dépasser les frais exposés pour l’exécution de la prestation et alors que l’université chargée d’exécuter la mission est susceptible de
revêtir la qualité d’opérateur économique.»

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( 1 )   Langue originale: l’allemand.

( 2 )   JO L 134, p. 114.

( 3 )   Arrêt du 9 juin 2009 (C-480/06, Rec. p. I-4747).

( 4 )   GURI no 192, du 18 août 1990.

( 5 )   Page 2 des observations de l’Université.

( 6 )   Arrêt du 23 décembre 2009 (C-305/08, Rec. p. I-12129).

( 7 )   Ibidem, point 35.

( 8 )   Ibidem, point 42.

( 9 )   Voir p. 22, point 34 de la demande de décision préjudicielle.

( 10 )   Voir Hailbronner, K., Das Recht der Europäischen Union (édité par E. Grabitz et M. Hilf), partie B 5, point 24, p. 4, d’après lequel le critère du caractère onéreux doit être considéré en principe comme rempli dès lors qu’il existe un avantage mesurable en argent. Dans le même sens, Eisner, C., «Interkommunale Kooperationen und Dienstleistungskonzessionen (Teil 1)», Zeitschrift für Vergaberecht und Beschaffungspraxis, 2011, p. 190, selon lequel une certaine opération doit être appréciée sur
la base des dispositions du droit des marchés publics dès lors qu’il est effectivement convenu de rétribuer une prestation.

( 11 )   Voir Frenz, W., Handbuch Europarecht, vol. 3 (Beihilfe- und Vergaberecht), Heidelberg, 2007, p. 617, point 2012.

( 12 )   Ibidem.

( 13 )   Voir arrêt du 27 septembre 1988, Humbel et Edel (263/86, Rec. p. 5365, point 18). Budischowsky, J., Kommentar zu EU- und EG-Vertrag (édité par H. Mayer), Vienne, 2003, article 49 CE, point 8, p. 5, pour qui une contrepartie qui couvre les frais encourus présente déjà le caractère d’une rémunération.

( 14 )   Voir Frenz, W., op. cit. (note 11), p. 618, point 2013.

( 15 )   Voir note 22 des observations de la Commission.

( 16 )   Règlement modifiant les directives 2004/17/CE, 2004/18 et 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne leurs seuils d’application pour les procédures de passation des marchés (JO L 314, p. 64).

( 17 )   Point 143 des conclusions prononcées le 14 avril 2010 (arrêt du 15 juillet 2010, C-271/08, Rec. p. I-7091).

( 18 )   Ibidem.

( 19 )   Voir Frenz, W., op. cit. (note 11), point 1721.

( 20 )   Arrêt du 13 octobre 2005, Parking Brixen (C-458/03, Rec. p. I-8585, point 48).

( 21 )   Arrêts du 6 avril 2006, ANAV (C-410/04, Rec. p. I-3303, point 21), et du 15 octobre 2009, Acoset (C-196/08, Rec. p. I-9913, point 49). Sur le lien entre l’interdiction de discrimination et l’exigence de transparence, voir arrêts du 7 décembre 2000, Teleaustria et Telefonadress (C-324/98, Rec. p. I-10745, points 60 et suiv.); du 21 juillet 2005, Coname (C-231/03, Rec. p. I-7287, points 17 et suiv.); du 13 novembre 2007, Commission/Irlande (C-507/03, Rec. p. I-9777, points 30 et suiv.), et du
21 février 2008, Commission/Italie (C-412/04, Rec. p. I-619, point 66).

( 22 )   Voir arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a. (C‑320/90 à C‑322/90, Rec.p. I‑393, point 6).

( 23 )   Voir arrêts du 21 septembre 1999, Albany (C-67/96, Rec. p. I-5751, point 40), et du 25 mars 2004, Azienda Agricola Ettore Ribaldi e.a. (C-480/00 à C-482/00, C-484/00, C-489/00 à C-491/00, C-497/00 à C-499/00, Rec. p. I-2943, point 73).

( 24 )   En ce qui concerne les méthodes de calcul, toutes les directives en matière de marchés publics comportent des interdictions de contournement expresses. D’une part, la répartition des marchés est prohibée lorsqu’elle a pour objet d’écarter l’application de la directive concernée. D’autre part, les directives excluent que leurs dispositions puissent être contournées par le biais du choix de la méthode de calcul. De plus, il peut être déduit des interdictions de contournement une interdiction
générale des sous-évaluations intentionnelles ou par négligence [voir Frenz, W., op. cit. (note 11), p. 209, point 822, et Trepte, P., Public Procurement in the EU, 2e édition, Oxford, 2007, p. 262 et suiv.].

( 25 )   Cette jurisprudence part du principe que le juge national a une connaissance directe des faits de l’affaire, comme aussi des arguments mis en avant par les parties, et qu’il est donc mieux placé pour apprécier, en pleine connaissance de cause, la pertinence des questions de droit soulevées par le litige dont il se trouve saisi et la nécessité d’une décision préjudicielle, pour être en mesure de rendre son jugement (voir arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, point 21).

( 26 )   Voir, entre autres, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38); du 22 mai 2003, Korhonen e.a. (C-18/01, Rec. p. I-5321, point 19); du 19 avril 2007, Asemfo (C-295/05, Rec. p. I-2999, point 30), et du 1er octobre 2009, Gottwald (C-103/08, Rec. p. I-9117, point 16).

( 27 )   Voir, entre autres, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 61); du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon (C-212/06, Rec. p. I-1683, point 29), et Gottwald (précité note 26, point 17).

( 28 )   Voir point 44 des présentes conclusions.

( 29 )   Voir Frenz, W., op. cit. (note 11), p. 670, point 2197.

( 30 )   Voir arrêts du 10 mars 1987, Commission/Italie (199/85, Rec. p. 1039, point 14); du 18 novembre 1999, Teckal (C-107/98, Rec. p. I-8121, point 43); du 17 novembre 1993, Commission/Espagne (C-71/92, Rec. p. I-5923, point 10), et du 13 janvier 2005, Commission/Espagne (C-84/03, Rec. p. I-139, points 48 et 58).

( 31 )   Voir points 17 et 18 des observations du gouvernement tchèque.

( 32 )   Voir arrêts du 6 avril 1962, de Geus (13/61, Rec. p. 89), et du 5 février 1963, Van Gend & Loos (26/62, Rec. p. 1).

( 33 )   Voir Livre vert de la Commission du 27 janvier 2011 sur la modernisation de la politique de l’UE en matière de marchés publics – Vers un marché européen des contrats publics plus performant (COM/2011/0015 final, p. 24), qui cite les deux cas de figure dégagés par la Cour dans sa jurisprudence. La Commission s’y déclare en faveur de la détermination, lors de l’élaboration de projets de législation, des formes de coopération qui ne doivent pas entrer dans le champ d’application des directives
en matière de marchés publics. Dans cet exercice, il y a lieu de tenir compte aussi des leçons de la jurisprudence de la Cour.

( 34 )   Arrêt du 11 janvier 2005 (C-26/03, Rec. p. I-1).

( 35 )   Ibidem, point 48.

( 36 )   Voir Holoubek, M., EU-Kommentar (édité par J. Schwarze), 2e édition, Art. 49/50 EGV, point 151, p. 753, qui observe que la jurisprudence de la Cour a exclu du champ d’application des directives en matière de marchés publics comme de celui des libertés fondamentales non seulement les prestations internes au sein d’une personne morale, mais aussi les relations de prestations entre un pouvoir public et des institutions déconcentrées.

( 37 )   Arrêt précité note 30.

( 38 )   Voir arrêts Teckal (précité note 30, point 50), Stadt Halle et RPL Lochau (précité note 34, point 49), et du 9 juin 2009, Commission/Allemagne (précité note 3, point 34).

( 39 )   Voir point 35 de l’ordonnance de renvoi.

( 40 )   Arrêt du 9 juin 2009, précité note 3.

( 41 )   Voir Chaminade, A., «Des possibilités de coopération accrues pour les collectivités territoriales», La semaine juridique – édition générale, 2010, no 363, p. 662, qui parle d’un nouveau développement de la jurisprudence de la Cour depuis les arrêts relatifs aux procédures «in-house». Voir Ferk, P., et Ferk, B., «Osebe javnega prava kot ponudniki», Podjetje in delo, 2011, no 4, p. 481 et suiv., qui, dans le contexte de l’arrêt Commission/Allemagne, parlent d’un complément apportée à la
doctrine antérieure relative aux procédures «in-house», dans la mesure où le rapport qui lie les participants est contractuel et non institutionnel.

( 42 )   Voir Pirker, B., «La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance. Chronique des arrêts. Arrêt Commission c/Allemagne», Revue du droit de l’Union européenne, 2009, no 3, p. 574; Broussy, E., Donnat, F., et Lambert, C., Chronique de jurisprudence communautaire, Droit administratif, 2009, p. 1542, qui défendent la thèse selon laquelle l’arrêt Commission/Allemagne établit une nouvelle dérogation en matière de droit des marchés publics.

( 43 )   Voir arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne (précité note 3, point 37).

( 44 )   Arrêt du 13 novembre 2008 (C-324/07, Rec. p. I-8457, point 48).

( 45 )   Voir arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne (précité note 3, point 45).

( 46 )   Voir Steiner, M., «Ausschreibungsfreier Abfallentsorgungsvertrag: Ist das der Anfang vom Ende der sogenannten Teckal-Kriterien?», European Law Reporter, 2009, p. 283, qui, à propos des circonstances factuelles sous-tendant l’arrêt Commission/Allemagne, évoque une «coopération institutionnalisée» de fait.

( 47 )   Voir arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne (précité note 3, point 47).

( 48 )   Ibidem.

( 49 )   Dans ce sens, Wagner, S., «Öffentliche Aufträge: Eine förmliche europaweite Ausschreibung ist nicht erforderlich, wenn öffentliche Stellen i. R. interkommunaler Zusammenarbeit einen Vertrag zur Erfüllung einer ihnen allen obliegenden öffentlichen Aufgabe (Abfallentsorgung) schließen», Europäisches Wirtschafts- & Steuerrecht, 2009, p. 328.

( 50 )   Voir arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne (précité note 3, points 34, 44, 45 et 47).

( 51 )   Dans ce sens, Öhler, M., et Gruber, C., «‘Zusammenarbeit’ iSd EuGH-Urteils Rs Stadtreinigung Hamburg nicht auf Kooperationen zwischen Gebietskörperschaften beschränkt», Zeitschrift für Vergaberecht und Beschaffungspraxis, 2011, p. 288.

( 52 )   Voir p. 3 des observations de l’ASL Lecce.

( 53 )   Voir Struve, T., «Durchbruch für interkommunale Zusammenarbeit», Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht, 2009, p. 807, et Veldboer, W., «Zur Entscheidung für interkommunale Zusammenarbeit durch das EuGH-Urteil ‘Hamburger Stadtreinigung’», Die öffentliche Verwaltung, 2009, p. 360.

( 54 )   Voir Öhler, M., et Gruber, C., op. cit. (note 51), p. 289, qui préconisent que l’accord entre les autorités publiques révèle un «caractère coopératif».

( 55 )   Voir arrêt du 9 juin 2009 (précité note 3, point 37).

( 56 )   Dans ce sens, Struve, T., op. cit. (note 53).

( 57 )   Voir point 22 des observations du gouvernement polonais.

( 58 )   Voir p. 6 des observations du CNI, où celui-ci va jusqu’à mettre en doute que l’étude et l’évaluation de la vulnérabilité sismique des structures hospitalières soient du tout une mission imposée par la loi à l’ASL Lecce.

( 59 )   Voir point 86 des observations de la Commission.

( 60 )   Voir point 53 des présentes conclusions.

( 61 )   Voir point 53 des présentes conclusions.

( 62 )   Dans ce sens, Dreyfus, J-D., et Rodrigues, S., «La coopération intercommunale confortée par la CJCE?», L’actualité juridique; droit administratif, 2009, p. 1720.

( 63 )   Voir point 34 des présentes conclusions.

( 64 )   Voir p. 3 des observations de l’ASL Lecce.

( 65 )   Voir points 27 et 28 des présentes conclusions.

( 66 )   Voir p. 23 et suiv. des observations de l’ASL Lecce.

( 67 )   Voir p. 2 des observations du CNI.

( 68 )   Voir point 23 des observations du gouvernement polonais.

( 69 )   Arrêt précité note 6, point 37.

( 70 )   Le droit des marchés publics fixe des limites à l’autonomie des autorités publiques, dans l’intérêt de la concurrence, en particulier en ce qui concerne le choix du cocontractant. Voir, à propos de l’incidence des objectifs de la politique du marché intérieur sur le droit privé, Wendehorst, C., «Methodenlehre und Privatrecht in Europa», Vom praktischen Wert der Methode – Festschrift für Heinz Mayer zum 65. Geburtstag, Vienne, 2011, p. 829.

( 71 )   Voir p. 15 des observations de l’ASL Lecce.

( 72 )   Voir point 81 des présentes conclusions.

( 73 )   Voir point 86 des présentes conclusions.

( 74 )   Voir point 91 des présentes conclusions.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C‑159/11
Date de la décision : 23/05/2012
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

demande de décision préjudicielle, introduite par le Consiglio di Stato (Italie).

Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 1er, paragraphe 2, sous a) et d) – Services – Étude et évaluation de la vulnérabilité sismique de structures hospitalières – Contrat conclu entre deux entités publiques, dont une université – Entité publique susceptible d’être qualifiée d’opérateur économique – Contrat à titre onéreux – Contrepartie ne dépassant pas les coûts exposés.

Libre prestation des services

Droit d'établissement

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Azienda Sanitaria Locale di Lecce et Università del Salento
Défendeurs : Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Trstenjak

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2012:303

Source

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