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13/02/2014 | CJUE | N°C‑367/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Susanne Sokoll-Seebacher., 13/02/2014, C‑367/12


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 février 2014 ( *1 )

«Liberté d’établissement — Santé publique — Article 49 TFUE — Pharmacies — Approvisionnement approprié de la population en médicaments — Autorisation d’exploitation — Répartition territoriale des pharmacies — Instauration de limites fondées essentiellement sur un critère démographique — Distance minimale entre les officines»

Dans l’affaire C‑367/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite pa

r l’Unabhängiger Verwaltungssenat des Landes Oberösterreich (Autriche), par décision du 24 juillet 2012, parvenue à la ...

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 février 2014 ( *1 )

«Liberté d’établissement — Santé publique — Article 49 TFUE — Pharmacies — Approvisionnement approprié de la population en médicaments — Autorisation d’exploitation — Répartition territoriale des pharmacies — Instauration de limites fondées essentiellement sur un critère démographique — Distance minimale entre les officines»

Dans l’affaire C‑367/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Unabhängiger Verwaltungssenat des Landes Oberösterreich (Autriche), par décision du 24 juillet 2012, parvenue à la Cour le 1er août 2012, dans la procédure engagée par

Susanne Sokoll-Seebacher,

en présence de:

Agnes Hemetsberger, venant aux droits de Susanna Zehetner,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. M. Safjan, J. Malenovský (rapporteur), Mme A. Prechal et M. S. Rodin, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

— pour Mme Sokoll-Seebacher, par Me E. Berchtold-Ostermann, Rechtsanwältin,

— pour Mme Hemetsberger, par Me C. Schneider, Rechtsanwalt,

— pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et T. Müller, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et A. P. Antunes, en qualité d’agents,

— pour la Commission européenne, par MM. G. Braun et I. Rogalski, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE ainsi que des articles 16 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par Mme Sokoll-Seebacher au sujet de l’ouverture d’une nouvelle officine de pharmacie sur le territoire de la commune de Pinsdorf, située dans le Land de Haute-Autriche.

Le cadre juridique autrichien

3 L’article 10 de la loi relative aux pharmacies (Apothekengesetz), telle que modifiée par la loi publiée au BGBl. I, 41/2006 (ci-après l’«ApG»), dispose:

«1.   L’autorisation de créer une officine de pharmacie est à accorder lorsque:

1) un médecin est déjà établi de façon permanente dans la commune d’établissement de l’officine de pharmacie et que

2) il existe un besoin pour la création d’une nouvelle officine de pharmacie.

2.   Un tel besoin n’existe pas lorsque:

1) à la date d’introduction de la demande, il existe déjà, sur le territoire de la commune du lieu d’exploitation projeté, une pharmacie de cabinet et que moins de deux postes de médecins conventionnés […] (postes pleins) sont occupés par des médecins généralistes, ou que

2) la distance entre le lieu d’exploitation projeté de la nouvelle officine de pharmacie à créer et le lieu d’exploitation de l’officine de pharmacie existante la plus proche est inférieure à 500 mètres ou que,

3) en conséquence de cette création, le nombre des personnes qui seront toujours à approvisionner depuis le lieu d’exploitation de l’une des officines de pharmacie existant dans les environs se réduit et sera inférieur à 5 500.

3.   Un besoin, au sens du paragraphe 2, point 1 ci-dessus, n’existe pas davantage lorsque, à la date d’introduction de la demande, il existe, sur le territoire de la commune du lieu d’exploitation projeté de l’officine de pharmacie,

1) une pharmacie de cabinet et

2) un cabinet de groupe conventionné […]

[…]

4.   Les personnes à approvisionner, au sens du paragraphe 2, point 3 ci-dessus, sont les habitants permanents résidant dans un périmètre de moins de 4 kilomètres, par la route, du lieu d’exploitation de l’officine de pharmacie existante et qui, en raison des conditions locales, seront toujours à approvisionner depuis cette dernière.

5.   Lorsque le nombre des habitants permanents, tels que définis au paragraphe 4 ci-dessus, est inférieur à 5 500, il convient de tenir compte, lors de la vérification de l’existence d’un besoin, des personnes qui sont à approvisionner du fait qu’elles travaillent, ont recours à des services ou utilisent des moyens de transport dans cette zone.

6.   La distance visée au paragraphe 2, point 2 ci-dessus, peut exceptionnellement ne pas être respectée lorsque des particularités locales l’exigent de façon pressante dans l’intérêt d’un bon approvisionnement de la population en médicaments.

7.   Il y a lieu de procéder à une expertise effectuée par l’ordre autrichien des pharmaciens sur la question d’un besoin pour la création d’une nouvelle officine de pharmacie. […]

[…]»

4 L’article 47, paragraphe 2, de l’ApG, relatif au «délai d’exclusion», prévoit:

«Une demande d’autorisation d’un candidat doit être rejetée par les autorités administratives de l’arrondissement sans poursuivre la procédure plus avant également dans le cas où une précédente demande d’un autre candidat en vue de créer une nouvelle pharmacie au même lieu a été rejetée au motif de l’absence de l’une des conditions matérielles énoncées à l’article 10, que moins de deux années se sont écoulées depuis la notification de la dernière décision rendue dans cette affaire et qu’il n’y a
pas eu de modification substantielle des conditions locales ayant motivé la première décision. […]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

5 Par décision du 29 décembre 2011, le préfet de Gmunden (Bezirkshauptmann von Gmunden) a rejeté la demande de Mme Sokoll-Seebacher visant à obtenir l’autorisation de créer une officine de pharmacie sur le territoire de la commune de Pinsdorf, au motif qu’il n’existait aucun besoin au sens de l’article 10 de l’ApG.

6 Ce refus est fondé sur un rapport d’expertise de l’ordre des pharmaciens autrichien du 12 avril 2011, ainsi que sur des observations complémentaires à ce rapport, datant du 25 octobre 2011. Selon ces documents, la création d’une nouvelle officine de pharmacie aurait eu pour effet de faire passer le potentiel d’approvisionnement de l’officine de pharmacie exploitée par Mme Zehetner, établie sur le territoire de la commune d’Altmünster qui jouxte celle de Pinsdorf, nettement au-dessous du seuil de
5500 personnes, la clientèle de celle-ci étant réduite à 1513 personnes.

7 Mme Sokoll-Seebacher a contesté cette décision en faisant valoir que, dans les observations complémentaires au rapport d’expertise, l’ordre des pharmaciens autrichien a tenu compte d’une connexion routière directe existant entre les communes voisines de Pinsdorf et d’Altmünster, laquelle, selon le plan des infrastructures de la société des chemins de fer autrichienne, sera prochainement supprimée. Or, selon Mme Sokoll-Seebacher, cette circonstance aurait dû être prise en compte. En outre, il
aurait également fallu prendre en considération le fait que, lorsque Mme Zehetner a créé son officine, elle était parfaitement consciente du fait qu’elle n’atteindrait jamais un nombre de personnes à approvisionner de 5500.

8 Dans ces conditions, l’Unabhängiger Verwaltungssenat des Landes Oberösterreich a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Une réglementation nationale, telle que l’article 10, paragraphe 2, point 3, de l’ApG, en cause dans [l’affaire] au principal, qui ne fixe pas dans la loi elle-même, ne serait-ce que dans leurs traits fondamentaux, les conditions essentielles du critère d’un besoin pour la création d’une nouvelle officine de pharmacie, mais laisse à la jurisprudence nationale le soin de préciser des parties primordiales de son contenu, est-elle contraire au principe de légalité de l’article 16 de la Charte
et/ou au principe de transparence de l’article 49 TFUE, dans la mesure où elle ne permet pas d’exclure que certains des candidats nationaux intéressés, ainsi que l’ensemble de ces derniers vis-à-vis des ressortissants d’autres États membres, bénéficient d’un avantage concurrentiel décisif?

2) Pour le cas où cette première question devrait recevoir une réponse négative: une disposition nationale, telle que l’article 10, paragraphe 2, point 3, de l’ApG, qui fixe comme critère essentiel pour la vérification de l’existence d’un besoin une limite rigide de 5500 personnes, pour laquelle la loi ne prévoit aucune possibilité de déroger à cette règle de base, est-elle contraire à l’article 49 TFUE, dans la mesure où, de facto, cela ne semble pas (nécessairement) assurer une réalisation
cohérente de l’objectif poursuivi au sens [de l’arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C-570/07 et C-571/07, Rec. p. I-4629], points 98 à 101?

3) Pour le cas où la deuxième question appellerait également une réponse négative: une disposition nationale, telle que l’article 10, paragraphe 2, point 3, de l’ApG, dont résultent, en conséquence de la jurisprudence des juridictions suprêmes nationales en matière de vérification de l’existence d’un besoin, d’autres critères de détail – tels que la priorité accordée à la première demande en date; l’effet d’irrecevabilité produit par la procédure en cours à l’égard des candidats ultérieurs; le
délai d’exclusion de deux ans en cas de rejet de la demande; les critères pour déterminer le nombre d’‘habitants permanents’, d’une part, et de ‘visiteurs’, d’autre part, ainsi que pour répartir la clientèle potentielle en cas de recoupement du périmètre de 4 kilomètres de deux ou plusieurs pharmacies, etc. –, est-elle contraire à l’article 49 TFUE et/ou à l’article 47 de la Charte, dans la mesure où cette situation ne permet pas, en règle générale, une application prévisible et prédictible de
cette disposition dans un délai approprié, de sorte (voir arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, points 98 à 101 ainsi que 114 à 125) que l’on peut constater que ladite disposition n’est pas concrètement propre à réaliser l’objectif poursuivi avec la cohérence nécessaire et/ou que, de facto, elle n’assure pas un service pharmaceutique approprié et/ou qu’elle est de nature à déboucher sur une discrimination entre les candidats nationaux intéressés ou entre ces derniers et ceux d’autres États
membres?»

Sur la recevabilité

9 En premier lieu, Mme Zehetner et le gouvernement autrichien ont contesté la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que le litige au principal ne contient pas d’éléments transfrontaliers et relève d’une situation purement interne.

10 À cet égard, il convient de rappeler que, si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal – qui est indistinctement applicable aux ressortissants autrichiens et aux ressortissants des autres États membres – n’est, en règle générale, susceptible de relever des dispositions relatives aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE que dans la mesure où elle s’applique à des situations ayant un lien avec les échanges entre les États membres, il ne saurait nullement être
exclu que des ressortissants établis dans des États membres autres que la République d’Autriche aient été ou soient intéressés à exploiter des pharmacies dans ce dernier État membre (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2013, Venturini e.a., C‑159/12 à C‑161/12, point 25 et jurisprudence citée).

11 Or, s’il ressort, certes, du dossier dont dispose la Cour que la requérante au principal est de nationalité autrichienne et que tous les éléments factuels du litige au principal sont circonscrits à l’intérieur d’un seul État membre, à savoir la République d’Autriche, il n’en demeure pas moins que la réglementation en cause au principal est susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à cet État membre.

12 En outre, même dans une situation purement interne telle que celle en cause au principal, dans laquelle tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, une réponse peut néanmoins être utile à la juridiction de renvoi, notamment dans l’hypothèse où le droit national lui imposerait de faire bénéficier un ressortissant national des mêmes droits que ceux qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait du droit de l’Union dans la même situation (arrêt Venturini e.a., précité,
point 28 et jurisprudence citée).

13 Cette première exception d’irrecevabilité doit, dès lors, être écartée.

14 En second lieu, Mme Zehetner, sans soulever expressément une exception d’irrecevabilité à cet égard, émet des doutes quant à la question de savoir si la demande de décision préjudicielle expose, dans une mesure appropriée, le lien entre les dispositions du droit de l’Union invoquées et la législation nationale applicable au litige au principal. En effet, cette demande de décision préjudicielle serait difficilement intelligible en raison du fait qu’elle ne rendrait compte du droit positif
autrichien que de manière rudimentaire.

15 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêts du 17 février 2005, Viacom Outdoor, C-134/03, Rec. p. I-1167, point 22; du 6 décembre
2005, ABNA e.a., C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/04, Rec. p. I-10423, point 45, ainsi que du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, point 20).

16 La Cour a également mis l’accent sur l’importance de l’indication, par le juge national, des raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. Ainsi, cette dernière a jugé qu’il est indispensable que le juge national donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation et sur le lien qu’il établit entre ces
dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (voir, notamment, arrêts du 21 janvier 2003, Bacardi-Martini et Cellier des Dauphins, C-318/00, Rec. p. I-905, point 43, ainsi que ABNA e.a., précité, point 46).

17 En l’occurrence, la présentation, dans la décision de renvoi, des faits à l’origine du litige au principal et la description du droit national applicable ont permis à la requérante au principal et aux gouvernements des États membres de présenter des observations écrites sur les questions posées. Par ailleurs, ladite décision expose les dispositions du droit de l’Union dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation et explique suffisamment le lien entre celles-ci et la législation
nationale applicable au litige au principal.

18 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.

Sur le fond

Sur les première et deuxième questions

19 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16 de la Charte et/ou l’article 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, dans la mesure où, selon ladite juridiction, cette législation ne fixe pas des critères suffisamment déterminés pour vérifier l’existence d’un besoin d’approvisionnement en médicaments pour la
création d’une nouvelle pharmacie et, dans l’hypothèse d’une réponse négative, si cet article 49 TFUE, en particulier l’exigence de cohérence dans la poursuite de l’objectif recherché, s’oppose à une telle législation dans la mesure où elle fixe, comme critère essentiel pour vérifier une telle existence, une limite rigide, ne pouvant faire l’objet d’une dérogation, en ce qui concerne le nombre de «personnes toujours à approvisionner».

20 Il convient, en premier lieu, de relever que la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation non seulement de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, mais également de l’article 16 de la Charte énonçant la liberté d’entreprise.

21 Or, ledit article 16 dispose que «[l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales». Ainsi, afin de déterminer la portée de la liberté d’entreprise, cet article de la Charte renvoie notamment au droit de l’Union.

22 Ce renvoi doit être entendu en ce sens que l’article 16 de la Charte renvoie, notamment, à l’article 49 TFUE, qui garantit l’exercice de la liberté fondamentale d’établissement.

23 Dans ces conditions et étant donné que les questions posées ne visent que la liberté d’établissement, il convient d’apprécier la réglementation nationale en cause au principal au regard du seul article 49 TFUE.

24 Il convient, en second lieu, de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’un État membre adopte un régime d’autorisation préalable pour l’installation de nouveaux prestataires de soins tels que les pharmacies, lorsqu’un tel régime s’avère indispensable pour combler d’éventuelles lacunes dans l’accès aux prestations sanitaires et pour éviter la création de structures faisant double
emploi, de sorte que soit assurée une prise en charge sanitaire adaptée aux besoins de la population, qui couvre l’ensemble du territoire et qui tienne compte des régions géographiquement isolées ou autrement désavantagées (voir, en ce sens, arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, points 70 ainsi que 71 et jurisprudence citée).

25 La Cour a ainsi jugé qu’une réglementation nationale reposant sur certains critères auxquels est subordonnée la délivrance des autorisations d’établissement de nouvelles pharmacies est, en principe, propre à atteindre l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité (voir, en ce sens, arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 94; ordonnances du 17 décembre 2010, Polisseni, C‑217/09, point 25, et du 29 septembre 2011, Grisoli, C‑315/08,
point 31).

26 La Cour a également jugé qu’il doit être tenu compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité et qu’il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Celui-ci pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation (arrêt Blanco Pérez
et Chao Gómez, précité, point 44 et jurisprudence citée).

27 Plus particulièrement, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un régime d’autorisation administrative préalable ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions du droit de l’Union, notamment celles relatives à une liberté fondamentale telle que la liberté d’établissement, de leur effet utile. Aussi, pour qu’un régime d’autorisation administrative préalable soit justifié alors même qu’il déroge à une
telle liberté fondamentale, il doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, qui assurent qu’il soit propre à encadrer suffisamment l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales (arrêt du 10 mars 2009, Hartlauer, C-169/07, Rec. p. I-1721, point 64 et jurisprudence citée).

28 Dans l’affaire au principal, il convient de relever que la législation nationale en cause subordonne la délivrance d’une autorisation de créer une nouvelle officine de pharmacie à l’existence d’un «besoin» qui est présumé exister sauf si l’une au moins des différentes circonstances concrètes précisées par cette législation s’y oppose.

29 Plus particulièrement, selon ladite législation, sont pris en compte, aux fins de déterminer l’absence d’un besoin de créer une nouvelle officine de pharmacie, le nombre de prestataires de soins de santé présents dans la zone concernée à la date d’introduction de la demande, la distance entre l’officine de pharmacie à créer et celle existante la plus proche, ainsi que le nombre de «personnes toujours à approvisionner» depuis l’une des officines de pharmacie existante. Ce nombre est déterminé par
rapport à un périmètre calculé à partir de l’endroit où est située l’officine existante et comprend, à titre principal, l’ensemble des habitants permanents résidant dans la zone ainsi déterminée et, à titre subsidiaire, également l’ensemble des personnes qui ont certains liens de rattachement avec cette zone, lesquels sont eux aussi précisés dans cette législation.

30 Parmi ces critères, ceux relatifs au nombre de prestataires de soins de santé ou d’habitants permanents résidant dans les différentes zones ou à la distance entre les pharmacies constituent des données objectives qui ne sont, en principe, pas susceptibles de donner lieu à des difficultés d’interprétation ni d’appréciation.

31 En revanche, s’agissant du critère relatif aux liens de rattachement que les personnes entretiennent avec la zone concernée, il convient de relever que celui-ci n’est, certes, pas dépourvu de toute ambiguïté. Toutefois, d’une part, un tel critère ne constitue pas le critère principal pour la détermination du nombre de «personnes toujours à approvisionner», puisqu’il n’intervient qu’à titre subsidiaire, et, d’autre part, les différents liens de rattachement pertinents sont définis de manière
objective et sont vérifiables au moyen, notamment, de données statistiques.

32 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les critères prévus par une législation nationale, telle que celle en cause au principal, présentent un caractère suffisamment objectif.

33 Par ailleurs, il ne ressort pas de la décision de renvoi que des critères autres que ceux explicitement prévus par la législation nationale en cause au principal et, partant, non connus à l’avance des opérateurs économiques, pourraient également être pris en compte aux fins de déterminer l’absence d’un besoin de créer une nouvelle officine de pharmacie.

34 À cet égard, la circonstance que les critères énoncés à l’article 10 de l’ApG ont été précisés par la jurisprudence nationale n’est pas, en tant que telle, de nature à empêcher les opérateurs économiques intéressés de prendre connaissance à l’avance de ces critères.

35 Enfin, au regard du dossier dont dispose la Cour, rien ne permet de constater que les critères édictés par ladite législation pourraient être considérés comme discriminatoires.

36 À cet égard, il convient de relever, notamment, que, dans une situation telle que celle précisée au point 28 du présent arrêt, le besoin de créer une nouvelle officine de pharmacie est présumé. Dès lors, il n’incombe pas aux différents candidats souhaitant créer une nouvelle officine de démontrer si un tel besoin existe bien en l’espèce.

37 Par conséquent, l’issue de la procédure de délivrance d’une autorisation ne dépend pas, en principe, du fait que seuls certains candidats, qu’ils soient nationaux ou ressortissants d’autres États membres, disposeraient, le cas échéant, d’éléments d’information de nature à démontrer l’existence d’un tel besoin, ce qui les placerait dans une situation privilégiée par rapport à celle de concurrents qui ne seraient pas en possession de tels éléments.

38 Il s’ensuit qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal doit être considérée comme étant fondée sur des critères objectifs, connus à l’avance et non discriminatoires, propres à encadrer suffisamment l’exercice du pouvoir d’appréciation dont disposent à cet égard les autorités nationales compétentes.

39 En troisième lieu, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif recherché que si elle répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts Hartlauer, précité, point 55; du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C-171/07 et C-172/07, Rec. p. I-4171, point 42; Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 94, ainsi que du
26 septembre 2013, Ottica New Line di Accardi Vincenzo, C‑539/11, point 47).

40 À cet égard, il appartient en dernier ressort au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits du litige au principal et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure celle-ci satisfait à ces exigences. Toutefois, la Cour, appelée à fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile, est compétente pour lui donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises,
de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer (voir arrêt Ottica New Line di Accardi Vincenzo, précité, points 48 ainsi que 49 et jurisprudence citée).

41 À cette fin, il convient de rappeler qu’une application uniforme, sur l’ensemble du territoire concerné, de conditions liées à la densité démographique et à la distance minimale entre les pharmacies, fixées par la réglementation nationale aux fins de la création d’une nouvelle officine de pharmacie, risque, dans certaines circonstances, de ne pas assurer un accès approprié au service pharmaceutique dans des zones présentant certaines particularités démographiques (voir, en ce sens, arrêt Blanco
Pérez et Chao Gómez, précité, point 96).

42 S’agissant plus particulièrement des conditions liées à la densité démographique, la Cour a considéré que l’application uniforme de ces conditions, sans dérogation possible, pourrait conduire, dans certaines zones rurales dont la population est généralement dispersée et moins nombreuse, à ce que certains habitants intéressés se trouvent hors d’une distance raisonnable d’une officine de pharmacie et soient ainsi privés d’un accès approprié au service pharmaceutique (voir, en ce sens, arrêt Blanco
Pérez et Chao Gómez, précité, point 97).

43 En ce qui concerne le litige au principal, l’article 10 de l’ApG prévoit qu’il n’existe pas de besoin justifiant la création d’une nouvelle pharmacie lorsque, en conséquence de cette création, le nombre de «personnes toujours à approvisionner» depuis le lieu d’exploitation de l’une des pharmacies existant dans les environs, à savoir le nombre des habitants permanents résidant dans un périmètre de moins de 4 kilomètres, par la route, dudit lieu, diminue et devient inférieur à 5 500. Toutefois,
lorsque le nombre de ces habitants est inférieur à 5 500, il convient, en vertu de la même loi, de tenir compte, lors de la vérification de l’existence d’un besoin, des personnes qui sont à approvisionner en raison du fait qu’elles travaillent, qu’elles ont recours à des services ou qu’elles utilisent des moyens de transport dans la zone d’approvisionnement de ladite pharmacie (ci-après les «‘visiteurs’»).

44 Afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de mettre en exergue deux éléments qui peuvent être énoncés de la manière suivante.

45 D’une part, il existe des personnes qui résident au-delà du périmètre de moins de 4 kilomètres, par la route, du lieu d’exploitation de la pharmacie la plus proche et qui ne sont donc prises en compte, à titre d’habitants permanents, ni dans sa zone d’approvisionnement ni dans aucune autre zone existante. Ces personnes peuvent, certes, être prises en compte à titre de «visiteurs» dans une ou plusieurs zones, mais il n’en demeure pas moins que leur accès aux services pharmaceutiques dépend ainsi
de circonstances qui ne leur assurent pas, en principe, un accès permanent et continu à de tels soins, puisqu’il n’est lié qu’au travail exercé ou à l’utilisation de moyens de transport dans une zone donnée. Il s’ensuit que, pour certaines personnes, notamment celles résidant dans des régions rurales, l’accès aux médicaments peut s’avérer peu approprié, étant entendu également qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal ne prévoit aucune distance maximale entre le lieu
de résidence d’une personne et la pharmacie la plus proche de celui-ci.

46 Il en va d’autant plus ainsi, s’agissant des personnes relevant de la catégorie visée au point précédent, que, de surcroît, certaines de celles-ci sont, de manière temporaire ou prolongée, à mobilité réduite, telles que les personnes âgées, handicapées ou malades. En effet, d’une part, leur état de santé peut exiger une administration urgente ou fréquente de médicaments et, d’autre part, leurs liens de rattachement aux différentes zones sont, en raison de leur état de santé, très faibles, parfois
inexistants.

47 D’autre part, dans le cas où la création d’une nouvelle pharmacie est demandée dans l’intérêt de l’ensemble des personnes qui résident sur le territoire constituant la future zone d’approvisionnement d’une nouvelle pharmacie, et au-delà d’un périmètre de moins de 4 kilomètres, une telle création conduirait nécessairement à une réduction, le cas échéant au-dessous du seuil de 5500 personnes, du nombre des habitants permanents résidant dans les zones d’approvisionnement des pharmacies existantes,
lesquels seront toujours à approvisionner. Il en sera ainsi, notamment, dans les régions rurales dont la densité de la population est en général faible.

48 Or, il paraît ressortir de la législation nationale, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, que, pour qu’une demande visant à obtenir l’autorisation de créer une nouvelle pharmacie dans de telles conditions puisse aboutir, le nombre de «visiteurs» doit être suffisant pour compenser la diminution relative du nombre des résidents «toujours à approvisionner» dans les zones affectées par cette création. Ainsi, la décision à prendre au sujet de cette demande dépendrait,
en réalité, non pas de l’évaluation de l’accessibilité des services pharmaceutiques dans la zone nouvellement envisagée, mais de la question de savoir si, dans les zones affectées par cette création, celles-ci sont susceptibles d’accueillir des «visiteurs» et quel est leur nombre.

49 Toutefois, dans des régions rurales, isolées et peu «visitées», le risque existe que le nombre des «personnes toujours à approvisionner» n’atteigne pas la limite strictement exigée et, par conséquent, que le besoin justifiant la création d’une nouvelle pharmacie puisse être considéré comme insuffisant.

50 Il s’ensuit que, en application du critère tenant au nombre de «personnes toujours à approvisionner», il existe un risque que ne soit pas assuré un accès égal et approprié aux services pharmaceutiques pour certaines personnes résidant dans les régions rurales et isolées situées hors des zones d’approvisionnement des pharmacies existantes, en particulier en ce qui concerne les personnes à mobilité réduite.

51 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deux premières questions que l’article 49 TFUE, en particulier l’exigence de cohérence dans la poursuite de l’objectif recherché, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui fixe, comme critère essentiel pour vérifier l’existence d’un besoin pour la création d’une nouvelle pharmacie, une limite rigide de «personnes toujours à
approvisionner», dans la mesure où les autorités nationales compétentes n’ont pas la possibilité de déroger à cette limite pour tenir compte de particularités locales.

Sur la troisième question

52 Compte tenu de la réponse apportée aux deux premières questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

  L’article 49 TFUE, en particulier l’exigence de cohérence dans la poursuite de l’objectif recherché, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui fixe, comme critère essentiel pour vérifier l’existence d’un besoin pour la création d’une nouvelle officine de pharmacie, une limite rigide de «personnes toujours à approvisionner», dans la mesure où les autorités nationales compétentes n’ont pas la possibilité de déroger à
cette limite pour tenir compte de particularités locales.

  Signatures

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( *1 )   Langue de procédure: l’allemand.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C‑367/12
Date de la décision : 13/02/2014
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l’Unabhängiger Verwaltungssenat des Landes Oberösterreich.

Liberté d’établissement – Santé publique – Article 49 TFUE – Pharmacies – Approvisionnement approprié de la population en médicaments – Autorisation d’exploitation – Répartition territoriale des pharmacies – Instauration de limites fondées essentiellement sur un critère démographique – Distance minimale entre les officines.

Libre prestation des services

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Susanne Sokoll-Seebacher.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi
Rapporteur ?: Malenovský

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:68

Source

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