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27/06/2018 | CJUE | N°C-90/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Turbogás – Produtora Energética SA contre Autoridade Tributária e Aduaneira., 27/06/2018, C-90/17


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

27 juin 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 21, paragraphe 5, troisième alinéa – Entité produisant de l’électricité pour son propre usage – Petits producteurs d’électricité – Article 14, paragraphe 1, sous a) – Produits énergétiques à usage de production d’électricité – Obligation d’exonération »

Dans l’affaire C‑90/17,

ayant pour objet une demande de décision pr

judicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbi...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

27 juin 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 21, paragraphe 5, troisième alinéa – Entité produisant de l’électricité pour son propre usage – Petits producteurs d’électricité – Article 14, paragraphe 1, sous a) – Produits énergétiques à usage de production d’électricité – Obligation d’exonération »

Dans l’affaire C‑90/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal], par décision du 31 janvier 2017, parvenue à la Cour le 21 février 2017, dans la procédure

Turbogás – Produtora Energética SA

contre

Autoridade Tributária e Aduaneira,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev et E. Regan (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Turbogás – Produtora Energética SA, par Me J. P. Lampreia, advogado,

– pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et N. Vitorino ainsi que par Mme S. Jaulino, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes M. Afonso et F. Tomat, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mars 2018,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Turbogás – Produtora Energética SA (ci-après « Turbogás ») à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (autorité fiscale et douanière, Portugal) au sujet d’un redressement fiscal portant sur la taxation de l’électricité autoconsommée par Turbogás.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 2 à 5 et 24 de la directive 2003/96 énoncent :

« (2) L’absence de dispositions communautaires soumettant à une taxation minimale l’électricité et les produits énergétiques autres que les huiles minérales peut être préjudiciable au bon fonctionnement du marché intérieur.

(3) Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.

(4) D’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur.

(5) La fixation à des niveaux appropriés des minima communautaires de taxation peut permettre de diminuer les écarts actuels entre les niveaux nationaux de taxation.

[...]

(24) Il y a lieu de permettre aux États membres d’appliquer certaines autres exonérations ou des niveaux réduits de taxation, lorsque cela ne nuit pas au bon fonctionnement du marché intérieur et n’entraîne pas de distorsions de concurrence. »

4 L’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive prévoit :

« 1.   Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1), telle que modifiée par la directive 2000/47/CE du Conseil, du 20 juillet 2000 (JO 2000, L 193, p. 73)], concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants
de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus :

a) les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité et l’électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l’électricité. Toutefois, les États membres peuvent taxer ces produits pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement et sans avoir à respecter les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive. Dans ce cas, la taxation de ces produits n’entre pas en ligne de compte dans le niveau minimum de taxation de
l’électricité visé à l’article 10 ».

5 L’article 21, paragraphe 5, de la directive 2003/96 dispose :

« 5.   Pour l’application des articles 5 et 6 de la directive 92/12/CEE, l’électricité et le gaz naturel sont soumis à taxation et la taxe devient exigible au moment de leur fourniture par le distributeur ou le redistributeur. Lorsque la mise à la consommation intervient dans un État membre où le distributeur ou le redistributeur n’est pas établi, la taxe appliquée dans les États membres où la fourniture est effectuée est imputable à une société qui doit être enregistrée dans l’État membre de
fourniture. La taxe est en tout cas prélevée et perçue selon les procédures fixées par chaque État membre.

[...]

Une entité qui produit de l’électricité pour son propre usage est considérée comme un distributeur. Nonobstant les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, point a), les États membres peuvent exonérer les petits producteurs d’électricité, pour autant qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité.

[...] »

Le droit portugais

6 L’article 4 du Código dos Impostos Especiais de Consumo (code des droits d’accise, ci‑après le « CIEC ») dispose :

« 1 –   Sont assujettis aux droits d’accise :

[...]

b) en cas de livraison d’électricité au consommateur final, les fournisseurs, tels que définis par la législation spéciale, les fournisseurs pour la mobilité électrique, les producteurs qui vendent l’électricité directement aux consommateurs finaux, les autoproducteurs et les consommateurs qui achètent de l’électricité par le moyen d’opérations sur les marchés organisés ;

[...] »

7 Aux termes de l’article 7 du CIEC :

« 1 –   Le fait générateur est constitué par la production ou l’importation sur le territoire national des produits visés à l’article 5, ainsi que par leur entrée sur ledit territoire lorsqu’ils proviennent d’un autre État membre.

2 –   Nonobstant les dispositions du paragraphe précédent, le fait générateur est constitué lors de la livraison d’électricité et de gaz naturel au consommateur final par les fournisseurs, tels que définis par la législation spéciale. »

8 L’article 9 du CIEC prévoit :

« 1 –   Aux fins du présent code, est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise :

[...]

g) la fourniture d’électricité au consommateur final, ou l’autoconsommation et l’achat d’électricité par des consommateurs finaux sur les marchés organisés ;

[...] »

9 L’article 88 du CIEC est libellé comme suit :

« 1 –   Sont soumis à la taxe sur les produits pétroliers et énergétiques :

[...]

d) l’électricité relevant du code NC 2716.

[...]

6 –   Ne sont pas soumis à la taxe les produits pétroliers et énergétiques consommés dans l’enceinte d’un établissement de production desdits produits, à l’exception de ceux utilisés à des fins étrangères à cette production. »

10 L’article 89 du CIEC dispose :

« 1 –   Sont exonérés de la taxe les produits pétroliers et énergétiques dont il est établi :

[...]

d) qu’ils sont utilisés pour la production d’électricité, d’électricité et de chaleur (cogénération), ou de gaz de ville, par des entités qui exercent ces activités à titre d’activité principale, en ce qui concerne les produits relevant des codes NC 2701, 2702 et 2704, des codes NC 2710 19 61 à 2710 19 69, du code NC 2711 ;

[...]

2 –   Est exonérée de la taxe l’électricité dont il est établi qu’elle est :

a) utilisée pour la production d’électricité, et pour maintenir la capacité de produire de l’électricité ;

[...] »

11 L’article 96 bis du CIEC prévoit :

« 1 –   Les fournisseurs d’électricité enregistrés et agréés conformément à la législation applicable, qui livrent au consommateur final, y compris les fournisseurs d’électricité pour la mobilité électrique, doivent être enregistrés auprès du bureau de douane compétent, aux fins du respect des obligations fiscales prévues par le présent code.

[...]

3 –   Les quantités d’électricité à déclarer pour la mise à la consommation sont les quantités facturées aux clients consommateurs finaux. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 Turbogás exerce une activité de production d’électricité d’origine thermique. Elle exploite la centrale à cycle combiné de Tapada do Outeiro (Portugal) (ci‑après la « centrale »). Cette centrale thermoélectrique d’une capacité de 990 mégawatts produit de l’électricité à partir de gaz naturel et, le cas échéant, de gazole. La production de la centrale représente environ 9 % de l’énergie nationale produite.

13 Dans le cadre du système électrique national, Turbogás est qualifiée de producteur et relève, pour le secteur de la production d’électricité, du régime légal de production d’électricité en régime ordinaire.

14 Dans le fonctionnement interne de la centrale, une petite partie de l’électricité produite par l’installation est également consommée. Cette consommation intervient parallèlement au processus de production d’électricité, auquel elle est inhérente. Pendant la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013 (ci-après la « période pertinente »), Turbogás ne disposait pas de compteurs permettant de mesurer la quantité d’électricité autoconsommée et il n’existait pas non plus de
documents afférents à cette quantité d’électricité, dès lors qu’aucune transaction n’était réalisée.

15 Durant cette même période, Turbogás n’était titulaire, pour l’électricité consommée dans son enceinte, d’aucune exonération au titre de l’article 89 du CIEC, n’était pas enregistrée comme opérateur du secteur électrique et ne possédait pas non plus le statut de destinataire exonéré pour l’utilisation d’électricité.

16 Au cours de l’année 2014, Turbogás a fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur la période pertinente. Selon l’autorité fiscale et douanière, Turbogás avait omis d’effectuer la déclaration de mise à la consommation prévue à l’article 10 du CIEC pour les quantités d’électricité autoconsommées. Pour déterminer ces quantités dans le cadre de ce contrôle, et en l’absence de compteurs installés à cet effet, les informations fournies par Turbogás ont été recoupées par des informations fournies par
la Direção-Geral de Energia e Geologia (direction générale de l’énergie et de la géologie, Portugal).

17 Dans ce contexte, il a été considéré que Turbogás était redevable de la taxe sur les produits pétroliers et énergétiques pour les quantités d’électricité autoconsommée et que cette taxe s’élevait à un montant de 71197,17 euros, majoré d’intérêts compensatoires d’un montant de 4986,52 euros. Le 5 août 2014, un acte de liquidation de ladite taxe a été notifié à Turbogás et, le 14 août 2014, cette dernière a effectué le paiement du montant ainsi liquidé.

18 Un recours gracieux contre cet acte de liquidation a été formé devant l’administration fiscale. Ce recours a été rejeté par une décision du 7 janvier 2016.

19 Le 20 avril 2016, Turbogás a présenté une demande de constitution d’un tribunal arbitral en matière fiscale, aux fins de faire constater l’illégalité de l’acte de liquidation contesté ainsi que du rejet du recours gracieux formé contre cet acte. Ce tribunal arbitral a été constitué le 1er juillet 2016.

20 Selon la juridiction de renvoi, la solution du litige au principal dépend de l’interprétation de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96. La première phrase de cette disposition prévoirait qu’une entité qui produit de l’électricité pour son propre usage est considérée comme un distributeur. Or, dans sa version en langue portugaise, la deuxième phrase de ladite disposition énoncerait que « ces petits producteurs » peuvent faire l’objet d’une exonération. Il
conviendrait, par conséquent, de déterminer si seuls les petits producteurs d’électricité doivent être considérés comme des distributeurs.

21 La juridiction de renvoi estime que la difficulté rencontrée dans l’interprétation de cet article résulte de divergences entre la version en langue portugaise et les autres versions linguistiques de cette disposition.

22 Dans ces conditions, le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Conformément au troisième alinéa de l’article 21, paragraphe 5, de la directive [2003/96], les entités qui produisent de l’électricité pour leur propre usage doivent‑elles être des petits producteurs pour être considérées comme des distributeurs et être soumises à taxation conformément au premier alinéa de ce même article 21, paragraphe 5, de [cette] directive, les autres entités (celles qui ne sont pas des petits producteurs) qui produisent de l’électricité pour leur propre usage étant
ainsi exclues de cette qualité de distributeur, ou convient-il de considérer comme des distributeurs, et soumises à taxation conformément au premier alinéa de ce même article 21, paragraphe 5, de [ladite] directive, toutes les entités qui produisent de l’électricité pour leur propre usage (indépendamment de leur taille et du fait d’exercer cette activité économique à titre principal ou accessoire) et qui ne sont pas exonérées en tant que petits producteurs, conformément à la deuxième
[phrase] du troisième alinéa dudit article 21, paragraphe 5, de [cette même] directive ?

2) En particulier, une entité telle que celle en cause en l’espèce, qui est une grande productrice d’électricité et qui parvient à produire environ 9 % de l’énergie au niveau national en vue de la vendre au réseau national, peut-elle être considérée comme une “entité qui produit de l’électricité pour son propre usage”, au sens de l’article 21, paragraphe 5, de la directive [2003/96], lorsque seule une petite partie de l’électricité qu’elle produit est consommée dans sa propre production de
nouvelle électricité, comme partie intégrante de son processus productif ? »

Sur les questions préjudicielles

23 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que toute entité, notamment celle en cause au principal, qui produit de l’électricité pour son propre usage, quelle que soit son importance et quelle que soit l’activité économique qu’elle exerce à titre principal, doit être considérée comme un distributeur, dont l’électricité est soumise à
taxation conformément à l’article 21, paragraphe 5, premier alinéa, de cette directive.

24 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 21 décembre 2011, Evroetil, C‑503/10,
EU:C:2011:872, point 48 et jurisprudence citée).

25 La circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé sa demande de décision préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis
par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C‑492/14, EU:C:2016:732, point 43 et jurisprudence citée).

26 À cet égard, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, Turbogás conteste la légalité de l’imposition frappant, au titre de la taxe sur les produits pétroliers et énergétiques, la partie de l’électricité produite dont la consommation est inhérente au processus de production d’électricité. Dès lors, ainsi que l’a suggéré la Commission européenne dans ses observations écrites et que l’a relevé M. l’avocat général aux points 13 et 27 de ses conclusions, il convient d’examiner également
l’éventuelle exonération d’une telle consommation au titre de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96, qui exempte de la taxation les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité.

27 Par conséquent, il y a lieu de reformuler les questions posées comme visant, en substance, à savoir si l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, et l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive doivent être interprétés en ce sens qu’une entité, telle que celle en cause au principal, qui produit de l’électricité pour son propre usage, quelle que soit son importance et quelle que soit l’activité économique qu’elle exerce à titre principal, doit être considérée comme un
« distributeur », au sens de la première de ces dispositions, dont la consommation d’électricité aux fins de la production d’électricité relève toutefois de l’exonération obligatoire prévue audit article 14, paragraphe 1, sous a).

28 En premier lieu, il convient de relever que, d’une part, l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, première phrase, de la directive 2003/96 définit comme étant un « distributeur » une entité qui produit de l’électricité pour son propre usage. La version en langue portugaise de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de cette directive énonce, d’autre part, que les États membres peuvent exonérer « estes pequenos produtores », expression qui peut être traduite, en langue
française, par « ces petits producteurs ». Cependant, d’autres versions linguistiques de la directive 2003/96, telles que les versions en langues allemande, anglaise ou française, mentionnent non pas « ces petits producteurs », mais « les petits producteurs ».

29 Ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, il s’ensuit qu’il serait possible de déduire de ladite version en langue portugaise un lien entre les deux phrases composant l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96, ce qui impliquerait que les entités qui produisent de l’électricité pour leur propre usage, visées à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, première phrase, de cette directive devraient s’entendre comme n’étant que des « petits producteurs ». Partant,
une entité telle que celle en cause au principal ne saurait être considérée comme un distributeur d’électricité. Toutefois, cette interprétation ne ressortirait pas de toutes les versions linguistiques de ladite directive.

30 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Les dispositions du droit de l’Union doivent, en effet, être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes
les langues de l’Union européenne. En cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 20 décembre 2017, Gusa, C‑442/16, EU:C:2017:1004, point 34 et jurisprudence citée).

31 En ce qui concerne l’économie de la directive 2003/96, l’article 21, paragraphe 5, premier alinéa, de celle-ci prévoit que la fourniture de l’électricité par le distributeur constitue le fait générateur de la taxe concernée.

32 Or, dans la situation où une entité produit de l’électricité pour son propre usage, cette électricité ne fait pas l’objet d’une distribution. C’est pourquoi, en l’absence de dispositions spécifiques assujettissant à ladite taxe une telle électricité, celle-ci échapperait au régime de taxation harmonisée établi par la directive 2003/96.

33 En énonçant qu’il convient de considérer une entité qui produit de l’électricité pour son propre usage, quelle que soit son importance et quelle que soit l’activité économique qu’elle exerce à titre principal, comme un distributeur, l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de ladite directive a précisément pour objet de combler cette lacune.

34 Cette interprétation est confirmée par les finalités poursuivies par la directive 2003/96. À cet égard, il convient de rappeler que cette directive, en prévoyant un régime de taxation harmonisé des produits énergétiques et de l’électricité, vise notamment, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2 à 5 et 24, à promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur de l’énergie, en évitant, notamment, les distorsions de concurrence (arrêts du 7 septembre 2017, Hüttenwerke Krupp
Mannesmann, C‑465/15, EU:C:2017:640, point 26, ainsi que du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 29 et jurisprudence citée).

35 À cette fin, s’agissant, en particulier, de l’électricité, le législateur de l’Union a fait le choix, ainsi qu’il ressort, notamment, de la page 5 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques (JO 1997, C 139, p. 14), d’imposer aux États membres, conformément à l’article 1er de la directive 2003/96, la taxation de l’électricité distribuée, les produits énergétiques utilisés pour la production de celle-ci
devant, corrélativement, être exonérés de la taxation, et cela dans le but d’éviter une double taxation de l’électricité (arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 30).

36 C’est par exception à ce principe de la taxation en aval de l’électricité que l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de cette directive donne aux États membres la faculté d’exonérer l’électricité produite par les petits producteurs et consommée pour leur propre usage, à condition qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité.

37 Toutefois, au regard des objectifs poursuivis par la directive 2003/96, cette disposition relative aux petits producteurs a trait uniquement aux modalités selon lesquelles l’électricité est soumise au régime de taxation harmonisé, afin d’éviter, notamment, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 21 de ses conclusions, les frais administratifs afférents à la taxation dans cette circonstance particulière, sans toutefois qu’elle ait d’incidence sur le statut de distributeur octroyé en
vertu de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, première phrase, de cette directive.

38 Il s’ensuit que toute entité, notamment celle en cause au principal, qui produit de l’électricité pour son propre usage, quelle que soit son importance et quelle que soit l’activité économique exercée à titre principal, doit être considérée comme un « distributeur », au sens de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de cette directive.

39 En second lieu, il convient de préciser que cette conclusion relative au fait générateur de la taxe concernée ne remet pas, toutefois, en cause le fait que l’activité économique exercée par l’entité produisant de l’électricité pour son propre usage est pertinente aux fins de l’application des exonérations prévues par ladite directive.

40 En effet, l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96, en vertu duquel les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité et l’électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l’électricité sont exonérés de la taxation, ne saurait être ignoré aux fins d’apprécier la situation fiscale d’une entité telle que celle en cause au principal.

41 À cet égard, il convient de rappeler que cette disposition s’impose aux États membres, sous réserve de la faculté qui leur est laissée, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la directive 2003/96, de déroger à ce régime d’exonération pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, points 26 à 28). Or, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que la République
portugaise ait fait usage de cette faculté.

42 Il s’ensuit que l’utilisation, par une entité telle que celle en cause au principal, d’une partie de l’électricité qu’elle produit aux fins de la production d’électricité, tout en constituant un fait générateur de la taxe, en vertu de l’article 21, paragraphe 5, premier et troisième alinéas, de cette directive, doit être exonérée de la taxation en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de ladite directive. Toute autre interprétation serait préjudiciable aux objectifs poursuivis par cette
dernière, tels que rappelés aux points 34 et 35 du présent arrêt. En effet, d’une part, l’électricité ainsi produite ferait nécessairement l’objet d’une double imposition. D’autre part, il pourrait en résulter une inégalité de traitement entre des entités telles que celle en cause au principal et les autres producteurs d’électricité ayant recours à un approvisionnement en produits énergétiques et en électricité auprès de tiers aux fins de leur propre production, ce qui serait la source de
distorsions de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 33).

43 Il convient, cependant, de préciser que la directive 2003/96 ne régit pas la question de savoir de quelle manière doit être rapportée la preuve de l’utilisation des produits énergétiques à des fins ouvrant droit à exonération. Au contraire, ainsi qu’il ressort de son article 14, paragraphe 1, cette directive confie aux États membres le soin de fixer les conditions des exonérations visées à cette disposition, en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la
fraude, l’évasion ou les abus. Il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice du pouvoir dont ils disposent de fixer les conditions auxquelles sont soumises les exonérations prévues à l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive, les États membres doivent respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union, au nombre desquels figure, notamment, le principe de proportionnalité (arrêt du 2 juin 2016, Polihim-SS, C‑355/14, EU:C:2016:403, points 57 et 59).

44 À ce titre, si les États membres peuvent prévoir l’infliction d’une sanction pécuniaire pour la violation d’exigences formelles (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2016, ROZ-ŚWIT, C‑418/14, EU:C:2016:400, point 40), une telle violation ne saurait remettre en cause le bénéfice de l’exonération obligatoire prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 si les conditions de fond relatives à son application sont satisfaites (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2017, Vakarų
Baltijos laivų statykla, C‑151/16, EU:C:2017:537, point 51).

45 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, et l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 doivent être interprétés en ce sens qu’une entité, telle que celle en cause au principal, qui produit de l’électricité pour son propre usage, quelle que soit son importance et quelle que soit l’activité économique qu’elle exerce à titre principal, doit être considérée comme un
« distributeur », au sens de la première de ces dispositions, dont la consommation d’électricité aux fins de la production d’électricité relève toutefois de l’exonération obligatoire prévue audit article 14, paragraphe 1, sous a).

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, et l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, doivent être interprétés en ce sens qu’une entité, telle que celle en cause au principal, qui produit de l’électricité pour son propre usage, quelle que soit son importance et quelle que soit l’activité économique qu’elle exerce à titre principal, doit être
considérée comme un « distributeur », au sens de la première de ces dispositions, dont la consommation d’électricité aux fins de la production d’électricité relève toutefois de l’exonération obligatoire prévue audit article 14, paragraphe 1, sous a).

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le portugais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-90/17
Date de la décision : 27/06/2018
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa).

Renvoi préjudiciel – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 21, paragraphe 5, troisième alinéa – Entité produisant de l’électricité pour son propre usage – Petits producteurs d’électricité – Article 14, paragraphe 1, sous a) – Produits énergétiques à usage de production d’électricité – Obligation d’exonération.

Fiscalité

Énergie


Parties
Demandeurs : Turbogás – Produtora Energética SA
Défendeurs : Autoridade Tributária e Aduaneira.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Regan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:498

Source

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