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15/09/2022 | CJUE | N°C-675/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Colin Brown contre Commission européenne et Conseil de l’Union européenne., 15/09/2022, C-675/20


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

15 septembre 2022 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 4, paragraphe 1, sous a) et b) – Fonctionnaire de l’Union ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ayant résidé, de façon habituelle, sur le territoire de l’État de son lieu d’affectation au cours des dix années ayant précédé son entrée en service – Retrait du Royaume-Uni de l’Union – Acquisition par ce fonctionnaire de l’Union de la

nationalité de l’État de son lieu
d’affectation – Retrait du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement ...

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

15 septembre 2022 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 4, paragraphe 1, sous a) et b) – Fonctionnaire de l’Union ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ayant résidé, de façon habituelle, sur le territoire de l’État de son lieu d’affectation au cours des dix années ayant précédé son entrée en service – Retrait du Royaume-Uni de l’Union – Acquisition par ce fonctionnaire de l’Union de la nationalité de l’État de son lieu
d’affectation – Retrait du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement – Recours en annulation »

Dans l’affaire C‑675/20 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 11 décembre 2020,

Colin Brown, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par M^me I. Van Damme, advocaat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par M. T. S. Bohr et M^me D. Milanowska, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Alver et M. Bauer, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin, J.‑C. Bonichot, M^mes L. S. Rossi (rapporteure) et O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M^me J. Kokott,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 février 2022,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, M. Colin Brown, fonctionnaire de la Commission européenne, demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 octobre 2020, Brown/Commission (T‑18/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:465), par lequel celui-ci a rejeté son recours visant à annuler la décision de la Commission du 19 mars 2018 lui ayant retiré le droit au paiement de l’indemnité de dépaysement et, par voie de conséquence, à celui des frais de voyage entre son lieu d’affectation
et son lieu d’origine, à compter du 1^er décembre 2017, après qu’il a acquis la nationalité de l’État membre de son lieu d’affectation (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        L’article 1^er, quinquies, paragraphe 5, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable au litige ayant donné lieu au recours (ci-après le « statut »), énonce :

« Dès lors qu’une personne relevant du présent statut, qui s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement tel que défini ci-dessus, établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’institution de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. [...] »

3        L’article 4 de l’annexe VII du statut dispose :

« 1.      L’indemnité de dépaysement égale à 16 % du montant total du traitement de base ainsi que de l’allocation de foyer et de l’allocation pour enfant à charge versées au fonctionnaire, est accordée :

a)      au fonctionnaire :

–        qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et

–        qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l’application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération.

b)      au fonctionnaire qui, ayant ou ayant eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, a, de façon habituelle, pendant la période de dix années expirant lors de son entrée en service, habité hors du territoire européen dudit État pour une raison autre que l’exercice de fonctions dans un service d’un État ou dans une organisation internationale.

[...]

2.      Le fonctionnaire qui, n’ayant ou n’ayant jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, ne remplit pas les conditions prévues au paragraphe 1 a droit à une indemnité d’expatriation égale à un quart de l’indemnité de dépaysement.

3.      Pour l’application des paragraphes 1 et 2, le fonctionnaire qui, par mariage, a acquis d’office, sans possibilité d’y renoncer, la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, est assimilé à celui visé au paragraphe 1, sous a), premier tiret. »

4        L’article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut prévoit :

« Le lieu d’origine du fonctionnaire est déterminé lors de son entrée en fonction en tenant compte en principe de son lieu de recrutement ou, sur demande expresse et dûment motivée, du centre de ses intérêts. Cette détermination pourra, par la suite, pendant que l’intéressé est en fonctions ou à l’occasion de son départ être révisée sur décision spéciale de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Toutefois, tant que l’intéressé est en fonctions, cette décision ne peut intervenir
qu’exceptionnellement et après production, par l’intéressé, de pièces justifiant dûment sa demande. »

5        L’article 8, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut énonce :

« Le fonctionnaire qui a droit à une indemnité de dépaysement ou d’expatriation a droit, chaque année civile et dans la limite fixée au paragraphe 2, à un paiement forfaitaire des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine tel qu’il est défini à l’article 7, pour lui-même et, s’il a droit à l’allocation de foyer, pour son conjoint et les personnes à sa charge au sens de l’article 2. »

6        L’article 20, première phrase, du statut prévoit :

« Le fonctionnaire est tenu de résider au lieu de son affectation ou à une distance telle de celui-ci qu’il ne soit pas gêné dans l’exercice de ses fonctions. [...] »

7        L’article 85, premier alinéa, du statut dispose :

« Toute somme indûment perçue donne lieu à répétition si le bénéficiaire a eu connaissance de l’irrégularité du versement ou si celle-ci était si évidente qu’il ne pouvait manquer d’en avoir connaissance. »

 Les antécédents du litige

8        Les faits à l’origine du litige ont été résumés par le Tribunal aux points 1 à 8 de l’arrêt attaqué, dans les termes suivants :

« 1      Le requérant, M. [...] Brown, n’avait, initialement, que la qualité de ressortissant du Royaume-Uni [de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord] et y a vécu jusqu’en 1996. Il a étudié en Italie en 1996 et en 1997, puis en Belgique, de septembre 1997 à juin 1998. Le requérant a ensuite effectué un stage à la Commission [...] du 1^er octobre 1998 au 28 février 1999. Enfin, il a travaillé à temps plein dans le secteur privé en Belgique du 1^er mars 1999 au 31 décembre 2000.

2      Le requérant est entré en fonctions à la Commission le 1^er janvier 2001. L’Office “Gestion et liquidation des droits individuels” (PMO) de la Commission lui a accordé l’indemnité de dépaysement en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut [...]

3      [...][L]a première ministre du Royaume-Uni a, le 29 mars 2017, notifié au Conseil européen l’intention de cet État membre de se retirer de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) en application de l’article 50, paragraphe 2, TUE.

4      Le 27 juin 2017, le requérant a demandé à acquérir la nationalité belge, qu’il a obtenue le 3 novembre suivant. Il a notifié ce changement de situation au PMO le 19 janvier 2018.

5      Le 23 février 2018, le requérant a été informé, d’une part, que le bénéfice de l’indemnité de dépaysement lui était retiré à dater du 31 octobre 2017, au motif qu’il avait obtenu la nationalité belge, et, d’autre part, qu’il perdait également par voie de conséquence le bénéfice du remboursement des frais de voyage en application de l’article 8 de l’annexe VII du statut.

6      À la suite d’une demande d’explication, le requérant a reçu un courriel le 5 mars 2018 dont il ressortait que le retrait de l’indemnité de dépaysement se justifiait, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, par le fait qu’il résidait en Belgique depuis 1997.

7      Le 19 mars 2018, le PMO a remplacé la décision du 23 février 2018 par [la décision litigieuse].

8      Le 17 juin 2018, le requérant a déposé une réclamation, qui a été rejetée par décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination [...] du 15 octobre 2018. »

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9        Dans le cadre de son recours devant le Tribunal, le requérant visait notamment à obtenir l’annulation de la décision litigieuse ainsi que la condamnation de la Commission à rétablir son droit au paiement de l’indemnité de dépaysement, prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut (ci-après l’« indemnité de dépaysement »), et à celui des frais de voyage entre son lieu d’affectation et son lieu d’origine, tel que défini à l’article 7 de cette annexe VII, à compter du 1^er décembre 2017.

10      À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant a soulevé quatre moyens, lesquels ont été écartés par le Tribunal.

11      S’agissant du premier moyen du recours en première instance, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, le Tribunal a, d’une part, jugé, au terme du raisonnement suivi aux points 35 à 51 de l’arrêt attaqué, que le PMO n’avait pas méconnu cette disposition du statut, « considérant que l’acquisition de la nationalité du pays d’affectation en cours de carrière devait conduire à un réexamen du droit à l’indemnité de dépaysement » (point 52 de l’arrêt
attaqué). D’autre part, le Tribunal a écarté l’argumentation du requérant selon laquelle le risque pour ce dernier, en tant que ressortissant du Royaume-Uni, de se voir « démis d’office de ses fonctions » à la suite du retrait de cet État de l’Union était constitutif d’un cas de force majeure dispensant le PMO de l’obligation de réexaminer sa situation au vu de la nationalité belge qu’il avait acquise (points 55 à 71 de l’arrêt attaqué).

12      À cet égard, le Tribunal a, en substance, constaté qu’il ne saurait être déduit du libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, lu à la lumière de la genèse de cette disposition et de l’objectif qu’elle poursuit, que l’administration serait tenue de continuer à verser mensuellement l’indemnité de dépaysement lorsque survient un évènement modifiant de façon substantielle la situation de la personne qui en bénéficie au regard de ses conditions d’octroi. Or,
l’acquisition par le fonctionnaire concerné de la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, postérieurement à son entrée en fonctions, constituait un tel changement substantiel susceptible de conduire au retrait du droit au paiement de cette indemnité.

13      Quant au deuxième moyen soulevé en première instance par le requérant, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination résultant du réexamen de sa situation au regard des conditions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, celui-ci a été écarté par le Tribunal au terme de l’examen suivi aux points 75 à 106 de l’arrêt attaqué.

14      Plus précisément, le Tribunal a, en substance, jugé que le respect de ce principe s’imposait non seulement à la date de l’entrée en service de l’intéressé, mais aussi à l’occasion du réexamen de l’existence de son droit au paiement de l’indemnité de dépaysement, à la suite d’une modification de sa situation personnelle. Or, le Tribunal a considéré que, à partir de la date à laquelle le requérant a été naturalisé belge, il convenait de traiter celui-ci de la même manière que tout autre
ressortissant ou ancien ressortissant belge, dont la résidence habituelle en Belgique, même de courte durée, au cours de la « période décennale de référence » ayant précédé l’entrée en fonctions, suffisait à exclure le droit au paiement de cette indemnité, en application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut.

15      S’agissant du troisième moyen soulevé en première instance, par lequel le requérant faisait grief à la Commission d’avoir méconnu le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination en adoptant l’interprétation qu’elle avait donnée, dans la décision litigieuse, de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, le Tribunal a souligné, aux points 112 et 113 de l’arrêt attaqué, que l’interprétation préconisée par le requérant était incompatible avec le libellé même de
cette disposition ainsi qu’avec la portée de celle-ci, de telle sorte qu’elle ne pouvait qu’être écartée.

16      Tirant les conséquences de ces considérations, le Tribunal a également écarté le quatrième moyen soulevé en première instance, à titre subsidiaire, par le requérant et tiré d’une exception d’illégalité dirigée contre l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, ainsi que rejeté les autres chefs de conclusions présentés et, par conséquent, le recours dans son intégralité (points 123 à 132 de l’arrêt attaqué).

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

17      Par son pourvoi, le requérant demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler, sur la base du dossier qui lui a été soumis, la décision litigieuse ;

–        d’ordonner à la Commission de rétablir, à compter du 1^er décembre 2017, son droit au paiement de l’indemnité de dépaysement et des frais de voyage dont il était bénéficiaire, ainsi que celui des indemnités qui ne lui auront pas été versées entre le 1^er décembre 2017 et la date de rétablissement du droit dont il était titulaire, majorées d’intérêts ;

–        de condamner la Commission aux dépens qu’il a exposés devant la Cour et le Tribunal.

18      La Commission et le Conseil de l’Union européenne concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation du requérant aux dépens.

 Sur le pourvoi

19      À l’appui de ses conclusions, le requérant invoque deux moyens. Le premier moyen de pourvoi est tiré d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut. Le second moyen de pourvoi est tiré de la discrimination injustifiée qui résulterait de l’application par le Tribunal de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut.

 Sur le premier moyen, tiré d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut

 Argumentation des parties

20      Le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, en considérant que cette disposition permettait ou exigeait la suppression du droit d’un fonctionnaire au paiement de l’indemnité de dépaysement dès lors qu’il avait obtenu la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, en l’absence de changement de cet État.

21      Le requérant fait valoir, tout d’abord, qu’il souscrit pleinement à la prémisse du raisonnement du Tribunal, exposée aux points 47 à 50 de l’arrêt attaqué, en ce qui concerne l’objectif de l’indemnité de dépaysement, lequel consiste à compenser les inconvénients et les charges qu’un fonctionnaire subit en raison de la distance entre l’État de son lieu d’affectation et l’État de son lieu d’origine.

22      La nécessité de fournir une compensation tout au long de la carrière d’un fonctionnaire, dans l’État où il a pris ses fonctions, serait évidente, les coûts et inconvénients ne disparaissant pas même si ce fonctionnaire a été expatrié pendant toute sa carrière et a créé divers types de liens avec l’État de son lieu d’affectation. Au contraire, ainsi que le Tribunal l’a indiqué au point 47 de l’arrêt attaqué, ces coûts et inconvénients seraient même susceptibles de s’aggraver.

23      Selon le requérant, le lien entre l’État du lieu d’origine du fonctionnaire concerné lors de son recrutement et le droit au paiement de l’indemnité de dépaysement explique pourquoi le libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, d’une part, est axé uniquement sur les périodes qui précèdent l’entrée en service de ce fonctionnaire et non pas sur les événements qui peuvent survenir après cette entrée en service et, d’autre part, utilise le présent de l’indicatif
dans l’expression « n’a pas ou n’a pas eu la nationalité » de l’État du lieu d’affectation, ce qui implique que la nationalité dudit fonctionnaire à la date de son entrée en fonctions devrait être prise en considération.

24      L’erreur de droit entachant l’arrêt attaqué proviendrait du fait que le Tribunal a abouti, par son raisonnement, à un résultat qui est incompatible avec la raison d’être de l’indemnité de dépaysement, telle que celle-ci a été exposée aux points 47 à 50 de l’arrêt attaqué, c’est-à-dire que cette indemnité devrait être accordée sur la base des circonstances existant à la date de l’entrée en service du fonctionnaire concerné et que le droit au paiement de celle-ci ne pourrait être retiré par la
suite, à moins que l’intéressé ne change de lieu d’affectation.

25      Le Tribunal aurait d’ailleurs admis, aux points 36 et 50 de l’arrêt attaqué, que l’intégration du fonctionnaire concerné dans l’État de son lieu d’affectation, après son entrée en fonctions, est sans incidence sur le droit au paiement de l’indemnité de dépaysement.

26      De l’avis du requérant et contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 51 de l’arrêt attaqué, c’est délibérément que le législateur de l’Union n’a pas abordé la question du changement de nationalité après le recrutement du fonctionnaire concerné. Or, la seule conclusion qu’il conviendrait d’en tirer, compte tenu de la raison d’être de l’indemnité de dépaysement, serait que l’acquisition d’une nouvelle nationalité après l’entrée en service de l’intéressé ne peut constituer un motif de
retrait du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement si celui-ci satisfaisait initialement aux conditions requises.

27      Une telle interprétation serait, en outre, confirmée par la conclusion du Tribunal, figurant au point 49 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’indemnité de dépaysement a pour but d’inciter un recrutement sur une base géographique aussi large que possible. Cette indemnité ne pourrait dès lors être réexaminée après l’entrée en fonctions de l’intéressé.

28      Le requérant ajoute, dans la réplique, en faisant référence au terme « fiction », utilisé au point 85 de l’arrêt attaqué, que l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut devrait être interprété de manière à éviter l’application d’une telle « fiction », consistant en ce que le changement de nationalité d’un fonctionnaire soit réputé intervenir rétroactivement à la date de son entrée en service. En effet, à la date d’adoption de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, le
législateur de l’Union aurait eu parfaitement conscience des situations de double nationalité ou d’acquisition d’une nouvelle nationalité. Il n’aurait cependant pas prévu expressément que le droit au paiement de l’indemnité de dépaysement fût retiré dans de telles circonstances.

29      En outre, le requérant estime que, si les critères prévus à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut étaient appliqués après l’entrée en service du fonctionnaire concerné, la durée de résidence dans l’État du lieu d’affectation devrait alors être prise en considération. Or, dans la mesure où un changement de résidence de l’intéressé après son entrée en service – la condition de résidence étant la plus importante des deux conditions pour évaluer le besoin d’indemnisation,
la condition de nationalité étant secondaire – n’entraînerait pas une réévaluation du besoin d’indemnisation, il devrait en aller de même d’un changement de nationalité de l’intéressé. Selon le requérant, soit un fonctionnaire a dû quitter l’État de son lieu de résidence pour entrer en service, soit il a pu y rester. Ainsi, les conditions d’octroi du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement seraient entièrement fondées sur la situation qui précède l’entrée en service de l’intéressé.

30      La Commission, soutenue par le Conseil, considère que le premier moyen de pourvoi doit être écarté.

 Appréciation de la Cour

31      À titre liminaire, il importe de relever que le requérant n’a formulé aucun grief à l’encontre du raisonnement suivi aux points 55 à 73 de l’arrêt attaqué, au terme duquel le Tribunal a écarté l’argumentation selon laquelle le requérant aurait été contraint de solliciter la naturalisation belge dans la perspective éventuelle du retrait du Royaume-Uni de l’Union.

32      Il s’ensuit que l’examen du premier moyen de pourvoi doit partir du postulat que le requérant, ayant uniquement eu la nationalité du Royaume-Uni à la date de son entrée en fonctions à la Commission en 2001, a volontairement acquis la nationalité de l’État de son lieu d’affectation en cours de carrière, au mois de novembre 2017.

33      Il y a lieu de rappeler que l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, qui est calculée, notamment, à partir du montant du traitement de base du fonctionnaire concerné, constitue un élément de la rémunération de ce dernier, versée de manière mensuelle.

34      L’octroi, dans le droit de la fonction publique de l’Union, d’un tel élément de rémunération ne saurait créer des droits acquis de nature à s’opposer à une éventuelle abrogation de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 1978, Herpels/Commission, 54/77, EU:C:1978:45, point 39). C’est dès lors à bon droit que, sans que cela soit d’ailleurs contesté par le requérant, le Tribunal a jugé, en substance, au point 38 de l’arrêt attaqué, qu’il ne résultait aucunement des dispositions du statut,
en particulier de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII de celui-ci, que l’octroi du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement constituerait un droit acquis.

35      C’est également à bon droit que, au point 37 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a déduit de l’arrêt cité au point précédent du présent arrêt que, dès lors que l’indemnité de dépaysement est versée mensuellement, l’administration ne saurait continuer à la verser lorsque survient un événement modifiant de façon substantielle la situation de la personne qui en bénéficie dans la mesure où cet événement a une incidence sur les conditions auxquelles est subordonné l’octroi du droit au paiement de
cette indemnité.

36      Sans critiquer formellement le bien-fondé de ce constat, le requérant fait toutefois valoir que le Tribunal a erronément considéré que l’acquisition, en cours de carrière, par un fonctionnaire, de la nationalité de l’État de son lieu d’affectation a une incidence sur les conditions d’octroi du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement, prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut. Selon le requérant, ces conditions doivent, hormis l’hypothèse du changement de
l’État du lieu d’affectation de l’intéressé, uniquement être satisfaites avant l’entrée en fonctions de celui-ci.

37      À cet égard, il importe de rappeler que, selon l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, l’indemnité de dépaysement est accordée au fonctionnaire, aux termes du premier tiret de cette disposition, « qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation » et, selon son second tiret, « qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou
exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État ».

38      Eu égard au libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, le bénéfice de l’indemnité de dépaysement n’est accordé qu’au fonctionnaire qui satisfait aux deux conditions cumulatives négatives prévues à cette disposition (ordonnance du 6 juillet 2021, Karpeta-Kovalyova/Commission, C‑717/20 P, non publiée, EU:C:2021:542, point 11), dont la première, qui figure au premier tiret de celle-ci, requiert de ce fonctionnaire de ne pas avoir, et de n’avoir jamais eu, la
nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé son lieu d’affectation.

39      Si, comme le requérant le prétend, la condition selon laquelle le fonctionnaire concerné « n’a pas et n’a jamais eu la nationalité » de l’État de son lieu d’affectation devait uniquement être appréciée à la date de l’entrée en fonctions de l’intéressé, et non tout au long de la carrière de celui-ci, cette disposition, dans laquelle le présent de l’indicatif est employé et qui concerne un élément de la rémunération de ce fonctionnaire versée de manière mensuelle, aurait nécessairement été
rédigée de manière différente, ainsi que le Tribunal l’a mentionné à juste titre au point 45 de l’arrêt attaqué.

40      Ainsi, le libellé de ladite disposition ne se serait pas limité à faire référence à la date de l’« entrée en fonctions » de l’intéressé uniquement aux fins d’apprécier la satisfaction de la seconde condition, également négative, d’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, à savoir l’absence de résidence habituelle ou d’activité professionnelle sur le territoire de l’État du lieu d’affectation de l’intéressé durant la « période quinquennale de référence »
expirant six mois avant cette date. Au contraire, il aurait été fait immanquablement référence à cette date afin d’examiner le respect de la première condition, selon laquelle le fonctionnaire concerné ne doit pas posséder la nationalité de cet État.

41      La rédaction des autres dispositions de l’article 4 de l’annexe VII du statut ainsi que l’économie de cet article corroborent l’analyse selon laquelle cette première condition, relative à l’absence de nationalité de l’État du lieu d’affectation, ne se limite pas à viser la nationalité que le fonctionnaire concerné possédait avant son entrée en fonctions.

42      En effet, d’une part, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de cette annexe, le droit au paiement de l’indemnité de dépaysement peut être également octroyé au fonctionnaire « ayant ou ayant eu la nationalité » de l’État de son lieu d’affectation et qui satisfait aux autres conditions de cette disposition. En outre, il y a lieu de relever que l’indemnité d’expatriation, visée à l’article 4, paragraphe 2, de ladite annexe, n’est accordée qu’au fonctionnaire « n’ayant pas et n’ayant
jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation » et qui ne satisfait pas aux autres conditions prévues pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement. Ainsi, aucune de ces dispositions ne suggère que la condition relative à l’existence ou à l’absence de nationalité de l’État du lieu d’affectation du fonctionnaire concerné se rapporte uniquement à la nationalité de ce fonctionnaire à la date de son entrée en fonctions auprès des institutions de
l’Union.

43      D’autre part, s’agissant de l’économie de l’article 4 de l’annexe VII du statut, il importe de relever que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, de cette annexe, le fonctionnaire qui, par mariage, a acquis d’office, sans possibilité d’y renoncer, la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé son lieu d’affectation, « est assimilé » à celui visé à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de ladite annexe. Cet article 4, paragraphe 3, inséré dans le statut à la suite
du prononcé des arrêts du 20 février 1975, Airola/Commission (21/74, EU:C:1975:24), et du 20 février 1975, Van den Broeck/Commission (37/74, EU:C:1975:25), neutralise ainsi les effets de l’acquisition d’office, par mariage, de la nationalité de l’État du lieu d’affectation du fonctionnaire concerné lorsque ce dernier ne peut y renoncer.

44      Or, l’article 4, paragraphe 3, de l’annexe VII du statut serait privé d’effet utile si la disposition à laquelle il renvoie devait uniquement se rapporter à l’acquisition de la nationalité de l’État du lieu d’affectation du fonctionnaire concerné avant l’entrée en fonctions de ce dernier. En effet, l’objet de l’article 4, paragraphe 3, de cette annexe étant, dans le but de garantir le respect du principe de non‑discrimination, d’éviter qu’un fonctionnaire ne se voie retirer le droit au
paiement de l’indemnité de dépaysement par l’administration à la suite de l’acquisition, par mariage, de la nationalité de l’État de son lieu d’affectation sans renonciation possible, cette disposition, tout comme l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de l’annexe VII du statut auquel elle renvoie, doit s’appliquer même lorsque cette nationalité a été acquise après l’entrée en fonctions de l’intéressé.

45      Par ailleurs, accueillir les griefs du requérant formulés à l’encontre de l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, retenue dans l’arrêt attaqué, reviendrait, en cas d’acquisition par le fonctionnaire concerné de la nationalité de l’État de son lieu d’affectation après son entrée en fonctions, à considérer la nationalité d’origine de ce fonctionnaire comme étant la seule « nationalité effective » de celui-ci, ce qui a été expressément écarté par la
Cour dans l’arrêt du 14 décembre 1979, Devred/Commission (257/78, EU:C:1979:294, point 14).

46      Certes, l’intégration du fonctionnaire concerné dans l’État de son lieu d’affectation, après son entrée en fonctions, est indifférente en ce qui concerne l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), second tiret, de l’annexe VII du statut. Il est également vrai que, comme la Cour l’a itérativement jugé, l’indemnité de dépaysement vise à compenser les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de fonctions auprès des institutions de l’Union pour les fonctionnaires qui
sont, de ce fait, obligés de changer de résidence (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission, C‑452/93 P, EU:C:1994:332, point 20, et ordonnance du 6 juillet 2021, Karpeta-Kovalyova/Commission, C‑717/20 P, non publiée, EU:C:2021:542, point 4).

47      Toutefois, ces considérations ne signifient pas que, quand bien même la condition relative à la nationalité du fonctionnaire concerné n’est envisagée qu’à titre secondaire (voir notamment, en ce sens, arrêt du 15 janvier 1981, Vutera/Commission, 1322/79, EU:C:1981:6, point 6), l’application de cette condition doive nécessairement faire abstraction des évènements, tels qu’un changement de nationalité, se produisant après l’entrée en fonctions du fonctionnaire concerné.

48      Il est aussi exact, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 47 de l’arrêt attaqué, que les charges et désavantages résultant de la prise de fonctions auprès des institutions de l’Union sont susceptibles de perdurer pour les fonctionnaires, qui, à l’instar du requérant, ont, en cours de carrière, acquis volontairement la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation.

49      Il n’en reste pas moins que le statut n’ignore pas une telle situation, puisque l’indemnité de dépaysement n’est pas automatiquement perdue pour l’avenir dans un tel cas de figure. En effet, malgré le changement substantiel de la situation personnelle du fonctionnaire concerné qui est occasionné par l’acquisition de la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, le statut permet à ce fonctionnaire de conserver, sous certaines conditions, le bénéfice d’une telle indemnité, non plus sur
le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de son annexe VII, mais en application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de celle-ci.

50      S’il est vrai, ainsi que le requérant le fait valoir et comme l’a d’ailleurs souligné le Tribunal au point 76 de l’arrêt attaqué, que les conditions d’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut sont interprétées par le juge de l’Union de manière plus restrictive que celles de l’article 4, paragraphe 1, sous a), second tiret, de celle-ci, il importe de relever que le requérant n’a toutefois formulé aucune critique à l’égard d’une telle différence, pas plus
qu’il ne fait grief au Tribunal d’avoir écarté, aux points 125 à 127 de l’arrêt attaqué, l’exception d’illégalité de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, qu’il avait soulevée, à titre subsidiaire, en première instance.

51      Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a interprété l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut en ce sens qu’un fonctionnaire qui, après son entrée en service, acquiert la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, perd, pour l’avenir, le bénéfice de l’indemnité de dépaysement qui lui avait été accordée sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, ce qui implique que le droit au paiement de cette indemnité de ce fonctionnaire soit
réexaminé par l’administration, ainsi que le Tribunal l’a constaté, en substance, au point 52 de l’arrêt attaqué.

52      Il s’ensuit que le premier moyen de pourvoi doit être écarté comme étant non fondé.

 Sur le second moyen, tiré de la discrimination injustifiée qui résulterait de l’application par le Tribunal de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut

 Argumentation des parties

53      Le requérant allègue que le Tribunal n’a pas correctement examiné l’argumentation qu’il avait invoquée en première instance, selon laquelle l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut aux fonctionnaires ayant acquis, après leur entrée en fonctions, la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation, est discriminatoire.

54      De l’avis du requérant, le Tribunal n’a pas correctement analysé, d’une part, les différentes situations en présence et, d’autre part, la question de savoir si la discrimination qu’il aurait dû identifier pouvait être objectivement justifiée.

55      Eu égard à l’objectif de l’indemnité de dépaysement, le requérant soutient que les fonctionnaires qui acquièrent la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation en cours de carrière et les fonctionnaires qui possédaient cette nationalité à la date de leur entrée en service, tels qu’identifiés aux points 87 et 89 de l’arrêt attaqué, constituent deux catégories de fonctionnaires bien distinctes. Ces deux catégories de fonctionnaires seraient en effet affectées de manière différente par
l’éloignement de leur lieu d’origine.

56      Or, le Tribunal n’aurait, à aucun stade de son analyse, abordé l’existence desdites deux catégories de fonctionnaires ni envisagé les conséquences d’un traitement identique de celles-ci. Le Tribunal aurait simplement assimilé de manière erronée, aux points 87 à 89 de l’arrêt attaqué, la catégorie des fonctionnaires ayant acquis la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation après leur entrée en fonctions avec celle des fonctionnaires qui avaient, ou avaient eu, cette nationalité avant
leur entrée en fonctions.

57      Si le Tribunal avait distingué les mêmes deux catégories de fonctionnaires, il aurait constaté que, sur la base de la « fiction » adoptée dans la décision litigieuse, celles-ci étaient traitées de la même manière et étaient soumises à la même « présomption stricte » d’existence de liens étroits avec le lieu d’affectation au cours des dix années ayant précédé leur entrée en fonctions, présomption qui ne peut être réfutée qu’en démontrant l’absence de toute période de résidence habituelle dans
l’État du lieu d’affectation du fonctionnaire concerné au cours de ces dix années.

58      Selon le requérant, l’arrêt attaqué est ainsi entaché d’une violation du principe d’égalité de traitement, puisque la catégorie des fonctionnaires n’ayant pas acquis la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation avant ou pendant lesdites dix années serait injustement soumise à cette « présomption stricte ».

59      Le requérant ajoute, dans la réplique, que l’interprétation et l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut ne devrait pas procéder d’une « fiction », consistant en ce que le changement de nationalité du fonctionnaire concerné soit réputé intervenir rétroactivement à la date de l’entrée en service de l’intéressé. Une telle approche n’aurait aucun sens, puisqu’elle reviendrait à vérifier, pour l’octroi du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement, si ce
fonctionnaire a rompu, au cours des mêmes dix années, tout lien avec l’État dont il n’avait pas la nationalité. Or, par définition, un lien qui n’existait pas ne saurait être rompu.

60      De surcroît, cette « fiction » impliquerait un « déplacement des catégories ». En d’autres termes, en réponse à l’argumentation du requérant relative à la violation du principe d’égalité de traitement, le Tribunal, à l’instar de la Commission, aurait « déplacé le requérant d’une catégorie à une autre ». Or, selon le requérant, aucun grief de discrimination ne pourrait jamais prospérer s’il était possible, à l’instar du Tribunal dans l’arrêt attaqué, de modifier fictivement une catégorisation
en vue de supprimer la différence de traitement entre les catégories concernées.

61      De l’avis du requérant, la différence de traitement ainsi mise en évidence ne saurait être justifiée par l’objectif qui sous-tend l’octroi du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement, alors même que cet objectif aurait été correctement rappelé aux points 47 à 50 de l’arrêt attaqué.

62      À cet égard, le fait que, ainsi que le Tribunal l’a indiqué au point 86 de l’arrêt attaqué, l’indemnité de dépaysement a vocation à être versée pendant toute la durée d’exercice des fonctions serait sans incidence. Sans contester l’exactitude de cette affirmation, le requérant allègue qu’il convient de distinguer la jouissance d’un avantage statutaire de la base juridique qui lui donne naissance. Le droit au paiement de l’indemnité de dépaysement étant établi sur la base des circonstances
qui prévalaient au cours de la période ayant précédé l’entrée en fonctions du fonctionnaire concerné, ce serait l’évaluation de cette période ainsi que la décision relative au refus d’accorder le droit au paiement de cette indemnité qui seraient à l’origine de la discrimination. Le point 86 de l’arrêt attaqué serait d’ailleurs incohérent avec l’affirmation effectuée, notamment, au point 47 de cet arrêt, selon laquelle ladite indemnité est versée pour compenser l’éloignement de l’intéressé de son
lieu d’origine, lequel perdurerait tout au long de la carrière du fonctionnaire concerné.

63      En ayant omis d’analyser l’objectif de l’indemnité de dépaysement lorsqu’il a examiné le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. Au demeurant, l’examen des statistiques communiquées par les institutions de l’Union, effectué aux points 93 à 97 de l’arrêt attaqué, est, à cet égard, dépourvu de pertinence du point de vue juridique.

64      Ce serait également à tort que le Tribunal n’aurait pas appliqué l’article 1^er, quinquies, paragraphe 5, du statut et qu’il aurait, par conséquent, jugé qu’il n’incombait pas à la Commission de s’acquitter de l’obligation de justifier toute différence de traitement.

65      La Commission et le Conseil font valoir que le second moyen de pourvoi doit être écarté.

 Appréciation de la Cour

66      Il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

67      Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, l’indemnité de dépaysement est versée « au fonctionnaire qui, ayant ou ayant eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, a, de façon habituelle, pendant la période de dix années expirant lors de son entrée en service, habité hors du territoire européen dudit État pour une raison autre que l’exercice de fonctions dans un service d’un État ou dans une organisation
internationale ».

68      Par conséquent, dès lors qu’un fonctionnaire « a ou a eu » la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, il doit, pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement, satisfaire aux conditions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut.

69      Certes, dans le cas de figure d’un fonctionnaire qui, comme le requérant, a volontairement acquis la nationalité de l’État de son lieu d’affectation en cours de carrière, l’application de ces conditions revient à vérifier, ainsi que le requérant l’indique à juste titre, si, pendant la période de dix ans qui a précédé l’entrée en service de l’intéressé, il résidait de manière habituelle en dehors du territoire européen de cet État.

70      En effet, l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut n’envisage aucune autre situation dans laquelle un fonctionnaire qui a ou a eu la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, au sens du point b) de cette disposition, est en droit d’obtenir le paiement de l’indemnité de dépaysement.

71      Cela étant, d’une part, ainsi que cela est précisé au point 50 du présent arrêt, le requérant ne conteste pas l’appréciation, figurant au point 76 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, s’agissant des fonctionnaires possédant la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation, la circonstance d’y avoir maintenu ou établi leur résidence habituelle, ne fût-ce que pour une durée très brève au cours de la « période décennale de référence », suffit à entraîner le refus ou la perte du bénéfice de
l’indemnité de dépaysement.

72      D’autre part, il importe de préciser que, aux fins de l’appréciation de son droit de bénéficier de cette indemnité, le requérant n’a été assimilé aux fonctionnaires ayant la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation qu’à compter de la date à laquelle il a lui-même acquis, de manière volontaire, cette nationalité et non antérieurement à cette date.

73      Toutefois, le requérant prétend que, même à compter de ladite date, il se trouve dans une situation objectivement différente de celle d’un fonctionnaire qui possède, avant même son entrée en service, la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, dans la mesure où son lieu d’origine reste fixé en Écosse.

74      Une telle argumentation revient à ignorer que, tandis que, en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut, le lieu d’origine du fonctionnaire concerné est fixé à la date du recrutement de l’intéressé et que la modification de ce lieu ne peut intervenir, pendant que l’intéressé est en fonctions, que de manière exceptionnelle, sur demande dûment motivée de ce dernier, l’octroi du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement répond à des critères différents et que ce droit
doit, dans l’hypothèse d’un changement substantiel de circonstances intervenant postérieurement à l’entrée en fonctions de l’intéressé, être réexaminé par l’administration, indépendamment d’une demande de celui-ci.

75      Les dispositions du statut relatives à la fixation et à la modification du lieu d’origine sont par conséquent sans pertinence pour distinguer objectivement la situation du requérant de celle d’un autre fonctionnaire qui a ou a eu la nationalité de l’État de son lieu d’affectation avant son entrée en service, dans le cadre de l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut.

76      Partant, aux fins de l’appréciation de son droit de bénéficier de l’indemnité de dépaysement et ainsi que le Tribunal l’a constaté, en substance, au point 87 de l’arrêt attaqué, la seule catégorie de fonctionnaires à laquelle le requérant peut être objectivement comparé, après sa naturalisation belge, est celle des fonctionnaires qui possèdent la nationalité belge.

77      En effet, continuer, après sa naturalisation dans l’État de son lieu d’affectation, à assimiler le requérant, comme ce dernier le prétend, aux fonctionnaires qui n’ont pas et n’ont jamais eu la nationalité de cet État, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de l’annexe VII du statut, reviendrait à méconnaître les catégories concrètes établies à l’article 4 de cette annexe VII, dont celle visée à l’article 4, paragraphe 3, de ladite annexe.

78      La situation du requérant est, en définitive, comparable à celle d’un fonctionnaire qui, bien qu’ayant eu la possibilité de faire usage de la faculté de renoncer à la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, acquise d’office à la suite de son mariage avec un ressortissant de cet État, a volontairement décidé de conserver cette nationalité, ce qui conduit à appliquer à ce fonctionnaire les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut (voir, en ce
sens, arrêt du 14 décembre 1979, Devred/Commission, 257/78, EU:C:1979:294, points 12 et 14).

79      Dès lors, ne pas faire application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut à la situation du requérant à partir de la date à laquelle celui-ci a acquis la nationalité belge conduirait à traiter celui-ci, sans justification objective, plus favorablement que les fonctionnaires qui, bien qu’ayant pu renoncer à la nationalité de l’État de leur lieu d’affectation, acquise d’office par mariage, ont fait le choix de conserver cette nationalité voire, ainsi que le Tribunal
l’a observé au point 87 de l’arrêt attaqué, à le traiter plus favorablement que les citoyens belges de naissance, entrés en fonctions dans une institution de l’Union dont le siège est en Belgique, qui ont dû satisfaire aux conditions strictes imposées à cette disposition pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement tout au long de leur carrière.

80      De surcroît, il importe de rappeler que le réexamen de la situation personnelle d’un fonctionnaire, telle que celle du requérant, en application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, à compter de la date à laquelle l’intéressé a acquis la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, n’implique pas automatiquement le retrait de son droit au paiement de l’indemnité de dépaysement pour l’avenir. En effet, à la suite d’un tel réexamen, ce fonctionnaire ne cesse de
percevoir cette indemnité que s’il est constaté qu’il a résidé de manière habituelle sur le territoire européen de cet État durant la période des dix ans qui a précédé son entrée en fonctions.

81      Or, si le requérant n’a, tout au long de la procédure contentieuse, jamais prétendu qu’il n’avait pas effectivement résidé habituellement en Belgique, à tout le moins, pour une partie de la « période décennale de référence », il apparaît que, de manière générale, la seconde condition prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut sera plus aisément satisfaite par un fonctionnaire naturalisé durant sa carrière que par un fonctionnaire qui possède la nationalité de
l’État de son lieu d’affectation depuis sa naissance ou qui l’a acquise avant son entrée en fonctions et dont il peut être présumé qu’il a entretenu des liens multiples et étroits avec cet État.

82      Partant, en concluant, en substance, au point 97 de l’arrêt attaqué, que le requérant devait, en vue de continuer à bénéficier de l’indemnité de dépaysement à partir de la date à laquelle il avait volontairement acquis la nationalité de l’État de son lieu d’affectation, satisfaire aux conditions de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, à l’instar de tout fonctionnaire possédant cette nationalité, le Tribunal n’a pas méconnu le principe d’égalité de traitement.

83      Il s’ensuit que le second moyen doit être écarté comme étant non fondé.

84      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, aucun des moyens soulevés au soutien du pourvoi n’ayant été accueilli, le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

85      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

86      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

87      En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

88      En vertu de l’article 184, paragraphe 4, dudit règlement de procédure, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supportera ses propres dépens.

89      En l’espèce, le Conseil, partie intervenante en première instance, ayant, sans être l’auteur du pourvoi, participé à la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider qu’il supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Colin Brown est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens.

Signatures

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*      Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-675/20
Date de la décision : 15/09/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 4, paragraphe 1, sous a) et b) – Fonctionnaire de l’Union ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ayant résidé, de façon habituelle, sur le territoire de l’État de son lieu d’affectation au cours des dix années ayant précédé son entrée en service – Retrait du Royaume-Uni de l’Union – Acquisition par ce fonctionnaire de l’Union de la nationalité de l’État de son lieu d’affectation – Retrait du droit au paiement de l’indemnité de dépaysement – Recours en annulation.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Colin Brown
Défendeurs : Commission européenne et Conseil de l’Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Rossi

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:686

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