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22/12/2022 | CJUE | N°C-20/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Syndicat Les Entreprises du Médicament (LEEM) contre Ministre des Solidarités et de la Santé., 22/12/2022, C-20/22


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Directive 89/105/CEE – Transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie – Article 4 – Blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments – Mesure nationale concernant uniquement certains médicaments pris individuellement – Fixation d’un prix maximal de vente de

certains médicaments aux
établissements de santé »

Dans l’affaire C‑20/22,

ayant pour objet une...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Directive 89/105/CEE – Transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie – Article 4 – Blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments – Mesure nationale concernant uniquement certains médicaments pris individuellement – Fixation d’un prix maximal de vente de certains médicaments aux
établissements de santé »

Dans l’affaire C‑20/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 30 décembre 2021, parvenue à la Cour le 10 janvier 2022, dans la procédure

Syndicat Les Entreprises du médicament (LEEM)

contre

Ministre des Solidarités et de la Santé,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le syndicat Les Entreprises du médicament (LEEM), par Me E. Nigri, avocat,

– pour le gouvernement français, par MM. G. Bain et J.‑L. Carré, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. A. Sipos et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4 de la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance-maladie (JO 1989, L 40, p. 8).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le syndicat Les Entreprises du médicament (LEEM) au ministre des Solidarités et de la Santé (France) au sujet de la validité du décret no 2020‑1437, du 24 novembre 2020, relatif aux modalités de fixation du prix maximal de vente aux établissements de santé d’un produit de santé (JORF du 25 novembre 2020, texte no 29, ci-après le « décret litigieux »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les cinquième et sixième considérants de la directive 89/105 énoncent :

« [...] la présente directive a pour objet d’obtenir une vue d’ensemble des accords nationaux en matière de fixation des prix, y compris la façon dont ils s’appliquent à des cas individuels et tous les critères sur lesquels ils sont fondés, et de fournir un accès public à ces accords à toute personne concernée par le marché des produits pharmaceutiques dans les États membres ; [...]

[...] pour éliminer ces disparités, il est urgent, dans un premier temps, d’établir une série d’exigences permettant à toutes les parties intéressées de vérifier si les mesures nationales ne constituent pas des restrictions quantitatives aux importations ou exportations, ou des mesures d’effet équivalent ; que, toutefois, ces exigences n’affectent pas la politique des États membres qui se fonde principalement sur la libre concurrence pour déterminer les prix des médicaments ; que ces exigences
n’affectent pas non plus les politiques nationales en matière de fixation des prix et d’instauration des systèmes de sécurité sociale, sauf dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de la transparence au sens de la présente directive ».

4 L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive se lit comme suit :

« Les États membres veillent à ce que toute mesure nationale, qu’elle soit de nature législative, réglementaire ou administrative, en vue de contrôler les prix des médicaments à usage humain ou de restreindre la gamme des médicaments couverts par leurs systèmes nationaux d’assurance-maladie, soit conforme aux exigences de la présente directive. »

5 L’article 2, point 1, de ladite directive dispose :

« Les dispositions suivantes sont applicables lorsque la commercialisation d’un médicament n’est autorisée qu’après que les autorités compétentes de l’État membre intéressé ont approuvé le prix du produit :

1) Les États membres veillent à ce qu’une décision relative au prix applicable au médicament en question soit adoptée et communiquée au demandeur dans un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la réception d’une demande présentée, conformément aux conditions fixées dans l’État membre concerné, par le titulaire d’une autorisation de commercialisation. [...] »

6 L’article 3, point 1, de la même directive précise :

« Sans préjudice de l’article 4, les dispositions suivantes s’appliquent lorsqu’une augmentation du prix d’un médicament n’est autorisée qu’après l’obtention d’une autorisation préalable des autorités compétentes :

1) Les États membres veillent à ce qu’une décision relative à une demande d’augmentation du prix d’un médicament, présentée conformément aux conditions fixées dans l’État membre concerné par le titulaire d’une autorisation de commercialisation, soit adoptée et communiquée au demandeur dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de sa réception. Le demandeur fournit aux autorités compétentes les informations suffisantes, y compris les détails des faits qui, intervenus depuis la dernière
fixation du prix du médicament, justifient, selon lui, l’augmentation de prix demandée. [...] »

7 L’article 4 de la directive 89/105 prévoit :

« 1.   En cas de blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments, imposé par les autorités compétentes d’un État membre, cet État membre vérifie, au moins une fois par an, si les conditions macro-économiques justifient le maintien du blocage inchangé. Dans un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la date à laquelle commence cet examen, les autorités compétentes annoncent quelles augmentations ou réductions de prix sont opérées, si tant est qu’il y en a.

2.   Dans des cas exceptionnels, le titulaire d’une autorisation de commercialisation d’un médicament peut, pour des raisons particulières, demander à bénéficier d’une dérogation au blocage de prix. [...]

[...] »

8 L’article 6 de cette directive est libellé comme suit :

« Les dispositions suivantes sont applicables lorsqu’un médicament n’est couvert par le système national d’assurance-maladie qu’après que les autorités compétentes ont décidé d’inclure le médicament en question dans une liste positive de médicaments couverts par le système national d’assurance-maladie.

1) Les États membres veillent à ce qu’une décision relative à une demande d’inscription d’un médicament sur la liste des médicaments couverts par le système d’assurance-maladie soit adoptée et communiquée au demandeur dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la réception de la demande présentée, conformément aux conditions fixées dans l’État membre concerné, par le titulaire d’une autorisation de commercialisation. [...]

[...]

2) Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d’assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations des experts sur lesquels les décisions s’appuient. En outre, le demandeur est informé des moyens de recours dont il dispose selon la législation en vigueur, ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés.

3) Les États membres publient dans une publication appropriée et communiquent à la Commission [européenne], avant la date visée à l’article 11, paragraphe 1, les critères sur lesquels les autorités compétentes doivent se fonder pour décider d’inscrire ou non des médicaments sur les listes.

4) Dans un délai d’un an à compter de la date visée à l’article 11, paragraphe 1, les États membres publient dans une publication appropriée et communiquent à la Commission une liste complète des produits couverts par leur système d’assurance-maladie, avec leurs prix fixés par les autorités nationales compétentes. Cette information est mise à jour au moins une fois par an.

5) Toute décision d’exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d’assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables. De telles décisions, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations d’experts sur lesquels les décisions sont fondées, sont communiquées à la personne responsable, qui est informée des moyens de recours dont elle dispose selon la législation en vigueur ainsi que des délais dans lesquels ces recours
peuvent être formés.

6) Toute décision d’exclure une catégorie de médicaments de la liste des produits couverts par le système national d’assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables et est publiée dans une publication appropriée. »

Le droit français

9 L’article L. 162-16-4-3 du code de la sécurité sociale, tel que modifié par la loi no 2019-1446, du 24 décembre 2019, de financement de la sécurité sociale pour 2020 (JORF du 27 décembre 2019, texte no 1, ci‑après le « code de la sécurité sociale »), dispose :

« I. – Les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale peuvent fixer par arrêté, pour certains médicaments [...] ou pour certains produits de santé [...], un prix maximal de vente aux établissements de santé, dans au moins l’une des situations suivantes :

1o En cas de risque de dépenses injustifiées, notamment au regard d’une augmentation significative des prix de vente constatés ou au regard des prix de produits de santé comparables ;

2o Dans le cas de produits de santé qui, à titre unitaire ou compte tenu de leur volume global, ont, de manière prévisible ou constatée, un caractère particulièrement coûteux pour certains établissements.

II. – Le prix maximal prévu au I est fixé, après que l’entreprise a été mise en mesure de présenter ses observations :

[...]

III. – Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. »

10 L’article R. 163-11-2 de ce code, tel qu’introduit par l’article 1er du décret litigieux, énonce :

« I. – Lorsque les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale envisagent de fixer, pour une spécialité pharmaceutique ou un autre produit de santé, un prix maximal de vente aux établissements de santé, en application de l’article L. 162‑16‑4‑3, ils en informent les entreprises exploitant le produit de santé concerné par tout moyen permettant de donner une date certaine à la réception de cette information. Ils précisent les produits de santé concernés, les motifs de la fixation d’un
prix maximal de vente et le niveau des prix envisagés.

[...]

II. – Les prix maximaux de vente fixés en application de l’article L. 162‑16‑4‑3 peuvent être modifiés par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, soit à la demande de l’entreprise exploitant le produit de santé concerné, soit à l’initiative des ministres, selon les modalités suivantes :

1o Lorsque la modification résulte de l’initiative des ministres, elle intervient selon la procédure prévue au I ;

2o Lorsque la demande de modification du prix est formée par l’entreprise exploitante, celle-ci adresse sa demande aux ministres accompagnée d’un dossier comportant les informations nécessaires à l’appréciation de cette demande. [...]

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

11 Le 25 janvier 2021, le syndicat LEEM a introduit auprès du Conseil d’État (France) un recours tendant à l’annulation du décret litigieux.

12 Le décret litigieux et l’article L. 162-16-4-3 du code de la sécurité sociale, que ce décret vise à mettre en œuvre, prévoient, selon la demande de décision préjudicielle, un dispositif de fixation d’un prix maximal de vente de certains médicaments ou produits de santé afin de réduire l’écart significatif de prix qui peut parfois être constaté, entre établissements de santé, pour un même médicament inscrit sur la liste des spécialités agréées à l’usage des collectivités publiques ou pour un même
produit de santé.

13 À l’appui de son recours, le syndicat LEEM soutient, notamment, que le décret litigieux et l’article L. 162‑16‑4‑3 du code de la sécurité sociale méconnaissent l’article 4 de la directive 89/105. Ainsi, il a fait valoir devant la juridiction de renvoi que le mécanisme de plafonnement du prix de vente de certains médicaments mis en place par cet article constitue un mécanisme de « blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments », au sens de cet article 4. Ce
mécanisme devrait donc, conformément à cette disposition et à peine d’illégalité, faire l’objet d’une évaluation annuelle des conditions macroéconomiques justifiant le maintien du blocage des prix en cause et permettre à l’exploitant de la spécialité pharmaceutique concernée de bénéficier, dans des cas exceptionnels et pour des raisons particulières, d’une dérogation à ce blocage.

14 La juridiction de renvoi estime que la réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l’article 4 de la directive 89/105 et, partant, la solution du litige au principal dépendent de la question de savoir si la notion de « blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments », figurant à cet article 4, doit être interprétée comme s’appliquant à une mesure dont la finalité est de contrôler les prix de certains médicaments pris individuellement. En effet, le Conseil
d’État interprète le mécanisme de plafonnement du prix de vente aux établissements de santé mis en place par l’article L. 162‑16‑4‑3 du code de la sécurité sociale comme étant un dispositif portant uniquement sur certains médicaments pris individuellement et n’ayant, par conséquent, pas vocation à s’appliquer à tous les médicaments, ni même à certaines catégories d’entre eux.

15 La juridiction de renvoi ajoute que l’évaluation au moins annuelle des conditions macroéconomiques justifiant le maintien inchangé du blocage des prix, prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105, semble, en l’occurrence, dépourvue de portée, dès lors qu’une mesure prise au titre de cet article L. 162‑16‑4‑3 n’est pas de nature macroéconomique, mais est fondée sur les prix de vente constatés du médicament concerné, considéré seul ou au regard de médicaments comparables. De même, la
possibilité pour le titulaire d’une autorisation de commercialisation de demander, dans des cas exceptionnels, au titre de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, à bénéficier d’une dérogation au blocage de prix pour des raisons particulières semblerait être sans objet, puisqu’une mesure prise au titre dudit article L. 162‑16‑4‑3 prendra la forme d’une décision individuelle.

16 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 4 de la directive [89/105] doit-il être interprété en ce sens que la notion de “blocage [du] prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments” s’applique à une mesure dont la finalité est de contrôler les prix des médicaments mais qui concerne uniquement certains médicaments pris individuellement, et n’a pas vocation à s’appliquer à tous les médicaments, ni même à certaines catégories d’entre eux et alors que les garanties que cet article attache à l’existence
d’une mesure de blocage telle qu’il la définit apparaissent, pour une telle mesure, dépourvues de portée ou d’objet ? »

Sur la question préjudicielle

17 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105 doit être interprété en ce sens que la notion de « blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments » s’applique à une mesure dont la finalité est de contrôler les prix de certains médicaments pris individuellement.

18 En premier lieu, selon une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, point 33 et jurisprudence citée).

19 S’agissant des termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105, il y a lieu de rappeler que cette disposition vise des mesures de blocage de prix, imposées par les autorités d’un État membre à l’égard de « tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments ». La notion de « catégories de médicaments » n’étant pas définie par cette directive, il importe de tenir compte de son sens habituel dans le langage courant (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, AFMB e.a.,
C‑610/18, EU:C:2020:565, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

20 À cet égard, il y a lieu de souligner que la notion de « catégorie » implique, dans le langage courant, l’existence d’un ensemble d’objets possédant une ou plusieurs caractéristiques communes (voir, par analogie, arrêt du 12 octobre 2017, Shields & Sons Partnership, C‑262/16, EU:C:2017:756, point 47). Dès lors, la notion de « catégories de médicaments », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105, vise non pas des médicaments pris isolément, mais seulement des groupes de
médicaments ayant une ou plusieurs caractéristiques communes.

21 Concernant le contexte dans lequel l’article 4 de la directive 89/105 s’inscrit et les objectifs poursuivis par cette dernière, il y a lieu de relever que cette directive est sous-tendue par l’idée d’une ingérence minimale dans l’organisation par les États membres de leurs politiques internes en matière de sécurité sociale (arrêt du 14 janvier 2010, AGIM e.a., C‑471/07 et C‑472/07, EU:C:2010:9, point 16 ainsi que jurisprudence citée). En effet, en vertu du sixième considérant de ladite directive,
les exigences découlant de celle-ci n’affectent ni la politique des États membres pour déterminer les prix des médicaments ni les politiques nationales en matière de fixation des prix et d’instauration des systèmes de sécurité sociale, sauf dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de la transparence au sens de la même directive.

22 Par conséquent, il convient d’interpréter la notion de « blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105, comme visant tous les médicaments ou des groupes de médicaments ayant une ou plusieurs caractéristiques communes, et comme excluant ainsi des mesures individuelles de blocage de prix relatives à des médicaments pris isolément.

23 En deuxième lieu, une telle interprétation de cet article 4, paragraphe 1, se trouve confortée par l’économie de cette disposition.

24 En effet, ladite disposition précise que, « en cas de blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments », les États membres sont tenus de vérifier « si les conditions macro-économiques justifient le maintien du blocage ». Or, ainsi que l’ont souligné tant le gouvernement français que la Commission dans leurs observations écrites, une telle obligation de vérification des conditions macroéconomiques ne fait sens qu’en présence de mesures visant tous les médicaments
ou des catégories de médicaments. Le maintien d’une mesure de blocage du prix d’un médicament pris isolément ne saurait trouver de justification dans les conditions macroéconomiques, puisqu’une telle mesure n’est pas susceptible d’entraîner un effet macroéconomique. Par conséquent, cette obligation implique nécessairement que les mesures de blocage de prix visant des médicaments pris isolément ne relèvent pas de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105.

25 Par ailleurs, le fait que l’article 4, paragraphe 2, de cette directive prévoit la possibilité d’introduire une demande de dérogation au blocage de prix confirme que le législateur de l’Union européenne a entendu exclure du champ d’application dudit article 4 les mesures de blocage de prix visant des médicaments pris isolément. En effet, contrairement à une exemption, une dérogation suppose un traitement différencié et individualisé en vertu duquel le demandeur échappe, sous réserve du respect de
certaines conditions, aux exigences prévues par une règle générale.

26 Ainsi, l’économie de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive ne saurait permettre de considérer que la notion de « catégorie de médicaments », au sens de cette disposition, couvre les mesures de blocage de prix adoptées non pas en ce qui concerne une catégorie de médicaments, mais à l’égard d’un médicament pris isolément.

27 En troisième et dernier lieu, il ressort d’une lecture systématique de la directive 89/105 que, lorsque le législateur de l’Union a voulu viser des mesures individuelles de blocage de prix, il l’a expressément indiqué.

28 À cet égard, les articles 2 et 3 de cette directive, qui visent respectivement, d’une part, les situations dans lesquelles une approbation du prix d’un médicament est requise avant sa commercialisation et, d’autre part, celles dans lesquelles l’augmentation du prix d’un médicament est soumise à l’obtention d’une autorisation préalable, se réfèrent au « prix applicable au médicament en question » et au « prix du médicament ». Il s’ensuit que le législateur de l’Union a entendu écarter tout doute
quant au fait que ces articles ne sont applicables qu’à des mesures visant des médicaments pris isolément.

29 De surcroît, lorsque le législateur de l’Union a souhaité qu’une disposition de la directive 89/105 vise à la fois des mesures de portée générale et des mesures individuelles de blocage du prix, il a veillé à ce que le libellé de cette disposition l’indique clairement. Ainsi, l’article 6 de cette directive, qui établit les dispositions procédurales applicables lors de l’inscription de médicaments sur la liste des produits couverts par le système national d’assurance maladie, vise, à ses
paragraphes 1 à 5, les demandes d’inscription d’« un médicament », tandis que son paragraphe 6 prévoit des dispositions particulières pour toute décision visant à exclure de cette liste « une catégorie de médicaments ».

30 Par conséquent, en se référant à la notion de « blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105, le législateur de l’Union a exclu toute mesure individuelle de blocage de prix du champ d’application de cet article 4.

31 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105 doit être interprété en ce sens que la notion de « blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments » ne s’applique pas à une mesure dont la finalité est de contrôler les prix de certains médicaments pris individuellement.

Sur les dépens

32 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  L’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance-maladie,

  doit être interprété en ce sens que :

  la notion de « blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments » ne s’applique pas à une mesure dont la finalité est de contrôler les prix de certains médicaments pris individuellement.

Arastey Sahún

Wahl

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 décembre 2022.
 
Le greffier

A. Calot Escobar

La présidente de chambre

M. L. Arastey Sahún

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-20/22
Date de la décision : 22/12/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).

Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Directive 89/105/CEE – Transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie – Article 4 – Blocage du prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments – Mesure nationale concernant uniquement certains médicaments pris individuellement – Fixation d’un prix maximal de vente de certains médicaments aux établissements de santé.

Sécurité sociale des travailleurs migrants

Santé publique

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Syndicat Les Entreprises du Médicament (LEEM)
Défendeurs : Ministre des Solidarités et de la Santé.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Wahl

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:1028

Source

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