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10/03/2023 | CJUE | N°C-625/22

CJUE | CJUE, Ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023., Grail LLC contre Commission européenne et Illumina Inc., 10/03/2023, C-625/22


 ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

10 mars 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Intervention – Article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Intérêt à la solution du litige – Concurrence – Concentrations – Marché de l’industrie pharmaceutique – Décision de la Commission européenne d’examiner une opération de concentration renvoyée par l’autorité de concurrence d’un État membre – Décision de la Commission acceptant que d’autres États membres se joignent à la demande de renvoi initiale –

Association professionnelle non
représentative du secteur concerné – Rejet »

Dans l’affaire C‑625/22 P,

ayant ...

 ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

10 mars 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Intervention – Article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Intérêt à la solution du litige – Concurrence – Concentrations – Marché de l’industrie pharmaceutique – Décision de la Commission européenne d’examiner une opération de concentration renvoyée par l’autorité de concurrence d’un État membre – Décision de la Commission acceptant que d’autres États membres se joignent à la demande de renvoi initiale – Association professionnelle non
représentative du secteur concerné – Rejet »

Dans l’affaire C‑625/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 30 septembre 2022,

Grail LLC, établie à Menlo Park (États-Unis), représentée par Me A. Giraud, avocat, Me J. M. Jiménez-Laiglesia Oñate, abogado, M. D. Little, solicitor, Me J. Ruiz Calzado, abogado, et Me S. Troch, advocaat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Illumina Inc., établie à San Diego (États-Unis), représentée par M. D. Beard, BL, Me J. Blanco, abogada, M. B. Cullen, BL, Me F. González Díaz, abogado, M. J. Holmes, barrister, Mes G. Rizza et M. Siragusa, avvocati,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. G. Conte, N. Khan et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République hellénique,

République française, représentée par M. T. Stéhelin et Mme N. Vincent, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et P. P. Huurnink, en qualité d’agents,

Autorité de surveillance AELE, représentée par Mme C. Simpson, M. M. Sánchez Rydelski et Mme M.-M. Joséphidès, en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

vu la proposition de M. N. Wahl, juge rapporteur,

l’avocat général, M. N. Emiliou, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1 Par son pourvoi, Grail LLC demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 juillet 2022, Illumina/Commission (T‑227/21, EU:T:2022:447), par lequel celui-ci a rejeté le recours tendant à l’annulation, premièrement, de la décision C(2021) 2847 final de la Commission, du 19 avril 2021, accueillant la demande de l’Autorité de la concurrence française d’examiner l’opération de concentration visant l’acquisition par Illumina, Inc. du contrôle exclusif de Grail, Inc. (affaire
COMP/M.10188 – Illumina/Grail), deuxièmement, des décisions C(2021) 2848 final, C(2021) 2849 final, C(2021) 2851 final, C(2021) 2854 final et C(2021) 2855 final de la Commission, du 19 avril 2021, accueillant les demandes des autorités de la concurrence grecque, belge, norvégienne, islandaise et néerlandaise de se joindre à cette demande de renvoi, ainsi que, troisièmement, de la lettre de la Commission du 11 mars 2021 informant Illumina et Grail de ladite demande de renvoi.

2 Par actes déposés au greffe de la Cour le 9 janvier 2023, l’association française des juristes d’entreprise (AFJE) et l’association européenne des juristes d’entreprise (AEJE) ont, sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que des articles 130 et 190 du règlement de procédure de la Cour, demandé à être admises à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de Grail.

3 À la suite de la signification aux parties par le greffier de la Cour, conformément à l’article 131, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de celui-ci, des demandes d’intervention introduites par l’AFJE et l’AEJE, Illumina, Grail et la Commission européenne ont déposé des observations sur ces demandes dans le délai imparti.

4 Alors qu’Illumina et Grail ont indiqué être favorables à ces demandes d’intervention, la Commission a, pour sa part, conclu au rejet desdites demandes.

Sur les demandes d’intervention

5 En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis à la Cour, autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre ces États, d’une part, et lesdites institutions, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

6 Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution d’un litige », au sens de cette disposition, doit se définir au regard de l’objet du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir
(ordonnance du président de la Cour du 7 février 2019, Bayer CropScience et Bayer/Commission, C‑499/18 P, non publiée, EU:C:2019:107, point 5 ainsi que jurisprudence citée).

7 À cet égard, il convient, notamment, de vérifier si le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et si son intérêt à l’issue du litige est certain. Or, en principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention (ordonnance du président de la Cour du 27 février 2019, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P
et C‑561/17 P, non publiée, EU:C:2019:174, point 8 ainsi que jurisprudence citée).

8 Toutefois, il ressort également d’une jurisprudence constante qu’une association professionnelle représentative, ayant pour objet la protection des intérêts de ses membres, peut être admise à intervenir lorsque le litige soulève des questions de principe de nature à affecter lesdits intérêts (ordonnances du président de la Cour du 1er octobre 2019, Commission/Ville de Paris e.a., C‑179/19 P, non publiée, EU:C:2019:836, point 7, ainsi que du 1er septembre 2022, Google et Alphabet/Commission, non
publiée, EU:C:2022:667, C‑48/22 P, point 7 ainsi que jurisprudence citée). Dès lors, l’exigence tenant à ce qu’une telle association dispose d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige doit être considérée comme remplie lorsque cette association établit qu’elle se trouve dans une telle situation, et ce indépendamment de la question de savoir si la solution du litige est de nature à modifier la position juridique de l’association en tant que telle.

9 En effet, une telle interprétation large du droit d’intervention en faveur des associations professionnelles représentatives vise à permettre de mieux apprécier le cadre dans lequel les affaires soumises au juge de l’Union se présentent tout en évitant une multiplicité d’interventions individuelles qui compromettraient l’efficacité et le bon déroulement de la procédure [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I)
et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 66, ainsi que du 1er octobre 2019, Commission/Ville de Paris e.a., C‑179/19 P, non publiée, EU:C:2019:836, point 12]. Or, à la différence des personnes physiques et morales agissant pour leur propre compte, les associations professionnelles représentatives sont susceptibles de demander à intervenir à un litige soumis à la Cour non pas pour défendre des intérêts individuels mais plutôt pour défendre les intérêts collectifs de leurs membres. En effet,
l’intervention d’une telle association offre une perspective d’ensemble de ces intérêts collectifs, affectés par une question de principe dont dépend la solution du litige, et est ainsi de nature à permettre à la Cour de mieux apprécier le cadre dans lequel une affaire lui est soumise.

10 Dès lors, conformément à la jurisprudence rappelée au point 8 de la présente ordonnance, et, plus précisément, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence du Tribunal (voir ordonnance du président de la troisième chambre élargie du Tribunal du 6 octobre 2021, Illumina/Commission, T‑227/21, EU:T:2021:672, point 24 et jurisprudence citée), une association peut être admise à intervenir dans une affaire si, premièrement, elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur
concerné, si, deuxièmement, son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, si, troisièmement, l’affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et si donc, quatrièmement, les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir.

11 C’est au regard de ces conditions, qu’il y a lieu d’entériner, qu’il convient d’examiner le bien-fondé des demandes d’intervention présentées par l’AFJE et l’AEJE.

12 À l’appui de leurs demandes, l’AFJE et l’AEJE prétendent, premièrement, qu’elles sont représentatives d’un nombre important de membres actifs dans le secteur économique concerné par la concentration en cause dans la présente affaire. L’AFJE représenterait en effet l’ensemble de la communauté des juristes d’entreprise présents sur le territoire français et couvrirait tous les secteurs de l’économie française. Quant à l’AEJE, elle serait l’organisation faîtière de 22 associations européennes de
juristes d’entreprise et représenterait donc les intérêts communs des associations de juristes d’entreprise couvrant tous les secteurs de l’économie européenne. Deuxièmement, l’AFJE et l’AEJE, qui ont pour l’objet la préservation de l’État de droit et du principe de sécurité juridique en Europe, seraient chargées de défendre et de protéger les intérêts de leurs membres. Troisièmement, la présente affaire soulèverait des questions de principe, ayant trait à l’interprétation de l’article 22 du
règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), qui affecteraient les opérations juridiques de divers secteurs économiques. Quatrièmement, les intérêts représentés par l’AFJE et l’AEJE risqueraient d’être affectés dans une mesure importante par l’issue du pourvoi. En particulier, en ce qui concerne les opérations de concentration, les juristes d’entreprise devraient être en mesure de mettre en œuvre des
procédures claires et prévisibles afin d’éviter que les entreprises qui les emploient ne soient mises en difficulté par un régulateur compétent pour contrôler ces opérations ou contraintes d’interrompre une opération déjà engagée, voire clôturée.

13 Or, cette argumentation ne saurait permettre d’accueillir les présentes demandes d’intervention.

14 En premier lieu, l’AFJE et l’AEJE n’établissent pas que leurs intérêts ou ceux de leurs membres seraient affectés par la solution du présent litige au sens de la jurisprudence citée aux points 6 et 7 de la présente ordonnance. En effet, compte tenu du fait que ni ces associations ni leurs membres ne sont concernés par la concentration en cause dans la présente affaire, ce qu’ils ne prétendent d’ailleurs pas, le dispositif de l’arrêt à intervenir ne saurait avoir d’effet direct et actuel sur leur
situation juridique.

15 En second lieu, l’AFJE et l’AEJE n’établissent pas que, premièrement, elles sont, conformément aux principes rappelés au point 10 de la présente ordonnance, représentatives d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné par la concentration en cause dans la présente affaire, deuxièmement, cette dernière peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement de ce secteur et, troisièmement, les intérêts de leurs membres peuvent être affectés dans une mesure
importante par l’arrêt à intervenir.

16 En effet, il convient d’observer que la concentration en cause dans la présente affaire concerne le secteur des tests sanguins de dépistage précoce du cancer utilisant la nouvelle génération de séquençage génomique (next-generation sequencing, dénommée « NGS ») et, plus largement, le secteur pharmaceutique et/ou le secteur des dispositifs médicaux.

17 À cet égard, il y a lieu de relever que, si, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 9 de la présente ordonnance, l’interprétation large du droit d’intervention des associations professionnelles représentatives vise à permettre de mieux apprécier le cadre dans lequel les affaires soumises au juge de l’Union se présentent tout en évitant une multiplicité d’interventions individuelles qui compromettraient l’efficacité et le bon déroulement de la procédure, elle n’a, cependant, pas
pour objet de permettre l’intervention d’associations non représentatives et n’ayant qu’un intérêt indirect et hypothétique à la solution du litige.

18 Si la Cour devait accepter qu’une association représentant des juristes d’entreprise puisse intervenir dans un cas tel que celui de l’espèce sur le fondement de raisons telles que celles avancées par l’AFJE et l’AEJE, il en résulterait qu’une telle association serait en mesure d’intervenir dans la plupart des procédures se déroulant devant les juridictions de l’Union impliquant l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union relevant du domaine de la concurrence, dès lors que des raisons
analogues seraient toujours susceptibles d’être invoquées dans des procédures de ce type.

19 Partant, eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que, indépendamment de la question de savoir si l’AFJE et l’AEJE constituent des associations professionnelles représentatives et si leur objet comprend la protection des intérêts de leurs membres respectifs, celles-ci n’ont pas démontré avoir un intérêt à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Par conséquent, leurs demandes d’intervention doivent être
rejetées.

20 Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que les juridictions de l’Union ont, dans certaines affaires, admis l’intervention d’associations professionnelles représentatives d’avocats et de conseils juridiques, dès lors que ces affaires concernaient des questions de principe qui étaient susceptibles d’affecter les intérêts de leurs membres. Il convient notamment de relever, à cet égard, que la question de droit soulevée dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du président de la
Cour du 5 juillet 2018, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA (C‑515/17 P et C‑561/17 P, non publiée, EU:C:2018:553), concernait le respect de la condition d’indépendance requise en cas de représentation juridique d’une partie par un conseil juridique devant les juridictions de l’Union, lequel est lié à cette partie par un contrat régi par le droit civil, relatif à des prestations fournies en tant qu’enseignant externe, et qu’elle constituait donc une question de principe susceptible d’affecter
les intérêts d’une association professionnelle représentant des conseils juridiques.

21 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’AFJE et l’AEJE n’ont pas démontré avoir un intérêt à la solution du litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et que, dès lors, les demandes d’intervention présentées par celles-ci doivent être rejetées.

Sur les dépens

22 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’AFJE et l’AEJE ayant succombé en leurs demandes d’intervention et la Commission ayant conclu à leur condamnation aux dépens, il y a lieu de décider qu’elles supporteront les dépens afférents aux présentes demandes d’intervention.

  Par ces motifs, le Président de la Cour ordonne :

  1) Les demandes d’intervention présentées par l’association française des juristes d’entreprise (AFJE) et par l’association européenne des juristes d’entreprise (AEJE) sont rejetées.

  2) L’association française des juristes d’entreprise (AFJE) et l’association européenne des juristes d’entreprise (AEJE) supportent les dépens afférents aux présentes demandes d’intervention.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-625/22
Date de la décision : 10/03/2023
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Intervention – Article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Intérêt à la solution du litige – Concurrence – Concentrations – Marché de l’industrie pharmaceutique – Décision de la Commission européenne d’examiner une opération de concentration renvoyée par l’autorité de concurrence d’un État membre – Décision de la Commission acceptant que d’autres États membres se joignent à la demande de renvoi initiale – Association professionnelle non représentative du secteur concerné – Rejet.

Concurrence

Concentrations entre entreprises


Parties
Demandeurs : Grail LLC
Défendeurs : Commission européenne et Illumina Inc.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Wahl

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:227

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