La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/04/2024 | CJUE | N°C-68/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, M-GbR contre Finanzamt O., 18/04/2024, C-68/23


 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

18 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 30 bis et 30 ter – Bons fournis par voie électronique – Bons à usage unique et bons à usages multiples – Cartes prépayées ou codes de bons pour l’achat de contenus numériques, assortis d’un identifiant “pays” rendant les contenus numériques en question accessibles uniquement dans l’État membre visé »

Dans l’affaire C‑68/23,

ayant pou

r objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale de...

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

18 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 30 bis et 30 ter – Bons fournis par voie électronique – Bons à usage unique et bons à usages multiples – Cartes prépayées ou codes de bons pour l’achat de contenus numériques, assortis d’un identifiant “pays” rendant les contenus numériques en question accessibles uniquement dans l’État membre visé »

Dans l’affaire C‑68/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 3 novembre 2022, parvenue à la Cour le 8 février 2023, dans la procédure

M-GbR

contre

Finanzamt O,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu-Matei, présidente de chambre, M. S. Rodin et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour M-GbR, par M. A. Kratzsch, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. F. Behre et Mme J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 30 bis et 30 ter de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2017/2455 du Conseil, du 5 décembre 2017 (JO 2017, L 348, p. 7) (ci‑après la « directive TVA »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M‑GbR, une société civile allemande, au Finanzamt O (administration fiscale allemande) au sujet de la qualification et de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de la commercialisation de cartes prépayées ou de codes de bons utilisés pour l’achat de contenus numériques dans une boutique en ligne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 1 à 3 et 6 à 10 de la directive (UE) 2016/1065 du Conseil, du 27 juin 2016, modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne le traitement des bons (JO 2016, L 177, p. 9), sont libellés comme suit :

« (1) La directive 2006/112/CE [...] établit des règles concernant le moment et le lieu des livraisons de biens et de prestations de services, la base d’imposition, l’exigibilité de la [TVA] et le droit à déduction. Ces règles ne sont toutefois pas suffisamment claires et complètes pour garantir un traitement fiscal cohérent des opérations dans lesquelles des bons sont utilisés, à tel point que cela a des conséquences indésirables pour le bon fonctionnement du marché intérieur.

(2) Afin de garantir un traitement uniforme et sûr, de respecter le principe d’un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, d’éviter les incohérences, les distorsions de concurrence, la double imposition ou la non-imposition et de réduire les risques d’évasion fiscale, il est nécessaire de prévoir des règles particulières applicables au traitement TVA des bons.

(3) Compte tenu de la nouvelle réglementation sur le lieu de prestation des services de télécommunications et de radiodiffusion et des services fournis par voie électronique, applicable à partir du 1er janvier 2015, il est nécessaire de trouver une solution commune pour les bons, de façon à éviter l’asymétrie du traitement TVA des bons fournis entre États membres. À cette fin, il est essentiel de mettre en place une réglementation afin de clarifier le traitement TVA des bons.

[...]

(6) Pour identifier clairement ce qu’on entend par “bons” aux fins de la TVA et distinguer ces derniers des instruments de paiement, il est nécessaire de définir les bons, qui peuvent se présenter sous une forme matérielle ou électronique, en déterminant leurs caractéristiques essentielles, en particulier la nature du droit qui leur est attaché et l’obligation de les accepter en contrepartie de la livraison de biens ou de la prestation de services.

(7) Le traitement TVA des opérations associées aux bons dépend des caractéristiques spécifiques du bon. Par conséquent, il est nécessaire d’opérer une distinction entre différents types de bons et d’inscrire cette distinction dans la législation de l’Union.

(8) Lorsque le traitement TVA applicable à la livraison de biens ou à la prestation de services sous-jacente peut être déterminé avec certitude dès l’émission d’un bon à usage unique, la TVA devrait être perçue à chaque transfert, y compris au moment de l’émission du bon à usage unique. La remise matérielle des biens ou la prestation effective des services en échange d’un bon à usage unique ne devrait pas être considérée comme une opération distincte. En ce qui concerne les bons à usages
multiples, il est nécessaire de préciser que la TVA devrait être perçue au moment de la livraison des biens ou de la prestation des services auxquels le bon se rapporte. Dans ce contexte, tout transfert antérieur de bons à usages multiples ne devrait pas être soumis à la TVA.

(9) En ce qui concerne les bons à usage unique susceptibles d’être taxés lors du transfert, y compris au moment de l’émission du bon à usage unique, par un assujetti agissant en son nom propre, chaque transfert, y compris au moment de l’émission de ce bon, est considéré comme constituant la livraison des biens ou la prestation des services auxquels le bon à usage unique se rapporte. Cet assujetti devrait dans ce cas déclarer la TVA sur la contrepartie reçue pour le bon à usage unique, conformément
à l’article 73 de la directive 2006/112/CE. En revanche, lorsque des bons à usage unique sont émis ou distribués par un assujetti agissant au nom d’une autre personne, cet assujetti ne serait pas considéré comme participant à la livraison ou à la prestation sous‑jacente.

(10) Seuls les services intermédiaires ou les prestations de services distinctes, tels que les services de distribution ou de promotion, seraient soumis à la TVA. Par conséquent, lorsqu’un assujetti qui n’agit pas en son nom propre reçoit une contrepartie distincte lors du transfert d’un bon, cette contrepartie devrait être imposable conformément au régime de droit commun de la TVA. »

4 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, sont soumises à la TVA les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

5 L’article 30 bis de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “bon”, un instrument qui est assorti d’une obligation de l’accepter comme contrepartie totale ou partielle d’une livraison de biens ou d’une prestation de services et pour lequel les biens à livrer ou les services à prester ou l’identité de leurs fournisseurs ou prestataires potentiels sont indiqués soit sur l’instrument même, soit dans la documentation correspondante, notamment dans les conditions générales d’utilisation de cet instrument ;

2) “bon à usage unique”, un bon pour lequel le lieu de la livraison des biens ou de la prestation des services à laquelle le bon se rapporte et la TVA due sur ces biens ou services sont connus au moment de l’émission du bon ;

3) “bon à usages multiples”, un bon autre qu’un bon à usage unique. »

6 L’article 30 ter de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.   Chaque transfert d’un bon à usage unique effectué par un assujetti agissant en son nom propre est considéré comme une livraison des biens ou une prestation des services auxquels le bon se rapporte. La remise matérielle des biens ou la prestation effective des services en échange d’un bon à usage unique accepté en contrepartie totale ou partielle par le fournisseur ou le prestataire n’est pas considérée comme une opération distincte.

Lorsqu’un transfert d’un bon à usage unique est effectué par un assujetti agissant au nom d’un autre assujetti, ce transfert est considéré comme une livraison des biens ou une prestation des services à laquelle le bon se rapporte, réalisée par l’autre assujetti au nom duquel l’assujetti agit.

Lorsque le fournisseur de biens ou le prestataire de services n’est pas l’assujetti qui a, en son nom propre, émis le bon à usage unique, ce fournisseur ou ce prestataire est néanmoins réputé avoir effectué à cet assujetti la livraison des biens ou la prestation des services en lien avec ce bon.

2.   La remise matérielle des biens ou la prestation effective des services en échange d’un bon à usages multiples accepté en contrepartie totale ou partielle par le fournisseur ou le prestataire est soumise à la TVA en vertu de l’article 2, alors que tout transfert précédent d’un tel bon à usages multiples n’est pas soumis à la TVA.

Lorsque le bon à usages multiples est transféré par un assujetti autre que l’assujetti effectuant l’opération soumise à la TVA en vertu du premier alinéa, toute prestation de services pouvant être identifiée, tels que des services de distribution ou de promotion, est soumise à la TVA. »

7 L’article 44 de la même directive prévoit :

« Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des
prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui bénéficie de tels services a son domicile ou sa résidence habituelle. »

8 L’article 58 de la directive TVA dispose :

« 1.   Le lieu des prestations de services ci-après fournies à une personne non assujettie est le lieu où cette personne est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle :

[...]

c) les services fournis par voie électronique, notamment ceux visés à l’annexe II.

Lorsque le prestataire de services et le preneur communiquent par courrier électronique, cela ne signifie pas en soi que le service est un service fourni par voie électronique. »

9 L’article 73 de la directive TVA prévoit :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »

10 L’article 73 bis de cette directive dispose :

« Sans préjudice de l’article 73, la base d’imposition de la livraison de biens ou de la prestation de services effectuée en lien avec un bon à usages multiples est égale à la contrepartie payée en échange du bon ou, en l’absence d’information sur cette contrepartie, à la valeur monétaire indiquée sur le bon à usages multiples ou dans la documentation correspondante, diminuée du montant de la TVA afférente aux biens livrés ou aux services prestés. »

11 Aux termes de l’article 410 bis de ladite directive, les articles 30 bis, 30 ter et 73 bis de celle-ci s’appliquent uniquement aux bons émis après le 31 décembre 2018.

Le droit national

12 L’article 3, paragraphes 13 à 15, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG ») prévoit :

« 13.   Un bon (à usage unique ou à usages multiples) est un instrument pour lequel

1) il existe une obligation de l’accepter comme contrepartie totale ou partielle d’une livraison ou d’une autre prestation et

2) le bien à livrer ou l’autre prestation ou l’identité de l’entrepreneur prestataire sont indiqués sur l’instrument lui-même ou dans des documents connexes, y compris les conditions d’utilisation de cet instrument.

Les instruments qui donnent uniquement droit à une réduction de prix ne sont pas des bons au sens de la première phrase.

14.   Un bon visé au paragraphe 13, pour lequel le lieu de la livraison ou de l’autre prestation à laquelle le bon se rapporte et la taxe due au titre de ces opérations sont connus au moment de l’émission du bon, est un bon à usage unique. Lorsqu’un entrepreneur transfère un bon à usage unique en son nom propre, le transfert du bon est considéré comme la livraison du bien ou la fourniture de l’autre prestation à laquelle le bon se rapporte. [...] La livraison effective ou la fourniture effective
de l’autre prestation en contrepartie de laquelle un bon à usage unique est accepté n’est pas considérée comme une opération distincte dans les cas visés aux phrases 2 à 4.

15.   Un bon visé au paragraphe 13, qui n’est pas un bon à usage unique, est un bon à usages multiples. La livraison effective ou la fourniture effective de l’autre prestation pour laquelle l’entrepreneur prestataire accepte un bon à usages multiples comme contrepartie totale ou partielle est soumise à la TVA conformément à l’article 1er, paragraphe 1, alors que tout transfert précédent d’un tel bon à usages multiples n’est pas soumis à la TVA. »

13 L’article 3a, paragraphes 2 et 5, de l’UStG est libellé comme suit :

« 2.   Sous réserve des paragraphes 3 à 8 [...], une autre prestation qui est exécutée au profit d’un entrepreneur pour les besoins de son entreprise est exécutée au lieu où le preneur exploite son entreprise.

[...]

5.   Si le preneur de l’une des autres prestations visées à la deuxième phrase

1) n’est pas un entrepreneur pour l’entreprise duquel la prestation est acquise [...], l’autre prestation est exécutée au lieu où le preneur de la prestation a son domicile, sa résidence habituelle ou son siège.

Les autres prestations au sens de la première phrase sont :

[...]

3) les autres prestations fournies par voie électronique. »

14 L’article 27, paragraphe 23, de l’UStG dispose :

« L’article 3, paragraphes 13 à 15 [...] s’applique pour la première fois aux bons émis après le 31 décembre 2018. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 Au cours de l’année 2019, qui constitue la période d’imposition en litige, M-GbR a commercialisé, par l’intermédiaire de sa boutique en ligne, des cartes prépayées ou des codes de bons permettant de charger des « comptes utilisateurs » destinés à l’achat de contenus numériques dans la boutique en ligne X (ci-après la « boutique X »).

16 Ces cartes, appelées « X-Cards », permettaient aux acheteurs de charger des comptes permettant d’utiliser la boutique X (ci-après le « compte utilisateur X ») d’une certaine valeur nominale en euros. Après le chargement d’un tel compte, le titulaire de celui-ci pouvait acheter des contenus numériques dans la boutique X, gérée par la société Y, établie au Royaume-Uni, aux prix qui y étaient indiqués.

17 Y était responsable de l’émission des X-Cards et commercialisait celles‑ci dans l’Union européenne, avec différents codes « pays », par différents intermédiaires. Les X-Cards portant le code « pays » DE étaient exclusivement destinées à des clients ayant à la fois leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne et un compte utilisateur X allemand.

18 Conformément aux conditions d’utilisation des codes de bons X, publiés par Y sur la boutique X, les clients devaient, lors de l’ouverture d’un compte utilisateur X, fournir des informations exactes permettant de déterminer le lieu de leur domicile ou de leur résidence habituelle. Dans la boutique en ligne de M-GbR était également indiqué qu’un client chargeant son compte utilisateur X devait se renseigner au préalable sur le pays dans lequel ce compte était enregistré et que, compte tenu de la
stricte séparation des pays qui s’applique aux X‑Cards, les clients ne pouvaient activer que des crédits qui étaient effectivement destinés au pays correspondant à leur compte utilisateur X.

19 Au cours de l’année 2019, M-GbR a acheté des X-Cards, émises par Y, par l’intermédiaire de fournisseurs, L 1 et L 2, établis dans des États membres autres que la République fédérale d’Allemagne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Dans ses déclarations fiscales, M-GbR a considéré que les X-Cards étaient des bons à usages multiples, au sens des dispositions de l’article 3, paragraphe 15, de l’UStG, dans la mesure où, lors de la vente de ces cartes, le domicile ou le lieu de
résidence habituelle du client final n’était pas connu avec certitude. L’identifiant pays attribué par Y à chaque bon n’aurait pas suffi à déterminer avec certitude le lieu de la prestation de services, au sens de l’article 3a, paragraphe 5, de l’UStG, étant donné que Y ne vérifierait pas les données des clients lors de l’ouverture des comptes utilisateurs X et lors de leur utilisation ultérieure. En outre, un grand nombre de clients, résidant en dehors du territoire allemand, aurait ouvert un
compte utilisateur X allemand, notamment en raison d’avantages tarifaires, et aurait également acheté des X-Cards auprès de M-GbR avec le code « pays » DE.

20 À la suite d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale allemande a estimé que les X-Cards constituaient des bons à usage unique, étant donné qu’elles ne pouvaient être utilisées que par des clients domiciliés en Allemagne et disposant d’un compte utilisateur X allemand de sorte que le lieu de la prestation, au sens de l’article 3a, paragraphe 5, de l’UStG, se situait en Allemagne. Le fait que certains clients aient pu éventuellement contourner les conditions d’utilisation de ces cartes,
prescrites par Y, en fournissant des données délibérément mensongères ou en dissimulant leur adresse Internet Protocol (IP), n’aurait pas été déterminant aux fins de la qualification fiscale desdites cartes en tant que bons à usage unique. De plus, l’administration fiscale allemande a estimé que tant Y que les autres intermédiaires avaient considéré les X‑Cards comme de tels bons. Cette administration a donc fixé un acompte provisionnel de TVA à payer par M-GbR.

21 Le recours introduit par celle-ci contre la fixation de cet acompte ayant été rejeté en première instance comme étant non fondé, elle a formé un pourvoi en Revision devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi.

22 Dans son pourvoi, M-GbR invoque une violation de l’article 3, paragraphes 13 à 15, de l’UStG et estime que les X-Cards sont des bons à usages multiples dont le transfert n’est pas soumis à la TVA. Au moment de ce transfert, la prestation n’est pas suffisamment déterminée de sorte que le taux de TVA approprié ne pourrait être fixé.

23 La juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation des articles 30 bis et 30 ter de la directive TVA dans le contexte d’une chaîne d’assujettis, établis dans différents États membres.

24 Elle se demande, en premier lieu, si, dans un tel contexte, au moment de l’émission des X-Cards, il peut être considéré que le lieu de la prestation de services fournis par voie électronique aux clients finals à laquelle le bon se rapporte est connu, de sorte à permettre de qualifier celui-ci de bon à usage unique, au sens de l’article 30 bis, point 2, de la directive TVA. Si tel était le cas, ce lieu serait déterminé conformément à l’article 58, premier alinéa, sous c), de cette directive et
correspondrait donc au lieu où la personne non assujettie est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle, à savoir, en l’occurrence, l’Allemagne. La juridiction de renvoi indique plutôt pencher pour cette interprétation des dispositions de ladite directive et être encline à rejeter le pourvoi en Revision, eu égard également au considérant 3 de la directive 2016/1065 qui mentionne l’objectif d’éviter un traitement asymétrique des bons selon qu’ils sont commercialisés au client final de
manière directe ou via des intermédiaires. Toutefois, cette juridiction admet qu’une autre interprétation des dispositions de la même directive serait possible.

25 Ainsi, selon ladite juridiction, il serait envisageable de prendre en considération, dans la chaîne d’opérations en cause, chaque transfert des X-Cards entre assujettis en tant que prestation de services. Dans une telle hypothèse, en vertu de l’article 44 de la directive TVA, le lieu des prestations réalisées par Y en faveur de L 1 et par L 1 en faveur de L 2 se situerait dans chacun des États membres où est établi l’assujetti au profit duquel ces prestations sont réalisées, tandis que le lieu de
la prestation réalisée par L 2 en faveur de M-GbR se situerait en Allemagne. Dans une telle configuration, qui pourrait découler de l’interprétation de l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, la condition selon laquelle le lieu de la prestation et la TVA doivent être connus au moment de l’émission du bon pour que celui-ci soit qualifié de bon à usage unique ne serait pas satisfaite. Il conviendrait dès lors d’accueillir le recours en Revision.

26 En second lieu, et dans l’hypothèse où il faudrait considérer que les bons en cause sont des bons à usages multiples dont le transfert, précédant la fourniture effective de la prestation de services sous‑jacente, n’est pas soumis à la TVA, la juridiction de renvoi se demande si cette solution ne se heurterait pas à celle qui a été dégagée par la Cour dans l’arrêt du 3 mai 2012, Lebara (C‑520/10, EU:C:2012:264). En effet, il découlerait de cet arrêt que tant la vente initiale d’une carte
téléphonique prépayée que sa revente ultérieure par des intermédiaires sont des opérations taxables. Or, partant du principe que les X-Cards ne doivent pas être traitées différemment de telles cartes téléphoniques prépayées, du point de vue de la TVA, la juridiction de renvoi indique que la manière de concilier l’article 30 ter, paragraphe 2, premier alinéa, in fine, de la directive TVA avec la solution retenue dans cet arrêt ne lui apparaît pas clairement. En outre, elle n’exclut pas que M-GbR
puisse avoir fourni des services de distribution ou de promotion à Y, tels que visés à l’article 30 ter, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA, qui sont soumis à la TVA.

27 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Est-on en présence d’un bon à usage unique au sens de l’article 30 bis, point 2, de la directive TVA lorsque

– le lieu de la prestation de services à laquelle le bon se rapporte est certes connu pour autant que ces prestations de services sont destinées à être fournies sur le territoire d’un État membre à des consommateurs fina[ls],

– mais que la fiction de l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, première phrase, de la directive TVA, selon laquelle le transfert du bon entre assujettis est, lui également, considéré comme étant la fourniture de la prestation de services à laquelle le bon se rapporte, conduit à une prestation de services sur le territoire d’un autre État membre ?

2) Si la première question appelle une réponse négative (et que l’on est donc en présence d’un bon à usages multiples en l’espèce) : l’article 30 ter, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA, selon lequel la prestation effective des services en échange d’un bon à usages multiples accepté en contrepartie totale ou partielle par le prestataire est soumise à la TVA en vertu de l’article 2 de la directive TVA, alors que tout transfert précédent d’un tel bon à usages multiples n’est pas
soumis à la TVA, s’oppose-t-il à une obligation fiscale ayant un autre fondement (arrêt du 3 mai 2012, Lebara, C‑520/10, EU:C:2012:264) ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

28 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 30 bis et l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que la qualification d’un bon de « bon à usage unique », au sens de l’article 30 bis, point 2, de cette directive, dépend du fait que, au moment de l’émission de ce bon, le lieu de la prestation de services destinée aux consommateurs finals à laquelle ledit bon se rapporte est connu, et ce quand
bien même, en vertu de l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive, les transferts successifs d’un tel bon entre assujettis, agissant en leur nom propre et établis sur le territoire d’États membres autres que celui où se trouvent ces consommateurs finals, donnent lieu à des prestations de services réalisées sur le territoire de ces autres États membres.

29 Il importe de rappeler, à titre liminaire, que ni la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), ni la directive 2006/112, dans sa version antérieure aux modifications résultant de la directive 2016/1065, ne prévoyaient de dispositions spécifiques, aux fins du prélèvement de la TVA,
régissant les opérations soumises à cette taxe dans lesquelles des bons étaient utilisés.

30 Comme le soulignent les considérants 1 à 3 de la directive 2016/1065, c’est afin de remédier à la diversité des solutions retenues par les États membres, susceptibles, notamment, de créer des situations de double imposition ou de non-imposition et au vu de la nouvelle réglementation sur le lieu de la prestation des services de télécommunications et de radiodiffusion et des services fournis par voie électronique applicable depuis le 1er janvier 2015, que le législateur de l’Union a adopté cette
directive, qui modifie la directive 2006/112, en insérant dans le texte de cette dernière, notamment, les articles 30 bis et 30 ter, applicables à compter du 1er janvier 2019, dans l’objectif de clarifier le traitement des bons au regard de la TVA.

31 Ainsi, l’article 30 bis, point 1, de la directive TVA définit, aux fins de cette directive, un bon comme étant « un instrument qui est assorti d’une obligation de l’accepter comme contrepartie totale ou partielle d’une livraison de biens ou d’une prestation de services et pour lequel les biens à livrer ou les services à prester ou l’identité de leurs fournisseurs ou prestataires potentiels sont indiqués soit sur l’instrument même, soit dans la documentation correspondante, notamment dans les
conditions générales d’utilisation de cet instrument ».

32 En l’occurrence, la première question préjudicielle repose sur la prémisse que les cartes prépayées X-Cards émises par Y, conformément aux conditions d’utilisation fixées par celle-ci, et portant l’identifiant du pays dans lequel le consommateur final peut acheter des contenus numériques commercialisés dans la boutique X, gérée par Y, répondent à cette définition d’un bon. Aucun des intéressés ayant déposé des observations écrites devant la Cour ne remet en cause cette prémisse du renvoi
préjudiciel, dont il convient de prendre acte.

33 Cela étant, l’article 30 bis, points 2 et 3, de la directive TVA distingue et définit deux types de bons, à savoir les bons « à usage unique » et ceux « à usages multiples ».

34 En vertu du point 3 de cet article 30 bis, un « bon à usages multiples » est un bon autre qu’un bon à usage unique. La notion de « bon à usages multiples » revêt ainsi une portée résiduelle de sorte que, afin de déterminer si un instrument particulier relève de l’une ou de l’autre notion, il y a d’abord lieu de vérifier si cet instrument répond à la définition de « bon à usage unique » (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2022, DSAB Destination Stockholm, C‑637/20, EU:C:2022:304, point 28).

35 Conformément à l’article 30 bis, point 2, de cette directive, un « bon à usage unique » est « un bon pour lequel le lieu de la livraison des biens ou de la prestation des services à laquelle ce bon se rapporte et la TVA due sur ces biens ou ces services sont connus au moment de son émission ». Il ressort du libellé même de cette disposition que relèvent de cette notion les bons dont le traitement fiscal peut être déterminé au moment de leur émission.

36 La qualification d’un bon de « bon à usage unique » repose ainsi sur la satisfaction de deux conditions cumulatives existant « au moment de l’émission » du bon. D’une part, le lieu de livraison des biens ou de la prestation de services à laquelle le bon se rapporte et, d’autre part, la TVA due sur ces biens ou services doivent être connus à ce moment. En revanche, lorsque le traitement fiscal d’un bon ne peut pas être déterminé dès le moment de l’émission de ce bon, celui-ci ne saurait être
qualifié de « bon à usage unique », au sens de l’article 30 bis, point 2, de la directive TVA.

37 Conformément à l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA, chaque transfert d’un bon à usage unique effectué par un assujetti agissant en son nom propre est considéré comme étant une livraison de biens ou une prestation de services auxquels le bon se rapporte. La remise matérielle des biens ou la prestation effective des services en échange d’un bon à usage unique accepté en contrepartie totale ou partielle par le fournisseur ou le prestataire n’est pas considérée comme
étant une opération distincte.

38 L’objet de cet article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, consiste ainsi à fixer des règles de taxation spécifiques lorsqu’un bon à usage unique fait l’objet d’un ou plusieurs transferts entre assujettis agissant en leur nom propre, y compris, ainsi que l’indiquent les considérants 8 et 9 de la directive 2016/1065, lors de l’émission de ce bon à usage unique, la remise matérielle des biens ou la prestation effective des services en échange d’un tel bon par le consommateur final n’étant pas
considérée comme étant une opération distincte de ces transferts aux fins de la TVA.

39 Or, il ressort clairement du libellé de cette disposition qu’elle ne s’applique qu’aux instruments qui répondent, aux fins de la directive TVA, à la définition de « bons à usage unique », telle qu’elle résulte de l’article 30 bis, point 2, de cette directive.

40 Partant, l’application des dispositions de l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive ne saurait remettre en cause les conditions énoncées à l’article 30 bis, point 2, de celle-ci, telle qu’elles ont été rappelées au point 36 du présent arrêt, qui conduisent à qualifier un instrument de « bon à usage unique » au moment de son émission.

41 Cette appréciation est corroborée par les objectifs poursuivis par les articles 30 bis et 30 ter de la directive TVA, qui consistent notamment à garantir un traitement uniforme des bons, à éviter les incohérences, la double imposition ou la non-imposition de ces instruments et l’asymétrie de traitement des bons fournis entre États membres au regard de la TVA, ainsi que le soulignent respectivement les considérants 2 et 3 de la directive 2016/1065.

42 En effet, s’il était exclu qu’un bon puisse être qualifié de « bon à usage unique » dès lors qu’il fait l’objet de transferts successifs entre assujettis agissant en leur nom propre et établis dans un ou plusieurs États membres autres que celui sur le territoire duquel ce bon est échangé par le consommateur final contre la remise matérielle du bien ou la prestation effective du service auquel il se rapporte, aucun des objectifs précités ne seraient atteints, puisque des différences de traitement
de tels bons perdureraient selon qu’ils sont commercialisés dans le cadre d’une chaîne de distribution transfrontalière ou au sein d’un seul État membre.

43 D’ailleurs, une interprétation de l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA qui prendrait en considération les transferts entre les assujettis visés au point précédent du présent arrêt aux fins de la détermination du lieu de la livraison du bien ou de la prestation de services, au sens de l’article 30 bis, point 2, de cette directive, serait de nature à rendre quasiment impossible la qualification de bon à usage unique pour quelque bon que ce soit et priverait, dès lors,
cette disposition d’une grande partie de son effet utile.

44 Il s’ensuit que, ainsi que le gouvernement allemand et la Commission européenne l’ont fait, en substance, valoir dans leurs observations écrites, l’application de l’article 30 ter, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA n’affecte pas les conditions dans lesquelles, en vertu de l’article 30 bis, point 2, de cette directive, un bon est qualifié de « bon à usage unique », au sens de cette dernière disposition.

45 Quant à la qualification, dans l’affaire au principal, d’une X-Card de « bon à usage unique », s’il incombe à la seule juridiction de renvoi de se prononcer sur une telle qualification en fonction des circonstances propres à l’affaire au principal, il n’en demeure pas moins que la Cour est compétente pour dégager des dispositions de ladite directive, en l’occurrence de son article 30 bis, point 2, les critères que cette juridiction peut ou doit appliquer à cette fin (voir, en ce sens, arrêt du
3 décembre 2015, Banif Plus Bank, C‑312/14, EU:C:2015:794, point 51).

46 En outre, rien n’empêche qu’une juridiction nationale demande à la Cour de se prononcer sur une telle qualification, sous réserve toutefois que, au vu de l’ensemble des éléments du dossier dont cette juridiction nationale dispose, celle-ci procède à la constatation et à l’appréciation des faits nécessaires à cette qualification (arrêt du 21 décembre 2023, BMW Bank e.a., C‑38/21, C‑47/21 et C‑232/21, EU:C:2023:1014, point 128 ainsi que jurisprudence citée).

47 S’agissant de la première condition, telle qu’énoncée à l’article 30 bis, point 2, de la directive TVA, selon laquelle le lieu de livraison des biens ou de la prestation de services à laquelle le bon se rapporte doit être connu au moment de l’émission de celui-ci, compte tenu des conditions d’utilisation des X-Cards, notamment de l’identifiant de l’État membre dans lequel ces cartes doivent être utilisées, apposé sur celles-ci, des indications fournies par la juridiction de renvoi et eu égard à
l’article 58, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, il apparaît que, au moment de l’émission de tels bons, le lieu dans lequel les contenus numériques sont fournis au consommateur final en contrepartie des X-Cards vendues par M-GbR se trouve en Allemagne.

48 À cet égard, il importe de préciser que, aux fins de l’examen de cette première condition, ne saurait être prise en compte la circonstance, exposée par M-GbR devant la juridiction de renvoi, selon laquelle des consommateurs finals, résidant en dehors du territoire allemand, utiliseraient des X-Cards, achetées auprès d’elle avec l’identifiant « pays » DE, en méconnaissance des conditions d’utilisation de ces cartes, et ce afin d’obtenir des avantages tarifaires.

49 En effet, la qualification appropriée d’une opération aux fins de la TVA ne saurait à l’évidence dépendre d’éventuelles pratiques abusives.

50 Il apparaît donc, ce qu’il appartient en tout état de cause à la juridiction de renvoi de vérifier, que la première condition prévue à l’article 30 bis, point 2, de la directive TVA est satisfaite.

51 Quant à la seconde condition prévue à ladite disposition, les informations fournies dans la demande de décision préjudicielle ne permettent pas de déterminer si la TVA due sur les différents contenus numériques pouvant être obtenus en échange des X-Cards est connue au moment de l’émission de celles-ci.

52 S’il est vrai qu’aucun élément dans l’affaire au principal ne permet de supposer qu’il existe une incertitude quant à la TVA due sur ces différents contenus et que la Commission estime que lesdits contenus auxquels donnent accès les X-Cards vendues par M-GbR en Allemagne doivent s’entendre comme étant soumis au même taux et au même traitement au regard de la TVA, il appartiendra, en tout état de cause, à la juridiction de renvoi de vérifier si cette seconde condition est satisfaite.

53 Dans l’hypothèse où la prestation de services réalisée en échange d’une X-Card est soumise à une même assiette et à un même taux de TVA en Allemagne, quel que soit le contenu numérique obtenu, la juridiction de renvoi sera dès lors en mesure de constater qu’un tel instrument répond à la seconde condition prévue à l’article 30 bis, point 2, de la directive TVA et, partant, compte tenu également du fait que le même instrument satisfait à la première condition prévue à cette disposition, qu’il doit
être qualifié de « bon à usage unique ».

54 En revanche, si les contenus numériques qu’un consommateur final peut obtenir en échange d’une X-Card sont soumis à des règles d’assiette ou à des taux de TVA différents dans cet État membre, cette juridiction devra constater qu’il est impossible de prévoir, au moment de l’émission d’une X-Card, quelle est la TVA applicable aux contenus numériques, choisis par le consommateur final, en contrepartie d’un tel bon. Dans ce cas, la qualification des X-Cards comme « bons à usage unique » serait exclue
(voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2022, DSAB Destination Stockholm, C‑637/20, EU:C:2022:304, points 30 et 31).

55 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 30 bis et l’article 30 ter, paragraphe 1, de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que la qualification d’un bon de « bon à usage unique », au sens de l’article 30 bis, point 2, de cette directive, dépend uniquement des conditions prévues à cette disposition, qui comprennent celle selon laquelle le lieu de la prestation de services destinée à des consommateurs finals, à laquelle
se rapporte ce bon, doit être connu au moment de l’émission dudit bon, et ce indépendamment de la circonstance que ce dernier fasse l’objet de transferts entre assujettis, agissant en leur nom propre et établis sur le territoire d’États membres autres que celui où se trouvent ces consommateurs finals.

Sur la seconde question

56 Par sa seconde question, uniquement posée dans le cas où des bons tels que ceux en cause dans le litige au principal seraient qualifiés de « bons à usages multiples », au sens de l’article 30 bis, point 3, de la directive TVA, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 30 ter, paragraphe 2, de cette directive doit être interprété en ce sens que, bien qu’un transfert de « bons à usages multiples » ne doive pas être soumis à la TVA, conformément au premier alinéa de cette
disposition, l’acquittement de la TVA pourrait néanmoins être exigé en vertu d’un autre fondement, en application du second alinéa de ladite disposition.

57 Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 30 ter, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA, la TVA est appliquée à la remise matérielle des biens ou à la prestation effective des services en échange d’un « bon à usages multiples » accepté par le fournisseur ou le prestataire, de sorte que cette taxe ne frappe pas les transferts de ce bon qui ont lieu avant qu’un tel bon ne soit échangé par le consommateur final contre ces biens ou services.

58 En effet, dans la mesure où la nature des biens ou des services auxquels un « bon à usages multiples » se rapporte et qui seront choisis par le consommateur final n’est pas connue au moment de l’émission d’un bon de ce type, la TVA due sur ces biens ou services ne peut pas être déterminée avec certitude à ce moment. Ce n’est donc qu’au moment de l’échange d’un tel bon contre ces biens ou services que la TVA est connue et peut être dûment appliquée.

59 Néanmoins, lorsqu’un bon à usages multiples fait l’objet d’un ou de plusieurs transferts, dans le cadre d’une chaîne de distribution s’étendant sur le territoire de plusieurs États membres, avant son échange par le consommateur final, se pose la question de savoir si la contrepartie perçue lors de chaque transfert de ce bon entre assujettis doit être soumise à la TVA en tant que contrepartie d’un service distinct de l’échange dudit bon contre des biens ou services.

60 À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 30 ter, paragraphe 2, second alinéa, de la directive TVA, lorsque le bon à usages multiples est transféré par un assujetti autre que celui qui effectue la remise matérielle des biens ou fournit effectivement les services au consommateur final, toute prestation de services pouvant être identifiée, tels que des services de distribution ou de promotion, est soumise à la TVA.

61 Par ailleurs, selon l’article 73 bis de cette directive, « la base d’imposition [...] de la prestation de services effectuée en lien avec un bon à usages multiples est égale à la contrepartie payée en échange du bon ou, en l’absence d’information sur cette contrepartie, à la valeur monétaire indiquée sur le bon à usages multiples ou dans la documentation correspondante, diminuée du montant de la TVA afférente [...] aux services prestés ».

62 L’article 30 ter, paragraphe 2, second alinéa, de la directive TVA, lu en combinaison avec l’article 73 bis de celle-ci, vise ainsi notamment à éviter l’absence d’imposition de services de distribution ou de promotion, conformément aux objectifs de la directive TVA, en assurant que la TVA soit perçue sur toute marge bénéficiaire (voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Ćapeta dans l’affaire DSAB Destination Stockholm, C‑637/20, EU:C:2022:131, points 71 à 75).

63 Il s’ensuit que, s’agissant des X-Cards, sous réserve que ces instruments soient qualifiés de « bons à usages multiples », au sens de l’article 30 bis, point 3, de la directive TVA, il ne saurait être exclu que, lors de la revente de ces bons, M-GbR puisse réaliser une prestation de service distincte, telle qu’une prestation de services de distribution ou de promotion au profit de l’assujetti qui, en contrepartie des bons, fournit effectivement des contenus numériques au consommateur final. Il
appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire en cause au principal, les opérations de M‑GbR doivent être qualifiées comme telles aux fins de la TVA.

64 Cette interprétation des dispositions de la directive TVA ne se heurte pas à l’arrêt du 3 mai 2012, Lebara (C‑520/10, EU:C:2012:264), auquel se réfère la juridiction de renvoi, lequel portait sur le traitement fiscal de cartes prépayées de services de télécommunications et dont la solution n’est pas pertinente aux fins de la réponse à donner à la présente question. En effet, ainsi qu’il ressort en particulier du point 28 de cet arrêt, la portée dudit arrêt est clairement circonscrite à la
situation qui était en cause dans cette affaire, au demeurant antérieure aux dispositions de la directive TVA insérées par la directive 2016/1065, qui concernait des services et une TVA déjà identifiés au moment de l’émission desdites cartes prépayées. Partant, le même arrêt porte sur des instruments qu’il convient désormais, sous l’égide des dispositions actuelles de la directive TVA, de qualifier de « bons à usage unique ».

65 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 30 ter, paragraphe 2, de la directive TVA doit être interprété en ce sens que la revente par un assujetti de « bons à usages multiples », au sens de l’article 30 bis, point 3, de cette directive, peut être soumise à la TVA, à condition qu’elle soit qualifiée de prestation de services au profit de l’assujetti qui effectue, en contrepartie desdits bons, la remise matérielle des biens ou fournit
effectivement les services au consommateur final.

Sur les dépens

66 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 30 bis et l’article 30 ter, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2017/2455 du Conseil, du 5 décembre 2017,

doivent être interprétés en ce sens que :

la qualification d’un bon de « bon à usage unique », au sens de l’article 30 bis, point 2, de la directive 2006/112, telle que modifiée, dépend uniquement des conditions prévues à cette disposition, qui comprennent celle selon laquelle le lieu de la prestation de services destinée à des consommateurs finals, à laquelle se rapporte ce bon, doit être connu au moment de l’émission dudit bon, et ce indépendamment de la circonstance que ce dernier fasse l’objet de transferts entre assujettis,
agissant en leur nom propre et établis sur le territoire d’États membres autres que celui où se trouvent ces consommateurs finals.

  2) L’article 30 ter, paragraphe 2, de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2017/2455,

doit être interprété en ce sens que :

la revente par un assujetti de « bons à usages multiples », au sens de l’article 30 bis, point 3, de la directive 2006/112, telle que modifiée, peut être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, à condition qu’elle soit qualifiée de prestation de services au profit de l’assujetti qui effectue, en contrepartie desdits bons, la remise matérielle des biens ou fournit effectivement les services au consommateur final.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-68/23
Date de la décision : 18/04/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof.

Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 30 bis et 30 ter – Bons fournis par voie électronique – Bons à usage unique et bons à usages multiples – Cartes prépayées ou codes de bons pour l’achat de contenus numériques, assortis d’un identifiant “pays” rendant les contenus numériques en question accessibles uniquement dans l’État membre visé.

Taxe sur la valeur ajoutée

Fiscalité


Parties
Demandeurs : M-GbR
Défendeurs : Finanzamt O.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Rossi

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:342

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award