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06/07/1982 | CEDH | N°8990/80

CEDH | GUINCHO c. PORTUGAL


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COUNCIL OF EUROPE
* * CONSEIL ** * ** DE L'EUROP E (Or . français )
COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMM E
Requête n° 8990/8 0
Manuel GUINCH O contre PORTUGA L
Rapport de la Commissio n (adopté le 10 mars 1983 )
STRASBOURG 1983
REQUETE N° 8990/8 0 Manuel GUINCH O contr e PORTUGA L
RAPPORT DE LA COMMISSIO N (Adopté le 10 mars 1983 )
k 7 3 . ~
~
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Résumé des faits et de s griefs du re.quéran...

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COUNCIL OF EUROPE
* * CONSEIL ** * ** DE L'EUROP E (Or . français )
COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMM E
Requête n° 8990/8 0
Manuel GUINCH O contre PORTUGA L
Rapport de la Commissio n (adopté le 10 mars 1983 )
STRASBOURG 1983
REQUETE N° 8990/8 0 Manuel GUINCH O contr e PORTUGA L
RAPPORT DE LA COMMISSIO N (Adopté le 10 mars 1983 )
k 7 3 . ~
~
4. K
-`'~,\ .__ .n S . '•° •0 y ~~ !~"'E~ 1 d ~c~ .
lr .
~~
Y
3'
. .F_'
.
.
. i. _ ~ ~ ~ ~
~.
.
..
- i TABLF DES NATIERES . Page f . INTROOI'CTTON ( §§
(a)
(b)
I -
15)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Résumé des faits et de s griefs du re.quérant ( §§ 2 - 6)
. . . . . . . .. . .. . . . . . . .
Procédure devant la Commission ( §§
(c) Le'présent rapport
( §§ 11
- 15)
II . ETABLISSEMENT DES FAITS ( §§ 16 - 27)
. . . . . . . . . . . . ... . . .
A.
Le requérant
3
4
2
7 - 10) , . . . . . . . 2 -
3
3 -
4
. . . . . . . . . . . . . . . . . 5-
7
II1 . ARCUMENTATION DES PARTIES ( §§ 28 - 60) 9
2 -
. . . . . . . . . . . . . . .
8 - 18
` ~
( §§ 29 - 40)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .. . . .
8
11
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
10
(1) Sur les critères utilisés par la Commissio n en vue de déterminer la durée d'une procédure au regard de l'article 6, par . 1, de l a
Convcntion ( §§ 29 - 38)
(a) Quant à la complexité de l'affaire
( § 29)
(b) Quant au comportement du requérant
(§§ 30 - 33) . . . . 8 -
. . . . . . . . .
8
9
(c) Quant à la manière dont l'affaire a ét é
conduit par les autorités compétentes
(§§ 34 - 38)
. . 9 - 10
(aa) La situation du tribunal d e Vila Franca de Xira ( §§ 34 - 36)
. . . . . . . . . . . . .
9 - 10
(bb) Les délais d'exécution des commissions rogatoires et les notifications de s
conclusions aux parties (§§ 37 - 38) , . . . . . . . .
10
- L 1 -
Page
(2) Sur la notion même de "d"clai raisonnablc• " l'importance du contexte socio-politiqu e (§§ 39 - 40) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 - 1l B.
Le Gouvernement
( §§ 42 - 60)
Il
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- 18
(l) Sur les critères utilisés par lo Commission e n vue de déterminer la dur .ae de la procédure au regard de ]'article 6, par . I, de l a
Conventlon ( §§ 42 - 51)
. . .. . . . . .. . .. . . . . .
la eomplexité de
. . . . .. . .. . .
. .•••••• Il - 1 2
(a)
Quant A
(b)
Quant au comportement du requérant (§§ 43 -45 )
(c)
Quant à la manière dont l'affaire a été conduite par les autorités compétente s (§§ 46 51)
l'affaire (§ 42)
Il - 1 5
. .
12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 - 15
(aa) La situation du tribunal de Vila Franc a
de Xlra (§§ 46 - 50)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13 - 1 5
(bb) Les délais d'exécution des commissions rogatoires et des notifications de s conclusions aux parties ( § 51) . . . . . . . . . . . . . .
15
(2) Les raisons avancées par le Gouvernement pou r justifier la durée de la procédure : ln nécessité de tenir compte du contexte socia] et politique pour définir la notion meme de "déla i raisonnable" (§§ 52 - 60) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15 - 18
(a) Principaux motifs invoqués par l e Gouvernement (§§ 52 - 54) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15 - 1 6
(b) L'importance du contexte soc.io-politiqu e (§§ 55 - 58)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16
-
17
(c) Mesures prises par le Gouvernement en vue de remédier ,i la situation d'engorgement du rôle dans le tribunal de Vila Franca d e
Xira ( § 59) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
(d) Sur la notion m@me de "délai raisonnable "
(§ 60) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17 - 18
- 1 i I -
Page IV . AVIS DE LA COPL`[ISSIOIC ( §§ 61 - 97)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 - 2 7
.a .
La période à prendre cn considération ( §§ 64 - 66)
B.
L'appréciation de la durée de la procédur e
(§§ 67 - 96)
. .. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
20 - 2 7
(1)
Quant
à la complexité de l'affaire (§§ 68 ~ 70)
. . . . . . . .
20 - 2 1
(2)
Quant au comportement du requérant (§§ 71 - 76)
. . . . . . . .
21 - 2 2
(3)
Quant à la manière dont l'affaire a été conduit e . . . . . . . .. . . . .
23 - 2 7
(a) Quant au déroulement de la procédure dan s l'affaire du requérant ( §§ 80 - 83) . . . . . . . . . . . . . . . .
23 - 2 4
(b) Quant aux motifs invoquéa par le Gouvernemen t défendeur pour j ustifier la longueur de l a procédure ( §§ 84 - 96) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
24 - 2 7
par
les autorités compétentes (§§ 77 - 96)
CONCLUSION ( § 97)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
ANNEXE I- llistorique de la procédure devant la Commission ANNEXE II -
Décision sur la recevabilité de
27
. . . 28 - 3 0
la requête . . . . . . . . 31 - 55
-2-
I . INTRODUCTIO N
1 . On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties à la Commission européenne des Droits de l'Homme, ainsi qu'une description de la procédure . (a) Résumé des faits et des griefs du requéran t 2 . Le requérant est un ressortissant portugais né en 1949 . I1 exerce la profession d'électricien et est domicilié à Lisbonne . Devant la Commission il est représenté par Maitre J .A . Pires de Lima, avocat au barreau de Cascais . Le 18 août 1976, .3 le requérant et deux autres personnes furen t victimes d'un accident de la route à quelques kilomètres de Lisbonne . 4 . Le 7 décembre 1978 le requérant et le conducteur du véhicule dont il était passager introduisirent une action civile devant le tribunal de Vila Franca de Xira contre le conducteur d'un autre véhicule - qui, selon eux, avait causé l'accident -, son propriétaire et la compagnie d'assurances . 5 . Par jugement du 25 octobre 1982 le tribunal de Vila Franca de Xira déclara l'action fondée et considéra que le requérant avait droit à des dommages-intérêts . Toutefois, le tribunal ne procéda pas à la fixation du montant de ces derniers . Il a en effet estimé que la question ne se trouvait pas en l'état et devait faire l'objet d'une procédure ultérieure ("liquidaçâo de sentença") . 6 . Le requérant se plaint devant la Commission de la durée de la procédure civile qu'il a introduite le 7 décembre 1978 et allègue la violation de l'article 6, par . 1 de la Convention .
(b) Procédure devant la Commissio n 7 . La présente requête a été introduite le 20 mai 1980 et enregistrée le 27 mai 1980 . Le 9 décembre 1980 la Commission a décidé de porter la présente requête à la connaissance du Gouvernement du Portugal et d'inviter ce dernier, en application de l'article 42, par . 2(b) de son Règlement intérieur, à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête avant le 19 mars 1981 . Les observations du Gouvernement datées du 12 mars 1981 ont été reçues le 18 mars 1981 . Celles du requérant ont été reçues le 30 avril 1981 .
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8 . Le 16 juillet 1981 la Commission a décidé d'entendre les parties lors d'une audience contradictoire sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, conformément à l'article 45, par . 3, de son Règlement intérieur . Cette audience s'est tenue le 16 décembre 1981 . Le Gouvernement défendeur y était représenté par M . José Cunha Rodrigues, en qualité d'Agent du Gouvernement ; M . Octâvio Dias Garcia, juge à la Cour supérieure de Justice ("Supremo Tribunal de Justiça") et VicePrésident Adjoint du Conseil suprême de la Magistrature ("Conselho Superior da Magistratura"), en qualité de conseil ; M . Ant6nio da Costa Lobo, Représentant Permanent du Portugal auprès du Conseil de l'Europe, en qualité de conseil ; M . Joâo Rocha Pâris, Représentant Permanent adjoint du Portugal auprès du Conseil de l'Europe, en qualité de conseil et Mlle Luisa Bastos de Almeida, du Ministère des Affaires Etrangères, en qualité de conseil . Le requérant était représenté à l'audience par Maitre Joaquim A . Pires de Lima, avocat au barreau de Cascais . 9 . A la suite de l'audience, la Commission décida, avant de se prononcer sur la recevabilité de la requête, d'inviter les parties à répondre par écrit à un certain nombre de questions . Le Gouvernement envoya ses réponses le 26 janvier 1982 et le requérant les commenta le 1er mars 1982 . 10 . Le 6 juillet 1982, la Commission a décidé de déclarer la requéte recevable et s'est mise à la disposition des parties, conformément à l'article 28(b) de la Convention, en vue de parvenir à un règlement amiable de l'affaire . Vu l'attitude adoptée par les parties, la Commission constate qu'il n'existe aucune base permettant d'obtenir uq tel règlement .
(c) Le présent rappor t 11 . Le présent rapport a été établi par la Commission conformément à l'article 31 de la Convention, après délibérations et votes, en séance plénière, en présence des membres suivants : MM . C .A . N¢RGAARD, Présiden t G . JORUNDSSON S . TRECHSEL B . KIERNAN M . MELCHIOR J . SAMPAIO J .A . CARRILLO A . WEITZEL J .C . SOYER H .G . SCHERMERS
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12 . Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le 10 mars 1983 et sera transmis au Comité des Ministres conformément au par . 2 de l'article 31 de la Convention . 13 . u n règlement amiable n'ayant pu intervenir, le présent rapport a donc pour objet, conformément à l'article 31, par . 1 de la Convention : 1) d'établir les faits, e t 2) de formuler un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent de la part du Gouvernement défendeur une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention . 14 . Sont joints au présent rapport un tableau retraçant l'historique de la procédure devant la Commission (Annexe 1), et le texte de la décision de la Commission sur la recevabilité de la requête (Annexe II) . 15 . Le texte intégral de l'argumentation présentée par écrit et oralement par les parties ainsi que les pièces soumises à la Commisison sont conservés dans les archives de la Commission et peuvent être mis à la disposition du Comité des Ministres, s'il le demande .
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II . ETABLISSEMENT DES FAIT S
16 . Le 18 août 1976 le requérant fut victime d'un accident de la route à Alverca, à quelques kilomètres de Lisbonne . Le véhicule à moteur dans lequel il se trouvait avec José Neves Lopes et Domingos Lopes (conducteur) fut heurté par un autre véhicule, propriété de la Société Canalux et conduit par Antônio Dinis . Le requérant fut blessé et hospitalisé pendant une semaine . Il a perdu l'usage de l'oeil gauche . 17 . Les autorités de police locales donnèrent connaissance de l'accident au parquet près le tribunal de Vila Franca de Xira (1) . Le parquet engagea par la suite une procédure pénale contre les conducteurs des deux véhicules, pour dommages corporels involontaires . En octobre 1976, le Décret-Loi d'amnistie No 758/76 (art . 2-b) entra en vigueur . Le 20 janvier 1977 le requérant fut informé que l'affaire avait été classée, l'amnistie s'étendant aux infractions reprochées aux conducteurs . 18 . Le 7 décembre 1978 le requérant et Domingos Lopes introduisirent une action civile devant le tribunal de Vila Franca de Xira contre le conducteur et le propriétaire du véhicule qui avait causé l'accident, ainsi que contre la compagnie d'assurances "Tranquiiidade" . Le requérant demanda une indemnité de 350 .000 escudos . Il demanda en outre à bénéficier de l'assistance judiciaire . 19 . Le 9 décembre 1978 le juge de la deuxième chambre ("2° juizo") du tribunal de Vila Franca de Xira (2) accorda l'assistance judiciaire au requérant et ordonna la citation des parties défenderesses . Celles-ci étant domiciliées à Lisbonne, une commission rogatoire ("carta precatoria") fut expédiée à cet effet . Les 30 janvier, 28 février, 2 avril, 4 mai et 11 juin 1979, le juge de la lère chambre du tribunal de Vila Franca de Xira, agissant en remplacement du magistrat de la 2ème chambre (poste vacant) insista pour que la commission rogatoire soit exécutée par la juridiction commise .
(1) Aux termes de l'art . 7 du décret-loi 35007 du 13 octobre 1945, les autorités de police sont tenues d'informer le Ministère public de toutes les infractions dont elles ont eu connaissance . (2) Le tribunal de Vila Franca de Xira est composé de deux chambres ("jufzos"), chacune pourvue d'un juge .
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20 . Le 18 juin 1979 les parties défenderesses, Antdnio Dinis, la Société Canalux et la compagnie d'assurances "Tranquilidade" reçurent notification de la citation . Un délai de 10 jours leur fut fixé pour contester la demande introductive d'instance . Par des conclusions ("contestaçào") datées du 27 juin 1979, la partie défenderesse compagnie d'assurances "Tranquilidade" contesta les moyens présentés par le requérant et forma une demande incidente d'intervention ("intervençâo principal") d'un e tierce personne, José Neves Lopes, qui se trouvait également dans la voiture avec le requérant au moment de l'accident . Le 2 juillet 1979 les défendeurs Antdnio Dinis et la Société Canalux envoyèrent également leurs conclusions . 21 . Le 4 juillet 1979 le greffe du tribunal de Vila Franca de Xira transmis le dossier au magistrat, qui ordonna le 28 janvier 1981 la communicaton des conclusions des parties défenderesses au requérant et invita ce dernier à se prononcer, dans un délai de 5 jours, sur la demande incidente susmentionnée . 22 . Le 9 février 1981 le requérant contesta à son tour les conclusions des parties défenderesses et fit valoir que la demande incidente d'intervention principale constituait une manoeuvre dilatoire, étant donné que la tierce personne en question, José Neves Lopes, était le frère de la partie demanderesse Domingos Lopes, qu'il n'avait subi aucun dommage et renonçait expressément à toute indemniLé . Par la même occasion le requérant se plaignit que les conclusions des parties défenderesses de juin 1979 ne lui avaient été notifiées qu'en janvier 1981 . I1 informa le tribunal qu'une requ€te était pendante devant la Commission européenne des Droits de l'Homme, portant sur la durée de la procédure . L'opposition du requérant à la demande incidente d'intervention ne fut portée à la connaissance du juge par le greffe du tribunal que le 26 mars 1981 . 23 . Le 10 février 1981 le juge du tribunal de Vila Franca de Xira avait déclaré recevable la demande incidente au motif qu'il n'y avait pas eu d'opposition et ordonné la citation de José Neve s Lopes . Celui-ci habitant à Loures, une commission rogatoire fut envoyée à cet effet le même jour au ressort de Loures et exécutée le 26 février 1981 . Le 27 mars 1981 le magistrat précité, informé tardivement de l'opposition du requérant à la demande incidente, décida de maintenir néanmoins sa décision . Il rendit, en outre, le même jour, une décision préparatoire ("despacho saneador") déclarant l'action recevable et dressant une liste des faits prouvés dans les conclusions des parties ("especificaçëo") et une liste des faits à éclaircir à l'audience ("questionârio") .
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Cette décision fut notifiée aux parties, qui n'ont formé aucun recours . 24 . Le 29 avril 1981, la partie dPfenderesse compagnie d'assurances "Tranquilidade" déposa au greffe du tribunal la liste des témoins qu'elle désirait faire entendre . 25 . Le 30 avril 1981, le requérant fit de m@me . Vu que l'un de ses témoins, Maria Silva, habitait une ville d'un autre ressort (Almada), il demanda qu'une commission rogatoire y soit envoyée . Le 5 mai 1981 les parties défenderesses Ant6nio Dinis et la Société Canalux déposèrent leur liste de témoins . Le 18 mai 1981 une commission rogatoire fut envoyée au tribunal de Almada afin qu'il y soit procédé à l'audition du témoin Maria Silva, nommé par le requérant . Le 8 juin 1981 le juge du tribunal de Almada fixa au 9 juillet 1981 la date de l'audition du témoin . Le 17 juin 1981, il envoya toutefois au tribunal de Seixal une commission rogatoire pour l'audition de ce témoin, considérant cette autre juridiction comme compétente . Le 26 juin 1981 le juge de Seixal fixa l'audition au 12 octobre . Le 9 octobre 1981 l'avocat des parties défenderesses Antoinio Dinis et Société Canalux envoya un télégramme faisant savoir qu'il ne pouvait pas être présent à l'audition du témoin, pour motif de maladie . 26 . Le 12 octobre 1981 le témoin ne comparut pas et, le même jour, le juge du tribunal de Seixal le condamna à une amende et fixa son audition au 17 novembre 1981 . Le 17 novembre 1981, par un autre télégramme, le même avocat informa le juge qu'il ne pouvait pas comparaitre pour motif de maladie . Le méme jour, le juge du tribunal de Seixal ajourna l'audition au 10 février 1982 . 27 . Le 25 octobre 1982 le tribunal de Vila Franca de Xira déclara fondée l'action introduite par le requérant, ayant considéré qu'il était en droit de bénéficier de dommages-intérêts à l a charge des parties défenderesses . Le tribunal estima toutefois que la question du montant de l'indemnité ne se trouvait pas en état et réserva sa décision sur ce point ("liquidaçâo em execuçëo de sentença") . A la date de l'adoption du présent rapport le tribunal de Vila Franca de Xira n'avait pas encore fixé le montant de l'indemnité due au requérant .
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iII . ARGUMENTATION DES PARTIE S
28 . Au cours de la procédure devant la Commission, ont présenté, en substance, 1'argumentation suivante :
A.
les parties
Le requéran t
(1) Sur les critères utilisés par la Commission en vue de déterminer la durée d'une procédure au regard de l'article 6, par . 1 de la Convention . (a) Quant à la complexité de l'affair e 29 . Le requérant soutient que l'affaire qui fait l'objet de la présente requête ne peut pas être considérée comme étant complexe . I1 s'agit d'une action civile à la suite d'un accident de la route, dans laquelle il demande 350 .000 escudos d'indemnité . A l'appui de son affirmation le requérant compare son affaire à d'autres que la Commission a déjà examinées, en particulier les affaires Kdnig et Buchholz, qui se sont déroulées devant plusieurs instances dans l'ordre interne . Il souligne à ce sujet que son affaire est pendante en première instance depuis le 7 décembre 1978 .
(b) Quant au comportement du requéran t 30 . Le requérant soutient que la durée de la procédure ne peut en aucune manière lui être imputée . Il souligne à cet égard que les dispositions du Code de procédure civile portugais fixent aux parties des délais pour présenter leurs conclusions écrites, délais qui, en l'occurrence, furent respectés par les parties . 31 . l1 admet que le témoin qu'il avait nommé, Maria Silva, n'a pas comparu le 12 octobre 1981 à l'audition ordonnée par le magistrat compétent . Il affirme que cette personne a refusé de se présenter au tribunal mais qu'elle était, en fait, le seul témoin oculaire de l'accident . TI a fallu, par conséquent, essayer de la faire entendre devant le tribunal de son domicile, et non pas devant celui qui était saisi de la cause . Cette circonstance ne peut toutefois expliquer le retard de l'ensemble de la procédure . 32 . D'autre part, le requérant fait observer qu'il n'avait aucun moyen de faire accélérer la procédure, notamment en s'adressant au magistrat saisi de la cause ou en dénonçant la situation au Conseil supérieur de la Magistrature . En effet, aucune disposition du droit portugais ne permet à celui qui voit son procès durer un temps excessif de s'adresser directement au juge saisi . Pareille démarche pourrait même, à son avis, avoir des effets défavorables à la
- 9 -
cause . En l'occurrence, le magistrat saisi de l'affaire avait lui-même attiré l'attention des autorités compétentes sur l'urgence d'augmenter le nombre des fonctionnaires affectés au tribunal en vue de faire face à la situation d'engorgement du r81e . 33 . Quant à une plainte au Conseil supérieur de la Magistrature, le requérant souligne que celui-ci n'aurait pas compétence pour traiter ce type de problèmes . I1 était, en tout état de cause, informé de la situation existant au tribunal de Vila Franca de Xira par le magistrat saisi de l'affaire du requérant ainsi que par le bureau local de l'Ordre des avocats .
(c) Quant à la manière do par les autorités com
l'affaire a été conduit e
te s
(aa) La situation du tribunal de Vila Franca de Xir a 34 . Selon le requérant, le Gouvernement défendeur es t seul responsable de la lenteur de la procédure, vu la situation du tribunal de Vila Franca de Xira, qui ne saurait être imputée au magistrat saisi de la cause . En effet, la deuxième chambre de cette juridiction - qui s'est occupée de l'affaire du requérant n'a pas eu de juge en fonction durant six mois en 1979 (janvier à juin) . Lorsque le juge Edmundo Marques a pris ses fonctions dans cette chambre (le 27 juin 1979), il a dû les exercer également dans la première chambre du tribunal, celle-ci étant restée sans juge de juin 1979 à avril 1980 . Cette situation s'est répétée de novembre 1980 à février 1981 . 35 . D'autre part, le tribunal ne disposait pas d'un nombre suffisant de fonctionnaires, ni d'installations adéquates . Le Conseil supérieur de la Magistrature et le Ministre de la Justice en étaient au courant depuis 1979 . En effet, réunis le 14 décembre 1979, les avocats de Vila Franca de Xira ont attiré l'attention de ces deux organes sur la situation "chaotique" du tribunal, où la plupart des procédures étaient suspendues . Ils ont demandé des mesures urgentes pour faire face à cette situation, en particulier la désignation d'un autre juge titulaire, de trois juges auxiliaires, d'un juge d'instruction, d'un greffier et de six fonctionnaires, dont les postes étaient vacants . Le 18 février 1980 les avocats de Vila Franca de Xira ont attiré à nouveau l'attention du Ministre de la Justice sur la situation du tribunal .
- 10 -
Le 29 mai 1980 lls ont envoyé un télégramme au Conseil supérieur de la Magistrature, demandant à nouveau la désignation urgente de juges et soulignant qu'il était "humainement Impossible" aux deux magistrats en fonction de faire face à l'accumulation des dossiers . 36 . Le 27 janvier 1981 sont encore adressés au Ministère de la Justice demeurait i nchangée, et
les avocats de Vila Franca de Xira se Conseil supérieur de la Magistrature et au en se plaignant de la situation, qui ont demandé une audience d'urgence .
Le 19 mars 1981 le juge Edmundo Marques, saisi de l'affaire du requérant, demanda au service compétent du Ministère de la Justice le recrutement urgent d'un certain nombre de fonctionnaires . Et le requérant de conclure que, pendant toute cette période, le Gouvernement n'a pas pris de mesures adéquates pour remédier à la situation d'engorgement du rôle du tribunal de Vila Franca de Xira .
(bb) Les délais d'exécution des commissions rogatoires et les notifications aux partiec des conclusion s
37 . Le requérant fait remarquer qu'il y a eu surtout deux retards exagérés . Le premier concerne l'exécution des commissions rogatoires destinées à citer les parties défenderesses . La loi portugaise fixe à cet égard un délai maximum de 50 jours (article 181 du code de procédure civile) . Or, le 9 décembre 1978 le juge du tribunal de Vila Franca de Xira adressa à Lisbonne une commission rogatoire, qui ne fut exécutée qu'en juin 1979, c'est-à-dire plus de 6 mois plus tard . 38 . D'autre part, les parties défenderesses doivent déposer leurs conclusions dans un délai de 10 jours à compter de la notification de la citation . Elles ont respecté ce délai, ayant envoyé leurs conclusions fin juin et début juillet 1979 . Toutefois, le requérant a attendu jusqu'à janvier 1981 pour qu'elles lui soient notifiées, alors que le délai prévu à cet effet par le code de procédure civile est de 5 jours (article 167, par . 2) . Ce retard ne saurait être imputé qu'au Gouvernement défendeur .
(2) Sur la notion même de "délai raisonnabie" l'importance du contexte socio-politiqu e 39 . Le requérant soutient que la notion de "délai raisonnable", prévue à l'article 6, par . 1 de la Convention, n'est pas dépendante du contexte politique ou social de l'Etat à qui est reprochée une violation de cette disposition . Il en résulterait, s'il en était ainsi, une "notion régionale" du "délai raisonnable", différente d'Etat à Etat .
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40 . Le requérant souligne à ce propos, que les difficultés d'ordre politique et social découlant de l'institution de la démocratie en 1974 au Portugal ne peuvent servir d'argument pour échapper aux obligations internationales découlant de la Convention . Le Portugal a en effet ratifié celle-ci et reconnu le droit de recours individuel en novembre 1978 . Ce fut un acte politique librement accompli . Au moment où il a ratifié la Convention, le Gouvernement connaissait parfaitement les données de la crise et la situation de l'administration de la justice . Cette situation était certes grave mais des mesures appropriées ne furent pas prises par la suite en vue de l'améliorer . Le budget de l'Etat pour l'année 1975 prévoyait 1% pour le Ministère de la Justice, alors qu'entre 1978 et 1981 le pourcentage tombait à 0,7% et à 0,60% en 1982 . Ce pourcentage est insuffisant, surtout si on le compare à celui dont bénéficie le Ministère de la Défense (10%) . Enfin, on ne peut pas utiliser, à propos de la situation de l'administration de la justice au Portugal le mot de "crise" au sens de situation de force majeure car l'accroissement du nombre des procès était prévisible et des mesures efficaces n'ont pas été prises au moment opportun pour y faire face . En effet, le Gouvernement savait depuis 1976 que le nombre des procès pendants devant le tribunal de Vila Franca de Xira s'accroissait sans cesse . Le requérant considère enfin qu'il n'y a pas de distinction à établir dans la présente affaire entre la durée totale de la procédure et son rythme, dans la mesure où lorsqu'il introduisit sa requéte devant la Commission, la procédure était encore pendante . On ne peut pas, par ailleurs, exiger d'un requérant qu'il attende qu'une longue procédure se soit terminée avant de saisir la Commission .
B.
Le Gouvernemen t
(1) Sur les critères utilisés par la Commission en vue de déterminer la durée d'une procédure au regard de l'article 6, par . 1 de la Conventio n (a) Quant à la complexité de l'affair e 42 . Le Gouvernement établit à cet égard une distinction entre la complexité du fond de l'affaire et celle de la procédure . D'un point de vue matériel, il admet que l'affaire ne présente pas d e grandes difficultés . Elle pose des questions de droit qui sont entrées dans la vie quotidienne des tribunaux . Toutefois, il n'en va pas de m@me de la procédure proprement dite . A celle-ci participen t plusieurs demandeurs et défendeurs, qui agissent en diverses qualités (conducteur du véhicule, propriétaire et assureur) . Cette situation a d'ailleurs donné lieu à une procédure incidente
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d'intervention principale . D'autre part, il s'agit de déterminer la gravité des dommages physiques subis à la suite de l'accident, ce qui nécessite des expertises médicales parfois délicates et pouvant provoquer des incidents de procédure . Au vu de ce qui précède, le Gouvernement conclut que l'affaire peut être considérée comme "complexe" . (b) Quant au comportement du requéran t 43 . Le Gouvernement fait observer que le requérant a contribué au retard de la procédure, dans la mesure où il aurait pu s'adresser directement au juge chargé de son affaire pour protester contre ce retard (en application du droit de pétition prévu à l'art . 49 d e la Constitution), ou encore, et de préférence, porter plainte devant le Conseil supérieur de la Magistrature en invoquant les articles 139 et 152 de la loi No 85/77 du 13 décembre 1977, qui établit le statut du magistrat judiciaire . Ce conseil ayant des compétences disciplinaires et de gestion de la magistrature du siège, pouvait, le cas échéant, adopter des mesures administratives o u disciplinaires afin de remédier à la situation . L'importance d'une telle intervention fut démontrée d'ailleurs par le fait que ce fut cet organe qui, à la demande du Gouvernement, normalisa l e déroulement de l'affaire du requérant . 44 . D'autre part, l'affaire aurait déjà pu @tre jugée en avril 1981 si le requérant n'avait pas demandé que l'un de ses témoins soit entendu par un autre tribunal, celui d'Almada . Par la suite, il s'est avéré que l'adresse de ce témoin était incorrecte et qu'il devait étre entendu par le tribunal du Seixal . Une fois l'audition fixée au 12 octobre 1981, le témoin n'a pas comparu . Toutes ces complications auraient pu être évitées si le requérant avait fait citer le témoin directement devant le tribunal de Vila Franca de Xira . 45 . Le Gouvernement fait observer enfin que l'attitude des défendeurs a rendu plus important le retard de la procédure dans l'affaire du requérant . Dans ce genre d'affaires, il est courant que les compagnies d'assurances essaient de différer le jugement afin de bénéficier de l'érosion monétaire . Tel a été, dans le cas d'espèce, le comportement de la compagnie d'assurances "Tranquilidade" . Celle-ci formula une demande incidente, tendant à l'intervention principale d'une tierce personne, José Lopes, qui d'après le rapport de la police n'avait subi que des blessures insignifiantes . Par deux fois son avocat n'a pas comparu à l'audition du témoin qui devait avoir lieu à Seixal .
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(c) Quant à la manière dont l'affaire a été conduite par les autorités compétente s (aa) La situation du tribunal de Vila Franca de Xir a
46 . Le Gouvernement fait remarquer en premier lieu que le tribunal de Vila Franca de Xira a été un de ceux qui a connu une forte augmentation du n 3mbre des procès . En trois ans seulement, c'est-à-dire entre 1976 et 1979, le nombre de procès a augmenté de près de 100X . Le nombre d'actions civiles introduites a été l e suivant :
1978 - lère chambre 206 2ème chambre 19 9 1979 - lère chambre 457 2ème chambre 33 7 1980 - lère chambre 2ème chambre
: 579 : 50 8
47 . Le Gouvernement admet que la diminution de l'effecti f des magistrats, qui s'est nettement aggravée à partir de 1974, a pu, dans certains cas, causer des blocages dans la marche des procès . Quant à la procédure du requérant, le Gouvernement admet que, par suite de circonstances exceptionnelles, notamment l'inertie du requérant, elle n'a connu aucun développement de juillet 1979 à janvier 1981 . Il conteste toutefois l'affirmation du requérant selon laquelle ce retard serait d0 à l'absence de juge en fonction au tribunal saisi de l'affaire . En effet, le tribunal de Vila Franca de Xira était composé comme suit, à partir de mars 1976 : lère chambre
27 mars 1976 - 20 juin 1979 Juge Joâo Martins Ramire s 9 avril 1980 - 27 septembre 1980 Juge José de Jesus Roque (auxiliaire) ler octobre 1980 - 19 février 1981 Juge Celestino Bento (auxiliaire ) 6 octobre 1980 - 4 novembre 1980 Juge José Salgueira Afonso Depuis le 26 février 198 1
Juge Daniel Abilio Almada
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2ème chambre
:(celle saisie de l'affaire du requérant ) 27 mars 1976 - 6 janvier 1979 Juge José Antonio Cru z Depuis 1e 27 juin 1979 Juge Edmundo Marque s 1er octobre 1980 - 19 février 1981 Celestino Bento, juge auxiliaire,qui exerçait ses fonctions dans les deux chambres à la fois .
Il ressort de ces éléments que le tribunal était toujours pourvu d'un juge durant la période considérée . Parfois, deux et même trois juges y ont exercé leurs fonctions simultanément . 48 . Quant à la deuxième chambre, saisie de l'affaire du requérant, il y a lieu de constater que la période d'absence de juge titulaire n'a pas dépassé 5 mois et 21 jours (du 6 janvier 1979 au 26 juin 1979) . Les fonctions ont été assurées, durant cette période, par le j uge substitut, qui était le juge de la première chambre . Celui-ci est effectivement i ntervenu dans l'affaire du requérant les 30 janvier, 28 février, 2 et 4 avril et I1 juin 1979 . 49 . D'autre part, la première chambre ne disposait certes pas de juge pendant neuf mois et 22 jours (entre juin 1979 et avril 1980), mais cette période de vacance de magistrat ne correspond pas à celle de la 2ème chambre . Enfin, en octobre 1980 a été désigné un juge hors cadre en vue de normaliser le fonctionnement du tribunal et, depuis mars 1981, le Conseil supérieur de la Magistrature a décidé que trois autres juges devraient y exercer leurs fonctions en qualité d'auxiliaires . En ce qui concerne les magistrats du Ministère public, les postes ont toujours été pourvus . 50 . Enfin, quant aux fonctionnaires du tribunal, l'évolution de leur effectif peut se résumer ainsi : 1977
17 postes, dont
1978 : 23 postes, dont 1979 33 postes, dont 1980 27 postes, dont 1981 : 26 postes, dont
14 pourvu s
15 25 24 23
pourvu s pourvu s pourvu s pourvus .
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Il ressort de ces chiffres qu'à partir de 1979, le nombre réel de fonctionnaires a considérablement augmenté . Par ailleurs, le Conseil supérieur de la Magistrature a créé 5 nouveaux postes en août 1981 en vue d'assister les trois juges auxiliaires qui ont pris leurs fonctions en mars 1981 . (bb) Les délais d'exécution des commissions rogatoires et des notifications des conclusions aux partie s 51 . Quant à la commission rogatoire adressée à la juridiction de Lisbonne en décembre 1978 et exécutée en juin 1979 seulement, le Gouvernement reconnait que ce délai a été excessif . Il souligne, toutefois, que la commission rogatoire visait trois personne s et que le fonctionnaire chargé de l'exécuter avait pris sa retraite quelques jours après l'avoir reçue, ce qui a causé une accumulation de travail pour son successeur . Enfin, quant au fait que le requérant n'ait reçu qu'en janvier 1981 les conclusions des parties adverses datées de juillet 1979, le Gouvernement estime que ce délai a été dû à la demande incidente d'intervention d'une [ierce personne formulée par la partie défenderesse, la compagnie d'assurances "Tranquilidade" . Cette demande incidente a exigé une décision du juge, lequel est en partie responsable du retard au vu de ses aptitudes professionnelles (v . ci-après) .
(2) Les raisons avancées par le Gouvernement pour justifier la durée de la procédure : la nécessité de tenir compte du contexte social et politique pour définir la notion même de "délai raisonnable " (a) Principaux motifs invoqués par le Gouvernemen t Trois motifs principaux doivent @tre pris en compte : la remarquable augmentation du nombre d'affaires pendantes devant le tribunal de Vila Franca de Xira, les aptitudes professionnelles du magistrat saisi de la cause et, enfin, l'inertie du requérant (ce dernier motif a déjà été évoqué ci-avant) . 53 . Le premier motif doit bien entendu être combiné avec le second . En effet, ce fut en raison de l'accumulation des procès que le magistrat saisi de la cause du requérant eut des difficultés d'adaptation . Ces difficultés, de l'avis du Gouvernement, sont bien compréhensibles, mais d'autre part "doivent être imputées à ses caractéristiques profession- nelles" . Ce magistrat était venu de juridictions où le nombre des procès n'était pas comparable . De plus, lorsqu'il fut désigné, il resta sur place neuf mois avec la
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charge, à lui seul, des deu x chambres du tribunal de Vi1a Franca de Xira . De ce fait, il à dû décider en priorité les affaires les plus urgentes et se trouvait dans une situation " extrêmement difficile" . Au cours de cette période, i l a donc rempli ses fonctions d'une manière " relativement négative" . Cette situation, comme il a été dit plus haut, fut réglée par la suite par le Conseil supérieur de la Magistrature . Celui-ci a notamment demandé à trois juges d'exercer des fonctions de juges auxiliaires au tribunal de Vila Franca de Xira, ce qui fut fait . 54 . Les trois motifs mentionnés doivent par ailleurs être examinés en tenant compte de la réalité sociale et politique dans laquelle fonctionnait l'administration de la justice au Portugal . (b) L'importance du contexte socio-politiqu e 55 . Selon le Gouvernement, on ne peut pas examiner la durée de la procédure dans l'affaire du requérant sans tenir compte de la réalité sociale et politique du Portugal en 1974, lorsque la démocratie y fut instaurée, ainsi que de l'évolution au cours des années suivantes . 56 . En avril 1974 le système judiciaire était désuet et en pleine crise : il n'y avait que 336 juges en fonctions, soit l'un des coefficients juges/habitants le plus bas d'Europe (3,7 pour 100 .000 habitants) . Ce coefficient était de 6 pour la France, 8,8 pour l'Italie, 10 pour la Belgique, 16,25 pour l'Autriche et 17,7 pour la République fédérale d'Allemagne . De 1974 à 1977, le nombre des procès pendants devant les tribunaux portugais a augmenté de plus de 100X . 57 . C'est ainsi qu'après la publication de la Constitution en avril 1976 des mesures ont été prises tendant à la réorganisation judiciaire . Les voies d'accès aux tribunaux ont ét é plus largement ouvertes tout en garantissant l'impartialité et l'indépendance de la fonction judiciaire . Ont été promulguées les lois organiques du Conseil Supérieur de la Magistrature et du Parquet Général de la République ("Procuradoria-Geral da Repûblica"), la loi organique des tribunaux judiciaires, le Statut des magistrats du siège ("Estatuto dos Magistrados Judiciais"), la loi organique du Ministère Public et l'organisation de tutelle des mineurs ("Organizaçâo tutelar de Menores") . Enfin, a été créé le Centre d'Etudes Judiciaires ("Centro de Estudos judiciârios") ayant pour but la formation des magistrats suivant les modèles déjà expérimentés dans d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe . Des cours accélérés de formation de magistrats ont été organisés .
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En six ans, le nombre de juges est passé de 336 à 720 et le nombre des fonctionnaires des tribunaux a augmenté de 70% . Toutes ces mesures ont été prises dans une époque troublée, conséquence de l'évolution accidentée du processus de démocratisation, au cours duquel la notion même de démocratie a été parfois mise en cause . C'est dans ces conditions que l'augmentation du nombre des magistrats s'est faite aussi rapidement que possible, mais sans pour autant porter préjudice à la qualité du recrutement des magistrats . 58 . C'est dans ce contexte que doit être examinée la situation du tribunal de Vila Franca de Xira . Le Gouvernement souligne en effet que la justice portugaise a opéré dans des circonstances exceptionnelles, découlant de l'instauration de la démocratie et du retour de près d'un million de rapatriés . Il conclut que la Commission ne doit pas perdre de vue ce contexte lorsqu'elle examine la durée de la procédure dans l'affaire du requérant .
(c) Mesures prises par le Gouvernement en vue de remédier à la situation d'engorgement du r8le dans le tribunal de Vila Franca de Xir a
59 . Se référant à l'affirmation de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Buchholz, selon laquelle un engorgement passager du r8le n'engage pas la responsabilité des Etats s'ils prennent avec une promptitude adéquate des mesures propres à redresser la situation, le Gouvernement fait observer que tout a été fait pour accélérer la procédure dans l'affaire du requérant . A partir d'octobre 1980 un autre juge fut désigné pour assurer la normalisation du travail . En outre, en mars 1981, le Conseil supérieur de la Magistrature décida que trois juges du ressort de Lisbonne devaient exercer des fonctions de juges-auxiliaires au tribunal de Vila Franca de Xira . Enfin, en ao0t 1982, cinq fonctionnaires furent affectés au greffe du tribunal . Au vu des mesures prises, le Gouvernement affirme qu'aucun procès ne se trouve actuellement bloqué devant le tribunal de Vila Franca de Xira .
(d) Sur la notion même de "délai raisonnable " 60 . Le Gouvernement considère, enfin, que selon la jurisprudence de la Commission, la procédure doit être examinée dans so n ensemble . Or, un tel examen n'est, en principe, possible que lorsque la procédure est terminée . Par ailleurs, l'article 6 de la Convention n'exige pas qu'un certain rythme soit respecté, mais uniquement que la durée totale de la procédure soit raisonnable .
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Il est possible ainsi d'imaginer qu'une procédure soit en suspens durant un certain temps mais ensuite, parce que priorité lui est accordée, qu'elle se termine dans un "délai raisonnable" . Or, pour ce qui est de l'affaire du requérant, le Gouvernement souligne que la priorité lui fut donnée et que tout a été fait en vue de permettre que la cause soit entendue dans un "délai raisonnable" .
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IV AVIS DE LA COMMISSIO N
61 . La Commission est appelée à se prononcer sur la question de savoir si la durée de la procédure civile (action en dommagesintérêts) introduite par le requérant devant le tribunal de Vila Franca de Xira a ou non excédé le "délai raisonnable" prévu à L'article 6, par . 1, de la Convention . 62 . Cette disposition prévoit notamment que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ( . . .) dans un délai raisonnable par un tribunal ( . . .) qui décidera sur des droits et obligations de caractère civil ( . . . )" . 63 . La Commission constate, en premier lieu, que l'applicabilité de l'article 6, par . 1, de la Convention dans la présente affaire n'est pas contestée entre les parties . Avant de se prononcer sur la violation alléguée de cette disposition, la Commission doit préciser la période à prendre en considération pour son application .
A . La période à prendre en considératio n 64 . Ainsi que la Commission l'a souligné dans sa décision du 6 juillet 1982 sur la recevabilité de la requéte, le point de départ de la période à prendre en considération se situe au 7 décembre 1978, date à laquelle le requérant a intenté une action civile en dommages-intéréts devant le tribunal de Vila Franca de Xira . 65 . Ce dernier a décidé le 25 octobre 1982 que la demande était fondée . Toutefois, il ne s'est pas prononcé sur le montant de l'indemnité à verser au requérant par les parties défenderesses , au motif que la question ne se trouvait pas en état . Celle-ci doit donc faire l'objet d'une procédure ultérieure ("liquidaçâo de sentença") . Dans ces circonstances, le jugement du 25 octobre 1982 ne saurai t être considéré comme une décisiôn finale, dans la mesure où le but même de l'action intentée par le requérant était d'obtenir des dommages-intérêts à la suite de l'accident dont il avait été victime (v . mutatis mutandis, requête N° 8691/80, X . c/République fédérale d'Allemagne, décision sur la recevabilité du 8 décembre 1981, à paraître dans D .R . 26) . 66 . Or, comme la Cour européenne des Drotis Droits de l'Homme l'a affirmé dans l'Affaire K6nig : dans le cas de contestations sur des droits et obligations de caractère civil, l'article 6, par . 1 exige qu'une décision intervienne en première instance, en appel ou cassation (v . Cour eur . D .H ., arrêt du 28 janvier 1978, par . 98 ; v . aussi Affaire Eckle, arrêt du 15 juillet 1982, par . 76) . Il s'ensuit que la période à prendre en considération par la Commission continue à courir . Au jour de l'adoption du présent rapport, la procédure a déjà duré plus de 4 ans et 3 mois .
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B.
L'appréciation de la durée de la procédur e
67 . Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure relevant de l'article 6, par . 1, de la Convention doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce suivant les circonstances de la cause . En recherchant si la durée d'un procès pénal a été raisonnable, la Cour européenne des Drotts de l'Homme a pris en considération les trois éléments principaux suivants : la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et la manière dont l'affaire a été conduite par les autorités compétentes ; elle a appliqué les mêmes critères aux procédures intentées devant les tribunaux administratifs et impliquant une décision sur une contestation relativeà des droits et obligations de caractère civil (Affaire K6nig précitée, par . 99, avec de plus amples références) . La Cour a ajouté que seules des Lenteurs imputables à l'Etat peuvent l'amener à conclure, le cas échéant, à l'inobservation du "délai raisonnable" (Affaire Buchholz, arrêt du 6 mai 1981, par . 49) . La Commission considère que la même approche doit être adoptée en l'espèce pour apprécier la durée de la procédure devant le tribunal de Vila Franca de Xira .
(1) Quant à la complexité de l'affair e 68 . Le requérant soutient que la présente affaire n'offre pas un caractère complexe . Le Gouvernement admet pour sa part que, quant au fond, l'affaire n'est pas particulièrement difficile et qu'elle est même banale, mais qu'elle peut être considérée comme complexe, notamment du point de vue procédural car il y a pluralité de demandeurs et défendeurs et des problèmes peuvent se poser quant à la détermination de la gravité du préjudice physique subi . 69 . La Commission constate, en premier lieu, que la présente affaire a trait à une action civile en dommages-intérêts fondée sur le "Code de la Route" ("Côdigo de estrada"), ainsi que sur le Code civil et qui a été examinée selon la procédure sommaire, conformément à l'article 68, par . 1, du Code de la route . L'enjeu du litige est pour le requérant de 350 .000 escudos (environ 30 .00 0 FF) . Elle note, en outre, à titre indicatif, que la demande introductive d'instance comporte quatre pages dactylographiées et que le jugement du 25 octobre 1982 qui l'a déclarée fondée comporte dix pages manuscrites .
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70 . La Commission considère, d'autre part, que la pluralité des parties au procès ne saurait, â elle seule, conférer à l'affaire une complexité particulière . Une telle pluralité est même courante dans ce type de litiges, dans lesquels les compagnies d'assurance s interviennent normalement . Enfin, la Commission souligne que l'affaire n'a, à ce jour, été traitée que par un seul degré de juridiction (cf . mutatis mutandis Cour eur . D .H ., Affaire Foti et autres, arrêt du 10 décembre 1982, par . 59) . La Commission est donc d'avis que l'affaire du requérant ne présente pas une complexité particulière .
(2) Quant au comportement du requéran t 71 . Le Gouvernement défendeur estime que le comportement du requérant a contribué au retard de la procédure . Il fait valoir que le requérant avait la possibilité d'accélérer celle-ci en s'adressant directement au juge saisi de la cause ou, de préférence, en portant plainte devant le Conseil supérieur de la Magistrature . Le Gouvernement souligne en outre qu'un certain retard a été causé par l'audition d'un témoin nommé par le requérant, retard qui aurait pu être évité par le requérant . Ce dernier conteste le bien-fondé de ces arguments . Il considère que la durée de la procédure ne saurait lui être imputée et met en doute l'efficacité des recours indiqués par le Gouvernement en vue d'accélérer la procédure . 72 . La Commission rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable est tributaire, particulièrement dans les affaires civiles, du comportement de l'intéressé, lequel doit faire preuve de la diligence nécessaire (cf . requête N° 7984/77, Pretto c/Italie, D .R . 16, pp . 92, 95 rapports de la Commission dans l'Affaire Buchholz c/République fédérale d'Allemagne, adopté le 14 mai 1980, par . 101 et dans l'Affaire Zimmermann et Steiner c/Suisse, adopté le 9 décembre 1981, par . 37) . La Commission tient à ajouter que l'exercice de ce droit implique non seulement que l'intéressé s'abstienne d'introduir e des demandes ou recours dilatoires, mais qu'il prenne toute mesure propre à activer la procédure (cf . rapport de la Commission, Affaire Zimmermann et Steiner, loc . cit .) . 73 . En l'espèce, la Commission doit se prononcer sur la question de savoir si l'on pouvait attendre du requérant qu'il entreprenne les démarches indiquées par le Gouvernement en tant que moyens d'accélérer la procédure . Pour ce qui est de la demande à adresser au magistrat saisi de la cause, la Commission se limite à constater que le Gouvernement n'a pas démontré qu'elle pouvait produire de tels effets . Il a affirmé, en vérité, que le requérant aurait dQ "de préférence"
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porter plainte au Conseil supérieur de la Magistrature . L'existence même et les effets d'un recours direct au juge, afin que celui-ci traite l'affaire en temps voulu, semble, par ailleurs, prêter à discussion en droit portugais . Quoi qu'il en soit, un tel recours n'était pas envisageable pendant la période de vacance de poste, qui sera examinée ci-après . 74 . Quant à la plainte au Conseil supérieur de la Magistrature, la Commission observe que cet organe est chargé, aux termes de l'article 152, par . 1 de la loi N° 85/77 du 13 décembre 1977, de la gestion et de la discipline de la magistrature du siège . S'il était saisi par le requérant d'une plainte contre le magistrat chargé de son affaire, le Conseil supérieur de la Magistrature aurait ainsi la possibilité, conformément à la disposition précitée, d'engager une procédure disciplinaire contre ledit magistrat du tribunal de Vila Franca de Xira . 75 . A cet égard, la Commission fait remarquer toutefois qu'une démarche tendant à faire sanctionner disciplinairement le comportement d'un magistrat saisi d'une procédure ne constitue pas nécessairement un moyen de hâter cette procédure . Au demeurant, et ainsi que le Gouvernement l'a admis, le magistrat en question s'est trouvé dans une situation extrêmement difficile . En effet, il s'est trouvé seul pendant une période d'environ neuf mois avec la responsabilité des deux chambres du tribunal, lesquelles avaient enregistré pendant les années 1979 et 1980 respectivement 894 et 1 .087 actions civiles . A cela il faut encore ajouter un accroissement considérable du nombre des affaires pénales . Au demeurant, il est significatif à cet égard de souligner qu'informé à plusieurs reprises depuis la fin de 1979 par les avocats et par le magistrat lui-méme de la situation de blocage existant au tribunal de Vila Franca de Xira, le Conseil supérieur d e la Magistrature n'a pas pris de mesures disciplinaires à l'encontre du magistrat susmentionné . Dans ces circonstances, la Commission conclut que, telle que la situation se présentait au requérant, il ne pouvait étre exigé de lui qu'il introduise une plainte au Conseil supérieur de la Magistrature afin de hàter la procédure . 76 . Enfin, pour ce qui est du retard subi à cause de l'audition du témoin nommé par le requérant, la Commission considère qu'un tel retard ne saurait expliquer la longueur de la procédure dans son ensemble . Il fut d'ailleurs causé à deux reprises par l'absence de l'avocat des parties défenderesses, absence qui ne peut être imputée au requérant . Dans ces conditions, la Commission n'estime pas que la conduite du requérant prête à la critique .
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(3) Quant à la manière dont l'affaire a été conduite par les autorités compétente s 77 . Le requérant soutient que le Gouvernement défendeur est seul responsable du retard subi dans la procédure qui est dû essentiellement à la situation du tribunal de Vila Franca de Xira . Il fait valoir que, lorsque le Gouvernement a ratifié en 1978 la Convention et reconnu le droit de recours individuel prévu à l'article 25 de la Convention, il était en possession de tous les éléments permettant de juger de la situation critique du fonctionnement de la justice au Portugal . Il estime que, dans ces conditions, le Gouvernement ne saurait invoquer la situation politique et sociale dans ce pays pour justifier la longueur de la procédure dans son affaire . 78 . Le Gouvernement, quant à lui, considère que la durée de la procédure dans l'affaire du requérant s'explique par le comportement de ce dernier, par la forte augmentation du nombre des affaires devant le tribunal de Vila Franca de Kira et par les aptitudes professionnelles ("caracteristicas profissionais") du magistrat saisi de la cause . Il soutient que ces trois éléments doivent être examinés par la Commission, en tenant compte des circonstances exceptionnelles d'ordre social et politique dans lesquelles s'est déroulée la procédure concernant le requérant . 79 . La Commission examinera, en premier lieu, la marche de la procédure dans l'affaire du requérant . Elle se déterminera ensuite sur le bien-fondé des arguments présentés par le Gouvernement défendeur .
(a) Quant au déroulement de la procédure dans l'affaire du requéran t 80 . La Commission constate aû préalable - et ce point n'est pas contesté - que la première chambre du tribunal de Vila Franca de Xira est restée sans juge de juin 1979 à avril 1980 et la seconde chambre de janvier à juin 1979 . Pendant ces périodes, le magistrat en fonction dans une des deux chambres devait assurer la conduite des affaires pendantes devant l'autre . 81 . La procédure concernant le requérant ayant débuté le 7 décembre 1978, elle est restée stagnante jusqu'en juin 1979, date à laquelle fut exécutée une commission rogatoire envoyée au ressort de Lisbonne . Cette période de six mois est, à n'en pas douter, longue et le Gouvernement l'admet au demeurant - puisqu'il ne s'agissait que de citer les parties défenderesses .
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82 . Le j uge du tribunal de Vila Franca de Xira chargé de l'affaire du requérant est ensuite resté i nactif du 4 juillet 1979 au 28 janvier 1981, c'est-à-dire plus d'une année et demi . I1 est surprenant que ce magistrat ait attendu aussi longtemps avant d'accomplir l'acte fort simple consistant à ordonner l'envoi des conclusions des parties défenderesses au requérant, afin que celui-ci se prononce sur la demande incidente d'intervention formulée par la compagnie d'assurances . 83 . Le 27 mars 1981 le juge déclara l'action recevable, ayant constaté qu'il n'y avait pas de nullités ou d'exceptions, arrêta les faits de la cause qui pouvaient l'être ("especificaçao") et précisa ceux qui restaient à éclaircir lors de l'audienc e ("questionario") . Celle-ci n'a eu lieu que le 20 octobre 1982, soit plus d'une année et demi après . La Commission estime que cette période est, elle aussi, trop longue . Certes, il a fallu procéder à l'audition, par une juridiction d'un autre ressort (Almada), d'un témoin nommé par le requérant . Cette juridiction se déclara ensuite incompétente, le témoin habitant un autre endroit (Seixal) . Il est vrai aussi que le témoin n'a pas comparu, une fois, à l'audience fixée pour son audition, et que l'avocat des parties défenderesses a fait de même à deux reprises . Ces faits, même s'ils ne sont pas imputables au Gouvernement défendeur, ne suffisent pas, de l'avis de la Commission, à justifier le laps de temps d'une année et demi qui a été nécessaire à la fixation de l'audience principale .
(b) Quant aux motifs invoqués par le Gouvernement défendeur pour justifier la longueur de la procédur e 84 . Comme il a été indiqué plus haut, le Gouvernement a avancé trois motifs principaux : l'inertie du requérant, la forte augmentation du nombre des affaires pendantes devant le tribunal de Vila Franca de Xira et les aptitudes professionnelles ("caracterfsticas profissionais") du juge saisi de la cause . Il soutient, en outre, qu'afin de déterminer si la longueur de la procédure était excessive au regard de la Convention, la Commission doit prendre en considération la situation exceptionnelle d'ordre politique et social dans laquelle la justice portugaise a fonctionné pendant la période en question . La Commission s'est déjà prononcée sur le premier de ces motifs et ne fera porter son examen que sur les deux autres . 85 . Quant aux aptitudes professionnelles du juge saisi de la cause du requérant, la Commission observe que les Hautes Parties Contractantes répondent, aux termes de la Convention, de l'ensemble de leurs organes,à quelque pouvoir qu'ils appartiennent . La Commission n'a pas, par conséquent, à rechercher si une violation alléguée de la Convention est imputable au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif ou au pouvoir judiciaire (cf . mutatis mutandis, requête N° 8737/79, Zimmermann et Steiner, rapport de la Commission précité, par . 46) .
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86 . Pour ce qui est de la surcharge de travail du tribunal, les parties s'accordent à admettre qu'elle fut importante . Au niveau national, le Gouvernement souligne que le nombre des procès pendants devant les tribunaux portugais a doublé entre 1974 et 1977 . Les raisons d'une telle augmentation seraient l'accroissement de la population dû à l'arrivée de près d'un million de rapatriés ainsi que les transformations sociales, politiques et économiques . Le tribunal de Vila Franca de Xira a été de ceux où ce phénomène a été le plus marquant . Pour cette raison, le Gouvernement estime indispensable de tenir compte de ce contexte social et politique . 87 . Il fait valoir toutefois qu'il ne peut être considéré comme responsable des situations d'engorgement passager du r8le de ses tribunaux que s'il n'a pas pris, avec une promptitude adéquate, des mesures propres à redresser pareille situation exceptionnelle (Cour . eur . D .H ., Affaire Buchholz, arrêt du 6 mai 1981, par . 49) .
88 . Or, fait observer le Gouvernement, de telles mesures ont en effet été prises au niveau national . Le nombre de magistrats est passé de 336 en 1974 à 720 en 1980, et le nombre de fonctionnaires travaillant dans les tribunaux a augmenté de 70% . D'autre part, après la publication de la nouvelle Constitution portugaise en 1976, de nombreuses lois ont été promulguées permettant notamment un plus large accès aux tribunaux et une amélioration du fonctionnement de la justice . 89 . Pour ce qui est du tribunal de Vila Franca de Xira, le Gouvernement fait remarquer que le Conseil supérieur de la Magistrature a désigné en octobre 1980 un autre magistrat pour faire face à la surcharge de travail . De plus, en mars 1981, trois autres juges furent invités à y travailler pendant un certain temps en qualité de juges auxiliaires . Enfin, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 14 en 1977 à 23 en 1981 . 90 . La Commission a déjà eu à connaItre de situations où un accroissement considérable du nombre des causes place les Etats contractants devant des difficultés pour organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de juger les affaires dans un délai raisonnable, comme il est exigé par l'article 6, par . 1, de la Convention . Ces situations sont d'autant plus difficiles à maitriser si l'on tient compte des problèmes d'ordre budgétaire inhérents à une période de récession économique que subissent actuellement la plupart des Etats contractants, qui rendent plus difficile la nécessaire augmentation du personnel des tribunaux .
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91 . La Commission est consciente que ce les difficultés de ce genre ont peut-être été particulièrement aggravées au Portugal, qui a dû consolider les institutions démocratiques issues de l a Révolution d'avril 1974 . La Commission admet d'autre part que des efforts ont été faits au niveau national pour améliorer l'accès des justiciables aux tribunaux et le fonctionnement de ces derniers . Toutefois, il ne lui appartient pas de porter un jugement sur l'organisation et le fonctionnement de la justice au Portugal en général, mais uniquement de déterminer si la cause du requérant a été entendue par le tribunal de Vila Franca de Xira dans un "délai raisonnable", conformément à l'article 6, par . 1 de la Convention . 92 . A cet égard, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, "la Convention astreint les Etats contractants à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de l'article 6, par . 1, notamment quant au 'délai raisonnable' . Néanmoins, un engorgement passager du rôle n'engage pas leur responsabilité s'ils prennent, avec une promptitude adéquate, des mesures propres à redresser pareille situation exceptionnelle" (Arrêt Buchholz précité) . 93 . La question qui se pose est celle de savoir si la situation de blocage qui a existé au tribunal de Vila Franca de Xira au moment de l'examen de l'affaire du requérant peut ou non être considérée comme un "engorgement passager" du rôle . La Commission doit, de plus, apprécier si les mesures prises par les autorités portugaises étaient ou non "promptes" et "propres" à redresser la situation . 94 . Sur le premier aspect de la question, la Commission constate que, depuis 1976, le nombre d'affaires enregistrées au tribunal de Vila Franca de Xira a augmenté à un rythme continu et progressif . Pour les affaires civiles uniquement, ce nombre était de 405 en 1978, de 794 en 1979 et de 1 .087 en 1980 . Pareille évolution s'est vérifiée pour ce qui concerne les affaires pénales . Il s'agit donc d'une augmentation qui s'est poursuivie sur plusieurs années et qui ne saurait étre considérée comme de nature provisoire, mais plutôt comme étant liée à des problèmes d'ordre structurel . Une telle situation ne saurait pas, par conséquent, être considérée comme étant un "engorgement passager" du rôle du tribunal de Vila Franca de Xira . 95 . Cette situation exigeait, à n'en pas douter, que des mesures efficaces soient prises dans les plus brefs délais en vue rétablir le fonctionnement normal du tribunal . Or, bien que ce dernier connût l'augmentation du nombre des d'affaires que l'on vient de mentionner, l'effectif des magistrats du siège n'a pas augmenté j usqu'en octobre 1980 . Au contraire, comme il a été
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souligné, pendant certaines périodes - plus de 9 mois pour la lère chambre et environ 6 mois pour la 2ème - il n'y eut même pas de magistrat en fonction . Cette circonstance n'a fait qu'aggraver considérablement la situation de blocage préexistante . Certes, en octobre 1980, un magistrat a été désigné hors-cadre pour faire face à la surcharge de travail et, en mars 1981 trois juges sont venus, à titre provisoire, renforcer le tribunal . 96 . Néanmoins, la Commission, tout en étant consciente des difficultés que les autorités portugaises ont pu rencontrer pour remédier à une telle situation, considère que les mesures prises furent tardives et insuffisantes . La longueur excessive de la procédure dans l'affaire du requérant est due, dans les circonstances de la cause, à la manière dont elle a été conduite par le tribunal de Vila Franca de Xira .
CONCLUSIO N
97 . A la lumière des considérations qui précèdent, la Commission, à l'unanimité, exprime l'avis qu'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6, par . 1, de la Convention .
Le Secrétaire de .la Commission
Le Président de la Commissio n
~ C~ e6 aa~rii (H .C . KRUGE )
(C .A . N GAARD)
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A N N E X E
I
HISTORIQUE DE LA PROCEDURE DEVANT LA COMMISSIO N
Objet
Date
Observation s
Examen de la recevabilité Introduction de la requête
20 . 5 .1980
Enregistrement de la requêt e
27 . 5 .198 0
Examen préliminaire par un Rapporteur (article 40 du Règlement intérieur)
7 . 1 1 .1980
Décision de la Commission d'inviter le Gouvernement défendeur à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité (art . 42 ,
9 .12 .1980
§
2, du Règlement intérieur )
Observations écrites du Gouvernement sur la recevabilité
12 . 3 .198 1
Réponse du requéran t
30 . 4 . 198 1
Nouvel examen par le Rapporteu r
15 . 6 .198 1
Délibérations et décision de la Commission de tenir une audience contradictoire sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête
16 . 7 .1981
MM . Fawcett, Président Nirgaard Ermacora Busuttil Daver Opsahl Polak Frowein JSrundsson Tenekides Trechsel Kiernan Klecker Melchior Sampaio Carrill o
MM . Nergaard, Présiden t Sperduti Frowein Triantafyllide s Busuttil Tenekides Trechsel Kiernan Melchior Sampaio Gdzübiiyük Weitzel Soyer
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Annexe T
Objet
Date
Observations
Audience contradictoire sur 16 .12•1981 Représentat ion du Gouvernemen t la recevabilité et le bien- M . José Narciso da CUNHA RODRIGUES, fondé
de
la
requête
Agent
du
Gouvernemen t M . Octévio suprême de du Conseil en qualité
DIAS GARCIA, juge à la Cour justice et Vice-Présiden t supérieur de la Magistrature, de consei l
M . Antdnio da COSTA LOBO, Représentant Permanent du Portugal auprès du Conseil de l'Europe, en qualité de Consei l M, Joâo da ROCHA PARIS, Représentant Permanent Adjoint, en qualité de consei l Mlle Luisa BASTOS DA ALMEIDA, du Ministère des Affaires étrangères, en qualité de consei l Représentation du requérant Maitre J .A . PIRES DE LIMA, avocat au barreau de Cascai s Délibérations et décision de la Commission d'inviter les parties à répondre par écrit à un certain nombre de question s
16,12,1981 _ MM, N6rgaard, Président Fawcett Kellberg Jôrundsson Tenekides Trechsel Kiernan Melchior Sampaio Carrillo Weitzel Soyer Schermer s
Mémoire du Gouvernemen t
26,1,198 2
Mémoire du requérant en répons e
1,3,198 2
Nouvel examen par le Rapporteur
4,6 .1982
,
Annexe I
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et Délibérations et décision de 1a Commission de déclarer
Date 6 .7 .1982
la requête recevable
Observation s MM . Nergaard, Présiden t Fawcet t
Kellber g Tenekide s
Trechse l Kierna n Melchio r
Sampai o Carrill o Weitze l Soye r Schermer s
2 . Examen sur le bien-fondé de la requêt e Délibérations de la Commis- 10 .3,1983 sion sur lie projet d e rapport visé à l'art . 31 de la Convention, votes et adoption du rapport
MM, N 6 rgaard, Président Jdrundsson Trecbsel Kiernan Melchior Sampaio Carrillo Weitzel Soyer Schermers


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 8990/80
Date de la décision : 06/07/1982
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (victime) ; Violation de l'Art. 6-1 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 34) RECOURS, (Art. 34) VICTIME, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : GUINCHO
Défendeurs : PORTUGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1982-07-06;8990.80 ?

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