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15/07/1982 | CEDH | N°8130/78

CEDH | AFFAIRE ECKLE c. ALLEMAGNE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE ECKLE c. ALLEMAGNE
(Requête no 8130/78)
ARRÊT
STRASBOURG
15 juillet 1982
En l’affaire Eckle,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") (art. 43) et aux clauses pertinentes de son règlement, et une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
W. Ganshof van der Meersch,
D. Evrigenis,
J. Pinhe

iro Farinha,
L.-E. Pettiti,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzo...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE ECKLE c. ALLEMAGNE
(Requête no 8130/78)
ARRÊT
STRASBOURG
15 juillet 1982
En l’affaire Eckle,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") (art. 43) et aux clauses pertinentes de son règlement, et une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
W. Ganshof van der Meersch,
D. Evrigenis,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 et 24 mars, puis le 23 juin 1982,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire Eckle a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("La Commission"). A son origine se trouve une requête (no 8130/78) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont deux ressortissants allemands, M. Hans Eckle et son épouse Marianne, avaient saisi la Commission le 27 décembre 1977 en vertu de l’article 25 de la Convention (art. 25).
2. La demande de la Commission a été déposée au greffe le 18 mai 1981, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’État défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 par. 3b) du règlement). Le 30 mai 1981, celui-ci a désigné par tirage au sort, en présence du greffier, les cinq autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, W. Ganshof van der Meersch, D. Evrigenis, J. Pinheiro Farinha et L.-E. Pettiti (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. M. Wiarda a assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement) jusqu’au 17 décembre 1981, date à laquelle il s’est dispensé de siéger (article 24 par. 4 du règlement). M. Ryssdal, vice-président de la Cour (article 21 par. 3b) et 5 du règlement), l’a remplacé.
5. Par l’intermédiaire du greffier, le président a recueilli l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 15 juin 1981, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 30 novembre pour déposer un mémoire et que le délégué pourrait y répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le lui aurait communiqué.
Le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe le 2 décembre. Le 3 février 1982, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué présenterait ses propres observations pendant les audiences et lui a adressé celles de l’avocat des requérants sur le mémoire du Gouvernement.
6. Le 9 février, le président a fixé au 22 mars la date d’ouverture des audiences après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier adjoint.
7. Sur les instructions du président, le greffier a prié les comparants, les 15 et 19 mars, de lui fournir plusieurs documents qu’il a reçus les 19 et 22 mars.
8. Les débats se sont déroulés en public le 22 mars, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire; elle avait autorisé l’emploi de la langue allemande par l’agent et les conseils du Gouvernement ainsi que par la personne assistant le délégué de la Commission (article 27 par. 2 et 3 du règlement).
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
Mme I. Maier, Ministerialdirigentin
au ministère fédéral de la justice,  agent,
M. K.-R. Winkler, Oberstaatsanwalt
au ministère de la justice du Land de Rhénanie-Palatinat,
M. A. Ring, Oberstaatsanwalt
au parquet près le tribunal régional de Trèves,
M. M. Willems, Erster Staatsanwalt
au parquet près le tribunal régional de Cologne,
M. B. Weckauf, Wirtschaftsreferent
au parquet près le tribunal régional de Cologne,
M. K. Kemper, Regierungsdirektor
au ministère fédéral de la justice,  conseillers;
- pour la Commission
M. J. A. Frowein,  délégué,
M. T. Vogler, professeur
à l’université de Giessen, conseil des requérants devant la  
Commission, assistant le délégué (article 29 par. 1,  
seconde phrase, du règlement de la Cour).
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Mme Maier pour le Gouvernement, MM. Frowein et Vogler pour la Commission. Le Gouvernement a déposé plusieurs pièces lors des audiences; le 30 mars, il a complété sa réponse à l’une des questions posées et a produit quelques documents supplémentaires.
FAITS
9. M. Hans Eckle, né en 1926, avait fondé en 1952 à Püttlingen (Sarre) une entreprise de construction, la société "Hans Eckle, bois, matériaux de construction et fers", où il travaillait avec sa femme, Marianne. Par la suite, il créa plusieurs comptoirs en d’autres lieux et notamment, en 1958, une succursale à Schweich, près de Trèves, qui fut transférée peu de temps après à Wittlich, puis, en 1961, un bureau à Cologne. En 1962, il employait environ 120 personnes.
L’activité de l’établissement consistait à procurer à crédit des matériaux, ainsi que, plus tard, des terrains, à des personnes désireuses de bâtir mais disposant de peu de ressources. Pareil système, appelé par le requérant lui-même "le système Eckle", ne se rencontrait pas jusqu’alors dans le négoce des matériaux de construction.
Au moins à partir de 1962, l’intéressé couvrait ses besoins financiers au moyen d’emprunts à des particuliers qui se voyaient offrir en garantie des hypothèques (Grundschulden). En 1965, il commença pourtant à rencontrer des difficultés à cet égard et, vers le milieu de l’année suivante, cessa de payer à ses créanciers les sommes qu’il leur devait. Le montant global des capitaux à rembourser par lui atteignait à l’époque une dizaine de millions de marks.
10. Pour la période de 1959 à 1967, les pratiques commerciales des requérants ont fait l’objet à Trèves, Sarrebruck et Cologne de trois poursuites pénales distinctes. La première et la dernière se trouvent en cause: ils en dénoncent la durée, qui aurait dépassé le "délai raisonnable" de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Dans un litige de cette nature, il importe de relater avec précision chacune des étapes des procédures incriminées.
I. LA PROCÉDURE ENGAGÉE À TRÈVES
1. De l’ouverture d’une enquête préliminaire à la mise en "accusation" définitive (novembre 1959 - 15 mars 1968)
11. Sur une plainte déposée le 28 octobre 1959 par une banque de Wittlich, le parquet ouvrit en novembre 1959 une enquête préliminaire (Ermittlungsverfahren) contre M. Eckle. Il l’arrêta le 22 février 1960 après s’être renseigné auprès de la Bezirksregierung de Trèves sur l’existence de prix plafonds dans le négoce des matériaux de construction et sans avoir interrogé ni le ou les requérants ni des témoins. L’examen de la plainte reprit dans le cadre d’une nouvelle enquête préliminaire provoquée par l’arrivée, à la mi-août, d’une lettre de la Chambre de commerce et d’industrie de Trèves, signalant au parquet que le requérant promettait à ses clients des matériaux de construction "aux prix moyens du marché" ("handelsübliche Preise") alors qu’en réalité ses tarifs étaient de 25% plus élevés.
En septembre, l’enquête fut suspendue dans l’attente du résultat d’une action civile intentée contre M. Eckle par un de ses clients et qui devait clarifier la notion de "prix moyens du marché", utilisée par l’intéressé dans ses contrats. Le procès se termina le 30 octobre 1962 par un arrêt de la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Coblence constatant que le requérant avait fixé des prix supérieurs aux cours moyens du marché, en dépit des engagements assumés envers ses clients.
12. Quarante témoins furent entendus de 1960 à 1962 et trente-six en 1963.
En 1964, les autorités compétentes procédèrent à l’audition de 133 témoins dont 15 en dehors du Land de Rhénanie-Palatinat. La même année eurent lieu, dans les locaux commerciaux des requérants, des perquisitions au cours desquelles furent saisis des documents (Geschäftsunterlagen): le 4 mars à la demande du parquet de Sarrebruck mais en présence de deux fonctionnaires de Trèves, puis le 7 octobre à la demande du parquet de Trèves qui, les 8 et 9 octobre, interrogea pour la première fois Mme Eckle.
En 1965 furent entendus 325 témoins, dont 106 en dehors du Land.
13. L’un des douze magistrats du parquet (Staatsanwalt) de Trèves, qui menait L’enquête, se vit décharger de ses autres tâches en janvier 1965 pour pouvoir se consacrer entièrement à l’afaire Eckle. A l’initative du ministre de la Justice du Land, une commission ad hoc de cinq fonctionnaires de la police criminelle l’assista à partir de cette date afin d’intensifier l’enquête. Auparavant, et depuis avril 1963, un membre de cette police s’occupait spécialement du dossier.
14. Le 9 septembre 1965, le parquet ordonna la clôture de l’enquête au cours de laquelle, selon les renseignements non contestés fournis par le Gouvernement, 540 témoins avaient déposé et près de 3.000 pièces - extraits de livres fonciers (Grundbücher), contrats, factures, traites, etc. - avaient été examinées. Il avait constitué 37 dossiers principaux (Hauptakten) et 300 dossiers secondaires (Nebenakten) auxquels il avait joint 120 dossiers de procès civils.
15. Toujours le 9 septembre, il informa les requérants, ainsi que deux anciennes employées de l’entreprise Eckle, qu’il comptait les mettre en "accusation". Il les invita à indiquer dans les quinze jours s’ils souhaitaient réclamer, avant leur renvoi éventuel devant la juridiction de jugement, une "audition finale" par le parquet (Schlussgehör), en vertu de l’article 169 b du code de procédure pénale (en vigueur jusqu’au 31 décembre 1974).
Le 20 septembre, deux avocats de M. Eckle demandèrent à pouvoir consulter le dossier avant de répondre.
Après un entretien avec eux le 12 octobre, le parquet les avisa le 3 novembre que le dossier resterait à leur disposition au secrétariat jusqu’au 20 novembre.
Quant aux conseils de Mme Eckle et des deux employées, ils ne se manifestèrent pas. Aussi désigna-t-on des défenseurs d’office qui furent cependant remplacés, en décembre 1965 et janvier 1966, par des avocats que les intéressées avaient finalement choisis elles-mêmes.
A la mi-décembre 1965, le parquet adressa aux conseils de M. Eckle une copie des parties essentielles du dossier, ainsi qu’ils en étaient convenus un mois auparavant, et leur donna jusqu’au 2 février 1966 pour se prononcer sur une "audition finale" éventuelle.
Un autre avocat se présenta pour le requérant le 1er février 1966, puis un quatrième. Eux aussi demandèrent la possibilité d’étudier le dossier et la délivrance d’une copie de certaines de ses pièces; ils se virent fixer, à la mi-mars, un délai pour préciser s’ils sollicitaient une "audition finale".
Entre le 13 et le 15 mars, les sept défenseurs en réclamèrent une et, au préalable, la mise à la disposition de chacun d’eux du dossier original pendant six mois. Ils renoncèrent à leurs demandes les 19 avril et 9 mai respectivement.
16. La procédure relative à l’audition finale ainsi terminée, le parquet prépara l’"acte d’accusation" (Anklageschrift) dont la rédaction s’acheva le 3 août 1966 et qui, une fois dactylographié, fut adressé le 26 octobre au tribunal régional (Landgericht), 1ère chambre criminelle (I. Grosse Strafkammer).
Comprenant quatre volumes et 793 pages, l’"acte d’accusation" concernait les requérants et les deux anciennes employées de l’entreprise Eckle. Il leur reprochait, au total, 474 délits d’escroquerie ou d’extorsion; il énumérait près de 500 témoins et mentionnait plus de 250 documents comme pièces à conviction.
Le parquet avait arrêté les poursuites dans 68 cas, dont 61 en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale. Dans sa version en vigueur jusqu’à la fin de 1978, ce texte permettait au tribunal (paragraphe 2) et, jusqu’à la mise en "accusation", au parquet (paragraphe 1) d’adopter pareille mesure en tout état de la cause lorsqu’en particulier la peine à laquelle pouvaient aboutir les poursuites était négligeable par comparaison avec celle déjà infligée à l’accusé à titre définitif (rechtskräftig) - ou à laquelle il devait s’attendre - pour une autre infraction.
17. Le 23 décembre 1966, le magistrat compétent du parquet eut avec le président de la chambre criminelle un entretien relatif aux chevauchements résultant des poursuites pénales pendantes à Sarrebruck, où les débats devaient commencer le 17 mars 1967 (paragraphe 58 ci-dessous).
18. Le 16 janvier 1967, le parquet retira l’"acte d’accusation" car il avait eu connaissance d’autres infractions possibles et estimait nécessaire une enquête complémentaire.
Le 22 août, le parquet de Cologne, qui avait ouvert le 21 mars une enquête préliminaire contre le requérant (paragraphe 37 ci-dessous), se déclara prêt à se charger des nouveaux cas dont celui de Trèves avait abordé l’étude. En conséquence, ce dernier les lui transféra le 15 mars 1968 et réintroduisit le même jour l’"acte d’accusation" qui n’avait subi aucun changement.
Entre les 16 janvier 1967 et 8 février 1968 avaient été examinés 234 nouveaux cas, dont 217 concernaient les parquets de Sarrebruck et Trèves.
2. De la mise en "accusation" définitive à l’ouverture du procès (Hauptverfahren) (15 mars 1968 - 28 janvier 1969)
19. Entre le 26 mars et le 25 mai 1968, le président de la première chambre criminelle du tribunal régional prit plusieurs initiatives pour assurer la représentation des prévenus; à la dernière de ces dates, le tribunal commit quatre avocats d’office.
Le 30 mai, le président signala au parquet que celui-ci n’avait pas encore proposé aux intéressés une "audition finale" pour les nouveaux cas. Le parquet répondit le 11 juin, rappelant le transfert desdits cas à Cologne (paragraphe 18 ci-dessus).
Le 2 juillet, le tribunal régional demanda communication de l’"acte d’accusation" établi par le parquet de Sarrebruck (paragraphe 58 ci-dessous): il recherchait si les nombreux délits reprochés aux requérants ne constituaient pas une activité continue, à considérer comme un délit unique, de sorte que la condamnation déjà prononcée à Sarrebruck en exclurait une nouvelle. Le parquet de cette ville lui adressa trois jours plus tard une copie du jugement du 17 octobre 1967 (paragraphe 58 ci-dessous) et l’informa que les dossiers avaient été envoyés au parquet fédéral (Bundesanwaltschaft) pour les besoins de l’instance en cassation (Revisionsverfahren).
En réponse à l’un des défenseurs des requérants, qui avait sollicité des copies du dossier, le tribunal déclara notamment, le 23 juillet 1968, qu’il restait à déterminer si la mise en "accusation" précitée pouvait valablement être maintenue.
Le 19 août, le tribunal se renseigna auprès du parquet de Sarrebruck sur l’état de la procédure; il soulignait la nécessité de disposer de l’"acte d’accusation" réclamé le 2 juillet. Celui-ci fut finalement communiqué le 4 octobre par le parquet de Trèves qui insista en même temps sur l’adoption d’une décision au sujet de la mise en "accusation" émanant de lui-même.
Le 28 janvier 1969, le tribunal régional accepta cette dernière (Zulassung der Anklage) et prononça l’ouverture du procès (Eröffnung des Hauptverfahrens).
3. La procédure devant le tribunal régional de Trèves (28 janvier 1969 - 12 février 1973)
20. Saisi par l’avocat de Mme Eckle, dès le 14 février 1969, d’une demande de communication du dossier, le tribunal lui annonça le 18 l’envoi de copies. Le même jour, le défenseur de M. Eckle conclut à ce que le tribunal n’accueillît pas la mise en "accusation".
Le 16 avril, l’avocat de Mme Eckle sollicita instamment le tribunal d’attendre, avant d’entreprendre toute action en l’espèce, la notification de l’arrêt que la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) avait rendu le 14 mars 1969 dans la procédure engagée à Sarrebruck (paragraphe 58 ci-dessous). Cette pièce fut transmise au tribunal le 29 avril par le parquet de Sarrebruck.
La veille, le tribunal avait refusé de décerner un mandat d’arrêt contre le requérant, au motif que celui-ci se trouvait déjà sous les liens d’un tel mandat dans la procédure de Sarrebruck.
Le 28 mai, il informa le défenseur de Mme Eckle, qui le 16 avril s’était plaint de l’absence de huit dossiers, que ceux-ci concernaient des affaires closes.
Le 2 avril, un des défenseurs d’office avait prié le tribunal de rapporter sa désignation. Pour lui permettre de continuer de remplir sa tâche, le tribunal suggéra au parquet, le 30 septembre, de demander l’arrêt de la procédure dans le cas où cet avocat était intervenu auparavant à un autre titre. Le parquet présenta le 14 octobre pareille demande que le tribunal accueillit le 17 novembre.
21. Invité par le parquet, le 14 octobre 1969, à décerner un mandat d’arrêt contre M. Eckle qui avait recouvré sa liberté dans la procédure de Sarrebruck, le tribunal s’y refusa le 17 novembre. Sur recours du parquet, la cour d’appel de Coblence annula cette décision le 28 janvier 1970 et lança un mandat d’arrêt contre le requérant.
A la demande du parquet (6 février), le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Cologne notifia le mandat, le 12 mars, à M. Eckle qui se trouvait détenu dans cette ville au titre de la procédure s’y déroulant (paragraphe 43 ci-dessous). L’intéressé interjeta aussitôt appel contre la délivrance du mandat, mais la cour de Coblence le débouta le 2 avril.
22. Le 20 avril 1970, le président de la 1re chambre criminelle du tribunal régional de Trèves avertit l’autorité compétente que le volume de l’affaire Eckle l’empêchait de traiter d’autres causes. Le 1er juin, il s’entendit avec son collègue du tribunal régional de Sarrebruck sur la date des audiences à tenir par leurs juridictions respectives (paragraphe 58 ci-dessous). Le 2 juillet, il fixa au 11 novembre l’ouverture des débats et en informa les défenseurs.
Le 19 octobre, le conseil de Mme Eckle retira une déclaration par laquelle il avait renoncé, le 19 avril 1968, à certains frais et dépens; il invita le tribunal à le charger, sans plus, de la défense. Quatre jours plus tard, l’avocat de M. Eckle réclama la remise des audiences, affirmant ne pas disposer d’assez de temps pour se préparer. Le tribunal rejeta les deux demandes le 27 octobre.
Le 31 octobre, M. Eckle lui-même sollicita le report des débats, invoquant notamment l’article 6 par. 3b) de la Convention (art. 6-3-b), mais le tribunal le lui refusa le 4 novembre.
23. Les débats s’ouvrirent le 11 novembre. M. Eckle exigea aussitôt l’ajournement, Mme Eckle l’interruption de la procédure; la troisième accusée récusa deux juges.
Le tribunal rejeta cette dernière demande le 17 novembre. Le même jour, il expulsa M. Eckle de la salle d’audience en raison de son comportement envers ses juges et se déclara compétent en l’espèce, en réponse à l’exception soulevée par l’une des coïnculpées.
Deux jours plus tard, il réserva une suite défavorable à une nouvelle demande d’ajournement que M. Eckle avait formulée le 17 novembre. A cette même date, l’intéressé sollicita sa mise en liberté; sa femme et lui allèrent jusqu’à ne pas vouloir décliner leur identité et les défenseurs prièrent le tribunal d’entendre l’auteur de l’"acte d’accusation" pour en éclaircir certains points.
Le magistrat qui avait rédigé cette pièce déposa le 26 novembre, après quoi tous les accusés réclamèrent l’arrêt de la procédure. M. Eckle s’affirma incapable de suivre les débats et demanda une décision formelle du tribunal.
L’"acte d’accusation" et la décision d’ouverture du procès furent présentés oralement à l’audience du 3 décembre. Auparavant, le tribunal avait ordonné l’arrêt des poursuites dans quelques-unes des affaires. Il rejeta en outre les demandes d’arrêt ou de suspension de la procédure dont l’avaient saisi les prévenus. Le requérant récusa le même jour trois juges et invita le tribunal à renvoyer les débats, afin de lui laisser le temps de se procurer des documents nécessaires pour justifier sa demande en récusation.
Le 10 décembre, M. Eckle fut à nouveau expulsé de la salle d’audience et condamné à un jour de détention pour son comportement à l’égard du tribunal: il avait insulté le président et jeté des papiers sur lui. Interrogé par le tribunal, un médecin qui avait examiné le requérant le jugea capable d’assister aux débats, tout en précisant qu’il fallait le garder en observation avant de se prononcer à titre définitif.
Le tribunal résolut alors de placer provisoirement M. Eckle dans une clinique psychiatrique en vue d’une expertise; il ajourna sine die les débats le 17 décembre.
24. L’examen psychiatrique s’acheva le 23 janvier 1971 et le rapport d’expertise fut déposé le 20 février. Selon le médecin, l’attitude du requérant lors des audiences ne découlait pas d’une maladie.
Entre le 24 février et le 26 mars se déroulèrent des audiences dans la procédure de Sarrebruck qui, à cette dernière date, se termina par un jugement de condamnation contre M. Eckle (paragraphe 58 ci-dessous).
25. Le 16 juin, les débats reprirent devant la 1re chambre criminelle du tribunal régional de Trèves, dont le président avait été remplacé en décembre 1970; ils durèrent jusqu’au 17 mars 1972. Au cours des 82 journées d’audiences, le tribunal entendit environ 110 témoins ainsi qu’un expert et donna lecture de plus de 500 documents.
D’après une relation de la procédure, produite par le Gouvernement et non contestée, M. Eckle introduisit une vingtaine de demandes en récusation des magistrats - parfois deux le même jour -, et son épouse une dizaine. En outre, il attaqua la composition du tribunal, récusa deux experts, formula dix fois des offres de preuve (Beweisanträge), demanda dix fois sa mise en liberté et quatre fois la suspension du procès. Il se déclara cinq fois hors d’état de suivre les débats et sollicita un examen médical; le tribunal entendit à cinq reprises un médecin qui, en l’une de ces occasions, jugea le requérant hors d’état d’assister à l’audience pendant le reste de la journée. M. Eckle fut sept fois condamné à deux ou trois jours de détention en raison de son comportement et huit fois expulsé de la salle d’audience pour plusieurs jours, notamment durant la période du 18 octobre 1971 au 19 janvier 1972.
Selon la même relation, de son côté Mme Eckle présenta trois fois des offres de preuve; elle demanda trois fois au tribunal d’annuler la désignation de son défenseur d’office, deux fois de suspendre le procès, deux fois de l’arrêter et à trois reprises de la doter d’un deuxième conseil.
26. Le 23 novembre 1971, le tribunal clôtura la procédure, en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale (paragraphe 16 ci-dessus), dans plus de 400 des cas que retenait l’"acte d’accusation".
27. Le 17 mars 1972, il condamna M. Eckle à quatre ans et six mois d’emprisonnement, son épouse à un an et six mois et les deux coïnculpées à dix et six mois respectivement. Il leva en même temps le mandat d’arrêt qui frappait le requérant.
Le jugement déclara M. Eckle coupable d’escroquerie commise conjointement avec d’autres personnes au préjudice de clients dans quarante-deux cas, et de créanciers dans seize, ainsi que de tentative d’escroquerie dans un cas concernant un créancier. En revanche, il l’acquitta dans deux cas relatifs le premier à un client, le second à un créancier. Le tribunal arrêta la procédure dans trois cas pour cause de prescription.
Quant à Mme Eckle, elle fut convaincue d’escroquerie commise conjointement avec d’autres personnes au préjudice de clients dans trente-neuf cas et de créanciers dans seize, ainsi que de tentative d’escroquerie dans un cas touchant un créancier. Le tribunal l’acquitta dans les deux mêmes cas que son époux et arrêta les poursuites dans six cas, dont les trois qui se rapportaient également à son mari.
D’après les constatations du jugement, la conclusion des contrats délictueux remontait à 1959-1960 pour les clients, à 1962-1964 pour les créanciers.
En fixant le taux des peines, le tribunal tint notamment compte, "en faveur de tous les accusés", de ce "qu’ils avaient été exposés pendant un laps de temps démesurément long aux désavantages et désagréments de la procédure d’enquête et de jugement, ce dont la responsabilité ne pesait pas sur eux seuls".
Long de 236 pages, le jugement fut notifié aux requérants le 12 février 1973, un peu moins de onze mois après son prononcé.
28. Pendant la durée des audiences, une chambre auxiliaire (Hilfskammer) spécialement constituée pour décharger la 1re chambre criminelle traita toutes les autres affaires attribuées à celle-ci.
4. La procédure de cassation (Revisionsverfahren) (février 1973 - 11 février 1976)
29. Les quatre condamnés se pourvurent en cassation (Revision). A cette fin, M. et Mme Eckle adressèrent à la Cour fédérale de Justice, entre le 27 février et le 8 mars 1973, plusieurs mémoires alléguant diverses violations de fond et de forme.
Après l’établissement, le 31 octobre, du contre-mémoire du parquet de Trèves, le dossier fut envoyé le 28 novembre au parquet fédéral.
30. Le 4 février 1974, ce dernier constata qu’il n’en ressortait pas clairement de quelle manière avaient été réglés huit des cas soumis au tribunal régional.
Le parquet de Trèves, consulté, releva que la plupart des obscurités résultaient d’inexactitudes figurant dans le procès-verbal des audiences, tandis que dans deux cas le défaut de clôture des poursuites s’expliquait par une inadvertance. Il en référa au tribunal régional de Trèves qui décida, les 22 février et 4 mars, de corriger le procès-verbal et d’arrêter les poursuites relatives aux deux cas en question. Le 6 mars, le parquet de Trèves retourna le dossier au parquet fédéral avec un rapport complémentaire; à sa demande, il lui communiqua aussi l’"acte d’accusation" le 19 mars.
31. Le 1er août 1974, le parquet fédéral invita le parquet de Trèves à répondre par écrit à des objections des requérants contre la composition du tribunal, et notamment à produire des déclarations officielles des juges concernés et les organigrammes de la répartition des affaires en 1971.
Après avoir recueilli, entre septembre et décembre 1974, les déclarations de onze magistrats - dont quelques-uns ne se trouvaient plus à Trèves -, le parquet les transmit le 29 janvier 1975 au parquet fédéral en les accompagnant d’observations. Il lui adressa le 21 février certains autres documents que le parquet fédéral avait réclamés le 4 février.
32. Le 7 avril 1975, le nouvel avocat des requérants demanda la clôture de l’instance pour cause de prescription. Le 24, le membre du parquet fédéral qui traitait l’affaire pria le président de la 2ème chambre (Senat) de la Cour fédérale de Justice de fixer la date d’ouverture des débats; selon lui, il n’y avait pas prescription.
Le 2 décembre, le président décida que l’audience se tiendrait le 11 février 1976.
Le nouveau défenseur de Mme Eckle déposa un autre mémoire ampliatif le 26 janvier 1976; le 4 février, l’une des deux coïnculpées se désista de son recours.
33. Après avoir entendu les comparants le 11 février, la Cour fédérale de Justice rejeta les pourvois le 19.
A la fin de l’arrêt, elle rappela qu’il restait à prononcer des peines globales (Gesamtstrafen) confondant celle infligées à Trèves et à Sarrebruck (paragraphe 58 ci-dessous). A cet égard, elle déclara notamment:
"La durée excessive d’une procédure pénale peut - le tribunal régional ne l’a pas perdu de vue - constituer une circonstance atténuante spéciale (Entscheidungen des Bundesgerichtshofes in Strafsachen, vol. 24, p. 239). Lorsqu’il s’agit de fixer après coup une peine globale, ces considérations doivent valoir aussi pour la période qui s’est écoulée entre l’audience de la juridiction de jugement et l’entrée en force de chose jugée de la sentence et qui s’écoulera encore jusqu’à la décision définitive. Il faut en outre souligner en l’occurrence les charges particulières que la répartition des groupes de cas, consistant dans la perpétration répétée d’infractions semblables, sur deux procédures pénales, a entraînées pour les accusés. La chambre n’a pas à juger de l’opportunité de cette répartition. Elle estime cependant que l’on méconnaîtrait le sens de la loi (...) si, en fixant la peine, on ne tenait pas clairement (deutlich) compte de cette circonstance."
5. La procédure relative aux recours constitutionnels (24 mai 1976 - 30 juin 1977)
34. Les 24 et 28 mai 1976, les requérants saisirent la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Attaquant à la fois l’arrêt de la Cour fédérale de Justice et le jugement du tribunal régional de Trèves, ils alléguaient la violation des articles 1, 2, 3, 19 par. 4 et 103 de la Loi fondamentale, en raison, notamment, de la durée excessive du procès et de l’existence de trois procédures distinctes.
Statuant le 30 juin 1977 en comité de trois membres, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir les recours; elle estima qu’ils n’offraient pas assez de chances de succès.
6. Fixation de peines globales (Gesamtstrafen) (24 novembre 1977)
35. Le 24 novembre 1977, le tribunal régional de Trèves, confondant les peines globales qu’il avait prononcées lui-même et celles qu’avait infligées le tribunal régional de Sarrebruck (paragraphes 27 ci-dessus et 58 ci-dessous), en fixa de nouvelles s’élevant à sept ans d’emprisonnement dans le cas de M. Eckle, à deux ans et huit mois dans celui de son épouse. Sur les conclusions du parquet de Trèves, datées du 19 octobre, il accorda au requérant un sursis de cinq ans pour la fraction excédant cinq ans et onze jours, à la requérante un sursis de deux ans pour la fraction excédant un an et quatre mois.
Dans les motifs de sa décision relatifs à M. Eckle, le tribunal reprit les considérations précitées de la Cour fédérale de Justice (paragraphe 33 ci-dessus). La longue durée de la procédure pénale lui parut devoir entrer aussi en ligne de compte en faveur de Mme Eckle.
36. Le 23 janvier 1978, la cour d’appel de Coblence rejeta un "recours immédiat" (sofortige Beschwerde) que chacun des requérants avait formé, les 1er et 2 décembre respectivement, contre la décision du tribunal régional. Elle constata notamment:
"(...) la chambre criminelle a considéré à juste titre la durée excessive de la procédure pénale et la répartition de groupes homogènes de cas en plusieurs procédures, comme une circonstance atténuante spéciale et elle en a tenu compte en fixant la peine (Entscheidungen des Bundesgerichtshofes in Strafsachen, vol. 24, p. 239). Ses attendus sur ce point sont complets, judicieux et conformes aux principes énoncés par la Cour fédérale de Justice dans son arrêt du 19 février 1976 en l’espèce. (...) [La cour d’appel] estime elle aussi que ces raisons justifient une peine globale de [7 ans pour le requérant, deux ans et huit mois pour la requérante]. Même eu égard à l’article 6 de la Convention (art. 6) (...), cette peine n’apparaît pas exagéré (ibidem, vol. 24, p. 239). Son atténuation ne se révèle pas indiquée si l’on mesure les fautes (unter Abwägung auch der Schuld) des condamnés (...)."
D’après le Gouvernement, les requérants saisirent ensuite la Cour constitutionnelle fédérale qui ne retint pas leur recours.
II. LA PROCÉDURE ENGAGÉE À COLOGNE
1. De l’ouverture d’une enquête préliminaire à la mise en "accusation" (21 mars 1967 - 25 septembre 1973)
37. Le 21 mars 1967, le parquet de Cologne ouvrit une enquête préliminaire contre le requérant qu’il soupçonnait, entre autres, de délits d’escroquerie. Déclenchée d’office après certaines publications dans la presse, l’enquête couvrit dès le 29 mars plusieurs plaintes déposées en février et mars par des acheteurs de matériaux de construction et par des personnes ayant consenti des prêts à l’entreprise Eckle.
Au total, la procédure suivie à Cologne comprenait cinq séries d’inculpations (paragraphe 80 du rapport de la Commission):
a) Elle englobait d’abord un ensemble d’actes d’escroquerie au détriment de clients de l’entreprise Eckle, qui auraient subi des pertes après la faillite de celle-ci. Dans cette partie de la procédure se trouvaient en cause les requérants, les deux collaboratrices qui, plus tard, furent condamnées à Trèves (paragraphe 27 ci-dessus), un conseiller fiscal, deux architectes et un expert en bâtiment.
b) Le deuxième groupe concernait la société Hobby-Bau GmbH de Francfort. Fondée en 1965 par deux anciens employés des Eckle, elle avait pour but la poursuite des activités commerciales de l’entreprise dans la région de Francfort. Le requérant passait pour la dominer; son épouse avait reçu des pouvoirs qui en mettaient les avoirs à sa disposition. Ladite société avait cessé ses paiements à la fin de 1966; en décembre 1967 s’engagea contre elle une procédure de mise en faillite.
c) Le troisième groupe portait sur les relations du requérant avec un certain M. Neubeck, de Cologne, ainsi qu’avec les sociétés contrôlées par celui-ci, et en particulier leurs opérations financières et commerciales, de prétendus transferts de propriété au Liechtenstein et en Suisse ainsi que la faillite des sociétés Neubeck dont le cas fut toutefois disjoint des autres.
d) La quatrième série avait trait aux rapports commerciaux de la maison Eckle ou de la société Hobby-Bau GmbH, ainsi que de son directeur, avec un expert comptable et deux sociétés, Westropa-Bauservice, sises à Zug (Suisse) et Munich.
e) Enfin, le cinquième groupe visait essentiellement la société Eckle: les requérants, leurs employés coïnculpés et d’autres personnes étaient soupçonnés d’infractions de banqueroute frauduleuse et de fraude fiscale en qualité d’auteurs, coauteurs ou complices, selon le cas.
Au cours des années 1967 et 1968, l’enquête fut étendue à treize personnes, sans compter les requérants.
38. À la demande du parquet, le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Cologne décerna, le 25 avril 1967, un mandat de perquisition et de saisie à l’encontre des requérants. En conséquence, la police descendit dans les locaux commerciaux de la société Eckle les 11 et 12 mai. Elle y saisit quatre tonnes de documents que le parquet communiqua à un expert comptable (Wirtschaftsprüfer), désigné par lui dès le mois d’avril. Toujours au mois de mai fut constituée une commission spéciale composée d’un magistrat du parquet et de trois fonctionnaires de la police, spécialistes en matière de criminalité économique; elle se consacra exclusivement à l’affaire Eckle, et ce jusqu’en mai 1972.
D’après la relation fournie par le Gouvernement, les autorités compétentes demandèrent, autorisèrent et, à quelques exceptions près, exécutèrent entre 1967 et 1972 de nombreuses perquisitions dans les bureaux ou logements des requérants et de coïnculpés, des bureaux d’autres sociétés et de ceux de plus de trente-cinq banques; en outre, elle saisirent une foule de documents. De telles mesures furent prises, en 1967: le 23 mai à Völklingen, les 20 et 21 juillet à Cologne, le 25 juillet à Püttlingen, les 24 et 25 août ainsi que le 14 octobre à Francfort; en 1968: le 29 janvier à Francfort, le 30 janvier à Steinau, les 6 et 7 février à Cologne, le 16 février à Francfort, les 18 et 22 à février à Miesbach et Munich, le 8 mars à Francfort, le 15 mars à Dusseldorf et Essen, les 15 et 16 mars à Francfort, du 1er au 4 avril à Völklingen et Sarrebruck, le 2 avril à Munich, le 10 avril à Augsburg, les 18 et 19 avril à Francfort, les 6 et 7 mai à Sarrebruck et Wittlich, le 15 mai à Trèves, le 24 juin à Seligenstadt, le 23 juillet à Munich, le 19 septembre à Cassel, du 1er au 5 octobre à Munich, le 11 novembre à Francfort, les 3 et 4 décembre à Hambourg, le 12 décembre à Cologne; en 1969: le 30 janvier à Francfort et Darmstadt, le 8 avril à Völklingen, les 11 et 24 avril à Sarrebruck, le 14 juin à Cologne, les 24 et 26 novembre à Ottweiler, les 25, 26 et 27 novembre à Sarrelouis et Bous, le 1er décembre à Bous, le 11 décembre à Sarrebruck et Sarrelouis; en 1970: le 6 août à Sarrebruck et Gersweiler, le 30 novembre à Francfort; en 1971: le 19 avril à Sarrebruck, le 20 avril à Sarrelouis; en 1972: le 14 avril à Munich.
Les recours que les intéressés introduisirent à l’occasion (par exemple les 31 juillet, 13 et 19 septembre 1967 ainsi que les 26 septembre et 4 octobre 1969), restèrent infructueux à l’exception du deuxième que le tribunal régional de Cologne accueillit, en partie, le 14 octobre 1967.
39. Les 9 et 16 mai 1967, le magistrat chargé de l’enquête s’entretint avec la police judiciaire sur la coordination des mesures et, le 16 mai, avec l’expert qu’il chargea de certaines tâches (Teilgutachten).
Le 10 août, il invita la police judiciaire à interroger quatre témoins sur des points qu’il avait précisés, et envoya, le 16, d’autres documents à l’expert.
Le 22 août, il prit en charge quelques affaires et consentit au transfert de celles que le parquet de Trèves avait commencé à examiner (paragraphe 18 ci-dessus). Sept jours plus tard, il invita les parquets de Francfort et d’Offenbourg à lui communiquer certains dossiers dont il fit établir des copies le 18 septembre.
Pendant les mois suivants, ledit magistrat se saisit d’un certain nombre d’enquêtes préliminaires ouvertes ailleurs: trois le 10 octobre, 207 le 10 novembre, cinq le 11 décembre, deux le 11 janvier 1968 et trois le 8 février 1968.
Le 15 février 1968, il pria l’Office fédéral de la police judiciaire (Bundeskriminalamt) de se livrer à des recherches sur une société en Suisse et quatre au Liechtenstein qu’il soupçonnait d’être gérées par le requérant et le coïnculpé Neubeck.
Les 11 et 20 juin, il confia des mesures d’enquête à la police judiciaire de Dudenhofen, Cassel et autres lieux et adressa une lettre circulaire, préparée au mois de mai et contenant une liste de questions, à de nombreuses sociétés et personnes prétendument lésées et résidant à l’étranger.
Toujours le 20 juin, il convoqua un témoin pour le faire interroger par la police judiciaire; d’autres témoins furent entendus les 24, 25 et 27 juillet.
A la demande et en présence du parquet, un juge au tribunal de Seligenstadt interrogea l’un des coïnculpés le 18 septembre; un autre le fut le 4 octobre.
40. Le 29 novembre 1968, le parquet chargea l’expert qu’il avait nommé en 1967 (paragraphe 38 ci-dessus) d’établir une expertise sur sept points énumérés dans la demande et notamment sur l’évolution de la société Hobby-Bau GmbH et ses rapports avec la société Westropa. Le 23 juillet 1969, il lui communiqua d’autres documents à cette fin.
41. Quatre enquêtes préliminaires, ouvertes contre le requérant notamment à Sarrebruck, Francfort et Trèves, furent transférées les 10 janvier et 23 juillet 1969 au parquet de Cologne qui, le 20 février, se renseigna auprès des municipalités de six communes sur l’achat de terrains par la société Hobby-Bau GmbH, réclamant en même temps les livres fonciers des tribunaux cantonaux compétents.
Les 31 mars et 8 juillet, le parquet entendit le requérant à titre d’information. Les 16 avril et 19 juin, il fit convoquer des témoins à Sarrebruck et Sarrelouis afin de les interroger; les 18, 21 et 22 avril, il indiqua aux parquets de Sarrebruck et Coblence l’objet de l’enquête et de certaines mesures d’instruction prises ou à prendre. Le parquet de Trèves lui adressa le 14 mai neuf volumes du dossier de la procédure suivie dans cette ville. Le parquet de Cologne les lui retourna le 6 juin. Le 9 juin, il pria les présidents des tribunaux cantonaux de Cologne et Völklingen de lui fournir un relevé des saisies opérées contre la société Eckle et les requérants.
En juillet, août et septembre, le parquet chargea la police judiciaire de Mannheim, Sarrebruck, Berlin et Hambourg d’enquêter au sujet de contrats d’assurance sur la vie que le requérant avait souscrits auprès de certaines compagnies, demanda des renseignements à un assureur de Sarrebruck, recueillit des observations de l’Office fédéral de contrôle des banques (Bundesaufsichtsamt für das Kreditwesen) et réclama des dossiers relatifs au livre foncier de Völklingen.
42. Selon le rapport de la Commission, de mars 1967 à août 1968 environ 832 créanciers, la majorité de 3.500 acheteurs de matériaux de construction de la société Eckle et un grand nombre d’autres témoins ou employés furent entendus et les comptes de la société Eckle auprès de quelque vingt-cinq instituts de crédit examinés. Jusqu’en octobre 1969, l’enquête porta sur les actes d’escroquerie que l’on reprochait aux prévenus d’avoir commis au préjudice de 832 créanciers et 3.590 acheteurs de matériaux de construction.
43. Ainsi que le parquet l’y avait invité le 13 novembre 1969, le tribunal cantonal de Cologne décerna cinq jours plus tard un mandat d’arrêt contre deux coïnculpés et contre le requérant. Placé en détention provisoire le 25, ce dernier y demeura sur cette base jusqu’au 5 septembre 1970; à partir du lendemain sa détention se fonda, conformément à une décision prise par le tribunal cantonal le 1er septembre, sur le mandat d’arrêt que la cour d’appel de Coblence avait lancé le 28 janvier 1970 dans la procédure engagée à Trèves (paragraphe 21 ci-dessus).
Contre le mandat du 18 novembre, le requérant exerça en vain plusieurs recours devant le tribunal cantonal, le tribunal régional et la cour d’appel de Cologne.
44. Pendant la dernière période, donc entre décembre 1969 et septembre 1970, le parquet de Cologne entendit Mme Eckle (12 décembre), s’entretint de l’état de la procédure avec le parquet de Sarrebruck (26 janvier 1970) qui d’un commun accord lui transféra une enquête dirigée contre un des coïnculpés (5 mars), fit convoquer à Sarrebruck quatre témoins (20 mai) et fixa des dates pour l’audition d’un certain nombre de personnes, notamment à Sarrebruck, Francfort, Ahrweiler et Hambourg (21, 22, 28 et 30 juillet, 26 août).
Le 30 juillet 1970, il étendit le mandat de l’expert qui l’avisa, le 11 août, que l’expertise ne pourrait s’achever avant le milieu de 1971.
45. Le 1er septembre, le tribunal cantonal de Cologne refusa de remettre au requérant les codes, les livres et revues juridiques et les 2.000 dossiers que celui-ci lui avait réclamés.
Le 9 septembre, M. Eckle récusa un juge du tribunal cantonal qui le débouta de sa demande le 21 septembre pour défaut de motivation. Son recours fut rejeté le 4 décembre par la cour d’appel de Cologne dont il avait auparavant récusé deux conseillers: M. Eckle n’avait pas présenté de raisons à l’appui, bien que la cour eût prolongé les délais à deux reprises.
46. Continuant son enquête, le parquet fixa des dates pour l’audition d’un certain nombre de personnes, notamment en dehors de Cologne, ou invita la police judiciaire ou les tribunaux compétents à les interroger (24 et 26 novembre 1970, 18 et 19 janvier, 3 février, 30 mars, 6, 7, 28 et 29 avril 1971); il examina, saisit et communiqua à l’expert des documents de la société Eckle ( 12 au 14 mai 1971), réclama des dossiers à d’autres juridictions, dont la Cour constitutionnelle fédérale (24 mai, 18 juin, 19 juillet, 23 août, 29 septembre), demanda des renseignements à la cour d’appel de Cologne (24 mai) et pria le bureau de la sécurité sociale de Cologne d’entreprendre certaines recherches (18 août).
Le 13 août 1971, l’expert présenta un rapport provisoire au sujet de l’endettement, de l’insolvabilité et de la cessation des paiements de la société Eckle.
Le 21 octobre, un médecin adressa au parquet une expertise, sollicitée par celui-ci le 4, sur l’aptitude du requérant à suivre les débats.
47. Le 21 novembre, M. Eckle réclama notamment, mais en vain, la levée du mandat d’arrêt: le tribunal cantonal de Cologne rejeta sa demande le 30. Sur recours de l’intéressé, le tribunal régional, puis la cour d’appel de Cologne confirmèrent cette décision les 13 décembre 1971 et 17 janvier 1972.
Entre janvier et avril 1972, le parquet convoqua ou fit convoquer des témoins, des coïnculpés et Mme Eckle pour les entendre (notamment les 6 janvier 1972, 1er, 17 et 28 février, 3 et 8 mars) et invita, le 22 mars, un autre médecin à donner son avis sur le point de savoir si le requérant était à même d’assister à l’audience.
A partir du 17 mars 1972, jour de sa condamnation dans la procédure engagée à Trèves (paragraphe 27 ci-dessus), le requérant se trouva en détention préventive en vertu d’un mandat décerné puis confirmé le 8 mai par le tribunal compétent de Cologne. Le 2 juin, ce tribunal décida d’interrompre la détention pour permettre l’exécution de la peine prononcée par le tribunal régional de Sarrebruck le 26 mars 1971 (paragraphe 58 ci-dessous). Le tribunal régional rejeta des recours de l’intéressé les 22 juin et 20 novembre.
48. Le parquet clôtura l’enquête le 10 mai 1972, date à laquelle il arrêta les poursuites contre certains des coïnculpés.
Le 14 juin, il demanda au tribunal régional de Cologne de désigner, en particulier pour M. Eckle, deux avocats d’office. Le tribunal en choisit un le 20 - Me Muhr, à qui le parquet envoya une copie des dossiers et d’autres documents les 14 août et 2 octobre -, et refusa de commettre, comme l’avait sollicité le requérant, Me Becker qui avait défendu l’intéressé dans le procès de Trèves. Un recours de M. Eckle contre cette dernière décision échoua le 20 novembre. Le même jour, le tribunal déchargea Me Muhr de son mandat et le remplaça, comme défenseur d’office, par l’avocat du requérant, Me Preyer, à qui il avait communiqué dès le 13 novembre, entre autres, les dossiers principaux.
Le 20 juin, l’expert avait déposé son rapport final sur l’entreprise Eckle; quatre mois plus tard, il en présenta un sur la société Hobby-Bau GmbH.
Le 17 juillet, le parquet avait invité le requérant et ses coïnculpés à déclarer, avant le 30 août, s’ils souhaitaient une "audition finale". Il prorogea ledit délai le 31 août, après quoi M. Eckle répondit par l’affirmative le 18 septembre.
49. Les 11 et 17 juillet 1972, le requérant avait récusé deux juges du tribunal régional. Après lui avoir accordé, pour présenter ses raisons, un ultime délai devant expirer le 15 septembre, le tribunal le débouta de ses demandes le 2 novembre; un recours ultérieur, pour la motivation duquel M. Eckle se vit consentir une prolongation de délai, subit le même sort le 6 avril 1973.
Le 14 novembre 1972, le tribunal cantonal de Cologne décida de maintenir l’autorisation d’exécuter la peine prononcée contre M. Eckle par le tribunal régional de Sarrebruck (paragraphes 47 ci-dessus et 58 ci-dessous). Un recours exercé par l’intéressé le 30 novembre, et pour la motivation duquel il avait réclamé un délai jusqu’au 31 janvier 1973, paraît ne pas avoir abouti.
Le 12 décembre, le parquet communiqua des copies de dossiers aux défenseurs pour consultation.
Entre novembre 1972 et mars 1973, le requérant formula plusieurs autres demandes et recours dont l’objet ne ressort pas des pièces fournies à la Cour; il pria en même temps les autorités compétentes de lui accorder des prorogations de délai pour motiver ses demandes.
50. Le 1er mars 1973, le parquet fixa au 13 la date de l’"audition finale" de Mme Eckle et, en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale (paragraphe 16 ci-dessus), arrêta les poursuites pour escroquerie dans certains cas.
L’audition de Mme Eckle eut lieu à la date prévue. Le lendemain, M. Eckle déclara par l’intermédiaire de son défenseur renoncer à la sienne, mais le 28 mars son conseil la réclama en expliquant la renonciation par un malentendu. Comme le médecin de la prison exprima, le jour même, l’opinion que l’état de santé du requérant ne permettait pas son audition, celle-ci fut ajournée.
51. Le 29 mars 1973, M. Eckle sollicita un délai supplémentaire pour présenter les motifs de certains de ses recours, formula deux nouveaux recours contre des décisions du tribunal régional et récusa le juge-président de la 9e chambre criminelle. Le délai dont il disposait pour justifier cette dernière demande devait à l’origine expirer le 30 avril, mais le tribunal consentit à en reporter l’échéance au 31 mai, puis au 30 juin, au 31 juillet et enfin au 31 août.
Le 6 avril 1973, le requérant réclama au tribunal cantonal - qui les lui refusa le 6 juin - l’annulation du mandat de Me Preyer et la désignation de Me Becker comme défenseur d’office, ainsi qu’une autorisation de sortie (Urlaub) de trois jours. Le 9 juillet, son défenseur pria le tribunal cantonal de lever le mandat d’arrêt de son client; le tribunal rejeta la requête le 23 juillet.
Le 3 septembre, M. Eckle déclara ne pas accepter de se prêter à l’"audition finale" aussi longtemps que Me Preyer resterait chargé de sa défense. Ce dernier précisa cependant, le 19 septembre, que son client persistait à souhaiter une telle audition, mais voulait d’abord s’entretenir avec d’autres défenseurs. En conséquence, il demanda l’ajournement de l’audition pour trois semaines.
Toujours le 19 septembre, le magistrat du parquet la fixa au 24. A cette date, il se rendit à la prison où se trouvait détenu M. Eckle. Celui-ci se déclara cependant hors d’état de subir l’audition et non disposé à s’expliquer, tout en refusant de se faire examiner par un médecin-expert.
52, Le 25 septembre, le parquet saisit de l’"acte d’accusation" le tribunal régional de Cologne après avoir arrêté les poursuites dans un grand nombre de cas particuliers.
L’"acte d’accusation" visait quatre personnes, dont les requérants. Il prévenait ceux-ci de banqueroute frauduleuse, fraude fiscale et escroquerie; il reprochait cette dernière infraction à M. Eckle, seul ou avec d’autres, dans 55 cas, et à Mme Eckle, seule ou avec d’autres, dans 27 cas. Long de 432 pages, il mentionnait trois experts et 143 témoins. Les 15 et 16 octobre, le parquet communiqua au tribunal 14 volumes d’annexes, des dossiers secondaires (Beiakten) et des rapports d’expertise.
2. De la mise en "accusation" à l’ouverture du procès (Hauptverfahren) (25 septembre 1973 - 16 septembre 1976)
53. Le président de la 6e chambre criminelle du tribunal notifia l’"acte d’accusation" aux intéressés et à leurs défenseurs le 16 octobre 1973 et fixa un délai pour leurs observations éventuelles. Ce délai fut prorogé plusieurs fois, notamment le 7 mars 1974, mais le 21 juin 1974 le tribunal rejeta une dernière demande de prolongation.
A nouveau détenu depuis le 21 novembre 1973 en vertu d’un mandat d’arrêt du tribunal compétent de Cologne, le requérant sollicita le 7 décembre son élargissement; il recouvra sa liberté le 10 janvier 1974.
Le 28 janvier 1974, le tribunal régional envoya l’ensemble du dossier à la Cour constitutionnelle fédérale, qui le lui avait demandé le 16 janvier; elle le lui retourna le 26 février.
Quatre jours auparavant Me Becker, du barreau de Trèves, avait invité le tribunal à le désigner comme défenseur d’office du requérant; le tribunal s’y refusa le 7 mars.
Les 19 mars, 3 avril, 24 et 30 mai, le conseil d’un coïnculpé réclama entre autres la communication, pour une brève période, de parties du dossier ainsi que d’autres documents. Il sollicita en outre la modification d’une décision de 1970 accordant à son client la liberté provisoire sous certaines conditions, des mesures d’enquête supplémentaires et une instruction préliminaire (Voruntersuchung). Le tribunal accueillit au moins l’avant-dernière de ces demandes (29 mai et 1er juillet). Le 11 août, le même avocat présenta un mémoire sur lequel l’expert prit position le 12 décembre.
Le 9 janvier 1975, l’auteur des demandes des 19 mars, 3 avril et 30 mai 1974 eut à leur sujet avec le magistrat du parquet un entretien à l’issue duquel il retira celle du 30 mai. Le dossier, qui se trouvait au parquet, revint au tribunal régional.
Le 22 mai, le président de la 10e chambre criminelle du tribunal nota au dossier que les débats devaient durer environ un an.
Le 21 janvier 1976, un des coïnculpés des requérants, dont le cas avait été disjoint, réclama la remise de certains documents, mais le tribunal la lui refusa le 10 mars; entre le 13 mars et le 26 septembre, il présenta quelques autres demandes.
Le 16 septembre, le tribunal régional ouvrit le procès (Hauptverfahren) contre les requérants et les deux personnes mises en "accusation" en même temps qu’eux; il les en avisa.
3. De l’ouverture du procès (Hauptverfahren) à l’arrêt de la procédure (16 septembre 1976 - 21 septembre 1977)
54. M. Eckle invita le tribunal, le 19 octobre 1976, à lever les mandats d’arrêt du tribunal cantonal et du tribunal régional de Cologne (paragraphes 43 et 53 ci-dessus); ses demandes furent rejetées le 3 février 1977.
Auparavant, le 3 janvier 1977, le parquet avait signalé au tribunal régional qu’il restait à déterminer des peines globales confondant celles prononcées par les tribunaux régionaux de Sarrebruck et de Trèves, mais que cette décision ne pouvait se prendre pour le moment car le dossier se trouvait à la Cour constitutionnelle fédérale pour les besoins d’un recours du requérant.
Le 31 août, le tribunal régional se renseigna auprès des parquets de Sarrebruck et de Trèves sur le point, notamment, de savoir si des peines globales avaient été fixées entre temps.
55. A la demande du parquet (14 septembre 1977), le tribunal régional ordonna le 21 septembre, en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale (paragraphe 16 ci-dessus), l’arrêt de la procédure suivie contre les requérants; ceux-ci avaient déclaré y consentir.
Le tribunal leva en même temps les mandats d’arrêt mentionnés plus haut (paragraphe 54) et précisa que les requérants supporteraient eux-mêmes leurs dépens tandis que les frais de procédure incomberaient à l’État.
Conformément aux conclusions du parquet, le tribunal n’accorda aux intéressés aucune indemnité; le 27 décembre 1979, il rejeta une demande ultérieure de M. Eckle par une décision que la cour d’appel de Cologne confirma le 6 février 1980.
56. Après disjonction, les poursuites contre onze des treize coïnculpés furent arrêtées en cours d’instance soit en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale (paragraphe 16 ci-dessus), soit faute de preuves suffisantes ou encore en raison du décès des intéressés. Quant aux deux autres coïnculpés, les tribunaux compétents les condamnèrent à différentes peines entre 1970 et 1980; là aussi, il y avait eu disjonction.
III. LA PROCÉDURE ENGAGÉE À SARREBRUCK (FIN 1963 - 20 AVRIL 1972)
57. Les poursuites pénales intentées contre M. et Mme Eckle à Sarrebruck ne se trouvent pas en cause, mais il y a lieu de les mentionner en raison de leur incidence sur les procédures engagées à Trèves et Cologne.
58. Vers la fin de 1963, le parquet de Sarrebruck avait ouvert contre les requérants une enquête préliminaire. Il les soupçonnait d’avoir escroqué des clients de Sarre au moyen d’opérations du genre de celles qui firent plus tard l’objet des poursuites à Trèves et, en partie, à Cologne.
Mis en "accusation", avec d’autres, en mars 1965, ils furent condamnés par le tribunal de Sarrebruck, le 17 octobre 1967, pour escroquerie dans 99 cas: M. Eckle se vit infliger six ans d’emprisonnement, son épouse trois ans et six mois.
Saisie de pourvois, la Cour fédérale de Justice cassa le jugement le 14 mars 1969 et renvoya l’affaire à une autre chambre du tribunal.
Après huit jours de débats, cette dernière frappa Mme Eckle, le 19 février 1970, d’une peine de deux ans de prison pour escroquerie dans 74 cas. M. Eckle, dont il avait fallu disjoindre le procès de celui de sa femme, fut jugé le 26 mars 1971 après des audiences qui avaient commencé le 24 février: le tribunal le déclara coupable d’escroquerie dans 68 cas et le condamna à quatre ans d’emprisonnement. Un nouveau pourvoi en cassation des intéressés resta sans succès: la Cour fédérale de Justice le rejeta le 20 avril 1972.
59. Les peines prononcées par le tribunal régional de Sarrebruck furent confondues le 24 novembre 1977 avec celles que le tribunal régional de Trèves avait infligées le 17 mars 1972 (paragraphes 27 et 35 ci-dessus).
IV. LA DÉTENTION PRÉVENTIVE DE M. ECKLE
60. Au cours des poursuites engagées contre lui, M. Eckle passa environ cinq ans en détention préventive: les juridictions compétentes invoquèrent l’existence d’un danger de fuite et d’"obscurcissement" des preuves.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
61. Dans leur requête du 27 décembre 1977 à la Commission (no 8130/78), M. et Mme Eckle dénonçaient, comme contraire à l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), la durée des procédures pénales engagées à Trèves, Sarrebruck et Cologne. M. Eckle se plaignait en outre de sa détention préventive en invoquant l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Après l’enregistrement de la requête, les intéressés s’en sont pris aussi, sous l’angle de l’article 6 par. 2 (art. 6-2), au non-remboursement de leurs dépens dans le procès de Cologne.
Le 10 mai 1979, la Commission a retenu la requête quant au dépassement allégué du "délai raisonnable" dans les affaires de Trèves et de Cologne; elle a déclaré les autres griefs irrecevables pour tardiveté ou non-épuisement des voies de recours internes (articles 26 et 27 par. 3) (art. 26, art. 27-3), selon le cas.
Dans son rapport du 11 décembre 1980 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
62. Dans son mémoire et à l’issue des audiences du 22 mars 1982, le Gouvernement invite la Cour "à constater qu’elle ne peut, faute de grief, connaître du fond de l’affaire".
EN DROIT
63. Les requérants se plaignent de la durée des procédures pénales engagées contre eux à Trèves et à Cologne; elle aurait dépassé le "délai raisonnable" dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) exige le respect.
I. SUR L’ARTICLE 25 PAR. 1 (art. 25-1)
64. Dans son mémoire puis en plaidoirie, le Gouvernement a formellement invité la Cour à dire qu’elle ne peut, faute de grief, connaître du fond de l’affaire. Selon lui, on ne saurait plus considérer les requérants comme des victimes au sens de l’article 25 par. 1 de la Convention (art. 25-1), ainsi libellé:
"La Commission peut être saisie d’une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la (...) Convention (...)."
Les juridictions allemandes auraient en effet reconnu le caractère excessif de la durée des procédures et y auraient remédié: le tribunal régional de Trèves en aurait tenu compte en fixant les peines, le tribunal régional de Cologne en décidant l’arrêt des poursuites (paragraphes 35 et 55 ci-dessus).
Les requérants contestent cette thèse. La Commission n’y souscrit pas davantage: les tribunaux n’auraient pas constaté une violation de l’article 6 (art. 6); la réduction de peine que le tribunal de Trèves déclara consentir ne saurait se mesurer; enfin, il ne serait pas clairement établi que le tribunal de Cologne ait eu égard à la durée excessive de la procédure en clôturant cette dernière.
65. La Cour a compétence pour examiner de telles questions préliminaires pour autant que l’État en cause les ait soulevées au préalable devant la Commission dans la mesure où leur nature et les circonstances s’y prêtaient (arrêt Artico du 13 mai 1980, série A no 37, p. 12, par. 24).
Ces conditions se trouvant remplies en l’occurrence, il n’y a pas forclusion.
66. Par "victime", l’article 25 (art. 25) désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux, l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se concevant même en l’absence de préjudice; celle-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 50 (art. 50) (voir notamment l’arrêt Adolf du 26 mars 1982, série A no 49, p. 17, par. 37).
Partant, l’atténuation d’une peine et l’arrêt poursuites, décidés en raison de la durée excessive d’une procédure, ne privent pas en principe l’intéressé de la qualité de victime au sens de l’article 25 (art. 25); il ne faut les prendre en considération que pour apprécier l’étendue du dommage prétendument subi par lui (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Ringeisen du 22 juin 1972, série A no 15, p. 8, par. 20-21, et l’arrêt Neumeister du 7 mai 1974, série A no 17, pp. 18-19, par. 40, ainsi que l’avis de la Commission dans l’affaire Wemhoff, série B no 5, pp. 89 et 273-274).
La Cour n’exclut pas que cette règle générale puisse souffrir une exception lorsque les autorités nationales ont reconnu explicitement ou en substance, puis réparé, la violation de la Convention (décision de la Commission, du 16 octobre 1980, sur la recevabilité de la requête no 8182, Schloffer contre République fédérale d’Allemagne). Dans une telle hypothèse, doubler la procédure interne d’une instance devant la Commission et la Cour paraît peu compatible avec le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention. Celle-ci confie d’abord à chacun des États contractants le soin d’assurer la jouissance des droits et libertés qu’elle consacre (voir notamment l’arrêt du 23 juillet 1968 sur le fond de l’affaire "linguistique" belge, série A no 6, p. 35, par. 10 in fine, et l’arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 22, par. 48). Ce caractère subsidiaire acquiert encore plus de relief quand il s’agit d’États qui ont incorporé la Convention à leur ordre juridique et qui en considèrent les normes comme directement applicables (arrêt Van Droogenbroeck du 24 juin 1982, série A no 50, par. 55).
67. La Convention formant partie intégrante du droit de la République fédérale d’Allemagne, rien n’empêchait les juridictions de ce pays d’en relever, le cas échéant, la violation et notamment celle de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Elles disposaient aussi d’un moyen de réparation qui, aux yeux de la Cour, peut se révéler approprié: selon une jurisprudence bien établie de la Cour fédérale de Justice, en fixant la peine le juge répressif doit tenir compte du dépassement éventuel du "délai raisonnable" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (arrêt du 10 novembre 1971, Entscheidungen des Bundesgerichtshofes in Strafsachen, vol. 24, pp. 239-243).
Dès lors, il y a lieu de rechercher si, comme le prétend le Gouvernement, les juridictions allemandes on constaté une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et, dans l’affirmative, si elles y ont remédié.
68. D’après le tribunal régional de Trèves, la procédure suivie devant lui a pris un "laps de temps démesurément long" (jugement du 17 mars 1972, paragraphe 27 ci-dessus); sa durée a été"longue" et "excessive" (décision du 24 novembre 1977, paragraphe 35 ci-dessus). Cette dernière qualification se retrouve dans l’arrêt de la Cour fédérale de Justice du 19 février 1976 et dans celui de la cour d’appel de Coblence du 23 janvier 1978 (paragraphes 33 et 36 ci-dessus). Toutes ces décisions, à l’exception du jugement du tribunal de Trèves, renvoient à la jurisprudence citée au paragraphe 67. Seule la cour d’appel de Coblence vise l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en précisant que même eu égard à cette disposition, la peine prononcée à Trèves n’est pas exagérée.
La décision du tribunal régional de Cologne du 21 septembre 1977, mettant fin aux poursuites contre M. et Mme Eckle, se borne à faire état du consentement des intéressés et à se référer aux réquisitions du parquet. Celui-ci avait reproduit les considérants de la Cour fédérale quant aux peines globales à fixer par le tribunal régional de Trèves (paragraphe 33 ci-dessus). Il avait ajouté qu’ils s’appliqueraient a fortiori dans le cas d’un nouveau prononcé de peines globales consécutif à une condamnation éventuelle à Cologne.
69. De ce qui précède, il ressort qu’aucune des juridictions compétentes n’a reconnu expressément une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Néanmoins, les termes employés par le tribunal régional de Trèves (décision du 24 novembre 1977), la Cour fédérale de Justice et la cour d’appel de Coblence, combinés avec les mentions de l’arrêt de la Cour fédérale du 10 novembre 1971, pourraient paraître équivaloir à pareille constatation. Moins certaine à cet égard se révèle la portée de la décision du tribunal régional de Cologne. A supposer qu’elle doive se lire, comme l’affirme le Gouvernement, à la lumière des conclusions du parquet, elle ne permet guère de considérer que le tribunal a jugé la durée de la procédure contraire à l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
70. Même si l’on estimait que l’inobservation du "délai raisonnable" se dégage desdites décisions avec une netteté suffisante, encore faudrait-il qu’il y ait eu réparation. Il s’agit alors de savoir si l’atténuation de la peine, accordée selon les motifs de sa décision par le tribunal régional de Trèves, et l’arrêt des poursuites ordonné par le tribunal régional de Cologne ont redressé la situation incriminée.
La Cour relève toutefois qu’il existe un lien étroit entre cette partie de la thèse du Gouvernement et un autre aspect du grief: l’étendue de la violation alléguée. En conséquence, elle croit devoir joindre au fond le moyen préliminaire invoqué par le Gouvernement (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Airey du 9 octobre 1979, série A no 32, p. 11, par. 19).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
71. La Commission exprime l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), ainsi libellé:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)."
Le Gouvernement admet que les procédures ont été, à certains de leurs stades, déraisonnablement longues.
A. La durée des procédures
72. Selon les requérants, la procédure entamée à Trèves a pris cours en novembre 1959 pour s’achever, le 24 novembre 1977, avec la fixation de peines globales par le tribunal régional. Lors des audiences, le Gouvernement a plaidé qu’elle avait duré du 7 octobre 1964 (perquisition dans les locaux des intéressés) au 19 février 1976 (arrêt de la Cour fédérale de Justice). La Commission souscrit à cette thèse sur le second point, mais non sur le premier: d’après elle, il faut remonter au moins jusqu’au 1er janvier 1961.
Pour les requérants et la Commission, la procédure qui s’est déroulée à Cologne a commencé avec la délivrance, le 25 avril 1967, d’un mandat de perquisition et de saisie à l’encontre de M. et Mme Eckle. Devant la Cour, le Gouvernement semble avoir proposé la date de la notification et de l’exécution de cette décision, à savoir le 11 mai 1967, et non plus, comme devant la Commission, celle de la mise en détention préventive de M. Eckle (25 novembre 1969). En ce qui concerne la fin de la période à examiner, requérants, Gouvernement et Commission s’accordent à la situer au 21 septembre 1977, jour de la clôture des poursuites.
1. Début des périodes à examiner
73. En matière pénale, le "délai raisonnable" de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) débute dès l’instant qu’une personne se trouve "accusée"; il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement (voir par exemple l’arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, p. 22, par. 42), celles notamment de l’arrestation, de l’inculpation et de l’ouverture des enquêtes préliminaires (arrêts Wemhoff du 27 juin 1968, série A no 7, pp. 26-27, par. 19, Neumeister de même date, série A no 8, p. 41, par. 18 et Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 45, par. 110). L’"accusation", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), peut se définir "comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale", idée qui correspond aussi à la notion de "répercussions importantes sur la situation" du suspect (arrêt Deweer précité, p. 24, par. 46).
74. Appliquant ces principes aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que la date avancée par les requérants quant à la procédure engagée à Trèves ne saurait entrer en ligne de compte: des pièces produites par le Gouvernement, il ressort que la plainte du 28 octobre 1959 n’a pas entraîné de mesures d’instruction. Le parquet l’a classée sans suite après d’être renseigné auprès des autorités administratives compétentes sur l’existence de prix plafonds dans le négoce des matériaux de construction; ni lui-même ni la police n’ont entendu de témoins ou les requérants. Une véritable enquête préliminaire n’a commencé qu’en août 1960 avec l’audition de nombreux témoins qui furent interrogés sur les accusations portées contre M. Eckle (paragraphes 11 et 12 ci-dessus). Comme l’a relevé le délégué de la Commission, cette audition n’avait pas pour but de rechercher s’il fallait ouvrir une enquête préliminaire; elle en faisait elle-même partie.
Cependant, faute d’avoir pu déterminer à partir de quand les intéressés ont eu officiellement connaissance de l’enquête ou en ont ressenti les effets, la Cour se rallie à l’opinion de la Commission et adopte pour point de départ du "délai" le 1er janvier 1961.
A cet égard, elle ne croit pas nécessaire de distinguer entre les deux requérants comme le Gouvernement paraît l’avoir envisagé à un moment donné: bien que l’enquête ne semble pas avoir été dirigée dès l’origine contre Mme Eckle, celle-ci a dû en subir le contrecoup au même titre que son mari.
75. Comme début de la procédure intentée à Cologne, la jurisprudence rappelée ci-dessus amène à retenir la date de la notification de la décision du 25 avril 1967, soit le 11 mai 1967 (paragraphe 72 ci-dessus).
2. Fin des périodes à examiner
76. Quant à la fin du "délai", en matière pénale la période régie par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) couvre l’ensemble de la procédure en cause, y compris les instances de recours (arrêt König du 28 juin 1978, série A no 27, p. 33, par. 98).
77. Dans la procédure ouverte à Trèves, il fallait encore, après l’arrêt de la Cour fédérale de Justice du 19 février 1976, prononcer des peines globales confondant celles qu’avaient infligées respectivement le tribunal régional de Sarrebruck les 19 février 1970 et 26 mars 1971, puis le tribunal régional de Trèves le 17 mars 1972 (paragraphes 27 et 58 ci-dessus). La Cour fédérale elle-même avait signalé au tribunal régional que la loi allemande (articles 53 et 55 du code pénal) obligeait à rendre cette décision au besoin d’office. D’autre part, la fixation des peines globales ne constituait pas pour les juges de Trèves un simple calcul arithmétique: selon l’article 54 du code pénal, ils avaient à apprécier eux-mêmes l’ensemble des infractions pour lesquelles les requérants avaient été condamnés à Sarrebruck et à Trèves, ainsi que les éléments tenant à la personnalité de leurs auteurs, comme ils l’ont du reste fait dans leur décision du 24 novembre 1977. En outre, le tribunal avait à prendre en compte comme circonstance atténuante, notamment, le laps de temps écoulé depuis l’arrêt de la Cour fédérale "jusqu’à la décision définitive" (paragraphe 33 ci-dessus).
Il s’ensuit qu’après l’arrêt de ladite Cour, les requérants ne pouvaient connaître le quantum des peines qui allaient être infligées. Ils savaient seulement qu’elles ne pouvaient égaler le total de celles dont les deux tribunaux régionaux, chacun en ce qui le concernait, les avaient frappés pour les diverses infractions établies (article 54 par. 2 du code pénal).
Or en cas de condamnation il n’a pas été "décidé" du "bien-fondé d’une accusation en matière pénale", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), aussi longtemps que la peine ne se trouve pas déterminée définitivement. Ainsi, dans son arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971 la Cour a retenu, comme terme de la procédure, la date à laquelle le juge du fond avait décidé, à l’issue de l’instance de cassation, d’imputer sur la peine la durée intégrale de la détention préventive du requérant (série A no 13, pp. 20 et 45, par. 48 et 110).
Par conséquent, la période à prendre en considération s’est achevée le 23 janvier 1978, avec les arrêts de la cour d’appel de Coblence confirmant les peines globales que le tribunal régional avait prononcées le 24 novembre 1977.
78. Quant à la procédure engagée à Cologne, elle a cessé le 21 septembre 1977 lorsque le tribunal régional ordonna l’arrêt des poursuites.
3. Conclusion
79. La durée à examiner sous l’angle de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) atteint donc dix-sept ans et trois semaines (1er janvier 1961 - 23 janvier 1978) pour la procédure entamée à Trèves et dix ans, quatre mois et dix jours pour celle qui a commencé à Cologne (11 mai 1967 - 21 septembre 1977).
Soulignant que les requérants ont continué leurs activités délictueuses pendant l’instruction de l’affaire à Trèves, le Gouvernement invite la Cour à déduire de la durée totale de cette procédure les périodes pendant lesquelles ont été commises de nouvelles infractions.
La Cour n’aperçoit là que l’un des éléments qui importent pour le contrôle du caractère "raisonnable" du "délai".
B. Le caractère raisonnable de la durée des procédures
80. Ce caractère doit s’apprécier chaque fois suivant les circonstances de la cause. En la matière, la Cour a égard, notamment, à la complexité de l’affaire, au comportement des requérants et à celui des autorités judiciaires (arrêt König précité, série A no 27, p. 34, par. 99).
En l’espèce, il s’agit de procédures qui se sont étalées sur plus de dix-sept et dix ans respectivement. Pareil laps de temps est certes exorbitant et devra, en règle générale, être regardé comme dépassant le "délai raisonnable" de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A no 8, p. 41, par. 20; voir aussi l’arrêt König précité, p. 34, par. 102). En pareil cas, il incombe à l’État défendeur de fournir des explications.
1. La procédure engagée à Trèves
81. Bien qu’elle paraisse relativement simple sur le plan juridique, l’affaire instruite et jugée à Trèves offrait sans conteste de sérieuses difficultés en raison surtout de l’intensité des activités des requérants et de l’habileté de la présentation de leurs méthodes de financement des contrats de vente. Cette complexité s’est en outre accrue au cours de l’enquête: aux termes du jugement du tribunal régional de Trèves, un certain nombre des contrats de prêt frauduleux ont encore été conclus à la fin de l’année 1963 et en 1964.
82. Loin de contribuer à l’accélération de la marche de la procédure, M. et Mme Eckle multiplièrent les incidents - notamment l’utilisation systématique des récusations - de nature à la retarder et dont certains pouvaient même faire croire à une obstruction délibérée (paragraphes 15, 20, 22, 23, 24, 25 et 32 ci-dessus).
A la vérité, la Commission le souligne à juste titre, l’article 6 (art. 6) n’exigeait pas des intéressés une coopération active avec les autorités judiciaires. On ne saurait non plus leur reprocher d’avoir tiré pleinement parti des voies de recours que leur ouvrait le droit interne. Cependant, leur comportement rappelé plus haut constitue un fait objectif, non imputable à l’État défendeur et à prendre en compte pour répondre à la question de savoir si la procédure a ou non dépassé le délai raisonnable de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt König précité, pp. 35-36, 37, 38 et 40, par. 103, 105, 108 et 111, ainsi que l’arrêt Buchholz du 6 mai 1981, série A no 42, pp. 18 et 22, par. 56 et 63).
83. Selon les requérants, la durée de la procédure résulte de la manière dont les autorités judiciaires ont dirigé l’affaire. Ils leur reprochent notamment d’avoir mené contre eux trois enquêtes et procès distincts, au lieu de les joindre, et d’avoir étudié un nombre trop élevé de cas particuliers.
La Commission estime elle aussi que la durée de la procédure s’explique surtout par la conduite desdites autorités. D’après elle, l’enquête préliminaire, la procédure de retrait de l’"acte d’accusation", la rédaction du jugement du tribunal régional et l’examen des pourvois en cassation ont entraîné des retards déraisonnables.
Le Gouvernement marque son désaccord avec cette opinion.
84. La Cour constate, avec la Commission, que les autorités compétentes n’ont pas montré la diligence et la célérité nécessaires.
Ainsi, le nombre énorme de cas particuliers instruits n’a pas manqué de prolonger l’enquête préliminaire (paragraphe 16 ci-dessus). Selon le Gouvernement le principe de la légalité des poursuites, proclamé par la loi, astreignait les autorités à procéder de la sorte, mais l’argument ne convainc pas la Cour. Si l’article 154 du code de procédure pénale, qui prévoit la possibilité d’arrêter des poursuites, n’a été amendé qu’en 1979, le Gouvernement admet lui-même que cette réforme a consacré une pratique en vigueur sous l’empire de la législation antérieure. De toute manière, il ne saurait se retrancher derrière les lacunes éventuelles de sa loi interne quand il s’agit de s’acquitter des engagements assumés par lui en vertu de l’article 6 (art. 6). Le texte applicable à l’époque n’a du reste nullement empêché le parquet et le tribunal régional de clore les poursuites sur certains points (paragraphes 16 et 26 ci- dessus).
D’autre part, on comprend mal qu’en 1967, donc six ans après l’ouverture de l’enquête, le parquet de Trèves ait trouvé une seule solution pour faire face aux infractions qu’il estimait avoir découvertes: le retrait de l’"acte d’accusation" (paragraphe 18 ci-dessus). Il importe de relever aussi qu’il s’écoula encore une année environ avant le transfert des nouveaux cas au parquet de Cologne (ibidem).
On ne s’explique pas non plus que le jugement du 17 mars 1972 n’ait été notifié aux requérants que le 12 février 1973 (paragraphe 27 ci-dessus). Certes, comme le souligne le Gouvernement, sa rédaction a exigé le dépouillement d’une documentation énorme, mais cela ne saurait justifier un délai de près de onze mois après le prononcé.
Enfin, la procédure de cassation a duré presque trois ans (paragraphes 29-33 ci-dessus).
85. Devant le Cour, le Gouvernement a souligné que l’affaire Eckle a été une des premières grosses affaires de criminalité économique, en particulier pour le Land de Rhénanie-Palatinat. Les autorités manquaient à l’époque, selon lui, de l’expérience et des moyens nécessaires à une lutte rapide et efficace contre ce type de délinquance. Depuis lors, une série de mesures législatives et administratives auraient été prises à cette fin.
La Cour conçoit qu’au début les formes spécifiques de la criminalité économique aient posé aux autorités judiciaires un certain nombre de problèmes, notamment quant à la conduite diligente et sûre des procédures pénales. Elle reconnaît les efforts déployés en République fédérale d’Allemagne sur le plan législatif et administratif pour combattre ce fléau avec la célérité voulue. Néanmoins, elle ne peut attacher un poids décisif à ces éléments pour statuer sur le cas d’espèce: la situation devant laquelle se trouvaient les autorités compétentes n’avait rien d’exceptionnel (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Buchholz précité, série A no 42, pp. 16, 20-21 et 22, par. 51, 61 et 63).
86. A la lumière de l’ensemble de ces éléments, la Cour conclut que les difficultés de l’instruction et le comportement des requérants n’expliquent pas à eux seuls la durée de la procédure: une des causes principales de celle-ci réside dans la manière dont les autorités judiciaires ont conduit l’affaire.
87. Eu égard à l’ampleur des retards imputables à l’Etat défendeur, la réduction de peine que le tribunal régional déclara consentir aux requérants n’a pu les priver du droit d’invoquer leur qualité de victimes, au sens de l’article 25 (art. 25) (paragraphes 68 et 70 ci-dessus): la décision du tribunal régional ne renfermait pas d’indications suffisantes pour permettre de contrôler la prise en compte de la longueur de la procédure sous l’angle de la Convention.
88. Dès lors, la Cour rejette le moyen préliminaire du Gouvernement quant à cette partie de l’affaire et estime que la procédure intentée à Trèves a dépassé le délai raisonnable, en violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
2. La procédure engagée à Cologne
89. L’affaire instruite et jugée à Cologne concernait au début quinze personnes et avait des prolongements à l’étranger; elle avait trait à des inculpations du chef non seulement d’escroquerie, mais aussi de banqueroute frauduleuse et de fraude fiscale (paragraphe 37 ci-dessus). La Cour considère, avec la Commission, qu’elle était particulièrement difficile et complexe.
90. Ici comme à Trèves, M. et Mme Eckle ont ralenti la marche de la procédure par nombre de requêtes et recours, accompagnés souvent de demandes de prorogation du délai de dépôt de mémoire (voir notamment les paragraphes 43, 45, 47, 48, 49, 51, 53 et 54 ci-dessus, à rapprocher du paragraphe 82).
91. Les requérants tiennent les autorités judiciaires pour seules responsables des lenteurs observées. Outre les motifs déjà mentionnés (paragraphe 83 ci-dessus), ils invoquent la circonstance qu’elles n’ont pas disjoint les délits d’escroquerie des autres infractions qui leur étaient reprochées.
La Commission attribue principalement la longueur de la procédure à la manière dont lesdites autorités ont conduit l’affaire. Elle relève la durée excessive de l’information et par exemple le dépôt tardif de l’expertise; elle estime aussi que l’ouverture du procès a été retardée sans motif valable et que le tribunal régional aurait pu clore plus tôt les poursuites.
Le Gouvernement marque son désaccord avec cette opinion.
92. La Cour estime, avec la Commission, que les autorités compétentes n’ont pas témoigné de la diligence et de la célérité nécessaires. Elle constate en particulier que près de trois ans ont passé entre le dépôt de l’"acte d’accusation" (25 septembre 1973, paragraphe 52 ci-dessus) et l’ouverture du procès (16 septembre 1976, paragraphe 53 ci- dessus).
Sur ce point, le Gouvernement tire argument de la lourde charge que supportaient à l’époque les chambres du tribunal régional spécialisées dans les affaires économiques; il indique diverses mesures prises pour redresser la situation.
La Cour reconnaît que les autorités se sont efforcées de remédier à l’encombrement du rôle du tribunal régional en augmentant le nombre de ces chambres de deux (en 1973) à six (en 1977). Elle considère néanmoins que vu l’importance du laps de temps écoulé, le Gouvernement ne saurait se fonder sur le volume de travail du tribunal régional, lequel n’avait rien d’exceptionnel (comp, l’arrêt Buchholz précité, série A no 42, pp. 16, 20-21 et 22, par. 51, 61 et 63). Pour la même raison et tout comme au sujet de l’affaire instruite et jugée à Trèves (paragraphe 85 ci-dessus), elle ne croit pas non plus pouvoir attacher ici un poids décisif aux efforts pourtant méritoires déployés en République fédérale d’Allemagne pour combattre la criminalité économique avec plus de diligence et d’efficacité.
93. Sur la base de l’ensemble des éléments considérés, la Cour conclut que les difficultés de l’instruction et le comportement des requérants n’expliquent pas à eux seuls la longueur de la procédure; l’une des causes majeures de celle-ci réside dans la manière dont les autorités ont conduit l’affaire.
94. L’arrêt des poursuites, ordonné par le tribunal régional le 21 septembre 1977 avec le consentement des requérants, pouvait en principe influer sur leur droit à se prétendre "victimes", au sens de l’article 25 (art. 25), mais l’ampleur des retards imputables aux autorités a été telle qu’ils n’ont point perdu cette qualité; il ne ressort du reste nullement de la décision de clôture, lue ou non à la lumière des réquisitions du parquet, qu’elle ait été prise eu égard auxdits retards (paragraphes 68 et 70 ci-dessus).
95. Dès lors, la Cour rejette le moyen préliminaire du Gouvernement quant à cette partie de l’affaire et estime que la procédure engagée à Cologne a dépassé le délai raisonnable, en violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
96. Le conseil des requérants a déclaré que si la Cour constatait une violation de la Convention, ses clients réclameraient au titre de l’article 50 (art. 50) une satisfaction pour le préjudice résultant de la durée excessive des procédures et, le cas échéant, pour leurs frais de justice; il n’a cependant pas chiffré leurs demandes. Le Gouvernement, lui, n’a pas arrêté sa position.
Quoique soulevée en vertu de l’article 47 bis du règlement, la question ne se trouve dès lors pas en état. En conséquence la Cour doit la réserver et déterminer la procédure ultérieure, en tenant compte de l’hypothèse d’un accord entre l’État défendeur et les requérants.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L"UNANIMITE
1. Joint au fond le moyen préliminaire soulevé par le Gouvernement, mais le rejette après examen au fond;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention;
3. Dit que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
en conséquence,
a) la réserve en entier;
b) invite la Commission à lui adresser par écrit, dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt, ses observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout règlement amiable auquel Gouvernement et requérants auront pu aboutir;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à son président le soin de la fixer en cas de besoin.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le quinze juillet mil neuf cent quatre-vingt-deux.
Rolv RYSSDAL
Président
Pour le Greffier
Herbert PETZOLD
Greffier adjoint.
AFFAIRE GOLDER c. ROYAUME-UNI
ARRÊT AIREY c. IRLANDE
ARRÊT ECKEL c. ALLEMAGNE
ARRÊT ECKEL c. ALLEMAGNE


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 8130/78
Date de la décision : 15/07/1982
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (victime) ; Violation de l'Art. 6-1 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 34) RECOURS, (Art. 34) VICTIME, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : ECKLE
Défendeurs : ALLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1982-07-15;8130.78 ?

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