La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/04/1983 | CEDH | N°8398/78

CEDH | AFFAIRE PAKELLI c. ALLEMAGNE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE PAKELLI c. ALLEMAGNE
(Requête no 8398/78)
ARRÊT
STRASBOURG
25 avril 1983
En l’affaire Pakelli,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement*, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. Wiarda, président,
R. Ryssdal,
L. Liesch,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
R. Bernhardt,> J. Gersing,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE PAKELLI c. ALLEMAGNE
(Requête no 8398/78)
ARRÊT
STRASBOURG
25 avril 1983
En l’affaire Pakelli,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement*, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. Wiarda, président,
R. Ryssdal,
L. Liesch,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
R. Bernhardt,
J. Gersing,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 novembre 1982, puis le 23 mars 1983,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") et le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne ("le Gouvernement"). A son origine se trouve une requête (no 8398/78) dirigée contre cet État et dont un ressortissant turc, M. Lütfü Pakelli, avait saisi la Commission le 5 octobre 1978 en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention.
2.   Demande de la Commission et requête du Gouvernement ont été déposées au greffe de la Cour dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), les 14 et 24 mai 1982 respectivement. La première renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration de la République fédérale d’Allemagne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46); elle vise à obtenir une décision sur le point de savoir s’il y a eu ou non, de la part de l’État défendeur, manquement aux obligations lui incombant aux termes de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). La seconde invite la Cour à conclure à l’absence de pareille violation.
3.  La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 28 mai 1982, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. R. Ryssdal, M. Zekia, L. Liesch, E. García de Enterría et B. Walsh, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. L.-E. Pettiti et J. Gersing, juges suppléants, ont remplacé MM. M. Zekia et E. García de Enterría, empêchés (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
4.   Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli par l’intermédiaire du greffier l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 9 juin 1982 il a constaté, eu égard notamment à leurs déclarations concordantes, qu’il n’y avait pas lieu de prévoir le dépôt de mémoires. Le 4 octobre, il a fixé au 25 novembre 1982 la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier adjoint.
Sur les instructions du président, le greffier a invité Commission et Gouvernement, le 2 novembre, à produire plusieurs documents; il les a reçus les 5, 22 et 23 novembre.
5.   Les débats se sont déroulés en public le 25 novembre, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire; elle avait autorisé l’emploi de la langue allemande par l’agent et les conseils du Gouvernement ainsi que par la personne assistant le délégué de la Commission (article 27 paras. 2 et 3 du règlement).
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
Mme I. Maier, Ministerialdirigentin
au ministère fédéral de la Justice,  agent,
M. P. Riess, Ministerialrat
au ministère fédéral de la Justice,
M. W. Stiller, Regierungsdirektor
au ministère fédéral de la Justice,  conseillers;
- pour la Commission
M. J.A. Frowein,  délégué,
Me N. Wingerter, conseil du requérant
devant la Commission, assistant le délégué (article 29 par.  
1, seconde phrase, du règlement).
La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Mme Maier et M. Riess pour le Gouvernement, M. Frowein et Me Wingerter pour la Commission. Le 26 novembre, le greffier a reçu de la Commission certains documents qu’il lui avait demandés sur les instructions du président.
6.   Le 20 décembre, la Commission a communiqué à la Cour les prétentions du requérant au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
Conformément aux ordonnances et directives du président, le greffe a reçu à ce sujet
- le 20 janvier 1983, les commentaires du Gouvernement;
- les 9 et 10 février 1983, les observations du délégué de la Commission et, par son intermédiaire, celles du requérant.
FAITS
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.   M. Pakelli, ressortissant turc né en 1937, vit aujourd’hui dans son pays après avoir séjourné en République fédérale d’Allemagne de 1964 à 1976.
8.   Arrivé en République fédérale en février 1964, il fut embauché par la société Audi-NSU à Neckarsulm; il y resta deux ans et demi. Par la suite, il mena diverses activités professionnelles successives: mécanicien dans une autre entreprise de Neckarsulm, gérant de restaurant, courtier libre en assurances et en prêts à la construction. Cette dernière occupation, qui consistait à négocier et conclure notamment des contrats d’assurance-vie et d’épargne avec des travailleurs turcs, lui procura, selon ses propres indications, un très bon revenu mensuel.
9.   Le 31 mai 1972, le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Heilbronn infligea au requérant dix mois de prison avec sursis pour infraction à la législation sur les stupéfiants (Betäubungsmittelgesetz). Le tribunal régional (Landgericht) de Heilbronn rejeta l’appel de l’intéressé le 12 mars 1973.
Cette procédure ne se trouve pas en cause.
10.   Les poursuites pénales sur lesquelles portes la présente affaire débutèrent en 1974.
Soupçonné d’avoir violé à nouveau la législation sur les stupéfiants, M. Pakelli fut arrêté le 7 mai; le 4 septembre, il se vit doter d’un avocat d’office en la personne de Me Wingerter, de Heilbronn.
11.  Le procès commença devant le tribunal régional de Heilbronn le 7 avril 1976 et se poursuivit les 8, 14, 23 et 30. Me Wingerter et, par moments, Me Rauschenbusch, du même cabinet, assurèrent la défense.
Le 30 avril, le tribunal condamna le requérant à deux ans et trois mois de prison pour infraction à la législation sur les stupéfiants et fraude fiscale (Steuerhinterziehung): il estima établi qu’au printemps de 1972 le prévenu avait illégalement importé en Allemagne, cachés dans sa voiture, seize kilos de résine de cannabis en provenance de Turquie.
12.  Me Wingerter forma le 3 mai 1976 un pourvoi en cassation (Revision). Dans son mémoire ampliatif du 5 août, il invoquait notamment l’article 146 du code de procédure pénale, d’après lequel un seul et même avocat ne peut défendre plusieurs accusés (paragraphe 26 ci-dessous). Or il avait assisté auparavant une autre personne qui en l’occurrence, selon les constatations du tribunal régional, avait été le complice de M. Pakelli.
Élargi le 10 août 1976, ce dernier retourna en Turquie.
Le 22 octobre, le procureur général fédéral (Generalbundesanwalt) conclut à l’irrecevabilité du pourvoi: celui-ci aurait été formé par un défenseur qui, de son propre aveu, ne pouvait représenter le requérant.
Le 19 novembre, Me Rauschenbusch sollicita la levée de la forclusion (Wiedereinsetzung in den vorigen Stand) afin d’introduire un nouveau pourvoi, ce qu’il fit d’ailleurs en même temps. La Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) la lui accorda le 21 décembre 1976 après avoir recueilli l’avis favorable, non motivé, du procureur général.
Le 13 janvier 1977, le tribunal régional désigna Me Rauschenbusch, qui le lui avait demandé le 19 novembre 1976, comme défenseur d’office pour le dépôt du mémoire ampliatif; il déchargea quinze jours plus tard Me Wingerter de son mandat.
13.  Dans son mémoire du 26 janvier 1977, long de trente-quatre pages, Me Rauschenbusch n’allégua que des vices de procédure (Verfahrensrügen). Il en énumérait dix-neuf dont la plupart concernaient des décisions du tribunal régional de Heilbronn refusant de commettre un expert et de convoquer, interroger ou faire interroger des témoins. Le dernier se rapportait à l’article 146 du code de procédure pénale: Me Rauschenbusch rappelait que Me Wingerter avait défendu auparavant une autre personne que le tribunal régional avait condamnée, le 21 juin 1974, comme complice de M. Pakelli; selon lui, cette communauté de défenseur avait desservi les intérêts des deux inculpés (paragraphe 26 ci-dessous).
14.  Le parquet près le tribunal régional conclut à l’irrecevabilité du pourvoi par des observations en réponse (Gegenerklärung) du 14 mars 1977. D’après lui, l’article 146 empêchait Me Rauschenbusch, tout comme Me Wingerter, d’agir en l’espèce en qualité d’avocat d’office. Me Rauschenbusch répliqua le 23 mars. Il souligna notamment qu’il n’avait jamais défendu le complice de M. Pakelli; dès lors, l’article 146 ne s’appliquait pas à lui.
Le 20 avril, le procureur général fédéral invita le parquet à commenter les griefs invoqués; l’irrecevabilité de plano du pourvoi lui paraissait pour le moins douteuse.
Le 12 août, le parquet présenta ses observations supplémentaires (weitere Gegenerklärung), datées du 1er août; il les communiqua à Me Rauschenbusch. Conformément à la pratique suivie en la matière (no 162 des directives pour la procédure pénale et la procédure en matière d’amendes administratives - Richtlinien für das Strafverfahren und das Bussgeldverfahren), elles reproduisaient pour chaque grief les pièces pertinentes du dossier, en particulier les demandes que l’avocat du requérant avait formulées pendant le procès, et les décisions prises à leur sujet par le tribunal régional. A propos de l’article 146 du code de procédure pénale, le parquet renvoyait à ses observations antérieures, dont celles du 14 mars.
15.  À la requête du procureur général fédéral, la Cour fédérale de Justice décida le 13 octobre 1977 de tenir une audience (Hauptverhandlung) le 29 novembre. Me Rauschenbusch et son client, lequel avait regagné la Turquie, en furent informés le 17 octobre.
16.  Le 24 octobre, Me Rauschenbusch demanda sa désignation comme avocat d’office du requérant pour les débats du 29 novembre.
Le président de la 1e Chambre criminelle (Strafsenat) de la Cour fédérale la lui refusa le lendemain. Selon lui, un accusé (Angeklagter) en liberté ne pouvait réclamer pareille mesure pour des audiences de cassation; la loi n’exigeait à ce stade ni sa comparution personnelle ni sa représentation par un défenseur (article 350 paras. 2 et 3 du code de procédure pénale, paragraphe 22 ci-dessous). Quant au respect du droit procédural (verfahrensrechtlich), la juridiction de cassation (Revisionsgericht) examinait la décision attaquée sur la base des moyens développés par écrit; pour les griefs de fond, s’il y en avait (bei sachlichrechtlicher Beanstandung), elle la contrôlait d’office et sans limitations. Au demeurant, ni les faits de la cause ni les questions juridiques en litige ne justifiaient en l’espèce la désignation souhaitée.
Dans ses objections (Gegenvorstellungen) du 7 novembre 1977, Me Rauschenbusch invoqua un arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, du 19 octobre 1977 (paragraphe 22 ci-dessous), d’après lequel, en dehors même des hypothèses prévues par la loi, il fallait accorder l’assistance judiciaire pour les audiences de cassation relatives à des cas "graves" ("schwerwiegend") quand l’intéressé ne pouvait rémunérer un avocat de son choix. Or, soutenait-il, M. Pakelli se trouvait dans une telle situation: une condamnation définitive entraînerait son expulsion. Me Rauschenbusch priait la Cour fédérale de lui indiquer s’il devait fournir un inventaire des biens du requérant pour rendre plausible (glaubhaft machen) l’indigence de celui-ci. Selon lui, M. Pakelli n’était manifestement pas (offensichtlich) en mesure de rétribuer un défenseur. Arrivé en République fédérale comme travailleur migrant, il était rentré en Turquie après un séjour prolongé (längeren) à la prison de Heilbronn. Il n’avait évidemment pas d’économies.
Me Rauschenbusch sollicitait, au besoin, une décision de la Chambre.
Le 10 novembre, le président de la 1e Chambre criminelle de la Cour fédérale confirma son refus du 25 octobre; d’après lui, l’arrêt précité du 19 octobre 1977 ne concernait pas un cas comparable à celui du requérant.
17.  L’audience eut lieu le 29 novembre 1977, en l’absence du requérant et de Me Rauschenbusch. Selon les procès-verbaux, la Cour fédérale entendit le juge rapporteur, puis un magistrat du parquet fédéral (Bundesanwaltschaft) en ses déclarations (Ausführungen) concluant au débouté. Après avoir délibéré en chambre du conseil, elle prononça le jour même un arrêt de rejet.
Elle commença par constater la recevabilité du pourvoi: l’article 146 du code de procédure pénale n’empêchait pas Me Rauschenbusch de représenter M. Pakelli devant elle. En revanche, il avait été méconnu en première instance puisque Me Wingerter avait assisté auparavant le complice du requérant. Toutefois, ajoutait la Cour en se référant à un arrêt de sa 3e Chambre criminelle (paragraphe 26 ci-dessous), un pourvoi fondé sur cette disposition ne pouvait aboutir que si la représentation de plusieurs accusés par un avocat commun se révélait réellement incompatible avec les tâches de la défense dans les circonstances de la cause. Or aucun conflit d’intérêts ne se trouvait établi en l’occurrence.
La Cour repoussa ensuite les griefs restants, les uns après examen détaillé, pour défaut de fondement, les autres de manière plus sommaire, comme manifestement mal fondés.
Long de dix pages, l’arrêt fut signifié à Me Rauschenbusch le 21 décembre 1977.
18.  En janvier 1978, Me Wingerter saisit la Cour constitutionnelle fédérale. Alléguant la violation des articles 1, 2, 3, 6, 20 et 103 par. 1 de la Loi fondamentale, il répétait les arguments que son confrère Rauschenbusch avait avancés devant la Cour fédérale de Justice le 7 novembre 1977 (paragraphe 16 ci-dessus). M. Pakelli, soutenait-il, n’aurait pu exercer son droit d’être entendu que par l’intermédiaire d’un défenseur: il résidait en Turquie, manquait de moyens financiers et ne maîtrisait pas assez la langue allemande. En outre, les questions juridiques en jeu revêtaient une complexité particulière dont témoignaient le volume du mémoire ampliatif (paragraphe 13 ci-dessus) et la décision de la Cour fédérale de tenir audience. On aurait donc dû lui donner l’occasion de se prononcer sur les déclarations du parquet fédéral. Les conséquences d’un arrêt négatif auraient elles aussi exigé la désignation d’un avocat d’office: le rejet du pourvoi allait signifier pour le requérant la ruine de sa situation en Allemagne et la rupture de son mariage ainsi que de sa vie familiale.
Me Wingerter priait la Cour constitutionnelle de lui indiquer s’il devait produire un inventaire des biens de l’intéressé pour rendre plausible (glaubhaft machen) l’indigence de ce dernier, en faveur duquel il sollicitait l’octroi de l’aide judiciaire.
Statuant le 10 mai 1978 en comité de trois membres, la Cour constitutionnelle estima qu’il n’y avait pas lieu de retenir le recours car il n’offrait pas des chances suffisantes de succès. D’après elle, la décision du président de la 1e Chambre criminelle de la Cour fédérale de Justice ne se trouvait pas entachée d’arbitraire. De plus, l’affaire n’était pas "grave" au sens de l’arrêt susmentionné du 19 octobre 1977 (paragraphes 16 ci-dessus et 22 ci-dessous); enfin, l’intéressé aurait pu rester en République fédérale d’Allemagne et assister aux débats devant la Cour fédérale de Justice, au besoin avec l’aide d’un interprète.
19.  Après son arrestation le 7 mai 1974, M. Pakelli était demeuré privé de sa liberté jusqu’au 10 août 1976, tantôt en détention provisoire tantôt pour subir des peines prononcées contre lui.
II. LA LÉGISLATION PERTINENTE
1. L’avocat d’office
20. Si l’inculpé n’a pas choisi de défenseur, la juridiction de jugement en commet un dans les hypothèses suivantes, énumérées à l’article 140 par. 1 du code de procédure pénale:
- les débats se déroulent en première instance devant la cour d’appel (Oberlandesgericht) ou le tribunal régional;
- l’intéressé doit répondre d’un crime (Verbrechen);
- la procédure peut aboutir à l’interdiction d’exercer une profession;
- l’inculpé est sourd ou muet;
- il a été interné au moins trois mois sur ordonnance judiciaire ou avec l’accord d’un juge et n’a pas recouvré sa liberté deux semaines au moins avant l’ouverture des débats;
- la question se pose de savoir s’il faut l’interner en vue d’examiner son état mental;
- l’affaire concerne une procédure d’internement (Sicherungsverfahren);
- il a été décidé d’interdire à l’ancien défenseur de participer à la procédure.
La désignation a lieu aussi dans d’autres cas, d’office ou sur demande de l’inculpé, si elle paraît nécessaire en raison de la gravité de l’acte, de la complexité de la cause en fait ou en droit ou de l’impossibilité manifeste, pour l’intéressé, d’assurer sa propre défense (article 140 par. 2).
21.  La nomination d’un avocat d’office par la juridiction de jugement vaut non seulement pour la procédure devant celle-ci, mais aussi pour la phase écrite de l’instance en cassation. S’il y a lieu, ladite juridiction y pourvoit spécialement pour cette dernière phase.
22.  L’accusé (Angeklagter) privé de sa liberté n’a pas le droit d’assister aux débats devant la juridiction de cassation - cour d’appel ou Cour fédérale de Justice (articles 121 et 135 du code judiciaire - Gerichtsverfassungsgesetz) -, mais il peut s’y faire représenter par un avocat (article 350 par. 2). S’il n’en a pas choisi et n’est pas amené à l’audience, le président de la juridiction compétente lui en désigne un à sa demande (article 350 par. 3).
L’accusé en liberté peut comparaître en personne ou se faire représenter à l’audience de cassation par un avocat (article 350 par. 2). D’après la jurisprudence de la Cour fédérale de Justice, on ne peut le doter d’un défenseur d’office qu’en vertu de l’article 140 par. 2 (paragraphe 20 ci-dessus): l’article 140 par. 1 ne s’applique pas aux audiences de cassation (Entscheidungen des Bundesgerichtshofes in Strafsachen, vol. 19, pp. 258-263).
En outre, selon la Cour constitutionnelle fédérale, il y a lieu de désigner un défenseur d’office, aux frais de l’État, dans des cas graves (schwerwiegende Fälle) si l’accusé ne peut rémunérer un avocat de son choix (Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, vol. 46, pp. 202 à 213).
2. L’audience de cassation
23.  La juridiction compétente ne peut statuer sur le pourvoi sans débats que dans les cas suivants:
- elle le considère comme irrecevable (article 349 par. 1 du code de procédure pénale),
- elle l’estime à l’unanimité manifestement mal fondé, sur demande motivée du parquet (article 349 par. 2), et
- elle juge, à l’unanimité, fondé un recours formé en faveur de l’accusé (article 349 par. 4).
Dans tous les autres cas, elle se prononce après audience (article 349 par. 5); devant la Cour fédérale de Justice, cela se produit pour 10 % seulement des pourvois en matière pénale.
Lorsque le parquet requiert le rejet du recours comme manifestement mal fondé, il communique ses conclusions et motifs au demandeur qui a la faculté d’y répondre dans un délai de deux semaines (article 349 par. 3).
24.  Aux termes de l’article 350 par. 1, l’accusé et son avocat doivent être informés de la date et du lieu de l’audience; s’il n’est pas possible d’atteindre le premier, il suffit d’aviser le second.
25.  Les débats de cassation s’ouvrent par l’exposé d’un rapporteur et se poursuivent par les déclarations et conclusions du parquet, de l’accusé et de son défenseur; l’auteur du pourvoi est entendu le premier, l’accusé a toujours la parole le dernier (article 351).
3. La "communauté de défenseur" (gemeinschaftliche Verteidigung)
26.  Selon l’ancienne version de l’article 146 du code de procédure pénale, en vigueur jusqu’au 31 décembre 1974, plusieurs inculpés pouvaient être assistés par un seul conseil si cela n’allait pas à l’encontre des intérêts de la défense. Comme il était souvent difficile pour les juridictions de déceler ou établir de tels conflits d’intérêts, l’article 146 subit un amendement en 1974: le nouveau texte, applicable depuis le 1er janvier 1975, n’admet pas la défense de plusieurs inculpés par un défenseur commun.
Toutefois, la Cour fédérale de Justice (3e Chambre criminelle) a décidé les 27 février et 13 octobre 1976 qu’un pourvoi en cassation ne pouvait se fonder avec succès sur la violation de l’article 146 que si la communauté de défenseur desservait effectivement les intérêts de la défense (Entscheidungen des Bundesgerichtshofes in Strafsachen, vol. 26, pp. 291-298; vol. 27, pp. 22-24). La 1e Chambre criminelle a suivi cette jurisprudence dans son arrêt du 29 novembre 1977 en l’espèce (paragraphe 17 ci-dessus). Depuis lors, explique le Gouvernement, toutes les chambres criminelles de la Cour fédérale de Justice acceptent cette interprétation.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
27.  Dans sa requête du 5 octobre 1978 à la Commission (no 8398/78), M. Pakelli se prétendait victime d’une violation de l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention. Selon lui, il n’avait pas eu les moyens de rémunérer un défenseur de son choix et les intérêts de la justice eussent exigé la désignation d’un avocat pour le représenter à l’audience devant la Cour fédérale de Justice. Il affirmait en outre qu’il n’avait pu retourner en République fédérale d’Allemagne afin de se défendre lui-même, faute de permis de séjour et des fonds nécessaires pour payer un interprète.
Le 16 mai 1980, la Commission lui a accordé l’assistance judiciaire gratuite sur la base d’une déclaration de ressources datée du 9 septembre 1979 et confirmée par des attestations des autorités compétentes.
Le 7 mai 1981, elle a retenu la requête quant au rejet de la demande de désignation d’un avocat d’office pour l’audience devant la Cour fédérale; elle a déclaré les autres griefs irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes (articles 26 et 27 par. 3 de la Convention) (art. 26, art. 27-3).
Dans son rapport du 12 décembre 1981 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’avis que le requérant a subi une violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) et, par onze voix contre une, qu’elle n’est pas appelée à se prononcer sur la question de savoir s’il y a eu aussi méconnaissance du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
28.  A l’issue des audiences du 25 novembre 1982, le Gouvernement a invité la Cour "à constater qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 paras. 3 c) et 1 (art. 6-3-c, art. 6-1) de la Convention dans le cas du requérant".
EN DROIT
29.  Le requérant reproche à la Cour fédérale de Justice, siégeant en degré de cassation (Revision), d’avoir refusé de désigner Me Rauschenbusch comme défenseur d’office pour les débats du 29 novembre 1977 devant elle; il y voit une violation du paragraphe 3 c) de l’article 6 (art. 6-3-c) de la Convention, ainsi que du paragraphe 1 (art. 6-1).
L’applicabilité de ces dispositions en l’espèce n’a pas prêté à controverse et la Cour la tient pour acquise (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 13-15, paras. 25 et 26, et l’arrêt Artico du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 15-18, paras. 31-38). Les modalités de leur application dépendent toutefois, le Gouvernement le souligne à juste titre, des particularités de la procédure dont il s’agit (arrêt Delcourt précité, ibidem).
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 3 c) (art. 6-3-c)
30.  L’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) se lit ainsi:
"Tout accusé a droit notamment à
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;
Devant la Commission, le Gouvernement a plaidé que l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) n’exigeait pas en l’occurrence l’octroi de l’assistance gratuite d’un avocat d’office car M. Pakelli aurait pu comparaître en personne à l’audience de la Cour fédérale de Justice. Sans s’attarder sur cette thèse devant la Cour, il répète que l’intéressé aurait pu présenter lui-même sa cause à la juridiction de cassation.
31.  L’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) garantit à l’accusé trois droits: se défendre lui-même, avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, sous certaines conditions, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office. Pour lier entre eux les membres de phrase correspondants, la version anglaise emploie chaque fois la conjonction disjonctive "or"; le texte français, lui, n’en utilise l’équivalent - "ou" - qu’entre ceux qui énoncent le premier et le deuxième droits; il se sert ensuite de la conjonction copulative "et". Les travaux préparatoires n’expliquent guère cette différence d’ordre linguistique. Il en ressort seulement que lors d’un ultime examen du projet de convention, à la veille de la signature, un comité d’experts apporta "un certain nombre de corrections de forme ou de traduction", dont le remplacement de "and" par "or" dans le libellé anglais de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) (Recueil des Travaux Préparatoires, vol. IV, p. 1010). Eu égard au but et à l’objet de cette disposition, qui vise à assurer une protection effective des droits de la défense (arrêt Artico précité, série A no 37, p. 16, par. 33; voir aussi, mutatis mutandis, les arrêts Adolf du 26 mars 1982, série A no 49, p. 15, par. 30, et Sunday Times du 26 avril 1979, série A no 30, p. 30, par. 48), le texte français fournit en l’occurrence un guide plus sûr; la Cour souscrit sur ce point à l’opinion de la Commission. Par conséquent, un "accusé" qui ne veut se défendre lui-même doit pouvoir recourir aux services d’un défenseur de son choix; s’il n’a pas les moyens d’en rémunérer un, la Convention lui reconnaît le droit à l’assistance gratuite d’un avocat d’office lorsque les intérêts de la justice l’exigent.
Quoique autorisé par la loi allemande à comparaître en personne devant la Cour fédérale de Justice, M. Pakelli pouvait donc prétendre à pareille assistance dans la mesure où les conditions fixées par l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) se trouvaient remplies.
A. L’absence des moyens de rémunérer un défenseur
32.  D’après le Gouvernement, rien ne montre que le requérant n’avait pas, comme il l’affirme, les moyens de rétribuer un défenseur de son choix. Tout au contraire, il aurait déclaré lui-même devant le tribunal régional qu’il gagnait largement sa vie en République fédérale d’Allemagne. Selon les constatations du jugement du 30 avril 1976 (paragraphe 11 ci-dessus), il aurait aussi retiré des bénéfices du trafic de drogue auquel il se livrait. En outre, il aurait ouvert un commerce peu après son retour en Turquie.
La Commission estime que le Gouvernement ne saurait combattre à présent les allégations de l’intéressé. D’un côté, le droit allemand ne subordonnerait pas l’octroi de l’assistance gratuite d’un avocat d’office à l’impécuniosité du justiciable en cause. D’autre part, Me Rauschenbusch avait proposé avant les débats de produire un certificat d’indigence (paragraphe 16 ci-dessus), offre que la Cour fédérale n’accepta pas.
33.  La Cour ne peut suivre la Commission sur ce point. La question des ressources de M. Pakelli n’a joué aucun rôle dans la décision litigieuse: le rejet de la demande tendant à voir désigner Me Rauschenbusch se fondait uniquement sur la circonstance qu’aux yeux du président de la 1e Chambre criminelle de la Cour fédérale de Justice, l’affaire ne rentrait pas dans la catégorie de celles pour lesquelles la loi allemande prescrit l’assistance d’un défenseur (paragraphe 16 ci-dessus). Dès lors, on ne saurait dénier au Gouvernement le droit de contester l’indigence du requérant devant les organes de la Convention, sur le terrain de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).
34.  Il faut néanmoins reconnaître, avec le délégué de la Commission, l’impossibilité pratique d’établir aujourd’hui qu’en 1977 l’intéressé n’avait pas les moyens de rémunérer son avocat. Certains indices vont pourtant dans cette direction. Ainsi, rien ne permet de penser que Me Rauschenbusch n’aurait pas réussi à se procurer le certificat susmentionné; il importe de relever à ce sujet que son client avait subi deux ans de détention en République fédérale d’Allemagne avant de regagner son pays en 1976 (paragraphes 15 et 19 ci-dessus). En outre, M. Pakelli a fourni en 1979 à la Commission un état de ses ressources et des attestations délivrées par les autorités turques compétentes sur la base des biens et revenus qu’il avait déclarés au fisc l’année précédente; il en ressortait qu’il s’agissait d’un petit commerçant à la situation financière modeste. Ces données ont amené la Commission à lui accorder l’assistance judiciaire gratuite; le Gouvernement ne les avait du reste pas discutées (paragraphe 27 ci-dessus).
Sans doute ces éléments ne suffisent-ils pas à prouver de manière absolue l’impécuniosité du requérant à l’époque, mais compte tenu de l’offre de preuve présentée par lui à la Cour fédérale de Justice, et en l’absence d’indications nettes en sens contraire, ils conduisent à considérer comme réalisée la première des deux conditions de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).
B. Les intérêts de la justice
35.  D’après le requérant et la Commission, les intérêts de la justice exigeaient la désignation de Me Rauschenbusch comme avocat d’office pour les débats du 29 novembre 1977 devant la Cour fédérale.
Le Gouvernement plaide la thèse opposée. Pendant la phase écrite de la procédure, souligne-t-il, M. Pakelli avait eu un défenseur; quant aux audiences, les motifs de son pourvoi en délimitaient l’objet: comme il n’attaquait le jugement du 30 avril 1976 que pour vices de procédure, il ne lui était loisible ni de soulever de nouveaux griefs ni de compléter son mémoire ampliatif par la mention d’autres faits. Seuls des arguments et conclusions juridiques auraient pu être formulés en plaidoirie. Or les questions en jeu n’étaient point complexes et leur solution ne pouvait passer pour lourde de conséquences: l’instance ne pouvait déboucher sur une aggravation de la décision attaquée. M. Pakelli aurait d’ailleurs pu comparaître en personne. Enfin, la Commission aurait méconnu le rôle du parquet fédéral dans la procédure de cassation. Il consisterait à examiner les motifs du pourvoi en toute indépendance, et spécialement à veiller à l’égale application de la loi ainsi qu’à l’uniformité de la jurisprudence, en quoi il se rapprocherait beaucoup de celui du procureur général près la Cour de cassation de Belgique (arrêt Delcourt précité).
36.  La Cour constate d’abord, avec la Commission, qu’il s’agit de l’une des rares affaires dans lesquelles la Cour fédérale ait tenu audience: en matière pénale, les pourvois ne donnent lieu à débats que dans 10 % des cas (paragraphe 23 ci-dessus). En réalité, la haute juridiction avait en l’espèce l’obligation d’organiser une procédure orale puisque le recours se révélait recevable et que le parquet n’en demandait pas le rejet pour défaut manifeste de fondement (article 349 du code de procédure pénale, paragraphe 23 ci-dessus). Cela prouve que l’audience pouvait revêtir de l’importance pour la décision à rendre. Le respect du débat contradictoire devenait alors nécessaire pour garantir un procès équitable.
37.  Assurément, la Cour fédérale avait pour tâche unique de statuer sur les moyens que le requérant avait invoqués puis développés dans son mémoire ampliatif (paragraphe 13 ci-dessus), car il se bornait à dénoncer des vices de procédure (articles 344 par. 2 et 352 par. 1 du code de procédure pénale). Toutefois, la comparution de son avocat aurait permis à M. Pakelli d’expliquer ses griefs, de les préciser au besoin et d’approfondir son argumentation écrite. Il aurait notamment pu commenter l’exposé du conseiller rapporteur (article 351 du code de procédure pénale, paragraphe 25 ci-dessus). De telles occasions d’intervenir dans le déroulement de l’instance auraient eu d’autant plus de prix que le pourvoi, volumineux, avait trait à dix-neuf points différents.
D’autre part, la Commission le souligne à juste titre, l’un des griefs formulés concernait l’application de la nouvelle version de l’article 146 du code de procédure pénale. A la vérité, la 3e Chambre criminelle de la Cour fédérale avait déjà décidé, en 1976, qu’un pourvoi ne pouvait se fonder avec succès sur cette disposition que si la communauté de défenseur (paragraphe 26 ci-dessus) avait effectivement desservi les intérêts de la défense. Au demeurant, Me Rauschenbusch ne s’attaquait pas à cette interprétation. Cependant il s’efforçait de montrer qu’il existait en l’occurrence un conflit d’intérêts. En outre, l’arrêt que la Cour fédérale s’apprêtait à rendre ne s’annonçait pas négligeable pour l’évolution de la jurisprudence. Le Gouvernement signale lui-même que celle-ci se trouve fixée en la matière depuis l’arrêt qui a rejeté, le 29 novembre 1977, le pourvoi du requérant; il reconnaît que des plaidoiries consacrées à l’interprétation de l’article 146 auraient offert un certain intérêt.
38.  Dans ces conditions, il va sans dire que la comparution personnelle du demandeur n’eût pas compensé l’absence de son avocat: sans le ministère d’un praticien du barreau, il ne pouvait contribuer utilement à l’examen des questions de droit en litige, et notamment de celle qui avait trait à l’article 146 du code de procédure pénale. La Cour partage sur ce point l’avis de la Commission.
39.  Enfin et surtout, la procédure de cassation n’a pas été contradictoire en l’espèce, en tout cas au stade des audiences. Même pendant sa phase écrite, seul le parquet près le tribunal régional de Heilbronn a répondu au pourvoi de M. Pakelli, encore représenté à l’époque par Me Rauschenbusch, et il n’a pas pris position sur le bien-fondé des moyens (paragraphe 14 ci-dessus). Quant au parquet fédéral, et quel que soit son rôle exact dans la procédure de cassation, la législation allemande permettait à la partie demanderesse d’en combattre les réquisitions (article 349 par. 3 du code de procédure pénale, paragraphe 23 ci-dessus). Dès lors, si la Cour fédérale n’avait pas décidé de tenir audience il aurait formulé ses conclusions par écrit et les aurait communiquées à M. Pakelli. Ce dernier aurait eu ainsi l’occasion de les étudier et d’y répliquer au besoin; il le relève à bon escient.
Cette faculté de contredire le parquet, il aurait par conséquent fallu la lui offrir aussi pour les débats. En refusant de le doter d’un défenseur, la Cour fédérale l’a privé, pendant la phase orale de la procédure, de la possibilité d’influer sur l’issue du litige, possibilité qu’il aurait gardée si l’instance s’était déroulée entièrement par écrit.
40.  Dans ces conditions, la Cour estime avec la Commission que les intérêts de la justice exigeaient d’accorder au requérant l’assistance d’un avocat d’office pour les débats devant la Cour fédérale.
C. Conclusion
41.  Il y a donc eu violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
42.  Le requérant invoque aussi, à propos des mêmes faits, le paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6 par. 1):
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans les circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice."
Le Gouvernement ne présente pas d’arguments distincts à ce sujet.
D’accord avec la Commission, la Cour rappelle que les dispositions de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) revêtent le caractère d’applications particulières du principe général du procès équitable, énoncé au paragraphe 1 (art. 6-1) (arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, p. 30, par. 56). Partant, la question du respect du paragraphe 1 (art. 6-1) n’a pas de portée propre dans le cas du requérant; elle se trouve absorbée par celle de l’observation du paragraphe 3 c) (art. 6-3-c). La constatation d’un manquement aux exigences de celui-ci dispense la Cour de se placer de surcroît sur le terrain de celui-là (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Deweer précité, série A no 35, pp. 30-31, par. 56).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
43.  M. Pakelli réclame une satisfaction équitable en vertu de l’article 50 (art. 50). Il prie d’abord la Cour d’annuler l’arrêt de la Cour fédérale de Justice, du 29 novembre 1977, et d’enjoindre au Gouvernement d’en désapprouver officiellement certains passages, inacceptables selon lui parce que racistes et discriminatoires. En second lieu, il s’en remet à "l’appréciation de la Cour pour une juste indemnité" au titre du dommage moral qu’il aurait subi. Il revendique enfin le remboursement des frais et dépens qu’a entraînés la procédure suivie devant la Cour constitutionnelle fédérale; il les chiffre à 668 DM 96.
44.  Le Gouvernement conclut au rejet de ces diverses prétentions. La Cour fédérale de Justice n’aurait en aucune manière lésé le requérant par son refus de lui désigner un avocat d’office et les motifs de sa décision ne mériteraient pas les critiques formulées par lui à leur encontre. Quant aux frais et dépens de la procédure devant la Cour constitutionnelle, il ne serait pas établi que l’intéressé ait eu à les supporter; leur montant ne correspondrait du reste pas exactement au barême applicable à l’époque.
45.  La Cour estime que la question se trouve ainsi en état (article 50 par. 3, première phrase, du règlement).
Elle constate, à propos de la première demande, que la Convention ne lui attribue compétence ni pour annuler l’arrêt de la Cour fédérale ni pour ordonner au Gouvernement de désavouer les extraits incriminés (voir, mutatis mutandis, les arrêts Marckx du 13 juin 1979, série A no 31, p. 25, par. 58, et Dudgeon du 24 février 1983, série A no 59, p. 8, par. 15). Sans porter aucun jugement sur lesdits extraits, elle ajoute qu’ils ne sauraient passer pour la conséquence de l’infraction à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).
46.  Du préjudice moral invoqué, Me Wingerter ne démontre pas l’existence et n’indique pas même la nature; le Gouvernement le souligne à juste titre. Rien ne prouve que M. Pakelli ait ressenti, en raison de l’absence de défenseur, une impression pénible d’isolement, de désarroi et d’abandon (arrêt Artico précité, série A no 37, p. 21, par. 47); en vérité pareille hypothèse paraît peu plausible puisqu’il avait regagné son pays dès le mois d’août 1976. En tout cas, le tort moral allégué a déjà donné lieu à une réparation suffisante grâce au constat de violation figurant dans le présent arrêt (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 18 octobre 1982, série A no 54, p. 8, par. 16).
47.  Les frais et dépens dont on réclame le remboursement ont été engagés pour essayer de faire corriger par la Cour constitutionnelle fédérale le manquement aux exigences de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) (arrêt Dudgeon précité, série A no 59, p. 9, par. 20). Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas. Il s’agirait cependant de décaissements du conseil du requérant et non de ce dernier: Me Wingerter aurait renoncé à rentrer dans ses fonds et, au demeurant, ne pourrait plus recouvrer sa créance, pour cause de prescription.
De fait, M. Pakelli n’a pas rémunéré jusqu’ici son avocat pour l’avoir représenté devant la Cour constitutionnelle fédérale: Me Wingerter ne lui a envoyé sa note que le 7 février 1982; il a précisé qu’il l’autorisait à différer le paiement, eu égard à ses embarras d’argent. Dans un mémoire du 16 juin 1980 à la Commission, il avait signalé qu’il n’avait pas encore reçu d’honoraires au titre de ladite procédure, et qu’il n’en avait nullement demandé ("ein Honorar gar nicht erst gefordert") car il savait son client sans ressources.
Aucune renonciation ne se dégage pourtant de ces déclarations, ni des autres pièces du dossier, avec la netteté voulue. En réalité, le délégué de la Commission l’a souligné à bon escient, on ne saurait s’étonner de ce que Me Wingerter, connaissant la situation financière du requérant, ait résolu de ne pas adresser plus tôt à celui-ci un relevé de ses honoraires (arrêt X contre Royaume-Uni du 18 octobre 1982, série A no 55, p. 18, par. 24). La Cour relève à cette occasion, avec le délégué, que dans une affaire relative aux droits de l’homme un avocat sert l’intérêt général quand il consent à représenter ou assister un justiciable même si celui-ci se trouve hors d’état de le rétribuer dans l’immédiat.
Quant au moyen tiré de la prescription de la créance de Me Wingerter, il ne revêt pas un caractère d’ordre public et seul M. Pakelli lui-même aurait qualité pour l’invoquer.
Statuant en équité, la Cour estime raisonnable le montant de 668 DM 96 réclamé pour frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 6 (art. 6-3-c) de la Convention;
2. Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle du paragraphe 1 du même article (art. 6-1);
3. Rejetant la demande de satisfaction équitable pour le surplus, dit que l’État défendeur doit verser au requérant six cent soixante-huit marks quatre-vingt-seize (668 DM 96) pour frais et dépens.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le vingt-cinq avril mil neuf cent quatre-vingt-trois.
Gérard WIARDA
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* Note du greffier: Il s'agit du règlement applicable lors de l'introduction de l'instance.  Un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983 l'a remplacé, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.
AFFAIRE GOLDER c. ROYAUME-UNI
ARRÊT PAKELLI c. ALLEMAGNE
ARRÊT PAKELLI c. ALLEMAGNE


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 8398/78
Date de la décision : 25/04/1983
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-3-c ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale

Analyses

(Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) PROCES ORAL, (Art. 6-3-c) ASSISTANCE D'UN DEFENSEUR DE SON CHOIX, (Art. 6-3-c) ASSISTANCE GRATUITE D'UN AVOCAT D'OFFICE


Parties
Demandeurs : PAKELLI
Défendeurs : ALLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1983-04-25;8398.78 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award