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14/10/1986 | CEDH | N°10978/84

CEDH | STOUTT c. IRLANDE


T'he Commission conaiders, in the light of the parties' submissions, that the above complaints of discriniination raise complex issues of fac, and law under the Convention, the determination of which should depend ou examination of tkie merits of the case . Is concludes, th erefore, that this part of the applicati on cannot be rejected as manifestly ill-founded wi th in th e meaning of Article: 27 para . 2 of the Convention . F'or these reasons, the. Commission
1 . DECLARES ADMISSIELE, without prejudging to the merits of Ihe case, the applicant's complaints under Article 14 in conjunclion w

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T'he Commission conaiders, in the light of the parties' submissions, that the above complaints of discriniination raise complex issues of fac, and law under the Convention, the determination of which should depend ou examination of tkie merits of the case . Is concludes, th erefore, that this part of the applicati on cannot be rejected as manifestly ill-founded wi th in th e meaning of Article: 27 para . 2 of the Convention . F'or these reasons, the. Commission
1 . DECLARES ADMISSIELE, without prejudging to the merits of Ihe case, the applicant's complaints under Article 14 in conjunclion with Article 8 concerning the absence of inheritance rights on intestacy over the estatas of her father and lier parents' near relative s 2 . DECLARES INADMISSIBLE the remainder of the application .
(TRADUCTION) EN F.1IT La requérante, Mme Mary Catherine STOUTP, née en 1937, est une Irlandaise habitant actuellement en Aria,leterre . Elle est représentée de:vant la Commission par Nlm° Mary Robinson, S .C ., sénateur, M . E-cus Stewait, S .C ., e : M . K . O'Brien du cabinet Bowler, Geraghty et Cie, solic.itors à Dublin . Lors d'une audience devant la High Court les 12 et 13 janvier 198?, il a été étibli par témoignages que la requérante est née hors rm .riage et qu'elle est la Elle de M . William Walker, décédé, intestat en 1975 . Vers 1935/1936, la m8re de la reqiuérante, Mmr Mary Pelmer, que son tnari avait quittée, eur une liaison avec M . Walker et vécut avec lui jusqu'au décès de celui-ci en 1975 . La requérante est le premier enfant né de celte liaison ; les cieux autres sout décédés en 1949 et 1966 .
La requérante contracta mariage en P958 et s'installa en Angleterre . Elle a deux enfants nés en 1960 et 1963 . Elle affirme que son père leur rendait de fréquentes visites dans leur inaison familiale en Angleterre . Lorsquc son p@re décéda en 1975, il laissait une succession évaluée il environ 1 .600 £ . En sa qual9té de proche pare.nte, 157
la sœur du défunt, Florence O'Brien, demanda au service des successions de la nommer adtninistrateur de succession . Le 7 octobre 1975, la requérante fit opposition à cette demande . La sœur de son père engagea alors une procédure demandant au juge de léver l'opposition et de lui donner la faculté de demander sa nomination à l'administration de la succession . Dans sa défense, la requérante demanda au tribunal de déclarer qu'elle était la descendante de M . Walker et avait droit à revendiquer une part de la succession . Vu les faits de l'espèce, si la requérante devait être considérée comme «descendante » au sens de l'article 67 de la loi de 1965 sur les successions, elle devait recevoir l'intégralité de la succession, puisqu'il n'y avait pas de conjoint survivant du défunt . A titre subsidiaire, la requérante soutenait que les articles pertinents de la loi sur les successions, qui régissent le partage d'une succession ab intestat (art . 67 et 69) étaient entachés'de nullité, vu les dispositions de la Constitution . (" ) Notification fut donnée au Procureur général en novembre 1981, conformément à l'article 60 du Règlement des Cours suprêmes . Une fois établi devant la High Court que la requérante était la fille du défunt, la procédure opposa la défenderesse et le Procureur général sur l'interprétation et la validité constitutionnelle des dispositions pertinentes de la loi de 1965 . Dans un arrêt de la High Court du 19 avril 1982, lejuge D'Arcy déclara d'une part que la défenderesse (la requérante) n'avait pas le droit de succéder ab intestat car elle n'était pas la adescendante» au sens de l'article 67 de la loi de 1965 et . d'autre parl, que les articles 67 et 69 n'étaient pas contraires à la Constitution . La requérante forma un pourvoi devant la Cour suprême, laquelle confirma la décison du juge D'Arcy sur les deux points litigieux . L'arrêt du 20 janvier 1984, prononcé par lejuge Walsh au nom de la Cour, déclara que (1) l'expression «descendanh s'interprétait du point de vue de la loi comme se référant uniquement à l'enfant né dans le mariage ; et (2) les articles 67 et 69 de la loi de 1965 ne sont pas contraires au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 40 par . 1 de la Constitution . La (') 67 . I . Si la personne qui décède intestat laisse un conjoint et pas de descendant, le conjoint hérite de l'intégralité de la succession . 2 . Si le de cujus intestat décéde en laissant un conjoint et un descendant : a . le conjoint reçoit lcs deux Gers de la soccession e l b , le resle est réparti enae les descendants conformément à l'alinéa 4 3 . Si le de cujus intestat décède cu laissant des deseendants et pas de conjoint, Ia succession est répartie entre les descendants wnforinément à l'alinéa 4 . 4 . Si les dcsccndants sont à un degré égal de parenté avec le défunt, la répartition se fera entre eux par parts égales ; s'ils ne le sont pas, elle se fera par souche . 69 . I . Si le de cujus intestat décède en ne laissant ni conjoint, ni desecndant, ni parent, sa succession sera répartie entre ses frères et somrs par parts égales ; si l'un ou l'autre des frères et s¢urs ne survit pas à l'intestat, les enfants aurvivants du frère ou de la sœur décédés se verront dévolue, lorsqu'un autre ftére ou sœur du défunt lui survit, la part que leur parent aurult coe s'il ou elle avait survk :u à l'inte.qat et ils se la partageront par portions égales . 2, Si Ic de cujus inteslut ne laisse ni conjoint, ni descendant, ni parent, ni frère ni ssur, sa soccession sera dévoluc pzr portions égulcs cntm lesenfants de ces frères etsaurs .
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différence de traitcmcnt entre enlànt né hors mariage et enfant légitime ne saurait être censidérée comme déra.isonnable, injuste ou arbitraire puisque son objectifest de maintenir la primauté de la famille, que protège tout particulièrement l'article 41 de la Con~titution .
Après le jugemcnt et l'arrêt de la Cour suprême, rien n'empêcbail plus Florence O'Brien de prendre l'administration de la succession et de répartir celle-ci entre Ics parents les plus proches dela manière prévue à l'article 69 de la loi de 1965 . Outre son incapacité à hériter ab intestat de son père, la requérante voit ses droits successoraux également linités du côté de sa mère . Elle ne pourrait hériter de sa tnère décédant intcstat que a'il n'y avait pas de descendant légitime survivant (loi de 1931 sur les enfanLlégitimes, art . 9 par . I) .
Or, le père de la requérante a deux smurs qui lui ont survécu et la mère de la requérantc vit tonjours . Sa mère a trois smurs qui sont inariées et ont des enfants . GRIE F S Sur i'articlc 8 La requérarite soutient que 1cs aspects suivants de 1a législation irlandaise sont contra,res à l'article 8 de la Convention : (1) l'absence de reconnaissance de l'entité familiale (lans laquelle elle a grandi ; (2) l'absence de toute proc :dure permcttant de faire établir la paternité, ce qui faciliterait le développement d'une relation normale pareno-enfant entre un père et soi enfant illégitime» ; (3) son exclusion [otale, de tout droit à la succession de son père ; (4) le car.tctère inférieur des droits successornux de la requérante vis-à-vis de sa mère et l'absence de tout droit a hériter d'autres parents, tant en ligne paternelle que maternelle .
S ur J'artic[e 1 4 La re .quérarte soutient que Ir discrimination prévue par la loi en matièrs de succession ab intestat constitue une discrimination injus :ifialble à raison de la naissance, ce qui est contraire à l'article 14 . La requérante n'a été privée de, tout droit 3'héi-iter qu'en raison de son statut de pccrsonne née hors mariage . En l'absence d'enfant « légilinie» pouvant hériter en qmilité de =descendatm, la succession a été dévolue aux personnes jugées être les parents de son père selon la loi irlandaise, à savoir les sceurs et les enfants d'un frère décédé . La requérante allègue l'existence dun autre motif de discrimination en droit irlandais s'agissant de ses droits successoraux inférieurs vis-à-vis de sa mère et son absence totale de droit d'héritez ab intestat des parenls pro~hes, tant en ligne patermlle que ntaternelle . La requérante soutient que Ics conclusions tirées dan s l'affaire,Marckx touchant au drcit d'un en-ant «illégitime» à hériter de sa mère clécédée ab intestat et à se s
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droits vis-à-vis des proches parents de sa mère, s'appliquent également à un père naturel lorsque la paternité a été établie (Cour . Eur . D .H ., arrêt du 13 juin 1979, série A n° 31, par. 59) . L'objet de la requête La requérante réclame une satisfaction équitable s'agissant des violations susdites et une modification de la législation pertinente .
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION' La requête a été introduite le 30 mai 1984 et enregistrée le 4 juin 1984 . La Commission l'a examinée le 16 mai 1985 et a décidé de la porter à la connaissance du Gouvernement défendeur pour obtenir ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs de la requérante . Les observations du Gouvernement sont parvenues à la Commission le 26 septembre 1985 et la réponse de la requérante le 13 novembre 1985 .
La Commission a procédé à un nouvel examen de la requête le 5inars 1986 et décidé de tenir une audience sur les griefs tirés par la requérante de l'article 14 combiné avec l'article 8, touchant à l'absence du droit d'hériter ab intestat de son père ou des parents proches de ses père et ntère . L'audience a eu lieu à Strasbourg le 14 octobre 1986 et les parties y étaient représentées comme suit : Pour le Gouvernemen t Mll" Jane Lidd y M . Dermot Gleeson Me James O'Reilly M . Matthew Russell
Agent, du ministère des Affaires étrangères Conseil principal Avocat Cabinet de l'Attorney General, consei l
Pour (a requérante Sénateur Mary Robinson M . Ercus Stewar . Kieran E . O'Brien tM
Conseil principal Conseil principal Solicito r
RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS Le Gouvernement défendeur Législation et pratique interne s
La Constitution irlandais e L'article 41 de la Constitution d'Irlande (1937) prévoit que : - l'Etat reconnaît la famille comme le groupement primaire, naturel et fondamental de la société et comme une institution morale possédant des droits inaliénables et imprescriptibles, antérieurs et supérieurs à toute loi positive ; 160
-- à cet effet, l'Etat garantit la protection de la Constimtion et de l'autorité de la famille, base nécessaire à l'ordre social et indispensable au bien-être de la Nation et de l'Etat ;
-- l'Etat piomet solennellement de veiller avec one attention particulière à l'institution du mariage sur 7aquel le se fonde la famille et de la protéger contre toutes les attaques . La Cour suprêtne, interprétant les dispositions ci-dessus, a déclaré que : -- Ies parents d'un entànt a oaturel+ et l'enfant lui-ntême ne constituent pas une famillo au sens de l'article 41 [Tbe State (Nicolaoul v . An Bord Uchtala 1966 I.R . 367] ; -- un enfant «namrel» a dea droits naturels ncn dénombrés mais prolégés par l'artic-.e 40 par . 3 (qui traite d'uue manière générab, des droits de la personne), tel que le droit d'être nourri et de vivre, d'être élevé et imatruit, cl'avoir la possibilité de travailler et d'épanouir sa personnalité et sa dignité en tant qu'être humain ; et cet enfant bénéficiera au rega :rd de la Constitution des mi droits naturels qu'un enfant «Iflgitime» pour une instruction religieuse et morale, intellectuelle, physique et sociale (G . v . An Bord Uchtala 1980 I .R . 32) . Etat civil (naissancesy La loi sur i'enregistrement des naissances d'enfants «namrelsv auto ri se l'officier d'état civil à inserire, sur demande conjointe de la mère et de la personne qui dit être le père de l'enfant, le noa de cette personne comme père . En pareil cas, père et mère signent tous deux le registre . La loi figure dans la loi de 1863 sur l'état civil en Irlande, telle qu'amendée par la loi de 1880 po rt ant même titre . Il est également prévu de délivrer une forme abrégée d'extrait d'acte de naissance omett ant l'inforrnation sur les parents de l'enfant . Droits successoraux I-e législation concernant les droits de succession est la suivante :
- «Lorsque la mère d'un enfant naturel décède intestat sans aucun descendant légitirne, l'enfant naturel ou, s'il est mort, son descendant, peat revendiquer sur la succession la part que lui-même ou son descendant aurait cu sil était né légitime» (loi sur les enfant légitimes, 19 M , article 9, par . L .) ; - l'enfant «naturel H n'a aucun droit à hériter de son père car, ont déclaré les tribunaux, l'expression «descendant» figurant dans les articles pertinents de la loi de 1965 sur les successions se réfère uniquement aux descendants «légitimes~ : Dans la procédure eng,agée par la requérante, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de ces dispositions de la lei sur les suecessions, déclarant qu'elles ne'méeonnaiss€nt pas le principe d'égalité devant ialoi et qu, ce traitement différentiel entre enfani :s uest pas nécessairement déraisonnable, injuste ou arbitr.aire,-vu la protection donnée par la Constitution à la -Lamille fondée sur le mariage
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- l'époux coupable d'avoir abandonné sa famille depuis deux ans ou plus et jusqu'à la mort du conjoint n'a droit à aucune part de la succession de ce dernier, laquelle est répartie comine s'il était décédé avant le de cujus (article 120 de la loi de 1965 sur les successions) ;
- un enfant «naturel» n'a légalement aucun droit à hériter des proches de ses père et mère . Proposition de réforme de la législatio n En septentbre 1982, la Contmission de réforme des lois a publié un rapport sur les enfants naturels en droit irlandais, qui recommande la suppression de la discrimination entre enfants légitimes» et ~ naturels », ainsi que diverses modifi cations à la législation . Le 24 octobre 1983, le Gouvernement a annoncé son intention de mettre en aeuvre la plupart des réformes proposées . En mai 1985, le Ministre de la Justice a déposé devant chacune des Chambres du Parlement un mémoire intitulé n le statut de l'enfanb . Son but était d'informer les personnes intéressées de la nature et de l'ampleur des principales modifications que le Gouvernentent envisageait d'apporter à la législation . Le Gouvernement invitait à commenter les propositions . Le texte du projet de loi sur le statut de l'cnfanl, annexé au mé inoirc, propose notaminent qu'aux fins de la loi de 1965 sur les successions, le lien entre un individu et ses père et mère soit, sous réserve de l'article 27A, fixé sans tenir compte du point de savoir si le père et la mère sont ou ont été mariés l'un à l'autre et que tous les rapports soient déterminés en conséquence et le mot adescendantv interprété en conséquence . Lorsque le conjoint ou les enfants (qu'il s'agisse d'enfants nés du mariage ou autreinent) ont apporté une contribution importante à la succession du de cujus, la réforine proposée prévoit que la High Court pourrait décider l'a tt ribution d'une pa rt supplémentaire dans le cas où l'application des règles générales conduirait à une injustice . Parmi les propositions figurent des dispositions selon lesquelles le père d'un enfant né hors mariage peut se voir accorder la garde complète de l'enfant . Le Gouvernement envisage dc revoir le projet de loi en octobre 1986, à la lumière des observations reçues entre-temps des intéressés, avant d'en saisir le Parlement .
Recevabilité et bien fondé Sur 1'article 8 Le Gouvernemcnt soutient que la Cominission n'est pas compétente ratione teinporis pour examiner ce grief. Elle ne peut pas, en effet, examiner une allégation concernant, la protection juridique de la vie familiale en lrlande il y a trente ou quarante ans . La Cominission n'a pas la faculté non plus d'appliquer les principes énoncés en 1979 par la Cour européenne des Droits de l'Hoinme dans l'affaire Marckx en 1979 à un régime juridique existant enIrlande il y a trente ans (Arrêt du 13 iuin 1979) .
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En outre, dans la mesure où les griefs de la requérante concernent l'effet sur sa vie privée et familiale de savocation successorale inférieure à l'égard de sa mère et des proches de ses père et mère, elle n'e pas épuisé les recours internes . En effet, elle n'a pas attaqaé ces incapacités devan .t les tribunaux internes en invoqaant les droits l'ondamentaux de la personnc tels qu'établis par le ; droit irlandais . A ti re subsidiaire, la requérante n'esrc pas une victime au scns où l'exige, l'Article 25 . II i-essort clairement du aimpte rendu de l'audience devant la Higi Court que son seul souei en engageant la procédure était d'ootenir tine reconnaissance de paternité . Elle renonce à tout intérêt pour la petite somtne d'argent laissée par son père . Ce oui revient dans ces conditions à inviter la Commission à exaniiner in abstracto les dispositions de1a loi de 1965 sur les succ.essions . En effet, la procédure devant la High Court a eu pour ré~ultat de donner à la requéranle la reconnaissance dc paternité qu'elre recherchait . Par aillemrs, le proiec de loi sur le statut de l'cnfemt, dont le Parlcment irlandais est saisi à 1'heure actuelle, modifie la loi de 1965 sur les successions en mettant à égalité dr point de vue successoral les enfanti-nés dans le mariage et les autres et en considérant les enfants nés hors mariage comme des adeseendantsh . En outre, le noin du père a été mentionnfsur l'acte de naissance de la requérante et, dans la procédurr interne, la Cour cuprtane a ordonné te paiement par l'Elal de l'ensemble des frais .
Sir le fond, le Gouvernement fait valoir que l'articte 8 ne renferme pas un droit absolu à hériter ci renvoie à cet égard au paragraphe 53 de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Marckx (loc .cit.) . S,zr f'article 1 4 La mère de la requérante est âgée de 75 ans et n't pas d'autre enfant que la requérante . Celle-ci peut dès lors hériter de sa mère conformément à l'arti .le 9 de la loi de 1931 sur les enfants légitimes . Elle ne peut donc pas se prétendre vieome d'une discrimination à cet é .gard . Gn tte sait pas si la mère de la requérante s'esl jamais efforcée de régularîser sa situation maritale du vivanlde Williatn Walker, ncnob[nant que son mari obtienne en Angleterre un divorce susceptible d'être reconnu en ? :rlande . Le Gouvemen-ient fait valoir . en irrnoquant la décision de la Commission sur la requête No 951 9/81 (déc . 15 .3 .84, non-publiée), qu'il ne saurait y avoir violation de l'article 14 lorsque des mesures auraient pu être prises pour régulariser la situation et éviter ainai l'effet des dispositions législatives dont on se plaint. Le Gouvernement fait valoir en outre que l'ar .icle 8 ne prévoyant pas en soi de droit à hériter, il ne se pose aucune question de disicrimination au regard de I'aji clc 1" .
Le Gouvernetnent soulient que la requérante cherche à faire appliquer rétrnactivement à son cas les principes énoncés Dar la Cour dans l'affaire Marckx . La Cour 163
a reconnu que les différences de traitement entre enfants «légitime.s» et « naturels » ont longtemps passé pour «licites et normales» dans beaucoup d'Etats contractants . Selon le Gouvernement, la différence de droits patriinoniaux constatée entre enfants «légitimes» et «naturels» a un caractère proportionné et se justifie historiquement pour des raisons d'intérêt général, parmi lesquelles la sécurité juridique et la protection de la fainille fondée sur le mariage .
Enfin, Ic Gouvernemenrsouligne on se référant à]'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Rasmussen, que les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle tnesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique (Cour Eur . D .H ., arrêt du 28 novembre 1984, par . 40) . En l'occurrence, le Gouvernement n'â pas dépassé cette marge d'appréciation . Nonobstant l'arrêt Marckx, on ne saurait dire que la situation décidée par le législateur en 1965 n'était pas défendable alors . La requérante Sur l'article 8 Si l'on considère généralement que la protection dc la vie familiale garantie par l'article 8 s'étend à l'entité familialc, composée de parents et d'enfants à charge, il y a des cas où la protection de la vie familiale peut aller au delà de cette situation de fait. La notion est assez vaste pour englober la relation existant entre les membres d'une famille au sens large . A cet égard, la requérante était certes mariée avant le décès de son père mais elle n'avait pas pour autant rompu les liens avec sa famille d'origine . Elle est demeurée en contact étroit avec sa mère et son père après son propre mariage et l'installation de son foyer en Angleterre . Son père lui a souvent rendu visite en Angleterre et a instauré d'étroites relations avec ses petits-enfants .
Sur l'article 1 4 La requérante soutient qu'en droit irlandais, elle n'aurait pas qualité (locus standi) pour engager une procédure constitutionnelle devant les tribunaux et revendiquer ses droits sur la succession de sa mère ou celle des proches de ses parents . Cette procédure ne pourrait d'ailleurs aboutir qu'à faire examiner ses revendications si ces proches parents étaient décédés . Sur le fond, la requérante fait valoir, en se référant au paragraphe 45 de l'arrêt Marckx, que la notion de vie familiale au sens de l'article 8 « englobe pour le moins les rapports entre proches parents, lesquels peuvent y jouer un rôle considérable, par exemple, entre grands-parents et petits-enfants» . Si ces rapports peuvent s'étendre aux grands-parents et petits-enfants, ils doivent également s'appliquer à la relation père-fille même lorsque la fille est adulte et peutêtre mariée . En outre, dans l'affaire Marckx, la Cour a également admis expressément la thèse que les droits patrimoniaux relèvent de la vie familiale (loc .cit ., par . 51-52) . 164
t .e. Cour a ég .rlenient co-tclu dans l'affaire Marckx que, s'agiasant de droits successoraux, la discritnination touchant l'enfant «naturel» était dépourvue dejustification obiecti .ve et raisonnable, et de ce fait contraire à larticle 14 eontbiné avec l'article 8 . Ce coristat ne se fondait pas sur des circonstances de dépendanee d'un jeune enfant au sein d'une evitité fainiliale, mais srir la naturc de la discrimination fondée sur la naissance qui, elle, n'avait pas dejustification objective ni raisonnable . Eu l'espèce, le Gouvereement u'a pas avancé d'argmnents pour justifier la différence de traiteinent à]'é :gard de la requérante . La référence à la requéte No 9519/8il (loc .cit .) n'a rien à voir ici puisque les parents de la requérante n'ont pas choisi de ne pas se rnarier : en e.ffet, le droit irlandais n'offrait aucune possibilité à la mère de la requérante de dissoudre son mariage existant et de se remarier . On ne saurait soutenir que la discrimination est cffective en ce sens qu'elle dissuade les relations hors mariaee puisq'ue les éléments du dassier prouvent un accroissement du nombre d'enfants nés hors mariage en Irlande . Au demeurant, la Cour a ndiqué clairement dans l'arrêt Marckx que si l'encouragement de la famille traditiormelle est en soi un bui légitinie, les mesures prises pour y parvenir ne (loivcnt pas léser la famille «naturelle» (par . 40) . En outre, si les dispositions discriminatoires ont pôur but de orotéger la famiIle fondée sur le inariage, la mesure doit être considcrée comme disproportionnée en l'espèce puisqu'il n'existe pas d'enfant «légitime» à protéger . Enfin, l'cxcluuion de la requérante des droits de succession est fondamentalement injuste püisqu'elle cquivauc à punir l'intéressée du fait d'autrui . Exclure cles enfants i-inocents ou, coinme c'esi : le cas pour la présente requérante, des enf•ants innocent :; qui ont at:eint la maturité, en raison sitnplernent du statut de leurs parents à l'époque de leur naissance est arbitraire, déraisonnable et injtistiGé .
EN DROI T 1 . La requérante, née hors mariage en 1937, se plaint de ce que les aspects suivants de la législalion irlandaise sont conti-aires à l'article 8 de la Conventiôn : a . la législation irlandaise ne reconnait pas l'entité familiale dans laquelle elle a grandi ; b . il n'y a pas en droit irlandais de procédure perntettant :3e faire éta.blir la palernité pour faciliter une relation normale parent-enfant er,tre un père et son cnfant né hors mariagc I c . la requérante n'a aucun droit de succession 1 l'égard de son père décédé inb9stat ;
d . elle a vis-à-vis de sa mère des droits successoraux inféreurs . elle n'a au .un droit à hériocr ab intestat des proches parents de sespère e t ;e mère .
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La requérante se plaint en outre de ce que l'absence de droit d'hériter ab intestat de son père et des proches parents de ses père et mère constitue une discrimination injustifiable en raison de la naissance, contraire à l'article 14 de la Convention .
De son côté, le Gouvernement défendeur soutient notamment que la Commission n'a pas compétenec pour exaininer la requête puisque celle-ci concerne, à propos de la vic familiale de la requérante, un régime juridique antérieur à l'entrée en vigueur de la Convention . Il fait valoir en outre que Ia7equérante n'a pas épuisé les recours internes devant les juiidictions irlandaises puisqu'elle n'a formé aucun pourvoi constitutionnel concernant ses droits sur la succession de sa mère ou celle des proches de ses père et mère . Enfin, le Gouverneinent soutient que la requérante n'a pas la possibilité de se plaindre de l'actuelle situation juridique en Irlande touchant au respect d'une vie fantiliale qui n'existe plus et qu'elle ne saurait donc être considérée comme une victime à cet égard . Selon la requérante, la protection offer(e par l'article 8 englobe non seulement les relations familiales existant pendant sa jeunesse, mais aussi les liens qu'implique la famille élargie . Elle prétend également qu'elle n'avait pas de locus standi pour engager une procédure constitutionnelle pour exposer ses griefs quant aux droits d'hériter de sa mère et des proches de ses père et mère . a . Sur l'article 25 par . 1 La partie pertinente de cette disposition se lit ainsi : « La Commission peut être saisie d'une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvcrneinentale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la présente Convention . . . »
La Commission estime que les griefs formulés par la requérante (a) et b) supra) concernent le régime juridique prévalant en Irlandc lorsqu'elle était jeune et relatif aux relations familiales existant pendant cette période entre elle-même et feu son père. Le grief concernant une vie familiale qui a cessé d'exister depuis longteinps, son auteur ne peut être considéré comme une victime au sens de l'article 25 par . 1 de la Convention . La requérante s'est plainte également ( d) supra) du caractère inférieur de ses droits successoraux à l'égard de sa mère . La Commission rappelle à cet égard que la requérante ne peut hériter de sa mère que s'il n'existe pas de descendant alégitime» survivant (article 9 par . 1, loi de 1931 sur les enfants légitimes) .
En l'espèce cependant, rien n'empêche la requérante d'hériter de sa mère puisqu'il n'existe en réalité aucun descendant «légitime» survivant . La requérante ne saurait dès lors être considérée comme une victime sur ce point puisqu'elle ne subit aucun préjudice en raison de la disposition législative attaquée .
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La Commission estinte en conséquence que les griefs in(liqués sous a), b) et d) supra doivent ètre rejetés comne incoinpatibles ratione perscnae avec la Convention, au sens de l'article 27 par . 2 de Ia Convention . b . 5'ur l'épuisemeru cfes vo,és de recours internes Le Gouvernement a soutenu sur ce point que la requéranle avait lé possibilité de formér un pourvoi constitutionnel potrr exposer le grief e) ci-dessus, concernant l'absence de tout droit à hériter des proches parents de ses père et mèie . .a requérante a répliqué que ce recours ne lui serait pas ouvert puiscu'elle ne répond pas à la condition du locus standi prévu en droit irlandais .
Selon l'article 26 de la Convention, la Contmission ne peut examiner un grief ,qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus . . . n . Selon la jurisprud~,nce de la Commission, un requérant est tenu de faire +un usage normal» des recours vraisemblablement efficaces et suffisants pour porter rernède à ses griefs (Donuelly et autres c/Royaume-Uni, D .R. 4 pp . 4, 151) . 13n l'espèce, la Cour supr€ame d'Irlande a confirmé la constitutionralité des articles 65 et 69 de la loi (le 19(i5 sur les successions, estimarit notamment que le traiternenit différentiel entre enfamts ne méconnaît pas le prircipe constitutionnel d'égalité puisque son objet est dc protéger la primauté de la Aarnille fondée stir le mariagc . A la lumière de cette décision, la Commission n'estime pas, à supposer tnême que la requérante ait eu le locus standi nécessaire, que le Gouvernement défendeur ait montré qu'il existait en droit irlandais des recours vraisemblablement efficaces pour porter remède à ce grief (vor mutatis mutandis R . Johnston et autres c/Irlande, No 9 ( 97/82, rapport Cornrn . 5 ._ ~ .85, pp . 61-63) . En conséquence, la Commission n'estime pas que le grief indiqué sous e) puisse être rejeté pour défaut d'épuisement des recours internes .
Sur l'articLe 8 La requérante soutient que les autres griefs, ( c.) et e; supra) eoncernant l'absence pour e.!le de droit d'hériter ab intestat de son père et des proches parents de ses père et mère constituent une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale, que protège l'article 8 de la Convention . .1 est ainsi libellé : .L'article8p
,
.
«Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance . v La Commission remarque tout d'abord que si, dans l'affaire Marckx, la Cour europFenrie des Droits del'$omme a estimé que les droits patrirnoniaux relèvent de
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l'article 8 de la Convention, elle n'a pas considéré que cette disposition confère véritableinent un droit d'hériter .
La Cour s'est exprimée en ces termes : aLe domaine des successions - et des libéralités - entre proches parents apparaît intimement associé à la vie familiale. Celle-ci ne cotnprend pas uniquentent des relations de caractère social, moral ou culturel, par exemple dans la sphère cle l'éducation des enfants ; elle englobe aussi cles intérêts inatériels, coinnte le ntontrent notamment les obligations aliinentaires et la place attribuée à la réserve héréditaire dans l'ordre juridique interne de la majorité des Etats contractants . Si les droits successoraux ne s'exercent d'ordinaire qu'à la mort du de cujus, donc à un moinent où la vie familiale change ou même se dissout, il n'en découle pas que nul problème les concernant ne surgisse avant le décès : la succession peut se régler et, en pratique, se règle assez souvent par testament ou avance d'hoirie ; elle constitue un élément non négiigeable de la vie fainiliale53 . L'article 8 n'exige pas pour autant qu' un enfant ait droit à une certaine part de la succession de ses auteurs voire d'autres proches parents : en matière patriinoniale aussi, iï laisse en principe aux Etats contractants le choix des moyens destinés à permcttre à chacun de mener une vie familiale normale (paragraphe 31 ci-dessus) et pareil droit n'est pas indispensable à la poursuite de celle-ci . En conséquence, les limitations apportées par le code civil belge à la vocation successorale d'Alexandra Marckx ne se heurtent pas à la Convention en elles-mêmes, c'est-à-dire indépendamment du motif dont elles s'inspirent» (arrêt du 13 juin 1979, série A n" 31, par . 52-53) .
Eu égard à ces principes, la Commission n'estime pas que les incapacités successorales indiquées sous c) et c) supra constituent une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie familiale . Dès lors, les autres griefs tirés par la requérante de l'article 8 doivent être, eux aussi, rejetés comme manifestement mal fondés au sens de l'article 27 par . 2 de la Convention-
3 . Sur !'article 14 coutbiné avec l'arti( le 8 De plus, la requérante se plaint de ce que l'absence de droit d'hériter de son père et des parents proches de ses père et mère ( c) et e) supra) constitue à son encontre une discrimination injustifiée fondée sur la naissance, ce qui est contraire à l'article 14 de la Convention . Elle soutient que cette discrimination prévue par le droit irlandais ne poursuit pas d'objectif légitime et n'a pas de justification raisonnable ni objective . De son côté, le Gouvernement soutient notamment que l'article 14 n'est pa s applicable au grief de la requérante puisque l'article 8 ne protège-aucun droit à
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hériter des proches . Il fait valoir également que la Comtr.ission ne peut pas examiner les dispositions c :e la loi de 1965 sur les saccessions à la lumière de principes énoncés en 1979 par la Cour dans l'affaire Marckx . La Commiasion relève d'atord, en s'appuyanr sur les paragraphes précités de l'arr@t rendu par la Cour dans l'affaire Marckx - que la notion de vie familiale s'étend aux droits successoraux et que l'article 14 peut &s- lors s'appliquer au traitement différentiel réservé aux successions . En conséquenee, la C'ommission n'estime pas qie ce grier puisse être rejeté comme ineompatitile ratione materiae avec la Convention, corime le soutenait le Gouvernement défendeur . La Commission estime, à l .a lumière de l'argumentation des parties, que les griefs de discrimination pr[:cités :aoulèverit au regarcl de Aa Convention des questions complexes de fait et de droit, qui appellent, pour en decider, un examen du bienfondé de la requête . 1311e conclut dès lors cue, sur ce point, la requête ne saurait être rejetée cornrne manifestement nial fondée au sens de l'article 27 par . 2 de la Convention . Par ces motifs, la Ccmmissio n 1 . DÉCLARE RECE VABLES, tous moyens ie fond rése.rvés, les griefs tirés par ]a requérante de l'article 14 combiné avec l'article 8 et concernant 'absence de droit d'hériter de son père ou des proches parents de ses père et mère ; 2. DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus .
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APPLICATION/REQUÊTE N" 11077/84 Robert B . NELSON v/the UNITED KINGDO M Robert B . NELSON c/ROYAUME-UNI DECISION of 13 October 1986 on the admissibility of the application DÉCISION du 13 octobre 1986 sur la recevabilité de la requêt e
Article 14 of the Convention in conjuncfion with Article 5 of the Convention : The length of a sentence passed by a court does twt generally fall within the scope of the Convention . However, an issue may arise under Article 14 in conjunction with Article 5 when a settled sentencing poiicy affects irtrlividual.s in a di.scrirninato ry fashion . 7&e different treatment of child and adult offenders in Scotland with regard to the possibility of obtaining remission has an objective and reasonable aim . The different treatment of child offenders in Scotland on the one hand, and in England and Wales on the other, with regard to the possibility of obtaining remission, does not constitute discrimination . Article 14 de la Convention, combiné avec l'article 5 de la ConvenHon : D'une manière générale, la durée des peines infligées par les tribunaux ne relève pas de la Convention . Toutefois, un problème peut se poser sur le terrain de l'article 14, combiné avec l'article 5, lorqu'une politique constante en matière de ftxation des peines affecte certains individus de manière discriminatoire . Le traitement différent des jeunes délinquants et des adultes en Ecosse quant à la possibilité de bénéficier d'une remise de peine poursuit un but objectif et raisonnable . Le traitement différent des jeunes délinquants en Ecosse, d'une part, en Angleterre et au Pays de Galles, d'autre part, quant à la possibilité de bénéficier d'une remise de peine, ne constitue pas une discrimination .
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Synthèse
Formation : Commission (plénière)
Numéro d'arrêt : 10978/84
Date de la décision : 14/10/1986
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : STOUTT
Défendeurs : IRLANDE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1986-10-14;10978.84 ?

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