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11/07/1989 | CEDH | N°11598/85

CEDH | STENUIT contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11598/85 présentée par la S.A. STENUIT contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 juillet 1989 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL F. ERMACORA G. JÖRUNDSSON J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. TH

UNE Sir Basil HALL M. F. MARTINEZ ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11598/85 présentée par la S.A. STENUIT contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 juillet 1989 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL F. ERMACORA G. JÖRUNDSSON J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. F. MARTINEZ Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 20 décembre 1984 par la S.A. STENUIT contre la France et enregistrée le 24 juin 1985 sous le No de dossier 11598/85 ; Vu les observations écrites présentées par le Gouvernement défendeur en date du 30 octobre 1987 et les observations en réponse présentées par la société requérante le 18 décembre 1987 ; Vu les conclusions des parties développées à l'audience du 11 juillet 1989 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : La requérante est une société anonyme dont le siège se trouve à Chambray-les-Tours en France. Elle a pour activité la réalisation de parcs, jardins et espaces verts. Elle est représentée devant la Commission par Me R.F. Ryziger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. La requérante a répondu en 1977 et 1978 à deux appels d'offres lancés pour la réalisation d'espaces verts par le Ministère des Armées. Elle a été accusée par le ministre chargé de l'Economie et des Finances de s'être concertée avec des concurrents en vue de la répartition de divers marchés publics et d'avoir dans les deux hypothèses précitées accepté de présenter des offres supérieures à celles de ses concurrents quitte à ce que des accords soient passés dans d'autres cas pour lui faire attribuer d'autres marchés. Conformément à la procédure prévue par l'ordonnance du 30 juin 1945, modifiée par la loi du 19 juillet 1977, sur les prix et la répression des infractions à la législation économique, le ministre chargé de l'Economie et des Finances a consulté la Commission de la concurrence ; celle-ci a émis l'avis que la preuve de la participation de la requérante avait été apportée et a proposé de lui infliger une amende de 100.000 F. Le ministre de l'Economie et des Finances lui a, par suite, infligé une sanction pécunaire de 50.000 F par une décision du 16 octobre 1981. Elle forma un recours gracieux entre les mains du ministre, par lequel elle demandait à bénéficier de la loi d'amnistie du 4 août 1981. Le ministre rejeta la demande par une décision du 1er février 1982 au motif, notamment, que les infractions imputables à la requérante avaient donné lieu à des sanctions pécuniaires de type administratif et non à une sanction de caractère pénal ; or, seules les infractions ayant donné lieu à une sanction pénale peuvent bénéficier de l'amnistie prévue par la loi précitée. La requérante introduisit un recours devant le Conseil d'Etat à l'encontre de cette décision. Le Conseil d'Etat rejeta le pourvoi par arrêt du 22 juin 1984. En premier lieu il considéra que les sanctions pécuniaires infligées à des entreprises ou à des personnes morales par le ministre chargé de l'Economie et des Finances ne constituent pas des sanctions pénales ; en second lieu il indiqua que la requérante ne pouvait se prévaloir utilement de ce que ces sanctions administratives seraient contraires à la Convention européenne des Droits de l'Homme faute d'être prononcées par une juridiction dès lors que ces sanctions sont fondées sur la loi susvisée. Par suite, le Conseil d'Etat en conclut que la requérante n'était pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le ministre de l'Economie et des Finances lui avait refusé le bénéfice de l'amnistie.
GRIEFS La requérante se plaint de la décision du ministre de l'Economie et des Finances rendue le 16 octobre 1981, par laquelle il lui a infligé, après avis de la Commission de la concurrence, une sanction pécuniaire de 50.000 F en application de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, modifiée par la loi du 19 juillet 1977, sur le prix et la répression des infractions à la législation économique. Selon elle l'accusation portée contre elle était de nature pénale et, dès lors, elle avait droit à ce que cette accusation soit portée devant un tribunal répondant aux exigences de l'article 6 de la Convention, dont elle allègue la violation.
PROCEDURE La requête a été introduite le 20 décembre 1984 et enregistrée le 24 juin 1985. Le 6 juillet 1987, la Commission a décidé de donner connaissance de la requête au Gouvernement français, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci. Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête le 30 octobre 1987 et les observations en réponse de la société requérante sont parvenues le 18 décembre 1987. Le 5 décembre 1988, la Commission a décidé d'inviter les parties à lui présenter oralement, au cours d'une audience contradictoire, des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. L'audience a eu lieu le 11 juillet 1989. Les parties ont comparu comme suit :
Pour le Gouvernement :
Monsieur Philippe BAUDILLON, Sous-Directeur au Ministère des Affaires étrangères, en qualité d'Agent
Monsieur Ronny ABRAHAM, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat, conseil
Monsieur Jean-Pierre WAUQUIER, Commissaire au Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, conseil
Pour la société requérante :
Maître Paul-François RYZIGER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
EN DROIT La requérante se plaint de la décision du ministre de l'Economie et des Finances, rendue en date du 16 octobre 1981, par laquelle il lui a infligé une sanction pécuniaire, en application de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, modifiée par la loi du 19 juillet 1977, sur les prix et la répression des infractions à la législation économique. La requérante prétend en substance que l'intervention du ministre a équivalu à une décision sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale, que l'article 6 (art. 6) de la Convention est de ce fait applicable et que, dès lors, elle avait droit à ce que cette accusation soit portée devant un tribunal répondant aux exigences de ladite disposition de la Convention, dont elle allègue la violation. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention stipule : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. ...." Le Gouvernement défendeur a soulevé deux exceptions d'irrecevabilité de la requête. Il conteste l'applicabilité, en l'espèce, de la disposition précitée de la Convention. Il soutient à cet égard que la sanction pécuniaire constitue une sanction administrative, consécutive à une accusation de caractère administratif contre la requérante. En effet, selon le Gouvernement, les investigations qui ont conduit à la saisine de la Commission de la concurrence, en application de l'article 52 de l'ordonnance du 30 juin 1945, modifiée par la loi du 19 juillet 1977, ne constituent pas des actes de police judiciaire, mais des actes administratifs. De plus, la Commission de la concurrence elle-même, dont le ministre a adopté l'avis, doit être considérée comme une autorité administrative, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Enfin, le Gouvernement considère que la sanction incriminée présente toutes les caractéristiques d'une sanction administrative au sens de la jurisprudence de la Cour dans les affaires Engel et Öztürk (Cour Eur. D.H., arrêt du 8 juin 1976, série A no 22, et arrêt du 21 février 1984, série A no 73), qui retient trois critères pour déterminer si une procédure administrative empiète sur le pénal et doit, à ce titre, être assujettie aux garanties de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Il s'agit en premier lieu de savoir si le ou les textes définissant l'infraction incriminée appartiennent, d'après la technique juridique de l'Etat défendeur, au droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois. La nature même de l'infraction représente un deuxième élément d'appréciation. Enfin, il y a lieu de prendre en considération le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l'intéressé. Pour le Gouvernement, ces critères n'étant pas réunis en l'espèce, le grief soulevé par la requérante ne saurait donc être retenu. Le Gouvernement soulève en outre une exception d'irrecevabilité tirée de ce que la requérante n'aurait pas respecté les conditions énoncées à l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il soutient d'abord que la requête serait hors délai au sens de ladite disposition de la Convention, dans la mesure où la décision interne définitive était la décision du ministre du 16 octobre 1981, infligeant la sanction, ou tout au plus sa décision du 1er février 1982 rejetant le recours. Selon lui, en effet, il n'existe en droit interne aucune voie de recours permettant de contester de façon efficace devant une juridiction administrative la conformité de la procédure instituée par la législation précitée avec la Convention. Il soutient encore qu'il y a non-épuisement préalable des voies de recours internes du fait même du choix par la requérante d'une voie de recours secondaire, alors qu'elle avait la possibilité, aux termes de l'article 56 de ladite loi, de saisir le Conseil d'Etat d'un recours de plein contentieux pour contester au fond le principe de la décision du ministre du 16 octobre 1981. La requérante combat vivement la thèse développée par le Gouvernement tant au regard de l'article 6 (art. 6) qu'au regard de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Elle prétend en substance que la décision du ministre, en tant qu'elle refuse le bénéfice de l'amnistie prévue par la loi du 4 août 1981, équivaut à une décision sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre elle. Elle en conclut que l'article 6 (art. 6) de la Convention est d'application et qu'elle avait donc droit à bénéficier, au cours de l'intégralité de la procédure mise en cause, des garanties prévues par cette disposition. En outre, la requérante considère l'argumentation développée par le Gouvernement au regard de l'article 26 (art. 26) de la Convention comme peu convaincante, pour deux raisons au moins. Elle soutient, d'une part, que par épuisement des voies de recours internes il faut entendre, non pas l'épuisement des voies de droit susceptibles de permettre l'application de la Convention, mais celui des voies de droit permettant l'éventuelle remise en cause d'une décision, qu'elle soit administrative ou juridictionnelle. Elle relève, d'autre part, que le système interne n'attribue aucune valeur obligatoire à la règle du précédent, de telle sorte qu'un revirement de jurisprudence est toujours possible. Au demeurant le Conseil d'Etat, sans procéder à un revirement de jurisprudence, aurait, dans certains arrêts récents, atténué la portée de la loi. Enfin, la requérante ajoute que s'il existait des prises de position du Conseil d'Etat concernant diverses conventions et le Traité de Rome, il n'en existait pas par rapport à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Le Conseil d'Etat aurait donc pu saisir l'occasion qui lui était offerte pour se prononcer et faire évoluer la jurisprudence. En tout état de cause, la requérante considère que, dans les circonstances de l'espèce, elle a satisfait aux exigences de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Elle précise qu'elle a saisi le Conseil d'Etat du refus du ministre de la faire bénéficier de la loi d'amnistie ainsi que du recours gracieux formé par elle, et que la plus haute juridiction s'est prononcée, notamment, sur la compatibilité, avec la Convention européenne des Droits de l'Homme, des mesures prises à son encontre par le ministre. La Commission a d'abord examiné l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement défendeur au regard de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Elle relève que la société requérante avait, il est vrai, la possibilité de contester directement devant le Conseil d'Etat, au moyen d'un recours de plein contentieux, le bien-fondé de la sanction infligée. Toutefois, s'agissant en l'espèce d'une décision administrative rendue par le ministre qui a infligé une sanction pécuniaire, la requérante disposait d'un recours gracieux, afin de rechercher un accord amiable avec l'administration et sans risquer de perdre la possibilité, en cas d'échec, de saisir la juridiction administrative. Elle pouvait donc, comme elle l'a d'ailleurs fait, former auprès de l'autorité qui a pris la décision, en l'occurrence le ministre, un recours gracieux par lequel elle demandait à bénéficier de la loi d'amnistie et dont la conséquence était l'interruption conservatrice du délai. Elle a ensuite saisi le Conseil d'Etat en faisant valoir, d'une part, l'application de la loi d'amnistie et, d'autre part, une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention, moyens sur lesquels le Conseil d'Etat s'est prononcé. La Commission estime donc que la voie de droit utilisée par la société requérante doit être considérée comme une voie de recours efficace au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité soulevée à cet égard par le Gouvernement français ne saurait être retenue. La Commission est ensuite appelée à examiner le grief de la requérante selon lequel la décision du ministre de l'Economie et des Finances du 16 avril 1981 a équivalu à une décision sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale, à laquelle l'article 6 (art. 6) de la Convention était de ce fait applicable et garantissait donc à la requérante le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal au sens de ladite disposition de la Convention. Quand bien même la Commission estimerait que la sanction incriminée constitue une sanction pénale au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention, le Gouvernement soutient que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme n'interdit pas à des autorités administratives de prononcer de telles sanctions à condition que la personne concernée bénéficie de garanties protectrices et notamment qu'elle dispose d'un droit de recours devant un tribunal conforme à l'article 6 (art. 6) de la Convention. Or, en instituant, par la loi évoquée ci-dessus et relative au contrôle de la concentration économique et à la répression des ententes illicites, une Commission de la concurrence, le législateur français a voulu créer une procédure "pleinement contradictoire" ainsi qu'il est dit à l'article 16 de ladite loi. C'est ce qui ressort du mécanisme institué par cette loi et son décret d'application du 25 octobre 1977. Il en va de même du prononcé éventuel d'une sanction par le ministre, qui est précédé de toutes les consultations nécessaires et qui peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'Etat. Le Gouvernement ne conteste pas qu'en dépit de tous les éléments exposés ci-dessus, certaines des garanties prévues à l'article 6 (art. 6) de la Convention restent absentes de la procédure suivie si l'on ne considère que la phase conduisant à la décision ministérielle, abstraction faite des voies de recours postérieures. Mais la compétence du Conseil d'Etat, reconnue par l'article 56 de la loi précitée pour connaître de recours de plein contentieux formés contre les décisions ministérielles prises en matière de concurrence, permet, de l'avis du Gouvernement, de satisfaire pleinement aux conditions de l'article 6 (art. 6) de la Convention. La requérante ne saurait dès lors soutenir que la décision du ministre n'a pas été entourée de toutes les garanties prévues par la Convention. La requérante conteste ce point de vue. Elle estime quant à elle que certaines des garanties prévues à l'article 6 (art. 6) de la Convention sont demeurées absentes de la procédure suivie en l'occurrence. La Commission a procédé à un examen préliminaire de l'ensemble des arguments des parties. Elle estime que la requête pose des questions complexes de droit et de fait qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête et nécessitent un examen au fond. Il s'ensuit que la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Elle doit, dès lors, être déclarée recevable, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond étant réservés. Le Secrétaire Le Président en exercice de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (J.A. FROWEIN)


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 11598/85
Date de la décision : 11/07/1989
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : STENUIT
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-07-11;11598.85 ?

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