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13/02/1990 | CEDH | N°13343/87

CEDH | L.B. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13343/87 présentée par L.B. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 13 février 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER

H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13343/87 présentée par L.B. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 13 février 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 28 septembre 1987 par L. B. contre la France et enregistrée le 3 novembre 1987 sous le No de dossier 13343/87; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause tels qu'ils ont été présentés et ne sont pas contestés par les parties peuvent se résumer comme suit. La requérante (1) est née le 18 avril 1935 à Sidi Bel Abbès, en Algérie, qui était un département français à cette époque. Elle est de nationalité française. Elle fut déclarée de sexe masculin à sa naissance sous les prénoms de N. et d'A. Devant la Commission, elle est représentée par Me Arnaud Lyon-Caen, avocat au barreau de Paris. Elle expose qu'elle a dès son plus jeune âge adopté un comportement féminin parce qu'elle s'assimilait à un être de sexe féminin nonobstant son apparence masculine. En raison de l'hypotrophie de ses organes génitaux et de son comportement, sa famille la considérait comme une fille. Après avoir effectué son service militaire où elle s'est démarquée par un comportement homosexuel, la requérante s'est rendue en 1963 à Paris où elle trouva du travail dans le monde du spectacle sous le pseudonyme de V.D. De 1963 à 1967 elle fut soignée pour dépression par le Dr. L. A partir de 1967 elle subit une hormonothérapie féminisante prescrite par le Dr. L. qui conduisit à une féminisation des organes sexuels secondaires et notamment des seins. Ne pouvant plus supporter son apparence masculine, la requérante se soumit à une intervention chirurgicale qui eut lieu au Maroc en 1972. A cette époque, la France ne pratiquait pas ce type d'opération qui fut effectué pour la première fois en 1979. Elle vit depuis 1972 avec un jeune homme qu'elle souhaiterait épouser. Aussi, depuis 1978, a-t-elle tenté d'obtenir une rectification de son acte de naissance pour y faire inscrire ses nouveaux prénoms et la mention de son sexe modifié. Le 18 avril 1978, la requérante assigna le procureur de la République de Libourne pour faire juger qu'elle était de sexe féminin et obtenir une modification des mentions de son acte de naissance. Elle demanda que soient indiqués comme nouveaux prénoms ceux de L., A. Par jugement en date du 22 novembre 1979, le tribunal de grande instance de Libourne l'a déboutée au motif que la mutation de sexe avait été volontairement obtenue par des procédés artificiels, que la requérante demeurait un être de sexe masculin et que, dans ces circonstances, la rectification des actes d'état civil serait une atteinte au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes. La cour d'appel de Bordeaux, le 30 mai 1985, confirma le jugement entrepris.
_______ (1) Conformément à la pratique de la Commission et de la Cour (voir Van Oosterwijck c/Belgique, rapport Comm. 1.03.79, par. 13 note (1) et Cour eur. D.H., arrêt Van Oosterwijck du 6.11.80, série A n° 40, p. 7 par. 9) il sera fait usage ici du "sexe social" que la requérante assumait lors de l'introduction de la requête. La Cour releva en effet que les personnes ne peuvent disposer à leur gré et fantaisie de leur état, mais qu'"il n'en demeure pas moins, comme l'ont souligné diverses juridictions qui ont fait droit à une demande de changement de sexe, que l'état d'une personne ne peut être immuable et qu'il peut se trouver modifié lorsque la loi le permet (mariage, adoption, reconnaissance d'un enfant, etc.) ou que la nécessité irréversible et indépendante de la volonté de l'individu l'y contraint, tel peut être le cas des transsexuels vrais." Elle estima, qu'en l'espèce, les traitements chirurgicaux n'avaient pas abouti à la révélation du véritable sexe caché de l'intéressé. La requérante s'est pourvue en cassation contre cet arrêt en invoquant notamment l'article 8 de la Convention et la jurisprudence de la Commission européenne des Droits de l'Homme concernant cet article. Par arrêt du 31 mars 1987, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante au motif que : "Attendu, selon les énonciations des juges de fond, que N.B. a présenté requête au tribunal de grande instance afin de faire juger qu'il était de sexe féminin, qu'il y avait lieu en conséquence de modifier son acte de naissance et de l'autoriser à porter désormais les prénoms de L., A. ; que l'arrêt confirmatif attaqué l'a débouté de son action ; Attendu que N.B. reproche à la cour d'appel (Bordeaux, 30 mai 1985) d'avoir ainsi statué alors que l'identité sexuelle est constituée non seulement de composantes biologiques mais aussi psychologiques, de sorte qu'en décidant, sans procéder à aucune recherche sur son vécu psychologique, elle aurait privé sa décision de base légale ; Mais attendu que la juridiction du second degré constate que, même après le traitement hormonal et l'intervention chirurgicale auxquels il s'est soumis, N.B. continue de présenter les caractéristiques d'un sujet de sexe masculin ; qu'elle a estimé que, contrairement à ce que soutient l'intéressé, son état actuel n'est pas le résultat d'éléments préexistants à l'opération et d'une intervention chirurgicale commandée par des nécessités thérapeutiques mais relèvent d'une volonté délibérée du sujet ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;"
GRIEFS
1. La requérante estime que le refus de reconnaître en droit interne sa véritable personnalité constitue un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 de la Convention.
2. La requérante se plaint de ce qu'en lui refusant la possibilité de corriger les mentions de son état civil tant sur le registre d'état civil que sur les documents officiels d'identité, le Gouvernement l'amène à devoir révéler à des tiers des informations personnelles ce qui constitue une violation de son droit au respect de la vie privée au sens de l'article 8 par. 1 de la Convention. Par ailleurs, se référant au rapport de la Commission dans l'affaire Van Oosterwijck (par. 52) la requérante estime que le refus des autorités étatiques de reconnaître sa nouvelle identité sexuelle porte atteinte à l'essence même de son droit au respect de la vie privée.
3. La requérante expose enfin qu'elle se voit interdire la possibilité de se marier avec son compagnon de sexe masculin, ce qui constitue d'après elle une méconnaissance de l'article 12 de la Convention.
PROCEDURE La requête a été introduite le 28 septembre 1987 et enregistrée le 3 novembre 1987 sous le numéro 13343/87. Le 14 décembre 1988, la Commission a décidé d'inviter le Gouvernement mis en cause à présenter des observations écrites sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs présentés par la requérante. Après prorogation de délai accordée par le Président, le Gouvernement a présenté ses observations le 27 avril 1989. Les observations en réponse de la requérante ont été produites le 27 septembre 1989.
EN DROIT
1. La requérante se plaint de ce qu'elle ne peut obtenir la correction des mentions de son état civil, tant sur le registre d'état civil que sur ses documents officiels d'identité. Elle estime que ce refus de reconnaître sa véritable personnalité constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention. Elle ajoute en outre que ce refus, et le fait qu'elle est contrainte de révéler à des tiers des informations personnelles, constituent une violation de son droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 (art. 8) de la Convention. Elle se plaint enfin de ce qu'elle ne peut se marier avec son compagnon de sexe masculin, et allègue une violation de l'article 12 (art. 12) de la Convention.
2. Le Gouvernement soulève d'emblée deux exceptions d'irrecevabilité tirées, d'une part, du non-épuisement des voies de recours internes et, d'autre part, de la tardiveté de la requête. Le Gouvernement soutient d'abord que les articles de la Convention européenne des Droits de l'Homme invoqués devant la Commission ne l'ont été ni devant le tribunal de grande instance, ni devant la cour d'appel, que ce soit expressément ou en substance. Il expose que dans l'affaire Van Oosterwijck, affaire qui concerne une situation analogue à la présente en matière de transsexualisme (Cour Eur. D.H., arrêt Van Oosterwijck du 6 novembre 1980, série A n° 40), la Cour a constaté le défaut d'épuisement des voies de recours internes au motif que la requérante n'avait pas tiré argument de la Convention ni en première instance ni en appel. Le Gouvernement en infère que le raisonnement tenu alors par la Cour est transposable à la présente affaire car, s'il est vrai que la Cour de cassation a été saisie, il est non moins vrai que, dans la mesure où la Convention n'a été invoquée ni en première instance ni en appel, le moyen ne pouvait l'être pour la première fois en cassation. Le Gouvernement conclut au non-épuisement des voies de recours internes, dans la mesure où aucune juridiction française n'a été mise en mesure de se prononcer efficacement sur les griefs soulevés au titre de la Convention, puisque les juges du fond n'ont pas été saisis de ce moyen et que le moyen soulevé devant la Cour de cassation était irrecevable. Le Gouvernement argue par ailleurs de la tardiveté de la requête. Il expose qu'en effet la cour d'appel s'était fondée, dans son arrêt, uniquement sur des motifs de fait et que donc en tout état de cause le pourvoi en cassation était voué à l'échec, faute de pouvoir s'appuyer sur une contestation du raisonnement juridique suivi par la cour d'appel. En effet la cour d'appel ne s'est pas fondée, pour rejeter la demande, sur un motif de droit, puisqu'au contraire elle a commencé par admettre le principe du changement d'état civil dans le cas des "transsexuels vrais" qui y sont contraints par une "nécessité irréversible et indépendante de leur volonté" ; elle s'est fondée uniquement sur des motifs de fait, tirés d'une analyse de la situation personnelle de M. B. Se réfèrant à l'arrêt Van Oosterwijck le Gouvernement souligne que, dans cette dernière affaire, la Cour a fait grief à la requérante de ne pas s'être pourvue en cassation alors que l'arrêt de la cour d'appel "reposait non seulement sur des éléments de fait, mais aussi, et de manière distincte, sur un raisonnement juridique" (Ibidem p. 14 par. 32). Le Gouvernement en déduit que dans la présente cause et a contrario l'absence de pourvoi en cassation n'aurait pas été retenue au titre du défaut d'épuisement des voies de recours internes, le pourvoi étant inefficace. Il s'ensuit que le délai de 6 mois prévu à l'article 26 (art. 26) de la Convention doit être décompté à partir de l'arrêt de la cour d'appel qui constitue en l'occurrence la décision interne définitive au sens de cet article. Il en conclut que la requête, introduite le 3 novembre 1987, est tardive car postérieure de plus de 6 mois à l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 30 mai 1985.
3. En ce qui concerne l'épuisement des voies de recours internes, la requérante observe que le principe de l'irrecevabilité des moyens nouveaux devant la Cour de cassation cède devant tout moyen d'ordre public, de pur droit ou révélé par la décision attaquée, et que, de plus, les parties sont recevables à se prévaloir de tout argument de droit nouveau. Elle ajoute que la question de savoir si les conditions posées par la cour d'appel ne contrevenaient pas aux obligations découlant, pour l'Etat français, de la Convention était évidemment une question de pur droit. Elle relève enfin que la Cour de cassation n'a pas rejeté la référence à la Convention comme étant irrecevable et estime avoir épuisé les voies de recours internes. Quant à l'argument tiré de la tardiveté de la requête, la requérante observe que les limites du contrôle de la Cour de cassation ne permettent pas d'en déduire a priori l'inefficacité d'un pourvoi au prétexte que les juges du fond ont statué "en fait". Elle ajoute que la Cour de cassation était compétente pour juger de la rectitude des principes juridiques retenus par la cour d'appel pour exclure la prise en considération d'un changement de sexe commandé par l'évolution non biologique mais psychique d'un individu. La requérante soutient par ailleurs qu'il est d'autant moins établi que son pourvoi en cassation était voué à l'échec, et donc inefficace, que la cour d'appel ne s'appuyait nullement sur une jurisprudence ferme et constante de la Cour de cassation qui ne s'était alors prononcée qu'à deux reprises sur des demandes de rectification d'état civil émanant de transsexuels. Elle souligne que la Cour de cassation a dû préciser sa jurisprudence pour rejeter son pourvoi et que ce seul fait suffit à démontrer que l'on ne pouvait a priori considérer le pourvoi comme dépourvu de toute chance de succès. C'est donc à compter de l'arrêt de la Cour de cassation du 31 mars 1987 que le délai de 6 mois fixé par l'article 26 (art. 26) a commencé à courir. De ce fait, la requête ne peut donc être considérée comme tardive.
4. La Commission relève qu'en ce qui concerne le grief soulevé au titre de l'article 12 (art. 12) de la Convention et de l'impossibilité de la requérante de se marier avec son compagnon de sexe masculin, celle-ci n'a soumis cette allégation à aucune des juridictions qui se sont prononcées sur l'affaire, que ce soit de manière expresse ou en substance. Elle rappelle qu'aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus" et que cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que la requérante a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Encore faut-il que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 5574/72, déc. 21.3.75, D.R. 3 pp. 10, 22 ; No 10307/83, déc. 6.3.84, D.R. 37 pp. 113, 127). De plus, l'examen de l'affaire, telle qu'elle a été présentée, n'a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser la requérante, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, de soulever ce grief dans les procédures susmentionnées. Il s'ensuit que sur le point considéré la requérante n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
5. Pour ce qui est des griefs de la requérante au titre des articles 3 et 8 (art. 3, 8) de la Convention, la Commission relève d'emblée que, comme l'a d'ailleurs indiqué le Gouvernement, l'affaire Van Oosterwijck se différenciait de la présente affaire dans la mesure où la requérante s'est, dans la présente espèce, pourvue en cassation, ce qui n'avait pas été le cas dans l'affaire Van Oosterwijck. Elle note de plus, que dans cette même affaire, la Cour a constaté qu'"en l'espèce, D. Van Oosterwijck n'a pas même formulé en substance dans son pays les griefs qu'il présente à Strasbourg ; il ne s'est appuyé devant ses juges ni sur la Convention, ni sur des moyens d'un effet équivalent ou similaire "(Cour Eur. D.H. arrêt du 6.11.80, série A n° 40, par. 39, p. 19). Or, la Commission note que dans la présente affaire la requérante a soulevé en substance devant les juridictions de fond les griefs tirés de l'atteinte alléguée portée à son droit au respect de sa vie privée. Elle a en outre argué des difficultés découlant pour elle du refus de changement de son état civil et du "décalage" entre son identité civile et sa possession d'état d'"être féminin". Elle a, de manière plus générale, posé devant les juridictions internes le problème de la situation civile des transsexuels en droit français. De plus, la Commission relève que la requérante a expressément invoqué l'article 8 (art. 8) de la Convention devant la Cour de cassation et que, contrairement à la thèse du Gouvernement, la Cour de cassation n'a pas considéré que le moyen était irrecevable, au motif notamment qu'il aurait été présenté pour la première fois devant elle. La Commission considère dès lors que l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement français ne saurait être retenue en ce qui concerne les griefs tirés de la violation des articles 3 et 8 (art. 3, 8) de la Convention, qui ont été invoqués l'un en substance et l'autre expressément devant la Cour de cassation.
6. En ce qui concerne la tardiveté de la requête alléguée par le Gouvernement, en raison de l'inefficacité du pourvoi en cassation, la Commission constate tout d'abord que le moyen qui était soumis à la Cour de cassation était un argument de droit tiré de la jurisprudence de la Commission européenne des Droits de l'Homme concernant l'article 8 (art. 8) de la Convention. Elle observe par ailleurs qu'il n'existait pas en l'espèce de jurisprudence constante et bien établie de la Cour de cassation en la matière, jurisprudence qui aurait permis à la requérante de savoir avec certitude que son pourvoi n'aurait aucune chance de succès. Elle souligne enfin qu'il est constant que le pourvoi en cassation est en règle générale au nombre des voies de recours à épuiser en droit français au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. La Commission considère dès lors que la date à prendre en considération comme point de départ du calcul du délai de six mois prévu à l'article 26 (art. 26) de la Convention est celle du rejet du pourvoi en cassation qui est intervenu le 31 mars 1987. La requête ayant été introduite le 28 septembre 1987, l'exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement français ne saurait donc être retenue.
7. En ce qui concerne le bien-fondé du grief tiré de la violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention, le Gouvernement rappelle que dans l'avis de la Commission sur l'affaire Van Oosterwijck, alors même qu'il avait été considéré qu'il y avait violation de l'article 8 (art. 8), celle-ci avait estimé qu'il n'était pas nécessaire d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 3 (art. 3) de la Convention, compte tenu du fait que la situation critiquée ne présentait pas un degré de gravité tel qu'un examen s'impose au regard de cette disposition. Pour ce qui est du grief tiré de la violation de l'article 8 (art. 8), le Gouvernement souligne que la rectification des mentions portées sur les documents officiels d'identité et de sécurité sociale ne peut intervenir qu'en conséquence d'une décision judiciaire prononçant le changement d'état civil, voie que la requérante a utilisée en vain. Le Gouvernement se réfère par ailleurs aux motivations de l'arrêt Rees (Cour Eur. D.H. arrêt du 17.10.86, série A n° 106) et considère que la "grande marge d'appréciation" reconnue par la Cour aux Etats quant aux conditions générales auxquelles la législation ou la jurisprudence peuvent subordonner le changement d'état civil des transsexuels doit être reconnue a fortiori aux autorités judiciaires nationales dans l'appréciation, à laquelle il leur appartient de se livrer, de la situation d'un individu déterminé au regard de la notion de transsexualisme, les frontières de la catégorie étant encore relativement mouvantes. Il expose enfin, qu'en l'espèce, la cour d'appel de Bordeaux s'est livrée à un examen minutieux de la situation qui lui était soumise et a cherché à réaliser l'équilibre nécessaire entre les droits de l'individu et les intérêts de la société.
8. Quant à l'article 3 (art. 3) de la Convention, la requérante met l'accent sur les différences entre l'affaire Van Oosterwijck et la présente espèce. Elle ajoute que le changement de prénom est subordonné par l'article 57 du Code civil à l'existence d'un intérêt légitime qui suppose, comme la modification d'état civil, que la cause du changement de sexe soit extérieure, irrépressible, voire moralement neutre. La requérante conclut que le droit français ne permet pas même aux personnes auxquelles il refuse la modification juridique de leur sexe d'atténuer les conséquences de leur état.
9. En ce qui concerne l'article 8 (art. 8), la requérante relève que dans l'arrêt Rees la Cour a pris en considération les caractéristiques de l'organisation de l'état civil au Royaume-Uni et notamment le fait qu'il n'existe aucun système d'état civil intégré des personnes et que les différents registres de naissance, mariage, décès et adoption sont largement accessibles au public. Elle souligne que la situation est différente en France où le système des mentions marginales garantit la remise à jour permanente de l'état civil et où l'accès à ces informations est réglementé, de sorte que la modification du sexe peut intervenir sans heurter l'ordre public. Or, en France le sexe est mentionné non seulement sur le passeport mais également dans tous les actes où est utilisé le numéro attribué à toute personne par l'Institut National Statistique et des Etudes économiques (INSEE), numéro qui est notamment utilisé par la Sécurité sociale et qui indique, entre autres renseignements, le sexe. Elle conclut qu'un transsexuel est ainsi confronté constamment à la différence entre son apparence extérieure et son sexe d'affectation. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme en matière de marge d'appréciation (arrêts affaire linguistique belge du 23.7.68, série A n° 4 et Golder du 21.2.75, série A n° 18), la requérante expose en outre que la marge d'appréciation reconnue aux Etats ne saurait les autoriser à priver une personne ou une catégorie de personnes d'un droit protégé par la Convention. Elle rappelle par ailleurs que la doctrine française a considéré que la position prise par la Cour de cassation, en ce qu'elle nie toute prise en compte des déterminismes psychiques, revient en réalité à refuser aux transsexuels tout espoir de voir modifier leur état civil. Elle ajoute à ce sujet que la Commission a indiqué dans l'affaire Van Oosterwijck qu'il fallait avoir égard au sexe apparent, "social" de l'intéressé pour veiller à la protection de sa vie privée. La requérante conclut qu'en subordonnant la rectification de l'état civil d'un transsexuel à l'exigence d'une cause extérieure et irrépressible à son état, la France viole l'article 8 (art. 8) de la Convention sans que cette condition puisse être justifiée par un quelconque intérêt public et introduit, entre les personnes ayant subi une modification de sexe, une discrimination quant à leur droit d'obtenir la modification de leurs documents d'état civil qui n'est justifiée ni par les différences les affectant, ni par des considérations d'ordre public.
10. La Commission a procédé à un examen préliminaire des argumentations des parties. Elle estime que la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit quant aux griefs tirés de l'article 8 (art. 8) de la Convention, qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. En outre, dans la mesure où le grief de la requérante, sous l'angle de l'article 3 (art. 3), repose sur les mêmes faits, il ne saurait être écarté à ce stade de la procédure. Dès lors, ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, DECLARE IRRECEVABLE le grief tiré de l'article 12 (art. 12) de la Convention, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE pour le surplus, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 13343/87
Date de la décision : 13/02/1990
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : L.B.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-02-13;13343.87 ?

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