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05/03/1990 | CEDH | N°12659/87

CEDH | GAMA DA COSTA contre le PORTUGAL


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12659/87 présentée par Marciano GAMA DA COSTA contre le Portugal __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M.

F. MARTINEZ Mme J. LIDDY M. L. LOUCA...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12659/87 présentée par Marciano GAMA DA COSTA contre le Portugal __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. F. MARTINEZ Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 21 janvier 1987 par Marciano GAMA DA COSTA contre le Portugal et enregistrée le 24 janvier 1987 sous le No de dossier 12659/87 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu la décision de la Commission, en date du 8 mai 1987, de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 22 juillet 1987 et les observations en réponse présentées par le requérant le 26 août 1987 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le requérant est un ressortissant portugais, né en 1947, agriculteur de profession et domicilié à Arruda dos Vinhos (Portugal). Devant la Commission, il est représenté par Me Joaquim Pires de Lima, avocat à Cascais. Le 19 novembre 1972, le requérant se trouvait dans une voiture au volant de laquelle se trouvait Armando Toubarra et dont le propriétaire était Mario Gonzaga Ribeiro. Près d'Arruda dos Vinhos, par excès de vitesse, le conducteur perdit le contrôle du véhicule qui quitta la route. A cause de l'accident, le requérant subit plusieurs blessures au visage, mais ne fut pas hospitalisé. Phase de la production des mémoires des parties ("articulados") Le 13 octobre 1976, se fondant sur l'article 68 du code de la route, le requérant assigna au civil, devant le tribunal de première instance de Vila Franca de Xira la compagnie d'assurances "Seguradora Industrial-Companhia Nacional de Seguros S.A.R.L.", MM. Armando Toubarra et Mario Gonzaga Ribeiro. Il réclamait une indemnité de 144.061 escudos pour les dommages matériels et moraux subis. L'adresse de l'une des parties défenderesses, M. Ribeiro, ayant été incorrectement indiquée, le requérant fut invité à indiquer ladite adresse. Ce qui fut fait les 17 novembre 1976 et 17 janvier 1977, encore une fois de façon incorrecte. A une date qui n'a pas été précisée, les parties défenderesses "Seguradora Industrial" et M. Toubarra présentèrent leurs conclusions en réponse ("contestação"). Le 21 mars 1977 le défendeur, M. Ribeiro, présenta les siennes. Il fit valoir qu'à la date de l'accident, il n'était plus propriétaire du véhicule car il l'avait vendu à M. Toubarra. Phase de la décision préparatoire ("despacho saneador") Le 23 avril 1977, le juge rendit une décision préparatoire ("despacho saneador"). Il décida que le défendeur Mario Gonzaga Ribeiro n'était pas partie à la procédure et dressa une liste des faits incontestés ("especificação") et de ceux qu'il aurait fallu éclaircir à l'audience ("questionário"). Phase de l'instruction ("instrução") Invité le 20 mai 1977 à produire sa liste de témoins et d'autres moyens de preuve, le requérant demanda au juge, à une date qui n'a pas été précisée, d'ordonner une expertise médicale et neurologique à effectuer par l'Institut de médecine légale, après l'obtention de certains documents du service du personnel de l'Armée de l'Air. Le 13 juillet 1977 le juge ordonna que l'Institut de médecine légale fixe la date à laquelle l'examen aurait pu avoir lieu. La date de l'examen fut fixée au 26 octobre 1977 et ajournée ensuite au 5 décembre 1977. Le 15 décembre 1977, le rapport d'examen parvint au tribunal. Dans ce rapport les experts concluaient que le requérant, qui avait été examiné et soigné dans les consultations de chirurgie maxillo-faciale, neurologie et psychiatrie de l'hôpital de Santa Maria devait être réexaminé à l'Institut accompagné de ses bulletins cliniques et fiches de consultations. Le 19 décembre 1977, le juge ordonna à l'hôpital de lui envoyer ces documents. Les 2 février, 24 février, 30 mars, 5 mai, 30 mai, 23 juin, 17 juillet, 12 octobre et 16 novembre 1978, il renouvela cette demande. Le 29 novembre 1978, l'hôpital fit parvenir au tribunal les documents cliniques relatifs à la consultation de psychiatrie. Le 11 décembre 1978 le juge demanda à l'Institut de médecine légale de fixer la date à laquelle le requérant aurait pu se soumettre à un nouvel examen. L'examen du requérant eut lieu le 23 mars 1979. Dans son rapport, les experts demandèrent à nouveau la fiche relative à la consultation de chirurgie maxillo-faciale. Ils estimèrent par ailleurs que le requérant aurait dû être également examiné par des experts psychiatres. Le 6 avril 1979, le requérant fut invité à informer le tribunal s'il désirait que l'examen par des experts en psychiatrie ait lieu et à se prononcer sur l'obtention des documents des services de chirurgie maxillo-faciale "vu l'insuccès des demandes du tribunal dans ce sens". Le requérant ne s'étant pas manifesté, le juge décida de suspendre l'instance et, au cas où l'instance n'aurait pas progressé pendant deux mois du fait de son inertie, d'effectuer le calcul des frais de justice, conformément à l'article 122 par. 2 (1) du Code des frais de justice ("Código das Custas Judiciais").
______________ (1) L'article 122 par. 2 du code des frais de justice dispose: "Afin d'effectuer le calcul des frais de justice, le greffe remettra au fonctionnaire compétent les exécutions suspendues conformément à l'article 825 du code de procédure civile, les procédures suspendues par d'autres motifs, au cas où le juge en aurait décidé ainsi, celles qui pendant un délai de deux mois n'auront pas progressé du fait de l'inertie de la partie à la procédure et toutes celles qui devront être transmises à d'autres tribunaux (...)". Le 25 juin 1979, le requérant informa le juge qu'il renonçait à l'examen psychiatrique. Il demanda par ailleurs un délai de 30 jours afin d'obtenir un document tendant à prouver son état de santé après l'accident. Le 3 octobre 1979, le juge décida que la procédure devait attendre que le requérant verse ce document au dossier ou présente toute autre demande pertinente. Il décida également qu'au cas où, en attendant l'initiative du requérant, la procédure n'aurait pas progressé pendant deux mois, le calcul des frais de justice aurait dû être effectué. Le 24 mars 1980, le requérant alléguant des difficultés à obtenir les documents, demanda au juge de lui accorder un délai de 30 jours à cet effet. Le 26 mars 1980, le greffe transmit le dossier au juge. Le 15 mai 1981, justifiant son retard par une surcharge de travail, le juge décida de demander au service maxillo-facial de l'hôpital de Santa Maria la fiche de consultation et le bulletin clinique du requérant. Il ordonna en outre au requérant de l'informer, dans un délai de cinq jours, si entre-temps il avait obtenu les rapports des examens neurologiques. Ce n'est toutefois que le 1er octobre 1981 que le greffe donna suite à cette ordonnance. Le requérant pour sa part ne fournit aucune information au juge comme il lui avait été ordonné de le faire. Le 12 avril 1982, le tribunal réitéra sa demande à l'hôpital qui, le 18 mai 1982, l'informa que les documents ne pouvaient être trouvés et que de ce fait le requérant devait se présenter à la consultation de chirurgie plastique le jour fixé pour celle-ci. Le 25 mai 1982, la réponse de l'hôpital fut portée à la connaissance du requérant. Le 1er juillet 1982, le juge ordonna au requérant de l'informer s'il avait comparu à la consultation de chirurgie plastique. Informé du décès de son avocat, il l'invita par ailleurs à se faire représenter, dans un délai de 10 jours, par un autre mandataire. Le 7 octobre 1982 cette ordonnance fut portée à la connaissance du requérant. Le 25 octobre 1982, le requérant se fit représenter par avocat et informa le juge qu'il n'avait pas été convoqué à la consultation de chirurgie plastique. Le 29 octobre 1982, le juge décida d'inviter le requérant à présenter les demandes qu'il estimerait pertinentes sous peine du calcul des frais de justice au cas où il n'aurait pris aucune initiative pendant un délai de deux mois. Informé le 3 novembre 1982, le requérant s'adressa au juge le 13 janvier 1983 pour lui demander que l'hôpital fixe la date pour l'examen. Le juge fit droit à cette demande et le 24 janvier 1983 il demanda à l'hôpital d'indiquer la date à laquelle le requérant pouvait y subir un examen. Les 14 mars et 3 juin 1983, le tribunal réitéra sa demande. Le 17 octobre 1983, le juge décida d'inviter le requérant à l'informer dans un délai de 15 jours s'il renonçait à cet examen. Entre-temps, l'hôpital avait fixé la date de l'examen au 8 novembre 1983. Le 2 novembre 1983, le dossier fut envoyé par erreur à un autre hôpital. De ce fait, l'examen du requérant ne put être effectué que le 30 mars 1984. Le 11 mai 1984, le dossier accompagné du rapport des experts fut renvoyé au tribunal. A une date qui n'a pas été précisée le juge invita le requérant à l'informer s'il tenait toujours à ce que l'examen à l'Institut de Médecine légale soit effectué. Le requérant, avisé le 29 juin 1984, s'adressa au juge le 4 juillet 1984 pour l'informer qu'il désirait qu'un tel examen ait lieu. Le 18 juillet 1984, le juge ordonna à l'Institut de médecine légale d'indiquer le jour et l'heure auxquels le requérant devait subir un examen. Il ordonna par ailleurs au requérant de lui faire savoir s'il y était toujours intéressé. L'examen du requérant à l'Institut de médecine légale eut lieu le 24 août 1984. Dans leur rapport, parvenu au tribunal le 1er octobre 1984, les experts conclurent que le requérant aurait dû être réexaminé sur la base d'un certain nombre d'autres documents relatifs à son état de santé, existant à l'hôpital de Santa Maria. Le même jour le rapport fut porté à la connaissance des parties. Les parties ne s'étant pas prononcées, le 5 novembre 1984 le juge décida de demander à l'hôpital l'envoi des documents exigés par les experts. Le 28 novembre 1984, quelques-uns des documents relatifs à l'état de santé du requérant parvinrent au tribunal qui, le 21 janvier 1985, demanda à l'hôpital de lui faire parvenir les autres documents (neurologie et psychiatrie). Le 31 janvier 1985, certains des documents parvinrent au tribunal. Le 12 mars 1985, compte tenu du fait que tous les documents demandés n'étaient toujours pas parvenus, le juge ordonna à l'hôpital de les lui envoyer. Le 23 avril 1985, l'hôpital envoya la fiche de la consultation de neurologie. Le 14 mai 1985, le juge ordonna que l'Institut de médecine légale indique le jour et l'heure auxquels le requérant pouvait y subir un examen. L'examen du requérant fut effectué le 3 juillet 1985. Le 11 juillet 1985, le rapport médical fut versé au dossier. Dans ce rapport, les experts concluaient que le requérant aurait dû subir une expertise psychiatrique afin que ces experts se prononcent sur certaines des questions ("quesitos"). Le 31 juillet 1985, le juge demanda à l'hôpital de Santa Maria d'effectuer cet examen et, le 28 octobre 1985, il renouvela sa demande. Le 25 novembre 1985, l'hôpital informa le juge que le requérant devait s'y présenter le 13 décembre 1985 pour être examiné. L'examen eut lieu à la date prévue et le rapport médical parvint au tribunal le 23 janvier 1986. Le 13 février 1986, le juge fixa la date de l'audience au 17 avril 1986. Phases de l'audience et du jugement ("discussão e julgamento") Le 17 avril 1986, vu l'absence des avocats des parties, l'audience fut ajournée au 19 juin 1986. Le 19 juin 1986 au cours de l'audience le requérant demanda au tribunal que, compte tenu de l'érosion monétaire, le montant de l'indemnisation figurant sur sa demande introductive d'instance soit porté à 446 000 escudos (1). Par jugement du 9 juillet 1986, le tribunal de Vila Franca de Xira condamna la partie défenderesse, M. Toubarra, à payer au requérant une indemnisation de 362.589 escudos et déclara la compagnie d'assurances solidairement responsable jusqu'à un montant de 100.000 escudos (limite maximale de l'assurance). Le tribunal admit donc la demande d'augmentation de l'indemnisation formulée par le requérant, mais fixa les dommages matériels à 4.061 escudos, qu'il porta à 12.589 escudos au vu de la dévaluation de la monnaie, et les dommages moraux à 350.000 escudos. Sur ce dernier point, le tribunal prit en considération les effets de l'accident sur l'état psychique du requérant et précisa que le montant fixé tenait compte des valeurs actuelles et que par conséquent il n'avait pas à être actualisé. Ce jugement fut porté à la connaissance du requérant par lettre du 17 juillet 1986. Selon l'article 1er par. 3 du décret-loi n° 121/76 du 11 février 1987, les notifications effectuées par voie postale se présument effectuées le troisième jour qui suit la date de l'envoi de la lettre recommandée ou, au cas où il ne s'agirait pas d'un jour ouvrable, le premier jour ouvrable suivant.
GRIEFS Le requérant se plaint que l'action qu'il a introduite le 13 octobre 1976 devant le tribunal de première instance de Vila Franca de Xira n'a pas été jugée dans un "délai raisonnable" comme l'exige l'article 6 par. 1 de la Convention.
__________ (1) L'article 273 par. 2 du Code de procédure civile dispose que la demande introductive d'instance soit modifiée jusqu'à la fin de l'audience de jugement en première instance, à condition que ladite modification ne constitue que le développement ou la conséquence de la demande initiale.
PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 21 janvier 1987 et enregistrée le 24 janvier 1987. Le 8 mai 1987, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement portugais, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête le 22 juillet 1987. Le requérant a fait parvenir les siennes en réponse par lettre du 26 août 1987.
EN DROIT Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce que sa cause n'aurait pas été entendue dans un "délai raisonnable". L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable par un tribunal (...) qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil". Le Gouvernement soulève d'emblée trois exceptions tirées respectivement de l'incompétence ratione personae de la Commission, du non épuisement des voies de recours internes ainsi que de l'inobservation du délai de six mois. Quant à la qualité de "victime" du requérant Le Gouvernement souligne en premier lieu que le requérant se référant expressément à la dévaluation de la monnaie s'est prévalu de la faculté qui lui est reconnue par les articles 272 et 273 par. 2 du Code de procédure civile et qu'à l'audience il a augmenté sa demande initiale de 144 061 à 446 000 escudos. Le montant de 362 589 escudos qui a été alloué au requérant lors de la décision finale a été fixé, conformément à la demande du requérant dans ce sens et aux dispositions applicables, eu égard à la durée de la procédure et à l'érosion monétaire qui en est la conséquence. De ce fait selon le Gouvernement le requérant a déjà obtenu réparation pour la durée de la procédure dans l'ordre juridique interne et n'a de ce fait subi aucun préjudice réel. Le Gouvernement considère par conséquent que le requérant ne saurait être considéré "victime" au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention. Le requérant pour sa part souligne qu'en raison de la durée de la procédure il a subi des préjudices non couverts par l'actualisation de l'indemnisation. Ce serait en particulier le préjudice moral mais aussi un préjudice matériel résultant de la perte des intérêts dus en raison de la longueur de l'instance et dont seul récemment la législation portugaise permet de tenir compte. Il est vrai que selon la jurisprudence des organes de la Convention l'intéressé peut perdre la qualité de victime si les autorités ont reconnu explicitement ou en substance, puis réparé, la violation de la Convention dénoncée par lui (Cour Eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 30, par. 66). La Commission note cependant qu'en l'espèce l'actualisation de l'indemnisation vise uniquement à rétablir la valeur actuelle du montant figurant sur la requête introductive d'instance. Une telle actualisation, qui n'est possible que si le lésé obtient au moins en partie gain de cause, n'est pas liée à la durée de la procédure en tant que droit énoncé à la Convention que l'Etat contractant est tenu de ne pas violer et ne vise pas à en compenser le requérant. Elle ne saurait par conséquent être considérée ni directement ni implicitement reconnaissance d'une violation de ce droit ni a fortiori redressement par les autorités nationales du préjudice causé au requérant par la durée de la procédure. Au vu de ce qui précède, la Commission considère que le requérant peut se prétendre "victime" au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention. Quant à l'épuisement des voies de recours internes Le Gouvernement défendeur, après avoir relevé que l'objet de la requête est d'obtenir une réparation pécuniaire, soutient qu'une fois la procédure interne terminée le requérant aurait dû entamer une action en responsabilité civile de l'Etat sur la base de l'article 22 de la Constitution et de l'article 2 du décret-loi n° 48051 du 21 novembre 1967 qui régit la responsabilité civile de l'Etat. Le Gouvernement fait valoir sur ce point les arguments qu'il avait présentés lors de l'examen par la Commission de l'affaire Macedo (No 11660/85, déc. 6.11.89, non publiée). Le requérant pour sa part fait valoir que l'objet de sa requête est de faire constater la violation alléguée, l'obtention d'une indemnisation au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention n'en étant qu'une conséquence éventuelle et une prétention secondaire. Il estime par ailleurs avoir épuisé les voies de recours internes et fait valoir qu'en droit portugais il n'est possible d'introduire une action en responsabilité civile extracontractuelle de l'Etat que pour des actes résultant de faute et du dol de ses organes ou agents administratifs. Or, ajoute-t-il, tel n'a pas été le cas en l'espèce. Le requérant observe en outre que cette voie de recours n'a jamais été utilisée et qu'elle ne saurait être considérée comme une voie de recours efficace. Il souligne enfin que ce sont les tribunaux eux-mêmes qui sont responsables de la violation alléguée et qu'il ne serait pas raisonnable de s'adresser à eux pour faire constater la violation. La Commission rappelle que selon la jurisprudence des organes de la Convention la saisine du juge administratif au titre de la responsabilité de la puissance publique peut constituer, dans certains cas, une voie de recours vraisemblablement efficace et suffisante aux fins de l'article 26 (art. 26) de la Convention (Cour Eur. D.H., arrêt Bozano du 18 décembre 1986, série A n° 111, p. 21, par. 49). Toutefois, le Gouvernement n'a pas montré que le décret-loi n° 48051 du 21 novembre 1967 régissant la responsabilité extracontractuelle de l'Etat s'applique aux cas de durée de procédures pendantes ou terminées, devant les juridictions portugaises compétentes. Le Gouvernement n'a pas cité à cet égard un seul exemple tiré de la jurisprudence démontrant qu'une telle action avait des chances réelles de succès, alors que le texte législatif en question est en vigueur depuis plus de vingt ans (v. à cet égard, par analogie, Jaxel c/France No 11282/84, déc. 12.11.87 à publier dans D.R. et Cour Eur. D.H., arrêt De Jong, Baljet et Van den Brink du 22.5.84, série A n° 77, p. 19, par. 39). Il s'ensuit que l'exception de non épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue. Quant au délai de six mois Le Gouvernement soutient que s'il est possible de diviser clairement la conduite des autorités en deux phases, une de pratiques d'actes révélateurs d'un manque de diligence et une autre où tout a été fait en vue d'accélérer la procédure, il faut considérer que la violation de la Convention a cessé dès que les autorités ont agi avec diligence. Le délai de six mois doit par conséquent être calculé à partir du dernier de ces actes révélateurs d'une atteinte à la garantie du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. Le Gouvernement souligne que dans le cas d'espèce les actes du juge susceptibles d'avoir contribué à retarder la procédure se situeraient à la phase de l'instruction, qui s'est terminée le 13 février 1986. En outre, le Gouvernement fait valoir qu'à partir de cette date la procédure a repris à un rythme normal. Le Gouvernement soutient par conséquent qu'après le 13 février 1986 aucun acte ou décision du juge n'ont contribué à prolonger la procédure et que de ce fait le délai de six mois doit être calculé avant cette date. La requête serait donc tardive au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Le Gouvernement soutient par ailleurs qu'à supposer même que ce délai doive être calculé à partir de la décision interne définitive la requête serait également tardive au sens de la disposition précitée. Il souligne à cet égard qu'en l'occurrence la décision rendue le 9 juillet 1986 a été portée à la connaissance du requérant par lettre du 17 juillet 1986 et que normalement le requérant a dû la recevoir le 18 juillet 1986. Le Gouvernement considère que dans ce cas c'est à partir de cette dernière date qu'il faut calculer le délai de six mois. Il rappelle à cet égard la jurisprudence de la Commission selon laquelle ce délai court à partir de la connaissance par le requérant de la violation alléguée et estime que cette règle doit l'emporter sur la présomption établie par l'article 1er par. 3 du décret-loi n° 121/76 du 11 février 1976 selon laquelle les notifications effectuées par voie postale se présument effectuées le troisième jour qui suit la date de l'envoi de la lettre recommandée ou, au cas où il ne s'agirait pas d'un jour ouvrable, le premier jour ouvrable suivant. Le requérant combat cette thèse et affirme que le délai doit être calculé à partir de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée devenant de ce fait définitive, soit en l'occurrence le 30 juillet 1986. Il souligne par ailleurs que conformément à la législation portugaise et eu égard au fait que le 20 juillet 1986 était un dimanche, la décision ne lui a été notifiée que le 21 juillet 1986. Il considère qu'en tout état de cause le délai n'a pu commencer à courir que le jour suivant soit le 22 juillet 1986. En ce qui concerne la première branche de l'exception de l'inobservation du délai de six mois la Commission remarque tout d'abord qu'en examinant le point de savoir si dans une affaire donnée, la longueur de la procédure a été raisonnable, il lui faut tenir compte du déroulement de l'instance dans son ensemble et non seulement de facteurs isolés ayant pu concourir à l'allongement global de la procédure (requête No 7464/76, déc. 5.12.78, D.R. 14 p. 51). La Commission rappelle que, comme elle vient de le constater, le droit portugais n'a pas offert au requérant un recours efficace pour porter remède à la situation incriminée. Il est vrai que selon la jurisprudence de la Commission en l'absence de voie de recours, le délai de six mois court à partir de la date de la connaissance par le requérant de la décicion incriminée. La Commission estime toutefois que cette dernière conclusion ne saurait s'appliquer qu'aux affaires où le grief se dirige contre une décision en tant que telle ou contre tout autre événement précis et non pas, comme en l'espèce, lorsque les griefs se réfèrent à une situation qui se prolonge dans le temps (Requêtes Nos 7151 et 7152/75, déc. 5.3.79, D.R. 15 p. 15). Quant à la deuxième branche de l'exception de l'inobservation du délai de six mois, la Commission relève que le Gouvernement ne conteste pas sérieusement la date à laquelle, selon le droit portugais applicable en la matière, la notification de la décision au requérant doit se considérer effectuée. Elle note à cet égard que le Gouvernement se borne à affirmer que le requérant a dû normalement recevoir la lettre le 18 juillet 1986 sans toutefois apporter la moindre précision pouvant écarter la présomption selon laquelle cette lettre a dû normalement être reçue le 21 juillet 1986. La Commission rappelle par ailleurs que c'est à l'Etat qui excipe de l'inobservation du délai de six mois qu'il appartient d'établir la date à laquelle le requérant a eu connaissance de la décision interne définitive (cf. mutatis mutandis Cour Eur. D.H., arrêt Deweer du 27 février 1980, série A n° 35, p. 15, par. 26). Il s'ensuit que l'exception tirée par le Gouvernement de l'inobservation du délai de six mois ne saurait être retenue. Quant au bien-fondé du grief du requérant En ce qui concerne le bien-fondé de la requête, le Gouvernement admet que le procès n'a pas été examiné dans des conditions idéales et qu'au cours de la phase de l'instruction des retards se sont produits. Le Gouvernement fait valoir en premier lieu que bien que les actions relatives aux accidents de la circulation soient traitées selon la "procédure sommaire" qui se caractérise par la réduction du nombre de mémoires échangés entre les parties ("articulados") elles sont en fait complexes au vu de la difficulté à établir la responsabilité des personnes impliquées dans l'accident et des conséquences de celui-ci ainsi que pour établir l'étendue des dommages subis par les victimes. Ceci exige des examens médicaux complexes et difficiles à faire effectuer par les établissements hospitaliers. Le Gouvernement fait remarquer que de tels examens sont en général effectués avec du retard. Toutefois en dehors des ressorts de Lisbonne, Porto et Coimbra où seul l'Institut de Médecine légale, dont l'engorgement est connu, est compétent en la matière, cette tâche, sur demande des parties intéressées, peut être confiée à des experts nommés par le tribunal. Les parties se prévalent souvent de cette faculté afin d'éviter que la durée de la procédure en raison des retards résultant des examens médicaux ne se prolonge. Le Gouvernement rappelle ensuite qu'en matière civile l'exercice du droit à l'examen de la cause dans un délai raisonnable est subordonné à la diligence de l'intéressé. Il souligne qu'en l'espèce le requérant n'a pas fait preuve de diligence. Bien au contraire le requérant aurait fait preuve d'une passivité totale au regard du déroulement de la procédure. Le Gouvernement relève que le requérant a attendu quatre ans avant d'introduire l'action et qu'il a retardé le déroulement de la procédure en indiquant à trois reprises de façon incorrecte l'adresse d'une des parties défenderesses. Le Gouvernement reproche en particulier au requérant d'avoir choisi l'Institut de Médecine légale de Lisbonne pour effectuer l'expertise médicale alors que la difficulté d'y faire effectuer rapidement de tels examens était connue. Selon le Gouvernement, malgré les appels voilés du juge essayant de dissuader le requérant de faire ce choix et s'il avait versé au dossier des documents relatifs à son état de santé qui existaient dans le dossier relatif à une procédure pénale qui s'était déroulée devant la juridiction militaire, des experts locaux nommés par le tribunal auraient établi sans difficulté les séquelles de l'accident. Le Gouvernement considère d'autre part que la véritable cause de la durée de la procédure réside dans l'absence de diligence de la part du requérant au cours de l'instruction. Le requérant aurait en effet manqué de diligence soit en demandant la réalisation de certains examens superflus qui ont compliqué et retardé le déroulement de la procédure et auxquels il a enfin renoncé, soit en demandant des délais pour obtenir des documents qu'il n'a par ailleurs jamais versés au dossier, soit encore et en particulier par son indifférence et passivité face aux notifications successives du tribunal en vue de rechercher une solution rapide permettant de surmonter l'impasse résultant de la difficulté à effectuer les examens médicaux. Le Gouvernement se réfère d'une façon détaillée à ces ordonnances et à la réaction du requérant à leur égard. Le Gouvernement soutient en conclusion que le requérant est seul responsable des retards qui se sont produits pendant la phase de l'instruction et qu'il a de ce fait contribué de façon décisive à la durée de la procédure. Il considère en effet que la manière dont les autorités compétentes ont conduit l'affaire aurait été exemplaire. Le Gouvernement reconnaît que des retards entre le 26 mars 1980 et le 1er octobre 1981 et entre le 5 novembre 1983 et le 30 mars 1984 se sont produits. Il explique le premier par un engorgement passager du rôle du tribunal en raison de la vacance temporaire d'un poste de juge ainsi que d'un poste de fonctionnaire et le second par une erreur du fonctionnaire chargé d'envoyer le dossier à l'hôpital. Il considère toutefois que ces retards n'ont eu aucune influence sur la durée de la procédure. Le Gouvernement rappelle à cet égard que le 24 mars 1980 le requérant avait demandé un délai afin de produire un document et que le 1er octobre 1981 il ne l'avait toujours pas versé au dossier. L'inertie du tribunal pendant cette période n'a par conséquent pas eu d'influence sur le déroulement de la procédure puisque normalement le juge ne pouvait faire rien d'autre qu'accorder des délais successifs au requérant ou décider de suspendre l'instance. Pour le Gouvernement le second retard de par sa courte durée n'a pas non plus eu d'influence sur la durée globale de la phase de l'instruction et de la procédure dans son ensemble. Le Gouvernement souligne enfin que les autorités judiciaires ne sauraient être tenues pour responsables du fonctionnement de l'Institut de Médecine légale ni des établissements hospitaliers et qu'elles ont fait tout ce qui était à leur portée pour surmonter les obstacles qui empêchaient le déroulement normal de la procédure, à savoir les examens médicaux, en adressant des rappels insistants et rapprochés aux établissements chargés de les effectuer ou de fournir des documents nécessaires à cet effet. Le juge, tenu comme il l'était de respecter le choix du requérant, a par ailleurs tenté en vain d'éviter que lesdits examens soient demandés aux établissements en question. Le Gouvernement considère que les autorités judiciaires ont fait preuve d'une activité et diligence soutenues et qu'elles se sont même en large mesure substituées au requérant pour ce qui est de l'initiative de la marche de l'instance qui lui incombait. Le requérant réfute ces affirmations et considère que le retard de la procédure est dû à la manière dont les autorités ont conduit l'affaire. Il estime que les examens médicaux étaient nécessaires et qu'il n'avait pas à réagir aux ordonnances, qu'il qualifie de provocatoires, l'invitant à y renoncer. Le requérant fait valoir en outre que le tribunal a été incapable de surmonter les obstacles résultant des expertises médicales qui devaient être effectuées par des organismes officiels dont l'Etat est responsable. Il considère par ailleurs que le juge aurait pu obtenir la collaboration rapide de ces organismes s'il avait averti les responsables qu'en raison de l'inobservation du devoir de collaborer avec la justice des poursuites pénales pouvaient être engagées à leur encontre. La Commission rappelle tout d'abord qu'elle n'est pas compétente "ratione temporis" pour examiner en elle-même la durée de la procédure antérieure au 9 novembre 1978, date à laquelle le Gouvernement défendeur a ratifié la Convention et déclaré reconnaître la compétence de la Commission a être saisie de requêtes présentées en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention. Toutefois, la Commission estime, suivant en cela sa jurisprudence constante en la matière, devoir tenir compte de l'état de la procédure à la date précitée. La Commission rappelle, par ailleurs, que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure relevant de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce suivant les circonstances de la cause. Selon sa jurisprudence constante, il faut prendre en considération à cet effet la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et la manière dont l'affaire a été conduite par les autorités compétentes. En l'espèce, la Commission estime que la question de savoir si la procédure litigieuse a dépassé le délai raisonnable prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ne saurait être résolue en l'état actuel du dossier et nécessite un examen approfondi qui relève du fond de l'affaire. Le grief du requérant ne saurait donc être déclaré manifestement mal fondé à ce stade de la procédure. La Commission constate d'autre part que le grief ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 12659/87
Date de la décision : 05/03/1990
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE


Parties
Demandeurs : GAMA DA COSTA
Défendeurs : le PORTUGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-03-05;12659.87 ?

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