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04/06/1991 | CEDH | N°17550/90;17825/91

CEDH | V. ; P. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE
des requêtes N° 17550/90 et N° 17825/91 présentées par V. et P. contre la France
__________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 4 juin 1991 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président F. ERMACORA G. SPERDUTI G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Sir Basil HALL M. C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS A.V. ALMEIDA R

IBEIRO M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER ...

SUR LA RECEVABILITE
des requêtes N° 17550/90 et N° 17825/91 présentées par V. et P. contre la France
__________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 4 juin 1991 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président F. ERMACORA G. SPERDUTI G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Sir Basil HALL M. C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 10 décembre 1990 par V. contre la France et enregistrée le 13 décembre 1990 sous le No de dossier 17550/90; Vu la requête introduite le 10 janvier 1991 par P. contre la France et enregistrée le 20 février 1991 sous le No de dossier 17825/91 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations écrites du Gouvernement défendeur du 19 février 1991 sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête N° 17550/90 et les observations en réponse présentées par le requérant en date du 9 mars 1991 Vu les observations écrites du Gouvernement défendeur du 29 mars 1991 sur la recevabilité et le bine-fondé de la requête N° 17825/91 et le observations en réponse présentées par le requérant en date du 10 avril 1991 ; Vu la décision de la Commission du 3 juin 1991 de joindre les requêtes ; Vu les observations orales présentées par les parties à l'audience du 3 juin 1991 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent être résumés comme suit. Le premier requérant, né en 1962 à Jaffna, est un ressortissant sri lankais d'origine tamoule résidant à Jouarre. Le deuxième requérant est un ressortissant sri lankais, d'origine tamoule, né en 1964. Il réside à Paris. Les requérants sont représentés devant la Commission par Me Gilles Piquois, avocat au barreau de Paris.
1. Le premier requérant Alors qu'il était étudiant au collège technique de Jaffna, le premier requérant aurait participé aux activités du Tamoul Eelam et, en particulier, à la publication de tracts contre les agissements des soldats cinghalais. Les 10 et 11 mai 1983, il aurait boycotté les cours et aurait distribué des tracts avec des camarades. Au cours de cette distribution, les soldats seraient venus et auraient arrêté le requérant et ses camarades qui auraient ensuite été détenus, le requérant ayant été libéré au bout de deux semaines. Le 9 avril 1984, ayant appris qu'il était recherché par l'armée, le requérant serait parti vivre chez son oncle à Karavetty. Suite à sa disparition, les soldats auraient grièvement blessé son père le 14 avril 1984, celui-ci devant être hospitalisé à Jaffna dans un état très grave. Le 24 juillet 1984, les soldats cinghalais auraient été attaqués par des membres du mouvement des "Tigres tamouls" et deux amis et voisins du requérant auraient avalé du cyanure et seraient décédés. Le requérant se réfugia alors à nouveau chez son oncle. A son retour le 10 août 1984, il aurait été arrêté et emmené au camp de Palaly où il aurait été maltraité car soupçonné d'être membre des "Tigres tamouls". Relâché le 29 août 1984, il aurait été soigné dans un hôpital privé et ne serait revenu vivre avec ses parents à Jaffna que le 14 janvier 1988. Suite au bombardement d'un camp de soldats situé à proximité de son village, le requérant aurait été arrêté à nouveau le 8 octobre 1988 et emmené au camp de Jaffna Kotai. Relâché le 20 octobre 1988, il serait reparti vivre à Karavetty. Un membre de sa famille se présentant aux élections du 15 février 1989, le requérant aurait fait campagne pour lui et aurait été arrêté le 12 mars 1989 chez son oncle, puis emmené au camp de Palaly et relâché au bout de dix-neuf jours. En novembre 1989, les parents, oncle et tante du requérant auraient été interrogés et menacés aux fins de savoir où le requérant se trouvait. Le requérant a quitté le Sri Lanka le 27 novembre 1989 et est arrivé en France le 1er janvier 1990. En juillet 1990, la résidence et le magasin de son père auraient été bombardés par les soldats. Au cours de ce bombardement, la soeur du requérant serait décédée et son père, très grièvement blessé, serait soigné à l'hôpital de Kayts. Sa mère se trouverait actuellement dans un camp de réfugiés. La demande d'asile du requérant a été rejetée le 18 juillet 1990 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et son recours rejeté par la commission de recours des réfugiés le 9 novembre 1990, cette dernière considérant que les pièces du dossier ne permettaient pas de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées. Le 10 décembre 1990, un courrier de la préfecture de Melun a été notifié au requérant, l'invitant à quitter le territoire français dans un délai d'un mois et lui indiquant que s'il se maintenait toujours sur le territoire français une fois passé ce délai, il s'exposerait à une mesure de reconduite à la frontière ou à une peine de prison et d'amende. Le requérant a produit trois attestations, l'une d'un notaire de Anaicoddai, l'autre de la "St Mary's church" de Kopay et la troisième d'un ancien conseiller municipal de Jaffna qui confirment toutes trois que le requérant a été arrêté à plusieurs reprises, détenu et torturé, et qu'après sa fuite la résidence et le bureau de ses parents furent détruits, sa soeur tuée, son père grièvement blessé, sa mère se réfugiant à la "St Mary's church".
2. Le deuxième requérant En 1984, alors qu'il étudiait à Kokuvil, sa ville natale, le deuxième requérant se serait engagé activement aux côtés du mouvement des "Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul" (LTTE). Il serait devenu secrétaire de propagande pour ce mouvement dans sa région. Le requérant aurait été chargé du recrutement des jeunes pour les rangs des "Tigres" et de la collecte de fonds. Lors de l'offensive des forces indiennes du maintien de la paix, en 1987, la maison familiale du requérant aurait été détruite et ses parents se seraient réfugiés dans le village voisin d'Arigalai, situé à 4 km de Kokuvil. Le 4 mai 1988, des groupes collaborateurs des forces armées indiennes auraient cherché le requérant à son domicile. Ils auraient blessé son père à la poitrine avec un couteau. Ce dernier aurait succombé à cause de l'hémorragie provoquée par la blessure, alors qu'il était transporté à l'hôpital de Jaffna. A la suite de cet incident le frère cadet du requérant s'est engagé dans la lutte armée aux côtés des "Tigres", le requérant s'est réfugié dans le village de Navatkuly et sa mère à l'église catholique de Kopay. En février 1989, le requérant serait retourné à Kokuvil et aurait repris ses activités. Le 4 mai 1989 il aurait été arrêté par l'armée indienne et détenu au camp de Kopay où il aurait été sévèrement torturé. Il précise que des marques de torture sont toujours visibles sur son corps. Il aurait été libéré sur l'intervention du prêtre de l'église de Kopay en vue d'être hospitalisé. Le requérant aurait alors pris la fuite. Sa mère aurait été emmenée au camp de Kopay par des soldats indiens qui le cherchaient. Le requérant se serait rendu d'abord à Colombo avant de quitter le Sri Lanka en date du 13 août 1989. Il s'est rendu à Madras, puis avec un faux passeport en Thaïlande et en Belgique. Il est entré en France le 3 octobre 1989 et a demandé l'asile politique. L'OFPRA a rejeté la demande du requérant en date du 17 mai 1990. Le 26 juin 1990, le requérant a recouru contre cette décision. Il a produit à l'appui de son recours une attestation du prêtre de l'église "St Mary" de Kopay confirmant qu'il avait été persécuté par l'armée indienne ; que son père avait été assassiné par les forces armées ; que son frère s'est engagé dans les combats armés ; que sa mère s'est réfugiée à l'église ; que le requérant a été arrêté par les indiens et libéré avec beaucoup de difficultés sur intervention du prêtre. Il a, en outre, produit un certificat médical, établi à Paris le 2 octobre 1990, constatant plusieurs cicatrices et confirmant que l'ensemble des lésions constatées était compatible avec les allégations du requérant. Le 25 octobre 1990, la commission des recours a rejeté le recours du requérant aux motifs suivants : "Ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites en séance publique devant la commission ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées ; en particulier, les documents produits et présentés, comme un certificat médical, délivré à Paris le 2 octobre 1990 et comme l'attestation d'un prêtre datée du 17 mai 1990, sont insuffisants à cet égard." Le 8 janvier 1991, le requérant a demandé au directeur de l'OFPRA de réexaminer son cas. Il y indiquait qu'il était arrivé en France en mai 1990, que son jeune frère avait été tué le 17 novembre 1990 lors de combats entre le LTTE et l'armée cinghalaise et que sa mère avait été blessée et se trouvait dans un état grave. Le 22 janvier 1991, le préfet de police de Paris a invité le requérant à quitter le territoire français avant le 22 février 1991, faute de quoi une mesure de reconduite à la frontière par arrêté préfectoral pouvait être prise à son encontre. Outre les certificats déjà présentés aux autorités françaises, le requérant a produit une attestation, datée du 30 mai 1990, indiquant que celui-ci participait à toutes les activités politiques et sociales du LTTE, que son nom était populaire parmi les étudiants, que son père avait été tué par les forces indiennes et que son frère s'était engagé aux côtés du LTTE. L'attestation ajoute que le requérant a fui le Sri Lanka pour sauver sa vie. GRIEF Devant la Commission, les requérants exposent que s'il sont renvoyés au Sri Lanka, ils seront immédiatement arrêtés et torturés, voire tués par les forces cinghalaises ou des troupes paramilitaires.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
1. La première requête a été introduite le 10 décembre 1990 et enregistrée le 13 décembre 1990. Le 14 décembre 1990, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Elle a en outre décidé d'indiquer au Gouvernement défendeur, conformément à l'article 36 du Règlement intérieur de la Commission, qu'il serait souhaitable dans l'intérêt des parties et pour la bonne conduite de la procédure que le requérant ne soit pas expulsé vers le Sri Lanka, jusqu'au 8 mars 1991. Cette mesure a été prolongée par décision de la Commission du 8 mars 1991. Le Gouvernement a présenté ses observations le 19 février 1991. Le requérant a présenté ses observations en réponse le 9 mars 1991.
2. La deuxième requête a été introduite le 10 janvier 1991 et enregistrée le 20 février 1991. Le 20 février 1991 le Président en exercice de la Commission a décidé d'indiquer au Gouvernement défendeur, conformément à l'article 36 du Règlement intérieur de la Commission, qu'il serait souhaitable dans l'intérêt des parties et pour la bonne conduite de la procédure que le requérant ne soit pas expulsé vers le Sri Lanka, jusqu'au 8 mars 1991. Cette mesure a été prolongée par décision de la Commission du 8 mars 1991. Par ailleurs, le 8 mars 1991, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 29 mars 1991. Le requérant a présenté ses observations en réponse le 10 avril 1991.
3. Le 18 avril 1991, la Commission a décidé d'inviter les parties à lui présenter oralement au cours d'une audience des observations sur la recevabilité et le bien-fondé des requêtes. Elle a, en outre, décidé de prolonger les mesures indiquées en application de l'article 36 du Règlement intérieur jusqu'au 7 juin 1991. Le 29 mai 1991, la Commission a accordé aux deux requérants le bénéfice de l'assistance judiciaire. Le 3 juin 1991, la Commission a décidé en application de l'article 35 de son Règlement intérieur de joindre les deux requêtes, ainsi qu'une troisième requête (N° 17152/90) en vue de l'audience. Lors de l'audience qui a eu lieu le 3 juin 1991, les parties ont été représentées comme suit :
Pour le Gouvernement : - M. Bruno GAIN Sous-directeur des Droits de l'Homme à la Direction juridique du ministère des Affaires étrangères, Agent - M. Jean-Marc SAUVE Directeur des Libertés publiques et des Affaires juridiques au ministère de l'Intérieur - M. Pierre MOREAU Magistrat, Secrétaire général de l'OFPRA - Mme Monique PAUTI Chef du bureau du droit comparé et du droit international du ministère de l'Intérieur - Mme Frédérique DOUBLET Chargé de mission à la Direction des Libertés publiques et des Affaires juridiques au ministère de l'Intérieur - M. Pierre CHAMBU Sous-direction des Droits de l'Homme au ministère des Affaires étrangères, Conseils
Pour les requérants : - Me Gilles PIQUOIS Avocat au barreau de Paris, représentant des requérants Les requérants ont assisté à l'audience. Le 4 juin 1991, la Commission a décidé de disjoindre la requête N° 17152/90 des présentes requêtes.
EN DROIT Les requérants se plaignent d'être obligés de quitter la France pour se rendre dans leur pays d'origine où ils risquent d'être arrêtés et torturés.
1. Le Gouvernement défendeur relève, d'abord, que les requêtes ont pour objet l'obtention d'un droit de séjourner en France et la suspension d'éventuelles mesures d'éloignement, par le biais de l'application de l'article 36 du Règlement intérieur de la Commission. Il soutient que, dès lors, elles sont incompatibles avec la Convention, qui ne garantit aucun droit de séjour ou d'asile. La Commission rappelle d'emblée que, selon sa jurisprudence constante, la Convention ne garantit aucun droit de séjour ou d'asile dans un Etat dont on n'est pas ressortissant (cf. par exemple N° 1802/62, déc. 26.3.63, Annuaire 3 pp. 463, 479 ; N° 7256/75, déc. 10.12.76, D.R. 8 p. 161). Toutefois, selon la jurisprudence des organes de la Convention la décision de renvoyer un individu dans son pays d'origine peut, dans certaines conditions, se révéler contraire à la Convention et, notamment, à son article 3 (art. 3), lorsqu'il y a des raisons sérieuses de croire que cet individu sera soumis, dans l'Etat vers lequel il doit être dirigé, à des traitements prohibés par cet article (cf. par ex. n° 6315/73, déc. 30.9.74, D.R. 1 p. 73 ; n° 7011/75, déc. 3.10.75, D.R. 4 p. 215 ; n° 12122/86, déc. 16.10.86, D.R. 50 p. 268 ; Cour Eur. D.H., arrêt Cruz Varas et autres du 20.3.91, Série A n° 201, par. 69-70). Le grief des requérants selon lequel ils seront persécutés et éventuellement tués s'ils étaient renvoyés au Sri Lanka rentre, dès lors, dans le champ d'application de la Convention. Il s'ensuit que, nonobstant le fait que les requérants indiquent dans leurs requêtes qu'ils sollicitent l'intervention de la Commission pour qu'ils soient autorisés à séjourner en France, les requêtes, dans la mesure où elles concernent le renvoi des requérants vers le Sri Lanka, ne sont pas incompatibles avec la Convention et que l'exception du Gouvernement, sur ce point, ne saurait être retenue.
2. Le Gouvernement défendeur soutient, par ailleurs, que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes, en méconnaissance de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Le Gouvernement fait en effet observer que les requérants auraient pu attaquer la décision de rejet de la commission des recours des réfugiés devant le Conseil d'Etat. Le Gouvernement souligne que celui-ci exerce un large contrôle sur les décisions de la commission des recours des réfugiés et qu'il s'agit d'une voie de recours qui peut aboutir, le cas échéant, à une annulation de la décision. Le Gouvernement cite sur ce point la jurisprudence du Conseil d'Etat qui démontrerait que son contrôle s'exerce notamment en cas d'irrégularité de la procédure, d'insuffisance de motivation, d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur de qualification juridique des faits ou de dénaturation des faits ou des pièces du dossier. Par ailleurs, le Gouvernement observe que les requérants ont omis d'exercer des recours contre les invitations à quitter le territoire français qui leur ont été adressées, alors que ce recours leur était ouvert. Le Gouvernement observe, de plus, que tout étranger dont la demande d'asile a été définitivement rejetée peut présenter une demande d'admission exceptionnelle au séjour fondée sur son insertion en France ou sur les risques encourus en cas de retour. Les requérants soutiennent que les recours cités par le Gouvernement n'ont pas d'effet suspensif et ne sont pas, dès lors, efficaces au regard de l'article 26 (art. 26) de la Convention. La Commission rappelle d'abord que la règle de l'épuisement des voies de recours internes vise à permettre à l'Etat mis en cause de remédier à la situation dont les requérants se plaignent. A cet égard, seuls les recours qui permettent aux autorités nationales compétentes, notamment aux juridictions, d'examiner le grief soulevé et d'y porter remède entrent en ligne de compte. En effet, pour être efficace, un recours doit être capable de porter directement remède à la situation critiquée et pas seulement de façon détournée (cf. par ex. N° 10092/82, déc. 5.10.84, D.R. 40 p. 118). En l'espèce, le grief soulevé par les requérants concerne leur renvoi au Sri Lanka et non pas leur éloignement de la France en tant que tel. Or, aucune décision nationale n'est encore intervenue concernant le choix du pays vers lequel les requérants pourraient être renvoyés. En effet, une telle décision ne pourrait être prise qu'à un stade ultérieur et, au plus tôt, lorsqu'un arrêté de reconduite à la frontière sera pris à leur encontre. Or, en l'absence d'indication concernant le pays de destination des requérants dans les actes étatiques qui peuvent être attaqués par les recours préconisés par le Gouvernement, l'invocation de risques de mauvais traitements dans un pays déterminé, à savoir au Sri Lanka, ne constitue pas un moyen qui peut aboutir à l'annulation desdits actes. Par ailleurs, la Commission rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle un recours qui n'a pas pour effet de suspendre l'exécution d'une décision de renvoi d'un étranger dans un pays déterminé n'est pas efficace aux fins de l'article 26 (art. 26) et n'a pas à être exercé lorsque le requérant allègue une violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention (cf. N° 10400/83, déc. 14.5.84, D.R. 38 p. 145 ; N° 10760/84, déc. 17.5.84, D.R. 38 p. 225 ; N° 10564/83, déc. 10.12.84, D.R. 40 p. 262). Or, les recours en question n'ont pas d'effet suspensif. Vu ce qui précède, la Commission estime que l'exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours susmentionnées ne saurait être retenue.
3. Enfin, le Gouvernement observe qu'un éventuel arrêté de reconduite à la frontière des requérants pourrait faire l'objet d'un recours avec effet suspensif, selon l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et qu'à l'occasion d'un tel recours le juge administratif examine si la mesure d'éloignement n'est pas de nature à comporter, pour la situation personnelle ou familiale de l'intéressé, des conséquences d'une exceptionnelle gravité. La Commission observe, en l'espèce, que les requérants n'ont pas reçu d'arrêté de reconduite à la frontière. On ne peut, dès lors, leur reprocher, sous l'angle de l'article 26 (art. 26) de la Convention, d'avoir omis d'exercer un recours contre un tel arrêté. Néanmoins, le fait qu'un arrêté de reconduite n'a pas été pris et l'existence d'un recours permettant d'attaquer un tel arrêté peuvent avoir un impact sur la qualité de "victime", au sens de l'article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention, que doivent avoir les requérants pour introduire une requête individuelle devant la Commission. Le Gouvernement souligne sur ce point que, dans la mesure où, d'une part, aucun arrêté de reconduite à la frontière n'a été pris à l'encontre des requérants et, d'autre part, aucune décision quant au pays vers lequel ils pourraient être renvoyés n'est intervenue, ceux-ci ne peuvent se prétendre victimes d'une violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention. Le Gouvernement observe, par ailleurs, qu'en tout état de cause, si un tel arrêté est émis à leur encontre, ils auront la possibilité de l'attaquer par un recours pleinement efficace et suffisant, introduit par le législateur pour renforcer les garanties dont bénéficient les étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement pour entrée ou séjour irréguliers en leur ouvrant le droit de voir leur situation examinée dans le cadre d'une procédure juridictionnelle contradictoire. Il expose que ce recours prévu par la loi du 10 janvier 1990 (article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France) s'exerce devant le président du tribunal administratif et a un effet automatiquement suspensif. Il doit être exercé dans les vingt-quatre heures de la notification de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et le juge administratif statue dans les quarante-huit heures de la saisine. Ces délais ont été prévus pour concilier le respect des droits de la défense et le légitime souci de l'administration de pouvoir assurer l'exécution des mesures prononcées puisque la rétention administrative ne peut dépasser sept jours. Le Gouvernement précise qu'en cas de litige sur les dates ou heure de la notification de l'arrêté de reconduite, c'est à l'administration de prouver devant le juge la date de notification et que le doute éventuel profite à l'intéressé. Le Gouvernement souligne encore que le concours éventuel d'un interprète, la communication du dossier sur la base duquel la décision attaquée a été prise, la possibilité de demander un avocat d'office ont été prévus pour assurer les droits de la défense. La circulaire d'application prévoit que le formulaire de notification de l'arrêté préfectoral indique à l'intéressé les conditions dans lesquelles il peut exercer un recours et que ce document est rédigé en plusieurs langues. Il précise encore que l'arrêté ne peut être exécuté avant l'expiration d'un délai de vingt-quatre heures suivant sa notification ou, si le tribunal administratif est saisi, avant que celui-ci ait statué, le délai de quarante-huit heures pour statuer n'étant pas sanctionné. Enfin, le jugement du président du tribunal administratif peut être attaqué devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, cet appel n'ayant pas d'effet suspensif. Quant à l'étendue du contrôle, le Gouvernement expose qu'il s'exerce tout d'abord sur le principe même de la mesure de reconduite à la frontière, puis sur le choix du pays de renvoi. Sur la mesure de reconduite à la frontière elle-même, le Gouvernement précise que, d'après la jurisprudence du Conseil d'Etat, le juge administratif vérifie que la mesure envisagée n'est pas de nature à comporter pour la situation personnelle ou familiale de l'intéressé des conséquences d'une exceptionnelle gravité et est également conforme notamment avec la Convention. Le Gouvernement expose encore que le Conseil d'Etat a établi nettement la distinction entre la mesure d'expulsion et le choix du pays de renvoi. Il soutient que la décision indiquant le pays de renvoi peut également faire elle-même grief et entraîner un contrôle par le juge administratif, le recours s'exerçant dans les mêmes conditions que le recours contre l'arrêté de reconduite à la frontière. Le Gouvernement souligne que ce contrôle étendu s'exerce non seulement sur la légalité externe, l'erreur de droit, le détournement de preuves et l'exactitude matérielle des faits mais également sur l'appréciation des faits, par exemple l'impossibilité alléguée de regagner son pays d'origine. Les requérants notent que l'éloignement des étrangers se fait normalement vers leur pays d'origine. Ils observent qu'ils résident irrégulièrement en France, qu'ils risquent à tout moment d'être arrêtés et de faire l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière. En l'absence d'engagement des autorités de l'Etat défendeur de ne pas prendre un tel arrêté ou de ne pas renvoyer les requérants au Sri Lanka, une mesure de renvoi de ceux-ci au Sri Lanka doit être considérée comme imminente, notamment en raison du fait que, selon l'article 26 bis de l'ordonnance de 1945, un arrêté de reconduite à la frontière peut être exécuté d'office par l'administration. Quant au recours avec effet suspensif prévu à l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, les requérants soutiennent que ce recours n'est pas efficace. Ils notent à cet égard le bref délai pour son introduction, le caractère exceptionnel de la procédure et le fait que l'acte attaqué par ce recours, à savoir l'arrêté de reconduite à la frontière, ne mentionne pas le pays de destination de l'intéressé. Le juge administratif ne pourra pas, dès lors, examiner les griefs de l'intéressé tirés du renvoi de celui-ci à un pays déterminé et donc de la violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention. La Commission rappelle que la Convention "doit se lire en fonction de son caractère spécifique de traité de garantie collective des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'objet et le but de cet instrument de protection des êtres humains appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d'une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives" (Cour Eur. D.H., arrêt Soering du 7 juillet 1989, Série A n° 161, p. 34, par. 87). Cette considération vaut également pour la disposition de l'article 25 par. 1 (art. 2(-1) de la Convention concernant le système des requêtes individuelles (cf. Soering c. RU, rapport Comm. 19.1.89 par. 109, Cour Eur. D.H., loc. cit., p. 58). En particulier, les conditions de cette disposition sont remplies non seulement lorsqu'un requérant prétend qu'il a subi une violation mais également lorsqu'il prétend qu'il subira une violation irréversible. S'agissant d'une mesure pouvant exposer un individu à des traitements contraires à l'article 3 (art. 3), celui-ci doit, pour avoir la qualité de "victime" au sens de l'article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention, démontrer qu'il est confronté à un acte imminent des autorités de l'Etat mis en cause pouvant l'exposer à un danger sérieux de tels traitements (cf. n° 10479/83, déc. 12.3.84, D.R. 37, p. 158). En l'espèce, la Commission constate que les requérants séjournent irrégulièrement en France et qu'ils soutiennent qu'ils peuvent être arrêtés à tout moment en vue de leur renvoi au Sri Lanka. La question de savoir si ce risque est réel ou si, au contraire, un tel risque ne pourra apparaître qu'après un éventuel rejet du recours prévu à l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 soulève des problèmes de fait et de droit complexes que la Commission estime étroitement liés au bien-fondé des requêtes. La Commission estime, dès lors, qu'elle ne saurait constater, à ce stade de l'examen des requêtes, l'absence de qualité de "victime" des requérants.
4. Quant au risque de traitements contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention au cas où les requérants seraient renvoyés au Sri Lanka, le Gouvernement souligne, en se référant aux décisions rendues par l'OFPRA et la commission des recours des réfugiés, que les éléments apportés par le requérant ne sont pas probants d'un risque de
persécution. Il note, en particulier, qu'aucune des pièces produites n'a trait à des faits propres aux requérants eux-mêmes. Aucun élément du dossier ne démontre qu'ils seraient personnellement soumis à des traitements contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention s'ils devaient retourner au Sri Lanka. Le Gouvernement souligne, par ailleurs, le caractère stéréotypé du récit des requérants. Si un risque de mauvais traitements ne peut être exclu totalement, il s'agit, toutefois d'un risque acceptable. Les requérants insistent sur le fait que les membres de leurs familles ont été sévèrement persécutés et que ces persécutions ont parfois causé leur mort. Outre les sévices qu'ils ont eux-mêmes subis, les requérants invoquent la réalité quotidienne des attaques dont fait l'objet la communauté tamoule au Sri Lanka. Ils se référent à la pratique du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et précisent que leurs craintes sont fondées non seulement sur leur expérience personnelle mais également sur le sort subi par des parents, ou des amis, ou d'autres membres du même groupe racial ou social. Enfin, les requérants se réfèrent aux rapports établis par Amnesty International, France Terre d'Asile, l'Assemblée Nationale et le Parlement européen qui témoignent de la situation dans ce pays. Ils soutiennent que leurs craintes sont bien fondées et que leur éloignement vers le Sri Lanka violerait l'article 3 (art. 3) de la Convention. La Commission a procédé à un examen préliminaire des requêtes. Elle constate que celles-ci soulèvent des questions complexes de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond et ne sauraient, dès lors, être considérées comme manifestement mal fondées. Elles doivent, par conséquent, être déclarées recevables, aucun motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LES REQUETES RECEVABLES, tous moyens de fond réservés.
Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 17550/90;17825/91
Date de la décision : 04/06/1991
Type d'affaire : Décision
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : V. ; P.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1991-06-04;17550.90 ?

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