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27/02/1992 | CEDH | N°12407/86

CEDH | AFFAIRE MANIFATTURA FL c. ITALIE


En l'affaire Manifattura FL c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M

.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, ...

En l'affaire Manifattura FL c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 octobre 1991 et 24 janvier 1992, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 15/1991/267/338. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 mars 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12407/86) dirigée contre la République italienne et dont une société enregistrée dans cet Etat, Manifattura FL, avait saisi la Commission le 9 juillet 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25). Désignée devant celle-ci par l'initiale "M.", elle a ultérieurement consenti à la divulgation de sa raison sociale. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. Le 23 avril 1991, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Diana, Ridi, Casciaroli, Manieri, Mastrantonio, Idrocalce S.r.l., Owners' Services Ltd, Cardarelli, Golino, Taiuti, Maciariello, Steffano, Ruotolo, Vorrasi, Cappello, G. c. Italie, Caffè Roversi S.p.a., Andreucci, Gana, Barbagallo, Cifola, Pandolfelli et Palumbo, Arena, Pierazzini, Tusa, Cooperativa Parco Cuma, Serrentino, Cormio, Lorenzi, Bernardini et Gritti et Tumminelli*.
_______________ * Affaires nos 3/1991/255/326 à 13/1991/265/336; 16/1991/268/339; 18/1991/270/341; 20/1991/272/343; 22/1991/274/345; 24/1991/276/347 25/1991/277/348; 33/1991/285/356; 36/1991/288/359; 38/1991/290/361; 40/1991/292/363 à 44/1991/296/367; 50/1991/302/373; 51/1991/303/374; 58/1991/310/381; 59/1991/311/382; 61/1991/313/384 _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, M. A. Spielmann, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. B. Walsh, A.N. Loizou et N. Valticos, suppléants, ont remplacé respectivement M. Pinheiro Farinha et Sir Vincent Evans, qui avaient donné leur démission et dont les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant l'audience, de même que M. Foighel, empêché (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil de la requérante au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 16 juillet. Par une lettre arrivée le 22 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait de vive voix.
6. Le 28 août, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
7. Ainsi que l'avait décidé ce dernier - qui avait autorisé la requérante à employer la langue italienne (article 27 par. 3 du règlement) -, les débats se sont déroulés en public le 29 octobre, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Ont comparu: - pour le Gouvernement MM. G. Raimondi, magistrat détaché au Service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, coagent, G. Manzo, Mme A. Passannanti, magistrats détachés au ministère de la Justice, conseils; - pour la Commission M. J.A. Frowein, délégué; - pour la requérante Me G. Sambataro, avocat, conseil. La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations M. Raimondi et Mme Passannanti pour le Gouvernement, M. Frowein pour la Commission et Me Sambataro pour Manifattura FL.
8. Le 5 novembre, la Commission a déposé ses observations sur les demandes de satisfaction équitable de la requérante (article 50 de la Convention) (art. 50).
EN FAIT
9. Société à responsabilité limitée, la requérante a son siège à Vaiano (Florence). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-21 de son rapport): "16. Le 14 octobre 1982, la société X assigna la requérante devant le tribunal de Modène pour voir déclarer l'inexistence d'un contrat de vente que la requérante prétendait avoir conclu avec elle. 17. La requérante se constitua le 13 janvier 1983, en demandant reconventionnellement que le tribunal, après avoir déclaré la validité dudit contrat, en ordonnât l'exécution. 18. L'instruction débuta à l'audience du 18 janvier 1983, suivie par les audiences des 12 avril, 14 juin, 8 novembre 1983, 13 mars 1984 (reportée à la demande de la partie demanderesse) et 15 mai 1984. Le 21 mai 1984, faisant droit à une demande de la société X, le juge de la mise en état ordonna l'audition d'un témoin qui fut entendu à l'audience du 24 avril 1985. Deux autres audiences eurent lieu le 5 novembre 1985 et le 18 mars 1986. 19. A cette dernière date, les parties présentèrent leurs conclusions. Le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal, fixant au 15 mars 1989 l'audience devant celle-ci. 20. Le 12 avril 1989, le tribunal rejeta la demande de la société X et fit droit à celle de la requérante. Le texte de son jugement fut déposé au greffe le 4 septembre 1989. 21. Le 9 mars 1990, la société X interjeta appel contre ce jugement devant la cour d'appel de Bologne."
10. D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement et la requérante, la première audience eut lieu le 13 juin 1990; la société appelante demanda un report destiné à laisser à Manifattura FL le temps de se constituer. La cause fut ajournée au 10 octobre 1990, puis au 17 avril 1991, pour la présentation des conclusions. A cette occasion, la requérante se constitua et obtint une remise jusqu'au 29 mai 1991. L'affaire fut alors renvoyée devant la chambre pour l'audience de plaidoiries, fixée au 15 octobre 1993.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. L'intéressée a saisi la Commission le 9 juillet 1986. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée contre elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
12. La Commission a retenu la requête (n° 12407/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
13. A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
14. La requérante allègue que l'examen de son action civile se prolonge au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
15. La période à considérer a commencé le 14 octobre 1982, avec l'assignation de la requérante devant le tribunal de Modène. Elle n'a pas encore pris fin puisque la cour d'appel de Bologne n'a pas statué jusqu'ici.
16. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
17. Le Gouvernement excipe de la surcharge du rôle des juridictions compétentes ainsi que du comportement de la société requérante, qui en particulier n'aurait pas sollicité un examen plus rapide de sa cause.
18. Toutefois, il ne s'agissait pas d'une affaire complexe. Or une longue phase de stagnation marqua l'instance devant la chambre compétente du tribunal de Modène (18 mars 1986 - 12 avril 1989). Sans doute le Gouvernement invoque-t-il l'encombrement du rôle, mais l'article 6 par. 1 (art. 6-1) oblige les Etats contractants à organiser leur système juridique de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences (voir notamment l'arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17). On comprend mal, de surcroît, pourquoi il fallut près de cinq mois pour déposer le jugement au greffe (12 avril - 4 septembre 1989). A la vérité, en appel la requérante attendit plus de treize mois pour se constituer (9 mars 1990 - 17 avril 1991); en outre, elle-même et la société X provoquèrent chacune un ajournement. Il n'en reste pas moins que les débats se dérouleront, au mieux, plus de vingt-huit mois après la clôture de l'instruction (29 mai 1991 - 15 octobre 1993).
19. Dès lors, la Cour ne saurait estimer "raisonnable" en l'espèce un laps de temps supérieur à neuf ans. Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTTICLE 50 (art. 50)
20. D'après l'article 50 (art. 50), "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage
21. La requérante réclame d'abord du gouvernement italien une garantie en vue de cautionner le paiement de la somme revendiquée devant les juridictions nationales ou, à défaut, un montant de 65 000 000 lires italiennes pour dommages matériel et moral. Selon la Commission, elle a droit à une réparation pour tort moral, ainsi que pour préjudice matériel si elle réussit à en établir l'existence et celle d'un lien de causalité avec le manquement relevé.
22. Au sujet de la demande principale, la Cour rappelle que la Convention ne lui attribue pas compétence pour adresser une telle injonction à un Etat contractant (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Vocaturo c. Italie précité, série A n° 206-C, p. 33, par. 21). En ce qui concerne l'octroi d'une somme pour préjudice matériel, il ne ressort pas du dossier que les conditions voulues se trouvent réunies. Quant au tort moral allégué, à supposer que Manifattura FL, société commerciale, ait pu en éprouver un, le constat de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) lui fournit en soi une satisfaction équitable suffisante aux fins de l'article 50 (art. 50). B. Frais et dépens
23. La requérante revendique aussi, d'une part, 50 000 000 lires, plus 15 000 000 par an, au titre des frais nécessaires pour obtenir une satisfaction au niveau national, et d'autre part 15 968 040 lires pour ses frais et dépens devant les organes de la Convention.
24. Les premiers n'entrent pas en ligne de compte, car il ne ressort pas du dossier qu'elle les ait supportés pour empêcher le dépassement du "délai raisonnable" de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Il n'en va pas de même des seconds, mais les prétentions de l'intéressée se révèlent excessives; la Cour fixe, en équité, à 8 000 000 lires le montant à rembourser de ce chef. C. Intérêts
25. La Commission invite la Cour à fixer au Gouvernement - qui ne se prononce pas - un délai impératif d'exécution et prévoir le versement d'intérêts moratoires en cas de dépassement.
26. La première de ces suggestions est conforme à une pratique suivie par la Cour depuis octobre 1991. Quant au paiement éventuel d'intérêts moratoires, la Cour n'estime pas en l'occurrence approprié de l'exiger, d'autant que la requérante ne l'a pas demandé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même, quant à un éventuel préjudice moral, une satisfaction équitable suffisante aux fins de l'article 50 (art. 50);
3. Dit que l'Etat défendeur doit verser à l'intéressée, dans les trois mois, 8 000 000 (huit millions) lires italiennes pour frais et dépens;
4. Rejette la demande de la requérante pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 12407/86
Date de la décision : 27/02/1992
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Intérêts - demande rejetée

Parties
Demandeurs : MANIFATTURA FL
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-27;12407.86 ?

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