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01/04/1992 | CEDH | N°15022/89

CEDH | LE BRETON contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15022/89 présentée par Raymond et Alice LE BRETON contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er avril 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G

. H. THUNE MM. F. MARTINEZ ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15022/89 présentée par Raymond et Alice LE BRETON contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er avril 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G. H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 31 août 1988 par Raymond et Alice LE BRETON contre la France et enregistrée le 23 mai 1989 sous le No de dossier 15022/89 ; Vu la décision partielle de la Commission, en date du 7 janvier 1991 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 27 mai 1991 et les observations en réponse présentées par le requérant le 30 septembre 1991, Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les requérants, de nationalité française, sont cultivateurs à Plomodiern (Bretagne). Le premier requérant est né en 1930. La seconde requérante, son épouse, est née en 1934. Dans la procédure devant la Commission, ils sont représentés par Maître Ch. Fremiaux, avocat au barreau de Paris. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties et dans la mesure où ils ont trait à la partie de la requête qui n'a pas été déclarée irrecevable par la Commission le 7 janvier 1991, peuvent se résumer comme suit : Les requérants reçurent par donation partage du 14 juin 1978, la ferme de Kerdrein située sur la commune de Guengat moyennant le paiement d'une soulte de 436.000 francs. Les requérants n'ayant pu s'acquitter du paiement de la soulte, le bien en question fit l'objet d'une saisie immobilière suivant commandement du 27 juin 1980 pour une mise à prix totale en un seul lot de 450.000 francs. La commune de Guengat représentée par son maire R.J. se proposa pour l'acquisition des terrains pour une somme totale de 620.000 francs, le service des domaines ayant évalué le tout à 635.320 francs. Par jugement du 3 décembre 1980, rendu par le tribunal de grande instance de Quimper, la vente sur saisie fut convertie en une vente aux enchères publiques en trois lots pour une mise à prix globale de 620.000 francs. Le 19 décembre 1980, le conseil municipal de la commune de Guengat décida de demander que l'acquisition de ces terres soit déclarée d'utilité publique. Un avis d'enquête publique fixée du 19 janvier au 6 février 1981 parut le 6 janvier 1981 dans la presse locale. Le 13 janvier 1981, les requérants dénoncèrent par voie de presse le comportement de la commune. La vente publique aux enchères eut lieu le 14 janvier 1981. Les deux premiers lots furent adjugés au mandataire de la commune au prix de 590.000 francs. Le troisième lot ne fut pas mis en vente, les créanciers s'estimant désintéressés. Le matin de la vente le maire répondant au requérant avait indiqué dans la presse qu'"en l'absence d'acquisition amiable intervenue avant le 18 janvier, l'enquête publique s'ouvrira le 19 janvier 1981. En pareil cas, si l'acquisition par la commune est déclarée d'utilité publique, le conseil municipal se verra dans l'obligation de traiter avec le ou les nouveaux acquéreurs". Les requérants introduisirent parallèlement une procédure administrative et une procédure pénale. Devant les juridictions pénales, les requérants portèrent plainte le 5 juin 1981 contre le maire de la commune de Guengat pour entrave à la liberté des enchères. Ils considéraient que l'engagement d'une procédure d'expropriation à l'époque même de la mise en adjudication des biens n'était nullement justifiée par les intérêts communaux. Le 30 juin 1981, le procureur de la république de Quimper requit la désignation d'une juridiction d'instruction. Par arrêt du 8 août 1981 signifié le 23 septembre aux requérants, la Cour de cassation désigna la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes. Le 4 novembre 1981, les requérants furent avisés que le parquet général ne poursuivrait pas d'office et qu'il leur appartenait de se constituer partie civile. Le 26 novembre 1982, les requérants déposèrent plainte avec constitution de partie civile. Le 2 décembre 1982, le greffe de la chambre d'accusation enregistra cette plainte. Suivant une ordonnance de soit-communiqué du 3 décembre 1982, le procureur général près la cour d'appel de Rennes requit, le même jour, d'informer au vu de la plainte. Suivant audience du 16 décembre 1982, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes statuant le 6 janvier 1983 donna acte aux requérants de leur plainte et dit qu'il y avait lieu d'informer contre le maire de la commune de Guengat. L'arrêt fut signifié le 1er février 1983 au maire de la commune et le 1er avril 1983 aux requérants. Le 25 avril 1983 le président de la chambre d'accusation délivra commission rogatoire aux fins d'inculper le maire, d'entendre les parties civiles et de procéder à toutes investigations utiles. Le 21 octobre 1983 eut lieu l'interrogatoire de première comparution du maire. Les parties civiles convoquées par lettre du 7 octobre 1983 furent entendues le 25 octobre 1983. Le 25 juin 1984, le doyen des juges d'instruction subdélégua le directeur du Service Régional de Police Judiciaire (S.R.P.J.) de Rennes pour procéder à diverses investigations telles que l'audition des membres du conseil municipal de Guengat, les recherches auprès des services préfectoraux et du notaire des acquéreurs potentiels de la ferme des requérants. Les 5 et 10 juillet 1984, le président de la chambre d'accusation adressa des rappels au doyen des juges d'instruction de Quimper qui les répercuta le 16 juillet auprès du S.R.P.J. de Rennes lequel déposa son rapport d'enquête le 16 août. Le 17 août le juge d'instruction informa le président de la chambre d'accusation qu'il procèderait à nouveau à l'audition des parties civiles et à l'interrogatoire du maire les 27 et 28 septembre 1984. Le 3 octobre 1984, une nouvelle commission rogatoire fut délivrée pour vérification au S.R.P.J. Le 30 octobre 1984, il fut procédé à une confrontation générale entre l'inculpé, les parties civiles et plusieurs témoins. Le 21 novembre 1984, le S.R.P.J. déposait son enquête complémentaire. Le 1er février 1985 le président de la chambre d'accusation adressait un nouveau rappel au doyen des juges d'instruction qui renvoya le dossier le 1er juin 1985. Le dossier fut communiqué à la mi-septembre au parquet général qui prit le 16 novembre 1985 des réquisitions d'arrêt de dépôt. Par arrêt du 28 novembre 1985, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes ordonna le dépôt du dossier de la procédure au greffe de la cour d'appel de Paris. Les parties en furent avisées par acte du 6 décembre. Le 12 décembre 1985, le parquet général prit des réquisitions aux fins de non-lieu. Le même jour avis d'audience fut adressé aux parties pour le 30 janvier 1986. Le 29 janvier 1986, les requérants déposèrent un mémoire. Par arrêt du 27 février 1986 signifié les 20 et 30 mai aux parties, le maire de la commune de Guengat fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nantes. Le 19 juin le parquet de Nantes cita le maire à comparaître à l'audience du 11 septembre 1986, renvoyée une première fois au 6 novembre 1986 à la demande du prévenu, puis une deuxième fois au 29 janvier 1987. Le 26 février 1987, l'inculpé fut condamné à une amende de 10.000 francs avec sursis. Les requérants, qui sollicitaient en leur qualité de partie civile l'annulation de l'adjudication du 14 janvier 1981, la désignation, aux frais du prévenu, d'un expert chargé de déterminer leur préjudice et l'allocation d'une somme de 10.000 F en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale furent déboutés du premier chef de leur demande en raison de l'absence dans l'instance de la commune adjudicataire. Le tribunal correctionnel de Nantes se déclara incompétent pour connaître de leur demande d'indemnisation en considérant que la faute du prévenu n'était pas détachable de ses fonctions de maire. Il leur accorda 7.000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et condamna le prévenu aux dépens de l'action civile. Le 6 mars 1987, le parquet et le prévenu interjetèrent appel du jugement. Le jugement fut infirmé en appel par arrêt de la cour d'appel de Rennes du 15 octobre 1987 qui, après audience du 17 septembre 1987, relaxa le maire et débouta les requérants de toutes leurs demandes, aucune infraction n'étant établie à l'encontre du prévenu. Les requérants se pourvurent en cassation le 19 octobre 1987. Le dossier parvint à la Cour de cassation le 5 novembre. Le conseiller rapporteur, nommé le 30 novembre, fixa au 15 février 1988 la date du dépôt du mémoire en demande. Le délai fut prolongé jusqu'au 15 avril 1988. Dans l'instance devant la Cour de cassation, les requérants soutinrent par mémoire en demande déposé le 16 mars 1988 que l'arrêt du 15 octobre 1987 avait perdu tout fondement juridique par suite de l'arrêt rendu le 26 février 1988 par le Conseil d'Etat qui avait condamné la commune à leur verser une indemnisation de 30 000 F avec capitalisation des intérêts échus. Le conseiller déposa son rapport le 21 avril. Le 20 juin le dossier fut attribué à un avocat général. L'affaire fut mise au rôle de la Cour de cassation le 21 octobre 1988. Leur pourvoi fut rejeté par arrêt rendu le 22 novembre 1988.
GRIEF Le seul grief qui demeure soumis à la Commission est le suivant : Les requérants se plaignent de la longueur de la procédure pénale qui a abouti à l'arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation le 22 novembre 1988. Ils allèguent la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 31 août 1988 et enregistrée le 23 mai 1989. Le 7 janvier 1991, la Commission, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter cette requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief portant sur la durée de la procédure pénale. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Le Gouvernement a présenté ses observations le 27 mai 1991 après avoir bénéficé d'une prorogation du délai. Les requérants y ont répondu le 30 septembre 1991 après avoir bénéficié d'une prorogation du délai. Le 1er juillet 1991, la Commission a décidé de renvoyer la requête à la Deuxième Chambre.
EN DROIT Le grief dont la Commission a ajourné l'examen dans sa décision partielle du 7 janvier 1991 est relatif à la durée de la procédure pénale dans laquelle les requérants se sont constitués partie civile le 26 novembre 1982 et qui a pris fin par l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 22 novembre 1988. Ils invoquent l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose notamment que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable". A titre liminaire, le Gouvernement conteste l'applicabilité de l'article 6 (art. 6) de la Convention à la procédure litigieuse. Selon lui une plainte avec constitution de partie civile ne saurait relever de la notion de "contestation sur des droits et obligations de caractère civil". Les requérants ne formulent aucune observation sur ce point. La Commission rappelle que la Convention ne reconnaît point de droit de provoquer des poursuites pénales contre un tiers et que les garanties de l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'appliquent pas aux plaignants ou accusateurs privés dont l'objectif est la condamnation de tierces personnes. La Commission constate toutefois qu'en l'espèce les requérants ont assorti leur plainte pénale d'une constitution de partie civile tendant à obtenir une réparation de l'auteur des entraves à la liberté des enchères. Ils ont été déboutés de toutes leurs demandes civiles en raison de la relaxe du prévenu. Dans ces circonstances, la procédure pénale a été déterminante pour le droit à réparation des requérants. Il s'ensuit que l'article 6 (art. 6) de la Convention est applicable à la procédure pénale dans la seule mesure où les intérêts civils des requérants étaient en cause (cf. N° 9938/82, déc. 15.7.86, D.R. 48 p. 21). Quant au fond, le Gouvernement considère que la requête est manifestement mal fondée. Il explique que l'affaire était complexe de par la difficulté de la preuve des faits reprochés au prévenu, que les requérants ont, en tardant à se constituer partie civile, contribué à prolonger la durée de la procédure et qu'en tout état de cause aucune carence ne saurait être imputée aux services judiciaires. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement. En ce qui concerne la période à prendre en considération, la Commission constate que les requérants se sont constitués partie civile le 26 novembre 1982 et que la procédure pénale a pris fin le 22 novembre 1988 par l'arrêt de la Cour de cassation. La procédure litigieuse a donc duré à leur égard cinq ans onze mois et 26 jours. La Commission rappelle que la question de savoir si une procédure a excédé le délai raisonnable prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce suivant les circonstances de la cause (Cour Eur. D.H., arrêt H. c/ France du 24 octobre 1989, série A n° 162, p. 21, par. 50) et que les critères à prendre en considération à cette fin, tels qu'ils ont été dégagés dans la jurisprudence, sont essentiellement la complexité de l'affaire, la manière dont elle a été traitée par les autorités judiciaires et la conduite du requérant. Enfin, seules les lenteurs imputables à l'Etat peuvent amener à conclure le cas échéant à l'inobservation du délai raisonnable (Cour eur. D.H., arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A n° 81, p. 16, par. 38 ; Cour eur. D.H., arrêt Capuano précité ; Cour eur. D.H., arrêt H. c/ France précité, série A n° 162, pp. 21-22, par. 55). Faisant application de ces critères et tenant compte des circonstances propres de l'affaire, la Commission estime que la durée de la procédure litigieuse soulève des problèmes complexes de droit et de fait. En conséquence, elle ne saurait déclarer la requête manifestement mal fondée et constate d'autre part que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, Le Secrétaire Le Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 15022/89
Date de la décision : 01/04/1992
Type d'affaire : DECISION (finale)
Type de recours : Partiellement recevable

Analyses

(Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : LE BRETON
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-04-01;15022.89 ?

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