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18/02/1993 | CEDH | N°20747/92

CEDH | BOUESSEL DU BOURG contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 20747/92 présentée par Jean BOUESSEL du BOURG contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 18 février 1993 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS

H. DANELIUS Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 20747/92 présentée par Jean BOUESSEL du BOURG contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 18 février 1993 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY J.C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER G.B. REFFI M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 30 avril 1992 par Jean BOUESSEL du BOURG contre la France et enregistrée le 1er octobre 1992 sous le No de dossier 20747/92 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant, de nationalité française, est né en 1955 à Rennes. Il exerce la profession d'avocat et a son domicile à Rennes. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Alors que l'avortement était considéré comme délit réprimé par l'article 317 du Code pénal, la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse a permis, par des modifications du Code de la santé publique, les avortements dits de convenance pratiqués dans certaines conditions. En outre, par une loi du 31 décembre 1982, il a été décidé, non seulement que les frais de soins et d'hospitalisation afférents à l'interruption volontaire de grossesse pour convenance étaient couverts désormais par la sécurité sociale, mais également que "dans les limites fixées chaque année par les lois de finances", l'Etat remboursait aux organismes de Sécurité Sociale les dépenses qu'ils supportaient à ce titre. Or le requérant, cotisant au régime général en qualité d'employeur de personnel salarié, s'est adressé à la Commission de recours gracieux de l'Union pour le Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et d'Allocations Familiales (URSSAF) afin d'être dispensé de verser la part de cotisation de sécurité sociale correspondant à sa participation au remboursement de l'interruption volontaire de grossesse, que sa conscience réprouve. Il avait en effet demandé l'autorisation de prélever à titre symbolique une somme de 49,24 F sur le montant de ses cotisations de sécurité sociale. Sa demande a été rejetée le 2 février 1984. Saisie le 16 juin 1984 d'un recours du requérant assorti d'une demande en dommages-intérêts, la Commission de première instance du contentieux de la sécurité sociale de Rennes confirma cette décision le 19 décembre 1985, relevant que la loi du 17 janvier 1975 avait été rendue applicable après examen par le Conseil constitutionnel qui n'avait pas déclaré ces dispositions contraires à la Constitution, qu'en conséquence, et comme la loi du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais, afférents à l'interruption volontaire de grossesse, elle était applicable à tous les assurés sociaux qui devaient supporter le coût d'une mesure instituée selon les règles démocratiques. Le requérant releva appel de ce jugement devant la cour d'appel de Rennes qui, par un arrêt du 13 janvier 1988, confirma le jugement entrepris. La Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant par un arrêt du 5 mars 1992 au motif que les assurés sociaux étaient tenus d'acquitter les cotisations des régimes de protection sociale quelle que soit l'affectation qui leur est donnée. GRIEFS Le requérant allègue la violation des articles 2, 6 et 9 de la Convention. Il estime en premier lieu que les dispositions de la législation autorisant l'avortement constituent, en ce qui le concerne, une atteinte à l'article 2 de la Convention. En outre, le requérant estime qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable dans la mesure où les juridictions internes n'auraient pas tenu compte de ses arguments. Il considère en outre que la durée de cette procédure ne répond pas à la condition du délai raisonnable prévu à l'article 6 par. 1 de la Convention. Il estime enfin que sa contribution forcée aux dépenses occasionnées par l'interruption volontaire de grossesse méconnaît l'article 9 de la Convention qui lui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion.
EN DROIT
1. Le requérant invoque pour l'essentiel l'article 9 (art. 9) de la Convention à l'appui de son grief, selon lequel, aux termes de la loi du 31 décembre 1982, il se trouve, à l'instar de chaque assuré social, obligé de contribuer au financement des dépenses occasionnées par l'interruption de grossesse que sa conscience réprouve, ce qui constituerait une atteinte à sa liberté de pensée, de conscience et de religion. L'article 9 (art. 9) est ainsi libellé : "1. Toute personne a droit à sa liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Le requérant soutient que l'obliger à participer aux dépenses occasionnées par l'interruption volontaire de la grossesse violente sa conscience et heurte les exigences de la manifestation de ses convictions. Au demeurant, ses convictions lui interdiraient de participer à une interruption de grossesse de quelque manière que ce soit, fût-ce par une contribution financière. Ainsi que la Commission a déjà eu l'occasion de le préciser (voir N° 10358/83, déc. 15.12.83, D.R. 37 p. 142/153, et plus récemment N° 15194/88, déc. 4.9.89) : "L'article 9 (art. 9) protège avant tout le domaine des convictions personnelles et des croyances religieuses, ce que l'on appelle parfois le for intérieur. De plus, il protège des actes intimement liés à ces comportements, tels les actes du culte ou de dévotion qui sont des aspects de la pratique d'une religion ou d'une conviction sous une forme généralement reconnue. Cependant, pour protéger ce domaine personnel, l'article 9 (art. 9) de la Convention ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d'une manière dictée par cette conviction : par exemple en refusant de s'acquitter de certains impôts parce qu'une partie des recettes fiscales ainsi prélevées peuvent être affectées à des dépenses militaires. La Commission l'a déclaré à propos de la requête N° 7050/75 (Arrowsmith c/Royaume- Uni, rapport Comm., par. 71, D.R. 19 p. 5), où elle a précisé que le terme 'pratiques', au sens de l'article 9 par. 1 (art. 9-1), ne désigne pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction. L'obligation d'acquitter l'impôt est une obligation d'ordre général qui n'a en elle-même aucune incidence précise au plan de la conscience. En ce sens, sa neutralité est illustrée également par le fait qu'aucun contribuable ne peut influencer l'affectation de ses impôts, ni en décider une fois le prélèvement effectué. En outre, par l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1), le système de la Convention reconnaît expressément à l'Etat le pouvoir de lever l'impôt." La Commission est d'avis que la jurisprudence ci-dessus rappelée peut s'appliquer mutatis mutandis au cas d'espèce. L'article 9 (art. 9) ne confère pas au requérant le droit d'invoquer ses convictions pour s'opposer à l'affectation, quelle qu'elle soit, des impôts ou cotisations sociales conformément à la législation en vigueur. La Commission estime dès lors qu'il n'y a pas eu ingérence dans les droits garantis au requérant par l'article 9 par. 1 (art. 9-1) de la Convention. Il s'ensuit que le grief du requérant est, sur ce point, manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint encore de ce que sa cause n'a pas été entendue équitablement et dans un délai raisonnable, en violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission rappelle que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne vaut que pour les contestations relatives à des droits et obligations de caractère civil que l'on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne (Cour. eur. D.H., arrêt Neves et Silva du 27 avril 1989, série A n° 153, p. 14, par. 37). Il y a donc lieu de rechercher d'abord s'il y avait contestation sur un droit, puis si ce droit revêtait un caractère civil. Au sujet de l'existence d'une contestation sur un droit au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), il ressort de la jurisprudence des organes de la Convention que la contestation doit être réelle et sérieuse (voir en particulier Cour eur. D.H., arrêt Tre Traktörer AB du 7 juillet 89, série A n° 159, pp. 16-17, par. 36-37). La Commission relève qu'aucune contestation sérieuse n'a surgi concernant un droit, elle n'estime donc pas nécessaire de se prononcer sur le point de savoir si, en toute hypothèse, le droit qui était en jeu pouvait revêtir un "caractère civil". Il s'ensuit que cet aspect de la requête est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Enfin, quant à l'allégation selon laquelle il y aurait aussi violation de l'article 2 (art. 2) de la Convention, la Commission constate que le paiement de cotisations ne concerne en aucune manière le droit du requérant protégé par ladite disposition de la Convention. Il s'ensuit que la requête est à cet égard manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE Le Secrétaire de la Le Président de la Commission Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 20747/92
Date de la décision : 18/02/1993
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : BOUESSEL DU BOURG
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-02-18;20747.92 ?

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