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26/02/1993 | CEDH | N°12444/86

CEDH | AFFAIRE PIZZETTI c. ITALIE


En l'affaire Pizzetti c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Bernhardt, président, Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, L.-E. Pettiti, C. Russo, N. Valticos, S.K. Martens, Mme E. Palm, M. F. Bigi,
ainsi que de M. M.

-A. Eissen, greffier, Après en avoir délibéré en ch...

En l'affaire Pizzetti c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Bernhardt, président, Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, L.-E. Pettiti, C. Russo, N. Valticos, S.K. Martens, Mme E. Palm, M. F. Bigi,
ainsi que de M. M.-A. Eissen, greffier, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 octobre 1992 et 2 février 1993, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 8/1992/353/427. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 13 avril 1992, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12444/86) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Bartolomeo Pizzetti, avait saisi la Commission le 29 juillet 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. Le 25 avril 1992, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires De Micheli, F.M., Salesi, Trevisan, Billi et Messina c. Italie*.
_______________ * Affaires nos 9/1992/354/428 à 14/1992/359/433. _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. F. Matscher, M. L.-E. Pettiti, M. N. Valticos, M. S.K. Martens, Mme E. Palm et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l'avocat du requérant au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant - que le président avait autorisé à employer la langue italienne (article 27 par. 3) - le 6 juillet 1992. Par une lettre du 21 juillet, le Gouvernement a déclaré se référer aux observations déposées par lui devant la Commission. Le délégué de celle-ci n'a pas présenté de commentaires écrits.
6. Le 26 mai, la chambre avait renoncé à tenir audience, non sans avoir constaté la réunion des conditions exigées pour une telle dérogation à la procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement).
7. Le 3 septembre, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
8. M. Ryssdal se trouvant empêché de participer à la délibération du 29 octobre, M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour, l'a remplacé désormais à la tête de la chambre (article 21 par. 5, second alinéa, du règlement).
9. Les 20 octobre et 8 novembre 1992, le Gouvernement et la Commission ont déposé leurs observations sur les demandes de satisfaction équitable (article 50 de la Convention) (art. 50) du requérant.
EN FAIT
10. M. Bartolomeo Pizzetti habite Fontanella (province de Bergame). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-25 de son rapport): "16. Le 6 septembre 1983, le requérant assigna M.G. devant le tribunal de Bergame en réparation de dommages résultant de coups et blessures subis au cours d'une altercation. 17. L'instruction de l'affaire débuta à l'audience du 27 octobre 1983, suivie de quatre autres audiences les 14 novembre 1983, 2 février, 6 avril et 14 juin 1984. L'audience suivante, fixée au 22 novembre 1984, fut reportée d'office," - au 11 avril 1985 - "le juge de la mise en état ayant été appelé à d'autres fonctions. Ce juge fut ensuite muté. 18. Le 21 juin 1986, le tribunal de Bergame rejeta une demande du requérant visant à obtenir la nomination d'un autre juge de la mise en état et la fixation d'une nouvelle audience, au motif que la charge de travail des divers magistrats ne permettait pas de leur attribuer d'autres affaires. 19. Le 3 février 1988, le requérant renouvela sa demande et, le 9 février 1988, un nouveau juge de la mise en état fut nommé. L'examen de l'affaire reprit à l'audience du 31 mars 1988, reportée à la demande du requérant à l'audience du 22 septembre 1988. L'audience suivante eut lieu le 19 janvier 1989. 20. Par ordonnance du 15 mars 1989, le juge de la mise en état, faisant droit à une demande du requérant, ordonna la citation de certains témoins à l'audience du 31 octobre 1989 et convoqua un expert à l'audience du 2 novembre 1989. 21. Ces deux audiences furent ajournées au motif qu'une tentative de règlement amiable était en cours. A l'audience du 7 novembre 1989, le juge de la mise en état constata que cette tentative n'avait pas abouti. 22. Entre-temps, le requérant avait révoqué le mandat de son représentant, de sorte que l'audience du 7 novembre 1989 et celle du 22 mars 1990 furent renvoyées pour lui permettre de nommer un nouveau conseil. 23. L'audience suivante, fixée au 5 juillet 1990, fut reportée d'office au 11 avril 1991, puis - à la demande du requérant - avancée au 4 octobre 1990. 24. A cette date le juge de la mise en état, faisant droit à la demande du représentant du requérant - qui se constitua à nouveau -, ordonna l'accomplissement d'une expertise et nomma un expert à cet effet. 25. Une audience fut fixée au 18 octobre 1990 en vue de la prestation de serment de l'expert. Toutefois, cette audience fut reportée au 29 novembre 1990, l'expert n'ayant pas comparu. A cette date, l'expert désigné prêta serment. 26. (...)"
11. D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, le 24 janvier 1991 ledit expert renonça à son mandat car le requérant refusait de subir une visite médicale qui aurait dû avoir lieu le 7 décembre 1990. Une audience fixée pour le 28 mars 1991 fut reportée d'office au 3 octobre 1991. A une date non précisée, l'intéressé bénéficia de l'assistance judiciaire gratuite. Son nouveau conseil se constitua le 12 avril 1991. Le 3 juin, il demanda en vain le remplacement du juge de la mise en état. Le 1er octobre 1991, l'affaire échut finalement à un autre magistrat. Désigné le 26 mars 1992, un autre expert vit préciser sa mission le 14 mai. La prochaine audience devait avoir lieu le 3 décembre 1992.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
12. L'intéressé a saisi la Commission le 29 juillet 1986. Il dénonçait la lenteur de l'examen de son action civile et l'absence, en droit italien, d'un recours effectif contre la durée excessive d'une procédure. Il invoquait les articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) de la Convention.
13. La Commission a retenu la requête (n° 12444/86) le 2 juillet 1990. Dans son rapport du 10 décembre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité), mais non de l'article 13 (art. 13) (quatorze voix contre six). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 257-C de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
14. Le requérant se plaint que l'examen de son action civile se prolonge au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
15. La période à considérer a commencé le 6 septembre 1983, avec l'assignation de M.G. devant le tribunal de Bergame. Elle n'a pas encore pris fin, la procédure demeurant pendante au stade de l'instruction devant le même tribunal.
16. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
17. Le Gouvernement excipe du comportement du requérant: en refusant de se prêter à la première visite médicale, fixée pour le 7 décembre 1990 (paragraphe 11 ci-dessus), M. Pizzetti aurait contribué à ralentir la marche de l'instance. A quoi s'ajouteraient la mutation du juge de la mise en état et la surcharge du rôle du tribunal de Bergame.
18. La Cour relève, avec la Commission, que l'attitude de l'intéressé n'explique pas à elle seule la durée totale de la procédure. En particulier, la tentative de règlement amiable entreprise par lui et le fait qu'il ne se présenta pas à l'expertise médicale ne sauraient justifier la période d'inactivité qui s'étendit du 14 juin 1984 au 31 mars 1988 (paragraphe 10 ci-dessus, n°s 17-19). En outre, s'il provoqua le report de certaines audiences il sollicita aussi la fixation ou l'avancement de trois autres (ibidem, n°s 18, 19 et 23). Quant à l'argument tiré de l'encombrement du rôle du tribunal de Bergame, il échet de rappeler que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) astreint les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de manière à permettre à leurs juridictions de remplir chacune de ses exigences (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Tusa c. Italie du 27 février 1992, série A n° 231-D, p. 41, par. 17).
19. Dès lors, la Cour ne saurait estimer "raisonnable" un laps de temps déjà supérieur à neuf ans. Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 13 (art. 13)
20. M. Pizzetti se plaint de n'avoir pas disposé d'un recours effectif devant une "instance" nationale pour dénoncer la durée excessive de l'examen de son action civile. Il invoque l'article 13 (art. 13) de la Convention, ainsi libellé: "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles." La Commission estime ce texte inapplicable lorsque, comme ici, la violation alléguée consiste en un acte judiciaire. Le Gouvernement ne se prononce pas.
21. Eu égard à sa décision relative à l'article 6 (art. 6), la Cour ne croit pas nécessaire de se placer de surcroît sur le terrain de l'article 13 (art. 13).
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
22. D'après l'article 50 (art. 50), "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage
23. Le requérant revendique 30 000 000 lires italiennes pour tort moral, demande que la Commission trouve justifiée. Selon le Gouvernement au contraire, un simple constat de violation fournirait, le cas échéant, eu égard au comportement de l'intéressé, une satisfaction équitable suffisante aux fins de l'article 50 (art. 50).
24. La Cour estime que l'intéressé a subi un dommage moral certain pour lequel elle juge équitable de lui allouer 10 000 000 lires. B. Frais et dépens
25. M. Pizzetti réclame aussi 3 715 800 lires pour frais et dépens afférents à la procédure suivie devant les organes de la Convention. Le Gouvernement estime que cette prétention s'appuie sur des dispositions, relatives aux honoraires des avocats, qui relèvent de l'ordre juridique interne italien et ne s'appliquent donc pas en l'espèce. Il laisse cependant à la Cour le soin d'apprécier.
26. Avec le délégué de la Commission, la Cour tient les frais exposés pour réels et nécessaires et leur taux pour raisonnable, en conséquence de quoi elle en accorde au requérant le remboursement intégral.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit qu'il ne s'impose pas d'examiner aussi l'affaire sous l'angle de l'article 13 (art. 13);
3. Dit que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 10 000 000 (dix millions) lires italiennes pour dommage moral et 3 715 800 (trois millions sept cent quinze mille huit cents) pour frais et dépens;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 26 février 1993.
Signé: Rudolf BERNHARDT Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 12444/86
Date de la décision : 26/02/1993
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF


Parties
Demandeurs : PIZZETTI
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-02-26;12444.86 ?

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