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31/03/1993 | CEDH | N°18121/91

CEDH | J.V.C. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 18121/91 présentée par J.V.C. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. G

EUS M. NOWICKI M. K. ROG...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 18121/91 présentée par J.V.C. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GEUS M. NOWICKI M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 22 janvier 1991 par J.V.C. contre la France et enregistrée le 24 avril 1991 sous le No de dossier 18121/91 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 22 septembre 1992 et les observations en réponse présentées par le requérant le 24 novembre 1992 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant est un ressortissant français, né en 1941. Au moment de l'introduction de la requête, il était détenu à la maison d'arrêt de Rennes. Devant la Commission, le requérant est représenté par Maître Marie-Laure De Menou, avocate au barreau de Rennes. Les faits, tels qu'exposés par les parties, peuvent se résumer ainsi (1). Un premier vol fut commis dans la nuit du 21 au 22 septembre 1987 au domicile des époux B. Le procureur de la République du tribunal de grande instance de Rennes requit l'ouverture d'une information contre X. du chef de vol aggravé. Le juge d'instruction R. fut chargé du dossier. Un second vol à main armée fut perpétré le 10 décembre 1987 contre L., convoyeur de fonds. Le 21 décembre 1987, le procureur de la République requit l'ouverture d'une instruction contre X., et le juge d'instruction B. fut chargé de ce dossier. Le 4 mars 1988, le juge d'instruction B. délivra une commission rogatoire aux fins de surveillance de lignes téléphoniques. La ligne du requérant fut mise sous écoute à 17 heures et 12 minutes, alors que la personne qualifiée pour procéder à cette mise sous surveillance ne fut requise par l'officier de police judiciaire compétent qu'à 18 heures. Les écoutes permirent de découvrir qu'un nouveau vol était projeté, sans qu'il fût possible d'en déterminer la date et le lieu. Un troisième cambriolage eut lieu au domicile de LA., soit dans l'après-midi du 18 mars 1988, soit dans la nuit du 18 au 19 mars, les faits ainsi que les horaires étant contestés par les accusés, et notamment le requérant. Une instruction fut ouverte le 24 mars 1988. Arrêté et placé en garde à vue le 22 mars 1988, le requérant fut inculpé, le 24 mars, de vol avec port d'armes pour les faits commis le 10 décembre 1987, et placé ce même jour en détention provisoire à la maison d'arrêt de Rennes, par le juge d'instruction B. Le 17 juin 1988, le requérant fut inculpé de vol aggravé pour le cambriolage du 21 au 22 septembre 1987. Le 30 juin 1988, le requérant fit l'objet d'un premier interrogatoire. Par ordonnance du 4 juillet 1988, il fut ordonné jonction des procédures concernant le vol du 10 décembre 1987 et celui du 18 ou 19 mars 1988. Par ordonnance du 5 octobre 1988, le juge d'instruction R. fut dessaisi de son dossier au profit du juge B. De la sorte, le juge d'instruction B. se retrouvait en charge des trois affaires de vol, ainsi que d'une affaire de vol de voiture commis pour faciliter la réalisation des autres infractions mentionnées. Outre le requérant, cinq autres personnes étaient inculpées.
___________ (1) Annexe : chronologie des actes de procédure. _________________ Le 23 décembre 1988, le magistrat instructeur fut remplacé par un autre magistrat. Le 9 février 1989, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes, saisie directement par le requérant d'une demande de mise en liberté, la rejeta. Elle invoqua le risque de fuite et estima qu'il était souhaitable de maintenir le requérant à la disposition de la justice car il semblait mêlé à d'autres infractions. Le 23 février 1989, la chambre d'accusation rejeta une nouvelle demande de mise en liberté. Le 19 juin et le 22 juin 1989, eurent lieu deux confrontations entre les co-inculpés et des témoins. Le 26 juillet 1989, le juge d'instruction délivra une commission rogatoire aux fins de vérifier les dires du requérant lors de son premier interrogatoire le 30 juin 1988. Cette commission rogatoire, qui aurait dû être exécutée pour le 1er octobre 1989, ne fut retournée que fin avril de l'année suivante. Le 23 novembre 1989, une nouvelle confrontation fut organisée. Le 16 janvier 1990, le juge d'instruction en charge du dossier rejeta une nouvelle demande de mise en liberté. Saisie d'un appel contre cette ordonnance, la chambre d'accusation rendit un arrêt de rejet le 1er février 1990, aux motifs qu'il fallait éviter une concertation frauduleuse entre l'inculpé et les co-inculpés en liberté, et qu'au regard des investigations restant à effectuer, la durée de la détention n'était pas excessive. Le 30 janvier et le 27 mars 1990 eurent lieu de nouvelles confrontations. Le 22 mars 1990, le juge d'instruction rendit une ordonnance prolongeant la détention. Une nouvelle ordonnance de rejet d'une demande de mise en liberté fut rendue le 7 septembre 1990. Statuant sur l'appel formé contre cette ordonnance, la chambre d'accusation confirma le 27 septembre 1990 l'ordonnance de rejet. Elle rejeta l'argument fondé sur la violation de l'article 5 par. 3 de la Convention, en faisant référence aux nombreuses investigations entreprises et aux contradictions entre témoins et inculpés. Elle invoqua également le risque de trouble à l'ordre public, ainsi que les risques de fuite et de renouvellement de l'infraction. Dans son pourvoi contre cet arrêt, le requérant fit valoir que la chambre d'accusation avait mal interprété l'article 5 par. 3 de la Convention : au lieu d'examiner si la durée de la détention était raisonnable, elle aurait dû se placer au plan du jugement et vérifier si, en l'absence de jugement dans un délai raisonnable, la mise en liberté ne s'imposait pas. Par un arrêt du 3 janvier 1991, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle s'exprima ainsi : "Attendu qu'il se déduit de cette décision que la chambre d'accusation, contrairement à ce qui est allégué, a recherché si, en l'absence de jugement, il n'y avait pas lieu d'ordonner la mise en liberté de l'inculpé, lequel soutenait dans son mémoire 'qu'un examen objectif des faits de la cause laissait apparaître qu'une instruction de 30 mois était excessive' et 'qu'il ne saurait être maintenu en détention dans l'attente d'une comparution éventuelle devant ses juges qui ne pourrait s'effectuer avant de nombreux mois'." Le 12 septembre 1990 eut lieu la dernière confrontation entre les coïnculpés et des témoins. Le 28 septembre 1990, le procureur de la République rendit un réquisitoire supplétif aux fins de nouvelles vérifications. Le 7 novembre 1990, le parquet rendit son réquisitoire définitif. Par la suite, le requérant souleva de nombreuses exceptions de nullité devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes. Il invoqua notamment l'irrégularité d'écoutes téléphoniques opérées, selon lui, en violation de l'article 8 de la Convention. La chambre d'accusation rejeta ces exceptions de nullité, et renvoya l'affaire devant la cour d'assises d'Ille et Vilaine, par un arrêt du 10 janvier 1991. Le requérant forma un pourvoi contre cette décision et, par arrêt du 23 avril 1991, la Cour de cassation y fit partiellement droit. En ce qui concerne les écoutes téléphoniques, elle en admit l'irrégularité tirée du décalage dans le temps, entre la pose de ces écoutes et l'habilitation régulièrement délivrée ; elle tira cependant argument du fait que ces écoutes se seraient révélées totalement négatives pour affirmer que les droits de la défense n'avaient pas été atteints, et refusa de prononcer la nullité de ces écoutes. Elle cassa l'arrêt pour d'autres motifs, et renvoya la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen. Devant cette juridiction, le requérant invoqua notamment la violation de l'article 6 par. 3 d) de la Convention, dans la mesure où il n'aurait jamais été confronté avec la victime et le témoin de l'un des vols. Par arrêt du 3 juillet 1991, la chambre d'accusation rejeta l'ensemble des moyens de procédure soulevés par le requérant, et renvoya l'affaire devant la cour d'assises d'Ille et Vilaine. Le requérant forma un pourvoi contre cet arrêt, en invoquant à nouveau la violation de l'article 6 par 3 d) de la Convention. Par arrêt du 17 décembre 1991, la Cour de cassation rejeta ce pourvoi. Lors de l'audience de la cour d'assises, le requérant sollicita l'audition d'un témoin à décharge qui n'avait pas été entendu par le juge d'instruction mais seulement par la police. Les recherches ordonnées par le président de la cour ne permirent pas de retrouver ce témoin, de sorte que seule sa déposition fut lue à l'audience. Par arrêt du 3 avril 1992, la cour d'assises d'Ille et Vilaine condamna le requérant à douze ans de réclusion criminelle pour les quatre vols dont elle avait été saisie. Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cette décision, qui est pendant.
GRIEFS Le requérant allègue la violation des articles 5 par. 3, 8 et 6 par. 1 et 3 d) de la Convention.
1. Le requérant relève tout d'abord qu'il a été détenu du 22 mars 1988 au 3 avril 1992, soit pendant quatre ans et treize jours, en violation des prescriptions de l'article 5 par. 3 de la Convention. 2. Le requérant soutient ensuite qu'une partie des preuves reposerait sur des écoutes téléphoniques irrégulières, en violation de l'article 8 de la Convention. Il rappelle que sa ligne téléphonique a été mise sous surveillance avant que l'habilitation ne soit régulièrement délivrée.
3. Le requérant estime encore que sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention.
4. Le requérant se plaint enfin de ce que, en dépit de multiples demandes, il n'a jamais pu obtenir que le magistrat instructeur procède à sa confrontation avec un témoin à décharge. Il expose que lors des débats devant la cour d'assises, ce même témoin n'avait pas été entendu en personne, ce qui serait contraire au principe de l'équité de la procédure au sens de l'article 6 par. 1 et 3 d) de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 22 janvier 1991 et enregistrée le 24 avril 1991. Le 1er avril 1992, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs tirés des articles 5 par. 3, 8 et 6 par. 1 de la Convention. Le Gouvernement a présenté ses observations le 22 septembre 1992 après deux prorogations du délai. Le requérant a présenté des observations le 1er août et le 24 novembre 1992.
EN DROIT Le requérant rappelle tout d'abord qu'il a été détenu du 22 mars 1988 au 3 avril 1992, soit pendant quatre ans et treize jours, ce qui ne serait pas conforme à l'exigence de délai raisonnable au sens de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Le requérant soutient ensuite qu'une partie des preuves reposerait sur des écoutes téléphoniques irrégulières, en violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Le requérant estime aussi que sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention puisqu'il a dû attendre quatre années et onze jours avant d'être jugé. Le requérant se plaint enfin de ce que, en dépit de multiples demandes, il n'a jamais pu obtenir l'audition d'un témoin à décharge et sa confrontation avec lui ; il n'aurait dès lors pas bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 et 3 d) (art. 6-1, 6-3- d) de la Convention.
1. Quant au grief tiré de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, le Gouvernement excipe d'emblée du non-épuisement des voies de recours internes. Selon le Gouvernement, le requérant n'aurait pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où un seul arrêt de rejet de mise en liberté a fait l'objet d'un pourvoi en cassation. Le requérant estime qu'il a bien épuisé les voies de recours internes puisqu'il a saisi la Cour de cassation du grief tiré de la durée de sa détention en invoquant l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. La Commission rappelle que la condition de l'épuisement des voies de recours internes, prévue à l'article 26 (art. 26) de la Convention, suppose que le requérant ait épuisé tous les recours efficaces susceptibles de porter remède à la situation litigieuse. En l'espèce, la Commission constate que le requérant a saisi la Cour de cassation du grief tiré de la durée de sa détention au sens de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, et a donc bien fait usage des voies de droit à sa disposition. L'exception de non-épuisement des voies de recours internes ne saurait dès lors être retenue.
2. Sur le bien-fondé du grief tiré de la durée de la détention provisoire au sens de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, le Gouvernement plaide le défaut manifeste de fondement. Selon le Gouvernement, les circonstances de l'espèce ne permettaient pas la remise en liberté du requérant car les faits, et particulièrement ceux du vol commis avec armes, avaient ému l'opinion publique. En outre, les magistrats étaient fondés à parer à tout danger de fuite d'un accusé qui, selon les renseignements obtenus, envisageait un voyage en Belgique pour écouler la marchandise dérobée, était sans profession et sans vie de famille stable au moment des faits, et avait été condamné depuis 1963 à un total de trente-cinq années d'emprisonnement. Le Gouvernement ajoute que la Cour de cassation a ainsi correctement apprécié le grief soulevé par le requérant, puisqu'elle a recherché si, en l'absence de jugement, il n'y avait pas lieu d'ordonner la mise en liberté de l'inculpé. Le requérant estime qu'il convient de se placer du point de vue du jugement à venir et non de celui de la détention. Il conteste tout d'abord la régularité de son interpellation et de son placement en détention subséquent, dans la mesure où son arrestation, le 22 mars 1988, a été effectuée dans le cadre de la procédure de flagrance, alors qu'elle aurait dû se dérouler, après délivrance d'une nouvelle commission rogatoire, par le juge d'instruction déjà chargé de l'affaire du 10 décembre 1987. Quant à la durée de la détention, le requérant rappelle que la procédure a duré plus de quatre ans et que l'instruction a duré plus de deux ans et demi. Il rappelle en outre qu'il n'a en aucune manière entravé le travail du magistrat instructeur. La Commission note que le requérant a été maintenu en détention pendant quatre ans et treize jours. La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire doit s'apprécier eu égard aux principes consacrés par les organes de la Convention (voir notamment Cour eur. D.H., arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 37, par. 4-5 et plus récemment, arrêt W. c/Suisse du 26 janvier 1993, série A n° 254, p. 11, par. 30). Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur la question de savoir si la détention provisoire du requérant s'est prolongée au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, la Commission estime, à la lumière de sa propre jurisprudence et de celle de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que cet aspect de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé à cet égard.
3. Quant au grief tiré de ce qu'une partie des preuves reposerait sur les résultats d'écoutes téléphoniques irrégulières au regard des dispositions de l'article 8 (art. 8) de la Convention, le Gouvernement admet que celles-ci constituaient une ingérence dans la vie privée du requérant. Il expose toutefois qu'à la différence des affaires Kruslin et Huvig, la "qualité de la loi" était, au moment où les juridictions ont statué dans la présente affaire, conforme aux exigences prévues par l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il observe qu'immédiatement après le prononcé de ces arrêts le 24 avril 1990, le Garde des Sceaux avait pris une circulaire demandant aux juridictions d'élargir leur contrôle sur les modalités de mise en oeuvre des écoutes, en se conformant aux exigences des organes de la Convention. Les arrêts rendus par les juridictions internes dans l'affaire en cause ne sont donc pas critiquables au regard de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Le requérant considère que le Gouvernement n'a pas répondu à ses arguments précis, se contentant d'une motivation générale. Il souligne que sa ligne téléphonique a été placée sur table d'écoutes le 4 mars 1988 à 17 heures et 12 minutes, alors que la personne qualifiée pour procéder à cette mise sous surveillance ne fut requise par l'officier de police judiciaire compétent qu'à 18 heures, ce qui rendrait ces écoutes irrégulières et donc contraires à l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il ajoute que le juge d'instruction a, en outre, négligé de préciser l'étendue et la durée des écoutes, le service compétent pour y procéder, ainsi que les conditions d'effacement ultérieur des enregistrements. La Commission rappelle tout d'abord que selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les conversations téléphoniques se trouvent incluses dans les notions de "vie privée" et de "correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8). L'interception de conversations téléphoniques s'analyse, dès lors, en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8) (Cour. eur. D.H., arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, par. 40, arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82, p. 30, par. 64 et plus récemment, arrêts Kruslin et Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176, respectivement p. 20, par. 26 et p. 52, par. 25). La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, à la lumière notamment des arrêts précités de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Elle estime que cet aspect de la requête pose de sérieuses questions au regard du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8), notamment la question de savoir si les normes juridiques nationales qui constituent la base légale de la mesure en question indiquent avec assez de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré et offrent un degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (voir arrêts Kruslin et Huvig précités, respectivement par. 36 et 35). Ces questions ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête mais nécessitent un examen au fond. Dès lors cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, aucun autre motif d'irreceva- bilité n'ayant été relevé à ce égard.
4. Quant au grief tiré de la durée de la procédure au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le Gouvernement soutient que l'examen de l'affaire ne fait apparaître aucun manque de diligence de la part des autorités judiciaires, qui ont procédé à de nombreux interrogatoires, investigations, auditions et à six confrontations. Il rappelle également que l'affaire était complexe en raison du regroupement de quatre vols, dans lesquels étaient impliquées plusieurs personnes, en une seule procédure. Selon lui, la période qui sépare l'ordonnance de transmission des pièces rendue par le juge d'instruction en date du 13 novembre 1990 et l'arrêt de la cour d'assises du 3 avril 1992 s'explique par les deux pourvois en cassation formés par le requérant contre les arrêts de renvoi des chambres d'accusation des cours d'appel de Rennes, puis de Caen. Le requérant estime, tout d'abord, que les autorités judiciaires ont fait preuve d'un manque de diligence caractérisé, en ordonnant tardivement une commission rogatoire, en n'exigeant pas son retour rapidement, et enfin en n'effectuant que tardivement une confrontation entre des témoins et les coïnculpés. Quant à la complexité de l'affaire, le requérant rappelle que les faits s'étaient déroulés dans un territoire limité, et que les témoins de l'affaire résidaient tous dans la même ville. Enfin, le requérant considère que l'on ne saurait lui reprocher d'avoir formé deux pourvois en cassation contre l'arrêt de renvoi, dont l'un lui donna raison. La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités judiciaires (voir Cour eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 35, par. 80 et plus récemment, arrêt Kemmache du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 29, par. 60 ). Quant à la complexité de l'affaire, la Commission considère qu'elle est caractérisée dans la mesure où l'instruction concernait quatre vols successifs, mettant en cause de nombreuses personnes. Quant au comportement du requérant, la Commission rappelle qu'il a formé un pourvoi contre l'arrêt de renvoi, qui a été cassé par la Cour de cassation, puis un autre pourvoi contre le nouvel arrêt de renvoi, qui fut rejeté. L'exercice de ces recours a ralenti la procédure de près d'une année. La Commission estime toutefois qu'un tel comportement ne saurait être reproché au requérant dans la mesure où il n'est que le reflet de l'exercice légitime des voies de recours mises à sa disposition. Quant au comportement des autorités judiciaires, la Commission note que les magistrats instructeurs successivement en charge du dossier ont procédé à de nombreux actes de recherche des preuves : en effet, ils ont ordonné plusieurs commissions rogatoires et procédé à un grand nombre d'interrogatoires, d'auditions et à six confrontations entre les inculpés et les témoins. L'étude de la chronologie détaillée des actes de procédure ne laisse apparaître aucun temps mort, aucune période d'inactivité qui puisse être reprochée aux magistrats. A la lumière de l'ensemble de la procédure, la Commission estime que sa durée n'a pas été excessive. Il est vrai que le comportement du requérant n'a pas vraiment contribué à prolonger l'instruction. Toutefois, l'affaire était relativement complexe et la volonté des magistrats instructeurs de faire toute la lumière sur l'affaire ne saurait leur être reprochée. La Commission estime dès lors que cet aspect de la requête est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
5. Le requérant se plaint enfin de ce qu'en dépit de ses multiples demandes, il n'a jamais obtenu que le magistrat instructeur procède à sa confrontation avec un témoin à décharge. Il expose que lors des débats devant la cour d'assises, ce même témoin n'avait pas été entendu, ce qui ne serait pas conforme au principe de l'équité de la procédure au sens de l'article 6 par. 1 et 3 d) (art. 6-1, 6-3-d) de la Convention. La Commission se réfère à sa jurisprudence constante (voir notamment requête N° 9000/80, déc. 11.3.52., D.R. 28 p. 127 ), aux termes de laquelle la conformité d'un procès aux normes fixées par l'article 6 (art. 6) de la Convention doit être examinée sur la base de l'ensemble du procès sauf si un incident ou aspect particulier peuvent avoir été marquants ou revêtu une importance telle qu'ils constituent un élément décisif pour l'appréciation générale de l'ensemble du procès. En l'espèce, la Commission constate que la décision de condamnation n'est pas encore définitive dans la mesure où l'arrêt de la cour d'assises a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation qui n'a pas encore statué. Ce grief est donc prématuré. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non- épuisement des voies de recours internes au sens des articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant relatifs à la durée de sa détention provisoire et aux écoutes téléphoniques dont il a fait l'objet ; DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL) ANNEXE Chronologie des actes de procédure fournie par le Gouvernement défendeur - 21 décembre 1987 : réquisitoire introductif contre X. après enquête de flagrance sur le vol avec arme commis le 10 décembre 1987 à Bains de Bretagne, - 21 décembre 1987 : commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction au Commandant de la Légion de Gendarmerie de Bretagne, - 14-19 janvier/4-10 mars 1988 : commission rogatoire aux fins de surveillance de lignes téléphoniques, - 23 mars 1988 : auditions de J.V.C., J.V., et de plusieurs témoins, après diverses opérations de surveillance et de vérification, - 24 mars 1988 : ordonnance de soit communiqué, réquisitoire supplétif contre J.V.C., J.V. et quatre autres personnes, procès-verbaux de première comparution et placement en détention provisoire de J.V.C. et J.V., - 6 avril 1988 : interrogatoire de C.S., - 7 avril 1988 : interrogatoire de M.M., - 7 avril 1988 : interrogatoire de C.G., - 8 avril 1988 : interrogatoire de M.C. - 4 mai 1988 : ordonnance de commission d'experts aux fins d'expertise psychiatrique de J.V.C., - 4 juin 1988 : dépôt du rapport d'expertise psychiatrique de J.V.C., - 6 juin 1988 : interrogatoire de C.S., - 6 juin 1988 : interrogatoire de M.M. et C.G., - 8 juin 1988 : dépôt du rapport d'expertise psychiatrique de De Vriendt, - 10 juin 1988 : interrogatoire de M.C., - 24 juin 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V. (qui nie les faits et se refuse à toute autre déclaration), - 30 juin 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V.C., - 30 juin 1988 : notification du rapport d'expertise psychiatrique à J.V.C.,- 4 juillet 1988 : ordonnance de jonction avec une autre procédure également ouverte le 24 mars 1988, du chef de vol et recel qualifié commis à Bains de Bretagne le 18 ou 19 mars 1988, - 7 juillet 1988 : interrogatoire de M.C., - 8 juin/15 juillet 1988 : réalisation de clichés photographiques détaillés par la Gendarmerie, - 24 août 1988 : interrogatoire de C.G., - 7 septembre 1988 : audition de témoin par commission rogatoire, - 28 mars/6 septembre 1988 : enquête complémentaire de Gendarmerie par commission rogatoire, - 22 septembre 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V.C., - 22 septembre 1988 : jonction de la copie d'un dossier de personnalité antérieur de J.V., - 8 juillet/6 octobre 1988 : expertise d'armes, - 11 octobre 1988 : interrogatoire de C.S., - 14 octobre 1988 : notification à J.V. du rapport d'expertise psychiatrique, - 14 octobre 1988 : interrogatoire de curriculum vitae de De Vriendt, - 25 octobre/29 novembre 1988 : exécution de commissions rogatoires de C.V., - 26 octobre 1988 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V., - 2 novembre 1988 : interrogatoire de C.G., - 3 novembre 1988 : interrogatoire de M.M., - 21 novembre 1988 : jonction de la copie d'un dossier antérieur de personnalité de J.V.C., - 29 novembre 1988 : ordonnance de refus de restitution de scellés, - 23 décembre 1988 : ordonnance de changement de juge d'instruction (M. Boiffin, nommé à Paris, étant remplacé par M. Lavielle), - 3 février 1989 : interrogatoire de J.V. (C.V.) - 17 février 1989 : transport à la Maison d'arrêt aux fins d'interrogatoire de curriculum vitae qui n'a pu avoir lieu, - 28 février 1989 : interrogatoire de C.G., - 31 mai 1989 : ordonnance de restitution de scellés, - 31 mai 1989 : interrogatoire de curriculum vitae de J.V.C., - 13 juin 1989 : notification d'expertise à J.V., - 19 juin 1989 : confrontation des inculpés Glet, Salzet, Marafon, J.V.C. Monique avec les témoins F.S. et J.M., - 22 juin 1989 : confrontation des mêmes inculpés avec les témoins F.S. et R.N., - 19 juillet 1989 : interrogatoire de Jean-Pierre J.V.C., - 9 septembre 1989 : jonction de la copie d'une précédente expertise psychiatrique de J.V.C., - 12 septembre 1989 : interrogatoire de C.S., - 3 octobre 1989 : ordonnance aux fins de bilan médical complet de J.V.C., - 3 octobre/20 novembre 1989 : expertise médicale de J.V.C. (bilan fonctionnel visuel complet), - 10 octobre 1989 : interrogatoire de J.V., - 13 octobre 1989 : interrogatoire de J.V.C., - 18 octobre 1989 : interrogatoire de Glet, - 23 novembre 1989 : confrontation de J.V.C., J.V., Glet, - 30 janvier 1990 : transport sur les lieux à Messac, audition de témoin, confrontation de J.V.C., J.V., - 26 juillet 1989/13 mars 1990 : exécution d'une commission rogatoire avec notamment audition de dix témoins, - 16 mars 1990 : rappel à l'expert chargé du bilan médical complet de J.V.C., - 27 mars 1990 : confrontation J.V.C., J.V., Glet, Salzet, - 28/29 mars 1990 : demandes d'audition émanant du conseil de J.V.C., - 2/21 avril 1990 : exécution d'une commission rogatoire, - 11 mai 1990 : dépôt du rapport de l'expert, - 16 mai 1990 : interrogatoires de M.M., J.V., Glet, audition du témoin M.G., - 20 juillet 1990 : ordonnance de soit communiqué au Parquet, - 9 août 1990 : lettre du conseil de J.V.C. annonçant le dépôt d'un mémoire, - 20 août 1990 : réquisitions de qualification, jonction et disjonction de certains faits, - 4/9/11 septembre 1990 : lettres de J.V.C. et de J.V., - 12 septembre 1990 : confrontation entre J.V.C., J.V., G., Salzet, - 12 septembre 1990 : mémoire de J.V.C., - 14 septembre 1990 : ordonnance de soit communiqué au Parquet, - 28 septembre 1990 : réquisitoire supplétif aux fins de nouvelles vérifications, - 16 octobre 1990 : jonction des pièces concernant ces vérifications, - 17 octobre 1990 ; ordonnance de soit communiqué, - 7 novembre 1990 : réquisitoire définitif, - 13 novembre 1990 : ordonnance de transmission des pièces au Procureur Général, - 3 décembre 1990 : réquisitoire du Procureur Général, - 20 décembre 1990 : audience de la Chambre d'accusation, - 10 janvier 1991 : arrêt de renvoi devant la Cour d'assises, - 23 avril 1991 : cassation de l'arrêt de mise en accusation en ce qui concerne J.V.C. et renvoi devant la Chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen, - 23 avril 1991 : arrêt de la chambre criminelle déclarant De Vriendt déchu de son pourvoi contre l'arrêt du 10 janvier 1991, - 3 juillet 1991 : arrêt de mise en accusation de la chambre d'accusation de Caen, - 17 décembre 1991 : arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rejetant le pourvoi de J.V.C. formé contre l'arrêt du 3 juillet 1991, - 31 mars au 3 avril 1992 : débats devant la cour d'assises de l'Ille-et-Vilaine et arrêt condamnant notamment J.V.C. et J.V., - Pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'assises (date non mentionnée).


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 18121/91
Date de la décision : 31/03/1993
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) PEINE DEGRADANTE


Parties
Demandeurs : J.V.C.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-03-31;18121.91 ?

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