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21/09/1993 | CEDH | N°12350/86

CEDH | AFFAIRE KREMZOW c. AUTRICHE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE KREMZOW c. AUTRICHE
(Requête no12350/86)
ARRÊT
STRASBOURG
21 septembre 1993
En l’affaire Kremzow c. Autriche*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
C. Russo,

Mme  E. Palm,
M.  R. Pekkanen,
Sir  John Freeland,
M.  J. Makarczyk,
ainsi que de MM. M.-A. E...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE KREMZOW c. AUTRICHE
(Requête no12350/86)
ARRÊT
STRASBOURG
21 septembre 1993
En l’affaire Kremzow c. Autriche*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
C. Russo,
Mme  E. Palm,
M.  R. Pekkanen,
Sir  John Freeland,
M.  J. Makarczyk,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 mars et 24 août 1993,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") puis par le gouvernement de la République d’Autriche ("le Gouvernement"), les 11 septembre et 1er octobre 1992, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 12350/86) dirigée contre l’Autriche et dont un ressortissant de cet État, M. Friedrich Wilhelm Kremzow, avait saisi la Commission le 1er août 1986 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration autrichienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l’article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 6 paras. 1 et 3 b) et c) (art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c), auxquels la première ajoute les articles 13 et 14 (art. 13, art. 14).
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance. Le président n’ayant pas consenti à ce qu’il se défendît lui-même, il a désigné ses conseils (article 30). Le président les a autorisés à employer l’allemand (article 27 par. 3).
3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 septembre 1992, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. C. Russo, Mme E. Palm, M. R. Pekkanen, Sir John Freeland et M. J. Makarczyk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4.  En qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, les conseils du requérant et la déléguée de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu, le 15 janvier 1993, les mémoires du Gouvernement et du requérant. Ce dernier a déposé ses prétentions au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention le 19 mars 1993.
5.  Par une lettre du 9 décembre 1992, il avait invité le président à indiquer diverses mesures provisoires (article 36 par. 1 du règlement). Le président s’y est refusé le 2 février 1993 après avoir recueilli les observations du Gouvernement et de la déléguée de la Commission.
Le 25, la chambre a rejeté aussi une demande de M. Kremzow tendant à l’audition de témoins et à la production de pièces.
6.  Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 23 mars 1993, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. W. Okresek, chancellerie fédérale,  agent,
M. F. Haug, ministère fédéral des Affaires étrangères,
Mme U. Kathrein, ministère fédéral de la Justice,  conseillers;
- pour la Commission
Mme J. Liddy,  déléguée;
- pour le requérant
Me L. Weh, avocat,
Me H. Mühlgassner, avocat,  conseils.
La Cour a entendu en leurs plaidoiries M. Okresek pour le Gouvernement, Mme Liddy pour la Commission et Me Weh pour le requérant, ainsi que des réponses à ses questions.
7.  Avec l’autorisation de la chambre (article 37 par. 1, dernier alinéa, du règlement), le requérant a déposé, le 23 mars 1993, un avis d’expert sur la procédure devant la Cour suprême. Le 19 avril, le Gouvernement a fait parvenir ses observations sur ce document et sur les prétentions de l’intéressé au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. L’ouverture de poursuites pénales contre le requérant
8.  M. Kremzow exerça les fonctions de juge en Autriche de 1964 à 1978, année où il prit sa retraite pour raisons de santé. Il servit alors de consultant à plusieurs avocats de la région de Vienne. Le 16 décembre 1982, il se présenta devant le tribunal d’arrondissement (Kreisgericht) de Korneuburg et avoua qu’il avait tué l’un d’eux, M. P.
Après l’avoir arrêté, on l’interna dans un hôpital psychiatrique de Vienne, eu égard à son état mental et au risque de le voir se suicider. On le transféra par la suite dans l’établissement spécialisé pour délinquants aliénés de Mittersteig.
9.  Le 30 novembre 1983, le parquet déposa un réquisitoire l’accusant de meurtre (article 75 du code pénal - Strafgesetzbuch), de détention illégale d’arme à feu (article 36 de la loi sur les armes - Waffengesetz) et de plusieurs escroqueries. Poussé par des difficultés financières à escroquer M. P., l’intéressé l’aurait abattu de peur d’être découvert. Le parquet demandait son placement dans un établissement pour délinquants aliénés, en application de l’article 21 du code pénal.
1. Le procès devant la cour d’assises (Geschworenengericht)
10.  Le procès s’ouvrit le 13 juin 1984 devant une cour d’assises du tribunal d’arrondissement de Korneuburg, siégeant avec un jury. M. Kremzow était représenté par un avocat d’office, la cour lui ayant refusé l’autorisation de se défendre lui-même.
A l’audience il revint sur ses aveux, imputables d’après lui à une aberration psychotique, et affirma que M. P. s’était donné la mort devant lui. La cour suspendit les débats et renvoya l’affaire au juge d’instruction afin qu’il tirât au clair cette allégation nouvelle.
11.  Un nouveau procès commença le 5 novembre 1984 devant la cour d’assises. Le 18 décembre, le jury déclara l’intéressé coupable de meurtre et de détention illégale d’arme à feu. Le ministère public avait abandonné les accusations d’escroquerie, faute de preuve. Le jury estima M. Kremzow pénalement responsable et exprima l’opinion que "le mobile demeur[ait] inconnu, les possibilités étant trop nombreuses".
Après en avoir délibéré avec le jury, la cour infligea au requérant vingt ans d’emprisonnement, la plus longue peine à temps prévue par le droit autrichien en matière de meurtre, et ordonna son internement dans un établissement pour délinquants aliénés.
2. La procédure devant la Cour suprême
a) Recours formés par les parties
12.  Le requérant introduisit un pourvoi en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde) devant la Cour suprême (Oberster Gerichtshof). Il se plaignait, notamment, de n’avoir pu se défendre lui-même et du caractère inéquitable du procès. Son épouse et sa mère formèrent elles aussi un pourvoi ainsi qu’un appel (Berufung) contre la durée de la peine et le placement dans un établissement spécial.
13.  De son côté, le parquet introduisit un appel contre la peine, réclamant une condamnation à perpétuité à raison de la préméditation et du caractère odieux du mode d’exécution du crime. Enfin, M. R.P., le fils de la victime, attaqua la décision renvoyant à la juridiction civile sa demande en dommages-intérêts.
b) La consultation du parquet général
14.  Le 2 mai 1985, la Cour suprême informa le parquet général (Generalprokuratur) des recours exercés par M. Kremzow, ses proches, le procureur et la partie civile; elle lui communiqua le dossier où figuraient des pièces y relatives. Le bordereau mentionnait le nom du juge rapporteur, dont il portait la signature.
Datées du 24 juillet 1985, les observations du procureur général sur les moyens de cassation ("croquis") parvinrent à la Cour suprême le 2 août. Longues de quarante-neuf pages, elles analysaient en détail les différents motifs de nullité invoqués par le requérant ainsi que par sa mère et sa femme. Le procureur général y concluait à la tenue d’une audience par la Cour suprême et au rejet des pourvois. Il ne se prononçait pas sur les appels formés contre la peine.
15.  Le 18 septembre 1985, le requérant pria la Cour suprême de lui communiquer ledit "croquis", en quoi son défenseur l’imita le 2 octobre 1985. Ces démarches restèrent sans effet. Il ne ressort d’aucun document de la Cour suprême que l’avocat de M. Kremzow ait cherché à consulter le dossier. Les observations en cause ne lui furent notifiées que le 9 juin 1986 (paragraphe 34 ci-dessous).
c) Production de nouvelles pièces
16.  Le 31 décembre 1985, M. R.P., le fils de la victime, soumit à la Cour suprême un certain nombre de pages manquantes du journal de son père. Pendant les débats, le requérant avait plusieurs fois sollicité la production des parties manquantes de ce journal pour prouver que l’intéressé avait bien eu l’intention de se suicider. La cour d’assises avait refusé d’ordonner une perquisition au domicile de M. R.P. à cette fin. Par la suite, M. Kremzow avait en outre agi au civil contre ce dernier afin qu’il déposât les pièces dont il s’agissait.
Informé, pendant cette procédure civile, que des parties du journal avaient été fournies à la Cour suprême, le requérant invita en vain le tribunal d’arrondissement de Korneuburg, le 22 janvier 1986, à prescrire une perquisition chez M. R.P., qu’il soupçonnait de garder par-devers lui d’autres documents pertinents. Il reçut ultérieurement, par le canal du tribunal d’arrondissement, une copie des pages communiquées à la Cour suprême.
Selon lui, celle-ci recourut à un complément d’instruction concernant certains chèques falsifiés, mais le Gouvernement le conteste.
d) Le projet d’arrêt élaboré par le juge rapporteur
17.  Avant la fixation de la date de l’audience de la Cour suprême, le juge rapporteur, conformément à la pratique habituelle devant cette juridiction, rédigea un projet d’arrêt qui fut versé au dossier officiel, apparemment après révision. Il y reprenait pour l’essentiel le raisonnement du "croquis" du procureur général et proposait le rejet des divers pourvois en cassation. Il traitait aussi de la question des pages du journal.
Il semble que des membres de la chambre compétente de la Cour suprême aient pris part à des délibérations préliminaires (Vorberatungen) avant les débats et que les observations d’autres membres sur le projet d’arrêt aient été intégrées au dossier quelque temps avant l’audience.
e) Convocation à l’audience devant la Cour suprême
18.  Le 4 juin 1986, la Cour suprême fixa au 2 juillet la date des débats relatifs aux pourvois et aux appels.
Le requérant reçut sa convocation le 17 juin 1986. Elle précisait que son incarcération l’empêcherait, d’après les articles 286 par. 2 et 344 du code de procédure pénale (Strafprozessordnung, "le code" - paragraphes 28-29 ci-dessous), de se présenter à l’audience consacrée aux pourvois en cassation, sauf par le truchement de son avocat d’office. Quant à celle concernant les appels, il ne pourrait pas davantage y assister, les conditions de l’article 296 par. 3 du code ne se trouvant pas remplies (paragraphe 31 ci-dessous). En outre, la Cour ordonna d’envoyer le "croquis" audit avocat ainsi qu’à celui de son épouse et de sa mère.
f) Demande du requérant tendant à sa comparution personnelle devant la Cour suprême
19.  Invoquant les articles 6 et 14 (art. 6, art. 14) de la Convention, M. Kremzow invita la Cour suprême, le 19 juin 1986, à l’autoriser à comparaître en personne à l’audience consacrée aux pourvois en cassation, droit accordé aux accusés non détenus. Il se fondait sur le droit de se défendre soi-même, garanti par l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c); il soulignait qu’il n’avait cessé de combattre sa représentation par un avocat d’office et que l’article 296 par. 3 du code reconnaissait aux accusés détenus le droit de comparaître à une audience d’appel contre leur peine. En même temps, il relevait, notamment, que sa demande de délivrance d’une copie du "croquis" du procureur général n’avait encore donné lieu à aucune décision.
20.  La Cour suprême lui opposa un refus le 25 juin 1986. Dans sa décision, notifiée au conseil de M. Kremzow le jour des débats (le 2 juillet 1986), elle constatait que ce dernier n’avait pas sollicité sa comparution à l’audience relative aux appels, en vertu de l’article 296 par. 3 du code (paragraphe 31 ci-dessous). Elle ne doutait nullement de la constitutionnalité de l’article 286 par. 2 du code (paragraphe 29 ci-dessous), ni de sa compatibilité avec l’article 6 (art. 6) de la Convention. Enfin, le requérant lui-même n’avait aucun droit à une copie du "croquis" et l’article 6 (art. 6) avait été respecté puisque son avocat d’office en avait reçu une.
g) Audience et arrêt de la Cour suprême
21.  Les débats de la Cour suprême concernant les pourvois en cassation et les appels se déroulèrent le 2 juillet 1986 en l’absence du requérant, représenté par son avocat d’office. Ils s’ouvrirent à 9 h pour s’achever à 11 h 25. La Cour entendit les conseils des parties et un membre du parquet général. Ses délibérations après l’audience durèrent une trentaine de minutes. Il y eut lecture d’un bref résumé de l’arrêt.
22.  La Cour rejeta tant les pourvois du requérant et de ses proches que l’appel de M. R.P. Elle accueillit l’appel du procureur et, en partie, celui des proches de M. Kremzow; elle condamna ce dernier à la réclusion à perpétuité. Elle annula en outre la décision de le placer dans un établissement psychiatrique, l’obligeant ainsi à subir sa peine dans une prison ordinaire.
Appréciant les circonstances aggravantes de la cause, elle déclara:
"Pour fixer la peine, (...) la juridiction du premier degré a trop peu pris en compte la particulière gravité de la culpabilité personnelle de l’accusé, jointe au poids objectif d’une infraction telle que l’homicide (intentionnel) commis dans les circonstances de l’espèce. Car ce crime perfide, qui équivalait en vérité à `liquider’ une victime ne se doutant de rien et faisant pleine confiance à l’accusé, et que celui- ciperpétra dans le dessein répréhensible d’empêcher la découverte de ses propres délits financiers, révèle une mentalité si négative (c’est-à-dire une telle vilenie), et donc un degré de culpabilité tel, que l’infliction d’une peine d’emprisonnement à temps (...) ne se justifie (plus) en l’occurrence. Le fait que l’accusé commit son crime sous l’empire d’un état mental anormal ne tire guère à conséquence et ne saurait donc contrebalancer les éléments à charge dans la détermination de la peine. Partant, la réclusion à perpétuité constitue l’unique sanction pénale adaptée au comportement de l’intéressé."
23.  Dans ses motifs, la Cour estima que la juridiction du fond n’avait pas lésé les droits de la défense en écartant l’offre de preuve relative aux pages du journal (paragraphe 16 ci-dessus). Elle précisa que les pages manquantes dont elle-même avait eu connaissance n’auraient "probablement pas eu la moindre incidence sur le verdict du jury".
24.  De la minute (Urschrift) de son arrêt, il ressort que le rejet des pourvois en cassation reposait presque mot pour mot sur le texte rédigé par le juge rapporteur avant l’audience (paragraphe 17 ci-dessus).
25.  Il appert que le requérant demeure interné dans l’établissement spécialisé pour délinquants aliénés de Mittersteig.
II.  DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Pourvoi en cassation
26.  Les jugements rendus en première instance par les chambres des tribunaux d’arrondissement peuvent donner lieu à un pourvoi en cassation devant la Cour suprême dans des cas limitativement énumérés par le code de procédure pénale (articles 281 par. 1 et, pour les cours d’assises, 345 par. 1), en particulier pour vice de procédure ou pour fausse application de la loi pénale de fond dans la déclaration de culpabilité et la détermination de la peine. En principe, pareil recours ne peut viser l’appréciation des preuves par la juridiction inférieure, ni invoquer des faits ou éléments de preuve nouveaux. La Cour suprême se trouve liée par les faits et preuves retenus dans la décision de première instance, sauf si elle relève que celle-ci n’est pas motivée ou qu’elle s’appuie sur des motifs insuffisants, contradictoires ou nettement incompatibles avec le dossier.
Toutefois, ces derniers principes concernant la motivation des jugements ne valent pas pour les pourvois dirigés contre les verdicts des jurys des cours d’assises. Il incombe alors à la Cour suprême, pour l’essentiel, de contrôler les actes des magistrats - dont le président - de la cour d’assises, en recherchant notamment si le procès s’est déroulé dans le respect des principes fondamentaux de la procédure, si le jury s’est entendu poser les bonnes questions et s’il a reçu les indications juridiques adéquates. Elle peut uniquement vérifier qu’il a répondu aux questions de manière claire, complète et cohérente. Comme dans les autres hypothèses, elle s’assure aussi de la bonne application de la loi pénale, mais les constatations de fait du jury la lient à cet égard.
27.  La Cour suprême peut parfois rejeter un pourvoi sans débats publics (article 285 c) du code), mais en règle générale elle doit, comme en l’espèce, tenir une audience qui peut porter en même temps sur les appels contre la peine.
28.  Pour ce qui est des audiences relatives aux pourvois en cassation, l’article 286 du code précise:
"1. Une fois fixée la date de l’audience publique, l’accusé (...) est convoqué (...)
2. S’il se trouve détenu, la notification de la date de l’audience lui signale qu’il ne peut comparaître en personne et doit se faire représenter.
29.  L’article 344 du code étend en principe l’application des textes précités aux pourvois concernant les procès devant jury.
Toutefois, si l’audience a trait à la fois à un pourvoi en cassation et à un appel contre la peine, l’accusé présent à raison du second peut également user de ses droits pour le premier.
B. Appel contre la peine
30.  Bien qu’un pourvoi en cassation puisse se diriger contre des violations de la loi dans la procédure d’infliction de la peine, on ne peut attaquer cette dernière, en tant que telle, que par la voie de l’appel (Berufung). Il peut porter aussi bien sur des points de droit (dont celui de savoir si le tribunal a dûment tenu compte de circonstances atténuantes ou aggravantes) que sur les éléments ayant contribué au choix de la peine. L’examen au fond d’un appel a normalement lieu en audience publique.
31.  Quant à la comparution personnelle de l’accusé aux débats, l’article 296 par. 3, deuxième phrase, du code, se lisait ainsi à l’époque considérée:
"Les articles 286 et 287 s’appliquent, mutatis mutandis, à la fixation de la date et à la tenue de l’audience publique, étant entendu qu’il faut toujours convoquer l’accusé en liberté et que l’on doit aussi traduire devant la cour l’accusé détenu s’il le demande dans son acte d’appel ou son mémoire en défense, ou si sa présence semble nécessaire dans l’intérêt de la justice."
C. Règlement intérieur de la Cour suprême
32.  La procédure devant la Cour suprême obéit à la loi fédérale relative à cette dernière (Bundesgesetz über den Obersten Gerichtshof) et au règlement intérieur (Geschäftsordnung) adopté en vertu de l’article 22.
33.  D’après les articles 5 et 6, paras. 1 et 2, de cette même loi, la Cour siège d’ordinaire en chambres composées de cinq membres; l’un d’entre eux assume la présidence et un autre, dont l’article 20 in fine interdit de révéler le nom aux parties, fait office de juge rapporteur.
34.  L’article 60 du règlement intérieur de la Cour suprême précise ce qui suit:
"2) (...) le dossier doit être remis au juge rapporteur compétent d’après le système de répartition des affaires.
3) S’il doit être ultérieurement communiqué au procureur général pour observations ou réquisitions ou, à sa demande, pour examen avant décision, il échet d’en ôter, sauf ordonnance judiciaire en sens contraire, toute pièce dont on pourrait tirer des conclusions sur le contenu de la décision à rendre par la Cour ou sur l’évolution de ses délibérations (projet d’arrêt du juge rapporteur, observations de membres de la chambre et autres éléments analogues).
4) Une fois le dossier restitué par le parquet général, le rapporteur le transmet, accompagné du projet d’arrêt, au président de la chambre pour suite à donner.
6) En cas de fixation d’une audience, seul le formulaire de convocation est adressé au parquet général pour information. Le dossier n’est communiqué à cette occasion qu’en vertu d’une ordonnance.
7) Si le parquet général a déposé des conclusions, des copies doivent en être notifiées aux autres parties à la procédure en cassation, au plus tard lors de la fixation de l’audience, sauf ordonnance judiciaire en sens contraire."
35.  L’article 65 par. 2 prescrit l’établissement d’un procès-verbal de toute délibération et de tout vote. La confidentialité peut en être imposée dans les cas prévus par la loi.
36.  Après le vote final, le juge rapporteur, ou le juge dont la chambre a adopté le projet, rédige les motifs de l’arrêt (article 65 par. 4). Le président de la chambre ou son suppléant, mais non le juge rapporteur, doit approuver le texte avant son expédition (article 65 par. 8).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
37.  Le requérant a saisi la Commission le 1er août 1986. Il formulait de nombreux griefs relatifs à son procès devant la cour d’assises, au sujet duquel il invoquait l’article 6 paras. 1, 2 et 3 c) et d) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-c, art. 6-3-d) de la Convention. Il se plaignait aussi de n’avoir pu comparaître en personne devant la Cour suprême, au mépris de l’article 6 paras. 1 et 3 c) combiné avec l’article 14 (art. 14+6-1, art. 14+6-3-c). Il soutenait de surcroît que la procédure suivie devant elle n’avait pas revêtu un caractère équitable (article 6 par. 1) (art. 6-1), l’arrêt ayant été rédigé et communiqué au procureur général avant l’audience, et qu’il n’avait pas eu assez de temps pour préparer sa défense (article 6 par. 3 b)) (art. 6-3-b). Enfin, il alléguait une violation de l’article 5, combiné avec l’article 14 (art. 14+5), quant à la peine prononcée par la Cour suprême, et de l’article 13 (art. 13) quant à la portée des recours s’ouvrant devant celle-ci pour redresser des infractions à l’article 6 (art. 6).
38.  La Commission a retenu la requête (no 12350/86) le 5 septembre 1990, mais seulement pour les doléances relatives à la procédure devant la Cour suprême. Dans son rapport du 20 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut:
a) qu’il y a eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) en ce que le requérant n’a pas été autorisé à comparaître en personne devant la Cour suprême (onze voix contre trois);
b) qu’il ne s’impose pas d’examiner le même grief sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6) (onze voix contre trois);
c) que la préparation d’un projet d’arrêt avant l’audience de la Cour suprême n’a pas méconnu l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité);
d) qu’il y a eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 b) (art. 6-1, art. 6-3-b) en ce que le requérant n’a pas eu à un degré suffisant la possibilité de se procurer les observations du procureur général et de les commenter (huit voix contre six);
e) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 (art. 6) quant au restant des griefs concernant le caractère équitable de la procédure devant la Cour suprême (unanimité);
f) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13), ni de l’article 5 combiné avec l’article 14 (art. 14+5) (unanimité).
Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
EN DROIT
I.  SUR L’OBJET DU LITIGE
39.  D’après le requérant, la Commission a négligé d’examiner son grief relatif à une atteinte à la présomption d’innocence que consacre l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention.
40.  La Commission concède qu’il l’en avait saisie avant la décision retenant la requête. Dès lors, la Cour a compétence pour en connaître (paragraphes 76-77 ci-dessous).
II.  SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
41.  Comme devant la Commission, le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité, pour non-épuisement des voies de recours internes (articles 26 et 27 par. 3) (art. 26, art. 27-3), de la plainte tirée du fait qu’au mépris de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), la Cour suprême n’aurait pas laissé M. Kremzow assister aux débats d’appel et de cassation devant elle.
D’après l’article 296 par. 3 du code de procédure pénale, en effet, l’intéressé aurait pu comparaître à l’audience d’appel s’il l’avait demandé (paragraphe 31 ci-dessus), quod non. De surcroît, en vertu du droit autrichien sa présence à cette audience lui aurait donné le droit de participer à celle de cassation (paragraphe 29 ci-dessus).
42.  La Cour relève qu’il existe un lien étroit entre la thèse du Gouvernement sur les deux points et le bien-fondé des doléances formulées par le requérant sur le terrain de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). Elle joint donc les exceptions au fond.
III.  SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L’ARTICLE 6 (art. 6)
43.  M. Kremzow allègue diverses violations des paragraphes 1, 2 et 3 b) et c) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-b, art. 6-3-c), aux termes desquels
"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;
44.  La Cour examinera d’abord les griefs principaux de l’intéressé sous l’angle du paragraphe 1 combiné avec le paragraphe 3 b) et c).
A. Paragraphe 1 combiné avec le paragraphe 3 b)
1. Le "croquis" du procureur général
45.  Le requérant affirme n’avoir reçu copie du "croquis" du procureur général que trois semaines avant les débats, à un moment où le projet d’arrêt de la Cour suprême avait déjà été rédigé, puis discuté par la chambre compétente. S’il avait eu l’occasion d’y répondre à un stade antérieur de l’instance, il aurait pu exercer quelque influence sur ledit projet. En outre, il apparaîtrait que l’arrêt de la Cour suprême constituait une transcription quasi littérale du "croquis".
46.  Le Gouvernement souligne que M. Kremzow avait trois semaines pour formuler ses observations en vue de l’audience et que son avocat pouvait consulter celles du procureur général dans le dossier de la Cour suprême avant qu’elles lui fussent notifiées.
47.  La Commission estime que la procédure n’a pas revêtu un caractère équitable à cet égard et que la défense n’a pas bénéficié "du temps et des facilités nécessaires" pour préparer et présenter ses arguments dans des conditions garantissant que la Cour suprême pût effectivement les prendre en compte. Elle relève que le document litigieux servit largement de base au projet du juge rapporteur et que la défense n’eut pas le loisir de le commenter avant les débats, alors pourtant que le projet avait donné lieu à une discussion non officielle entre des membres de la chambre. De plus, l’arrêt de la Cour suprême ne mentionnerait aucune des remarques émises en plaidoirie par la défense à propos du "croquis".
48.  La Cour relève que ce dernier, long de quarante-neuf pages, fut communiqué au conseil de l’intéressé le 9 juin 1986, quelque trois semaines avant la date fixée pour l’audience, en quoi la présente espèce se distingue de l’affaire Brandstetter c. Autriche (arrêt du 28 août 1991, série A no 211, pp. 27-28, paras. 64-69). Elle considère que cette période suffisait pour permettre au requérant et à son avocat de rédiger leur réplique à temps pour les débats du 2 juillet 1986.
49.  Le Gouvernement ne nie pas que la Cour suprême ne répondit pas aux demandes du requérant, des 18 septembre et 2 octobre 1985, l’invitant à lui délivrer une copie du "croquis", qu’elle avait reçu dès le 2 août 1985 (paragraphe 15 ci-dessus). Toutefois, l’avocat de M. Kremzow pouvait solliciter auprès d’elle l’autorisation de consulter le dossier pour examiner le "croquis" avant sa transmission. Or rien ne montre qu’il l’ait jamais fait (ibidem) et il n’existe aucune raison de présumer que pareille démarche n’eût pas abouti.
50.  Cela étant, la Cour estime que si le requérant a pu subir un certain désavantage dans la préparation de sa défense, il n’en a pas moins joui "du temps et des facilités nécessaires" pour réagir au "croquis". Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 b) (art. 6-1, art. 6-3-b) sur ce point.
2. Refus d’un accès personnel au dossier
51.  Sur le fondement des mêmes textes, M. Kremzow se plaint aussi de n’avoir pu compulser le dossier en personne.
52.  Avec le Gouvernement et la Commission, la Cour considère qu’il n’en est résulté aucune infraction à l’article 6 paras. 1 et 3 b) (art. 6-1, art. 6-3-b). Aux fins de l’article 6 (art. 6), il n’est pas incompatible avec les droits de la défense de réserver à l’avocat d’un accusé l’accès au dossier de la juridiction saisie (arrêt Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989, série A no 168, p. 39, par. 88).
3. Notification de la décision relative à la comparution à l’audience
53.  L’intéressé juge également contraire à l’article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) que la décision de la Cour suprême refusant de l’autoriser à comparaître à l’audience de cassation n’ait pas été notifiée à son conseil jusqu’au jour même de celle-ci.
54.  Relevant que le requérant introduisit sa demande quatorze jours à peine avant les débats, le Gouvernement fait valoir, entre autres, que ladite clause n’a pu être méconnue car en pareilles circonstances tant l’avocat que son client devaient de toute manière se préparer pour l’audience.
55.  La Commission estime que nulle question distincte ne se pose à cet égard puisqu’elle conclut à un manquement aux exigences de l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) (paragraphe 38 a) ci-dessus).
56.  La Cour constate l’absence de tout élément montrant que la Cour suprême ait indûment gêné la défense dans ses préparatifs faute de lui notifier sa décision avant l’audience. Partant, il n’y a pas eu violation de ce chef.
B. Paragraphe 1 combiné avec le paragraphe 3 c)
57.  D’après le requérant, le refus de le laisser assister aux débats relatifs aux pourvois en cassation et aux appels contre la peine a porté atteinte à son droit à se défendre lui-même, garanti par l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c).
58.  D’après la jurisprudence de la Cour, l’article 6 (art. 6) vaut aussi pour des instances de cassation et d’appel du genre dont il s’agit, mais la présence du prévenu ne revêt pas la même importance à ce niveau qu’au premier degré (voir notamment l’arrêt Kamasinski c. Autriche précité, série A no 168, p. 44, par. 106).
De fait, même dans l’hypothèse d’une cour d’appel dotée de la plénitude de juridiction, l’article 6 (art. 6) n’implique pas toujours le droit à une audience publique ni, a fortiori, le droit de comparaître en personne (voir notamment l’arrêt Fejde c. Suède du 29 octobre 1991, série A no 212-C, p. 68, par. 31).
59.  En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant la juridiction d’appel, eu égard notamment aux questions qu’elle avait à trancher (arrêt Helmers c. Suède du 29 octobre 1991, série A no 212-A, p. 15, paras. 31-32) et à leur importance pour l’appelant.
En l’espèce, les débats devant la Cour suprême concernaient tant des pourvois en cassation que des appels contre la peine. La Cour examinera le problème pour les premiers puis pour les seconds.
1. Comparution à l’audience consacrée aux pourvois en cassation
60.  M. Kremzow soutient qu’il avait le droit d’assister à l’audience consacrée aux recours en cassation, car elle avait trait non seulement à des points de droit mais aussi à certaines questions de fait. Dans son propre pourvoi, il avait reproché aux premiers juges d’avoir abouti à des conclusions erronées sur de telles questions et d’avoir repoussé à tort des offres de preuve. Spécialement, la Cour suprême, après examen des pages du journal de la victime présentées par le fils de celle-ci, les avait estimées sans pertinence pour le verdict du jury (paragraphe 23 ci-dessus). En outre, elle aurait mené une enquête à propos de certains chèques (paragraphe 16 ci-dessus).
61.  Pour le Gouvernement, l’article 6 (art. 6) n’exige pas la participation du prévenu aux débats de cassation car seuls s’y trouvent en jeu des problèmes juridiques. En outre, la Cour suprême ne se référa auxdites pages qu’après avoir constaté le défaut de fondement du moyen dirigé contre le rejet, par la cour d’assises, de la demande de complément d’instruction les concernant (paragraphe 23 ci-dessus).
62.  Tout en exprimant des doutes sur la nécessité, au regard de l’article 6 (art. 6), de la présence du requérant à l’audience dont il s’agit, la Commission ne croit pas devoir se prononcer.
63.  La Cour relève que d’après le droit autrichien la Cour suprême, dans une instance en cassation, connaît pour l’essentiel de points de droit relatifs à la conduite du procès et à d’autres aspects de celui-ci. Bien que liée par les constatations de fait des juridictions inférieures, elle peut avoir à rechercher, comme en l’occurrence, si une offre de preuve a été repoussée à bon droit par le juge du fond et si les faits écartés auraient pu influer sur le verdict du jury.
Eu égard à la circonstance que M. Kremzow était légalement représenté, la Cour considère que ni le paragraphe 1 ni le paragraphe 3 c) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-3-c) ne commandaient sa comparution aux débats litigieux. Elle note, en particulier, que les pages susmentionnées du journal avaient été soumises à l’intéressé avant ces derniers et qu’il put, par l’intermédiaire de son avocat, formuler des observations à leur sujet en plaidoirie. En outre, il n’est pas établi que la Cour suprême ait pris, comme il l’affirme, de quelconques mesures quant aux chèques en cause (paragraphe 16 ci-dessus).
Partant, il n’y a pas eu manquement de ce chef.
64.  Vu cette conclusion, il ne s’impose pas de trancher la question réservée au paragraphe 42 pour autant qu’elle se rapporte au grief ainsi examiné.
2. Comparution à l’audience consacrée aux appels contre la peine
65.  Appuyé par la Commission, le requérant allègue que la Cour suprême, par son refus de le laisser assister à l’audience relative aux appels, a violé son droit à se défendre lui-même.
66.  Pour le Gouvernement, il a renoncé sans équivoque à son droit en la matière faute d’avoir sollicité auprès de la Cour suprême une autorisation à cet effet. On ne saurait oublier qu’en sa qualité d’ancien juge, il connaissait bien les textes légaux applicables et qu’un avocat le représentait. En outre, le libellé de l’article 296 par. 3 du code de procédure pénale (paragraphe 31 ci-dessus) empêcherait de prétendre que la demande de comparution aux débats consacrés aux pourvois en cassation englobait tacitement ceux qui concerneraient les appels.
67.  La Cour souligne qu’il incombait à la Cour suprême, dans l’instance d’appel, de déterminer si elle devait infliger à l’intéressé une peine d’emprisonnement non plus de vingt ans, mais perpétuelle, et le condamner à la subir dans une prison ordinaire plutôt que dans un établissement spécial pour délinquants aliénés. Elle répondit par l’affirmative aux deux questions. Contrairement au jury, qui n’avait pu établir le mobile du crime, elle jugea en outre que M. Kremzow avait accompli celui-ci pour couvrir ses propres "délits financiers" (paragraphe 22 ci-dessus).
L’audience revêtait donc pour lui une importance cruciale; elle impliquait une appréciation non seulement du caractère du requérant et de son état d’esprit à l’époque de l’infraction, mais également de ses mobiles. Dans les circonstances de la cause, où pareille évaluation devait peser si lourd et où son résultat pouvait se révéler néfaste pour l’accusé, le caractère équitable de la procédure voulait que ce dernier assistât aux débats relatifs aux appels et eût l’occasion d’y participer, conjointement avec son avocat.
68.  Certes, pour des raisons qui demeurent obscures, il omit, dans son acte d’appel et ses observations en réponse, de solliciter sa comparution à l’audience, mais l’article 296 par. 3 prévoit que même s’il ne le demande pas le prévenu doit être traduit devant le tribunal au cas où "sa présence personnelle semble nécessaire dans l’intérêt de la justice" (paragraphe 31 ci-dessus).
La Cour estime que vu la gravité de l’enjeu, M. Kremzow aurait dû pouvoir "se défendre lui-même", comme l’exige l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention, et qu’en l’occurrence l’État, malgré l’absence de demande, avait l’obligation positive d’assurer sa présence aux débats.
69.  Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu, à cet égard, défaut d’épuisement des voies de recours internes (paragraphe 42 ci-dessus).
En résumé, la Cour constate une violation de l’article 6 par. 1 combiné avec le paragraphe 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c).
C. Préparation du projet d’arrêt avant l’audience de la Cour suprême
70.  Aux yeux du requérant, la préparation d’un projet d’arrêt et sa discussion par des membres de la Cour suprême, avant l’audience, ont rendu la procédure inéquitable et enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
71.  Commission et Gouvernement expriment l’opinion contraire.
72.  La Cour n’est pas convaincue que la pratique suivie sur ce point ait méconnu l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Un projet d’arrêt élaboré à l’avance, puis examiné de manière informelle par des membres de la chambre, ne lie nullement la Cour suprême, ni ne l’empêche de l’amender et d’arriver à une conclusion différente une fois les parties entendues.
D. Griefs relatifs à l’égalité des armes
73.  Le requérant allègue, en outre, les atteintes suivantes au principe de l’égalité des armes:
- la défense dut former ses recours contre la décision de première instance dans de brefs délais, tandis que le procureur général pouvait déposer son "croquis" quand bon lui semblait;
- contrairement à la défense, le parquet général connaissait, au mépris du droit autrichien, l’identité du juge rapporteur et savait donc quelle chambre de la Cour suprême allait traiter l’affaire;
- le dossier de la Cour suprême, y compris le projet du juge rapporteur, aurait été transmis au parquet général et non à la défense.
74.  Ni le Gouvernement ni la Commission n’aperçoivent là de manquements aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). En particulier, le Gouvernement souligne que d’après le droit autrichien le projet d’arrêt ne pouvait être communiqué au parquet général (paragraphe 34 ci-dessus).
75.  Ce dernier, nul ne le conteste, n’a aucun délai à respecter pour présenter ses observations. Toutefois, il lui faut se familiariser avec l’affaire plus tard et à un autre stade de la procédure que la défense, laquelle n’a du reste nullement pâti de cette différence de traitement.
Ensuite, le Gouvernement ne nie pas que le nom du juge rapporteur fut indûment dévoilé au parquet général, mais cela ne saurait, en soi, avoir rendu la procédure inéquitable.
Enfin, la Cour note qu’absolument rien ne prouve la communication d’une copie du projet d’arrêt au parquet général.
Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de ces chefs.
E. Article 6 par. 2 (art. 6-2)
76.  L’intéressé soutient qu’en lui attribuant des "délits financiers", la Cour suprême l’a en réalité déclaré coupable d’escroquerie, au mépris de la présomption d’innocence. Il relève que le jury qui avait étudié l’ensemble des preuves n’avait pas réussi à établir un mobile, "les possibilités étant trop nombreuses" (paragraphe 11 ci-dessus).
77.  La Cour rappelle que M. Kremzow avait déjà été convaincu de meurtre et que les remarques de la Cour suprême concernaient uniquement le mobile du crime. En outre, la mention de "délits financiers" ne peut s’interpréter comme le constat d’une infraction précise imputable au requérant. Dès lors, nulle question d’atteinte à la présomption d’innocence ne se pose.
IV.  SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DES ARTICLES 13 ET 14 (art. 13, art. 14)
78.  L’intéressé se dit aussi victime d’une discrimination contraire à l’article 14, combiné avec l’article 6 (art. 14+6), en ce qu’à la différence d’un accusé en liberté, il n’avait pas le droit d’assister en personne à l’audience de la Cour suprême.
Il invoque en outre l’article 14 combiné avec l’article 5 par. 1 a) (art. 14+5-1-a): eu égard au caractère arbitraire et contradictoire de l’arrêt de la Cour suprême, il n’aurait pas été détenu "régulièrement" après condamnation par un tribunal compétent.
Enfin, il n’aurait disposé d’aucun recours interne effectif pour l’examen de ses griefs, en raison de la portée limitée du pouvoir de contrôle de la Cour suprême.
79.  Aux termes de l’article 13 (art. 13),
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
D’après l’article 14 (art. 14),
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
La partie pertinente de l’article 5 (art. 5) est ainsi libellée:
"1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
80.  Ayant constaté une violation quant à l’absence de M. Kremzow à l’audience consacrée aux appels (paragraphe 69 ci-dessus), la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6).
81.  Quant aux deux doléances restantes, elle relève que si le requérant les a présentées à la Commission, il n’a formulé à leur sujet aucune observation, écrite ou orale, devant la Cour. Elle considère donc qu’il ne les a pas maintenues et elle n’aperçoit aucun motif de les examiner d’office.
V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
82.  Aux termes de l’article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
83.  M. Kremzow prétend seulement au remboursement de frais et dépens pour les deux avocats qui l’ont représenté à Strasbourg. Il affirme qu’il avait besoin d’un second conseil afin de parer au risque d’une censure de ses communications avec le premier, Me Weh.
Pour ce dernier et pour Me Mühlgassner, il réclame respectivement 800 000 et 95 256 schillings d’honoraires, plus 30 000 et 37 790 schillings de frais.
84.  Le Gouvernement estime que la comparution d’un deuxième avocat pour défendre les droits de l’intéressé devant la Commission et la Cour ne s’imposait pas. Il souligne que la correspondance du requérant avec Me Weh n’a pas été censurée. Il estime que 120 000 schillings d’honoraires constitueraient un montant plus approprié, eu égard au caractère superflu de nombreuses observations.
85.  La Cour doute que la représentation de M. Kremzow par deux avocats fût nécessaire en l’espèce. En outre, elle prend en compte le fait qu’un seul de ses multiples griefs se révèle fondé. Statuant en équité, elle accorde au requérant 200 000 schillings pour honoraires et 30 000 schillings pour dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Joint au fond les exceptions préliminaires du Gouvernement;
2. Dit qu’il ne s’impose pas de statuer sur l’exception relative au grief tiré de la non-comparution du requérant à l’audience consacrée aux pourvois en cassation;
3. Rejette l’exception relative au grief tiré de la non-comparution du requérant à l’audience consacrée aux appels;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 combiné avec l’article 6 par. 3 b) (art. 6-1, art. 6-3-b);
5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1, combiné avec l’article 6 par. 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c), quant à l’absence de l’intéressé à l’audience consacrée aux pourvois en cassation;
6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1, combiné avec l’article 6 par. 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c), quant à son absence à l’audience consacrée aux appels;
7. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant aux autres griefs fondés sur ce texte;
8. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 2 (art. 6-2);
9. Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner les doléances formulées sur le terrain des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14);
10. Dit que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 230 000 (deux cent trente mille) schillings autrichiens pour frais et dépens;
11. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 21 septembre 1993.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* L'affaire porte le n° 29/1992/374/445.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 268-B de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT KREMZOW c. AUTRICHE
ARRÊT KREMZOW c. AUTRICHE


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 12350/86
Date de la décision : 21/09/1993
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire jointe au fond (non-épuisement des voies de recours internes) ; Non-violation de l'art. 6-1+6-3-b ; Non-violation de l'art. 6-1+6-3-c (pourvois en cassation) ; Violation de l'art. 6-1+6-3-c (appels) ; Non-violation de l'art. 6-1 ; Non-violation de l'art. 6-2 ; Non-lieu à examiner l'art. 14+6 ; Non-lieu à examiner l'art. 14+5-1-a ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-2) PRESOMPTION D'INNOCENCE, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE, (Art. 6-3-b) ACCES AU DOSSIER, (Art. 6-3-b) FACILITES NECESSAIRES, (Art. 6-3-b) TEMPS NECESSAIRE, (Art. 6-3-c) SE DEFENDRE SOI-MEME


Parties
Demandeurs : KREMZOW
Défendeurs : AUTRICHE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-09-21;12350.86 ?

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