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02/03/1994 | CEDH | N°18185/91

CEDH | BASTIEN contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ sur la requête No 18185/91 présentée par Marie Paule BASTIEN contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1994 en présence de MM. A. WEITZEL, Président F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK Mme J. LIDDY MM. M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER G.B. REFFI B. CONFORTI N. B

RATZA I. BÉKÉS E. KONSTANT...

SUR LA RECEVABILITÉ sur la requête No 18185/91 présentée par Marie Paule BASTIEN contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1994 en présence de MM. A. WEITZEL, Président F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK Mme J. LIDDY MM. M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER G.B. REFFI B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS E. KONSTANTINOV Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 12 mars 1991 par Marie Paule BASTIEN contre la France et enregistrée le 13 mai 1991 sous le No de dossier 18185/91 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 25 juin 1993 et les observations en réponse présentées par la requérante le 25 août 1993 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Circonstances particulières de l'affaire La requérante, ressortissante française née en 1954, est sans profession et réside à Badonviller. Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par les parties peuvent se résumer comme suit : La requérante a été nommée agent de bureau dactylographe stagiaire à l'Office public d'H.L.M (devenu depuis l'Office public d'aménagement et de construction) de Meurthe et Moselle à compter du 20 avril 1976. Par lettre du 13 juillet 1978, elle fut informée de l'arrêté du 10 juillet 1978 mettant fin à son stage à compter du 28 août 1978. La requérante avait été avisée, par lettre du 29 mars 1978, que sa manière de servir ne permettait pas d'envisager sa titularisation. Cette décision intervint alors que la requérante, qui se trouvait en congé de maternité du 31 mars au 3 août 1978, avait été mise, à compter du 4 août suivant et jusqu'au 31 janvier 1979, en congé de maladie puis admise, à partir de cette dernière date, à bénéficier d'un congé de longue maladie. Le Comité médical départemental émit un avis favorable pour une prolongation de six mois à compter du 31 juillet 1980 de ce dernier congé. Le 31 janvier 1982, elle fut admise au bénéfice de la retraite pour invalidité. 1. Procédure en contestation de la décision de refus de l'Office de verser à la requérante les avances sur traitement. Par une décision du 5 novembre 1980, le directeur de l'office refusa d'accorder à la requérante l'avance sur traitement qu'elle sollicitait, au motif qu'elle ne faisait plus partie du personnel. Le 18 décembre 1980, la requérante recourut contre cette décision devant le tribunal administratif de Nancy qui, le 17 septembre 1981, jugea que la décision était justifiée dans la mesure où les liens juridiques unissant la requérante à l'Office public d'HLM avaient cessé d'exister à compter du 28 août 1978 et qu'il n'incombait plus à l'organisme employeur de supporter le versement des prestations sociales. Le Conseil d'Etat, saisi le 13 février 1982 par la requérante, annula le jugement de première instance par arrêt rendu le 20 février 1985. Il considéra que les décisions plaçant la requérante en congé de maladie puis de longue maladie avaient, nonobstant l'arrêté de fin de stage, maintenu un lien de droit entre la requérante et l'office employeur. Le Conseil d'Etat renvoya la requérante devant l'Office public d'H.L.M. pour qu'il soit procédé à un nouvel examen de sa demande. Le 28 mai 1985, le directeur de l'Office public rendit une nouvelle décision de rejet de la demande d'avance sur traitement qui fut déférée par requête du 11 août 1987 à la censure du Tribunal administratif de Nancy. Par jugement du 20 décembre 1990, le tribunal releva que, pour motiver son refus, l'Office s'était fondé sur les règles régissant l'établissement et le versement des rémunérations de ses agents et sur "les différents éléments constitutifs de la situation" de la requérante. Il jugea le premier motif erroné en droit et le second insuffisant et annula la décision du directeur de l'Office public. Le jugement fut notifié au directeur de l'Office qui ne réagit pas à la nouvelle réclamation présentée le 12 mars 1991 par la requérante pour faire exécuter l'arrêt du tribunal administratif de Nancy du 20 décembre 1990. La requérante prétend avoir déféré par requête du 14 mars 1993 la décision implicite de rejet de la troisième réclamation en versement d'avance sur traitement. L'affaire serait actuellement pendante devant les juridictions administratives. 2. Procédure en contestation de refus de l'Office de procéder rétroactivement à son affiliation à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales et en réclamation de traitements pour la période de son congé de longue maladie. Le 8 janvier 1985, la requérante saisit le tribunal administratif de Nancy d'un recours en annulation d'une décision prise le 13 novembre 1984 par le directeur de l'office refusant de procéder rétroactivement à son affiliation à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Au courant de cette procédure, elle forma une seconde requête en condamnation de l'office public à lui verser les traitements pour la période comprise entre le 1er août 1980 et le 31 janvier 1982 et en annulation d'un titre de recette émis à son encontre par l'office pour avoir remboursement des traitements qui lui avaient été versés du 28 août 1978 au 31 juillet 1980, en se fondant sur l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 février 1985 selon lequel il subsistait un lien de droit entre l'office et elle-même. Par un jugement rendu le 4 septembre 1986, le tribunal administratif de Nancy dit que la requérante était bien fondée à se prévaloir, même après qu'il ait été mis fin à ses fonctions, à un droit à couverture sociale par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales auquel lui ouvraient droit et son propre statut et celui de l'O.P.H.L.M., dès lors qu'elle avait été mise en congé de maladie antérieurement à la date d'effet de son licenciement. Selon le tribunal, l'office ne pouvait utilement opposer à la requérante le fait qu'elle n'avait jamais été affiliée à ladite caisse, dès lors que c'était à l'office lui-même qu'il incombait de procéder, en temps utile et de sa propre initiative, à cette affiliation. Il annula comme illégal le refus opposé par l'office à la demande d'affiliation de la requérante à ladite caisse de retraite mais rejeta, pour incompétence, les conclusions de la requérante tendant à ce que le tribunal contraigne l'office à procéder à cette affiliation. Statuant ensuite sur les droits à traitement de la requérante au titre de la période comprise entre le 28 août 1978 et le 31 janvier 1982, date de son admission au bénéfice de la retraite, le tribunal jugea que le licenciement avait définitivement privé la requérante de tout droit à rémunération au titre de la période postérieure à sa date d'effet et que le lien de droit reconnu par le Conseil d'Etat entre la requérante et l'office en matière de couverture sociale n'était pas de nature à lui conférer un droit à traitement. Il rejeta le surplus des conclusions de la requérante. Le Médiateur consulté par l'intermédiaire du député de Meurthe et Moselle estima, le 30 novembre 1987, que la situation de la requérante à la suite des arrêts rendus par le Conseil d'Etat et par le tribunal administratif de Nancy était la suivante : licenciée à compter du 4 août 1978 par une décision régulière, elle avait cependant gardé des liens de droit avec l'office jusqu'au 31 janvier 1981, ce qui lui permettait de prétendre au versement de son traitement dans les conditions prévues à cette époque pour les bénéficiaires de tels congés. Il ajouta par ailleurs que si les conditions d'attribution d'une pension d'invalidité se trouvaient remplies dans le cas de la requérante, il appartiendrait à l'office de la liquider et de la payer. La requérante n'a pas interjeté appel du jugement rendu le 4 septembre 1986 mais forma, le 6 septembre 1990, devant le Conseil d'Etat une seconde requête ,la première ayant été rejetée comme prématurée par une décision du Conseil d'Etat du 29 mai 1987, tendant à ce qu'il prononce une astreinte à l'encontre de l'Office public en vue d'assurer l'exécution de ce jugement, qui avait annulé la décision du directeur de l'Office refusant de l'affilier à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Par arrêt du 28 mai 1993, le Conseil d'Etat prononça à l'encontre de l'Office une astreinte de 1000F/jour jusqu'à la date d'exécution du jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 septembre 1986. Le 14 juin 1993, la requérante fut affiliée rétroactivement à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
2. Eléments de droit interne Décret n° 77-812 du 13 juillet 1977 relatif au régime de sécurité sociale des agents stagiaires des départements, des communes et de leurs établissements publics n'ayant pas le caractère industriel ou commercial L'article 3 de ce décret dispose: "En cas de licenciement en cours de stage, ou de non titularisation à l'expiration du stage, les cotisations dues pour la période de stage au titre de l'assurance vieillesse du régime général des assurances sociales doivent faire l'objet, de la part de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, d'un versement rétroactif à la caisse régionale de sécurité sociale à laquelle sont ou seront affiliés les intéressés. Code de sécurité sociale L'article D 172-1 dispose: "Lorsqu'un travailleur salarié ou assimilé cesse d'être soumis à un régime spécial d'assurances sociales, relevant de l'article R 711- 1 ou de l'article R 711-24 sans devenir tributaire soit d'un autre régime spécial, soit du régime de sécurité sociale, le régime spécial reste responsable des prestations des assurances maladie, maternité, invalidité ou décès tant que l'intéressé satisfait aux conditions de durée de travail ou de périodes assimilées et d'immatriculation, telles qu'elles sont fixées aux articles L 161-8, L 313-1, L 313-2 et L 341-2. Pour l'appréciation de ses droits, les périodes pendant lesquelles il a été affilié au régime spécial sont assimilées à des périodes d'immatriculation au régime général". Loi 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes pronocées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public En cas d'inexécution d'une décision rendue par une juridiction administrative le Conseil d'Etat peut prononcer, soit spontanément soit sur demande de l'intéressé, une astreinte contre les personnes morales de droit public afin d'assurer l'exécution de cette décision de justice. Les demandes tendant au prononcé d'astreintes ne peuvent être introduites qu'après un délai de quatre mois suivant la notification de la décision juridictionnelle demeurée inexécutée. L'instruction des procès en ce domaine est assurée par une sous-section de la Section du contentieux. En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, le Conseil d'Etat procède à la liquidation de l'astreinte définitive antérieurement prononcée sans possibilité pour lui de revenir sur le taux.
GRIEFS La requérante, qui n'invoque aucune disposition particulière de la Convention, se plaint de la non exécution, dans un délai raisonnable, des décisions rendues en sa faveur par les juridictions administratives. Elle estime ne pas avoir obtenu de décision définitive à son égard après dix ans de procédure judicaire et fait valoir qu'elle ne perçoit ni traitement ni indemnité depuis août 1980.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 12 mars 1991 et enregistrée le 13 mai 1991. Le 2 décembre 1992, la Commission (Première Chambre) a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci au regard de l'article 6 par. 1 de la Convention, de l'article 1er du Protocole N°1 et de ce même article combiné avec l'article 13 de la Convention. Le Gouvernement a présenté ses observations en date du 25 juin 1993 après quatre prorogations de délai. La requérante a présenté ses observations en réponse à celles du Gouvernement le 25 août 1993.
EN DROIT
1. La requérante se plaint en substance d'avoir été privé de tout traitement depuis 1980 en raison de la non-exécution des décisions rendues par les juridictions administratives en sa faveur. L'article 1er du protocole N°1 (P1-1) dispose: "Toute personne physique... a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'interêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou amendes". A titre principal, le Gouvernement estime que l'article 1er du protocole N°1 (P1-1) est inapplicable tant en ce qui concerne la procédure relative à l'avance sur traitement que celle relative à la demande d'affiliation rétroactive de la requérante à la caisse nationale des retraités des collectivités locales. Il fait en effet remarquer que les deux procédures ont pour objet une contestation relative à des prestations sociales. Le Gouvernement rappelle à cet égard la jurisprudence de la Commission selon laquelle la législation sur la sécurité sociale est conçue comme une assurance générale fondée sur le principe de la solidarité sociale et qui emporte comme conséquence que le droit aux prestations ne saurait être considéré comme un droit de propriété pouvant être qualifié de "bien" au sens de l'article 1er du protocole N°1 (P1-1) (cf. N° 10503/83, déc. 16.5.85, D.R 42, p. 162). Les deux contestations en cause, l'une portant sur une prestation d'assurance maladie, l'autre concernant une affiliation à un régime d'assurance vieillesse ne diffèrent pas du régime général de sécurité sociale. Or, le système français de sécurité sociale s'inspire d'une logique de solidarité et procède d'un mécanisme de répartition et non de capitalisation, les droits lui étant afférents étant étrangers à la notion de "bien" au sens de l'article 1er du Protocole N°1 (P1-1). Il suffit pour s'en convaincre, selon le Gouvernement, de se référer à la conception du juge constitutionnel relative à la nature juridique des droits afférents à la sécurité sociale. En effet, à propos de la compatibilité du régime sur les pensions de retraite avec l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (la propriété est un droit inviolable et sacré...), le Conseil constitutionnel jugea qu'en vertu de "l'article 34 de la Constitution, la loi définit les principes fondamentaux du droit au travail et de la sécurité sociale; qu'à ce titre, il lui revient d'organiser la solidarité entres personnes sans emploi et retraités et de maintenir l'équilibre financier permettant à l'ensemble des institutions de sécurité sociale de remplir leur rôle...". A l'aune des critères reconnus par la Commission pour déterminer dans quelle mesure le droit à une prestation sociale s'analyse comme un "bien" au sens de l'article 1er (caractère obligatoire ou volontaire des cotisations, principe de solidarité, existence d'un lien étroit entre le taux des cotisations et les prestations accordées), ni le droit à prestation d'assurance maladie ni le droit d'affiliation en cause ne peuvent être considérés comme des "biens" au sens de la jurisprudence de la Commission. Subsidiairement et en ce qui concerne la procédure relative à l'avance sur traitement, le Gouvernement note que la requérante n'a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention car elle n'aurait pas formé de recours à l'encontre de la décision implicite de rejet de la demande qu'elle a adressée à l'Office le 12 mars 1991. De toute façon, le grief est manifestement mal fondé car la requérante ne dispose pas d'un droit de créance en l'espèce puisque le directeur de l'Office dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser le bénéfice de l'avance sur le traitement. Enfin, en ce qui concerne la procédure portant sur l'affiliation de la requérante à la caisse de sécurité sociale des retraités des collectivités locales, le Gouvernement estime que la requérante est dépourvue de la qualité de victime dès lors que, par arrêt du 28 mai 1993, le Conseil d'Etat a prononcé une astreinte de 1000F/jour jusqu'à la date d'exécution du jugement. En ce qui concerne la procédure relative aux avances sur traitement, la requérante fait valoir qu'elle a bien formé un recours contre la troisième décision implicite de rejet de la demande qu'elle a adressée à l'Office le 12 mars 1991 et que l'affaire est actuellement pendante devant les juridictions administratives.
a) Au regard de la procédure relative aux avances sur traitement, la Commission estime que l'exception de non épuisement soulevée par le Gouvernement doit être rejetée car, compte tenu de l'inexécution par l'office d'H.L.M des deux précédents jugements rendus au bénéfice de la requérante, en 1985 par le Conseil d'Etat et en 1990 par le tribunal administratif, la troisième saisine des juridictions administratives par la requérante en 1991 ne saurait être considére comme une voie de recours efficace, au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention, et susceptible de mettre fin à la violation alléguée de l'article 1 du Protocole N°1 (P1-1). La Commission relève que les juridictions administratives ont reconnu à la requérante un droit à percevoir le traitement en question. Elle rappelle qu'elle a déjà admis qu'une créance peut constituer un bien au sens de l'article 1er du Protocole N°1 (P1-1) (voir N° 7742/76, déc. 4.7.78, D.R. 14 p. 146). La Commission a procédé à un examen préliminaire des thèses développées par les parties. Elle estime que la requête pose sur ce point de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond.
b) En ce qui concerne la procédure relative à l'affiliation rétroactive de la requérante à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la Commission relève que le tribunal administratif de Nancy a reconnu à la requérante un droit à une couverture sociale en matière de retraite. La Commission note que la requérante a obtenu, suite à l'astreinte prononcée par le Conseil d'Etat à l'encontre de l'Office, l'affiliation qu'elle revendiquait. Dès lors, selon une jurisprudence constante de la Commission, elle ne peut plus se prétendre victime au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention d'une violation de l'article 1er du Protocole N°1 (P1-1). Eu égard à ce qui précède, le grief soulevé au regard de l'article 1er du Protocole N°1 (P1-1) concernant la procédure relative à l'affiliation de la requérante à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
c) Enfin, en ce qui concerne la procédure relative au droit à traitement demandées par la requérante au titre de la période comprise entre le 28 août 1978 et le 31 janvier 1982 au cours de la seconde procédure litigieuse, la Commission constate que la requérante n'a pas interjeté appel du jugement du 4 septembre 1986 qui l'avait débouté de sa demande. Il s'ensuit que la requérante n'a pas satisfait à la règle de l'épuisement des voies de recours internes prévue à l'article 26 (art. 26) de la Convention et que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
2. La requérante se plaint de la violation de l'article 6 (art. 6-1) de la Convention dont le paragraphe 1 dispose entre autres : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera ... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil..." A titre principal, le Gouvernement soutient que les deux procédures ne portent pas sur des droits de caractère civil au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention car les prestations litigieuses se caractérisent par une prédominance des aspects de droit public. D'autre part, et à titre subsidiaire, le Gouvernement estime que le grief est manifestement mal fondé car chacune des deux procédures ne peut être considérée comme une seule et même procédure, les demandes de la requérante constituant des litiges distints dépourvus de liens entre eux. Or, pour chaque litige, le Gouvernement estime que leur examen ne fait apparaître aucun manquement à la règle du délai raisonnable prévue par l'article 6 (art. 6) de la Convention. La Commission rappelle qu'il existe une grande diversité entre les Etats membres du Conseil de l'Europe "quant à la manière dont leur législation et leur pratique conçoivent la nature du droit aux prestations d'assurance sociale" dans les arrêts Feldbrugge (Cour eur. D.H., arrêt du 29 mai 1986, Série A n° 99) et Deumeland (Cour eur. D.H., arrêt du 29 mai 1986, Série A n° 100). La Cour Européenne des Droits de l'Homme a estimé que l'applicabilité de l'article 6 (art. 6) de la Convention en matière de prestations sociales dépend de la prééminence des éléments de droit privé ou public dans le système de sécurité sociale en question. Toutefois, "l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) constitue aujourd'hui la règle dans le domaine de l'assurance sociale..." (Cour Eur. D.H., arrêt Schuler-Zgraggen c/ Suisse du 24 juin 1993, série A n° 263, par. 46). La Commission rappelle également que l'intervention étatique ne suffit pas à établir l'inapplicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en la matière (Cour Eur. D.H., arrêt Salesi c/Italie du 26 février 1993, à paraître dans la série A n° 257-E, par. 19). En l'espèce, il y a donc lieu d'examiner d'une part le régime spécial d'assurance maladie prévu par le statut des fonctionnaires territoriaux et d'autre part, le régime spécial d'assurance vieillesse de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. La Commission a procédé à un examen préliminaire des thèses développées par les parties. Elle estime que la requête pose sur ce point de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'axamen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée sur ce point au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé.
3. La requérante se plaint en substance de n'avoir disposé d'aucun recours effectif devant une instance nationale pour faire exécuter les décisions rendues en sa faveur. L'article 13 (art. 13) de la Convention dispose: "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles". Eu égard à l'inapplicabilité de l'article 1er du Protocole N°1 (P1-1) aux contestations litigieuses selon le Gouvernement, celui-ci estime en conséquence qu'il n'existe aucune base permettant d'appliquer l'article 13 (art. 13) de la Convention. En effet, la requérante ne peut prétendre de manière plausible être victime d'une violation de son droit au respect de ses biens et "...l'article 13 (art. 13) ne saurait s'interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance... il doit s'agir d'un grief défendable au regard de la Convention.."(voir Cour Eur. D.H., arrêt Plattform "Ärzte für das Leben" du 21 juin 1988, série A n°139, p. 11, par. 25). Subsidiairement, le Gouvernement ne relève aucun manquement à l'article 13 (art. 13) de la Convention. S'agissant de la procédure relative à la demande d'avance sur traitement, il fait remarquer que la requérante n'a pas fait usage de la voie de droit qui lui était offerte à l'encontre de la décision implicite de rejet opposée à la nouvelle demande qu'elle a formulée le 12 mars 1991. En ce qui concerne son affiliation à la caisse nationale des retraités des collectivités locales, le Gouvernement fait remarquer que le prononcé de l'astreinte à l'encontre de l'Office démontre en lui-même l'existence d'un recours effectif.
a) En ce qui concerne la procédure relative à l'affiliation de la requérante à une caisse de retraite, la Commission rappelle que la requérante, en saisissant le Conseil d'Etat d'une requête tendant à voir prononcer une astreinte à l'encontre de l'Office, a obtenu gain de cause et l'affiliation qu'elle revendiquait. Dès lors, le grief de la requérante selon lequel elle ne disposait pas d'un recours effectif pour remédier à l'inexécution des décisions de justice qui lui étaient favorables est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
b) En ce qui concerne la procédure relative aux avances sur traitement et le grief tiré de l'absence de recours effectif s'agissant de la violation alléguée de l'article 1 du Protocole 1 (P1-1), la Commission, après avoir procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, estime que cette partie de la requête pose aussi des questions de droit complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE - quant au grief tiré de la durée des deux procédures litigieuses; - quant aux griefs tirés de la non-exécution des décisions de justice lui reconnaissant le droit de percevoir des avances sur traitement et de l'absence d'un recours effectif pour y remédier; DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire de la Le Président de la Première Chambre Première Chambre (M.F. BUQUICCHIO) (A. WEITZEL)


Synthèse
Formation : Commission (première chambre)
Numéro d'arrêt : 18185/91
Date de la décision : 02/03/1994
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Recevable ; Irrecevable

Parties
Demandeurs : BASTIEN
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1994-03-02;18185.91 ?

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