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03/03/1994 | CEDH | N°21467/93

CEDH | BONHOMME, GHIOZZI, WACISEK contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 21467/93 présentée par Jacques BONHOMME, Noëlle GHIOZZI épouse BONHOMME et Eric WACISEK contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 3 mars 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A.

NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA ...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 21467/93 présentée par Jacques BONHOMME, Noëlle GHIOZZI épouse BONHOMME et Eric WACISEK contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 3 mars 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 14 décembre 1992 par Jacques BONHOMME, Noëlle GHIOZZI épouse BONHOMME et Eric WACISEK contre la France et enregistrée le 5 mars 1993 sous le No de dossier 21467/93 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les requérants sont tous trois de nationalité française. Les deux requérants sont nés respectivement en 1946 et 1951 et la requérante, épouse du premier requérant, est née en 1939. Les deux requérants sont actuellement détenus à la maison d'arrêt de Draguignan et la requérante réside à Antibes. Devant la Commission, ils sont tous trois représentés par Me Rey-Joselet, avocate au barreau de Nice. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Suite à divers vols à main armée, une information fut ouverte dans le Var et il fut procédé à des opérations de surveillance. Le 16 août 1990, les requérants furent interpellés à Saint-Raphaël par les policiers de la brigade de recherche et d'intervention de la police judiciaire de Nice, alors qu'ils s'apprêtaient à s'enfuir après avoir commis un vol dans une banque. Ils furent placés en garde à vue le même jour à 9 heures et, à l'issue d'un premier délai de 24 heures, à la demande des officiers de police judiciaire au procureur de la République de Toulon, leur garde à vue fut prolongée de 24 heures. Cette demande n'aurait fait l'objet d'aucune réponse écrite du procureur. Au cours de cette garde à vue, les policiers, chargés d'exécuter plusieurs commissions rogatoires délivrées dans d'autres affaires de vols, commis du 8 novembre 1988 au 8 août 1990 dans différents établissements bancaires, et eu égard à la similitude existant entre ces faits et ceux de l'affaire, interrogèrent également les requérants, en tant que témoins, sur ces autres faits de vol à main armée. Les requérants, qui avaient d'abord protesté de leur innocence, reconnurent, suite à une parade d'identification et à divers témoignages, être les auteurs de vingt autres vols. Par ordonnance du 17 août 1990, prise en application de l'article 50 al. 3 du Code de procédure pénale, Madame B. fut déléguée pour assurer les fonctions de l'instruction les 17 et 18 août 1990. Par réquisitoire introductif du 18 août 1990, l'ouverture d'une information fut requise contre les requérants, du chef de vol aggravé et de séquestration de personnes comme otages. Le 18 août 1990, le juge d'instruction, Madame B., procéda, à l'issue de la garde à vue des requérants, à leur interrogatoire de première comparution. Les deux requérants furent inculpés de vols à main armée, séquestration de personnes comme otages pour favoriser la fuite des auteurs ou complices d'un crime et la requérante fut inculpée de complicité de vol à main armée. Ils furent tous trois placés sous mandat de dépôt le 18 août 1990 et, le 23 novembre 1990, la requérante fut mise en liberté sous contrôle judiciaire. Par ordonnance du 18 août 1990, prise en vertu de l'article 84 al. 3 du Code de procédure pénale, un autre juge d'instruction, Monsieur G., fut désigné pour instruire dans l'information confiée à Madame B. Le 17 septembre 1990, le juge d'instruction nouvellement désigné procéda à un interrogatoire du premier requérant. Par la suite, d'autres procédures en cours furent jointes à la présente affaire et des réquisitoires supplétifs furent pris à l'encontre des requérants. Le 25 octobre 1991, le juge d'instruction clôtura l'information et transmit le dossier au parquet général de la cour d'appel d'Aix-en- Provence. Le dossier fut ensuite transmis à la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui rendit un arrêt le 4 décembre 1991. Devant cette juridiction, les requérants se plaignaient notamment de la durée de leur garde à vue et du fait qu'ils avaient été interrogés comme témoins sur d'autres faits que ceux à l'origine de leur interpellation. Ils invoquaient les paragraphes 1 c) et 3 de l'article 5 de la Convention ainsi que l'article 105 du Code de procédure pénale, qui prohibe les inculpations tardives et demandaient l'annulation des procès-verbaux d'audition dressés durant leur garde à vue. Ils alléguaient également que le premier juge d'instruction devant lequel ils avaient comparu était incompétent. Par arrêt en date du 4 décembre 1991, la chambre d'accusation considéra que la procédure était régulière. S'agissant de la prolongation de la garde à vue, elle jugea notamment qu'elle était conforme à l'article 63 du Code de procédure pénale, applicable en la matière, et qu'elle était justifiée par le fait que des indices sérieux devaient être recueillis avant toute conduite devant le juge d'instruction, qu'en l'espèce "ne satisfaisaient pas à cette exigence les seuls aveux passés par les inculpés" alors que des armes (avaient) été trouvées sur eux et des sommes d'argent découvertes à leurs domiciles, et que certaines investigations nécessaires n'avaient donc pu être matériellement effectuées que le 17 août 1990 à 11 heures et 11 heures 30. En outre, eu égard à la compétence du juge d'instruction, la chambre d'accusation releva, d'une part, que le premier juge d'instruction avait été délégué par une ordonnance du 17 août 1990 pour exercer des fonctions de juge d'instruction jusqu'au 18 août 1990 inclus, ce en application de l'article 50 al. 3 du Code de procédure pénale. Elle indiqua, d'autre part, que "la délégation de ce magistrat expirant le 18 août 1990 à 24 heures, le président du tribunal a(vait), dès le 18 août 1990, désigné un nouveau juge d'instruction pour informer dans la procédure" et que l'ordonnance du 18 août 1990 désignant le deuxième juge "a(vait) été prise régulièrement conformément à l'alinéa 3 de l'article 84 et n'avait d'effet, à l'évidence, qu'à compter du 19 août 1990 à 0 heure". La chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence prononça la mise en accusation des trois requérants et les renvoya devant la cour d'assises du Var, sous l'accusation, pour les deux requérants, de vols avec port d'armes, séquestration de personnes avec prise d'otages et recel de vol et sous l'accusation, pour la requérante, de complicité de vol avec port d'arme. Les trois requérants se pourvurent en cassation contre cet arrêt, alléguant notamment la violation des droits de la défense et invoquant l'article 5 par. 3 de la Convention et l'article 105 du Code de procédure pénale. Le 23 avril 1992, la Cour de cassation rejeta les pourvois des requérants. Elle considéra, d'une part, que la désignation des deux juges d'instruction étant successive, elle n'était pas entachée d'illégalité et, d'autre part, que l'exception de nullité de la garde à vue avait pu être rejetée au motif que l'inobservation de l'article 63 du Code de procédure pénale, concernant la garde à vue, et de l'article 5 de la Convention "n'entraîn(ait) pas, par elle-même, la nullité des actes de la procédure, lorsque, comme en l'espèce, il n'(était) pas démontré que la recherche et l'établissement de la vérité s'en (étaient) trouvés fondamentalement viciés". Par ailleurs, elle releva que l'article 105 du Code de procédure pénale et les droits de la défense avaient été respectés dans la mesure où, selon les premiers juges, "les témoignages et la similitude des techniques de vols ne constituaient pas, à eux seuls, des indices suffisants pour empêcher l'audition des mis en cause, afin de circonscrire le rôle de chacun d'eux" et que "les officiers de police judiciaire n'avaient pas agi dans le dessein de faire échec aux droits de la défense". L'arrêt de la Cour de cassation fut notifié aux requérants le 15 juin 1992. Par arrêt en date du 27 octobre 1993, la cour d'assises du Var condamna les deux requérants à quinze et douze ans de réclusion criminelle et la requérante à cinq ans de prison avec sursis.
GRIEFS
1. Les requérants allèguent la violation des paragraphes 1 c) et 3 de l'article 5 de la Convention. Ils se plaignent de ce qu'un délai de quarante-huit heures s'est écoulé entre leur arrestation en flagrant délit et leur comparution devant un magistrat. Ils soulignent que, puisqu'aucun doute n'existait sur leur culpabilité, leur garde à vue n'aurait pas dû excéder quelques heures. Ils se plaignent donc de ce qu'elle a été prolongée et, selon eux, dans des conditions illégales dans la mesure où cette prolongation n'a pas été faite par écrit.
2. Les requérants invoquent par ailleurs l'article 6 de la Convention. Selon eux, le juge G. ayant été désigné par ordonnance du 18 août 1990, c'est à dire le jour de leurs inculpations, deux juges d'instruction étaient donc désignés pour connaître de la même affaire. Estimant que le seul juge compétent pour procéder aux inculpations était Monsieur G., ils arguent de l'incompétence du premier juge, Madame B., et soutiennent que le principe de la légalité des juridictions a été violé.
3. Les requérants se plaignent enfin de ce que les droits de la défense n'auraient pas été respectés, dans la mesure où ils ont été entendus en qualité de témoins, donc sans l'assistance de leur avocat et sans pouvoir accéder à leur dossier, sur d'autres faits que ceux ayant conduit à leur interpellation, alors qu'il existait à cet instant des indices concordants de culpabilité à leur encontre. Ils se fondent à cet égard sur l'article 105 du Code de procédure pénale, libellé comme suit : "Le juge d'instruction chargé d'une information, ainsi que les magistrats et officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, ne peuvent dans le dessein de faire échec aux droits de la défense, entendre comme témoins des personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de culpabilité." Ils allèguent en conséquence la violation des paragraphes 2 et 3 c) de l'article 6 de la Convention.
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent de ce que la prolongation de leur garde à vue s'est fait dans des conditions illégales et de ce qu'un délai de quarante-huit heures s'est écoulé entre leur arrestation en flagrant délit et leur comparution devant un magistrat. Ils allèguent la violation des paragraphes 1 c) et 3 de l'article 5 (art. 5-1-c, 5-3) de la Convention, qui disposent que : "1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...) c. s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ; (...) 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (art. 5-1-c), doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (...)." La Commission rappelle que les termes "selon les voies légales" renvoient pour l'essentiel à la législation nationale. Il incombe aux autorités nationales d'interpréter celle-ci mais les organes de la Convention ont un pouvoir limité de contrôle sur la manière dont elles ont accompli cette tâche. En particulier, une détention est conforme aux "voies légales" si elle a un fondement légal et si elle est exempte d'arbitraire (cf. No 11256/84, Egue c/France, déc. 5.9.88, D.R. 57 p. 47). En l'espèce, la Commission note tout d'abord que les requérants se plaignent de ce que la décision de prolongation de leur garde à vue ne résulte pas d'un acte écrit. Or, l'article 63 du Code de procédure pénale prévoit que l'officier de police judiciaire ne peut garder à sa disposition une personne plus de vingt-quatre heures et que ce délai "peut être prolongé d'un nouveau délai de vingt-quatre heures par autorisation écrite du procureur de la République ou du juge d'instruction". La Commission relève à cet égard qu'il ressort des éléments du dossier que l'autorisation de prolongation de la garde à vue, émanant du procureur de la République, existait bel et bien. Elle considère en outre que l'absence d'un acte écrit n'a pas entaché la procédure d'arbitraire et qu'aucun autre élément du dossier ne vient étayer l'affirmation des requérants selon laquelle la prolongation de leur garde à vue aurait été arbitraire ou déraisonnable. La Commission n'entrevoit dès lors aucune violation de l'article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention. Par ailleurs, s'agissant du grief tiré de la durée de la garde à vue, la Commission note qu'il résulte d'une jurisprudence constante des organes de Strasbourg que la rapidité du contrôle judiciaire de la détention prévue par l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention s'apprécie "dans chaque cas suivant les circonstances de la cause" (Cour eur. D.H., arrêt De Jong, Baljet et Van Den Brink du 22 mai 1984, série A n° 77, p. 25, par. 52). En outre, la Commission rappelle que le délai prévu par le droit français "cadre en principe avec l'exigence de rapidité formulée à l'article 5 par. 3 (art. 5-3)" de la Convention (cf. Egue c/France, rapport Comm. 5.9.88, D.R. 57 p. 47). En l'espèce, la Commission relève que les requérants ont été placés en garde à vue pendant quarante-huit heures avant d'être entendus pas le juge d'instruction le 18 août 1990, ce qui correspond au délai légal en droit français. Elle considère, dès lors, que les requérants ont été "aussitôt traduits" devant le juge d'instruction, au sens de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. A la lumière de ce qui précède, la Commission estime en conséquence que, dans les circonstances de l'espèce, le grief tiré de la violation des paragraphes 1 c) et 3 de l'article 5 (art. 5-1-c, 5-3) est manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Les requérants allèguent ensuite la violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention, estimant que la désignation du premier juge d'instruction était illégale. La Commission constate, d'une part, qu'il résulte de l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 4 décembre 1991 que le premier juge d'instruction était délégué par une ordonnance du 17 août 1990 pour exercer des fonctions de juge d'instruction jusqu'au 18 août 1990 inclus, ce en application de l'article 50 al. 3 du Code de procédure pénale. D'autre part, il résulte de ce même arrêt que l'ordonnance du 18 août 1990 désignant le deuxième juge et prise en vertu de l'article 84 al. 3 du même code "n'avait d'effet, à l'évidence, qu'à compter du 19 août 1990 à 0 heure". Au vu des éléments du dossier et dans la mesure où elle est compétente pour se prononcer à ce propos, la Commission ne relève dès lors aucune violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention sur ce point. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Les requérants allèguent enfin la violation de l'article 105 du Code de procédure pénale et des paragraphes 2 et 3 de l'article 6 (art. 6-2, 6-3) de la Convention, libellés comme suit : "2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. (...) 3. Tout accusé a droit notamment à (...) se défendre lui-même ou (à) avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...)". La Commission considère qu'en l'état actuel du dossier, elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, AJOURNE l'examen du grief tiré de la violation alléguée des droits de la défense des requérants et de la présomption d'innocence à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission (deuxième chambre)
Numéro d'arrêt : 21467/93
Date de la décision : 03/03/1994
Type d'affaire : DECISION (partielle)
Type de recours : partiellement recevable

Parties
Demandeurs : BONHOMME, GHIOZZI, WACISEK
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1994-03-03;21467.93 ?

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