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28/09/1995 | CEDH | N°15346/89;15379/89

CEDH | AFFAIRE MASSON ET VAN ZON c. PAYS-BAS


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE MASSON ET VAN ZON c. PAYS-BAS
(Requête no 15346/89 ; 15379/89)
ARRÊT
STRASBOURG
28 septembre 1995 
En l'affaire Masson et Van Zon c. Pays-Bas 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Macdonald,
S.K. Martens,<

br> Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
A.N. Loizou,
F. Bigi,
B. Repik,
P. Jambre...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE MASSON ET VAN ZON c. PAYS-BAS
(Requête no 15346/89 ; 15379/89)
ARRÊT
STRASBOURG
28 septembre 1995 
En l'affaire Masson et Van Zon c. Pays-Bas 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Macdonald,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
A.N. Loizou,
F. Bigi,
B. Repik,
P. Jambrek,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 avril et 2 septembre 1995,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 9 septembre 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.  A son origine se trouvent des requêtes (nos 15346/89 et 15379/89) dirigées contre le Royaume des Pays-Bas et dont deux citoyens de cet état, M. Adrianus Johannes Marie Masson et M. Jacobus van Zon, avaient saisi la Commission les 8 et 2 juin 1989 respectivement, en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration néerlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46).  Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) de la Convention. 
2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A de la Cour, les requérants ont émis le voeu de participer à l'instance et ont désigné leurs conseils (article 30).
M. Masson est décédé le 13 décembre 1994.  Ses héritiers ont déclaré souhaiter voir la procédure se poursuivre mais ont refusé d'y prendre part.
Pour des raisons de commodité, M. Masson continuera à être appelé le requérant dans la mesure où le présent arrêt le concerne. 
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. S.K. Martens, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A).  Le 24 septembre 1994, celui-ci a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir M. R. Macdonald, Mme E. Palm, M. I. Foighel, M. A.N. Loizou, M. F. Bigi, M. B. Repik et M. P. Jambrek (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). 
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement néerlandais ("le Gouvernement"), les avocats des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).  A la suite de l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant, M. van Zon, le 1er février 1995, puis, le 3, celui du Gouvernement.  Le délégué de la Commission ne s'est pas exprimé par écrit. 
5.   Le 7 février 1995, la Commission a produit certains documents du dossier de la procédure suivie devant elle, ainsi que le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président. 
6.   Le 15 mars 1995, le greffier a reçu un document exposant les prétentions au titre de l'article 50 (art. 50) des héritiers de M. Masson. 
7.   Ainsi qu'en avait décidé le président, l'audience a eu lieu en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 25 avril 1995.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. K. de Vey Mestdagh, ministère
des Affaires étrangères,  agent,
M. J.L. de Wijkerslooth de Weerdesteijn,
Landsadvocaat,  conseil;
- pour la Commission
M. B. Marxer, délégué;
- pour le requérant M. van Zon
Me A.F.M. Duynstee, avocat et avoué,
Me J.A.D. de Graaf, avocat et avoué, conseils.
La Cour a entendu en leurs déclarations ainsi qu'en leurs réponses à ses questions M. Marxer, Me Duynstee et M. de Wijkerslooth de Weerdesteijn. 
EN FAIT
I.   LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE
A. L'"affaire ABP" 
8.   En 1983 fut publié de manière anonyme un "livre noir" (zwartboek) contenant des allégations d'irrégularités concernant les opérations financières du Fonds général des pensions civiles (Algemeen Burgerlijk Pensioenfonds, "l'ABP"). 
9.   A la suite d'une enquête judiciaire, les deux requérants furent inculpés de faux et de corruption.  A l'époque, M. Masson était le gestionnaire du portefeuille de l'ABP.  M. van Zon était un homme d'affaires s'occupant de promotion immobilière.      
B. Les procédures au pénal
1. M. Masson
a) Les restrictions à sa liberté 
10.   Le 10 mai 1984, M. Masson fut arrêté et placé en garde à vue (verzekering).  On le mit par la suite en détention provisoire (voorlopige hechtenis).
Par une ordonnance du 21 février 1985 (produisant ses effets le 22), la chambre du conseil (raadkamer) du tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de Maastricht suspendit la détention provisoire, autorisant M. Masson à rentrer chez lui, à condition, notamment, qu'il remît son passeport et qu'il se présentât quotidiennement au bureau de police local.  De surcroît, il lui était interdit de communiquer, de quelque manière que ce fût, avec son co-ïnculpé M. van Zon.  La chambre du conseil prononça le 26 mars 1986 la mainlevée de l'obligation pour l'intéressé de se présenter quotidiennement à la police.    
b) Les procédures suivies devant les juridictions internes jusqu'à son acquittement
11.   Vers la fin de juillet 1984, le procureur (officier van justitie) assigna M. Masson à comparaître devant le tribunal d'arrondissement de Maastricht le 3 août 1984 pour y répondre de quatre chefs de faux, de complicité de banqueroute frauduleuse, de corruption et d'escroquerie.
M. Masson déposa le 26 juillet 1984 une réclamation (bezwaarschrift) qui entraîna la caducité de l'assignation (article 262 du code de procédure pénale ("CPP") dans sa version de l'époque).  Le tribunal d'arrondissement l'en débouta le 14 septembre 1984.
Sur recours, la cour d'appel de Bois-le-Duc décida le 7 novembre 1984 de disculper M. Masson du chef de complicité de banqueroute frauduleuse, mais estima que, pour le reste, les poursuites dirigées contre l'intéressé étaient à première vue légitimes.  Sa décision fut confirmée par la Cour de cassation (Hoge Raad) le 26 mars 1985. 
12.  M. Masson fut à nouveau assigné à comparaître devant le tribunal d'arrondissement de Maastricht le 20 mai 1985 pour y répondre, cette fois, des charges retenues par la cour d'appel le 7 novembre 1984. 
13.   Le 21 mai 1987, après plusieurs ajournements et audiences, le tribunal d'arrondissement acquitta M. Masson sur l'un des chefs d'accusation, mais le reconnut coupable quant aux autres.  Elle le condamna à un an d'emprisonnement et lui enjoignit de verser à l'Etat 108 000 florins néerlandais (NLG), représentant l'estimation par le tribunal des bénéfices réalisés par M. Masson grâce aux délits dont il avait été convaincu. 
14.   Tant M. Masson que le procureur attaquèrent ce jugement devant la cour d'appel de Bois-le-Duc.  Le 7 juin 1988, celle-ci acquitta M. Masson sur l'ensemble des charges.
2. M. van Zon
a) Les restrictions à sa liberté 
15.   M. van Zon fut arrêté le 11 mai 1984.  Comme M. Masson, il fut placé en garde à vue puis en détention provisoire.  Il demeura incarcéré jusqu'au 29 janvier 1985.
A cette date, sa détention provisoire fut suspendue à condition qu'il se présentât chaque semaine devant le juge d'instruction et qu'il fournît une caution de 350 000 NLG. L'ordonnance lui enjoignant de se présenter au juge d'instruction fut levée le 14 février 1986.  Le 30 septembre 1987, à la demande de M. van Zon, la cour d'appel de Bois-le-Duc annula dans son entier l'ordonnance portant détention provisoire et prescrivit la restitution de la caution.    
b) Les procédures suivies devant les juridictions internes jusqu'à son acquittement 
16.   M. van Zon fut assigné à comparaître le 3 août 1984 devant le tribunal d'arrondissement de Maastricht. 
17.   Le 24 juin 1987, après plusieurs ajournements et audiences, celui-ci reconnut l'intéressé coupable sur un certain nombre de chefs d'escroquerie, de corruption et de faux et le condamna à un an d'emprisonnement. 
18.   Tant le procureur que M. van Zon attaquèrent ce jugement devant la cour d'appel de Bois-le-Duc.
Le 7 juin 1988, celle-ci acquitta M. van Zon de l'ensemble des charges.
C. Dommage, frais de justice et procédures d'indemnisation
1. M. Masson 
19.   M. Masson fut suspendu de ses fonctions par le ministre de l'Intérieur (Minister van binnenlandse zaken) le 26 août 1983, à la suite de l'engagement des poursuites pénales.  Le 24 décembre 1984, le ministre décida de retenir un tiers de son salaire pendant une période de six semaines et l'intégralité par la suite, ce qui semble avoir privé l'intéressé de revenus provenant d'un emploi public du 5 février 1985 au 1er septembre 1987, date à laquelle il fut admis au bénéfice d'une pension.
En septembre 1988, à la suite de l'acquittement, le ministre de l'Intérieur versa à M. Masson la moitié du montant qui avait été retenu. 
20.   Les frais de justice exposés par M. Masson dans le cadre des procédures internes s'élevaient au total à 804 090,99 NLG.  De cette somme, 787 243,56 NLG demeurèrent impayés.
2. M. van Zon 
21.   M. van Zon dut verser à ses avocats 610 049,61 NLG pour leur assistance dans les procédures internes; parmi les autres frais consentis par lui figure la garantie bancaire exigée à titre de caution à la place de sa détention.
3. Les actions engagées 
22.   Les 5 et 6 septembre 1988, M. van Zon et M. Masson saisirent la cour d'appel de requêtes, les unes fondées sur l'article 591a CPP et tendant au remboursement par l'Etat des frais de justice, de voyage et de subsistance exposés par eux dans le cadre des procédures (paragraphe 28 ci-dessous), les autres fondées sur l'article 89 et visant à une réparation financière pour les restrictions à leur liberté (paragraphe 27 ci-dessous). 
23.   Le 9 décembre 1988, la chambre du conseil de la cour d'appel rejeta les demandes formulées par les deux requérants au titre de l'article 89 au motif qu'il n'y avait en équité aucune raison de leur accorder une indemnité. Parmi les trois juges dont la chambre était composée, deux (dont le président) avaient siégé en appel; le troisième membre de la chambre originaire avait, dans l'intervalle, quitté la cour d'appel de Bois-le-Duc. 
24.   Par des décisions du même jour, le président de la chambre du conseil alloua 5 853,55 NLG à M. Masson et 3 559,80 NLG à M. van Zon au titre du remboursement des frais de voyage et de subsistance encourus en rapport avec les audiences ainsi que pour les frais des témoins à décharge, mais il rejeta leurs demandes pour le surplus.  Ces décisions se référaient explicitement à celles de la chambre du conseil mentionnées au paragraphe précédent, y compris à leurs motifs. 
25.   Les deux requérants attaquèrent l'Etat néerlandais devant le tribunal d'arrondissement de La Haye (M. van Zon le 27 mai 1993 et M. Masson le 6 juin 1993).  Alléguant un délit civil (onrechtmatige daad), ils réclamaient réparation du dommage à eux causé par leur détention provisoire, ainsi que le remboursement intégral de leurs frais de justice.  Il apparaît que cette procédure est toujours pendante. 
II.   LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code de procédure pénale 
26.   Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale ont été modifiées par la loi du 8 novembre 1993, Staatsblad (Journal officiel) 1993, n° 591, entrée en vigueur le 1er janvier 1994 (paragraphe 31 ci-dessous).
1. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale dans leur version de 1988 
27.   Dans la mesure où ils sont pertinents en l'espèce, les articles 89 et 90 CPP étaient ainsi libellés:
Article 89
"1. Si à l'issue de l'affaire aucune peine ou mesure n'estimposée, ou s'il en est prononcé une mais en raison d'un faitpour lequel la détention provisoire n'est pas autorisée, lejuge peut, à la requête de l'ex-prévenu, allouer à celui-ci,aux frais de l'Etat, une indemnité pour le préjudice subi parlui du fait de sa garde à vue ou de sa détention provisoire.Le terme préjudice englobe le dommage non patrimonial. 
3. La requête ne peut être introduite que dans les troismois après la clôture de l'affaire.  Le requérant estentendu, ou du moins appelé, et il peut se faire assister parun avocat lors de l'audience.  L'avocat se voit donnerl'occasion, lors des audiences, de formuler les observationsnécessaires.  
4. La chambre du conseil se compose, autant que possible,des membres qui ont siégé au procès.  
5.   Est compétente pour allouer l'indemnité, la juridictionde jugement (gerecht in feitelijke aanleg) qui, à l'époque dela clôture de l'affaire, était ou serait saisie de celle-ciou qui autrement était la dernière à en avoir été saisie, ou,s'il s'agit d'un tribunal de canton (kantonrechter), letribunal de l'arrondissement.  
Article 90  
"1. Une indemnité est toujours octroyée si et dans lamesure où le juge estime, au vu de toutes les circonstances,qu'elle se justifie en équité.  
2. Pour en déterminer le montant il faut aussi tenircompte de la situation matérielle (levensomstandigheden) del'ex-prévenu.  
3. La décision est motivée.  L'ordonnance est signifiéesans délai à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, mais, s'ils'agit d'une décision de rejet, sans ses motifs.  Dans cecas, l'ex-prévenu ou ses héritiers peuvent prendreconnaissance de ceux-ci au greffe."
Il n'était pas possible d'introduire un pourvoi en cassation contre une décision fondée sur ces dispositions. 
28.  Dans la mesure où ils sont pertinents en l'espèce, les articles 591 et 591a CPP étaient ainsi libellés:     
Article 591   
"1. Il est alloué à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, à la charge de l'Etat, une indemnité pour les frais que l'intéressé a dû exposer du fait des prescriptions légales et réglementaires relatives aux honoraires en matière pénale (Wet tarieven in strafzaken) pour autant que l'exposition de ces frais a servi l'intérêt de l'enquête ou que le retrait, par le ministère public (openbaar ministerie), des citations ou des recours diligentés par lui l'a rendue inutile.   
2. Le montant de l'indemnité est fixé à la requête de l'ex-prévenu ou de ses héritiers.  La requête doit être introduite dans les trois mois de la clôture de l'affaire. La fixation du montant a lieu devant la juridiction de jugement qui, à l'époque de la clôture de l'affaire, s'en trouvait ou s'en serait trouvée saisie, ou était autrement la dernière à en avoir été saisie, et elle est le fait du juge de canton ou du président du tribunal.  Le président peut désigner à cet effet un des conseillers ou un des juges ayant connu de la cause.  Le juge de canton ou celui du tribunal d'arrondissement [ou le conseiller] délivre un mandat d'exécution (bevelschrift van tenuitvoerlegging) pour le montant de l'indemnité.   
3.  Ceux qui ont introduit la requête peuvent être entendus.  S'ils l'exigent, ils doivent être entendus, ou du moins appelés.  Ils peuvent se faire assister par un avocat.
L'article 24, dernier alinéa, trouve à s'appliquer.  
Article 591a
"1. Si à l'issue de l'affaire aucune peine ou mesure n'est imposée (...), il est alloué à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, aux frais de l'Etat, une indemnité, calculée sur la base des prescriptions légales et réglementaires relatives aux honoraires en matière pénale, pour les frais de voyage et de subsistance exposés par lui aux fins de l'enquête et du traitement de l'affaire.   
2. Si à l'issue de l'affaire aucune peine ou mesure n'est imposée (...), il peut être alloué à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, aux frais de l'Etat, une indemnité pour le préjudice réellement subi par l'intéressé du fait de la perte de temps résultant de l'instruction judiciaire préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) et du traitement de l'affaire à l'audience, ainsi que pour ses frais d'avocat.  Cette indemnité couvre aussi les frais d'avocat afférents à la garde à vue et à la détention provisoire.  Une indemnité pour ces frais peut en outre être accordée dans l'hypothèse où l'affaire se termine par le prononcé d'une peine ou d'une mesure en raison d'un fait pour lequel la détention provisoire n'est pas autorisée.   
4. Les articles 90 et 591, paragraphes 2 à 5, s'appliquent par analogie." 
29.   Elaboré en 1921 et entré en vigueur en 1926, le code de procédure pénale partait du principe que les questions dont il traitait étaient tranchées, soit par la juridiction de jugement après une audience qui en principe était publique, soit par la chambre du conseil à huis clos.  La procédure devant la chambre du conseil était régie par les articles 21 à 26. Dans la mesure où il est pertinent en l'espèce, l'article 21 CPP disposait :   
"1. Dans tous les cas où la décision ne doit pas obligatoirement être prise par la juridiction de jugement à l'audience ou n'y est pas prise d'office, l'examen a lieu en chambre du conseil.  Néanmoins, il est débattu et statué à l'audience sur toutes les demandes, requêtes ou propositions qui y sont formulées.   
2-4.  (...)"
Dans la mesure où il est pertinent, l'article 24 CPP énonçait:   
"1. Le prévenu a le droit de se faire assister par son conseil à toutes les audiences.   
2-3.  (...)   
4.   Le conseil ou l'avocat se voient donner l'occasion, pendant les audiences, de formuler les observations nécessaires." 
30.   Les requêtes fondées sur les articles 89 et suivants et celles s'appuyant sur les articles 591 et 591a étaient examinées par la chambre du conseil.  Ainsi qu'il a été indiqué au paragraphe précédent, la procédure en chambre du conseil n'était, en principe, pas publique. Etant donné toutefois que la Convention est directement applicable aux Pays-Bas et qu'elle prime la loi nationale, il était loisible aux intéressés d'arguer du fait qu'une requête fondée sur l'une des dispositions précitées concernait un "droit civil" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et qu'en conséquence ils avaient droit à une audience publique.  Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que si la chambre du conseil souscrivait à cette thèse, elle devait accueillir la demande d'examen en audience publique.  Elle pouvait aussi conclure d'office à l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) et en déduire qu'il lui fallait examiner en public la requête en question, à moins que le requérant ne préférât une audience à huis clos (voir notamment l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 1990, Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise, "NJ") - 1991, n° 184).
Dans un pourvoi dans l'intérêt de la loi (cassatieberoep in het belang der wet) dirigé contre une décision rendue par la cour d'appel de Bois-le-Duc le 27 mars 1992, le procureur général (procureur-generaal) près la Cour de cassation se pencha sur la question de savoir si une demande d'indemnité fondée sur l'article 89 CPP conduisait à la détermination d'un "droit de caractère civil", et il y répondit par la négative (voir les paragraphes 19 à 21 de ses conclusions).  Dans son arrêt de rejet (arrêt du 2 février 1993, NJ 1993, n° 553), la Cour de cassation refusa expressément de statuer sur cette question.
2. Les modifications législatives entrées en vigueur le 1er janvier 1994 
31.   La loi du 8 novembre 1993 (paragraphe 26 ci-dessus) tend à aligner la procédure en chambre du conseil sur l'article 6 (art. 6) de la Convention tel que, d'après le législateur, ce texte (art. 6) doit être compris en vertu de la jurisprudence de la Cour.  Le législateur a choisi de maintenir le principe de la non-publicité de la procédure en chambre du conseil, mais d'en prescrire la publicité là où l'article 6 (art. 6) l'exige.  Dans la mesure où il est pertinent, l'article 22 CPP énonce à présent:  
"1. Sauf disposition contraire, la procédure en chambre duconseil ne se déroule pas en public.  
2-4.  (...)"
L'exposé des motifs (Kamerstukken (Documents parlementaires) II, 1991-1992, 22 583 n° 3, pp. 11 et suiv.) énumère les procédures en chambre du conseil qui, aux yeux du Gouvernement, relèvent de l'article 6 (art. 6) de la Convention.  A cet égard, on peut en citer le passage suivant (p. 17):  
"Les actions en obtention d'une indemnité pour dommages oupour frais* sont d'une nature hybride (gemengd van aard)(articles 89, 90, 591 et 591a).  Certes, le lien étroit del'action avec le procès pénal justifie qu'on la place dans lecode de procédure pénale, mais l'enjeu de la procédure n'enpeut pas moins passer pour être de caractère civil.L'applicabilité de l'article 6 (art. 6) est ainsi établie."(*En relief dans l'original)
En conséquence, le troisième paragraphe de l'article 89 dispose à présent:  
"La requête ne peut être introduite que trois mois après laclôture de l'affaire.  L'examen par la chambre du conseil alieu en public."
De même, le troisième paragraphe de l'article 591 énonce à présent:  
"L'examen de la requête par la chambre du conseil a lieu en public."
Autre conséquence du fait que l'article 6 (art. 6) est maintenant jugé applicable à la procédure fondée sur l'article 89, le troisième paragraphe de l'article 90 a été modifié.  Il dispose à présent:  
"L'ordonnance est signifiée sans délai à l'ex-prévenu ou àses héritiers."
On peut lire dans l'exposé des motifs:  
"L'article 24 exige que l'ordonnance soit motivée.  Lapublicité envisagée de l'audience et du prononcé de ladécision est incompatible avec l'omission de la motivationdans une ordonnance de rejet."
B. Distinction entre possibilité d'obtenir une indemnité enéquité et droit à réparation 
32.   Dans son arrêt du 7 avril 1989 (NJ 1989, n° 532), la chambre civile de la Cour de cassation a décidé que l'article 89 du CPP n'empêchait pas un ex-prévenu s'estimant victime d'une privation illégale de liberté d'engager la responsabilité quasi délictuelle de l'Etat devant le juge civil et de réclamer la réparation intégrale du dommage subi par lui.  La Cour de cassation a considéré notamment que  
"[l'article 89] visait seulement à donner au juge lapossibilité d'allouer, en équité, une indemnité 'pour uneprivation de liberté qui, pour avoir été légale, ne s'en estpas moins révélée être par la suite injustifiée'".
Dans la ligne de cette décision, on peut citer un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 2 février 1993 (NJ 1993, n° 552), et indiquant notamment:  
"Les articles 89 et suivants du code de procédure pénaleoffrent à l'ex-prévenu une possibilité rapide et peuonéreuse, mais en même temps limitée, eu égard auxdispositions des premier et deuxième paragraphes del'article 90 du code, d'obtenir sur le fondement de l'équitéune indemnité pour le dommage subi.  Aussi cette procédure nes'étend-elle pas à l'octroi par le juge d'une réparationintégrale pour un délit civil commis par l'Etat à l'égard del'(ex-)prévenu et laisse donc intacte pour ce dernier lapossibilité de s'adresser de ce chef au juge civil.  Comptetenu de la portée limitée de la procédure régie par lesarticles 89 et suivants du code de procédure pénale, lesrègles prescrites dans ces dispositions au sujet de laprocédure à suivre n'empêchent pas leur application aussi encas de privation illégale de liberté." 
33.   Il y a peu, la chambre civile de la Cour de cassation a une nouvelle fois confirmé que l'ex-prévenu ne peut saisir le juge civil que s'il agit sur la base d'une privation illégale de liberté et que, pour le reste, la seule possibilité qui s'offre à lui est d'engager une procédure sur le fondement des articles 89 et suivants CPP (arrêt du 23 décembre 1994, Rechtspraak van de Week (Recueil hebdomadaire de jurisprudence, "RvdW") 1995, n° 12).
Il ressort donc de cette jurisprudence que l'ex-prévenu peut saisir à son choix le juge pénal ou le juge civil.  Pour que sa demande soit accueillie par le juge civil, il lui faut prétendre et prouver qu'il a été privé illégalement de sa liberté; s'il y parvient, il a droit à une réparation intégrale.  Pour que sa demande soit accueillie par le juge pénal, il suffit que l'affaire se soit terminée sans qu'une peine ou mesure ait été prononcée et que la chambre du conseil estime qu'il existe, en équité, des motifs pour lui allouer une indemnité. 
34.   Anciennement controversée en doctrine, la question de savoir quand une privation de liberté intervenant dans le cadre de poursuites pénales constitue un délit civil a été tranchée dans deux arrêts récents de la Cour de cassation.
Dans celui du 29 avril 1994 (RvdW 1994, n° 104), la Cour de cassation a rejeté la thèse selon laquelle une détention provisoire subie à cause d'un fait dont le prévenu a été acquitté doit, après coup, toujours et automatiquement passer pour illégitime, l'Etat étant par conséquent tenu d'indemniser le prévenu du dommage subi par lui de ce fait.  Elle a estimé au contraire que seules des circonstances supplémentaires pouvaient conduire à cette décision.  Elle a énuméré ces circonstances supplémentaires dans le même arrêt et les a développées dans son arrêt précité du 23 décembre 1994.  Il ressort de ce dernier qu'une détention provisoire ne peut engager la responsabilité quasi délictuelle de l'Etat et ouvrir à l'ex-prévenu un droit à réparation intégrale que dans deux cas:
- premièrement, s'il est établi après coup, soit par la décision acquittant l'ex-prévenu, soit sur la base d'autres preuves contenues dans le dossier de la procédure au pénal, que les soupçons qui existaient au moment où la détention provisoire a été ordonnée et qui la justifiaient à l'époque n'avaient, en fait, pas de base; et
- deuxièmement, si la détention provisoire a été ordonnée au mépris du droit écrit ou non écrit, c'est-à-dire si les conditions légales pour une telle détention n'étaient pas remplies, si la détention a été ordonnée en violation de droits fondamentaux de l'accusé (par exemple, sans que celui-ci ait été entendu) ou si, compte tenu des circonstances, la détention était disproportionnée et par conséquent incompatible avec l'obligation de vigilance des autorités. 
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION 
35.   M. van Zon et M. Masson ont saisi la Commission de leurs requêtes (nos 15379/89 et 15346/89) les 2 et 8 juin 1989 respectivement.
Invoquant l'article 3, l'article 5 paras. 1, 2, 3 et 5, l'article 6 paras. 1, 2 et 3 et l'article 13 (art. 3, art. 5-1, art. 5-2, art. 5-3, art. 5-5, art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3, art. 13) de la Convention, l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et l'article 2 du Protocole n° 7 (P7-2), M. Masson énonçait divers griefs concernant sa garde à vue et sa détention provisoire, ainsi que le refus de lui accorder réparation pour ses périodes de détention et de lui rembourser ses frais de justice.
Se prévalant de l'article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) et de l'article 13 (art. 13), M. van Zon se plaignait seulement du refus de lui accorder réparation pour sa détention avant procès et de lui rembourser ses frais de justice. 
36.   Le 1er avril 1992, la Commission a décidé de différer l'examen des griefs formulés par les deux requérants sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention relativement à leurs demandes de remboursement de leurs frais de justice et autres et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus.  Après avoir joint les requêtes, elle les a déclarées recevables pour le surplus le 8 janvier 1993 et a décidé en outre que le grief tiré par M. Masson de l'article 13 (art. 13) était tellement lié à celui qu'il formule sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) qu'il était impossible de les dissocier à ce stade.
Dans son rapport du 4 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis qu'il y a eu violation, dans chaque espèce, de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (quinze voix contre neuf) et qu'il ne s'impose pas d'examiner la doléance énoncée par M. Masson sur le terrain de l'article 13 (art. 13) (vingt et une voix contre trois). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt 3.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR 
37.   Le Gouvernement a conclu à la fois son mémoire et sa plaidoirie en affirmant que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) n'est pas applicable en l'espèce et que, le serait-il, il n'y aurait pas eu violation. 
38.   A l'audience, l'avocat de M. van Zon (seul requérant à avoir pris part à la procédure devant la Cour - paragraphe 2 ci-dessus) a conclu que "[p]our les raisons exposées dans la requête introductive et dans les observations complémentaires produites devant la Commission, ainsi que dans les conclusions écrites présentées à la Cour et les explications fournies à l'audience", l'article 6 par. 1 (art. 6-1) s'applique en l'espèce et a été violé. 
EN DROIT 
I.   SUR L'OBJET DU LITIGE 
39.   M. van Zon demande à la Cour d'examiner, au regard de l'article 6 par. 2 (art. 6-2), le grief que la Commission a déclaré irrecevable pour défaut manifeste de fondement. 
40.   La Cour réaffirme que l'objet du litige qui lui est déféré se trouve délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité (voir l'arrêt récent McMichael c. Royaume-Uni du 24 février 1995, série A n° 307-B, p. 50, par. 71).  En conséquence, la Cour n'a pas compétence pour connaître de ce grief. 
II.   SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DELA CONVENTION 
41.   Le passage pertinent de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention est ainsi libellé:  
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendueéquitablement, publiquement (...), par un tribunalindépendant et impartial (...), qui décidera (...) descontestations sur ses droits et obligations de caractèrecivil (...)" 
42.   Les requérants soutiennent que, contrairement aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), leurs demandes d'indemnisation pour les restrictions apportées à leur liberté (article 89 par. 1 CPP) et de remboursement des frais de justice exposés à l'occasion des poursuites pénales (article 591a par. 2 CPP) n'ont pas été examinées publiquement par un tribunal impartial. 
43.   Le Gouvernement conteste cette thèse, la Commission y souscrit.
Sur l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)   
Y a-t-il eu "contestation" sur un "droit" ?   
a) Principes pertinents 
44.   Pour que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) sous sa rubrique "civile" trouve à s'appliquer, il faut qu'il y ait "contestation" (dispute dans le texte anglais) sur un "droit" que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne.  Il doit s'agir d'une "contestation" réelle et sérieuse; elle peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses modalités d'exercice (voir notamment l'arrêt Zander c. Suède du 25 novembre 1993, série A n° 279-B, p. 38, par. 22).  L'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne se contentant pas, pour entrer en jeu, d'un lien ténu ni de répercussions lointaines (voir notamment l'arrêt Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A n° 294-B, pp. 45-46, par. 56).
b) Argumentation développée devant la Cour 
45.   Les requérants soutiennent qu'il existe une "contestation" entre l'Etat et eux sur un "droit" reconnu en droit néerlandais.  Le droit qu'ils revendiquent et qui, d'après eux, découle de la présomption d'innocence consacrée par l'article 6 par. 2 (art. 6-2), est celui dont bénéficie un ex-prévenu d'obtenir le remboursement de ses frais nécessaires et d'être indemnisé pour le préjudice subi lors de poursuites pénales qui se sont terminées sur un total acquittement.
Ils s'efforcent de distinguer leur cas des affaires antérieures Lutz c. Allemagne, Englert c. Allemagne et Nölkenbockhoff c. Allemagne (arrêts du 25 août 1987, série A n° 123-A, 123-B et 123-C), qui n'ont pas pris fin par un acquittement complet mais ont été classées pour d'autres raisons.
Pour eux, si les articles 89 par. 1 et 591a par. 2 CPP disposent bien que le juge "peut" allouer une indemnité, le libellé de l'article 90 ("Une indemnité est toujours octroyée si (...)" - voir paragraphes 27 et 28 ci-dessus) prouve qu'après avoir été acquitté, l'ex-prévenu jouit en principe d'un droit à indemnisation, même s'il relève du pouvoir d'appréciation du juge de faire exception au principe et aussi de fixer le montant de l'indemnité.  Ils font valoir que cette interprétation est étayée par un arrêt de la Cour de cassation selon lequel le droit à réparation découle de ce que des mesures d'instruction pénale ont été prises contre une personne qui s'avère par la suite innocente.  De même, toujours selon les requérants, les procédures d'indemnisation prévues aux articles 89 par. 1 et 591a par. 2 CPP permettent à un ex-prévenu de réclamer réparation pour une détention et des poursuites qui - l'acquittement l'a montré - se sont révélées ultérieurement dépourvues de fondement.
Un tel droit à indemnisation serait un droit "de caractère civil". 
46.   La Commission estime qu'une personne acquittée est fondée à réclamer une indemnisation pour le préjudice que lui aurait causé sa détention provisoire, ainsi que le remboursement des frais et dépens engagés dans les poursuites pénales dont elle a fait l'objet.  Dès lors, estime-t-elle, les requérants avaient des motifs défendables de jouir d'un "droit" reconnu par le droit néerlandais.  De surcroît, le droit revendiqué consistait en la réparation pécuniaire d'un dommage matériel et moral; il revêtait donc un "caractère civil", nonobstant l'origine du litige et la compétence des juridictions pénales. 
47.   Le Gouvernement conteste l'applicabilité de l'article 6 (art. 6). Il soutient tout d'abord qu'il n'y a pas eu de "contestation": l'Etat ne se serait pas prononcé sur le point de savoir si les requérants devaient ou non être indemnisés.  En conséquence, dans la procédure menée conformément aux articles 89 par. 1 et 591a par. 2 CPP, aucune position de l'Etat n'était en cause, ce dernier n'étant d'ailleurs pas partie à l'instance.  Le parquet n'était pas entendu comme partie, mais en qualité d'expert-conseil.  De plus, contrairement aux actions en responsabilité quasi délictuelle engagées au civil, la procédure litigieuse ne soulevait aucune question de "légalité".
Il faudrait ensuite, selon le Gouvernement, distinguer nettement entre la réparation demandée sur la base de la responsabilité aquilienne et celle réclamée en équité.  Seules donneraient droit à dédommagement les restrictions à la liberté constitutives d'un délit civil.  Les articles 89 par. 1 et 591a par. 2 CPP concerneraient une indemnisation discrétionnaire à accorder sur la base de l'équité.  Il ressortirait clairement du libellé de ces dispositions que n'était pas en jeu un droit à indemnisation en tant que tel: les articles 89 par. 1 et 591a par. 2 indiquent en effet que le juge "peut" allouer une indemnité et l'article 90 précise qu'il le peut seulement s'il "estime (...) qu'elle se justifie en équité" (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).   
c) Application des principes pertinents 
48.   La Cour, quant au point de savoir s'il existait une "contestation" sur un "droit" de nature à faire jouer l'article 6 par. 1 (art. 6-1), examinera d'abord si un "droit" à l'indemnisation réclamée pouvait, de manière défendable, passer pour reconnu en droit interne. 
49.   Vu la place de la Convention dans l'ordre juridique des Pays-Bas, la Cour remarque en premier lieu que cet instrument ne garantit pas à un "accusé" ultérieurement acquitté le droit de se faire rembourser les frais qu'il a exposés dans la procédure pénale engagée contre lui, si nécessaires qu'ils fussent, ni de percevoir une indemnité pour les restrictions apportées légalement à sa liberté.  Un tel droit ne saurait découler ni de l'article 6 par. 2 (art. 6-2) ni d'aucune autre disposition de la Convention ou de ses Protocoles.  Il s'ensuit que la question de savoir si l'on peut, dans un cas précis, affirmer l'existence d'un tel droit, commande que l'on se réfère au seul droit interne.
A cet égard, pour décider si un "droit", de caractère civil ou autre, peut valablement passer pour reconnu par le droit néerlandais, la Cour doit tenir compte du libellé des dispositions légales pertinentes et de la manière dont les juridictions internes les ont interprétées. 
50.   Les articles 591 par. 1 et 591a par. 1 CPP énoncent que, dans certaines situations, il "est" alloué à l'ex-prévenu une indemnité pour certains frais (paragraphe 28 ci-dessus).  L'Etat a dès lors l'obligation de rembourser les sommes en cause si les conditions requises sont réunies, auquel cas l'ex-prévenu y a droit.  Il convient de rappeler que le président de la chambre de la cour d'appel de Bois-le-Duc, qui a connu de ces affaires, a bien ordonné le remboursement de certains frais aux requérants, conformément à l'article 591a par. 1 (paragraphe 24 ci-dessus) et qu'aucun des intéressés n'a déposé la requête prévue à l'article 591 par. 1 (paragraphe 22 ci-dessus). 
51.   D'autre part, les articles 89 par. 1 et 591a par. 2 disposent que le juge compétent "peut" allouer à l'ex-prévenu une indemnité pour certains dommages non couverts par les articles 591 par. 1 et 591a par. 1.  Contrairement à ces dernières dispositions, les articles 89 par. 1 et 591a par. 2 n'obligent pas le juge à déclarer que l'Etat est tenu de payer, même si les conditions prévues sont remplies. En outre, l'article 90 par. 1 subordonne l'octroi de l'indemnité au sentiment du juge qu'elle "se justifie en équité" (paragraphe 27 ci-dessus).  Attribuer un tel pouvoir d'appréciation à un organe de l'Etat indique que le droit interne ne consacre pas un droit à proprement parler.
Enfin, la Cour ne saurait méconnaître les décisions pertinentes de la Cour de cassation néerlandaise, notamment celle du 2 février 1993 (NJ 1993, n° 552), et celle du 29 avril 1994 (RvdW 1994, n° 104).  Assurément, comme l'ont fait valoir les requérants, la jurisprudence de la Cour de cassation a créé un espace de décision pour les juridictions civiles (paragraphe 32 ci-dessus).  Cependant, le premier arrêt susmentionné, certes postérieur aux événements litigieux, montre qu'un droit à réparation intégrale (exigible au civil) n'est reconnu qu'en cas de détention illégale (paragraphe 33 ci-dessus).  La dernière décision, encore plus récente, indique clairement que l'acquittement en soi ne rend pas la détention provisoire illégale a posteriori (paragraphe 34 ci-dessus).  Les requérants n'ont pas soutenu devant la Cour que se trouve satisfaite en l'espèce l'une ou l'autre des conditions énumérées dans cette dernière jurisprudence pour déclarer illégales les restrictions apportées à leur liberté. 
52.   Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut que, les procédures litigieuses concernant ou non une "contestation" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), les revendications des requérants ne portaient nullement sur un "droit" que l'on pouvait prétendre, de manière défendable, reconnu en droit néerlandais.  Cela étant, l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n'était pas applicable à la procédure en cause et n'a dès lors été violé dans le chef d'aucun des requérants. 
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 (art. 13) DE LA CONVENTION 
53.   L'article 13 (art. 13) de la Convention est ainsi libellé: "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la(...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'unrecours effectif devant une instance nationale, alors mêmeque la violation aurait été commise par des personnesagissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles." Devant la Commission, M. Masson faisait valoir que le droit interne, au mépris de l'article 13 (art. 13) de la Convention, ne lui offrait aucun recours effectif contre les décisions querellées. 
54.  Ayant constaté une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), la Commission n'a pas estimé nécessaire d'examiner le grief tiré de l'article 13 (art. 13). 
55.   L'allégation de violation de l'article 13 (art. 13) n'ayant pas été évoquée devant elle, la Cour n'aperçoit aucune raison, en droit ou en fait, d'en connaître d'office. 
PAR CES MOTIFS, LA COUR 
1.   Dit, à l'unanimité, qu'elle n'a pas compétence pour connaîtredu grief tiré par M. van Zon de l'article 6 par. 2 (art. 6-2)de la Convention; 
2.   Dit, par huit voix contre une, que l'article 6 par. 1(art. 6-1) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce; 
3.   Dit, à l'unanimité, que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de laConvention n'a été violé dans le chef d'aucun des requérants; 
4.   Dit, à l'unanimité, qu'il ne s'impose pas d'examiner le grieftiré par M. Masson de l'article 13 (art. 13) de laConvention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 28 septembre 1995. 
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement A, l'exposé de l'opinion concordante de M. Martens. 
R. R.
H. P.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE MARTENS
(Traduction) 
1.   Je souscris au constat fait par la Cour de non-violation de l'article 6 (art. 6), mais ne suis pas d'accord avec le raisonnement qu'elle a suivi. 
2.   Les griefs des requérants concernent des procédures non contentieuses se déroulant devant une juridiction pénale et par lesquelles ils demandaient à la justice de les indemniser pour les restrictions apportées à leur liberté et pour les honoraires versés aux avocats à l'occasion de poursuites pénales engagées contre eux, leur demande se fondant uniquement sur leur acquittement.  Toutefois, l'objet des procédures en cause n'était pas la mise en oeuvre d'un droit de caractère civil à indemnisation puisqu'en vertu du droit néerlandais, comme du droit de plusieurs autres Etats contractants 4, l'acquittement n'engendre pas en soi de droit à réparation pour une détention provisoire régulière ni au remboursement des honoraires d'avocat en pareil cas.  Voilà qui suffit 5, selon moi, pour conclure que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) n'est pas applicable sous sa rubrique "civile".
3.   J'estime cependant que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) trouve à s'appliquer sous son volet "pénal".  A mon sens en effet, les procédures néerlandaises en cause relèvent de la même catégorie que celles examinées dans l'affaire Sekanina c. Autriche 6: il s'agit d'actions par lesquelles l'ex-prévenu, ayant été acquitté, peut demander au juge du fond de lui accorder un dédommagement pour sa détention provisoire et pour les frais qu'il a dû exposer pour sa défense.  Il faut voir dans ce type de procédure que, selon ce dernier arrêt, connaissent plusieurs Etats membres, une sorte de prolongement, d'appendice des poursuites pénales qui, en tant que telles, ont pris fin sur une décision d'acquittement.  En conséquence et conformément aux objectifs de la Convention, ces procédures tombent, elles aussi, sous le coup de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), rubrique "pénale".
4.   Cette catégorie de procédures est manifestement fondée sur l'idée que l'acquittement n'engendre pas ipso facto un droit à indemnisation pour une détention provisoire régulière, mais que la réponse à la question de savoir si l'équité exige de dédommager l'ex-prévenu acquitté et, si oui, dans quelle mesure, dépend de toutes les circonstances de l'espèce et qu'il vaut mieux, par conséquent, la laisser à l'appréciation du juge du fond qui connaît le mieux le contexte.   Je ne vois rien d'erroné dans cette idée.  En effet, la Convention ne donne pas droit à réparation 7 et, selon la doctrine Hauschildt8, le simple fait que la décision d'indemniser soit prise par le ou les mêmes juges qui se sont prononcés pour l'acquittement n'affecte pas l'impartialité du tribunal puisque les questions à trancher pour en décider sont totalement différentes.
En outre, dans cette optique, il existe de bonnes raisons de connaître de ces affaires à huis clos car il peut fort bien y avoir des faits qui, malgré l'acquittement de l'ex-prévenu, militent contre l'octroi de toute indemnisation et dont il est préférable de ne pas débattre en public si l'on veut protéger la vie privée de l'intéressé. Le même raisonnement vaut pour le prononcé public de la décision, exigé par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: là encore, le caractère particulier de cette procédure justifie une exception 9.
5.  En bref, si j'estime applicable l'article 6 par. 1 (art. 6-1), je partage avec la Cour la conclusion qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition.
1 L'affaire porte le numéro 30/1994/477/558-559.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, le troisième la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et les deux derniers la position sur la liste des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. 
2 Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9).  Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3 Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 327-A de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.
4 Voir l'arrêt Sekanina c. Autriche du 25 août 1993, série A n° 266-A, p. 14, par. 25. 
5 Dans les procédures non contentieuses il n'y a ipso facto pas de "contestation" (voir l'opinion séparée de M. le juge De Meyer dans l'affaire H. c. Belgique, série A n° 127-B, pp. 48 et suiv.) et, les requérants ayant eu accès à un tribunal, il n'y a pas place pour le critère de la "défendabilité" (voir mon opinion concordante dans l'affaire Salerno c. Italie, série A n° 245-D, pp. 57 et suiv.).
6 Voir note 1.
7 Voir l'arrêt Sekanina (note 1 à la page 19) pp. 13-14, par. 25. 
8 Voir l'arrêt Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, pp. 21 et 22, paras. 49 et 50.
9 Dans ce contexte, je renvoie à l'arrêt Schuler-Zgraggen c. Suisse du 24 juin 1993, série A n° 263, p. 20, par. 58 (troisième alinéa): la Cour semble y laisser entendre que la nature de la question litigieuse peut être tenue pour décisive quant aux exigences de publicité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
ARRÊT MASSON ET VAN ZON c. PAYS-BAS
ARRÊT MASSON ET VAN ZON c. PAYS-BAS
ARRÊT MASSON ET VAN ZON c. PAYS-BAS
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE MARTENS
ARRÊT MASSON ET VAN ZON c. PAYS-BAS
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE MARTENS


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 15346/89;15379/89
Date de la décision : 28/09/1995
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Irrecevable ; Non-violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 13

Analyses

(Art. 6-1) CONTESTATION


Parties
Demandeurs : MASSON ET VAN ZON
Défendeurs : PAYS-BAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-09-28;15346.89 ?

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