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15/11/1996 | CEDH | N°18877/91

CEDH | AFFAIRE AHMET SADIK c. GRÈCE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE AHMET SADIK c. GRÈCE
(Requête no 18877/91)
ARRÊT
STRASBOURG
15 novembre 1996 
En l'affaire Ahmet Sadik c. Grèce1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,  
N. Valticos,  
S.K. Martens,  
I. Foighel, 

 
J.M. Morenilla,
Sir  John Freeland,
MM. A.B. Baka,  
B. Repik,  
K. Jungwiert,
a...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE AHMET SADIK c. GRÈCE
(Requête no 18877/91)
ARRÊT
STRASBOURG
15 novembre 1996 
En l'affaire Ahmet Sadik c. Grèce1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,  
N. Valticos,  
S.K. Martens,  
I. Foighel,  
J.M. Morenilla,
Sir  John Freeland,
MM. A.B. Baka,  
B. Repik,  
K. Jungwiert,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 mars, 30 août et 25 octobre 1996,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis par le gouvernement de la République hellénique ("le Gouvernement") les 29 mai et 4 juillet 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 18877/91) dirigée contre la Grèce et dont un ressortissant de cet Etat, M. Sadik Ahmet Sadik, avait saisi la Commission le 11 juillet 1991 en vertu de l'article 25 (art. 25). Le requérant est décédé le 24 juillet 1995; son épouse, Mme Isik Ahmet, et ses deux enfants, M. Levent Ahmet et MlleFunda Ahmet, ont exprimé le souhait de reprendre l'instance.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration grecque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 10 de la Convention (art. 10).
2.   En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30).
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 8 juin 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. S.K. Martens, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla, M. F. Bigi, Sir John Freeland, M. B. Repik et M. K. Jungwiert, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). Par la suite, M. A.B. Baka, suppléant, a remplacé M. Bigi, décédé (articles 21 par. 4 et 22 par. 1 du règlement A).
Le 25 août 1995, le greffier a été informé de la mort du requérant, puis du souhait de sa veuve et de ses enfants de voir la procédure se poursuivre et d'y participer en se faisant représenter par le même conseil que l'intéressé. Pour des raisons de commodité, le présent arrêt continuera de désigner M. Ahmet Sadik comme "le requérant" bien qu'il faille aujourd'hui attribuer cette qualité à Mme Isik Ahmet et ses enfants (arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 29, par. 2).
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Le mémoire du requérant est parvenu au greffe le 10 janvier 1996, celui du Gouvernement le 11. Le 30 janvier, le Gouvernement a déposé, comme le président l'y avait autorisé le 14 décembre 1995, divers documents. Le 12 février, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué n'entendait pas formuler d'observations écrites.
Par une lettre reçue le 22 décembre 1995, une organisation non gouvernementale américaine, Rights International, a sollicité, en vertu de l'article 37 par. 2 du règlement A, l'autorisation de présenter des observations écrites. Le 25 janvier 1996, le président a décidé de ne pas la lui accorder.
Le 6 mars 1996, alors que le délai fixé aux comparants pour la présentation de leurs observations écrites avait expiré, le conseil du requérant a déposé au greffe un rapport de Helsinki Watch publié en 1992 à la suite d'une mission d'enquête de celui-ci en Thrace occidentale. Lors de sa réunion préparatoire du 27 mars 1996, la Cour a décidé de retenir ce document et le président a autorisé le Gouvernement à y répondre, ce que ce dernier a fait le 30 avril 1996.
5.   Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 27 mars 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement 
M. V. Kondolaimos, assesseur auprès  
du Conseil juridique de l'Etat, délégué de l'agent, 
M. D. Spinelis, professeur à l'université  
d'Athènes, 
Mme V. Pelekou, auditeur au Conseil  
juridique de l'Etat, 
Mme M. Vondikaki-Telalian, conseiller auprès  
du service juridique du ministère  
des Affaires étrangères, conseils;
- pour la Commission 
M. B. Conforti, délégué;
- pour le requérant 
Me T. Akillioglu, avocat au barreau d'Ankara  
et professeur d'université, conseil. 
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Conforti, Me Akillioglu, M. Kondolaimos, M. Spinelis et Mme Pelekou.
Ainsi que la Cour l'y avait invité, le représentant du Gouvernement a produit certains documents à l'occasion de l'audience.
EN FAIT
I.   Les circonstances de l'espèce 
6.   De nationalité grecque et de confession musulmane, M. Ahmet Sadik était né en 1949 et résidait à Komotini (Thrace occidentale). Il était médecin, éditeur de l'hebdomadaire Güven ("la confiance") et député au Parlement grec. Il est décédé le 24 juillet 1995 lors d'un accident de la route près de Komotini.  
A. La genèse de l'affaire
7.   Le requérant fut le seul candidat du parti politique Güven - représentant une partie de la population musulmane de Thrace occidentale - à emporter un siège aux législatives de juin 1989. Ces élections n'ayant pas permis la constitution d'un gouvernement, une nouvelle consultation électorale devait avoir lieu en novembre 1989 à laquelle l'intéressé comptait se porter candidat.
8.   A des dates diverses s'échelonnant du 16 octobre au 17 novembre 1989, M. Ahmet Sadik publia dans l'hebdomadaire Güven et fit circuler dans la région plusieurs communiqués, dont le suivant: 
"A L'ELECTORAT TURCO-MUSULMAN DU DEPARTEMENT DE RHODOPE 
A la suite des demandes répétées de l'électorat turco-musulman du département de Rhodope, nous, le journaliste Molla ismail (de Rhodope), le Dr Sadik Ahmet et le théologien ibrahim Serif, avons décidé de nous présenter aux élections législatives du 5 novembre sur la liste indépendante Güven. La communauté turque de Thrace occidentale a vécu, surtout depuis 1974, des expériences douloureuses avec les partis politiques. Aux élections du 18 juin, dans un élan d'unité, elle a fait confiance à la liste indépendante Güven. Elle a affirmé son identité et pris en charge son destin en élisant sur cette liste son représentant au Parlement. A l'occasion des élections du 5 novembre, elle est animée de la même détermination pour envoyer à l'Assemblée un représentant jouissant de sa confiance. 
Les électeurs turcs du département de Rhodope, après la victoire historique remportée le 18 juin, ne veulent plus jamais retourner aux partis et revivre les jours où ils étaient malheureux et écrasés. 
De plus, nous souffrons en observant les manoeuvres des partis qui, pour obtenir le vote précieux de l'électorat turco-musulman de Thrace occidentale, font souffler dans les villes et villages le vent de la terreur. Certains qui semblent être des nôtres, sous prétexte de défendre le droit de la communauté turco-musulmane de Thrace occidentale, osent encore demander le vote de nos concitoyens honnêtes et justes; il est pénible de voir que ces aventuriers puissent encore se promener parmi nous. Le seul désir des membres de la communauté turco-musulmane de Thrace occidentale est de vivre dignement dans le pays où ils sont nés et ont grandi. Aucune force n'arrêtera leur lutte juste et légitime. 
Nous plaçons toute notre confiance en Dieu d'abord, mais aussi dans l'honnête et consciencieux électorat turco-musulman qui croit en notre cause. L'électorat turc du département de Rhodope qui a pour devise "un pour tous et tous pour un" fera confiance le 5 novembre à Güven et vaincra ses adversaires dans l'honneur et le respect. 
Le requérant fut condamné sur la base de l'article ci-dessus dont une traduction grecque avait été lue pendant l'audience devant le tribunal correctionnel de Rhodope et la cour d'appel de Patras (paragraphes 9, 10 et 15 ci-dessous).
Dans un autre communiqué, il écrivait: 
"JEUNES! PRENEZ VOS RESPONSABILITES 
LE 5 NOVEMBRE, CETTE JEUNESSE INNOCENTE QUI SOUFFRE DEPUIS LE JOUR DE SA NAISSANCE DANS LA THRACE OCCIDENTALE VA ENFIN POUVOIR DIRE NON AUX PARTIS POLITIQUES QUI LUI IMPOSENT UNE VIE INHUMAINE 
JEUNES! LA FORCE NAIT DE L'UNION! SOYEZ SOLIDAIRES! VOTRE VOTE EST AUSSI PRECIEUX QUE VOTRE HONNEUR, VOTEZ A BON ESCIENT! 
LES JEUNES TURCS DE THRACE OCCIDENTALE QUI CRIENT "NOUS VOULONS DES DROITS, PAS L'AUMONE" VONT ARRACHER LEURS DROITS 
JEUNE TURC DE THRACE OCCIDENTALE, 
Dans cette communauté de 150 mille turco-musulmans de Thrace occidentale, le plus grand devoir, qui te remplit d'honneur et d'orgueil, te revient. Le 5 novembre, jour des élections législatives anticipées, approche. 
Depuis 25 à 30 ans, tu as été le plus touché par les pressions, les discriminations et les injustices infligées à la Communauté turque de Thrace Occidentale par les dirigeants qui se sont succédé à la tête de ce pays. 
Tu as respiré l'injustice et la discrimination dès ta naissance. 
Ton enfance innocente s'est écoulée dans les injustices. Tu n'as pas pu crier au monde "Je suis un enfant turc". 
Dans notre monde, où l'éducation et l'instruction sont si développées, ta scolarité a été amputée. Tu as même été privé d'un simple livre scolaire alors que les enfants hellènes recevaient une éducation moderne et profitaient des développements culturels et technologiques de leur temps. Tu possèdes l'intelligence requise pour devenir médecin, avocat, ingénieur
(...) mais ce pays que tu appelles "ma patrie" t'a fermé la porte des études. 
Tu as grandi et tu es devenu adulte au milieu de ces injustices de par la loi de la nature. Car personne ne pouvait t'empêcher de grandir. Peut-être aussi es-tu à présent marié et père de famille; mais tu n'as pas de toit pour abriter ta chère femme et les enfants que tu adores. En effet, tu viens de terminer ton service militaire mais, dans ce pays que tu appelles "ma patrie", les droits d'acheter ou de construire une maison te sont refusés. 
Comme tu ne pouvais pas fréquenter l'enseignement supérieur, tu as acquis un métier quitte à supporter les remarques vexantes de ton "Patron chrétien" [Çorbaci] tout au long des années. Tu es devenu réparateur de moteurs, de tuyaux d'échappement ou de pneus (...), mais tu dois toujours remplir les poches de ton patron chrétien. Car tu n'as pas le droit d'ouvrir ton propre atelier. 
A ta naissance, tu as reçu ton nom à l'appel à la prière; tu es inscrit dans les registres de la Municipalité sous le nom de Ahmet, Mehmet (...) Mais dans ton lieu de travail, ton patron s'obstine à t'appeler "Taki, Maki, Saki (...)" 
Avec la ferveur de la jeunesse, tu sautes sur un tracteur, tu travailles dans les champs jour et nuit et tu voudrais passer devant tes amis avec ce tracteur, mais tu ne le peux pas. 
Car, on pense même que tu ne mérites pas la permission d'employer ce tracteur. On t'oblige presque à travailler furtivement ta propre terre. Après avoir travaillé pendant toute l'année et avoir économisé un peu d'argent, tu voudrais te promener ou voyager à l'étranger. Tu n'arrives pas à le faire l'esprit tranquille. Tu es rongé par des doutes: tu te demandes si tu ne perdras pas ta nationalité au retour ou si ton passeport ne sera pas confisqué au départ. 
JEUNE DE THRACE OCCIDENTALE! 
Jeune qui es venu au monde parmi toutes ces injustices et à qui est réservée une existence humiliante, ton jour est arrivé! 
Aux élections du 5 novembre, donne une leçon inoubliable à tous ceux qui t'enferment dans ces injustices. 
PERSONNE NE DOUTE QUE TU SERAS SOLIDAIRE DE LA LISTE INDEPENDANTE prouvant ainsi que tu tiens à tes racines nationales et religieuses jusqu'à en perdre ta vie! 
Dès maintenant, forme des ASSOCIATIONS DE LUTTE dans ton quartier et ton village et veille à ce que tes parents, grands-pères et grands-mères ne soient pas trompés! 
Le jour des élections, jusqu'à la fin du décompte des votes, veille à ce que tous les votes ne soient pas gaspillés en restant soit à la tête des urnes soit à l'extérieur. N'oublie pas une seule seconde que ton vote est aussi précieux que ton honneur! 
LA COMMUNAUTE TURQUE DE THRACE OCCIDENTALE TE FAIT CONFIANCE ET EST FIERE DE TOI. 
VIVE LA JEUNESSE TURQUE ET MUSULMANE DE THRACE OCCIDENTALE!"
9.   Le requérant se vit alors accusé d'infractions aux articles 162 et 192 du code pénal (paragraphe 20 ci-dessous): le 18 décembre 1989, le procureur près le tribunal correctionnel de Rhodope le cita à comparaître devant cette juridiction le 25 janvier 1990 afin qu'il soit jugé pour les faits suivants: 
"[La deuxième moitié] du mois d'octobre 1989, dans la ville de Komotini,
1) par de fausses informations et de déclarations calomnieuses se rapportant à la personne de certains candidats, [M. Ahmet Sadik] a trompé les électeurs afin de modifier leurs intentions de vote; plus particulièrement, il a rédigé et diffusé dans la ville de Komotini et dans d'autres endroits du département de Rhodope, une déclaration en langue turque (...), dans laquelle il affirmait que les électeurs musulmans du département de Rhodope vivent quotidiennement - c'est-à-dire pendant la période précédant les élections législatives du 5 novembre 1989 - dans un climat anarchique (de terreur) créé par les candidats des autres partis politiques (...), qui circulent dans les différents villages du département de Rhodope et tentent de s'approprier les voix des électeurs musulmans (...)
2) à la même époque et au même endroit, il a enfreint l'article 192 du code pénal (...). En particulier, il a rédigé et diffusé la déclaration susmentionnée dans laquelle sont répétés plusieurs fois les termes "Turc", "musulman turc", "minorité turque musulmane de Thrace occidentale", "communauté turque", pour désigner la minorité de confession musulmane de Thrace; en qualifiant de turque la minorité musulmane et en traitant les musulmans de "Turcs" et non de "Grecs", il a provoqué et incité les citoyens à semer la discorde entre eux (notamment du côté des musulmans) et entre eux et les autres citoyens de Komotini, et a ainsi perturbé la paix publique des citoyens (...) 
Par conséquent, il a enfreint les articles (...) 162 et 192 du code pénal."
Une seconde citation, de la même date, invitait l'intéressé à comparaître devant ce même tribunal, le 8 février 1990, pour répondre de ce qui suit: (...) 
"Le 17 novembre 1989, dans la ville de Komotini et dans d'autres endroits du département de Rhodope, il a violé l'article 192 du code pénal (...). Plus particulièrement, il a publié au journal Güven, du 17 novembre 1989, une déclaration signée par lui (l'accusé) et dans laquelle il note et allègue faussement l'existence d'une discrimination et d'une oppression des musulmans de Thrace de la part de l'administration grecque, ainsi que celle des injustices commises à leur détriment; enfin, en qualifiant et appelant la minorité musulmane de Thrace en ces termes, "minorité turque" et non pas "minorité grecque de confession musulmane", il a provoqué et incité les citoyens, principalement du côté musulman, à la discorde réciproque et a ainsi troublé la paix publique des citoyens de Thrace. 
Par conséquent, il a enfreint les articles (...) et 192 du code pénal."  
B. La procédure devant le tribunal correctionnel de Rhodope
10.   Le 25 janvier 1990, M. Ahmet Sadik et son coaccusé comparurent devant le tribunal correctionnel de Rhodope. Au cours de l'interrogatoire des témoins, leurs avocats récusèrent un des juges dudit tribunal en raison de l'animosité qu'il montrait à l'égard des accusés et de la manière dont il posait les questions. Après avoir délibéré, le tribunal rejeta la demande de récusation: il estima que les questions dudit juge ne dépassaient pas le cadre de l'acte d'accusation et tendaient à la recherche objective de la vérité dans l'affaire litigieuse. Les avocats renoncèrent alors à continuer à défendre leurs clients qui déclarèrent ne pas souhaiter la désignation d'un autre avocat. Ils assumèrent eux-mêmes leur défense et nièrent avoir commis l'acte incriminé. Plus particulièrement, l'intéressé souligna que, par les articles litigieux, il entendait seulement dénoncer l'oppression de la minorité musulmane par l'Etat et attirer l'attention sur les problèmes que cette minorité rencontrait dans ses rapports avec l'administration. Il releva que le terme "turc" avait été employé pendant longtemps non seulement dans la presse, mais aussi par les autorités administratives et judiciaires. Enfin, il affirma que le rassemblement de la foule devant le tribunal était provoqué non pas par les articles litigieux mais par la tenue de ce procès et par le fait qu'on persistait à nier aux musulmans leur origine ethnique.
11.   Le 26 janvier 1990, le tribunal relaxa les deux accusés, dont le requérant du chef de la tromperie d'électeurs, mais les reconnut coupables de celui de trouble de la paix des citoyens.
Le tribunal constata que les accusés, candidats d'un parti indépendant aux élections du 5 novembre 1989, avaient rédigé conjointement et en langue turque une déclaration qu'ils avaient diffusée dans la ville de Komotini et dans d'autres endroits de Rhodope et dans laquelle figuraient à plusieurs reprises les termes "Turc", "musulman turc", "minorité turque musulmane de Thrace occidentale", "communauté turque"; en qualifiant les musulmans grecs de Komotini et du département de Rhodope de Turcs et non de Grecs, ils visaient, en s'adressant au sentiment, à l'esprit et à la volonté des citoyens grecs de la minorité musulmane, à instiller et implanter dans leurs coeurs le germe de la discorde, de la haine et de l'hostilité envers les Grecs chrétiens de Komotini et du département de Rhodope, à provoquer et inciter les citoyens des deux communautés à commettre des voies de fait et semer la discorde entre eux et ainsi troubler, comme ils y avaient réussi du reste, la paix publique, la cohabitation harmonieuse et la coexistence pacifique qui existaient depuis des siècles entre les citoyens des deux communautés grecques (chrétienne et musulmane).
Le tribunal condamna M. Ahmet Sadik à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois, non convertible en sanction pécuniaire; il estima en effet qu'une telle sanction ne suffisait pas, eu égard au caractère de celui-ci et aux circonstances de l'espèce, à le dissuader de commettre d'autres actes répréhensibles. En outre, son refus de se repentir et son obstination pendant l'audience à prononcer des discours sécessionnistes démontraient qu'il était particulièrement dangereux; un appel éventuel de sa part ne devrait donc pas avoir un effet suspensif car il était probable de le voir se soustraire à la justice et fuir en Turquie. L'exécution de la peine, jusqu'à ce que la juridiction d'appel se prononçât, ne causerait ni à lui ni à sa famille un préjudice excessif et irréparable.
12.   Le requérant demeura en détention du 26 janvier au 30 mars 1990. Sa candidature aux élections de novembre 1989 fut annulée pour des raisons techniques.  
C. Les incidents du 29 janvier 1990 à Komotini
13.   Le 29 janvier 1990, des violences éclatèrent à Komotini, au cours desquelles de nombreux commerces furent endommagés. Un musulman tua un chrétien dans un hôpital de la ville.
14.   Pour la minorité musulmane de Thrace occidentale, il s'agissait de la date anniversaire des événements qui avaient eu lieu deux ans plus tôt, en 1988: en novembre 1987, la Cour de cassation avait interdit aux associations de jeunes ainsi qu'à celles des instituteurs de la minorité le terme dénominatif "turques". L'arrêt de la Cour de cassation clôturait une série de procès engagés en 1984 par les préfets de Rhodope et de Xanthe afin d'obtenir la dissolution de "l'Union de la jeunesse turque de Komotini", de "l'Union des instituteurs turcs de Thrace occidentale" et de "l'Union turque de Xanthe". En janvier 1988, la minorité musulmane avait alors décidé d'organiser une manifestation devant la préfecture pour marquer son opposition audit arrêt. En dépit de son interdiction par la police, la manifestation eut finalement lieu mais dégénéra et des heurts violents se produisirent dans la ville de Komotini.  
D. La procédure devant la cour d'appel de Patras
15.   Le 27 janvier 1990, l'intéressé interjeta appel contre le jugement du tribunal correctionnel de Rhodope. L'affaire fut renvoyée devant la cour d'appel de Patras pour des motifs tenant au maintien de l'ordre et de la sécurité publique (articles 136 c) et 137 par. 1 c) du code de procédure pénale).
Le 30 mars 1990, la cour d'appel de Patras confirma le jugement du tribunal correctionnel, par les motifs suivants: 
"Considérant qu'il résulte des dépositions des témoins à charge et à décharge qui ont été interrogés sous serment lors des débats devant la présente juridiction, ainsi que des pièces qui ont été lues et des arguments énoncés par l'accusé pour sa défense, les faits suivants ont été établis. Candidats d'une liste indépendante lors des élections législatives du 5 novembre 1989 à Komotini, les accusés ont rédigé, entre le 10 et le 20 octobre 1989, une brochure imprimée en turc qu'ils ont distribuée dans la ville de Komotini et dans d'autres localités du nome de Rhodope, et dans lesquelles figuraient, à maintes reprises, les termes "Turcs", "musulmans turcs", "minorité musulmane turque de Thrace occidentale" et "communauté turque". De cette manière, les accusés ont délibérément entrepris de qualifier de "Turcs" les citoyens grecs de religion musulmane, alors qu'ils savaient qu'en vertu du Traité de Lausanne seule une minorité musulmane, et non une minorité turque, a été reconnue dans la région de Thrace occidentale. Néanmoins, les accusés, par leur acte précité qui s'adressait au sentiment, à l'esprit et à la volonté des citoyens grecs de la minorité musulmane, visaient délibérément à instiller et à implanter dans les coeurs de ces citoyens le germe de la discorde, de la haine et de l'hostilité envers les chrétiens grecs qui vivent dans la même région. De cette manière, ils ont réussi à provoquer et à inciter les citoyens à la discorde mutuelle, avec pour conséquence supplémentaire la perturbation de la paix publique. Tout ce qui précède a été corroboré par les témoins à charge Athanasios Kamarakis, Stylianos Bletsas, Syrmatoula Lantzouraki et Konstantinos Tsetlakas, qui, du fait qu'ils habitent à Komotini, avaient une connaissance directe de ces faits. Ils ont souligné que, à cause de la distribution de la brochure en question, la paix publique à Komotini avait été gravement perturbée parmi les citoyens de cette ville, si bien qu'en peu de temps il y eut des manifestations de violence entre chrétiens et musulmans. L'affirmation des accusés selon laquelle, par la brochure en question, ils visaient seulement à attirer les électeurs de la population musulmane grecque n'est pas convaincante, parce que, si tel était le cas, ils pouvaient atteindre leur but par toutes autres méthodes adéquates, sans qualifier de "Turcs" dans la brochure en question les musulmans grecs, alors qu'ils savaient qu'une minorité turque n'est pas reconnue en Thrace grecque et qu'ils savaient aussi que s'ils tentaient de soulever une telle question dans une région aussi sensible, la paix entre les chrétiens grecs et les musulmans grecs en serait certainement troublée, ce qui se produisit d'ailleurs en réalité. En conséquence, les accusés sont déclarés coupables de l'acte précité, tel qu'il se trouve décrit de manière analytique dans le dispositif du présent arrêt. La Cour prend néanmoins en considération la circonstance atténuante qu'avant de commettre l'infraction précitée les accusés avaient toujours mené une vie individuelle, familiale, professionnelle et sociale honnête."
Enfin, elle réduisit à quinze mois la peine d'emprisonnement de M. Ahmet Sadik et la convertit en une sanction pécuniaire de 1 000 drachmes par jour.
16.   Le 8 avril 1990, après sa mise en liberté, le requérant fut réélu au Parlement grec.  
E. La procédure devant la Cour de cassation
17.   Le 24 octobre 1990, l'intéressé se pourvut en cassation. Il soutenait que les charges portées contre lui étaient vagues et que les juridictions inférieures auraient dû rejeter la thèse de l'accusation. Il alléguait également que la cour d'appel de Patras n'avait pas suffisamment motivé sa décision, comme le requiert la législation grecque; en particulier, il prétendait que la cour d'appel n'avait pas précisé en quoi l'emploi du substantif "Turc" ou de l'adjectif "turc" étaient en soi propres à créer un climat de haine ou à troubler l'ordre public. Enfin, il se plaignait du fait que l'arrêt ne donnât aucun exemple concret d'événements effectivement survenus vers la fin du mois d'octobre 1989, qui auraient troublé la paix publique.
18.   Le 15 février 1991, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par les motifs suivants: 
L'article 192, adopté pour la protection de l'ordre public et pour permettre à un Etat de droit de faire face aux tensions que l'ordre légal démocratique (...) ne peut pas tolérer, prévoit, tout comme les articles 190 et 191, le crime de "trouble de la paix des citoyens". Le fondement objectif de ce crime - selon cet article - consiste en la provocation ou en l'incitation des citoyens, publiquement et de quelque manière que ce soit (oralement ou par écrit), à commettre des voies de fait ou à semer la discorde entre eux, soit l'aversion et la haine, et troubler ainsi la paix publique, c'est-à-dire la confiance de la société dans l'ordre pacifique (...) 
Le fondement subjectif de ce crime consiste dans le dol de son auteur, ce qui implique que celui-ci ait agi en connaissance de cause et avec la volonté de provoquer ou d'inciter les citoyens à commettre des voies de fait ou à semer la discorde entre eux et troubler ainsi la paix publique. 
En l'espèce (...), la cour d'appel de Patras (...) a admis (...) que: les plaignants, candidats indépendants à Komotini aux élections législatives du 5 novembre 1989 ont rédigé conjointement, vers la fin octobre 1989, une déclaration en langue turque, qu'ils ont diffusée dans la ville de Komotini et dans d'autres endroits du département de Rhodope, et dans laquelle se trouvent mentionnés à plusieurs reprises les termes "Turc", "musulman turc", "minorité turque musulmane de Thrace occidentale", "communauté turque". De cette manière, les plaignants ont à dessein tenté de qualifier de Turcs les musulmans grecs de la région de Rhodope du Sud, tout en sachant que le Traité de Lausanne reconnaît seulement l'existence dans cette région d'une minorité musulmane (religieuse) et pas une minorité turque. Malgré cela, les plaignants, par leur action qui s'adressait au sentiment, à l'esprit et à la volonté des citoyens grecs de la minorité musulmane, visaient consciemment à instiller et implanter dans les coeurs de ces citoyens le germe de la discorde, de la haine et de l'hostilité envers les Grecs chrétiens qui habitent la même région; ils ont ainsi réussi à provoquer et semer la discorde entre les citoyens, ce qui a entraîné le trouble de la paix des citoyens de Komotini à un degré tel que, en peu de temps, des voies de fait ont été commises entre chrétiens et musulmans dans cette ville; de plus, ils savaient qu'il n'existait pas en Thrace occidentale de minorité turque et que leur action troublerait la paix publique entre Grecs chrétiens et Grecs musulmans. 
Par son raisonnement, la cour d'appel démontre qu'elle a donné à la décision attaquée la motivation spéciale et circonstanciée qu'exigent les articles 93 par. 3 de la Constitution et 139 du code de procédure pénale, puisqu'elle relate dans cette décision, de manière complète et claire et sans contradiction, les faits de la cause tels qu'ils ont été établis pendant l'audience et qui constituent le fondement objectif et subjectif du crime susmentionné (...) 
Plus spécialement, il n'y a pas de contradiction entre les motifs et le dispositif (...), car provoquer et semer la discorde et troubler ainsi la paix publique suffit à créer le fondement objectif de l'acte pour lequel ils ont été condamnés; le rappel dans les motifs que des voies de fait ont été commises, même s'il n'était pas nécessaire pour appuyer le dispositif, n'est cependant pas contradictoire avec celui-ci, eu égard au fait que la discorde constitue la condition psychologique de la voie de fait qui est le degré supérieur de la discorde. (...) 
Enfin, le dol des plaignants est inhérent à l'accomplissement des faits qui constituent l'acte punissable et démontrent que les intéressés ont agi sciemment en sachant qu'ils troublaient la paix publique (...)"
II.   Le droit interne pertinent  
A. La Constitution
19.   Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes de la Constitution de 1975:  
Article 14 par. 1 
"Chacun peut exprimer et diffuser ses pensées par la parole, par écrit et par la voie de la presse, en observant les lois de l'Etat."  
Article 28 par. 1 
"Les règles du droit international généralement acceptées, ainsi que les traités internationaux après leur ratification par voie législative et leur entrée en vigueur conformément aux dispositions de chacun d'eux, font partie intégrante du droit hellénique interne et ont une valeur supérieure à toute disposition contraire de la loi. 
L'application des règles du droit international général et des traités internationaux à l'égard des étrangers est toujours soumise à la condition de réciprocité."  
B. Le code pénal
20.   Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi:   
"Tromperie d'électeurs     Article 162 
Celui qui par de fausses informations ou des déclarations calomnieuses se rapportant à la personne d'un candidat aux élections ou par un autre moyen trompe un électeur afin soit de l'empêcher d'exercer son droit électoral soit d'influer sur ses intentions de vote (...) est puni d'une peine d'emprisonnement jusqu'à deux ans et d'une amende."  
"Trouble de la paix publique     Article 189 
1. Celui qui participe à un attroupement, qui (...) commet des voies de fait contre des personnes ou des biens, ou envahit des maisons appartenant à autrui, des domiciles ou d'autres immeubles, est puni d'une peine d'emprisonnement jusqu'à deux ans. 
2. Les instigateurs et ceux qui ont commis des voies de fait sont punis d'une peine d'emprisonnement de trois mois au moins. 
3. Ces peines sont infligées si l'acte n'est pas puni plus sévèrement en vertu d'une autre disposition." 
"Trouble de la paix des citoyens     Article 190 
Celui qui par des menaces que des crimes ou délits seront commis, provoque l'inquiétude ou la terreur parmi les citoyens est puni d'une peine d'emprisonnement jusqu'à deux ans.    
Article 191 par. 1 
Celui qui propage, de quelque manière que ce soit, des informations fausses ou des rumeurs de nature à provoquer l'inquiétude ou la peur parmi les citoyens ou à ébranler la confiance en l'Etat (...) ou à troubler les relations internationales du pays, est puni d'une peine d'emprisonnement de trois mois au moins et d'une amende. Si l'acte se réitère par voie de presse, le responsable est puni d'une peine d'emprisonnement de six mois au moins et d'une amende de deux cent mille drachmes au moins.  
Article 192 
Celui qui, publiquement et de quelque manière que ce soit, provoque ou incite les citoyens à commettre des voies de fait ou à semer la discorde entre eux, troublant ainsi la paix publique, est puni d'une peine d'emprisonnement jusqu'à deux ans, sauf si une autre disposition impose une peine plus sévère."
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
21.   M. Ahmet Sadik a saisi la Commission le 11 juillet 1991. Il alléguait des violations des articles 5 paras. 1, 3 et 4, 6 par. 1 et 6 paras. 1, 2 et 3 combiné avec l'article 14, ainsi que des articles 9, 10, 11 et 14 de la Convention (art. 5-1, art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1, art. 14+6-1, art. 14+6-2, art. 14+6-3, art. 9, art. 10, art. 11, art. 14), et 3 du Protocole n° 1 (P1-3).
22.   Le 8 juillet 1994, la Commission a retenu la requête (n° 18877/91) quant aux griefs tirés des articles 9, 10, 11 et 14 de la Convention (art. 9, art. 10, art. 11, art. 14), tout en estimant que la principale question se posait sur le terrain de l'article 10 (art. 10), et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt3.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
23.   Dans son mémoire, le Gouvernement conclut ainsi: 
"1. La requête de feu Ahmet Sadik fondée sur un grief tiré de la violation de l'article 10 (art. 10) n'est pas transférable à ses héritiers et ne présente pas un intérêt général; par conséquent elle doit être jugée et déclarée irrecevable par la Cour.  
2. De surcroît, à titre subsidiaire, elle doit être aussi déclarée irrecevable, en vertu de l'article 26 de la Convention (art. 26), pour défaut d'épuisement des voies de recours internes, dès lors que l'argument selon lequel l'application de l'article 192 du code pénal grec en l'espèce constituait une violation de la liberté d'expression du requérant n'a pas été invoqué devant les juridictions nationales.  
3. Egalement à titre subsidiaire, et compte tenu de l'ensemble des circonstances pertinentes, la condamnation du requérant défunt était prévue par la loi, poursuivait un but légitime, était nécessaire dans une société démocratique et proportionnée; partant elle n'a pas violé l'article 10 de la Convention (art. 10).  
4. Enfin, et toujours à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour jugerait que la Grèce a violé l'article 10 (art. 10), le gouvernement grec soutient qu'au regard de l'article 50 de la Convention (art. 50), le seul montant qui pourrait être réclamé par les héritiers du requérant défunt serait celui correspondant aux dépens réellement (preuves à l'appui) et nécessairement encourus par eux pendant la procédure devant la Commission et la Cour."
EN DROIT
I.   OBSERVATION PRELIMINAIRE
24.   Le Gouvernement conteste le droit de la veuve et des enfants du requérant défunt de poursuivre devant la Cour la procédure engagée par lui.
Se prévalant de la jurisprudence de la Commission en la matière, il soutient que le grief tiré de la violation de l'article 10 (art. 10) était si étroitement et directement lié à la personne du défunt que ses héritiers ne peuvent se prévaloir d'aucun intérêt juridique spécifique leur permettant de se substituer à lui en l'espèce. De plus, le cas de l'intéressé serait un cas isolé ne soulevant aucune question d'intérêt général.
25.   L'avocat des héritiers du défunt invoque, outre l'intérêt matériel de ses clients, leur intérêt personnel à poursuivre la procédure, ne serait-ce que pour savoir s'ils sont "membres de la minorité hellénique de confession musulmane" ou simplement "membres de la communauté turque".
De plus, il soutient que l'intérêt de la présente affaire dépasse largement le cas individuel de M. Ahmet Sadik car elle toucherait au nom et à l'identité culturelle d'une minorité entière. Il s'appuie à cet égard sur les termes mêmes de la requête introductive d'instance du Gouvernement, selon laquelle "l'affaire concerne des questions nationales importantes et soulève aussi des questions complexes de droit dans la mesure où elle affecte la minorité musulmane de Thrace occidentale".
26.   La Cour constate, d'abord, que le requérant fut condamné par les tribunaux grecs pour avoir troublé, au moyen de ses écrits, la paix publique et la paix des citoyens de Thrace occidentale. Sous réserve de sa décision sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes, elle estime que la veuve et les enfants de M. Ahmet Sadik ont un intérêt moral légitime à faire constater que la condamnation de ce dernier a eu lieu en méconnaissance du droit à la liberté d'expression invoqué par celui-ci devant les organes de la Convention.
En outre, elle relève que le requérant fut condamné à quinze mois d'emprisonnement convertibles en une sanction pécuniaire de 1 000 drachmes par jour de détention, somme dont il s'est acquitté. A l'instar du délégué de la Commission, elle considère que les héritiers du requérant ont aussi un intérêt matériel certain au titre de l'article 50 de la Convention (art. 50).
Par conséquent la Cour reconnaît à Mme Isik Ahmet et à ses deux enfants, M. Levent Ahmet et Mlle Funda Ahmet, qualité pour se substituer désormais au requérant en l'espèce.
II.   SUR L'EXCEPTION PRELIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
27.   Selon le Gouvernement, M. Ahmet Sadik n'a pas épuisé les voies de recours internes, faute d'avoir soulevé devant les juridictions nationales, même en substance, le grief tiré de la violation de l'article 10 (art. 10). Ni le requérant ni ses avocats n'auraient allégué à quelque moment que ce soit de la procédure devant le tribunal correctionnel de Rhodope et la cour d'appel de Patras - ne fût-ce qu'indirectement ou de manière abstraite - une quelconque violation du droit à la liberté d'expression. L'invocation par l'intéressé devant la Cour de cassation de son droit d'employer le terme "Turc" pour désigner les musulmans de Thrace occidentale tendrait uniquement à prouver que l'acte commis par lui ne suffisait pas à fonder objectivement l'infraction réprimée par l'article 192 du code pénal. En outre, la Cour de cassation ne pouvait examiner de son propre chef l'éventualité d'une violation du droit à la liberté d'expression: s'il lui incombe de contrôler d'office la compatibilité d'une disposition législative avec la Constitution, elle ne peut - en l'absence d'une demande expresse en ce sens par les parties - rechercher si l'application de cette disposition aux circonstances de l'espèce devant elle s'est faite de manière conforme à la Constitution.
28.   Le requérant reconnaît qu'il ne s'est pas explicitement référé devant les juridictions grecques à l'article 10 de la Convention (art. 10). Il prétend que dans son pourvoi en cassation il avait néanmoins souligné le caractère vague des termes de son inculpation ainsi que le manque de clarté de la motivation de l'arrêt de la cour d'appel. A supposer même qu'il n'eût pas invoqué en substance devant les juridictions nationales son droit à la liberté d'expression, il appartiendrait au juge de préciser d'office la ligne de démarcation entre le droit d'exprimer son appartenance ethnique et l'infraction d'incitation au trouble de l'ordre public. Toutefois, aucune autorité judiciaire ne serait disposée en Grèce à affirmer pareil droit au profit d'un membre de la "minorité turque". Quoi qu'il en soit, le juge pénal se devrait, de son propre chef et surtout lorsqu'il s'apprête à prononcer une peine sévère contre un accusé, prendre en considération les libertés garanties par la Constitution et par la Convention, qui a en Grèce une valeur supralégislative.
29.   Dans sa décision sur la recevabilité de la requête, la Commission a écarté l'exception au motif que le requérant avait en substance soulevé devant la Cour de cassation un grief qui était lié à la violation de l'article 10 (art. 10). Le délégué de la Commission a en outre soutenu devant la Cour qu'il suffit, aux fins de l'épuisement, que l'intéressé ait attaqué devant les juridictions nationales le comportement de l'Etat et leur ait ainsi donné la possibilité de redresser le manquement allégué. Se référant à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice et aux principes du droit international généralement reconnus (article 26 de la Convention) (art. 26), il prétend qu'il n'est pas nécessaire que le recours interne soit fondé sur le même motif que le recours international.
30.   La Cour ne souscrit pas à cette thèse. Elle rappelle que le mécanisme de contrôle instauré par la Convention est subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l'homme. Ce principe se reflète dans la règle consacrée par l'article 26 (art. 26) qui "dispense les Etats de répondre de leurs actes devant un organe international avant d'avoir eu l'occasion d'y remédier dans leur ordre juridique interne" (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 18 juin 1971, série A n° 12, p. 29, par. 50).
Dans son arrêt du 16 septembre 1996 en l'affaire Akdivar et autres c. Turquie (Recueil des arrêts et décisions 1996-IV), la Cour a souligné qu'elle doit appliquer la règle de l'épuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte: le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme que les Parties contractantes sont convenues d'instaurer. Elle a ainsi reconnu que l'article 26 (art. 26) doit s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif et qu'il n'exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l'exercice de recours destinés à combattre une décision déjà rendue: il oblige aussi, en principe, à soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler par la suite à Strasbourg (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, par. 34).
31.   La Cour note que la Convention forme partie intégrante du système juridique grec où elle prime toute disposition contraire de la loi (article 28 par. 1 de la Constitution - paragraphe 19 ci-dessus). Elle relève en outre que son article 10 (art. 10) revêt un caractère directement applicable; M. Ahmet Sadik aurait donc pu se prévaloir de cette disposition (art. 10) devant les juridictions grecques et plaider qu'elle se trouvait violée dans son chef.
32.   Or le requérant ne s'est appuyé à aucun moment devant ses juges ni sur l'article 10 de la Convention (art. 10) ni sur des moyens d'effet équivalent ou similaire fondés sur le droit interne.
A cet égard, la présente affaire se distingue nettement des affaires Castells c. Espagne et Guzzardi c. Italie: M. Castells avait invoqué devant la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel l'article pertinent de la Constitution espagnole qui garantit le droit à la liberté d'expression (arrêt du 23 avril 1992, série A n° 236, p. 20, par. 31); M. Guzzardi, même s'il ne s'était pas fondé en termes exprès sur l'article 5 de la Convention (art. 5), avait mentionné celle-ci dans son ensemble dans le contexte général des conditions de vie sur l'île où il était assigné à résidence (arrêt du 6 novembre 1980, série A n° 39, p. 27, par. 72).
33.   Tant devant le tribunal correctionnel de Rhodope que devant la cour d'appel de Patras, l'intéressé qui, dans son pourvoi en cassation, a présenté des moyens tirés uniquement du droit interne et ne soulevant pas la question de la liberté d'expression (paragraphe 17 ci-dessus) s'est borné à repousser l'accusation d'avoir troublé l'ordre public et d'avoir enfreint ainsi l'article 192 du code pénal.
A supposer même que les juridictions grecques aient pu, voire dû, examiner d'office le litige sous l'angle de la Convention, cela ne saurait avoir dispensé le requérant de s'appuyer devant elles sur ce traité ou de leur présenter des moyens d'effet équivalent ou similaire et attirer ainsi leur attention sur le problème dont il entendait saisir après coup, au besoin, les organes de contrôle européens (arrêt Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, série A n° 40, p. 19, par. 39). Il en est ainsi dans des cas où, comme en l'espèce, une accusation relative au trouble de l'ordre public peut être contestée - et M. Ahmet Sadik l'a du reste fait en l'occurrence (paragraphes 10, 11, 15, 17 et 18 ci-dessus) - à l'aide d'arguments qui ne soulèvent pas la question de la liberté d'expression.
34.   Dès lors, l'épuisement des voies de recours internes ne se trouve pas réalisé en l'espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.   Dit, à l'unanimité, que les héritiers du requérant ont qualité pour se substituer à lui en l'espèce;
2.   Dit, par six voix contre trois, que, faute d'épuisement des voies de recours internes, elle ne peut connaître du fond de l'affaire.
Fait en français et en anglais puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 15 novembre 1996.
Rolv RYSSDAL  
Président
Herbert PETZOLD  
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 de la Convention (art. 51-2) et 53 par. 2 du règlement A, l'exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion concordante de M. Valticos;
- opinion en partie dissidente de M. Martens, à laquelle  M. Foighel déclare se rallier;
- opinion en partie dissidente de M. Morenilla.
R. R.
H. P.  
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE VALTICOS
Il me semble utile d'exprimer une mise en garde concernant la portée du principe de l'épuisement des voies de recours internes qui, aux termes de l'article 26 de la Convention (art. 26), doit être conçu "tel qu'il est entendu selon les principes du droit international généralement reconnus". Il en ressort que cette condition ne saurait être minimisée ainsi qu'il est parfois envisagé.
Evidemment on a souvent relevé que la jurisprudence de la Cour a beaucoup évolué depuis l'entrée en vigueur de la Convention.
C'est qu'en effet dans la période, déjà longue, qui a suivi l'entrée en vigueur de la Cour, les conceptions et les besoins ont évolué, changé même parfois profondément, dans les pays européens et la Cour se devait de refléter, dans la mesure du possible, cette évolution des esprits et des moeurs. Cela était d'autant plus indiqué - et possible - que les dispositions de fond de la Cour sont souvent - mais pas toujours - rédigées dans une formulation générale qui autorise une telle évolution, parfois même radicale. Nous en connaissons plusieurs exemples et insister sur ce point serait enfoncer une porte ouverte.
Seulement il y a une importante distinction à faire. Autant cette évolution est normale - avec les précautions nécessaires - dans le cas des dispositions de fond de la Convention, autant elle ne peut être qu'exceptionnelle et limitée quant aux dispositions de procédure telles que celle, fondamentale en droit international, de l'épuisement des voies de recours internes. Déjà, la Cour a assoupli cette règle en n'exigeant pas que ce soit la disposition même de la Convention, mais seulement sa substance, qui ait été invoquée devant le juge interne avant que la Cour ne soit valablement saisie. Vouloir supprimer ou réduire à l'extrême une telle condition, en vue d'une plus complète protection des droits de l'homme s'inspirerait certes d'un souci de justice fort louable mais d'une conception bien cavalière des règles du droit international.
Je tiens donc à souligner les limites qu'il serait dangereux de dépasser à cet égard. Le présent arrêt de la Cour respecte les limites à ne pas dépasser. 
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS, A LAQUELLE M. LE JUGE FOIGHEL DECLARE SE RALLIER  
(Traduction)
I.   INTRODUCTION
1.   L'un des arguments essentiels militant contre la doctrine de la Cour selon laquelle celle-ci a compétence pour se livrer à un réexamen des exceptions déjà rejetées par la Commission réside dans les effets plutôt fâcheux de cette doctrine: elle permet qu'après de longues années de procédure à Strasbourg des questions importantes demeurent sans réponse4.
La présente espèce illustre bien cet aspect. Elle concerne l'étendue des droits des minorités ethniques dans une société démocratique ainsi que les confins du droit à la liberté d'expression des hommes politiques en campagne. Aussi les questions en litige revêtaient-elles une importance juridique considérable pour la communauté du Conseil de l'Europe dans son ensemble. Il s'agissait de surcroît de questions très sensibles pour le requérant et les autres membres de la minorité concernée. La procédure menée à Strasbourg au sujet de ces questions débuta en juillet 1991. Depuis lors, le requérant lui-même est décédé et voilà à présent que, plus de cinq ans après le début de la procédure (et presque deux ans après l'adoption par la Commission d'un rapport favorable aux intéressés), la Cour européenne des Droits de l'Homme déclare sèchement à sa veuve et à ses enfants qu'elle ne peut se prononcer sur les questions en cause, et ce pour nulle autre raison que l'incompétence de l'avocat chargé de défendre le requérant dans la procédure interne.
2.   J'ai voté pour le rejet de l'exception préliminaire du Gouvernement.
Mon premier argument pour expliquer ce vote est que je soutiens, en principe, que la Cour devrait laisser à la Commission le soin de statuer sur le bien-fondé de telles exceptions. A titre subsidiaire, mon vote se justifie par les raisons énoncées aux paragraphes 4 à 14 ci-dessous.
3.   S'il s'était trouvé une majorité pour rejeter l'exception préliminaire, j'aurais voté pour le constat d'une violation. J'estime que l'affaire revêt une telle importance que, aux paragraphes 16 à 23 ci-dessous, j'exposerai aussi, brièvement, ma position à cet égard.
II.   EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES  
A. Considérations générales
4.   Aux paragraphes 65 à 69 de son arrêt du 16 septembre 1996 dans l'affaire Akdivar et autres c. Turquie (Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, pp. 1210-1211), la Cour a résumé sa doctrine générale relative à la règle de l'épuisement des voies de recours internes consacrée à l'article 26 de la Convention (art. 26). Elle ne l'a pas seulement résumée, elle l'a également affinée. Affinée en ce sens que - rejoignant les tendances internationales dans ce domaine5 - elle a souligné de manière plus explicite que dans ses arrêts antérieurs l'importance de "tenir dûment compte du contexte" dans lequel la règle s'applique: "le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme". Ainsi, le paragraphe 68 in fine de l'arrêt Akdivar et autres montre que la Cour a maintenant essentiellement opté pour ce que mon ami le juge Morenilla a fort pertinemment appelé "une interprétation souple pro victima de cet article (art. 26)"6.
5.   On peut se demander en effet si, eu égard aux conditions actuelles, la règle cadre toujours parfaitement avec le système de protection des droits de l'homme tel qu'il s'est développé au cours des dernières décennies. Après tout, la règle remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle, alors que l'individu n'était pas encore reconnu comme sujet de droit international, et sa fonction classique à l'époque était de protéger la souveraineté des Etats contre des atteintes excessives résultant de réclamations interétatiques faites au nom de particuliers se plaignant de violations de leurs droits7.
Il eût été conforme aux changements essentiels intervenus depuis lors dans le statut juridique de l'individu en droit international, spécialement là où ce droit autorise une personne se prétendant victime d'une violation de ses droits fondamentaux à réclamer réparation pour son propre compte, d'abandonner la règle en pareils cas. Or, cela n'a pas été fait.
Il me paraît dès lors que la règle est, pour l'essentiel, un vestige de la réticence initiale de certains Etats à instituer une juridiction internationale chargée de garantir le respect des engagements souscrits par eux au titre de la Convention. A cet égard, je me réfère à l'analyse présentée par la Cour dans son arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique8. A cet égard aussi, toutefois, les conditions actuelles ont changé: depuis longtemps, les Etats membres acceptent la juridiction obligatoire de la Cour et, qui plus est, con amore, même s'il leur arrive parfois, quoi de plus naturel, de ne pas apprécier ses décisions. Cette évolution salutaire a grandement favorisé la protection des droits de l'homme en Europe.
Eu égard à ce contexte, j'estime que l'on peut douter que la règle de l'épuisement des voies de recours internes cadre toujours parfaitement avec le système car elle fait obstacle au pouvoir, pour la Cour, de rendre la justice dans les affaires de violation des droits de l'homme où la victime n'a pas bénéficié d'une bonne assistance juridique au niveau interne.
6.   Certes, la Cour a cherché à minimiser cet effet déplorable de la règle en admettant que ses exigences sont satisfaites lorsque le grief soulevé devant les organes de la Convention a été soumis "au moins en substance" aux juridictions nationales.
Cela n'est, toutefois, qu'un pauvre palliatif. Tout d'abord, parce que les termes "en substance" sont tellement vagues qu'ils laissent une large place aux divergences d'opinion, comme l'illustrent l'affaire Cardot aussi bien que la présente espèce. Ensuite, parce que cette doctrine n'est d'aucun secours dans les affaires où même l'interprétation la plus indulgente des griefs formulés devant les juridictions internes ne permet pas de conclure que le requérant a soumis "au moins en substance" à celles-ci les doléances qu'il énonce devant les organes de la Convention. Or, la Cour refuse catégoriquement d'aller plus loin. Elle a ainsi refusé d'accepter que les exigences de la règle doivent être réputées satisfaites a) si le requérant a saisi les juridictions internes appropriées de prétentions et s'il a exercé des recours conçus pour attaquer des décisions déjà rendues, et b) si ces juridictions avaient la possibilité, voire l'obligation, d'examiner l'affaire d'office au regard de la Convention9.
7.   Dans les arrêts antérieurs de la Cour, les arguments à l'appui de ce refus catégorique brillent par leur absence et, même dans la présente espèce, la majorité, en dépit de l'opposition à laquelle elle a dû faire face, n'a trouvé rien de mieux que de réitérer simplement la pure pétition de principe figurant au paragraphe 39 de l'arrêt Van Oosterwijck précité, qui date de presque vingt ans10.
Pour ma part, je n'ai jamais été capable d'imaginer des motifs valables justifiant cette doctrine Van Oosterwijck11. Je l'ai déjà dit dans mon opinion dissidente dans l'affaire Cardot: si, en droit interne, les juridictions sont tenues d'appliquer la Convention d'office, le requérant, en portant sa cause devant les tribunaux appropriés et en usant de tous les recours possibles, fournit en principe à ces juridictions l'occasion que la règle relative aux recours internes est censée offrir: celle "[d']éviter ou redresser les violations alléguées"12.
8.   Dans ces conditions, il n'est guère surprenant que des auteurs aient maintes et maintes fois affirmé que les véritables motifs sous-jacents aux décisions telles celles rendues dans les affaires Van Oosterwijck et Cardot se trouvent ailleurs, à savoir dans la volonté de la Cour d'éviter de trancher une affaire au fond13. On peut s'attendre à des commentaires analogues en l'occurrence. Je trouve cela assez regrettable et j'estime qu'il s'agit là d'un argument supplémentaire militant contre l'attitude rigide adoptée par la Cour à propos de ces questions.
9.   Pour ma part, je considère que si, en droit interne, les juridictions ont l'obligation ou la faculté d'appliquer la Convention d'office, le requérant, en portant sa cause devant les juridictions appropriées et en usant de tous les recours possibles, a satisfait aux exigences de l'article 26 (art. 26). J'estime que cela cadre avec la ratio legis de la règle d'épuisement des voies de recours internes et, par ailleurs, j'aperçois plusieurs autres bonnes raisons militant pour l'acceptation de cette thèse tandis que le seul argument qui, d'après moi, milite contre elle (paragraphe 13 ci-dessous) peut être écarté autrement qu'en suivant la doctrine en question.
10.   Les motifs propres à étayer la première proposition - qui concerne les cas où, en droit interne, les juridictions nationales sont tenues d'appliquer la Convention d'office - ont déjà été énoncés au paragraphe 7 ci-dessus.
11.   Quant à la deuxième proposition - qui concerne les cas où, en droit interne, les juridictions nationales ont la faculté (mais non l'obligation) d'appliquer la Convention d'office - je souscris à l'avis de M. Ganshof van der Meersch14 qui, en 1966 déjà, affirmait que le système de la Convention implique que lesdites juridictions ont alors l'obligation d'appliquer la Convention d'office.
Je rappelle, d'abord, que la Cour a toujours souligné - et elle le fait une fois de plus au paragraphe 30 du présent arrêt - le caractère subsidiaire du mécanisme établi par la Convention: il incombe en premier lieu aux Etats contractants d'assurer la jouissance des droits et libertés qu'elle consacre. En vertu du principe fondamental de la prééminence du droit que l'article 6 de la Convention (art. 6) entend consacrer, il est évident que les juridictions internes15 de ces Etats sont - dans la limite de leurs compétences - tenues de veiller à ce que cette obligation de sauvegarde des droits de l'homme soit honorée. Cette idée trouve confirmation dans le fait que la Cour ne cesse d'attirer l'attention sur l'importance d'incorporer la Convention dans l'ordre juridique interne et de regarder ses règles comme directement applicables: ainsi qu'elle l'a dit au paragraphe 66 de son arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982 (série A n° 51, p. 31), dans les Etats où ces conditions sont remplies, le caractère subsidiaire du mécanisme conventionnel de protection "acquiert encore plus de relief", sans aucun doute parce que, dans ces Etats, les juridictions internes sont on ne peut mieux placées pour veiller à la protection des droits fondamentaux.
Je rappelle ensuite que la Cour a récemment souligné, au paragraphe 93 de son arrêt du 23 mars 1995 sur les exceptions préliminaires soulevées dans l'affaire Loizidou c. Turquie (série A n° 310, p. 31), "la nature particulière de la Convention, instrument de l'ordre public européen"16.
Il en résulte que dans le cadre de la Convention s'appliquent les règles qui ont été acceptées par la Cour de justice des Communautés européennes dans le cadre du droit communautaire17: dans les cas où les juridictions internes sont, en vertu de leur droit national, en mesure d'appliquer la Convention d'office, elles doivent le faire en vertu de la Convention. C'est là une condition évidente de l'effectivité tant de la Convention comme instrument constitutionnel de l'ordre public européen que des "systèmes nationaux de protection des droits de l'homme".
12.   Je ne dis pas que là où les juridictions nationales ont manqué à leurs obligations à cet égard, un grief formulé sur le terrain de l'article 25 (art. 25) doit conduire à un constat de violation. Ce que je dis, en revanche, c'est que dans une affaire où un requérant a porté sa cause devant les tribunaux internes appropriés et qu'en droit interne ceux-ci étaient - que ce fût en vertu de leur droit interne ou, comme on l'a indiqué au paragraphe 11 ci-dessus, en vertu de la Convention -tenus d'appliquer la Convention même là où le requérant aurait omis de l'invoquer, l'Etat défendeur ne devrait pas être autorisé, dans le cadre de la procédure devant les organes de Strasbourg, à se prévaloir de la règle de non-épuisement des voies de recours internes. Certes, en pareils cas l'avocat du requérant a commis une faute, mais l'observation vaut également pour les juridictions internes, et une véritable interprétation pro victima de l'article 26 (art. 26) voudrait que l'on fît prévaloir la faute de ces dernières: je ne vois pas pourquoi le principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans ne s'appliquerait pas aux Etats.
13.   Je l'ai dit ci-dessus, je n'aperçois qu'un argument pouvant être invoqué contre cette interprétation libérale, pro victima, de la règle de non-épuisement dans le contexte de la protection des droits de l'homme. Cette interprétation pourrait permettre à un requérant de soulever devant les organes de la Convention un grief qu'il aurait délibérément omis d'énoncer devant les juridictions internes de l'Etat défendeur à seule fin de pouvoir démontrer à Strasbourg combien déficiente est la protection des droits de l'homme dans cet Etat.
L'on ne peut évidemment exclure cette possibilité, spécialement dans les domaines politiquement sensibles. Toutefois, l'on peut sans risque supposer que, en général, la non-invocation de la Convention ne relèvera pas du dolus malus mais d'une simple ignorance de la part du requérant et de l'incompétence coupable des avocats l'ayant représenté au niveau interne. De surcroît, la bonne foi doit également se présumer dans le chef des requérants. Aussi la charge d'alléguer et d'établir que le requérant s'est délibérément abstenu d'invoquer la Convention doit-elle peser sur l'Etat qui excipe de la règle dans une affaire où a) le requérant a porté sa cause devant les juridictions internes appropriées, b) il ne s'est pas prévalu, même en substance, devant ces juridictions, de la Convention, et c) celles-ci n'en étaient pas moins tenues d'appliquer la Convention. L'exception de non-épuisement devrait être écartée dans les cas où l'Etat ne s'est pas acquitté de cette obligation.
14.   Il reste une remarque à faire au sujet de la charge de la preuve dans ce contexte. D'après moi, sa répartition se fait de la manière suivante: il incombe au requérant de persuader la Cour qu'en principe les juridictions internes étaient en mesure d'appliquer la Convention d'office, tandis que - une fois cette preuve rapportée - il incombe au Gouvernement qui persiste dans son exception d'établir que, en raison de circonstances particulières propres au cas d'espèce, les juridictions internes n'étaient pas en mesure de fonder leur jugement sur pareille application d'office de la Convention.  
B. Application au cas d'espèce
15.   Appliquant à l'affaire Ahmet Sadik les considérations générales figurant ci-dessus, je relève en premier lieu que la Convention forme partie intégrante du système juridique grec, où elle prime toute disposition contraire de la loi18, et que, de surcroît, l'article 10 (art. 10) est directement applicable en droit grec. En conséquence, je pars de l'idée que lorsqu'elle se pencha sur le pourvoi formé par le requérant contre sa condamnation par la cour d'appel de Patras, la Cour de cassation grecque aurait pu et dû, en principe, appliquer d'office l'article 10 (art. 10) tel qu'interprété dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (paragraphe 11 ci-dessus).
Je note ensuite que, même à supposer que la Cour de cassation grecque n'ait pas compétence, en matière pénale, pour casser d'office, cela n'implique pas nécessairement qu'elle ne puisse compléter d'office les arguments juridiques avancés à l'appui de ses griefs par le demandeur au pourvoi. A cet égard, je rappelle que les critiques formulées par le requérant étaient très larges: il soutenait, notamment, que la thèse de l'accusation aurait dû être rejetée et que la cour d'appel de Patras n'avait pas suffisamment motivé sa décision19. Il résulte de ce qui précède que, pour apprécier si ces doléances justifiaient la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel, la Cour de cassation n'aurait pas dû se limiter à un simple examen des arguments - essentiellement basés sur le droit et la pratique internes - avancés par l'avocat du requérant au soutien de ses griefs, mais aurait dû rechercher de surcroît si ceux-ci étaient de nature à justifier une cassation si on les fondait sur l'argument selon lequel, eu égard aux droits garantis au requérant par l'article 10 de la Convention (art. 10), la thèse de l'accusation aurait dû être rejetée, ou la cour d'appel de Patras aurait dû mieux motiver sa décision. Ainsi complétés, lesdits arguments auraient aussi, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, impliqué pour la Cour de cassation l'obligation de rechercher d'office si la condamnation du requérant et la peine à lui infligée étaient proportionnées. Elle aurait dû examiner au regard de l'article 10 (art. 10) les décisions rendues par les juridictions inférieures, c'est-à-dire qu'elle aurait dû vérifier d'un oeil critique si leurs constatations de fait et leur motivation étaient suffisamment solides pour justifier de manière convaincante l'atteinte portée à la liberté d'expression du requérant.
Je suis conscient du fait que la compétence de la Cour de cassation grecque se limite aux questions de droit mais je ne suis pas convaincu que - comme le Gouvernement l'a affirmé - l'exercice de contrôle et de mise en balance requis excède les pouvoirs d'une juridiction suprême n'ayant compétence que pour statuer sur les questions de droit. Etant moi-même membre d'une telle juridiction depuis deux décennies, je puis dire avec assurance que tant ce contrôle que cet exercice de mise en balance constituent pour l'essentiel une appréciation strictement juridique des faits établis par les juridictions internes. En conséquence, le Gouvernement est resté en défaut de prouver que la Cour de cassation grecque ne pouvait pas faire ce qu'elle aurait dû faire (paragraphe 14 ci-dessus in fine).
En somme, le pourvoi formé par le requérant a donné à la Cour de cassation l'occasion, requise au titre de l'article 26 de la Convention (art. 26), de redresser une possible violation de l'article 10 (art. 10). L'exception soulevée par le gouvernement grec ne pouvait donc être accueillie.
III.  AU FOND
16.   Il est manifeste que la condamnation du requérant et la peine à lui infligée constituaient une atteinte aux droits que lui garantissait l'article 10 par. 1 de la Convention (art. 10-1) et que cette ingérence était justifiée au regard du paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2) dans la mesure où elle satisfaisait à l'exigence consacrée par les termes "prévues par la loi" ainsi qu'à celle de servir un but légitime au sens de ce paragraphe (art. 10-2). En conséquence, la seule question qu'il convient de trancher est celle de savoir si la condamnation du requérant et la peine à lui infligée étaient proportionnées, autrement dit si elles étaient "nécessaires dans une société démocratique".
17.   Il ne fait aucun doute que le recours à des propos "visant à inciter à commettre, ou à provoquer, des actes illégaux imminents" et "de nature à inciter à commettre, ou à provoquer, pareils actes" peut être interdit. Les juridictions grecques ont estimé que le requérant avait délibérément recouru à de tels propos dans un pamphlet d'octobre 1989 et l'ont, en conséquence, condamné20. Il importe de noter que cette condamnation se fondait exclusivement sur le fait que le requérant ne cessait de qualifier de "turque" la minorité musulmane de Thrace occidentale: le restant du contenu du pamphlet ne fut pas pris en considération. Dès lors, la seule question qui se pose est de savoir si, eu égard aux circonstances de l'espèce, le simple fait de systématiquement qualifier de "turque" la minorité musulmane justifiait la condamnation du requérant et la peine à lui infligée.
18.   Le fait que la terminologie incriminée ait été utilisée dans le contexte d'un débat politique par un homme politique faisant campagne pour son élection est un trait important de la présente espèce. Particulièrement significative est la circonstance que cette terminologie a été utilisée par un homme politique, membre d'une minorité spécifique, qui cherchait à gagner des voix en soulignant son leadership sur cette minorité et en proclamant sa conviction que celle-ci devait être caractérisée non seulement par sa religion mais également par son origine ethnique, c'est-à-dire par sa nature turque.
19.   Lorsque des dispositions pénales visant à prévenir la perturbation de l'ordre public sont invoquées à l'encontre d'un homme politique qui n'est pas seulement un opposant au Gouvernement et un détracteur de celui-ci, mais également un membre d'une minorité, la Cour européenne des Droits de l'Homme doit user de ses critères de contrôle les plus sévères pour vérifier si ces dispositions ne sont pas appliquées de manière abusive, comme elles peuvent facilement l'être et le sont souvent en pratique.
Il y a d'autant plus de raisons de faire preuve d'une extrême vigilance que la critique concernait le dédain du Gouvernement à l'égard de la minorité en question et, plus spécialement, sa politique consistant à nier la nature non seulement religieuse mais aussi ethnique de celle-ci.
En pareil cas, il n'y a pas place pour un renvoi aux décisions des juridictions internes ni pour une quelconque marge d'appréciation.
20.   Dans ces conditions, la question déterminante consiste à savoir si le Gouvernement a établi de manière convaincante, premièrement, que le simple fait que le leader d'une minorité ait systématiquement, dans un pamphlet politique à l'évidence destiné à ses seuls membres, qualifié de "turque" cette minorité, était effectivement provocateur de discorde entre la majorité et la minorité et d'actes de violence entre les deux groupes, et, deuxièmement, que cet usage du qualificatif litigieux était imputable à une intention séditieuse.
21.   On ne m'a pas convaincu que cette question pouvait recevoir une réponse affirmative.
L'image qui se dégage tant de certaines des déclarations des témoins de l'accusation que des observations figurant dans le mémoire du Gouvernement - qui, soit dit en passant, vont beaucoup plus loin que lesdites déclarations - est celle d'une tension de longue date entre la majorité et la minorité, pour laquelle les deux parties, mais certainement aussi les autorités grecques, assument une part de responsabilité. Le Gouvernement n'a même pas rendu plausible ni, a fortiori, établi de manière convaincante que cette tension résultât exclusivement ou principalement du simple usage du qualificatif litigieux. Sa thèse selon laquelle l'usage litigieux du qualificatif "turque" s'inscrirait dans une politique à long terme de sécession s'appuie sur des preuves pratiquement inexistantes. Il n'y a pas davantage l'ombre d'une preuve susceptible d'étayer l'assertion selon laquelle il existe un lien de causalité directe, ou même indirecte, entre la terminologie incriminée du pamphlet d'octobre 1989 et la violence et les troubles du 29 janvier 1990. Si ces incidents doivent être imputés à une réaction de la minorité à des événements antérieurs21, il serait plus plausible de les lier aux efforts, mesquins et malavisés, déployés par les autorités pour supprimer l'auto-qualification de "turque".
22.   En somme, on ne m'a pas convaincu que la condamnation du requérant et la peine à lui infligée constituaient une réponse justifiée à un usage réellement répréhensible de propos séditieux. En conséquence, je ne suis pas persuadé non plus que lesdites condamnation et peine fussent nécessaires dans une société démocratique.
23.   Pour ces raisons, j'estime qu'il y a eu violation.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
A regret, je me sépare de la majorité quant à sa conclusion selon laquelle la Cour ne peut connaître du fond des griefs du requérant faute d'épuisement des voies de recours internes. Je me réfère encore à mon opinion dissidente jointe à l'arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991 (série A n° 200, p. 23), que la majorité cite au paragraphe 30 in fine, dans laquelle j'exprimais mes raisons contre un nouvel examen par la Cour d'une exception d'irrecevabilité qui avait déjà été soulevée devant la Commission et écartée par elle dans sa décision de recevabilité en conformité avec l'article 27 par. 3 de la Convention (art. 27-3) (paragraphe 29 de l'arrêt).
J'estime aussi dans la présente affaire que M. Ahmed Sadik avait soulevé en substance devant les juridictions pénales grecques son droit à la liberté d'expression du fait même de la nature des crimes de trouble de la paix publique dont il avait été accusé, puis condamné à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois, notamment pour la violation de l'article 192 du code pénal, par les communiqués qu'il avait fait publier pendant la période électorale en tant que candidat du parti politique Güven représentant une partie de la population musulmane de la Thrace occidentale.
Dans ces accusations et dans ces condamnations, la question de la liberté d'expression des candidats aux élections au Parlement grec, même si elle n'avait pas été expressément soulevée, constituait la substance des infractions pénales incriminées et des recours utilisés devant les juridictions pénales grecques qui étaient de nature à porter remède aux griefs de l'intéressé. L'article 27 de la Convention (art. 27) demande une interprétation souple et sans formalisme excessif (arrêt Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A n° 39, p. 26, par. 72), "pro victima" en faveur de la recevabilité de la requête qui permette l'examen par les organes de la Convention des griefs allégués.
1 L'affaire porte le n° 46/1995/552/638. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2 Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3 Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-V), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
4 Voir le paragraphe 4.2 de mon opinion dissidente dans l'affaire Brozicek c. Italie (arrêt du 19 décembre 1989, série A n° 167, pp. 23 et suiv.). Mon opposition à cette doctrine - qui petit à petit fait des adeptes au sein de la Cour - a été balayée dans l'arrêt rendu par la Cour le 25 mars 1992 dans l'affaire B. c. France (série A n° 232-C). La présente espèce confirme une nouvelle fois ma conviction que la doctrine en cause est fondamentalement erronée.
5 Voir Jost Delbrück in: Jekewitz et autres, Des Menschen Recht zwischen Freiheit und Verantwortung (Mélanges Josef Partsch), pp. 225 et suiv.
6 Voir son opinion dissidente dans l'affaire Cardot c. France (arrêt du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 24).
7 Voir la contribution de Delbrück citée à la note n° 2; voir également: Gurdip Singh in E.S. Venkataramiah (éditeur), Human Rights in the Changing World (1988), p. 261.
8 Voir le paragraphe 50 de son arrêt du 18 juin 1971 (série A n° 12, p. 29), où elle déclara que "la règle de l'épuisement des voies de recours internes délimite le domaine dans lequel les Etats contractants ont consenti à répondre des manquements qui leur sont reprochés devant les organes de la Convention" et où elle ajouta que "la Cour doit assurer l'observation des dispositions y relatives aussi bien que le respect des droits et libertés individuels garantis par la Convention et les Protocoles", suggérant ainsi que ce moyen de défense était aussi important pour les Etats que les droits fondamentaux pour les citoyens. J'ai déjà formulé, au paragraphe 3.4 de mon opinion dissidente mentionnée à la note n° 1, des observations critiques au sujet de ce passage.
9 Voir l'arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, par. 34, combiné avec l'arrêt Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, série A n° 40, p. 19, par. 39. La Commission partage cet avis: voir sa jurisprudence résumée par Amerasinghe, in Local Remedies in International Law (Grotius Publications Limited, Cambridge, 1990), p. 178. Toutefois, lorsque la juridiction nationale a effectivement examiné l'affaire d'office, la Commission estime que les exigences de la règle sont remplies (voir sa décision du 10 mai 1979, requête n° 8130/78, Décisions et rapports 16, p. 120).
10 Voir le paragraphe 33 de l'arrêt de la Cour.
11 Je n'ai pas davantage trouvé pareils motifs dans les rares observations de la doctrine. J.-F. Flauss, qui, dans RUDH 1991, pp. 529 et suiv., a rédigé un article intitulé "La condition de l'épuisement des griefs au sens de l'article 26 CEDH: les enseignements de l'arrêt Cardot" (art. 26), se contente d'affirmer que l'interprétation de la règle ne doit pas être trop favorable aux individus, mais, omet en définitive, d'expliquer pourquoi une interprétation qui empêche qu'une possible victime d'une violation de droits fondamentaux se heurte à un déni de justice dont l'unique cause résiderait dans l'incompétence de l'avocat ayant agi pour elle au niveau interne est trop favorable à l'individu. Je dirais plutôt que semblable interprétation est trop favorable à l'Etat! Florence Benoit-Rohmer, dans une note (Dalloz 1993, Jur. 563) sous l'arrêt De Geouffre de la Pradelle c. France rendu par la Cour le 16 décembre 1992 (série A n° 253-B), affirme simplement qu'une autre interprétation que celle retenue par la Cour "aboutirait à vider de sa signification cette condition essentielle de recevabilité".
12 Série A n° 200, p. 22, par. 2.
13 Voir, par exemple, J.-F. Flauss dans son article mentionné à la note n° 8, RUDH 1991, pp. 535 et suiv.
14 Voir W.J. Ganshof van der Meersch, Organisations européennes I (éditions Sirey, Paris, 1966), pp. 374/375.
15 Voir, au lieu de toutes les références possibles: l'arrêt Klass et autres c. Allemagne rendu par la Cour le 6 septembre 1978, série A n° 28, pp. 25-26, par. 55.
16 Voir également le paragraphe 75 de l'arrêt en question, où la Cour a même qualifié la Convention d'"instrument constitutionnel de l'ordre public européen".
17 Voir l'arrêt rendu le 14 décembre 1995 par la CJCE dans les affaires: C-430/93 et C-431/93, Recueil 1995-I, pp. 4705 et suiv
18 Voir le paragraphe 31 de l'arrêt de la Cour. Voir également Alkema, Bellekom, Drzemczewski et Schokkenbroek (éditeurs), The Domestic Implementation of the European Convention on Human Rights in Eastern and Western Europe, actes du colloque tenu à Leiden les 24-26 octobre 1991, pp. 26 et suiv.
19 Voir le paragraphe 17 de l'arrêt de la Cour.
20 Voir les paragraphes 11 et 15 de l'arrêt de la Cour. La cour d'appel de Patras déclara notamment que "les accusés (...) visaient délibérément à instiller et à implanter dans les coeurs de ces citoyens le germe de la discorde, de la haine et de l'hostilité envers les chrétiens grecs qui vivent dans la même région".
21 Dans son rapport mentionné au paragraphe 4 de l'arrêt de la Cour, Helsinki Watch affirme que les incidents étaient plutôt l'oeuvre de la majorité!
ARRÊT AHMET SADIK c. GRÈCE
ARRÊT AHMET SADIK c. GRÈCE
ARRÊT AHMET SADIK c. GRÈCE
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE VALTICOS
ARRÊT AHMET SADIK c. GRÈCE
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS, A LAQUELLE M. LE JUGE FOIGHEL DECLARE SE RALLIER
ARRÊT AHMET SADIK c. GRÈCE
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS, A LAQUELLE M. LE JUGE FOIGHEL DECLARE SE RALLIER
ARRÊT AHMET SADIK c. GRÈCE
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 18877/91
Date de la décision : 15/11/1996
Type d'affaire : Arrêt (Exception préliminaire)
Type de recours : Exception préliminaire retenue (non-épuisement des voies de recours internes)

Analyses

(Art. 34) LOCUS STANDI


Parties
Demandeurs : AHMET SADIK
Défendeurs : GRÈCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1996-11-15;18877.91 ?

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