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21/02/1997 | CEDH | N°20060/92

CEDH | AFFAIRE VAN RAALTE c. PAYS-BAS


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE VAN RAALTE c. PAYS-BAS
(Requête no 20060/92)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 1997 
En l’affaire Van Raalte c. Pays-Bas1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement B2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
C. Russo,
N. Valticos,
Mme E. Palm,
MM.

I. Foighel,
A.B. Baka,
J. Makarczyk,
K. Jungwiert,
P. van Dijk,
ainsi que de MM. H. Petzold, ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE VAN RAALTE c. PAYS-BAS
(Requête no 20060/92)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 1997 
En l’affaire Van Raalte c. Pays-Bas1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement B2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
C. Russo,
N. Valticos,
Mme E. Palm,
MM. I. Foighel,
A.B. Baka,
J. Makarczyk,
K. Jungwiert,
P. van Dijk,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 septembre 1996 et 28 janvier 1997,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCÉDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 11 décembre 1995, puis par le gouvernement du Royaume des Pays-Bas ("le Gouvernement") le 15 février 1996, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (no 20060/92) dirigée contre les Pays-Bas et dont un ressortissant de cet Etat, M. Anton Gerard van Raalte, avait saisi la Commission le 23 avril 1992 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration néerlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l’article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1).
2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 35 par. 3 d) du règlement B, le requérant a manifesté le désir de participer à la procédure et a désigné son conseil (article 31). Initialement désigné par les lettres A.G.V.R., le requérant a consenti ultérieurement à la divulgation de son identité.
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. S.K. Martens, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement B). Le 8 février 1996, celui-ci a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir M. C. Russo, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. I. Foighel, M. A.B. Baka, M. J. Makarczyk et M. K. Jungwiert (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement B) (art. 43). Par la suite, M. P. van Dijk, qui avait été élu juge au titre des Pays-Bas le 25 juin 1996, a remplacé M. Martens, démissionnaire.
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement B), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, l’avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 39 par. 1 et 40). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 16 juillet 1996 et celui du Gouvernement le 17.
5.   Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 23 septembre 1996, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. H. von Hebel, conseiller juridique adjoint, ministère
des Affaires étrangères, agent,
Mme M.J.F.M. Vijghen, ministère de la Justice, conseiller;
- pour la Commission
M. H.G. Schermers, délégué;
- pour le requérant
Me M.W.C. Feteris, professeur d’université, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Schermers, Me Feteris et M. von Hebel.
EN FAIT
I.   Les circonstances de l’espèce
6.   Citoyen néerlandais né en 1924, M. van Raalte réside à Amstelveen. Il n’a jamais été marié et n’a pas d’enfants.
7.   Le 30 septembre 1987, l’inspecteur des impôts directs lui envoya, pour l’année 1985, un avis relatif aux cotisations dues par lui au titre de divers régimes de sécurité sociale, dont celui instauré par la loi générale sur les allocations familiales (Algemene kinderbijslagwet - paragraphe 21 ci-dessous).
8.  Le requérant déposa une réclamation (bezwaarschrift - paragraphe 27 ci-dessous) contre cet avis le 21 octobre 1987. Il s’appuyait sur l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales et sur le décret royal du 27 février 1980 (Staatsblad (Journal officiel) no 89, ("le décret royal") - paragraphe 23 ci-dessous), en vertu desquels les femmes célibataires, sans enfants, de quarante-cinq ans et plus étaient exonérées de l’obligation de verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales; d’après lui, l’interdiction de la discrimination consacrée par l’article 1 de la Constitution néerlandaise (paragraphe 18 ci-dessous) et par l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (paragraphe 20 ci-dessous) impliquait que l’exemption litigieuse fût étendue aux hommes se trouvant dans la même situation.
9.   M. van Raalte reçut ultérieurement, pour les années 1986, 1987 et 1988, des avis analogues, contre lesquels il déposa également des réclamations. L’inspecteur réserva sa décision sur celles-ci en attendant l’issue de la procédure relative à l’avis pour l’année 1985.
10.   Le 25 novembre 1987, l’inspecteur rendit une décision déclarant la première réclamation dépourvue de fondement au motif qu’"en vertu de la législation nationale, il n’est pas possible d’appliquer l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales, dès lors que la personne redevable des cotisations n’est pas du sexe féminin".
11.   Le requérant attaqua la décision devant la cour d’appel d’Amsterdam (paragraphe 27 ci-dessous) le 29 décembre 1987. S’appuyant sur l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) à celle-ci, ainsi que sur l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il fit valoir que les dispositions du décret royal devaient recevoir une interprétation "sexuellement neutre". Tant l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales que le décret royal étaient, d’après lui, discriminatoires.
Après le dépôt par l’inspecteur d’un mémoire en défense, le requérant soumit une réplique, qui fut suivie d’une duplique de l’inspecteur.
12.   L’exemption du versement des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales dont bénéficiaient les femmes célibataires, sans enfants, âgées de quarante-cinq ans et plus fut abrogée, à compter du 1er janvier 1989, par la loi du 21 décembre 1988 (Staatsblad 1988, no 631).
13.   La cour d’appel d’Amsterdam statua le 6 octobre 1989 par un arrêt rejetant l’appel du requérant et confirmant la décision de l’inspecteur. Ses motifs comportaient le passage suivant:
"5.4. Ni le libellé de la disposition incriminée ni les travaux préparatoires y relatifs n’indiquent que le législateur ait eu l’intention d’opérer une discrimination ou qu’il en ait créé une. En particulier, on ne peut pas dire qu’il cherchait à discriminer entre les hommes célibataires ayant atteint l’âge de quarante-cinq ans avant le début de l’année civile et ne pouvant prétendre à des allocations familiales au titre de la loi générale sur les allocations familiales, et les femmes se trouvant dans une situation comparable.
5.5. Au travers de la disposition inscrite à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales, le législateur entendait simplement tenir dûment compte de la différence effective de situation entre les femmes âgées de plus de quarante-cinq ans et les hommes âgés de plus de quarante-cinq ans, du point de vue de leurs possibilités d’avoir (d’engendrer ou d’élever) des enfants.
5.6. La circonstance, indiquée par [le requérant], qu’il ressort des données statistiques que les hommes d’un certain âge n’engendrent que rarement des enfants ne change rien à ce qui a été dit au paragraphe 5.5 ci-dessus. Le législateur a apprécié différemment la situation de fait du groupe de femmes visé à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales, sous l’angle de la possibilité pour elles d’avoir des enfants et non de ce qui se produit dans la réalité à cet égard.
Les possibilités pour les hommes d’un certain âge de procréer sont fondamentalement différentes de celles des femmes du même âge, en ce sens que cette différence est considérable indépendamment desdites données statistiques.
5.7. En conséquence, la différence de traitement incriminée par [le requérant] n’est pas fondée sur une différence sexuelle mais sur une différence dans les situations de fait.
La circonstance que cette différence coïncide (partiellement) avec la différence entre les sexes ne change rien à cette conclusion. La disposition litigieuse ne méconnaît donc pas l’interdiction de la discrimination.
5.8. On ne saurait exclure en principe que l’équité et l’acceptabilité de la loi générale sur les allocations familiales gagnent à ce que soient prises en compte ces différences dans les situations de fait.
Dès lors qu’il n’appartient pas à la cour d’appel de se prononcer sur la valeur intrinsèque d’une loi, elle ne peut examiner si les différences dans les situations de fait justifient entièrement l’exemption litigieuse.
5.9.  Même s’il était exact, contrairement à ce qui a été exposé ci-dessus, que la disposition en cause méconnaît l’interdiction de discrimination, cela ne serait d’aucun secours pour [le requérant].
Il ne serait pas loisible à la cour d’appel d’étendre l’exemption incriminée à un ou plusieurs groupes d’individus que le législateur a précisément entendu ne pas en faire profiter.
Si l’argument fondé sur l’interdiction de discrimination devait être accepté en principe, cela aboutirait seulement à  constater que la disposition en cause n’a pas force obligatoire.
Cela ne serait pas dans l’intérêt [du requérant]."
14.   M. van Raalte saisit la Cour de cassation (Hoge Raad) d’un pourvoi (beroep in cassatie - paragraphe 27 ci-dessous) le 7 décembre 1989. Pour ce qui intéresse la présente espèce, il attaqua le raisonnement précité de la cour d’appel en invoquant l’article 14 de la Convention (art. 14) et l’article 26 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques.
L’inspecteur répondit par écrit.
15.   La Cour de cassation repoussa le pourvoi le 11 décembre 1991. Ses motifs comportaient le passage suivant:
"3.4. D’après le troisième moyen [middel], le principe énoncé à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales viole l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 14 de la Convention (art. 14). Dans la mesure où le moyen invoque cette dernière disposition (art. 14), il ne saurait être accueilli, dès lors que la présente espèce ne se rapporte à aucun des droits et libertés énoncés dans la Convention.
3.6. Eu égard notamment aux travaux préparatoires relatifs à la disposition litigieuse, la limitation aux femmes âgées de quarante-cinq ans et plus de l’exemption prévue à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales s’inspirait de l’idée qu’il ne serait pas raisonnable d’exiger de ces femmes le versement de cotisations au titre de ladite loi, dès lors qu’il fallait présumer qu’un grand nombre d’entre elles n’auraient jamais d’enfants et qu’il y avait des facteurs sociaux et - contrairement aux hommes - biologiques les empêchant de mettre des enfants au monde passé l’âge en question.
La Cour de cassation n’a pas à examiner la question de savoir si le fait précité constitue une justification objective et raisonnable pour exempter seulement les femmes âgées de quarante-cinq ans et plus du versement des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales. Dès lors que cette différence de traitement entre femmes et hommes (célibataires), qui, eu égard aux différences biologiques entre les hommes et les femmes, ne peut en tout cas passer pour dépourvue de tout fondement raisonnable, a disparu à compter du 1er janvier 1989 du fait de l’abrogation de l’exemption par la loi du 21 décembre 1988 (Staatsblad 1988, no 631), il n’y a aucun motif pour une juridiction d’intervenir en déclarant l’exemption applicable pour l’année en question aux hommes célibataires de quarante-cinq ans et plus.
16.   Après le prononcé de cet arrêt, l’inspecteur rendit des décisions rejetant les réclamations du requérant relatives aux avis pour les années 1986, 1987 et 1988 (paragraphe 9 ci-dessus).
17.   D’après les chiffres publiés par l’Office néerlandais de la statistique (Centraal Bureau voor de Statistiek), le nombre d’enfants "légitimes" nés vivants aux Pays-Bas de pères âgés de quarante-cinq ans et plus en 1985 était de 2 341, soit environ 1,43 % du nombre total des enfants "légitimes" nés au cours de cette année (163 370).
Le chiffre correspondant pour les mères âgées de quarante-cinq ans et plus était de 177, soit approximativement 1 pour mille.
On ne dispose pas de chiffres pour les enfants nés hors mariage.
II.   Le droit et la pratique internes pertinents
A. La Constitution
18.   Aux termes de l’article 1 de la Constitution de 1983,
"Toutes les personnes se trouvant aux Pays-Bas feront l’objet d’un même traitement dans les mêmes situations. La discrimination sur le fondement de la religion, des convictions philosophiques, des tendances politiques, de la race ou du sexe, ou sur tout autre fondement n’est pas autorisée."
19.   En droit constitutionnel néerlandais, les juridictions ne peuvent se pencher sur la constitutionnalité des lois. L’article 120 énonce:
"Le juge ne se prononce pas sur la constitutionnalité [grondwettigheid] des lois et des traités."
En revanche, la législation déléguée peut faire l’objet d’un examen tendant à déterminer si elle est conforme à la Constitution, et même aux principes généraux non écrits du droit (voir l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1993, Beslissingen in Belastingzaken (Recueil des décisions en matière fiscale - "BNB") 1994, no 64).
20.   L’article 93 de la Constitution prévoit que les dispositions des traités internationaux et les décisions des organisations internationales (intergouvernementales) qui, d’après leur contenu, peuvent lier quiconque, ont force obligatoire après leur publication.
En ce qui concerne la prohibition de la discrimination, les Pays-Bas sont partie, entre autres, au Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques ("le Pacte"), dont l’article 26 énonce:
"Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation."
B. La loi générale sur les allocations familiales
21.   La loi générale sur les allocations familiales a été adoptée en 1962.
Jusqu’au 1er janvier 1989 (paragraphe 28 ci-dessous), l’article 25 en était ainsi libellé:
"1. Les cotisations sont dues par:
a) toute personne redevable de cotisations au titre de la loi générale sur l’assurance vieillesse (Algemene ouderdomswet);
b) (...)
2. Il peut être dérogé par décret royal à l’alinéa a) du premier paragraphe sous réserve de conditions et de limitations, au besoin, en faveur des femmes célibataires qui ont atteint l’âge de quarante-cinq ans.
3. (...)"
Les personnes visées à l’alinéa a) étaient toutes celles qui n’avaient pas encore atteint l’âge de soixante-cinq ans et qui étaient résidentes néerlandaises ou, à défaut, assujetties à la loi relative au prélèvement de l’impôt sur les rémunérations (Wet op de loonbelasting) pour un travail accompli aux Pays-Bas en vertu d’un contrat de travail (article 6 par. 1 de la loi générale sur l’assurance vieillesse).
22.   Toute personne étant soit résidente néerlandaise, soit assujettie à la loi relative au prélèvement de l’impôt sur les rémunérations pour un travail accompli aux Pays-Bas en vertu d’un contrat de travail, pouvait prétendre, au titre de la loi générale sur les allocations familiales, à des allocations pour des enfants dont elle assumait la charge financière, que ceux-ci fussent ou non ses enfants propres, par naissance ou par mariage, ou qu’ils fussent des enfants adoptifs (articles 6 et 7 de ladite loi). Ce droit n’était pas subordonné à la condition que la personne en cause eût contribué au régime.
C. Le décret royal
23.   A l’époque des événements incriminés, la dérogation à la règle générale rendue possible par l’article 25 par. 2 était prévue par le décret royal du 27 février 1980 (Staatsblad no 89), dont l’article 1 disposait:
"Par dérogation à l’article 25 par. 1 a) de la loi générale sur les allocations familiales, ne seront redevables d’aucune cotisation les femmes célibataires ayant atteint l’âge de quarante-cinq ans avant le début de l’année civile et ne pouvant prétendre à des allocations familiales au titre de cette loi."
D. La jurisprudence interne
1. La Cour de cassation
24.   La Cour de cassation a reconnu, dans un arrêt du 2 février 1982 (Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise - "NJ") 1982, no 424 (corrigé dans NJ 1982, no 475)), que l’article 26 du Pacte constitue une disposition d’un traité international qui, d’après son contenu, peut lier quiconque, et que, par conséquent, elle doit, en principe, être appliquée directement par les juridictions néerlandaises (paragraphe 20 ci-dessus).
Toutefois, dans un certain nombre de décisions, elle a refusé d’appliquer l’article 26 du Pacte d’une manière qui eût privé la législation néerlandaise de ses effets, alors même qu’elle considérait qu’une mesure donnée constituait une discrimination illégale entre hommes et femmes, estimant que là où diverses voies s’offraient aux autorités nationales pour éliminer la discrimination en cause, le choix devait être laissé au législateur, eu égard aux implications sociales et juridiques s’attachant à chacune des options possibles (voir les arrêts de la Cour de cassation des 12 octobre 1984, NJ 1985, no 230, et 23 octobre 1988, NJ 1989, no 740).
Dans son arrêt du 16 novembre 1990 (NJ 1991, no 475), cité dans l’arrêt Kroon et autres c. Pays-Bas rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 27 octobre 1994 (série A no 297-C), la Cour de cassation aboutit à un constat analogue relativement à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 (art. 14+8) (loc. cit., p. 50, par. 14).
2. La Commission centrale de recours
25.   La Commission centrale de recours (Centrale Raad van Beroep) - la juridiction administrative compétente pour statuer sur la plupart des litiges en matière de sécurité sociale mais non, notamment, sur ceux relatifs aux cotisations dues en vertu de la loi générale sur les allocations familiales - a jugé que l’article 26 du Pacte est en principe directement applicable en matière de sécurité sociale.
Ainsi, dans son arrêt du 14 mai 1987 (Rechtspraak Sociaal Verzekeringsrecht (Recueil de jurisprudence en matière de sécurité sociale - "RSV") 1987, no 246), elle jugea discriminatoire la règle selon laquelle, pour bénéficier d’allocations au titre de la loi sur les allocations destinées aux victimes des persécutions subies entre 1940 et 1945 (Wet uitkering vervolgingsslachtoffers 1940-1945), une femme mariée devait être soutien de famille, alors que pareille condition ne s’appliquait pas aux hommes mariés. Dans trois arrêts rendus le 5 janvier 1988 (Nederlandse Jurisprudentie - Administratiefrechtelijke Beslissingen (Recueil de jurisprudence administrative - "AB") 1988, nos 252-254), elle aboutit à un constat analogue relativement à la loi générale sur l’incapacité de travail (Algemene arbeidsongeschiktheidswet), mais seulement à compter du 1er janvier 1980, date à laquelle une législation était entrée en vigueur qui visait à supprimer cette discrimination mais qui n’avait pas réussi à le faire de manière adéquate.
De même, dans ses arrêts du 7 décembre 1988 (NJCM-Bulletin 1989, no 14, p. 71, et AB 1989, no 10), elle reconnut le droit pour un veuf de réclamer une pension de veuve (weduwenpensioen) au titre de la loi générale sur les veuves et orphelins (Algemene weduwen- en wezenwet).
E. Levée des cotisations; dispositions procédurales
26.   Les cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales et de certains autres régimes de sécurité sociale étaient levées par l’inspecteur des impôts de la même manière que l’impôt sur le revenu (articles 21 et 22 de la loi générale sur les dépenses médicales exceptionnelles (Algemene wet bijzondere ziektekosten), que l’article 26 de la loi générale sur les allocations familiales avait déclarés applicables par analogie).
27.   Il était possible de saisir l’inspecteur d’une réclamation contre un avis (article 23 par. 1 de la loi générale sur les impôts de l’Etat - Algemene wet inzake rijksbelastingen).
La décision de l’inspecteur était susceptible de recours auprès de la cour d’appel (articles 2 et 26 par. 1 de la loi générale sur les impôts de l’Etat). La décision de la cour d’appel était elle-même susceptible d’un pourvoi devant la Cour de cassation (article 95 de la loi sur l’organisation judiciaire - Wet op de rechterlijke organisatie).
F. La loi du 21 décembre 1988
28.   Ainsi qu’il a été relevé ci-dessus (paragraphe 12), la possibilité ménagée par l’article 25 par. 2 disparut avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1989, de la loi du 21 décembre 1988 (Staatsblad 1988, no 631). En conséquence, depuis cette date, les hommes et les femmes sont tenus, dans les mêmes conditions, de verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales, quel que soit leur âge et qu’ils soient ou non mariés et aient ou non des enfants.
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
29.   M. van Raalte a saisi la Commission le 23 avril 1992. Il invoquait l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1), se disant victime d’un traitement discriminatoire relativement à l’obligation de verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales.
30.   La Commission a retenu la requête (no 20060/92) le 10 avril 1995. Dans son rapport du 17 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) (vingt-trois voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt3.
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
31.   Le Gouvernement conclut son mémoire en exprimant l’opinion qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1).
EN DROIT
I.   SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (art. 14+P1-1)
32.   Le requérant soutient que le fait qu’on ait exigé de lui, homme célibataire de plus de quarante-cinq ans et sans enfants, le versement de cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales (paragraphe 21 ci-dessus) s’analyse en une discrimination fondée sur le sexe, proscrite par l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1), dès lors qu’à l’époque des événements incriminés on n’exigeait pas des femmes célibataires, sans enfants, du même âge le versement de pareilles cotisations (paragraphes 21 et 23 ci-dessus).
Les articles 14 de la Convention (art. 14) et 1 du Protocole no 1 (P1-1) sont ainsi libellés:
Article 14 de la Convention (art. 14)
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
Article 1 du Protocole no 1 (P1-1)
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes (P1-1) ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes."
La Commission souscrit à la thèse du requérant selon laquelle il y a eu violation. Le Gouvernement combat cette analyse.
A. Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention (art. 14)
33.   D’après la jurisprudence constante de la Cour, l’article 14 de la Convention (art. 14) complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour "la jouissance des droits et libertés" qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Karlheinz Schmidt c. Allemagne du 18 juillet 1994, série A no 291-B, p. 32, par. 22).
34.   Requérant et Commission considèrent que l’affaire concerne le droit pour l’Etat d’"assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes" et que, dès lors, elle entre dans le domaine de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le Gouvernement ne conteste pas cette interprétation.
35.   La Cour n’aperçoit aucun motif d’en juger autrement et conclut donc à l’applicabilité de l’article 14 (art. 14).
B. Thèses défendues devant la Cour
1. Le requérant
36.   D’après le requérant, les différences de traitement fondées sur le sexe étaient déjà inacceptables lors de l’adoption, en 1962, de l’article 25 de la loi générale sur les allocations familiales. Le libellé de l’article 14 de la Convention (art. 14) montrerait que telle était déjà la conception qui prévalait en 1950.
De surcroît, les développements juridiques et sociaux traduiraient une nette tendance vers l’égalité entre hommes et femmes. Le requérant attire notamment l’attention sur l’arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni rendu par la Cour le 28 mai 1985 (série A no 94), où il est dit explicitement que "la progression vers l’égalité des sexes constitue aujourd’hui un objectif important des Etats membres du Conseil de l’Europe" et que "seules des raisons très fortes pourraient amener à estimer compatible avec la Convention une distinction fondée sur le sexe" (loc. cit., p. 38, par. 78).
Le législateur néerlandais aurait en fait reconnu la nature inacceptable de la distinction litigieuse en adoptant, en 1988, une loi l’abolissant.
En tout état de cause, il ressortirait des statistiques que très peu d’hommes âgés de quarante-cinq ans et plus engendrent des enfants; par ailleurs, les femmes âgées de plus de quarante-cinq ans seraient encore capables de donner naissance à des enfants et le feraient dans de nombreux cas, anéantissant ainsi la justification de toute distinction fondée sur la possibilité théorique de procréer.
Enfin, le droit de réclamer des prestations au titre de la loi générale sur les allocations familiales ne serait nullement lié au versement de cotisations.
2. Le Gouvernement
37.   Le Gouvernement conteste qu’il y ait eu une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues. Les femmes âgées de quarante-cinq ans et plus différeraient fondamentalement des hommes du même âge en ce que, pour des raisons d’ordre biologique, elles auraient beaucoup moins de chances de pouvoir procréer.
Dans la mesure où il faudrait supposer qu’il y a eu distinction de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues, la différence biologique évoquée ci-dessus constituerait en soi une justification objective et raisonnable suffisante. De surcroît, lorsque la règle en question avait été adoptée, elle avait été justifiée par les attitudes sociales qui prévalaient à l’époque: on était parti de l’idée que les femmes qui n’avaient pas d’enfants et qui selon toute vraisemblance n’en auraient jamais souffraient de cette situation, et on avait jugé qu’il serait incorrect de leur imposer la charge émotionnelle supplémentaire d’avoir à verser des contributions au titre d’un régime d’allocations familiales.
Certes, l’exonération en question aurait été abolie à compter du 1er janvier 1989, essentiellement en réponse à un changement intervenu dans les attitudes sociales à l’égard des femmes célibataires sans enfants. Il serait toutefois inévitable que la législation sociale soit, dans une certaine mesure, à la traîne des développements sociaux et il y aurait donc lieu de faire la part des choses.
D’une manière plus générale, le Gouvernement se réfère à l’ample marge d’appréciation que, d’après lui, l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) laisse aux Etats pour "mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes".
3. La Commission
38.   La Commission estime qu’il y a eu une différence de traitement fondée sur le sexe et que cette différence n’était pas justifiée.
De surcroît, elle considère que les attitudes sociales invoquées par le Gouvernement avaient été dépassées par l’évolution bien avant 1985. Elle se réfère, entre autres, au constat par la Cour, dans l’arrêt Karlheinz Schmidt précité, d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 4 par. 3 d) (art. 14+4-3-d), en rapport avec une contribution financière qui avait été imposée en 1982.
C. L’appréciation de la Cour
1. Principes applicables
39.   Une distinction est discriminatoire au sens de l’article 14 (art. 14) si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir, entre autres, l’arrêt Karlheinz Schmidt précité, pp. 32-33, par. 24).
Toutefois, seules des considérations très fortes peuvent amener la Cour à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur le sexe (voir, entre autres, l’arrêt Karlheinz Schmidt précité, ibidem).
2. Sur l’existence d’une distinction de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues
40.   A l’époque des événements incriminés, des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales étaient exigées des hommes célibataires, sans enfants, âgés de quarante-cinq ans et plus, mais non des femmes célibataires, sans enfants, du même âge (paragraphes 21 et 23 ci-dessus). Cela constitue indubitablement une "distinction de traitement", fondée sur le sexe, entre personnes placées dans des situations analogues.
La différence de fait entre les deux catégories invoquée par le Gouvernement, à savoir celle tenant à leurs possibilités biologiques respectives de procréer, ne conduit pas la Cour à une autre conclusion. C’est précisément cette distinction qui se trouve au cœur de la question de savoir si la différence de traitement dénoncée peut se justifier.
3. Sur l’existence d’une justification objective et raisonnable
41.   La Cour note que la loi générale sur les allocations familiales a établi un régime de sécurité sociale auquel, en principe, l’ensemble des personnes adultes se trouvaient affiliées, tant comme cotisantes que comme bénéficiaires potentielles.
Une caractéristique fondamentale de ce régime résidait dans le fait que l’obligation de verser des cotisations ne dépendait pas d’un quelconque droit potentiel de l’affilié à des allocations (paragraphe 21 ci-dessus). En conséquence, l’exonération litigieuse allait à l’encontre de la nature sous-jacente du système.
42.   Si les Etats contractants jouissent, au regard de la Convention, d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’introduction d’exonérations permettant d’échapper à de telles obligations de cotiser, l’article 14 (art. 14) exige que toute mesure de ce type s’applique en principe dans les mêmes conditions aux hommes et aux femmes, sauf à produire des raisons impérieuses justifiant une différence de traitement.
43.   En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue de l’existence de pareilles raisons.
Dans ce contexte, il échet de se souvenir que si des femmes âgées de plus de quarante-cinq ans peuvent donner naissance à des enfants (paragraphe 17 ci-dessus), il peut y avoir des hommes âgés de quarante-cinq ans ou moins qui sont incapables de procréer.
La Cour observe de surcroît qu’il est parfaitement concevable qu’une femme célibataire sans enfants, âgée de quarante-cinq ans ou plus, vienne à remplir les conditions d’obtention des allocations au titre de la loi en question: elle peut, par exemple, épouser un homme ayant déjà des enfants d’un mariage antérieur.
En outre, l’argument selon lequel ce serait imposer aux femmes célibataires sans enfants une charge émotionnelle injuste que d’exiger d’elles le versement de cotisations au titre d’un régime d’allocations familiales pourrait tout aussi bien s’appliquer aux hommes célibataires sans enfants ou aux couples sans enfants.
44.   En conséquence, indépendamment de la question de savoir si le désir de ménager la sensibilité des femmes d’un certain âge n’ayant pas d’enfants peut être considéré comme un but légitime, pareil objectif ne saurait justifier la différence de traitement fondée sur le sexe incriminée en l’espèce.
4. Conclusion
45.   Il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1).
II.   SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 DE LA CONVENTION (art. 50)
46.   Aux termes de l’article 50 de la Convention (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
Le requérant réclame tant une indemnité que le remboursement de ses frais et dépens.
A. Dommages
47.   M. van Raalte invite la Cour à lui accorder une réparation pour dommage matériel correspondant au montant des cotisations versées par lui au titre de la loi générale sur les allocations familiales de 1985 à 1988, soit au total 1 959 florins néerlandais (NLG). Il demande également à la Cour de prévoir le versement sur ce montant d’un intérêt au taux légal.
Il réclame en outre 4 740 NLG pour dommage moral. Il soutient qu’il a été "très douloureux" pour lui, homme célibataire sans enfants, d’avoir à verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales.
48.   Pour le Gouvernement, si la différence de traitement incriminée n’avait pas existé, hommes et femmes auraient été tenus, dans les mêmes conditions, de verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales, de sorte que le requérant n’y aurait de toute manière pas échappé.
La demande de réparation pour dommage moral formée par l’intéressé serait incompatible avec son argument selon lequel les sentiments visés ci-dessus ne sauraient, à les supposer éprouvés par les femmes, justifier que l’exonération ne fût prévue que pour elles.
49.   Le délégué de la Commission suppose que le droit interne permettrait au requérant de recouvrer les cotisations versées par lui et il considère aussi que l’intéressé peut prétendre à une indemnité pour dommage moral.
50.   La Cour note que le constat d’une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) ne confère pas à M. van Raalte un droit à une exonération rétroactive du versement des cotisations au régime en question. En conséquence, la demande de réparation pour dommage matériel est dépourvue de justification.
Quant à la demande pour dommage moral, la Cour estime que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable.
B. Frais et dépens
51.   Le requérant invite la Cour à lui allouer 7 836,75 NLG pour les frais et dépens encourus dans la procédure interne, 6 768 NLG pour ceux afférents à la procédure suivie devant la Commission et 8 666,25 NLG pour ceux consentis devant la Cour.
Le Gouvernement ne se prononce pas. Le délégué de la Commission considère que l’intéressé a droit aux sommes revendiquées.
52.   La Cour n’a aucun motif de douter que lesdits frais et dépens ont réellement été exposés. Elle admet également qu’ils correspondent à des dépenses nécessaires consenties par le requérant aux fins de prévenir la violation constatée, puis d’en obtenir le redressement. Enfin, elle les juge raisonnables quant à leur taux.
En conséquence, la Cour accueille en entier les prétentions formulées par M. van Raalte de ce chef, lesquelles s’élèvent au total à 23 271 NLG.
C. Intérêts moratoires
53.   D’après les informations dont la Cour dispose, le taux légal applicable aux Pays-Bas à la date d’adoption du présent arrêt est de 5 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.   Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1);
2.   Rejette, par huit voix contre une, la demande de réparation pour dommage matériel;
3.   Dit, à l’unanimité, que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi;
4.   Dit, à l’unanimité, que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 23 271 (vingt-trois mille deux cent soixante et onze) florins néerlandais pour frais et dépens, et que ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 5 % l’an, à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 21 février 1997.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 de la Convention (art. 51-2) et 55 par. 2 du règlement B, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de M. Foighel.
R. R.
H. P.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE   DE M. LE JUGE FOIGHEL
(Traduction)
Je suis en parfait accord avec la majorité de la Cour en ce qui concerne le constat d’une violation, en l’espèce, de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1). En revanche, je ne partage pas son avis selon lequel la demande de réparation pour dommage matériel devait être rejetée. La Cour a estimé que le requérant avait été victime d’une discrimination relativement à l’obligation de verser des cotisations à un régime d’allocations familiales. Dès lors que le dommage matériel allégué résulte de la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1), l’équité voulait que l’intéressé pût recouvrer, sur le fondement de l’article 50 de la Convention (art. 50), les cotisations versées par lui audit régime. Je note de surcroît que la Cour en avait jugé ainsi dans son arrêt Karlheinz Schmidt c. Allemagne du 18 juillet 1994 (série A no 291-B, p. 34, par. 33).
1 L'affaire porte le n° 108/1995/614/702. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2 Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3 Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-I), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
VAN RAALTE c. PAYS-BAS
ARRÊT VAN RAALTE c. PAYS-BAS
ARRÊT VAN RAALTE c. PAYS-BAS
ARRÊT VAN RAALTE c. PAYS-BAS
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE FOIGHEL


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 20060/92
Date de la décision : 21/02/1997
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 14 ; Violation de P1-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) JUSTIFICATION OBJECTIVE ET RAISONNABLE, (Art. 14) SEXE, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, (P1-1-2) ASSURER LE PAIEMENT DES CONTRIBUTIONS OU AMENDES, (P1-1-2) ASSURER LE PAIEMENT DES IMPOTS


Parties
Demandeurs : VAN RAALTE
Défendeurs : PAYS-BAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1997-02-21;20060.92 ?

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