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03/03/1997 | CEDH | N°23201/94

CEDH | MILHAUD contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ sur la requête N° 23201/94 présentée par Alain MILHAUD contre la France _____________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 3 mars 1997 en présence de M. S. TRECHSEL, Président Mme G.H. THUNE Mme J. LIDDY MM. E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. DANELIUS F. MARTINEZ

C.L. ROZAKIS L. LOUCAID...

SUR LA RECEVABILITÉ sur la requête N° 23201/94 présentée par Alain MILHAUD contre la France _____________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 3 mars 1997 en présence de M. S. TRECHSEL, Président Mme G.H. THUNE Mme J. LIDDY MM. E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. DANELIUS F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS J. MUCHA D. SVÁBY G. RESS A. PERENIC C. BÎRSAN P. LORENZEN K. HERNDL E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA M. VILA AMIGÓ Mme M. HION M. R. NICOLINI M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 28 décembre 1993 par le requérant contre la France et enregistrée le 7 janvier 1994 sous le N° de dossier 23201/94 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 12 juin 1996 et les observations en réponse présentées par le requérant le 26 septembre 1996 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, ressortissant français né en 1931, est professeur d'anesthésiologie au Centre hospitalier régional universitaire d'Amiens et réside dans cette même ville. Devant la Commission, il est représenté par la S.C.P. PIWNICA- MOLINIE, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l'affaire Les 11, 12 et 16 février 1988, le requérant pratiqua une expérimentation sur une personne en coma dépassé - en état de mort cérébrale - sans que la famille du patient ait été prévenue et ait donné son autorisation. Le requérant n'avait demandé l'avis ni du comité d'éthique du Centre hospitalier régional ni du comité national d'éthique. Le 29 février 1988, les ministres de la Santé et de l'Enseignement supérieur suspendirent le requérant de ses fonctions et portèrent l'affaire devant la juridiction disciplinaire hospitalo- universitaire. Par décision du 27 mai 1988, la juridiction disciplinaire prononça à l'encontre du requérant la sanction la plus faible, à savoir un avertissement et mit fin à la mesure de suspension. Le 29 février 1988, le directeur départemental des Affaires sanitaires et sociales de la Somme saisit le conseil régional de l'Ordre des médecins de Picardie d'une plainte portant sur les mêmes faits. Par décision du 14 juin 1988, le conseil régional de l'Ordre constata que les "exercices techniques" avaient été effectués sur un sujet en état de mort cérébrale, que les articles 2, 7 et 9 du Code de déontologie faisaient référence à la personne humaine ou à la personne malade et ne pouvaient être en cause et infligea un blâme au requérant pour avoir violé l'article 11 du Code de déontologie médicale concernant le secret professionnel et l'article 33-1 concernant les actes de nature à déconsidérer la profession. Le 9 août 1988, le requérant interjeta appel contre cette décision devant la section disciplinaire du conseil national de l'Ordre des médecins. Il allégua notamment que la décision du conseil régional de l'Ordre était illégale en sa forme car l'audience n'avait pas été publique en méconnaissance de l'article 6 par. 1 de la Convention. Par décision du 23 janvier 1991, après une audience non publique, le conseil national de l'Ordre estima qu'il n'y avait pas eu d'irrégularité de procédure puisque l'article 6 de la Convention s'applique "aux juridictions statuant en matière pénale ou tranchant des contestations sur des droits et obligations de caractère civil", déclara que le requérant n'avait pas violé le secret médical et confirma la sanction en se fondant sur les articles 2, 7 et 19 du Code de déontologie en considérant que le blâme auquel le conseil régional l'avait condamné n'était pas une sanction excessive par rapport aux responsabilités encourues par le requérant. Le requérant se pourvut devant le Conseil d'Etat. Il allégua à nouveau que la cause, ayant été débattue en séance non publique, il y avait violation de l'article 6 de la Convention. Dix jours avant l'audience, le président du Conseil d'Etat avisa le requérant qu'il entendait soulever un "moyen d'office de pur droit tiré de ce que les principes de déontologie de la profession médicale, notamment ceux qu'expriment les articles 2 et 7 du Code de déontologie médicale s'appliquent à un sujet en état de mort cérébrale", et invita le requérant à faire valoir ses moyens de défense. Dans ses observations le requérant fit valoir que le moyen soulevé par le Conseil d'Etat était mélangé de fait et de droit. Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement releva que la plainte déposée par la famille du patient fut classée par le juge d'instruction le 14 novembre 1989 au motif que "l'état de mort cérébrale étant antérieur aux expérimentations réalisées par l'inculpé, l'infraction de coups et blessures volontaires qui suppose que la victime est vivante ne saurait dès lors être reprochée au Professeur Milhaud. En l'absence d'autre qualification pénale susceptible d'être substituée à la qualification initialement retenue, il y a lieu de constater qu'en l'état du droit positif les expérimentations pratiquées par l'inculpé ne tombent pas sous le coup de la loi pénale et d'ordonner un non-lieu." Par arrêt du 2 juillet 1993, le Conseil d'Etat releva que le patient du requérant était décédé et conclut que les dispositions invoquées par le conseil national de l'Ordre étaient inapplicables au cas d'espèce puisqu'elles ne pouvaient "s'appliquer qu'à des personnes vivantes". Le Conseil d'Etat considéra que le conseil national de l'Ordre avait entaché sa décision d'erreur de droit. Toutefois, le Conseil d'Etat confirma la sanction en se fondant sur "les principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent pas de s'appliquer avec la mort de celui-ci ; qu'en particulier, ces principes font obstacle à ce que, en dehors des prélèvements d'organes opérés dans le cadre de la loi du 22 décembre 1976, et régis par celle-ci, il soit procédé à une expérimentation sur un sujet après sa mort, alors que, d'une part, la mort n'a pas été constatée dans des conditions analogues à celles qui sont définies par les articles 20 à 22 du décret du 21 mars 1978 ; que, d'autre part, ladite expérimentation ne répond pas à une nécessité scientifique reconnue et qu'enfin, l'intéressé n'a pas donné son consentement de son vivant ou que l'accord de ses proches, s'il en existe, n'a pas été obtenu."
B. Droit et pratique internes pertinents a) Code de déontologie médicale Article 2 : "Le médecin au service de l'individu et de la Santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine." Article 7 : "La volonté du malade doit toujours être respectée dans toute la mesure du possible. Lorsque le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, ses proches doivent, sauf urgence ou impossibilité être prévenus et informés." Article 19 : "L'emploi sur un malade d'une thérapeutique nouvelle ne peut être envisagé qu'après les études biologiques adéquates sous une surveillance stricte et seulement si cette thérapeutique peut présenter pour la personne un intérêt direct." b) Code de la santé publique Article L. 423 : "Les peines disciplinaires que le conseil régional peut appliquer sont les suivantes : L'avertissement. Le blâme. (...) L'interdiction temporaire d'exercer la médecine, cette interdiction ne pouvant excéder trois années. La radiation du tableau de l'Ordre. Les deux premières de ces peines comportent, en outre, la privation du droit de faire partie du conseil départemental, du conseil régional ou du conseil national de l'Ordre pendant une durée de trois ans ; les suivantes, la privation de ce droit à titre définitif. (...)" c) Jurisprudence Dans l'arrêt du 19 février 1964, affaire Sieur Plainemaison, le Conseil d'Etat énonce que "(...) le conseil national de l'Ordre, lorsqu'il n'a été saisi que par l'appel formé par le pharmacien auquel une sanction a été infligée en première instance, ne peut pas légalement prononcer contre ce pharmacien une sanction plus grave que celle décidée par le conseil régional (...)". Un arrêt du Conseil d'Etat du 6 février 1981 dans l'affaire Lebard précise que "(...) le recours incident était, eu égard à la nature des pouvoirs qu'exercent les conseils des ordres professionnels, lorsqu'ils statuent en matière disciplinaire, irrecevable en l'absence de disposition législative ou réglementaire le prévoyant ; que la section disciplinaire du conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes n'était ainsi régulièrement saisie que du seul appel de M. Lebard (...) et qu'elle ne pouvait en conséquence, légalement prononcer contre ce praticien une sanction plus grave que celle décidée par le conseil régional (...)".
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, le requérant se plaint de l'absence de publicité des débats devant le conseil national de l'Ordre des médecins, du non-respect des droits de la défense devant le Conseil d'Etat - en ce que bien qu'avisé de ce que le Conseil d'Etat entendait soulever un moyen d'office de pur droit, il n'a pu utilement se défendre contre un principe dont il ne pouvait connaître ni la portée ni les modalités de mise en oeuvre - et partant du caractère non équitable de cette procédure.
2. Le requérant se plaint également de la violation de l'article 7 de la Convention en ce qu'il y aurait eu rétroactivité de la loi pénale appliquée en l'espèce puisque le Conseil d'Etat s'est basé pour confirmer la sanction sur un principe général de droit qui n'a été dégagé sous cet angle que par l'arrêt du 2 juillet 1993.
3. Le requérant estime que les limitations apportées par le Conseil d'Etat à l'expérimentation sur les sujets en état de mort cérébrale ne sont pas conformes à l'article 2 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 28 décembre 1993 et enregistrée le 7 janvier 1994. Le 16 janvier 1996, la Commission a décidé, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 12 juin 1996, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 26 septembre 1996.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de l'absence de publicité des débats devant le conseil national de l'Ordre des médecins, du non-respect des droits de la défense devant le Conseil d'Etat - en ce que bien qu'avisé de ce que le Conseil d'Etat entendait soulever un moyen d'office de pur droit, il n'a pu utilement se défendre contre un principe dont il ne pouvait connaître ni la portée ni les modalités de mise en oeuvre - et partant du caractère non équitable de cette procédure. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose que : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice." Le Gouvernement défendeur excipe de l'inapplicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention au cas d'espèce, que ce soit sous l'angle civil ou sous l'angle pénal. A. Applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) sous son angle civil Sur ce point, le Gouvernement fait valoir que le contentieux disciplinaire ne rentre dans le champ d'application de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) que si la "contestation" a porté sur "des droits et obligations de caractère civil" c'est-à-dire lorsque la sanction prononcée a une incidence patrimoniale pour l'intéressé comme par exemple lorsqu'un médecin est privé du droit de continuer à exercer sa profession. Or, en l'espèce, le requérant n'ayant subi qu'un blâme, sanction qui n'emporte aucune conséquence patrimoniale directe, la contestation ne porterait donc pas sur "des droits et obligations de caractère civil" au sens de l'article 6 (art. 6). Le requérant n'a pas présenté d'observations sur ce point. La Commission rappelle que pour déterminer si l'article 6 (art. 6) de la Convention est ou non applicable au cas d'espèce, il y a lieu d'examiner si la procédure dont le requérant se plaint a trait soit à une décision sur une accusation en matière pénale dirigée contre lui, soit à une "contestation" sur des droits de caractère civil. Elle note d'autre part que, d'après la jurisprudence des organes de la Convention, des poursuites disciplinaires ne conduisent pas d'ordinaire à une "contestation" sur des droits de caractère civil ou à une décision sur une accusation pénale (cf. Cour eur. D.H., arrêts Albert et Le Compte c. Belgique, série A N° 58, p. 15, par. 28 et Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A N° 22, pp. 33-37, par. 80- 88; cf. également N° 10059/82, déc. 5.7.85, D.R. 43, p. 5). La Commission observe qu'à partir de la procédure d'appel devant le conseil national de l'Ordre, le requérant ne risquait pas, comme cela sera établi dans les pages suivantes, de sanction plus grave mettant en cause son droit d'exercer la profession et qu'il ne résulte pas qu'il y ait eu une action civile en dommages-intérêts fondée sur les fautes disciplinaires ayant donné lieu au blâme (cf. a contrario N° 21257/93, déc. 27.11.95, non publiée). Partant, conformément à la jurisprudence précitée, la Commission considère que la procédure litigieuse ne concernait pas "des droits et obligations de caractère civil" pour le requérant. La Commission estime, par conséquent, que l'exception soulevée par le Gouvernement est fondée. B. Applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) sous son angle pénal Le Gouvernement, faisant référence aux critères dégagés par l'arrêt Engel précité, considère que la procédure disciplinaire ne concerne pas une "accusation en matière pénale". Le Gouvernement souligne que la sanction infligée au requérant ne présente pas un caractère pénal car, d'une part, celui-ci a fait l'objet d'une plainte pénale qui s'est conclue par un non-lieu, les agissements du requérant n'étant pas pénalement réprimés, et, d'autre part, le Conseil d'Etat juge de façon constante que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas aux procédures disciplinaires se déroulant devant les juridictions ordinales. La nature de l'infraction ne relève pas du droit pénal mais du manquement aux règles déontologiques professionnelles qui concernent les seuls médecins. Quant au but et à la sévérité de la sanction, le Gouvernement précise que si le droit disciplinaire ne définit pas préalablement les comportements de nature à donner lieu à tel ou tel type de sanction, il existe une échelle des sanctions prévue par l'article L. 423 du Code de la santé publique qui va de l'avertissement à la radiation du tableau de l'Ordre. Le juge d'appel, contrairement au juge de cassation, contrôle la proportionnalité entre la faute et la sanction, ce qui a été fait en l'espèce. Les comportements pouvant être qualifiés de fautifs et les sanctions correspondant à tel ou tel type de fautes selon leur gravité sont indiqués par la jurisprudence. De plus, le Gouvernement souligne qu'aux termes d'une jurisprudence constante de la juridiction administrative française, une sanction ne saurait être aggravée en appel sur le recours de la personne sanctionnée (cf. Conseil d'Etat, arrêt Plainemaison du 19 février 1964), que ce principe a valeur de principe général du droit et que l'appel incident est irrecevable (cf. Conseil d'Etat, Section, arrêt Lebard du 6 février 1981). Partant, le Gouvernement fait valoir que la peine encourue était le blâme, dès lors que cette sanction avait été infligée au stade du conseil régional de Picardie et que seul le requérant avait fait appel du jugement. A titre subsidiaire, le Gouvernement observe que même la sanction la plus grave, la radiation, ne relèverait pas pour autant de la matière pénale car elle ne consiste ni en une mesure privative de liberté ni en une amende. Le requérant conteste le fait que le blâme ait été la sanction maximale susceptible d'être prononcée et considère qu'il y aurait pu y avoir un appel incident de l'Ordre des médecins. Le requérant affirme que, pour lui, le blâme a entraîné la ruine de sa carrière hospitalo-universitaire puisqu'il n'a pas été reconduit dans ses fonctions de chef de service. Les répercussions du blâme, bien qu'indirectes, étaient d'une gravité exceptionnelle et l'on se situait bien, selon le requérant, dans le cadre d'une "accusation pénale". La Commission rappelle les trois critères dégagés par la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'arrêt Engel et autres précité : d'une part, le point de savoir si le texte définissant l'infraction disciplinaire incriminée appartient, d'après la technique juridique de l'Etat défendeur, au droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois ; d'autre part, la nature même de l'infraction ; et, enfin, le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l'intéressé. En particulier, les sanctions impliquant privation de liberté peuvent indiquer qu'une "accusation pénale" est en jeu. La Commission note tout d'abord que les règles sur lesquelles les juridictions nationales ont fondé la condamnation ne relèvent pas du droit pénal français, mais uniquement du droit disciplinaire. Quant à sa nature, l'infraction en question est limitée et liée à l'exercice de la profession de médecin, à l'éthique professionnelle et au maintien de l'ordre dans la profession. Elle relève donc exclusivement du domaine disciplinaire (voir, mutatis mutandis, N° 10059/82, déc. 5.7.85, D.R. 43, p. 5). En ce qui concerne le degré de sévérité de la sanction, la Commission note que le requérant s'est contenté de contester les affirmations du Gouvernement sans étayer ses dires de jurisprudence. Or, étant donné la jurisprudence des juridictions administratives françaises, en l'espèce, comme dans l'arrêt Engel, le juge d'appel appelé à statuer n'avait pas compétence pour ordonner une sanction plus rigoureuse, c'est donc bien le jugement du conseil régional de Picardie qui fixait définitivement l'enjeu (voir arrêt précité, p. 35, par. 83). Dans son rapport concernant l'affaire Albert et Le Compte (rapp. Comm. 14.12.81, Cour eur. D. H. série B n° 50 pp. 35-36, par. 63 à 68), la Commission a conclu que, compte tenu de la nature des textes applicables, ressortissant sans conteste au droit disciplinaire, de celle des faits reprochés, constituant des fautes disciplinaires et de la sanction prononcée, caractéristique par sa nature et son but d'une sanction disciplinaire et ne pouvant se confondre avec une peine, il n'y avait pas en l'espèce d'"accusation en matière pénale" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). La Commission constate que la sanction prononcée dans la présente requête est bien plus légère que dans l'affaire Albert et Le Compte. Les conséquences indirectes d'une telle sanction ne sauraient suffire à faire confondre cette sanction avec une peine. Par conséquent, la Commission ne voit pas de raison de s'écarter de sa jurisprudence selon laquelle il n'y aurait pas dans un tel cas d'"accusation en matière pénale" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (voir N° 10059/82, précitée). La Commission estime par conséquent, conformément à sa jurisprudence constante en la matière, que l'article 6 (art. 6) de la Convention sous son angle pénal n'est pas d'application dans le cas d'espèce. Il s'ensuit que l'exception du Gouvernement est à cet égard également fondée. Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint en outre d'une atteinte à l'article 7 (art. 7) de la Convention en ce qu'il y aurait eu rétroactivité de la loi pénale appliquée en l'espèce puisque le Conseil d'Etat s'est basé pour confirmer la sanction sur un principe général de droit qui n'a été dégagé sous cet angle que par l'arrêt du 2 juillet 1993. L'article 7 (art. 7) de la Convention est ainsi rédigé : "Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise." Le Gouvernement considère que l'article 7 (art. 7) ne trouve pas à s'appliquer au cas d'espèce. Le requérant conteste cette thèse. La Commission relève que la procédure engagée contre le requérant devant les organes ordinaux concernait la manière dont celui-ci avait rempli ses devoirs professionnels en tant que médecin. Les sanctions encourues étaient celles qui figurent à l'article L. 423 du Code de la santé publique, à savoir l'avertissement, le blâme, l'interdiction temporaire d'exercer la médecine et la radiation du tableau de l'Ordre. Il s'agissait donc d'une infraction et de peines qui ne sauraient s'appliquer qu'à une catégorie particulière de personnes, c'est-à-dire aux médecins, et qui de ce fait revêtaient un caractère disciplinaire, et non d'une infraction et de peines au sens de l'article 7 (art. 7) de la Convention. Il s'ensuit que cet article ne trouve donc pas à s'appliquer en l'espèce. Cette partie de la requête est par conséquent également incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant considère enfin que le droit à la vie proclamé par la Convention implique la faculté de réaliser des expérimentations sur des sujets morts sous la seule condition qu'ils soient effectivement morts et que l'expérimentation soit réalisée dans un but scientifique. Le requérant estime que les limitations apportées par le Conseil d'Etat à l'expérimentation sur les sujets en état de mort cérébrale ne sont pas conformes à l'article 2 (art. 2) de la Convention, lequel dispose : "Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi." La Commission note que l'article 2 (art. 2) de la Convention ne fait nulle référence à la possibilité de réaliser des expérimentations et n'implique donc aucune faculté de ce genre. Partant, dans la mesure où les allégations ont été étayées, la Commission estime que ce grief est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. H.C. KRÜGER S. TRECHSEL Secrétaire Président de la Commission de la Commission


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 23201/94
Date de la décision : 03/03/1997
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Radiation partielle du rôle ; Violation de l'Art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6-1) DECIDER (CIVIL), (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL


Parties
Demandeurs : MILHAUD
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1997-03-03;23201.94 ?

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