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19/02/1998 | CEDH | N°20124/92

CEDH | AFFAIRE HIGGINS ET AUTRES c. FRANCE


AFFAIRE HIGGINS ET AUTRES c. FRANCE
(134/1996/753/952)
ARRÊT
STRASBOURG
19 février 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
Liste des agents de vente
Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
  B-1000 Bruxel

les)
Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
  (place de Par...

AFFAIRE HIGGINS ET AUTRES c. FRANCE
(134/1996/753/952)
ARRÊT
STRASBOURG
19 février 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
Liste des agents de vente
Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
  B-1000 Bruxelles)
Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
  (place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)
Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
  A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC La Haye) 
SOMMAIRE1
Arrêt rendu par une chambre
France – omission par la Cour de cassation de motiver sa décision sur des doléances tenant au manque d'impartialité d'une cour d'appel
I. ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A.      Exceptions préliminaires du Gouvernement 
1. Tardiveté de la requête
Grief déduit du défaut d'impartialité porte sur l'arrêt de la cour d'appel de Papeete du 7 décembre 1989, qui a fait l'objet de l'arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 – la décision à prendre en considération pour le calcul du délai de six mois est ce dernier arrêt.
Conclusion : rejet (unanimité).
2. Non-épuisement des voies de recours internes
Vu l'imbrication des différents recours, la question de l'épuisement des voies de recours internes doit être examinée au regard de l'ensemble de celles-ci – certes, les moyens présentés dans le mémoire ampliatif à l'appui du pourvoi contre l'arrêt du 7 décembre 1989 n'invoquaient pas l'article 6 de la Convention, ni un défaut d'impartialité – néanmoins, les requérants ont attiré l'attention sur la question soumise aux organes de la Convention en déposant des conclusions de non-lieu à statuer et en demandant à la cour d'appel de Papeete de surseoir à statuer en raison du dépôt de leur requête en suspicion légitime.
Conclusion : rejet (unanimité).
B. Bien-fondé des griefs
Etendue de l'obligation des tribunaux de motiver leurs décisions : peut varier selon la nature de la décision et doit s'analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce.
Cour de cassation, saisie de deux requêtes en dessaisissement de la cour d'appel de Papeete portant sur trois procédures concernant un même contentieux successoral, ordonne le renvoi de deux procédures sans évoquer la troisième pourtant étroitement liée aux deux autres – arrêt de la Cour de cassation ne contient aucune indication de nature à éclairer la Cour sur le sort différent réservé à cette procédure.
Conclusion : violation (huit voix contre une).
II. ARTICLE 50 DE LA CONVENTION
A. Dommage matériel : rejet.
B. Autre demande : incompétence de la Cour.
C. Frais et dépens : remboursement en équité.
Conclusion : Etat défendeur tenu de payer une certaine somme aux requérants pour frais et dépens (unanimité).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
19.3.1991, Cardot c. France ; 19.4.1994, Van de Hurk c. Pays-Bas ; 9.12.1994, Ruiz Torija c. Espagne ; 9.12.1994, Hiro Balani c. Espagne ; 17.12.1996, Vacher c. France
En l'affaire Higgins et autres c. France2,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A3, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Bernhardt, président,    L.-E. Pettiti,    J. De Meyer,    J.M. Morenilla,    G. Mifsud Bonnici,    D. Gotchev,    K. Jungwiert,    E. Levits,    T. Pantiru,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 août et 27 octobre 1997 et le 28 janvier 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 28 octobre 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 20124/92) dirigée contre la France et dont des ressortissants de cet Etat, Mme Denise Higgins-Brown Petersen et vingt-deux autres personnes (paragraphe 7 ci-dessous), avaient saisi la Commission le 1er juin 1992 en vertu de l'article 25.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si  
les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.
2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, les requérants ont manifesté le désir de participer à la procédure et ont désigné leur conseil (article 30).
3.  La  chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 29 octobre 1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. J. De Meyer, J.M. Morenilla, G. Mifsud Bonnici, D. Gotchev, K. Jungwiert, E. Levits et T. Pantiru, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).
4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français (« le Gouvernement »), le représentant des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire des requérants et celui du Gouvernement le 4 avril 1997. Le délégué de la Commission n'a pas présenté d'observations écrites.
5.  Le 11 juillet 1997, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
6.  Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 26 août 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  MM. B. Nedelec, magistrat détaché à la direction des affaires     juridiques du ministère des Affaires étrangères, agent,    A. Buchet, magistrat détaché au service des affaires     européennes et internationales du ministère     de la Justice, conseil ;
– pour la Commission  M. L. Loucaides,  délégué ;
– pour les requérants  Me J.-C. Lollichon, avocat au barreau de Papeete, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Loucaides, Me  Lollichon et M. Nedelec.
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
A. Genèse de l'affaire
7.  L'affaire porte sur le contentieux découlant des successions de Mary-Ann Higgins et de son époux Charles Brown-Petersen, décédés respectivement les 22 février 1961 et 13 mars 1962. Les requérants, héritiers et légataires des de cujus, sont tous des citoyens français. La liste de leurs noms s'établit comme suit :
1) Mme Denise Higgins-Brown Petersen, née le 7 octobre 1926 ;
2) M. Charles Higgins, né le 4 mars 1924 ;
3) Mme Louise Higgins, épouse Petre, née le 6 mai 1917 ;
4) Mme Alice Higgins, née le 9 juin 1921 ;
5) M. Steve Juventin, né le 4 octobre 1951 ;
6) M. Robert Brown, né le 27 novembre 1929 ;
7) M. Jean-Pierre Constant, né le 1er novembre 1938 ;
8) Mme Hilda Walker, veuve Hugon, née le 20 novembre 1928 ;
9) Mme Marjorie Walker, épouse Tetuaetara, née le 7 novembre 1930 ;
10-15) M. Sunny Walker, né le 18 mai 1955, agissant en son nom personnel à titre d'héritier de M. Clet Walker, décédé, et en qualité de représentant des autres héritiers de ce dernier, à savoir :
– Mme Lydie Walker, épouse Teauroa, née le 25 juillet 1953 ;
– M. Rommel Walker, né le 12 octobre 1956 ;
– M. Rodrigue Walker, né le 19 avril 1959 ;
– M. Mateau Walker, né le 17 décembre 1960 ;
– M. Dayf Agodor, né le 28 février 1971 ;
16) M. Francis Walker, né le 4 octobre 1936 ;
17) M. Johnnie Walker, né le 24 janvier 1938 ;
18) M. Alphonse Walker, né le 6 octobre 1942 ;
19) M. Ernest Walker, né le 4 février 1944 ;
20) M. Lionel Sanne, né le 3 mars 1936 ;
21) Mme Madeleine Sanne, veuve Lerebours, née le 19 mars 1938 ;
22) Mlle Monette Sanne, née le 4 septembre 1940 ;
23) Mme Mauriroroarii Tuahiva, épouse Huaatua, née le 19 mars 1926.
8.  Dans le cadre de ce contentieux successoral complexe, les requérants étaient parties à trois procédures les opposant à un certain nombre de défendeurs, dont Me L., notaire à Papeete (Polynésie française). Il s'agissait :
– d'une action en délivrance de legs ;
– d'une requête civile en tierce opposition contre un arrêt de la cour d'appel de Papeete du 10 septembre 1964 rejetant la demande en annulation du testament du 19 décembre 1961 souscrit par Charles Brown-Petersen ;
– d'une demande en annulation, pour fraude, de l'apport d'un ensemble immobilier, appelé « bloc Vaima », à la société Brown Building Corporation (« BBC ») et en paiement des loyers et autres revenus perçus sur ledit immeuble depuis 1961.
9.  Dans cette dernière procédure, seule en cause, le tribunal civil de première instance de Papeete, par un jugement du 16 décembre 1988, fit droit aux prétentions des requérants. Il ordonna la mise sous séquestre des loyers et considéra entaché de cause illicite l'acte constitutif de la BBC. Il constata que les consorts Higgins étaient fondés sur le principe à en demander la nullité mais sursit à statuer sur ce point jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel à intervenir sur la délivrance de legs. Le 4 janvier 1989, la BBC attaqua le jugement devant la cour d'appel de Papeete (paragraphe 17 ci-dessous).
10.  Parallèlement à ce recours, les requérants présentèrent une requête en suspicion légitime. 
B.  Les requêtes en suspicion légitime
11.  Par une requête enregistrée le 1er juin 1989 (n° T-89-15.690), les requérants sollicitèrent auprès de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le renvoi pour suspicion légitime de l'instance engagée contre la BBC devant une autre juridiction que la cour d'appel de Papeete. Par ailleurs, ils prièrent cette dernière de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée (paragraphe 17 ci-dessous).
Préalablement à cette requête, le 25 mai 1989, ils avaient introduit devant la même chambre de la Cour de cassation une première requête (n° N-89-15.409) tendant au renvoi, pour cause de suspicion légitime, devant une autre juridiction des procédures relatives à l'action en délivrance de legs et à la requête civile en tierce opposition, alors pendantes devant la cour d'appel de Papeete (paragraphe 8 ci-dessus).
12.  La requête du 1er juin 1989 était ainsi libellée :
« Sont pendantes devant la cour d'appel de Papeete à ce jour :
1. – Une procédure en délivrance des legs (...)
2. – Une procédure de requête civile en tierce opposition (...)
Par requête n°  89-15.409 enregistrée le 25 mai 1989 au greffe de la Cour de cassation, les exposants ont demandé à la Cour Suprême de dessaisir la cour de Papeete de ces deux procédures au profit d'une autre juridiction.
(...) les consorts Higgins [ont intenté], contre la société Brown Building Corporation, une action en déclaration de fraude (...) tendant à faire déclarer le caractère frauduleux de l'apport en société du terrain litigieux (...)
(...) l'affaire doit être examinée au fond par la cour de Papeete, et les exposants demandent que celle-ci soit dessaisie au profit d'une autre juridiction.
Les exposants se réfèrent expressément aux motifs invoqués par eux à l'appui de leur requête n° 89-15.409 pour demander le dessaisissement. Les mêmes causes justifient le dessaisissement à propos du litige les opposant à la Brown Building Corporation (...) »
En ce qui concerne les causes de suspicion légitime, la requête du 1er juin 1989 contenait notamment les considérations suivantes :
« La cour de Papeete ne comporte que six magistrats, un premier président, trois conseillers, un procureur général et un substitut général.
Or, l'exposant a légitimement le droit de mettre en doute de façon objective l'impartialité de la juridiction appelée à juger les divers procès l'opposant aux consorts Bambridge, à Me L., et à la Brown Building Corporation qui n'est que l'émanation des consorts Bambridge.
Tout d'abord, Me L. a occupé à Papeete une place éminente, et entretenu avec de nombreux magistrats de la cour d'appel des relations amicales et privilégiées.
Plusieurs des magistrats, dont certains de la cour, ont eu avec les parties des relations privilégiées depuis fort longtemps, M. J. et M. A. ont eu avec Phinéas Bambridge des relations étroites d'amitié (lors des obsèques de Phinéas Bambridge, la veuve de ce dernier était soutenue par M. A.).
Force est de constater, par ailleurs, que le climat de sérénité qui devrait nécessairement régner au sein d'une juridiction, a été en fait gravement troublé par les rebondissements et retentissements du dossier. Notamment les consorts Higgins, conscients de ce que leur patrimoine successoral était voué à une dilapidation proche, ont sollicité – et obtenu du juge de première instance dans divers cas – des mesures de séquestre sur les biens, objets de la succession. Ils ont également obtenu une mesure de séquestre sur les biens de Me L. (...). Ce dernier a réagi très violemment au prononcé de la mesure qu'il a publiquement qualifiée « d'acte de terrorisme judiciaire ». La magistrature locale s'est alors divisée et le procureur de la République près le tribunal de Papeete s'est fait l'écho de ce désarroi dans une requête en dessaisissement adressée à la chambre criminelle le 24 septembre 1987.
C'est-à-dire que certains magistrats de Papeete eux-mêmes divisés, mis en cause publiquement, ayant pris parti sur des faits touchant étroitement aux procédures encore en cours, éprouvent le sentiment que, au-delà de leur bonne volonté, leur impartialité pourrait être objectivement mise en cause, et que légitimement le soupçon peut peser sur les décisions qu'ils seront conduits à rendre. (...)
L'ensemble de ces considérations est de nature à jeter sur l'impartialité des magistrats de la cour un doute qui n'est pas admissible et à la rendre « sujette à caution » ou à suspicion.
La Cour de cassation préférera éviter toute ambiguïté et tout soupçon, et dessaisir la juridiction de Papeete. »
13.  Le 22 mars 1990, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation statua dans les termes suivants :
« Sur les requêtes en date des 25 mai et 1er juin 1989 (...) sollicitant le renvoi pour cause de suspicion légitime, devant une autre juridiction que la cour d'appel de Papeete, d'instances les opposant aux consorts Bambridge et autre, à Me  L. et à la société civile immobilière Brown Building Corporation ;
La Cour (...)
Vu les requêtes et les pièces produites déposées les 25 mai et 1er juin 1989 au greffe de la Cour de cassation, au nom des consorts Higgins ;
Attendu que les requêtes des consorts Higgins tendent au renvoi devant une autre cour d'appel pour cause de suspicion légitime des affaires les concernant et pendantes devant la cour d'appel de Papeete, à savoir :
1) une procédure en délivrance de legs sur appel d'un jugement du tribunal civil de Papeete en date du 19 mars 1986 ;
2) une procédure de requête civile en tierce opposition tendant à ce que soit mis à néant un arrêt du 10 septembre 1964 de la cour d'appel de Papeete ; que ces requêtes sont connexes et doivent être jointes ;
Attendu que si n'est rapportée la preuve d'aucune prise de position par les magistrats de la cour d'appel de Papeete sur l'issue des procès qui sont soumis à leur examen, il résulte des faits allégués et des productions que les consorts Higgins peuvent éprouver un doute sur l'impartialité de la juridiction chargée de juger leurs procès ; qu'il convient donc d'ordonner le renvoi devant une autre juridiction dont la décision s'imposera au respect de tous avec l'autorité qui doit s'attacher aux arrêts de justice ;
PAR CES MOTIFS :
JOINT les requêtes nos N-89-15.409 et T-89-15.690 ;
DÉCLARE les requêtes recevables ;
ORDONNE le renvoi devant la cour d'appel de Paris des affaires suivantes : 1°) une procédure en délivrance de legs (...) ; 2°) une procédure de requête civile en tierce opposition (...) ; que ces requêtes sont connexes et doivent être jointes (...) »
14.  Par deux arrêts du 16 juillet 1991, la première chambre civile de la Cour de cassation déclara non avenus les deux arrêts rendus entre-temps, le 29 juin 1989, par la cour d'appel de Papeete dans les procédures en délivrance de legs et de requête civile. Le libellé des deux arrêts de la Cour de cassation est similaire. Celui statuant sur l'arrêt de la cour d'appel de Papeete relatif à l'action en délivrance de legs indique :
« Attendu que l'arrêt attaqué, rendu le 29 juin 1989 par la cour d'appel de Papeete, a statué sur une action en délivrance de legs, après avoir dit qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée sur une requête en suspicion légitime antérieurement déposée le 25 mai 1989 ; que par un arrêt du 22 mars 1990, la Cour de cassation a accueilli cette requête et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris ; qu'il s'ensuit, cette décision de renvoi devant recevoir son exécution, qu'est non avenu ce que la cour d'appel a jugé par l'arrêt attaqué ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le pourvoi formé contre cet arrêt.
PAR CES MOTIFS :
DIT n'y avoir pas lieu à statuer. »
C. La requête en rectification d'erreur matérielle
15.  Le 2 juillet 1990, estimant que l'oubli de la mention de la procédure contre la BBC dans l'arrêt du 22 mars 1990 résultait d'une erreur, les requérants formèrent une requête en rectification d'erreur matérielle auprès de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
16.  Par un arrêt du 23 octobre 1991, cette dernière la repoussa en ces termes :
«Attendu que par arrêt du 22 mars 1990, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé devant la cour d'appel de Paris, pour cause de suspicion légitime, deux procédures pendantes devant la cour d'appel de Papeete opposant les consorts Higgins à Me L. ;
Attendu que le 2 juillet 1990, les consorts Higgins ont présenté à la Cour de cassation une requête aux fins de rectification de l'arrêt du 22 mars 1990, qu'à l'appui de leur requête ils soutiennent que cette décision est entachée d'une erreur matérielle, la Cour de cassation ayant ordonné la jonction de deux requêtes enregistrées sous les numéros N-89-15.409 et T-89-15.690, dont elle était saisie, et n'ayant ordonné le renvoi que des deux affaires visées par la première de ces deux requêtes ;
Mais attendu que sous le prétexte d'une rectification la requête tend à apporter une modification aux dispositions précises de l'arrêt.
Par ces motifs :
Rejette la requête ;
Dit n'y avoir pas lieu à rectifier l'arrêt du 22 mars 1990. »
D. L'issue de la procédure contre la BBC
17.  Entre-temps, le 7 décembre 1989, après avoir tenu une audience le 23 novembre 1989, la cour d'appel de Papeete dit qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer en attendant l'issue de la requête en suspicion légitime déposée par les requérants le 1er juin 1989, et infirma dans sa totalité le jugement du 16 décembre 1988. Statuant à nouveau, elle dit que la nullité de l'acte constitutif de la BBC n'était pas établie et en conséquence débouta les consorts Higgins de leur demande en annulation de l'apport à la BBC. Quant au rejet de la demande de sursis, elle le motiva comme suit :
« Attendu que les consorts Higgins font état d'une requête en récusation mais ne justifient pas de son existence et ne précisent même pas le nom du ou des magistrats qu'elle concernerait, que le moyen ne saurait être accueilli de ce chef ;
Attendu par contre qu'ils justifient avoir déposé le 1er juin 1989 au greffe de la Cour de cassation une requête en renvoi pour cause de suspicion légitime ;
Attendu qu'en application de l'article 615 du code de procédure civile local, une telle requête n'a pas par elle-même d'effet suspensif et qu'il appartient à la juridiction concernée d'apprécier s'il y a lieu de surseoir ;
Attendu que le procédé consistant à provoquer une mesure de séquestre pour paralyser ensuite les voies normales de recours est contraire aux droits de la défense et ne saurait donc être admis que dans des circonstances exceptionnelles ;
Attendu, d'une part, que la requête en renvoi se borne à énoncer des griefs abstraits et vagues et ne vise plus concrètement que trois magistrats qui ne font pas (M. D.) ou plus (M. A. et M. J.) partie de cette juridiction d'appel ; d'autre part que l'exécution pratique de la décision entreprise concerne seulement les loyers d'un terrain, non sa propriété ; que dans ces circonstances le péril n'est pas tel qu'il soit nécessaire de surseoir (...) »
18.  Sans attendre l'issue de la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime (paragraphes 11 à 13 ci-dessus), les requérants formèrent un pourvoi et déposèrent un mémoire ampliatif, le 20 juillet 1990. Le dossier fut attribué à la première chambre civile.
19.  Le 23 avril 1991, alors que le délai pour remettre un mémoire avait expiré le 7 septembre 1990 (paragraphe 22 ci-dessous), les consorts Higgins soumirent des observations et conclusions de non-lieu à statuer en produisant à leur appui l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 22 mars 1990 et la requête en rectification d'erreur matérielle. Relevant que cette dernière était pendante devant la deuxième chambre civile, ils concluaient devant la première chambre civile :
« Si cette requête [en rectification d'erreur matérielle] est accueillie, il en résultera que la deuxième chambre civile sera réputée, à la date du 22 mars 1990, avoir fait droit à la requête en dessaisissement des exposants pour cause de suspicion légitime.
Dans ces conditions, l'arrêt rendu dans cette affaire par la cour d'appel de Papeete le 7 décembre 1989 devra être réputé nul et non avenu. Cet arrêt est intervenu après la requête en suspicion légitime déposée par les exposants et avant que cette requête soit jugée par la deuxième chambre civile. L'arrêt de la deuxième chambre civile ne peut avoir qu'un effet déclaratif et constater qu'il était impossible pour la cour d'appel de Papeete de connaître de l'affaire. En conséquence, l'arrêt présentement attaqué doit être considéré comme ayant perdu tout fondement légal par l'intervention de l'arrêt du 22 mars 1990, tel qu'il sera rectifié par la deuxième chambre civile, et dessaisissant la cour d'appel de Papeete, et sa nullité doit être, en conséquence, constatée par la première chambre civile. »
20.  Le même jour, l'avocat des requérants adressa une lettre à l'avocat général chargé du dossier pour rappeler les procédures auxquelles l'affaire avait déjà donné lieu devant les première et deuxième chambres civiles de la Cour de cassation. Il attira son attention sur l'arrêt du 22 mars 1990 ainsi que sur l'action en rectification d'erreur matérielle pendante devant la deuxième chambre civile. Il lui suggéra de se rapprocher des avocats généraux chargés des autres dossiers.
21.  La première chambre civile tint une audience le 5 novembre 1991. Par un arrêt du 17 décembre 1991, après avoir statué sur les deux moyens tenant à un prétendu défaut de base légale, elle repoussa le pourvoi formé au fond contre l'arrêt du 7 décembre 1989, sans faire allusion à l'arrêt du 22 mars 1990.
II.      Le droit interne pertinent
A. La procédure en cassation avec représentation obligatoire
22.  Deux dispositions du nouveau code de procédure civile entrent en ligne de compte :
Article 978 § 1
« A peine de déchéance, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de cinq mois à compter du pourvoi, remettre au secrétariat-greffe de la Cour de cassation et signifier au défendeur un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée. »
Article 1023 § 1
« Les délais prévus aux articles 978 et 989 sont augmentés :
– d'un mois si le demandeur demeure (...) dans un territoire d'outre-mer (...) »
B.  La récusation et le renvoi
1. La récusation
23.  Selon l'article 341 du nouveau code de procédure civile,
« La récusation d'un juge n'est admise que pour les causes déterminées par la loi.
(...) Sauf dispositions particulières à certaines juridictions, la récusation d'un juge peut être demandée :
1) si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ;
2) si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties ;
3) si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement ;
4) s'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;
5) s'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties ;
6) si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties ;
7) s'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;
8)      s'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties (...) »
2. Le renvoi
24.  Le renvoi obéit aux règles ci-après, qui figurent dans le nouveau code de procédure civile :
Article 356
« La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est assujettie aux mêmes conditions de recevabilité et de forme que la demande en récusation. »
Article 360
« Si la demande est justifiée, l'affaire est renvoyée soit à une autre formation de la juridiction primitivement saisie, soit à une autre juridiction de même nature que celle-ci. La décision s'impose aux parties et au juge de renvoi. Elle n'est susceptible d'aucun recours. »
Article 361
« L'instance n'est pas suspendue devant la juridiction dont le dessaisissement est demandé. Le président de la juridiction saisie de la demande de renvoi peut toutefois ordonner suivant les circonstances, que la juridiction soupçonnée de partialité surseoira à statuer jusqu'au jugement sur le renvoi. »
3. La requête en rectification d'erreur matérielle
25.  Aux termes de l'article 462 du nouveau code de procédure civile,
« Les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu (...) selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.
Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d'office.
Le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées.
La décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement.
Si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation. »
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
26.  Les requérants ont saisi la Commission le 1er juin 1992. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, ils se plaignaient du défaut d'impartialité de la cour d'appel de Papeete dans le cadre de la procédure contre la BBC et du caractère inéquitable de la procédure devant la Cour de cassation, laquelle aurait pérennisé la violation commise par la cour d'appel de Papeete en n'annulant pas l'arrêt du 7 décembre 1989.
27.  La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 20124/92) le 29 novembre 1995. Dans son rapport du 4 septembre 1996 (article 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt4.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
28.  Dans son mémoire, le Gouvernement conclut au rejet de la requête déposée par les consorts Higgins.
29.  De son côté, ces derniers demandent à la Cour de :
«  Constater que les requérants, et en particulier Mme Denise Higgins-Brown Petersen, sont victimes d'une violation de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, en ce que leur cause a été jugée par une juridiction dont le dessaisissement a été admis pour cause de suspicion légitime, mais non ordonné, la Cour de cassation, bien qu'ayant reconnu la légitimité de la suspicion des requérants, ayant à plusieurs reprises refusé d'en tenir compte.
Condamner en conséquence l'Etat français à rétablir entre les mains des requérants, au titre de la satisfaction équitable qu'ils sont en droit d'obtenir, la contre-valeur de l'immeuble objet du litige, et des revenus perdus du fait de l'infirmation du jugement par une juridiction frappée de suspicion légitime, à tout le moins à titre de perte de chance, une somme tout à fait voisine de ces bases. »
En droit
I.      sur les violations alléguées de l’article 6 § 1 DE LA cONVENTION
30.  Les requérants affirment que la cour d’appel de Papeete, lorsqu’elle a rendu l’arrêt du 7 décembre 1989, ne constituait pas un tribunal impartial dans la mesure où la deuxième chambre civile de la Cour de cassation aurait reconnu, par son arrêt du 22 mars 1990, qu’ils pouvaient légitimement avoir des doutes sur son impartialité. Ils font en outre grief à la première chambre civile de la Cour de cassation de n’avoir pas annulé l’arrêt du 7 décembre 1989, même d’office comme le commandait l’ordre public, et à la deuxième chambre civile de n’avoir pas voulu rectifier une erreur qu’elle avait elle-même commise, pérennisant ainsi la violation de la Convention intervenue au stade de l'appel. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) impartial (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
31.  La Commission estime qu’il y a eu violation de cette disposition. Le Gouvernement plaide le contraire.
A.      Sur les exceptions préliminaires du Gouvernement
32.  Le Gouvernement soulève, comme déjà devant la Commission, deux exceptions d’irrecevabilité tirées de l’article 26 de la Convention, aux termes duquel :
« La Commission ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus et dans le délai de six mois, à partir de la date de la décision interne définitive. »
1. Sur la tardiveté de la requête
33.  Le Gouvernement arguë d’abord de la tardiveté de la requête. L’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 22 mars 1990 statuant sur les requêtes en suspicion légitime introduites par les requérants constituerait, au sens de l’article 26 in fine, la « décision interne définitive ». A supposer même que l’arrêt du 23 octobre 1991 de la même juridiction rejetant la requête en rectification d’erreur matérielle puisse être considéré comme la dernière décision statuant sur la prétendue violation de l’article 6, il serait lui aussi antérieur de plus de six mois à l’introduction de la requête (paragraphe 26 ci-dessus). L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 ne pourrait être retenu pour le calcul du délai de six mois, car le pourvoi ne constituerait nullement la voie de droit susceptible de répondre au grief de partialité, mais l’exercice normal d’une voie de recours contre une éventuelle appréciation erronée des règles de droit aux faits de l’espèce.
34.  La Cour constate que le grief déduit du défaut d'impartialité porte sur l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 7 décembre 1989, qui a fait l’objet de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1991. Dans ces conditions, la décision à prendre en considération pour le calcul du délai de six mois est ce dernier arrêt. Il y a donc lieu d’écarter l’exception de tardiveté.
2. Sur le non-épuisement des voies de recours internes
35.  En ordre subsidiaire, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes : les consorts Higgins, à l’occasion de leur pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 7 décembre 1989, n’auraient pas soumis le grief de partialité à l’appréciation de la première chambre civile de la Cour de cassation. Dans leur mémoire ampliatif du 20 juillet 1990, ils auraient formulé deux moyens de cassation de pur droit, tenant à un prétendu défaut de base légale. Par ailleurs, ils auraient adressé le 23 avril 1991 un mémoire à visée uniquement procédurale, invitant la première chambre civile à ne pas statuer dans l’attente de la décision de la deuxième chambre civile saisie de la requête en rectification d’erreur matérielle.
36.  Les requérants et la Commission combattent cette exception.
37.  La Cour constate que, pour faire remédier à leur grief, les requérants ont d’abord usé, le 1er juin 1989, de la voie de la requête en suspicion légitime, qui visait à dessaisir la cour d’appel de Papeete de la procédure contre la BBC pendante devant elle. Cette voie de recours s’est révélée efficace dans les deux autres procédures, objet d’une première requête en suspicion légitime, mais pas dans la procédure critiquée aujourd’hui devant la Cour. Estimant que l’omission par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation de la mention de la troisième procédure résultait d’une erreur, les requérants ont formé une requête en rectification d’erreur matérielle auprès de la même chambre, laquelle fut rejetée le 23 octobre 1991, quelques jours avant l’audience du 5 novembre 1991 devant la première chambre civile relative au pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 7 décembre 1989. Les requérants avaient entre-temps déposé le 23 avril 1991 devant la première chambre civile des conclusions de non-lieu à statuer et attiré l’attention de l’avocat général chargé du dossier sur les autres procédures auxquelles l’affaire avait donné lieu devant les première et deuxième chambres civiles.
38.  Vu l’imbrication de ces différentes procédures, la Cour estime que la question de l’épuisement des voies de recours internes doit être examinée eu égard à l’ensemble de celles-ci. Certes, les moyens présentés dans le mémoire ampliatif du 20 juillet 1990 à l’appui du pourvoi contre l’arrêt du 7 décembre 1989 n’invoquaient pas l’article 6 § 1 de la Convention, ni un défaut d’impartialité. Néanmoins, les requérants ont attiré l’attention sur la question soumise aux organes de la Convention en déposant devant la première chambre de la Cour de cassation des conclusions de non-lieu à statuer (paragraphe 19 ci-dessus). De plus, dans le cadre de la procédure d’appel concernant l’action contre la BBC, ils ont également demandé en vain à la cour d’appel de Papeete de surseoir en raison du dépôt le 1er juin 1989 de leur requête en renvoi pour cause de suspicion légitime (paragraphes 11 et 17 ci-dessus). Par ailleurs, après le rejet par la deuxième chambre civile de la requête en rectification d’erreur matérielle, les requérants se trouvaient forclos pour soulever devant la première chambre civile un moyen de cassation fondé sur la violation de l’article 6, le délai pour le faire ayant expiré le 7 septembre 1990 (paragraphe 19 ci-dessus).
39.  En conclusion, les requérants ont donné aux juridictions françaises l’occasion que l’article 26 a pour finalité de ménager aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 19, § 36). Dès lors, il y a lieu de rejeter aussi l’exception de non-épuisement des voies de recours internes.
B.  Sur le bien-fondé des griefs
40.  D'après les consorts Higgins, la cour d'appel de Papeete, en statuant dans le cadre de la procédure contre la BBC, ne constituait pas une instance impartiale. En dépit du fait que la Cour de cassation, dans son arrêt du 22 mars 1990, aurait reconnu la légitimité des doutes des requérants sur l'impartialité de la juridiction en cause, elle serait toujours demeurée muette sur les circonstances et les conséquences à tirer de son arrêt quant à ladite procédure puisqu'elle n'en aurait pas ordonné le dépaysement. A l'occasion de la procédure en rectification d'erreur matérielle contre ledit arrêt et du pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete du 7 décembre 1989, elle n'aurait pas tenu compte du bien-fondé des soupçons des requérants à l'égard de la cour d'appel de Papeete.
41.  Le Gouvernement souligne que les requérants ne contestent pas l’impartialité subjective des magistrats de la cour d’appel de Papeete. Leurs appréhensions ne pourraient pas non plus passer pour objectivement justifiées. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation aurait porté une appréciation différenciée des divers éléments de chacune des trois procédures qui lui étaient soumises. Une telle analyse pourrait expliquer des solutions distinctes selon les instances en cours devant la cour d’appel de Papeete. Ainsi, il existerait un lien très net entre les deux procédures qui ont fait l’objet du renvoi : il s’agirait de procédures relatives à la validité du même testament et à la responsabilité éventuelle du notaire ayant reçu ce testament et réglé la succession. En revanche, la troisième procédure, qui n'a pas fait l’objet d’un renvoi, ne concernerait ni la validité du testament ni les opérations de règlement successoral mais aurait trait à un apport en société effectué en 1958, avant les décès des époux Brown-Petersen, survenus en 1961 et 1962 respectivement. En outre, la composition de la juridiction ne serait pas identique dans les trois procédures puisque la cour d'appel de Papeete, lors de l'audience du 23 novembre 1989 relative à la troisième procédure, comptait un magistrat qui n'avait pas connu des deux autres affaires. Ces dissemblances entre les instances expliqueraient ainsi parfaitement le sort différent réservé audit dossier.
Par ailleurs, la deuxième chambre civile, en repoussant la requête en rectification d’erreur matérielle, n’aurait fait qu’appliquer le droit interne pertinent aux circonstances de la cause. De son côté, la première chambre civile n’aurait pu annuler d’office l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 7 décembre 1989, les conditions pour le faire n’étant pas réunies. D’une part, le caractère partial de la cour d’appel n’aurait pas été définitivement établi. D’autre part, la première chambre civile n’aurait pas délibérément renoncé à examiner le moyen de cassation tenant à la violation de la Convention. Elle n’aurait disposé, dans la seule procédure déférée à sa censure, d’aucune raison pertinente et d’aucun motif efficient de soulever d’office un moyen d’annulation puisque les consorts Higgins se seraient bornés à solliciter un sursis à statuer et à soulever deux moyens de pur droit. En réalité, les requérants chercheraient à critiquer les décisions de la Cour de cassation en alléguant qu’elles découlent d’une mauvaise appréciation de la cause, et demanderaient à la Cour européenne de se comporter en juridiction d’appel.
42.  La Cour doit examiner le grief des requérants relatif à la manière dont la Cour de cassation a statué sur leurs doléances tenant au manque d'impartialité de la cour d'appel de Papeete dans le cadre de la procédure contre la BBC, et plus particulièrement son omission de motiver sa décision sur ce point.
Elle rappelle que l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais qu’il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, série A n° 288, p. 20, § 61). L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (arrêts Ruiz Torija et Hiro Balani c. Espagne du 9 décembre 1994, série A n° 303-A et -B, p. 12, § 29, et pp. 29–30, § 27).
43.  Les 25 mai et 1er juin 1989, les intéressés ont formé devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation deux requêtes aux fins de dessaisissement pour cause de suspicion légitime de la cour d’appel de Papeete (paragraphe 11 ci-dessus). La première concernait deux procédures, l'une en délivrance de legs et l'autre de requête civile ; la seconde, qui se référait à la première, concernait la présente procédure relative à l’apport en société, seule ici en cause (paragraphe 9 ci-dessus). Les deux requêtes formulaient des motifs de suspicion similaires (paragraphe 12 ci-dessus).
Dans son arrêt du 22 mars 1990, la deuxième chambre civile a reconnu le caractère suspect de l’impartialité de la cour d’appel de Papeete. Après avoir joint les deux requêtes dont elle était saisie et les avoir déclarées recevables, elle n’a ordonné le renvoi devant la cour d’appel de Paris au titre du dépaysement que des procédures en délivrance de legs et de requête civile en tierce opposition, sans évoquer dans son dispositif la troisième, pourtant visée explicitement au début de l’arrêt (paragraphe 13 ci-dessus).
Or cette dernière procédure était étroitement liée aux deux autres puisqu’elle faisait partie d’un contentieux successoral complexe concernant pratiquement un même groupe de personnes et un même ensemble de biens (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Par ailleurs, la composition de la juridiction d’appel était très semblable puisqu’à l’exception d’un seul conseiller dans l'instance contre la BBC, c’est la même formation de jugement qui a connu des trois affaires (paragraphe 41 ci-dessus).
L’arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 1990 ne fournit aucune indication de nature à éclairer la Cour sur le sort différent accordé à la procédure contre la BBC. Ni la procédure en rectification d’erreur matérielle ni celle en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel du 7 décembre 1989 n’ont fourni aux requérants une réponse explicite et spécifique sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 22 mars 1990. Faute de cette dernière, il est impossible de savoir si la Cour de cassation a simplement négligé d’évoquer la troisième affaire ou bien n'a pas voulu en ordonner le renvoi et, dans cette dernière hypothèse, pour quelles raisons.
Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1.
II. Sur l’application de l’article 50 DE LA CONVENTION
44.  Aux termes de l’article 50 de la Convention
« Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
A.      Dommage matériel
45.  D’après les requérants, la violation de la Convention s’est traduite par le fait que l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 7 décembre 1989, qui aurait dû être annulé, a reçu autorité de chose jugée. Or cet arrêt et celui de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 repoussant le pourvoi ont dépossédé Mme Denise Higgins-Brown Petersen. En conséquence, les consorts Higgins sollicitent la somme de 109 450 000 francs français (FRF) représentant la valeur en capital du « bloc Vaima », objet du litige, augmentée des revenus produits par cet ensemble immobilier actualisés au 20 janvier 1997, date à laquelle est payable annuellement le loyer.
46.  Le Gouvernement relève qu’il est impossible de préjuger de la solution qu’aurait adoptée la juridiction de renvoi si la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait accepté le dessaisissement de la cour d’appel de Papeete dans le troisième dossier.
47.   Le délégué de la Commission ne se prononce pas.
48.  La Cour ne peut spéculer sur le point de savoir quelle eût pu être l’issue de la procédure interne si les exigences de l’article 6 avaient été respectées. Aucun lien de causalité ne se trouvant établi entre la violation de la Convention relevée en l’espèce et le préjudice matériel allégué, il échet d’écarter les prétentions formulées à ce sujet.
B.       Autre demande
49.  Les requérants demandent à la Cour de décerner acte à Mme Denise Higgins-Brown Petersen de son accord pour respecter les conventions privées passées entre parties, notamment la transaction du 8 décembre 1988 et les autres accords de partage successoral.
50.  La Cour constate que la Convention ne lui donne aucune compétence pour prendre la mesure souhaitée par les intéressés (arrêt Vacher c. France du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2150, § 36).
C.      Frais et dépens
51.  Les consorts Higgins réclament 360 317 FRF au titre des frais exposés pour leur défense dans le cadre des procédures internes et 30 000 FRF pour leur représentation et défense devant la Cour.
52.  Pour le Gouvernement, cette dernière somme ne semble pas déraisonnable. En revanche, la première, qui ne serait aucunement justifiée par ailleurs, serait excessive.
53.  Quant au délégué de la Commission, il n'exprime pas d'opinion.
54.  La Cour relève, en ce qui concerne les frais exposés dans la procédure interne, que seuls doivent entrer en ligne de compte ceux qui ont trait aux griefs formulés par la suite devant les organes de la Convention. Elle juge acceptable le montant sollicité pour l'instance devant elle. Statuant en équité sur la base des éléments en sa possession et de sa propre jurisprudence, elle alloue une somme globale de 75 000 FRF.
D.      Intérêts moratoires
55.  D’après les renseignements dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal en France à la date d’adoption de l’arrêt est de 3,87 % l’an.
Par ces motifs, la COUr
1.      Rejette, à l'unanimité, les exceptions préliminaires du Gouvernement ;
2. Dit, par huit voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit, à l'unanimité,
a)      que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, 75 000 (soixante-quinze mille) francs français pour frais et dépens ;
b)      que ce montant est à majorer d'un intérêt non capitalisable de 3,87 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
4. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 19 février 1998.
Signé : Rudolf Bernhardt
Président
Signé : Herbert Petzold
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 53 § 2 du règlement A, l’exposé de l’opinion dissidente de M. Pettiti.
Paraphé : R. B.  Paraphé : H. P.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PETTITI
J'ai voté pour la non-violation de l'article 6 de la Convention européenne considérant que la chambre a fait une interprétation inexacte de la procédure suivie par la Cour de cassation et de sa compatibilité avec les exigences de l'article 6. J'ai voté avec mes collègues pour le rejet des exceptions préliminaires.
La Cour avait à statuer sur l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 22 mars 1990. Le seul motif pour lequel elle retient la violation est inscrit au paragraphe 43 de l'arrêt :
« L’arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 1990 ne fournit aucune indication de nature à éclairer la Cour sur le sort différent accordé à la procédure contre la BBC. Ni la procédure en rectification d’erreur matérielle ni celle en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel du 7 décembre 1989 n’ont fourni aux requérants une réponse explicite et spécifique sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 22 mars 1990. Faute de cette dernière, il est impossible de savoir si la Cour de cassation a simplement négligé d’évoquer la troisième affaire ou bien n’a pas voulu en ordonner le renvoi et, dans cette dernière hypothèse, pour quelles raisons.
Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1. »
L'arrêt ne porte donc pas sur le critère de l'impartialité de la juridiction mais sur « l'omission » d'évoquer la troisième affaire ou le défaut de motivation à ce sujet. Il faut donc se reporter aux griefs invoqués par les requérants.
Dans la requête d'origine, ceux-ci en quelques mots se plaignaient des décisions rendues au fond qui portaient atteinte aux droits qu'ils revendiquaient comme cohéritiers sans viser de griefs précis.
A la demande de la Commission, le conseil des requérants précisait dans une lettre du 7 avril 1993 :
« Ainsi, puis-je avec conviction et au soutien des intérêts de mes clients, souligner que la violation de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme apparaît évidente, comme le déploiement d'ailleurs onéreux de toutes démarches, qu'il leur est apparu normal et possible de mettre en œuvre, devant les juridictions françaises pour en juguler ou limiter les effets.
Il faut en effet garder à l'esprit que si l'Etat français dans le principe exerce la justice sur plusieurs archipels polynésiens, et ceci aux termes du statut d'autonomie interne de Polynésie française, il doit garantir au justiciable qui en est tributaire non seulement l'impartialité de ses juges, mais encore la faculté de pouvoir recevoir dans de bonnes conditions de délais, la notification des actes et décisions de justice et la possibilité matérielle d'exercer ses droits et recours.
Enfin, je crois difficile de ne pas constater que la Cour de cassation a réellement voulu ne pas annuler l’arrêt, puisque derechef et par arrêt de la première chambre civile, et cette fois sur le pourvoi contre l'arrêt de Papeete du 7 décembre 1989 de Charles Wimer, elle est demeurée muette sur cette violation de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. »
La Commission a déclaré recevables les griefs des requérants selon lesquels leur cause n'aurait pas été entendue équitablement par un tribunal impartial.
La Commission, dans son rapport, émet l'avis que la cause des requérants n'a pas été entendue équitablement par un tribunal impartial, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
Devant la Cour, le débat se trouvait donc circonscrit à l’arrêt du 22 mars 1990 de la Cour de cassation. L’argumentation des requérants relative à l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 n’était ni recevable ni fondée, au surplus le grief de partialité n’avait pas été invoqué dans le mémoire déposé devant la première chambre. Toute référence à l'arrêt de cette dernière n'apportait pas de motif à un vote pour la violation.
Au cœur de la requête et de l’avis de la Commission était essentiellement placé le doute sur l’impartialité de la cour d’appel de Papeete par rapport à chaque procédure dont elle était saisie.
Or, au sens de l’article 6, l’impartialité doit être analysée au cas par cas, pour une juridiction déterminée, en fonction de la nature de l’affaire, des parties en cause et de la composition de la juridiction.
La troisième affaire BBC n’était pas de même nature que les deux premières et ne concernait pas à l’identique les mêmes parties. Les membres de la cour d’appel statuant sur BBC n’avaient fait l’objet d’aucune récusation ni individuelle ni collective.
Les noms des magistrats cités comme suspects de partialité dans les premières écritures des requérants étaient deux membres du parquet et un auxiliaire de justice n’ayant pas composé la juridiction.
La majorité de la Cour a mis sur le même plan les trois procédures, alors que la troisième avait eu un cheminement très différent et n’avait pas les mêmes conséquences.
En effet, la demande en annulation pour fraude de l’apport d’un ensemble immobilier BBC (introduite après l’action en délivrance de legs) avait donné lieu à un jugement du 16 décembre 1988 admettant le principe, mais avec sursis à statuer jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel à intervenir sur la délivrance de legs. La cour d'appel, le 7 décembre 1989, avait infirmé le jugement, refusant de surseoir à statuer sur la requête en suspicion du 1er juin 1989. Le pourvoi contre cet arrêt fut porté devant la première chambre civile de la Cour de cassation dont l’arrêt n’est pas en cause dans la décision de la Cour européenne.
La portée du jugement du 16 décembre 1988 sur le principe de la demande en nullité concerne l’apport en société du bien immobilier et non la nullité des testaments et legs. Il est à noter que dans son arrêt du 7 décembre 1989, la cour de Papeete avait répondu à l’argument de suspicion dans les termes suivants :
« Attendu, d’une part, que la requête en renvoi se borne à énoncer des griefs abstraits et vagues et ne vise plus concrètement que trois magistrats qui ne font pas (M. D.) ou plus (M. A. et M. J.) partie de cette juridiction d’appel ; d’autre part que l’exécution pratique de la décision entreprise concerne seulement les loyers d’un terrain, non sa propriété ; que dans ces circonstances le péril n’est pas tel qu’il soit nécessaire de surseoir (…) »
Le pourvoi formé contre cet arrêt n’était pas, dans le mémoire, basé sur la contestation de cette motivation.
La requête en suspicion légitime du 25 mai 1989 portait sur deux procédures pendantes devant la cour d'appel de Papeete et fixées au 25 mai 1989 : délivrance de legs et requête civile en tierce opposition. Le dépaysement ou dessaisissement de juridiction pouvait intervenir avant décision au fond pour ces deux procédures. Même si la cour d'appel de Papeete passait outre, la Cour de cassation saisie avant l’arrêt sur le fond pouvait tirer les conséquences de cette requête et décider un renvoi devant une autre cour. La requête en suspicion légitime du 1er juin 1989 visait la procédure BBC. Le 7 décembre 1989, la cour d'appel de Papeete a statué au  
fond dans cette affaire après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer en attendant l'issue de la requête du 1er juin 1989. Le dispositif de la requête en suspicion légitime du 25 mai 1989 devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation était ainsi rédigé :
« Par ces motifs, et tous autres à produire, déduire ou suppléer, les exposants concluent à ce qu’il plaise à la Cour de cassation :
– Renvoyer devant une autre cour d’appel les procédures actuellement pendantes devant la cour de Papeete et opposant Monsieur Higgins à Maître L. »
Le dispositif de la requête du 1er juin 1989 concluait à ce qu'il plaise à la Cour de cassation de :
– « Renvoyer devant une autre cour d'appel la procédure actuellement pendante devant la cour de Papeete et opposant les consorts Higgins à la société Brown Building Corporation. »
Sur la chronologie et sur le fond des litiges
Mme Mary Higgins, épouse Brown-Petersen, décédée le 22 février 1961, avait, par testament de 1955, institué des legs, d’où l’action en délivrance de legs des époux Higgins en 1984.
M. John Charles Brown-Petersen, décédé le 13 mars 1962, avait souscrit divers testaments en 1955 et 1961, d’où une action en annulation en 1962 par des cohéritiers, dont ils ont été déboutés par arrêt du 10 septembre 1964. Le pourvoi a été rejeté en 1967.
En 1983, ils ont formé contre l’arrêt de 1964 une action en requête civile et tierce opposition arguant du dol.
M. Brown-Petersen avait, le 20 novembre 1958, fait apport d’un bien immobilier à la société BBC. Cet apport fut contesté par les consorts Higgins venant aux droits des héritiers ou légataires, d’où le jugement du 16 décembre 1988. Il résultait de cette chronologie que l’apport était antérieur au décès de Mme Mary Higgins, dont la succession a fait l’objet en 1984 d'une procédure en délivrance de legs antérieure à l'action en annulation des testaments de 1961, action dont les demandeurs avaient été déboutés par décision devenue définitive en 1967. La pluralité de testaments et des contestations étaient au cœur des procès. En raison de la complexité et de l’enchevêtrement des procédures, rappelons pour mémoire :
1.  Sur l’action en délivrance de legs
Sur l’arrêt de la cour d'appel de Papeete du 29 juin 1989, la première chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt du 16 juillet 1991 (n° 747), dit qu’il n’y a pas lieu à statuer puisque la Cour de cassation, le 22 mars 1990, avait renvoyé l’affaire devant la cour d'appel de Paris.
2.  Sur la requête civile en tierce opposition
Sur l’arrêt de la cour d'appel de Papeete du 29 juin 1989 qui avait statué au fond et refusé le sursis, la première chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt du 16 juillet 1991 (n° 1229), a dit qu’il n’y avait pas lieu à statuer pour les mêmes motifs.
Ces deux arrêts de la première chambre concernaient les deux premières procédures.
3.  Sur la requête en suspicion légitime
La deuxième chambre de la Cour de cassation, par arrêt (n° 1017) rendu en date du 23 octobre 1991, avait rejeté la requête en rectification d'erreur matérielle de l’arrêt du 22 mars 1990. La deuxième chambre de la Cour de cassation, le 22 mars 1990, (arrêt n° 505/D), avait renvoyé devant la cour d’appel de Paris les deux premières procédures (en raison du doute sur l’impartialité de la cour d'appel de Papeete dans les deux affaires (1 et 2 précitées)).
Certes, l’arrêt du 22 mars 1990, seul finalement en cause dans l’arrêt de la Cour européenne bien que les requêtes aient évoqué les trois affaires au titre du doute sur l’impartialité, n’a pas expressément mentionné dans son dispositif le point de droit concernant la troisième affaire BBC mais, dans ses motifs, la Cour de cassation dit que pour les deux premières procédures les consorts Higgins peuvent éprouver un doute sur l’impartialité de la juridiction chargée de leurs procès.
Implicitement, la deuxième chambre ne juge pas qu’il y ait un semblable doute sur la troisième affaire BBC (sur laquelle la première chambre de la Cour de cassation devait être appelée à statuer par arrêt du 17 décembre 1991, rejetant le pourvoi qui ne visait pas dans le mémoire l’argument de partialité). Il y avait une nette différence de procédures, lesquelles se plaçaient à des stades différents au regard d'un éventuel dépaysement pour les deux premières et d'une éventuelle nullité ou inopposabilité pour la troisième. Le contentieux était différent et non indissolublement lié (contra  
paragraphe 43) puisque l'affaire BBC portait sur la composition de l'actif successoral en cas de nullité d'apport, et non sur la contestation des legs.
On peut comprendre ce non-dit quand on se reporte à la chronologie des faits et des procédures dont plusieurs ont été suivies de transactions successives.
En tout cas, le non-dit n’est pas en soi contraire à l’article 6.
La Cour européenne ne peut se substituer à la juridiction nationale de cassation quand celle-ci apprécie les faits et ne se trouve pas en opposition avec les exigences de l’article 6.
Au surplus, le doute sur l’impartialité reposait dans ces affaires sur l’apparence et la subjectivité. Il n’est pas le même pour toutes les parties d’une procédure à l’autre, d’une juridiction à l’autre. Or, la procédure BBC en cassation ne comportait pas des parties identiques au stade de la cour d’appel et au stade de la Cour de cassation par rapport aux deux premières procédures ; elle pouvait donc être distinguée et différenciée.
Même si l’on interprétait le non-dit comme un défaut de motivation, celui retenu par la Cour européenne ne me paraît pas d’une importance suffisante au regard des arrêts rendus en la matière par la Cour européenne qui s’est montrée généralement très prudente en matière de défaut de motivation. A mon sens, la Cour devait soit motiver sa décision sur le constat de partialité dans la troisième procédure (mais ceci ne résulte pas des dossiers et documents), soit aboutir à une décision de non-violation tout en gardant peut-être un regard critique intellectuel sur la décision du 22 mars 1990.
Très peu d’Etats membres disposent, dans leur organisation judiciaire, de mécanismes de dépaysement et de nullité d’arrêts dans les cas de suspicion concernant l’impartialité de la juridiction. Le système français est donc, dans son mécanisme, très protecteur.
L’analyse en droit comparé aurait peut-être permis d'observer qu’aucune juridiction suprême ou de cassation dans aucun Etat membre n’aurait prononcé de nullité d’arrêt de cour d’appel en semblables circonstances alors que, comme dans le cas Higgins,
– il n'y a pas eu de demande de récusation individuelle ou collective ;
– il n'y a pas eu identification des motifs de suspicion concernant les juges qui ont siégé et jugé (les reproches visaient le procureur, le  notaire ou d'autres magistrats) ;
– il ne peut y avoir d'extrapolation d'une suspicion portant sur une procédure particulière
. à toutes les procédures similaires ou connexes, surtout si la nature, l'objet de celles-ci sont différents, surtout si les parties en cause ne sont pas les mêmes ; ou
. à tous les arrêts rendus par une cour d'appel car la conséquence serait la suppression d'une juridiction d'appel régionale (du type Polynésie française, Nouvelle-Calédonie).
Or, ceci est un problème de gouvernement de Cour constitutionnelle et non d'une Cour de cassation, et encore moins de la Cour européenne.
Au stade de la Cour de cassation
La répartition par chambres pour une Cour suprême ou une Cour de cassation est permise par l'article 6. Il en découle qu'une chambre ne peut empiéter sur l'autre.
L'article 6 n'exige pas un mécanisme qui contraindrait la Cour de cassation à statuer d'office ou obligatoirement toutes chambres réunies pour évoquer un problème de suspicion.
Dans le cas Higgins, une chambre de cassation n'étant pas saisie de moyens de cassation sur nullité pour partialité ne pouvait statuer ultra petita car ceci aurait été irrégulier.
Tel quel, l'arrêt ne peut avoir de portée, sauf au titre de l'article 50, car la procédure de la Cour de cassation ne constitue pas un manquement à l'article 6 qui appellerait une modification législative ou jurisprudentielle, ni une intervention de l'Etat en exécution de l'arrêt, ce qui conduit à une impasse juridictionnelle. Au surplus, au stade actuel de poursuite des procédures et transactions et des derniers pourvois en cassation, il est impossible d'apprécier en quoi le non-dit de l'arrêt du 22 mars 1990 aurait un retentissement sur les droits des requérants trente-six ans après les premiers faits, une cascade de testaments et de successions (dispositions de 1955 rétractées en 1960, modifiées en 1961) et l'ignorance actuelle de ce qui devrait être la liquidation-partage successorale définitive après que le dol successoral eut été écarté par décisions ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La juridiction avait alors considéré qu'il n'y avait pas la preuve de ce que M. Brown-Petersen aurait été animé par l'intention d'avantager les Ah Minh au détriment de son épouse.
En tout cas, une affaire telle celle du cas Higgins souligne la controverse sur la méthode qui consiste à utiliser trop largement l'article 6 dans sa rédaction floue d'origine et son ambiguïté sur le concept d'équité de type anglo-saxon quand les Etats et les juges sont confrontés aux systèmes de droit continental civil et aux procédures sophistiquées de cassation de type français ou belge ne comportant pas, au surplus, de mécanismes d'autorisation de pourvois, admis par d'autres législations et par la Convention.
La dernière série des arrêts rendus par la Cour européenne avant de laisser place à la nouvelle Cour suscite des interrogations sur l'importance quantitative et qualitative accordée à l'article 6 dans la jurisprudence européenne nonobstant le risque pour la Cour de se comporter en quatrième juridiction. Certes, elle est inspirée du juste principe suivant lequel la règle procédurale est la meilleure des garanties du respect des droits. Mais la facilité de constats de violations en ce domaine en étendant la doctrine de l'apparence a peut-être trop orienté des choix dans les saisines, au détriment peut-être d'examens de cas de violations potentielles portant sur le noyau dur et la hiérarchie des droits fondamentaux.
1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
2.  L'affaire porte le n° 134/1996/753/952. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.  Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
4.  Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT HIGGINS ET AUTRES DU 19 FéVRIER 1998
ARRÊT HIGGINS ET AUTRES DU 19 FéVRIER 1998
ARRÊT HIGGINS ET AUTRES – OPINION DISSIDENTE
DE M. LE JUGE PETTITI
ARRÊT HIGGINS ET AUTRES


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 20124/92
Date de la décision : 19/02/1998
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Exception préliminaire rejetée (tardiveté) ; Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Dommage matériel - demande rejetée ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES


Parties
Demandeurs : HIGGINS ET AUTRES
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-02-19;20124.92 ?
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