La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/09/1998 | CEDH | N°24838/94

CEDH | AFFAIRE STEEL ET AUTRES c. ROYAUME-UNI


AFFAIRE STEEL ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(67/1997/851/1058)
ARRÊT
STRASBOURG
23 septembre 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
Liste des agents de vente
Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
  B-1000 Bru

xelles)
Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
  (place de ...

AFFAIRE STEEL ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(67/1997/851/1058)
ARRÊT
STRASBOURG
23 septembre 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
Liste des agents de vente
Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
  B-1000 Bruxelles)
Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
  (place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)
Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
  A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC La Haye) 
SOMMAIRE1
Arrêt rendu par une chambre
Royaume-Uni – arrestation et détention de manifestants pour atteinte à l’ordre public – détention après refus de se soumettre à une sommation (loi de 1980 sur les Magistrates’ Courts, article 115)
I. OBJET DU LITIGE
Griefs tirés des articles 5 § 3, 6 § 2, 6 § 3 b) et c) et 13 de la Convention non maintenus – celui tiré de l’article 11 ne soulève pas de question distincte.
Conclusion : non-lieu à examiner les griefs (unanimité).
II. ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
A. Arrestation et phase initiale de détention de chaque requérant
Atteinte à l’ordre public constitue une « infraction » au regard de l’article 5 § 1 c).
Les expressions « régulière » et « selon les voies légales » prescrivent le plein respect du droit interne, la conformité au but de l’article 5 et que le droit national soit assez précis pour permettre au citoyen de prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences de ses actes – notion d’atteinte à l’ordre public et dispositions légales pertinentes formulées avec assez de précision pour satisfaire à cette exigence.
Les tribunaux nationaux qui ont connu des cas des première et deuxième requérantes avaient la conviction que chacune d’elles avait causé ou était susceptible de causer une atteinte à l’ordre public – la Cour n’aperçoit aucune raison de marquer son désaccord – l’arrestation et la phase initiale de détention des première et deuxième requérantes se conciliaient avec le droit anglais.
La manifestation des troisième, quatrième et cinquième requérants était entièrement pacifique – la Cour n’a pas la conviction que la police ait été fondée à redouter une atteinte à l’ordre public – en l’absence d’une décision interne, la Cour estime que l’arrestation et la détention des troisième, quatrième et cinquième requérants ne se conciliaient pas avec le droit anglais.
Conclusion : non-violation en ce qui concerne l’arrestation et la phase initiale de détention de la première requérante (sept voix contre deux) ; non-violation en ce qui concerne l’arrestation et la phase initiale de détention de la deuxième requérante (unanimité) ; violation dans le cas des troisième, quatrième et cinquième requérants (unanimité).
B. Détention des première et deuxième requérantes après leur refus de se soumettre à la sommation
Détention pour refus de se soumettre à la sommation relève de l’article 5 § 1 b) – droit interne énoncé avec assez de précision – vu le contexte, les sommations étaient suffisamment claires.
Conclusion : non-violation (huit voix contre une).
III. ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION
Non applicable dans le cas des première et deuxième requérantes puisque non-violation de l’article 5 § 1.
Les troisième, quatrième et cinquième requérants auraient pu intenter une action en dommages-intérêts contre la police.
Conclusion : non-violation (unanimité).
IV. ARTICLE 6 § 3 a) DE LA CONVENTION
Les actes d’inculpation fournissaient assez de détails aux première et deuxième requérantes.
Conclusion : non-violation (unanimité).
V. ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
A. Ingérence
Les manifestations, dont celles des première et deuxième requérantes qui ont physiquement empêché les activités qu’elles réprouvaient, constituaient l’expression d’opinions au sens de l’article 10 – mesures dénoncées s’analysaient donc en des ingérences dans les droits garantis par l’article 10.
B. « Prévue par la loi »
Cette condition est analogue à celle de l’article 5 § 1 qui veut que les mesures soient « régulières » – vu les constats de la Cour sur le terrain de l’article 5 § 1, les mesures prises contre les première et deuxième requérantes étaient prévues par la loi, contrairement à celles dirigées contre les troisième, quatrième et cinquième requérants.
C. But légitime
L’arrestation et la phase initiale de détention de chacun des requérants poursuivaient les buts de défendre l’ordre et de protéger les droits d’autrui.
La détention des première et deuxième requérantes pour refus de se soumettre à la sommation tendait en outre à garantir l’autorité du pouvoir judiciaire.
D. « Nécessaire dans une société démocratique »
Compte tenu des risques de troubles inhérents aux actes de protestation des première et deuxième requérantes, en arrêtant et détenant celles-ci avant de les traduire devant un tribunal, la police n’a pas agi de manière disproportionnée – la détention après le refus des intéressées de se soumettre aux sommations, vu l’importance de la dissuasion et de la garantie du pouvoir judiciaire, n’était pas non plus disproportionnée.
Les mesures prises contre les troisième, quatrième et cinquième requérants étaient disproportionnées puisque la manifestation de ceux-ci était totalement pacifique.
Conclusion : non-violation en ce qui concerne la première requérante (cinq voix contre quatre) ; non-violation en ce qui concerne la deuxième requérante (unanimité) ; violation en ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérants (unanimité).
VI.  ARTICLE 50 DE LA CONVENTION
A. Dommage moral : octroi d’une réparation aux troisième, quatrième et cinquième requérants.
B. Frais et dépens : octroi d’un remboursement en équité aux troisième, quatrième et cinquième requérants.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser certaines sommes aux troisième, quatrième et cinquième requérants (unanimité).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
26.4.1979, Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1) ; 24.3.1988, Olsson c. Suède (n° 1) ; 19.12.1989, Brozicek c. Italie ; 29.10.1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande ; 25.8.1993, Chorherr c. Autriche ; 22.11.1995, S.W. c. Royaume-Uni ; 10.6.1996, Benham c. Royaume-Uni ; 23.4.1997, Stallinger et Kuso c. Autriche ; 25.6.1997, Halford c. Royaume-Uni ; 24.2.1998, Larissis et autres c. Grèce ; 9.6.1998, Incal c. Turquie
En l’affaire Steel et autres c. Royaume-Uni2,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A3, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Bernhardt, président,    Thór Vilhjálmsson,    F. Gölcüklü,    N. Valticos,   Mme E. Palm,   Sir John Freeland,   MM. J. Makarczyk,    K. Jungwiert,    T. Pantiru,  ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 mai et 25 août 1998,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 juillet 1997, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 24838/94) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont cinq ressortissants de cet Etat, Mme Helen Steel, Mme Rebecca Lush, Mme Andrea Needham, M. David Polden et M. Christopher Cole, avaient saisi la Commission le 31 mai 1994 en vertu de l’article 25.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si   les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 5, 6, 10, 11 et 13 de la Convention.
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A, les requérants ont exprimé le désir de participer à l’instance et ont désigné leur conseil (article 30).
3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A) ; le 27 août 1997, en présence du greffier, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. F. Gölcüklü, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. J. Makarczyk, M. K. Jungwiert et M. T. Pantiru (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).
4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement britannique (« le Gouvernement »), le conseil des requérants et la déléguée de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et des requérants le 11 mars 1998.
5.  Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 18 mai 1998, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  MM. M. Eaton, ministère des Affaires étrangères     et du Commonwealth, agent,      R. Singh, Barrister-at-Law, conseil,      S. Bramley, ministère de l’Intérieur,  Mme   C. Stewart, ministère de l’Intérieur, conseillers ;
– pour la Commission  Mme J. Liddy, déléguée ;
– pour les requérants  MM. E. Fitzgerald QC, Barrister-at-Law,      K. Starmer, Barrister-at-Law,       M. Fords, Barrister-at-Law, conseils,      P. Leach, juriste, Liberty, solicitor.
La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Liddy, M. Fitzgerald et M. Singh.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La première requérante
6.  La première requérante, Mme Helen Steel, née en 1965, habite Londres.
7.  Le 22 août 1992, avec quelque soixante autres personnes, elle participa à une manifestation contre une chasse au lagopède d’Ecosse (grouse) sur la lande de Wheeldale (Yorkshire). Dans la matinée, les manifestants tentèrent d’obstruer le passage des chasseurs et de détourner leur attention. A midi, la partie de chasse s’interrompit pour le déjeuner et ne recommença pas avant l’arrivée de la police, vers 13 h 45. Un policier muni d’un porte-voix s’adressa aux manifestants, leur ordonnant de changer de comportement. Les manifestants refusèrent d’obtempérer et la police procéda à treize arrestations au total.
8.  Mme Steel fut arrêtée par un policier vers 14 heures pour « atteinte à l’ordre public » (breach of the peace) (paragraphes 25–29 ci-dessous). Selon la police, elle gênait délibérément le passage d’un participant à la chasse, en se plaçant devant lui dès qu’il levait son fusil pour viser, l’empêchant ainsi de tirer.
9.  Elle fut emmenée dans un véhicule de police où elle fut détenue jusqu’à 15 h 15, heure à laquelle elle fut transférée dans un fourgon pénitentiaire. Vers 19 h 15, elle fut emmenée au poste de police de Whitby. Après examen, son maintien en détention fut autorisé vers 23 heures « pour empêcher d’autres atteintes à l’ordre public » puis, à 6 h 25 le 23 août, « afin de la traduire devant le tribunal plus tard dans la matinée ». L’intéressée fut détenue au total quarante-quatre heures environ.
10.  A 0 h 56 le 23 août 1992, elle reçut un avertissement et fut inculpée. L’acte d’inculpation disait ceci :
« (…) vous avez le samedi 22 août 1992 à Wheeldale Beck dans la paroisse de Sefton adopté un comportement qui a occasionné une atteinte à l’ordre public. Plainte du fonctionnaire de police 676 Dougall de la police du North Yorkshire qui demande que vous soyez sommée de prendre l’engagement, avec ou sans caution, de respecter l’ordre public. Conformément à l’article 115 de la loi de 1980 sur les Magistrates’Courts [« la loi de 1980 » ; paragraphes 32–33 ci-dessous]. »
Le 24 août 1992 à 9 h 40, la requérante fut en outre inculpée de « comportement ou propos menaçants, offensants ou injurieux, à portée de voix ou de vue d’autres personnes, de nature à harceler, alarmer ou angoisser autrui », en violation de l’article 5 de la loi de 1986 sur l’ordre public (Public Order Act 1986, « la loi de 1986 » ; paragraphe 30 ci-dessous).
11.  Mme Steel comparut devant le tribunal le 24 août 1992 et fut remise en liberté, sous condition de ne pas se rendre sur les lieux d’une partie de chasse dans le North Yorkshire pendant sa libération provisoire.
12.  Le procès de Mme Steel se déroula devant la Magistrates’Court de Whitby du 15 au 20 février 1993. Elle fut relaxée des charges portées contre elle en vertu de l’article 5 concernant les faits survenus le matin du 22 août 1992 et condamnée pour les mêmes charges concernant les faits survenus l’après-midi du même jour. Les magistrates estimèrent que le bien-fondé de la plainte relative à l’atteinte alléguée à l’ordre public était établi, mais ne précisèrent pas quel comportement de l’intéressée justifiait cette conclusion ni si la plainte avait trait au matin ou à l’après-midi.
13.  Mme Steel interjeta appel. La Crown Court de Teesside réexamina l’affaire en fait et en droit le 1er décembre 1993. Elle confirma les conclusions des magistrates, infligea à la requérante une amende de 70 livres sterling (GBP) pour l’infraction à l’article 5 et, s’agissant de l’atteinte à l’ordre public, émit à son encontre une sommation (binding over) valable douze mois sous peine d’une amende de 100 GBP (paragraphe 31 ci-dessous).
Mme Steel refusa d’obéir à la sommation et fut mise en détention pendant vingt-huit jours.
B.  La deuxième requérante
14.  La deuxième requérante, Mme Rebecca Lush, née en 1973, réside à Warsash, dans le Hampshire.
15.  Le 15 septembre 1993, elle prit part à une manifestation contre la construction d’un prolongement de l’autoroute M11, à Wanstead (Londres). Au cours de cette journée, vingt à vingt-cinq manifestants pénétrèrent à plusieurs reprises sur un chantier, grimpèrent sur des arbres qui devaient être abattus ainsi que sur des installations fixes. A chaque fois, ils furent repoussés par les gardiens du chantier, auxquels ils n’offrirent aucune résistance ; il n’y eut aucune violence et les machines ne furent pas endommagées.
16.  Mme Lush fut arrêtée vers 16 h 15, alors qu’elle se trouvait devant une pelleteuse « JCB », sous le « godet » du véhicule, pour conduite « de nature à troubler l’ordre public ». Elle fut emmenée au commissariat d’Ilford, où elle fut inculpée à 17 h 30. L’acte d’inculpation disait ceci :
« Arrêtée en tant que personne dont la conduite le 15 septembre 1993 à Cambridge Park, Wanstead, a été de nature à troubler l’ordre public, en vue d’être traduite devant un juge de paix ou un magistrate qui se prononcera conformément à la loi. »
Elle fut maintenue en détention jusqu’à 9 h 40 le lendemain (soit pendant dix-sept heures environ), car on estima qu’elle porterait de nouveau atteinte à l’ordre public si elle était libérée.
17.  Elle comparut devant la Magistrates’ Court de Redbridge le matin du 16 septembre 1993 pour répondre de l’allégation selon laquelle elle avait eu une conduite de nature à troubler l’ordre public. L’affaire fut ajournée et Mme Lush fut libérée.
18.  La procédure reprit le 14 décembre 1993, date à laquelle le bien-fondé de l’allégation de conduite de nature à porter atteinte à l’ordre public, présentée sur le terrain de l’article 115 de la loi de 1980, fut considérée comme établie. Mme Lush fut sommée de bien se conduire et de respecter l’ordre public pendant douze mois, sous peine d’une amende de 100 GBP. Elle refusa de se soumettre à cette sommation et fut placée en détention pendant sept jours.
19.  Le 23 décembre 1993, Mme Lush demanda aux magistrates de renvoyer l’affaire sur un point de droit à la High Court (paragraphe 36 ci-dessous). Les juges répondirent le 24 décembre qu’en vertu de l’article 114 de la loi de 1980, ils demandaient à la requérante de s’engager, contre consignation d’une somme de 500 GBP, à poursuivre le recours avec diligence ainsi qu’à respecter la décision de la High Court et à verser tous les frais que celle-ci ordonnerait. Après un échange de correspondance entre les représentants de Mme Lush et le greffier de la Magistrates’ Court concernant les moyens de l’intéressée, les juges acceptèrent de ramener la consignation à 400 GBP. Mme Lush ne put toutefois aller jusqu’au bout de son recours puisque l’aide judiciaire lui fut refusée.
C. Les troisième, quatrième et cinquième requérants
20.  Mme Andrea Needham, née en 1965, M. David Polden, né en 1940, et M. Christopher Cole, né en 1963, habitent tous Londres.
21.  Le 20 janvier 1994, vers 8 heures, ils se trouvaient au centre de conférences « Queen Elizabeth » à Westminster (Londres), où se tenait une conférence intitulée « Fighter Helicopter II », pour protester avec trois autres personnes contre les ventes d’hélicoptères militaires. Les manifestants distribuaient des tracts et brandissaient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Travaillez pour la paix et non pour la guerre ! »
22.  Vers 8 h 25, les trois requérants furent arrêtés par des policiers. Mme Needham tenait une banderole, M. Polden et M. Cole distribuaient des tracts. Tous trois furent emmenés au commissariat de Charing Cross. Il fut précisé dans le registre des gardes à vue, sous la rubrique « circonstances » (le terme « charges » ayant été biffé) :
« Atteinte à l’ordre public, common law.
Le 20 janvier 1994, au centre de conférences Queen Elizabeth, Victoria Street, Londres SW1, a troublé ou était susceptible de troubler l’ordre public ; à déférer devant un juge de paix pour examen conformément à la loi.
Contraire à la common law. »
23.  Vers 10 h 40, les requérants furent conduits à la Magistrates’Court de Bow Street, où ils furent détenus dans une cellule. Ils comparurent vers 15 h 45, après environ sept heures de détention. Le tribunal ajourna l’affaire faute de temps et les requérants furent libérés.
24.  Le 25 février 1994, date où la procédure reprit, les autorités de poursuite décidèrent de n’appeler aucun témoin et les magistrates abandonnèrent la procédure contre les requérants.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNEs PERTINENTS
A. Atteinte à l’ordre public
1. Définition
25.  L’atteinte à l’ordre public (breach of the peace), qui n’est pas une infraction pénale (R. v. County Quarter Sessions Appeals Committee, ex parte Metropolitan Police Commissioner, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 260), est définie par la common law depuis le Xe siècle. Cependant, comme Lord Justice Watkins l’a fait remarquer en janvier 1981 en prononçant la décision de la Cour d’appel dans l’affaire R. v. Howell (Queen’s Bench Reports 1982, vol. 1, p. 416) :
« On n’a que très rarement formulé une définition complète de la notion d’atteinte à l’ordre public (…) » (p. 426)
Il poursuivit :
« Osons dire qu’il est probable que se produira une atteinte à l’ordre public si une personne ou, en sa présence, ses biens, subissent un préjudice ou sont susceptibles d’en subir un ou si une personne redoute une telle éventualité en raison d’une agression, d’une rixe, d’une émeute, d’une réunion illégale ou d’un autre trouble. » (p. 427)
26.  En octobre 1981, à la Cour d’appel autrement composée, Lord Denning, Master of the Rolls, donna un sens plus large à cette notion dans l’arrêt R. v. Chief Constable of Devon and Cornwall, ex parte Central Electricity Generating Board (Queen’s Bench Reports 1982, p. 458), qui traitait d’une action de protestation contre la construction d’une centrale nucléaire ; il déclara :
« Il y a atteinte à l’ordre public chaque fois qu’une personne effectuant légalement son travail en est illégalement et physiquement empêchée par une autre. La loi confère à chacun le droit de faire son travail dans les conditions légales. Quiconque entrave le travailleur illégalement et physiquement, en se couchant ou en s’enchaînant à une installation ou autre, se rend coupable d’une atteinte à l’ordre public. » (p. 471)
27.  Dans une affaire traitée ultérieurement par la Divisional Court (Percy v. Director of Public Prosecutions, Weekly Law Reports 1995, vol. 1, p. 1382), le juge Collins s’est plutôt inspiré de Howell que de l’affaire ex parte Central Electricity Generating Board ; il a en effet déclaré qu’il ne peut y avoir atteinte à l’ordre public s’il n’y a pas eu auparavant risque de violence. Il n’est toutefois pas indispensable que la violence soit perpétrée par le défendeur dès lors qu’il est établi que la conséquence naturelle de son comportement serait de provoquer la violence chez autrui :
« Il n’est pas nécessaire que le comportement en question constitue en lui-même un trouble de l’ordre public ou une infraction pénale. Il suffit que, s’il persiste, sa conséquence naturelle soit d’inciter autrui à la violence, d’où un danger réel de provoquer une atteinte à l’ordre public. » (p. 1392)
28.  Dans une autre affaire examinée par la Divisional Court, à savoir Nicol and Selvanayagam v. Director of Public Prosecutions (Justice of the Peace Reports 1996, p. 155), Lord Justice Simon Brown a déclaré :
« (…) le tribunal ne conclurait certainement pas qu’[une atteinte à l’ordre public] est établie si les éventuels actes de violence susceptibles d’avoir été provoqués chez autrui n’étaient pas seulement illégaux mais totalement disproportionnés, ce qui serait naturellement le cas si le comportement du défendeur était non seulement légal mais n’entraînait aucune ingérence dans les droits d’autrui et, à plus forte raison, si le défendeur exerçait correctement ses droits fondamentaux, que ce soit le droit de se réunir, de manifester ou de s’exprimer librement. » (p. 163)
2. Arrestation pour atteinte à l’ordre public
29.  Une personne peut être arrêtée sans mandat dans l’exercice des pouvoirs d’arrestation conférés par la common law, pour avoir porté atteinte à l’ordre public ou lorsqu’il existe une possibilité raisonnable que cette personne porte atteinte à l’ordre public (affaire Albert v. Lavin, Appeal Cases 1982, p. 565). La loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale (Police and Criminal Evidence Act 1984 – articles 17 § 6 et 25 § 6) a maintenu ce pouvoir d’arrestation.
B.  Article 5 de la loi de 1986 sur l’ordre public
30.  L’article 5 de la loi de 1986 sur l’ordre public (Public Order Act 1986, « la loi de 1986 ») a créé l’infraction de comportement menaçant, offensant ou injurieux ou déplacé de nature à harceler, alarmer ou angoisser autrui. L’accusation peut être portée devant une magistrates’ court et est passible d’une amende. Quiconque est accusé d’une infraction relevant de l’article 5 peut se défendre en prouvant que le comportement en question était raisonnable au vu des circonstances.
C. Sommation (binding over)
31.  Le pouvoir de « sommation » des magistrates se fonde sur la loi de 1980 sur les magistrates (« la loi de 1980 »), sur la common law et sur la loi de 1361 sur les juges de paix (« la loi de 1361 »).
Une sommation fait obligation à la personne visée de prendre un « engagement » (une promesse ou une lettre de gage, garantie par une somme d’argent fixée par le tribunal) de respecter l’ordre public ou de bien se conduire pendant une période déterminée. Si l’intéressé ne consent pas à prendre cet engagement, le tribunal peut ordonner son placement en détention, pour six mois au maximum en cas de sommation émise en vertu de la loi de 1980 ou pour une durée illimitée en cas de sommation émise en vertu de la loi de 1361 ou de la common law. Si l’intéressé accepte de s’engager de la sorte mais porte atteinte à l’ordre public dans le délai fixé, il perd la somme consignée. Une sommation ne constitue pas une condamnation pénale (R. v. London Quarter Sessions, ex parte Metropolitan Police Commissioner, King’s Bench Reports 1940, vol. 1, p. 670).
1. Sommation en vertu de la loi de 1980 sur les Magistrates’ Courts
32.  L’article 115 de la loi de 1980 est ainsi libellé :
« 1)  Le pouvoir d’une magistrates’ court, saisie d’une plainte, de sommer une personne de prendre l’engagement, assorti ou non de garanties, de respecter l’ordre public ou de bien se conduire envers le plaignant s’exerce par voie d’ordonnance sur plainte.
3)  Toute personne à qui une magistrates’ court ordonne en vertu du paragraphe 1 de prendre l’engagement, assorti ou non de garanties, de respecter l’ordre public ou de bien se conduire, et qui refuse d’obéir à cette ordonnance peut être mise en détention pour une période de six mois maximum, à moins qu’elle n’accepte dans l’intervalle de se conformer à l’ordonnance. »
33.  La procédure prévue à l’article 115 de la loi de 1980 commence par le dépôt d’une plainte officielle, qui émane d’habitude d’un fonctionnaire de police. Pour pouvoir émettre une sommation, les magistrates doivent avoir la conviction, au vu de preuves recevables, que 1) la conduite de l’accusé a porté atteinte à l’ordre public ou était de nature à le faire (R. v. Morpeth   Ward Justices, ex parte Ward, Criminal Appeal Reports 1992, vol. 95, p. 215) ; et 2) que s’ils n’émettent pas de sommation, il existe un risque réel que l’accusé ne porte une nouvelle fois atteinte à l’ordre public à l’avenir.
34.  Bien qu’une sommation ne constitue pas une condamnation pénale, une telle procédure passe pour analogue à une procédure pénale. Par le passé, on ne savait pas au juste si le tribunal devait appliquer le critère civil ou pénal de la preuve pour décider de l’existence de faits appelant une sommation à l’issue de la procédure. Toutefois, dans l’affaire Nicol and Selvanayagam v. DPP (précitée), Lord Justice Simon Brown a déclaré :
« Nul ne conteste que c’est le critère pénal de la preuve qui s’applique à la procédure, bien que l’établissement du bien-fondé de la plainte n’entraîne pas de sanction pénale. »
2. Sommation en vertu de la common law et de la loi de 1361 sur les juges de paix
35.  Outre la procédure légale décrite ci-dessus, les magistrates ont compétence pour émettre des sommations en vertu de la common law et de la loi de 1361 sur les juges de paix. En vertu de ces pouvoirs, ils peuvent, à n’importe quel stade de la procédure, émettre une sommation à l’encontre de tout participant à l’instance (que ce soit en tant que témoin, accusé relaxé ou accusé non encore relaxé ou condamné), s’ils considèrent que la conduite de l’intéressé est de nature à porter atteinte à l’ordre public, ou que son comportement est contraire aux bonnes mœurs (« conduite ayant pour caractéristique d’être considérée comme mauvaise plutôt que bonne par la grande majorité des concitoyens contemporains de l’intéressé » (Lord Justice Glidewell dans l’affaire Hughes v. Holley, Criminal Appeal Reports 1988, vol. 86, p. 130)).
3. Recours
36.  L’ordonnance d’une magistrates’ court enjoignant à une personne de prendre l’engagement de respecter l’ordre public ou de bien se conduire peut faire l’objet d’un recours devant la High Court ou la Crown Court. L’examen de la High Court se limite à des questions de droit, qui lui sont exposées sous la forme d’un renvoi sur points de droit (by way of case stated). Avant de procéder au renvoi, les magistrates peuvent, en vertu de l’article 114 de la loi de 1980, exiger de l’auteur du recours qu’il prenne l’engagement d’aller jusqu’au bout de la procédure et de payer les frais. Conformément à l’article 1 de la loi de 1956 sur les recours contre les sommations prononcées par les magistrates’ courts (Magistrates’ Courts (Appeals from Binding Over Orders) Act 1956), un recours porté devant la Crown Court entraîne un nouvel examen de l’affaire en fait et en droit.
4. Le rapport de la Law Commission sur les sommations
37.  En réponse à une demande du ministre de la Justice l’invitant à examiner le pouvoir de sommation, la Law Commission (organe légal chargé de la réforme du droit en Angleterre et au Pays de Galles) a publié en février 1994 son rapport intitulé « Binding Over » (« Sommations ») dans lequel elle déclare ceci :
« Nous sommes convaincus qu’il existe d’importantes objections de principe au maintien du pouvoir de sommer une personne de respecter l’ordre public ou de bien se conduire. En résumé, ces objections tiennent à l’imprécision de la définition de la conduite pouvant donner lieu à une sommation ; au caractère trop vague, et donc potentiellement oppressif, des sommations qui sont prononcées ; à l’anomalie que constitue le pouvoir d’emprisonner une personne pour insoumission à une sommation ; au fait que les ordonnances restreignant la liberté d’une personne peuvent être rendues en dehors des règles du droit pénal régissant la charge de la preuve ou, du reste, en dehors de toute règle clairement définie ; et au fait que les témoins, plaignants ou même accusés relaxés peuvent faire l’objet d’une sommation sans être informés au préalable de façon adéquate des charges ou des plaintes formulées à leur encontre. » (Rapport de la Law Commission n° 222, § 6.27)
La Law Commission a donc recommandé de supprimer le pouvoir  d’émettre des sommations.
D. La protection des magistrats contre une action en responsabilité civile
38.  D’après l’article 108 de la loi de 1990 sur les tribunaux et les services juridiques, une action ne peut être engagée, par exemple pour emprisonnement arbitraire, contre un magistrat à raison d’un acte ou d’une omission dans l’exercice prétendu de ses fonctions que si la preuve peut être faite qu’il a agi de mauvaise foi et outrepassé sa compétence.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
39.  Dans leur requête à la Commission (n° 24838/94) du 31 mai 1994, les requérants se plaignaient, sur le terrain de l’article 5 de la Convention, de ce que la notion d’atteinte à l’ordre public et le pouvoir de sommation ne fussent pas définis avec assez de clarté pour que leur détention fût « prévue par la loi » ; que leur détention n’entrait dans aucune des catégories énoncées à l’article 5 § 1 de la Convention et que, les magistrates étant à l’abri d’une action en responsabilité civile, les intéressés n’avaient aucun droit à réparation, ce qui contrevenait à l’article 5 § 5. Ils alléguaient des violations de l’article 6 § 3 a) en ce que les première et deuxième requérantes n’avaient pas eu assez de détails sur les accusations dirigées contre elles, et de l’article 6 § 2 en ce qu’une atteinte à l’ordre public n’avait   pas à être prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Ils dénonçaient aussi des violations des articles 10 et 11 à raison de l’incertitude attachée à la notion d’atteinte à l’ordre public et au pouvoir de sommation ainsi que du caractère disproportionné des restrictions à leur liberté de manifester. Enfin, les première et deuxième requérantes alléguaient une violation de l’article 13 en ce qui concerne leur refus de se soumettre à une sommation.
40.  La Commission (première chambre) a retenu la requête le 26 juin 1996. Dans son rapport du 9 avril 1997 (article 31), elle formule à l’unanimité l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 §§ 1, 3 ou 5 ; qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1, 2 ou 3 ; qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 en ce qui concerne les première et deuxième requérantes, mais qu’il y a eu violation de l’article 10 en ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérants ; qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément le grief tiré de l’article 11 et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13.
Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt4.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
41.  Dans son mémoire et à l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu violation de la Convention en l’espèce.
Les requérants prient la Cour de constater des violations des articles 5 §§ 1 et 5, 6 § 3 a), 10, 11 et 13 de la Convention et de leur accorder une satisfaction équitable en vertu de l’article 50.
En droit
I. objet du litige devant la cour
42.  Devant la Commission, les requérants ont soulevé plusieurs griefs sur le terrain des articles 5 § 3, 6 § 2 et 6 § 3 b) et c) de la Convention (paragraphe 39 ci-dessus).
43.  Ils n’ont pas repris ces griefs devant la Cour, qui n’aperçoit aucune raison d’examiner ceux-ci d’office (voir, par exemple, l’arrêt Stallinger et Kuso c. Autriche du 23 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 680, § 52).
II. sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention
44.  Les requérants soutiennent que leur arrestation et la période initiale de leur garde à vue, ainsi que la phase ultérieure de détention des première et deuxième requérantes une fois qu’elles ont refusé de se soumettre à la sommation, ont enfreint l’article 5 § 1 de la Convention dont les passages pertinents sont ainsi libellés :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b)  s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
45.  La Cour doit rechercher si les privations de liberté subies par les intéressés relèvent de l’une des exceptions autorisées par l’article 5 § 1 et étaient « régulières », notamment si elles étaient conformes aux « voies légales ». Elle examinera d’abord à ce propos les arrestations et la détention avant procès de chacun des requérants, puis la détention des première et deuxième requérantes après leur refus de se soumettre à la sommation.
A. Arrestation et phase initiale de détention de chacun des requérants
1. Motif de la détention au regard de l’article 5 § 1
46.  Il ne prête pas à controverse devant la Cour que l’atteinte à l’ordre public constituait une « infraction pénale » aux fins de la Convention et que l’arrestation et la détention des requérants avant leur traduction devant les magistrates’ courts relevaient de l’alinéa c) de l’article 5 § 1.
En outre ou à titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que ces périodes initiales de détention étaient autorisées par l’article 5 § 1 b), puisque l’obligation de respecter l’ordre était précise et prévue par la loi.
47.  La Cour rappelle que chaque requérant fut arrêté pour avoir agi d’une manière qui prétendument avait porté ou était de nature à porter atteinte à l’ordre public, puis détenu avant d’être traduit devant une magistrates’ court.
48.  L’atteinte à l’ordre public n’est pas qualifiée d’infraction pénale en droit anglais (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour note néanmoins que le devoir de maintenir l’ordre fait partie des devoirs de l’Etat ; la police a le pouvoir d’arrêter tout individu qui a porté atteinte à l’ordre public ou dont elle craint raisonnablement qu’il va le faire ; et les magistrates peuvent écrouer tout individu qui refuse de se soumettre à une sommation de ne pas porter atteinte à l’ordre public quand existent au-delà de tout doute raisonnable des preuves que la conduite de l’intéressé a causé ou était de nature à causer une atteinte à l’ordre public et que, s’il n’est pas placé en détention, il en causera une à l’avenir (paragraphes 33–34 ci-dessus).
49.  Compte tenu de la nature de la procédure en cause et de la peine encourue, la Cour estime que l’atteinte à l’ordre public doit être tenue pour une « infraction » au sens de l’article 5 § 1 c) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Benham c. Royaume-Uni du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 756, § 56).
50.  La Cour estime donc que chaque requérant fut arrêté et détenu afin d’être traduit devant l’autorité judiciaire compétente parce qu’on le soupçonnait d’avoir commis une « infraction » ou parce que l’on jugeait devoir procéder ainsi pour empêcher la commission d’une « infraction ».
Elle recherchera donc plus loin si ces soupçons étaient « raisonnables », à propos de la question de la légalité (paragraphes 58–64).
2. Légalité des arrestations et de la première phase de détention
51.  Le Gouvernement soutient que l’arrestation et la première phase de détention des requérants se conciliaient avec un pouvoir d’arrestation bien établi en common law en cas d’atteinte effective ou redoutée avec raison à l’ordre public, pouvoir maintenu par la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale (paragraphe 29 ci-dessus). Les tribunaux nationaux auraient élucidé dans les affaires Howell, Percy et Nicol (paragraphes 25–28 ci-dessus) les conditions d’exercice de ce pouvoir d’arrestation, de sorte que le droit était suffisamment certain et précis.
A l’audience devant la Cour, le Gouvernement a souligné à propos de la détention des troisième, quatrième et cinquième requérants, que si la conviction des fonctionnaires de police que les actions de ces requérants risquaient de porter atteinte à l’ordre public était dépourvue de justification objective, les intéressés auraient pu contester la légalité de leur arrestation devant les tribunaux internes. Faute de quoi, force serait de supposer que leur arrestation était objectivement justifiée.
52.  Les requérants affirment que leur arrestation et la phase initiale de leur détention n’étaient pas « régulières », puisque la notion d’atteinte à l’ordre public et les pouvoirs d’arrestation corollaires ne sont pas suffisamment précis en droit anglais.
D’abord si, comme cela ressort de la jurisprudence interne (paragraphe 27 ci-dessus), un individu commet une atteinte à l’ordre public dans le cas où il se comporte d’une manière ayant pour conséquence naturelle d’inciter autrui à la violence, on a du mal à apprécier dans quelle mesure on peut se livrer, sans provoquer d’atteinte à la paix, à une activité de protestation en présence de ceux qui pourraient en prendre ombrage. En deuxième lieu, le pouvoir de procéder à une arrestation dès lors qu’il existe des motifs raisonnables de redouter une atteinte imminente à l’ordre public laisserait une trop grande discrétion à la police. En troisième lieu, la Cour d’appel aurait rendu des décisions contradictoires quant à la définition de l’atteinte à l’ordre public (paragraphes 25–26 ci-dessus).
53.  La Commission estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 puisque l’arrestation et la période initiale de détention n’étaient pas arbitraires et que nul n’avait prétendu qu’elles fussent contraires au droit interne.
54.  La Cour rappelle que les expressions « régulière » et « selon les voies légales » à l’article 5 § 1 énoncent l’obligation de respecter les dispositions de procédure et de fond du droit interne, mais commandent aussi de surcroît la conformité d’une privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (arrêt Benham précité, pp. 752–753, § 40). En outre, vu l’importance de la liberté de la personne, il est essentiel que le droit national applicable remplisse le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que le droit écrit comme non écrit soit assez précis pour permettre au citoyen, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (arrêts S.W. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A n° 335-B, pp. 41–42, §§ 35–36, et, mutatis mutandis, Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1) du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 31, § 49, et Halford c. Royaume-Uni du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, p. 1017, § 49).
55.  La Cour observe à cet égard qu’au cours des deux dernières décennies, les juridictions britanniques ont clarifié la notion d’atteinte à l’ordre public de sorte qu’il est désormais suffisamment établi qu’il y a pareille atteinte seulement lorsqu’un individu cause un dommage, ou semble susceptible d’en causer un, à des personnes ou à des biens ou agit d’une manière dont la conséquence naturelle est d’inciter autrui à la violence (paragraphes 25–28 ci-dessus). Il est également clair qu’une personne peut être arrêtée pour atteinte à l’ordre public ou lorsque l’on a des raisons de redouter qu’elle n’en cause une (paragraphe 29 ci-dessus).
La Cour estime donc que les dispositions légales pertinentes fournissaient des indications suffisantes et étaient formulées avec le degré de précision voulu par la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Larissis et autres c. Grèce du 24 février 1998, Recueil 1998-I, p. 377, § 34).
56.  Avant de rechercher si l’arrestation et la détention de chacun des requérants se conciliaient avec le droit anglais, la Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Comme l’inobservation de celui-ci entraîne un manquement à l’article 5 § 1, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle en la matière (arrêt Benham précité, p. 753, § 41).
57.  La Cour a déjà noté que le droit anglais reconnaît le droit d’arrêter un individu qui porte atteinte à l’ordre public ou dont on redoute raisonnablement qu’il ne le fasse. Elle envisagera donc les circonstances de l’arrestation de chaque requérant afin de déterminer si l’une de ces conditions se trouvait remplie.
a) Les première et deuxième requérantes
58.  La Cour rappelle que la première requérante fut appréhendée lors d’une manifestation contre une chasse à la grouse. Au cours de la matinée, les manifestants avaient entrepris de faire obstruction à la chasse. Au début de l’après-midi, Mme Steel fut appréhendée alors qu’elle marchait devant une personne armée d’un fusil, l’empêchant ainsi de tirer (paragraphes 7–8 ci-dessus).
59.  La deuxième requérante fut arrêtée alors qu’elle se trouvait en-dessous du godet d’une pelleteuse mécanique, à la fin d’une journée pendant laquelle vingt à vingt-cinq manifestants avaient à plusieurs reprises fait obstacle à des travaux de génie civil (paragraphes 15–16 ci-dessus).
60.  La Cour note que les juridictions nationales ayant connu de ces affaires ont eu la conviction que chacune de ces requérantes avait porté ou risqué de porter atteinte à l’ordre public (paragraphes 12–13, 18 et 33 ci-dessus).
Après avoir examiné elle-même les éléments en sa possession, la Cour ne décèle aucune raison de douter que la police ait été fondée à craindre que le comportement de ces requérantes, s’il persistait, n’incitât autrui à la violence. Il s’ensuit que l’arrestation et la période initiale de détention des première et deuxième requérantes étaient conformes au droit anglais. Par ailleurs, rien n’indique que ces privations de liberté eussent été arbitraires.
61.  En conclusion, l’arrestation et la période initiale de détention des première et deuxième requérantes n’ont pas enfreint l’article 5 § 1.
b) Les troisième, quatrième et cinquième requérants
62.  Quant à Mme Needham, M. Polden et M. Cole, la Cour rappelle qu’ils furent arrêtés devant un centre de conférences où ils distribuaient des tracts et brandissaient des banderoles protestant contre la vente d’armes. Ils furent ensuite détenus pendant sept heures environ avant d’être libérés (paragraphes 21–22 ci-dessus).
63.  La Cour relève qu’aucune juridiction interne ne s’est prononcée sur le point de savoir si les arrestations et la détention de ces requérants se conciliaient avec le droit interne, puisque l’accusation a décidé de retirer les allégations d’atteinte à l’ordre public dont elle avait saisi les magistrates (paragraphe 24 ci-dessus) et que les requérants n’ont pas intenté d’action civile contre la police pour détention arbitraire. La Cour note que le Gouvernement n’a soulevé aucune exception préliminaire quant à cette omission des intéressés et, en l’absence de pareil moyen, elle n’a pas à rechercher si le grief aurait dû être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (arrêts Olsson c. Suède (n° 1) du 24 mars 1988, série A n° 130, p. 28, § 56, et Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992, série A n° 246-A, p. 23, § 46).
64.  Ayant examiné les éléments en sa possession en ce qui concerne l’arrestation de ces trois requérants, la Cour n’aperçoit aucune raison de ne pas tenir leur manifestation pour totalement pacifique. Elle ne décèle aucun indice selon lequel ils auraient véritablement fait obstacle ou tenté de faire obstacle aux activités des participants à la conférence, ou commis tel ou tel autre acte de nature à inciter ceux-ci à la violence. Il ne semble en réalité n’y avoir rien eu dans leur comportement qui eût pu fonder la police à redouter une atteinte à l’ordre public.
Par ce motif, en l’absence d’une décision interne sur la question, la Cour n’a pas la conviction que l’arrestation puis la détention des intéressés pendant sept heures aient respecté le droit anglais pour pouvoir être « régulières » au sens de l’article 5 § 1.
65.  Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 en ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérants.
B.  La détention des première et deuxième requérantes après leur refus de se soumettre à la sommation
1. Qualification au regard de l’article 5 § 1
66.  Le Gouvernement affirme que la détention des première et deuxième requérantes après leur refus de se conformer à une sommation relevait de l’article 5 § 1 a) puisqu’une sommation, exigeant le constat par un tribunal que l’inculpé a commis une atteinte à l’ordre public, équivaut à une   condamnation en matière pénale. De plus ou à titre subsidiaire, la détention entrait dans le cadre de l’article 5 § 1 b) puisque les requérantes furent placées en détention pour avoir refusé de s’engager, comme l’injonction leur en était faite, à respecter l’ordre public.
67.  Les requérantes considèrent que le pouvoir de sommer un individu de respecter l’ordre public est en quelque sorte une sanction pénale. Elles contestent en revanche que leur détention pour refus de se soumettre à la sommation se justifiât au regard de l’article 5 § 1 b) puisque, selon elles, l’obligation qui leur aurait été faite de « respecter l’ordre public » n’était pas assez concrète et précise pour s’analyser en une « obligation prévue par la loi ».
68.  Pour la Commission, si l’on peut considérer que les première et deuxième requérantes ont été « condamnées par un tribunal compétent », l’article 5 § 1 a) exige entre la condamnation et la détention un lien de causalité dont on peut se demander s’il n’a pas été rompu dans ces cas-là : ce n’est en effet pas le constat, par les magistrates, que les requérantes avaient porté atteinte à l’ordre public qui a entraîné la détention, mais le refus des intéressées de prendre les engagements demandés. Quoi qu’il en soit, la détention était conforme à l’article 5 § 1 b).
69.  La Cour rappelle que, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 115 de la loi de 1980 (paragraphes 10 et 32 ci-dessus), la Crown Court de Teesside a enjoint à la première requérante d’accepter la sommation de respecter l’ordre public et de bien se conduire pendant douze mois, moyennant la consignation de 100 GBP. Ayant refusé d’accepter les termes de cette sommation, Mme Steel fut incarcérée vingt-huit jours (paragraphe 13 ci-dessus).
De même, la Magistrates’ Court de Redbridge enjoignit à la deuxième requérante de se soumettre à la sommation qui lui était faite en vertu de l’article 115 de la loi de 1980 de respecter l’ordre public et de bien se conduire pendant douze mois moyennant 100 GBP. Ayant refusé de se conformer à cette injonction, Mme Lush fut incarcérée sept jours (paragraphe 18 ci-dessus).
70.  Selon la Cour, ces deux requérantes ont donc été détenues pour insoumission à une ordonnance rendue par un tribunal, comme le permet l’article 5 § 1 b).
Elle recherchera à propos de la question de la « légalité » (paragraphes 74–78 ci-dessous) si les termes des sommations émises à l’encontre des requérantes étaient suffisamment précis aux fins de l’article 5 § 1.
2. La légalité de la détention des requérantes pour refus de se soumettre à la sommation
71.  Selon le Gouvernement, il ressortait clairement de la jurisprudence des tribunaux internes qu’une sommation de respecter l’ordre public et de   bien se conduire exigeait de la personne à l’encontre de laquelle elle était émise d’éviter un comportement comprenant de la violence ou une menace de violence ou engendrant de manière déraisonnable une situation qui impliquerait un risque réel de violence. Le tribunal aurait agi dans le cadre de la loi en incarcérant Mme Steel et Mme Lush pour refus d’obtempérer.
72.  D’après les requérantes, il n’apparaissait pas clairement d’abord quel type de conduite déclencherait une sommation de respecter l’ordre public et de bien se conduire et, en deuxième lieu, quelle conduite enfreindrait une telle sommation ; notamment, l’expression « contraire aux bonnes mœurs » était très vague (paragraphe 35 ci-dessus). En outre, aucune limite n’était fixée à la durée d’application d’une sommation, au montant de la consignation ni, en common law, à la durée de la détention après refus d’obéir à une sommation.
73.  La Commission estime que la détention était légale au regard du droit anglais et que, les requérantes ayant eu la possibilité de l’éviter en acceptant de se conformer à la sommation, elle n’était pas arbitraire.
74.  La Cour examinera la détention des requérantes et les sommations sous l’angle des exigences de la conformité à la loi posées par l’article 5 § 1 (paragraphe 54 ci-dessus).
75.  Elle recherchera d’abord si le droit national était libellé avec assez de précision pour permettre raisonnablement aux requérantes de prévoir les conséquences de leurs actes.
Elle rappelle à ce propos avoir constaté (au paragraphe 55 ci-dessus) que le droit anglais définissait de manière adéquate les éléments constitutifs de l’infraction d’atteinte à l’ordre public. Par ailleurs, il ressort clairement des termes de l’article 115 de la loi de 1980 et de la jurisprudence pertinente (paragraphes 31–33 ci-dessus) que, lorsque sur la base des preuves recevables, le tribunal a la conviction qu’un individu a porté atteinte à l’ordre public et qu’un risque réel existe qu’il ne récidive, obligation peut être faite à l’inculpé de s’engager à respecter l’ordre public ou de bien se conduire. Enfin, il est également clair que si l’intéressé refuse de se soumettre à pareille injonction, il peut être incarcéré jusqu’à six mois (ibidem).
La Cour considère donc que les requérantes auraient raisonnablement pu prévoir que si elles agissaient d’une manière ayant pour conséquence naturelle d’inciter autrui à la violence, elles pouvaient se voir sommer de respecter l’ordre public et, si elles refusaient d’obtempérer, être placées en détention.
76.  La Cour va aussi examiner si les sommations étaient assez précises pour pouvoir être qualifiées d’« ordonnance[s] rendue[s] par un tribunal ».
Elle note à cet égard que les termes en étaient plutôt vagues et généraux ; l’expression « bien se conduire » était particulièrement imprécise et ne donnait guère d’indications à la personne ainsi sommée quant au type de conduite qui contreviendrait à l’injonction. Toutefois, la sommation a été   émise à l’encontre de chacune de ces requérantes alors qu’on avait constaté dans son chef une atteinte à l’ordre public. Eu égard à l’ensemble des circonstances, la Cour a la conviction que, dans ce contexte, il était suffisamment clair que l’on invitait les requérantes à accepter de s’abstenir de nouvelles atteintes analogues à l’ordre public pendant les douze mois qui allaient suivre.
77.  La Cour note enfin que rien ne donne à penser que le tribunal ait outrepassé sa compétence ni que les sommations ou la détention ultérieure des requérantes aient pour toute autre raison contrevenu au droit anglais.
78.  Partant, la détention des première et deuxième requérantes après le refus de celles-ci de se soumettre aux sommations n’a pas enfreint l’article 5 § 1.
III. sur la violation alléguée de l’article 5 § 5 de la convention
79.  Les requérants se plaignent tous les cinq de ce que le droit anglais ne leur offre aucun droit à réparation à raison des arrestations et détentions qui ont enfreint la Convention mais se conciliaient avec le droit national, alors que l’article 5 § 5 de la Convention énonce :
« Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
80.  Selon le Gouvernement, il n’y a pas eu manquement à l’article 5 § 1, et l’article 5 § 5 ne trouve donc pas à s’appliquer.
A titre subsidiaire, il souligne que si leur arrestation ou leur détention avait été contraire au droit anglais, les intéressés auraient pu intenter contre la police une action civile pour emprisonnement arbitraire.
81.  La Cour rappelle que l’article 5 § 5 garantit un droit exécutoire à réparation aux victimes d’une arrestation ou d’une détention opérée dans des conditions contraires à d’autres dispositions de l’article 5 (arrêt Benham précité, p. 755, § 50).
82.  Ayant constaté l’absence de violation de l’article 5 § 1 en ce qui concerne les première et deuxième requérantes, la Cour conclut que l’article 5 § 5 ne s’applique pas à leur cas.
83.  Elle a constaté une violation de l’article 5 § 1 en ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérants car elle n’a pas la conviction que leur arrestation puis leur détention se conciliaient avec le droit interne. Elle note toutefois à cet égard qu’il aurait été loisible aux intéressés d’engager contre la police une action civile en dommages-intérêts (paragraphe 63 ci-dessus). Elle estime donc que ces requérants disposaient d’« un droit exécutoire à réparation » et que l’article 5 § 5 n’a dès lors pas été méconnu dans leur cas.
IV. sur la violation alléguée de l’article 6 § 3 a) de la convention
84.  Les première et deuxième requérantes se plaignent de ne pas avoir obtenu des détails suffisants sur les accusations dirigées contre elles, au mépris de l’article 6 § 3 a) de la Convention qui énonce :
« Tout accusé a droit notamment à :
a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
Selon elles, l’accusation d’« atteinte à l’ordre public » revêtant un caractère très général, il eût fallu leur indiquer quel comportement de leur part leur valait l’accusation.
85.  Le Gouvernement souligne que, dans les dix heures qui ont suivi son arrestation, la première requérante s’est vu remettre un acte d’inculpation l’informant qu’elle était accusée d’avoir commis à telle date et à tel endroit une atteinte à l’ordre public réprimée par l’article 115 de la loi de 1980 (paragraphe 10 ci-dessus). La deuxième requérante a reçu des informations analogues une heure et quart après son arrestation (paragraphe 16 ci-dessus). Selon le Gouvernement, que la Commission rejoint, ces éléments répondaient à suffisance à l’article 6 § 3 a).
86.  La Cour rappelle avoir constaté plus haut (paragraphe 49) qu’il faut tenir une atteinte à l’ordre public pour une « infraction » aux fins de la Convention. L’article 6 § 3 a) trouve donc à s’appliquer.
87.  A l’instar de la Commission, la Cour estime que les détails figurant dans les actes d’inculpation remis aux première et deuxième requérantes (paragraphes 10 et 16 ci-dessus) étaient suffisants pour respecter cet article (arrêt Brozicek c. Italie du 19 décembre 1989, série A n° 167, pp. 18–19, § 42).
Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 3 a).
V. sur la violation alléguée de l’article 10 de la convention
88.  Les requérants se plaignent tous les cinq de ce que les mesures prises à leur encontre aient enfreint leur droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…)
2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi,   qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
89.  La Cour doit rechercher si les mesures dénoncées s’analysaient en des ingérences dans les droits des requérants à la liberté d’expression et, dans l’affirmative, si elles étaient « prévues par la loi », poursuivaient un but légitime et étaient « nécessaires dans une société démocratique » au sens de l’article 10 § 2.
A. Ingérence
90.  Selon le Gouvernement, les actes de protestation des première et deuxième requérantes n’étaient pas pacifiques, et l’article 10 ne s’applique donc pas.
91.  La Commission considère que les mesures prises contre chacun des cinq requérants constituaient des ingérences dans leurs droits garantis par l’article 10.
92.  La Cour rappelle que les première et deuxième requérantes furent arrêtées alors qu’elles manifestaient respectivement contre une chasse à la grouse et contre l’extension d’une autoroute (paragraphes 7 et 15–16 ci-dessus). Certes, ce faisant, elles ont empêché physiquement les activités qu’elles réprouvaient, mais la Cour estime néanmoins qu’il s’agissait là de l’expression d’opinions au sens de l’article 10 (voir, par exemple, l’arrêt Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, série A n° 266-B, p. 35, § 23). Les mesures prises contre les intéressées s’analysaient donc en des ingérences dans leur droit à la liberté d’expression.
93.  Il ne prête pas à controverse que l’arrestation et la détention des troisième, quatrième et cinquième requérants ont elles aussi constitué des ingérences dans les droits des intéressés au regard de l’article 10.
B.  « Prévue par la loi »
94.  La Cour rappelle avoir constaté ci-dessus (paragraphes 61, 78 et 65) que les mesures prises contre les première et deuxième requérantes étaient légales au sens de l’article 5 § 1, contrairement à celles dirigées contre les troisième, quatrième et cinquième requérants.
L’article 10 § 2 voulant qu’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression soit « prévue par la loi » au même titre que l’article 5 § 1 exige que toute privation de liberté soit « régulière » (paragraphe 54 ci-dessus), il   s’ensuit que l’arrestation et la détention des première et deuxième requérantes étaient « prévues par la loi » au regard de l’article 10 § 2 mais que celles des troisième, quatrième et cinquième requérants ne l’étaient pas (paragraphe 64 ci-dessus).
C. But légitime
95.  Il ne prête pas à controverse devant la Cour que les mesures dénoncées poursuivaient un ou plusieurs des buts légitimes énoncés à l’article 10 § 2.
96.  La Cour estime que l’arrestation et la période initiale de détention de chacun des requérants poursuivaient les buts légitimes de défendre l’ordre et de protéger les droits d’autrui.
97.  Il en va quelque peu différemment s’agissant de la détention des première et deuxième requérantes après leur refus de se soumettre à la sommation. La Cour considère ici que la sommation à l’encontre de ces requérantes avait pour finalité de les dissuader de causer de nouvelles atteintes à l’ordre public. Donc ces sommations tendaient elles-mêmes à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui. Or, en refusant de s’y conformer, les requérantes contestèrent dans une certaine mesure l’autorité des organes judiciaires ayant décerné les sommations. Leur incarcération par la suite visait donc non seulement à les dissuader d’autres atteintes à l’ordre public, mais poursuivait aussi le but, prévu à l’article 10 § 2, de garantir l’autorité du pouvoir judiciaire.
D. « Nécessaire dans une société démocratique »
98.  Le Gouvernement affirme que les mesures prises contre les requérants relevaient de la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales et étaient proportionnées aux objectifs poursuivis, notamment du fait que la police avait été appelée dans des situations difficiles à prendre des décisions afin de défendre l’ordre. Les requérants furent d’abord détenus uniquement en vue d’être traduits devant un tribunal ; ils le furent tous le premier jour ouvrable suivant l’arrestation. Cette détention les a empêchés de retourner sur le lieu de la manifestation et de s’y livrer à de nouvelles atteintes à l’ordre public. Enfin, la détention des première et deuxième requérantes après leur refus de se soumettre à la sommation fut elle aussi proportionnée, chacune des intéressées ayant la faculté à la place de se conformer à des décisions judiciaires légales et plus douces.
99.  Les requérants considèrent que les mesures dirigées contre eux étaient disproportionnées.
D’abord, leurs actes de protestation étant non violents, l’arrestation constituerait une mesure trop extrême puisqu’elle leur ôtait toute possibilité de participer encore à la manifestation et que la menace de l’arrestation « gelait » l’exercice des droits prévus à l’article 10. En deuxième lieu, ils soulignent avoir été tous détenus pendant de longues périodes alors qu’on eût pu user de mesures moins restrictives.
Enfin, les première et deuxième requérantes font valoir que leur liberté de manifester aurait subi une restriction déraisonnable si elles avaient accepté les clauses vagues et générales des sommations et qu’elles ont été incarcérées pendant de longues périodes pour avoir refusé d’admettre ces restrictions.
100.  La Commission estime que, vu l’ensemble des circonstances, les mesures prises contre les première et deuxième requérantes n’étaient pas disproportionnées alors que celles dirigées contre les troisième, quatrième et cinquième requérants ont enfreint l’article 10.
101.  Comme la Cour l’a souvent observé, la liberté d’expression constitue un élément essentiel d’une société démocratique et l’une des conditions fondamentales de son évolution et de l’épanouissement de chacun (voir, en dernier lieu, l’arrêt Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1566, § 46). Assurément, les Etats jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression est nécessaire, notamment quant à la sélection des méthodes – raisonnables et appropriées – à utiliser par les autorités pour assurer le déroulement pacifique d’activités licites (arrêt Chorherr précité, p. 37, § 31). Cette marge d’appréciation va toutefois de pair avec un contrôle de la Cour, qui doit s’assurer que l’ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi, compte tenu de la place éminente de la liberté d’expression (ibidem).
Différents facteurs entrant en jeu pour chacun des requérants, la Cour examinera ces cas tour à tour.
1. La première requérante
102.  La Cour rappelle qu’à l’occasion d’une manifestation contre une chasse à la grouse, la première requérante a marché pendant la chasse devant un participant armé, l’empêchant physiquement de tirer. Elle fut arrêtée puis détenue pendant quarante-quatre heures environ avant d’être traduite devant une magistrates’ court puis libérée. A l’audience qui s’est tenue par la suite, elle s’est vu infliger une amende de 70 GBP pour infraction à la loi de 1986 sur l’ordre public et, pour atteinte à l’ordre public, elle fut sommée de prendre un engagement pour douze mois moyennant une consignation de 100 GBP. Ayant refusé, elle fut incarcérée pendant vingt-huit jours.
103.  La Cour ne doute nullement que les mesures prises contre Mme Steel, notamment les longues périodes de détention, ont constitué de graves ingérences dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Elle doit cependant aussi tenir compte des risques inhérents à la forme particulière que revêtaient les actes de protestation de l’intéressée et le risque de troubles que faisaient naître les manifestants en empêchant de manière persistante les participants à la chasse à la grouse de se livrer à leur passe-temps licite.
104.  Dans ces conditions, la Cour ne considère pas qu’en arrêtant Mme Steel et en la retirant du lieu de la manifestation la police ait agi de manière disproportionnée.
105.  L’intéressée fut alors détenue environ quarante-quatre heures. Il ressort du registre des gardes à vue que la police en avait vu la nécessité pour prévenir toute nouvelle atteinte à l’ordre public et afin d’assurer la comparution de la requérante devant le tribunal (paragraphe 9 ci-dessus).
Une détention de quarante-quatre heures est incontestablement une longue période en pareil cas. La Cour rappelle cependant que le comportement de Mme Steel avant son arrestation faisait courir un risque de lésions corporelles graves pour elle-même et autrui et entrait dans le cadre d’une manifestation contre la chasse à la grouse qui risquait de se solder par des troubles et de la violence. L’intéressée risquant, si elle était élargie, de réitérer rapidement ses actes de protestation contre la chasse, et vu les conséquences possibles de cette éventualité, deux éléments que la police était la mieux placée pour apprécier, la Cour n’estime pas que cette détention fût disproportionnée.
106.  La Cour doit aussi tenir compte des mesures appliquées à la requérante après son procès et son recours (paragraphes 12–13 ci-dessus).
Elle rappelle avoir constaté plus haut que, en sommant Mme Steel de s’engager à respecter l’ordre public et à bien se conduire, le tribunal lui demandait effectivement d’accepter de s’abstenir pendant un an de toute nouvelle atteinte à l’ordre public (paragraphe 76 ci-dessus). Encore une fois, vu les dangers que comportait la forme de protestation choisie par la requérante et l’intérêt public qu’il y avait à dissuader d’une telle conduite, la Cour n’estime pas excessives, dans les circonstances, la sommation ou l’amende de 70 GBP.
107.  La requérante fut incarcérée parce qu’elle refusait d’obéir à la sommation. La Cour estime avec la Commission qu’il était légitime pour la juridiction nationale d’interpréter ce refus comme une preuve qu’en dépit de la décision de justice, la requérante était convaincue du bien-fondé de son comportement et entendait le réitérer à l’avenir. Dans ces conditions, compte tenu non seulement de l’objectif de dissuasion mentionné plus haut mais aussi de l’importance de garantir la prééminence du droit et l’autorité   du pouvoir judiciaire dans une société démocratique (paragraphe 97 ci-dessus et arrêt Sunday Times (n° 1) précité, p. 34, § 55), la Cour ne juge pas disproportionné que la requérante ait été incarcérée, fût-ce pendant vingt-huit jours, pour refus d’obéir à la justice.
2. La deuxième requérante
108.  La deuxième requérante avait participé à une manifestation contre la construction d’une extension d’autoroute et s’était placée devant un engin routier afin d’entraver les travaux de génie civil. Elle fut arrêtée et détenue pendant dix-sept heures environ avant d’être traduite devant un tribunal puis, ayant refusé de se conformer à une sommation, fut incarcérée pendant sept jours (paragraphes 15–18 ci-dessus).
109.  La Cour renvoie à ses motifs et constats quant à la première requérante (paragraphes 103–107 ci-dessus). L’on peut certes dire que le risque de troubles suscité par le comportement de Mme Lush était moins grave que celui provoqué par la première requérante ; les juges n’en ont pas moins estimé que sa conduite avait été de nature à troubler l’ordre public et la Cour n’aperçoit aucune raison de révoquer cette conclusion en doute (paragraphe 60 ci-dessus). Compte tenu de l’intérêt qu’il y a à défendre l’ordre public et à protéger les droits d’autrui ainsi que de la nécessité de garantir l’autorité du pouvoir judiciaire, les mesures prises contre la deuxième requérante n’étaient pas disproportionnées.
3. Les troisième, quatrième et cinquième requérants
110.  La Cour rappelle avoir constaté plus haut que les mesures dirigées contre Mme Needham, M. Polden et M. Cole n’étaient pas « légales » ni « prévues par la loi » ; elle n’a en effet pas la conviction que la police avait eu des motifs plausibles de craindre que la manifestation pacifique des requérants ne troublât l’ordre public (paragraphe 94 ci-dessus). Elle estime, pour les mêmes raisons que celles exposées au paragraphe 64 ci-dessus, que l’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’expression était aussi disproportionnée aux buts poursuivis – défense de l’ordre et protection des droits d’autrui – et n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique ».
4. Conclusion
111.  En conclusion, les mesures prises contre les première et deuxième requérantes n’ont pas méconnu l’article 10, contrairement à celles prises contre les troisième, quatrième et cinquième requérants.
VI. sur la violation alléguée de l’article 11 de la Convention
112.  Selon les requérants, les mesures dénoncées ont aussi enfreint l’article 11 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
113.  La Cour ne considère pas que ce grief soulève des questions qu’elle n’aurait pas déjà examinées à propos de l’article 10. Elle juge donc superflu de le considérer.
VII. sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention
114.  Les première et deuxième requérantes allèguent une violation de l’article 13 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
115.  Dans son rapport, la Commission a conclu que les griefs des requérants sur le terrain de l’article 13 avaient « essentiellement trait à l’état du droit britannique » et n’a pas constaté de violation, car l’article 13 ne saurait être interprété comme exigeant un contrôle juridictionnel ou un recours à l’encontre des dispositions du droit interne qui seraient considérées comme incompatibles avec la Convention.
116.  Toutefois, si ce n’est, dans leur mémoire, une déclaration pure et simple d’après laquelle « les première et deuxième requérantes soutiennent que l’article 13 (…) est violé puisqu’elles ne disposent pas de recours pour dénoncer leur détention faisant suite à leur refus de souscrire à la sommation », les requérants n’ont présenté à la Cour aucune argumentation sur ce grief.
117.  Dans ces conditions, le grief ne semblant pas avoir été maintenu, la Cour n’estime pas devoir l’examiner d’office.
VIII. SUR L’application de l’article 50 de la Convention
118.  Les requérants sollicitent une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention, aux termes duquel :
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
119.  La Cour rappelle n’avoir constaté de violation de la Convention qu’en ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérants. Elle n’envisagera donc pas les demandes de satisfaction équitable formulées par les première et deuxième requérantes.
A. Dommage moral
120.  Les requérants sollicitent une réparation pour dommage moral.
121.  Selon le Gouvernement, un constat de violation fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante.
122.  La Cour rappelle que Mme Needham, M. Polden et M. Cole ont tous trois été emprisonnés sept heurs pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression. Elle alloue à chacun d’eux 500 GBP en réparation du tort moral.
B.  Frais et dépens
123.  Les cinq requérants réclament 53 889,62 GBP au total pour frais et dépens (taxe sur la valeur ajoutée comprise).
124.  Le Gouvernement soutient que, dans l’hypothèse où la Cour accueillerait les griefs des requérants seulement pour partie, il y aurait lieu de n’accorder qu’une fraction des frais. Il se demande aussi s’il était nécessaire de s’assurer les services de trois avocats dans une pareille affaire.
125.  N’ayant constaté de violations que pour une partie des griefs des trois derniers requérants, et statuant en équité, la Cour accorde 20 000 GBP pour frais et dépens, ainsi que toute somme pouvant être due au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, moins les montants déjà perçus du Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire.
C. Intérêts moratoires
126.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable au Royaume-Uni à la date d’adoption du présent arrêt est de 7,5 % l’an.
Par ces motifs, la cour
1. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs des requérants sur le terrain des articles 5 § 3, 6 § 2, 6 § 3 b) et c), 11 et 13 de la Convention ;
2. Dit, par sept voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’arrestation et la phase initiale de détention de la première requérante ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’arrestation et la phase initiale de détention de la deuxième requérante ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’arrestation et la détention des troisième, quatrième et cinquième requérants ;
5. Dit, par huit voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la détention des première et deuxième requérantes pour refus de se conformer aux sommations ;
6. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;
7. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 3 a) de la Convention ;
8. Dit, par cinq voix contre quatre, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne la première requérante ;
9. Dit, par sept voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne la deuxième requérante ;
10. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérants ;
11. Dit, à l’unanimité,
a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, aux troisième, quatrième et cinquième requérants, 500 (cinq cents) livres sterling chacun pour dommage moral ;
b) que l’Etat défendeur doit verser aux troisième, quatrième et cinquième requérants, dans les trois mois, pour frais et dépens, au total 20 000 (vingt mille) livres sterling moins 46 747 (quarante-six mille sept cent quarante-sept) francs français à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du prononcé du présent arrêt, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;
c) que ces sommes seront à majorer d’un intérêt simple de 7,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement.
12. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 23 septembre 1998.
Signé : Rudolf Bernhardt
Président
Signé : Herbert Petzold
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 53 § 2 du règlement A, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion partiellement dissidente commune à M. Thór Vilhjálmsson et à Mme Palm ;
– opinion partiellement dissidente commune à MM. Valticos et Makarczyk.
Paraphé : R. B.  Paraphé : H. P.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE À M. THÓR VILhJÁLMSSON ET À Mme PALM, JUGES
(Traduction)
Aux paragraphes 105 et 107 de l’arrêt, la majorité de nos collègues conclut que ni la phase initiale de détention – quarante-quatre heures – de la première requérante après son arrestation le 22 août 1992 ni son incarcération pendant vingt-huit jours pour refus de se soumettre à la sommation n’étaient disproportionnées vu les circonstances de la cause. Après avoir pesé les arguments exposés aux paragraphes 102 à 107 de l’arrêt, nous parvenons à la conclusion que ces périodes de privation de liberté étaient disproportionnées et qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne la première requérante.
Opinion partiellement dissidente commune à MM. LES JUGES Valticos et Makarczyk
Alors que nous partageons l’opinion et les conclusions de la chambre sur la plupart des points de la présente affaire, il en est un sur lequel nous ne sommes pas en mesure de nous associer.
Il s’agit du cas de la « première requérante », Mme Helen Steel, qui, manifestant contre une chasse à la grouse, faisait obstacle aux opérations cynégétiques en se plaçant devant un des chasseurs de manière à l’empêcher de tirer. Elle fut alors emmenée dans un véhicule de police et détenue pendant quarante-quatre heures, à l’issue desquelles elle fut inculpée, et le magistrat lui infligea une amende de 70 livres sterling et la somma, en vertu d’une loi de 1980, de s’engager à respecter l’ordre public et à bien se conduire pendant douze mois. Mme Steel refusa de prendre un engagement qu’elle considérait comme trop vague et elle fut mise en détention pendant vingt-huit jours.
Il ne nous est pas possible de considérer ces mesures comme compatibles avec la lettre et l’esprit de la Convention. En premier lieu, le magistrat, en l’occurrence, ne se prononçait pas vraiment comme juge condamnant une personne en raison d’un délit accompli, mais, en demandant pour l’auteur des assurances rédigées en termes très vagues, et cela sous peine de sanctions pénales, il exerçait une sorte d’imperium dont la loi l’avait revêtu, et ce type de sommation, qui n’est d’ailleurs pas considéré comme une sanction pénale, dépasse, à notre sens, la notion de jugement à laquelle se réfère la Convention.
Cela peut, certes, être discuté. Ce qui ne peut en tout cas pas l’être, c’est que, détenir d’abord pendant quarante-quatre heures, puis condamner à vingt-huit jours de détention une personne qui, certes de manière excessive, sautillait devant un chasseur pour l’empêcher de tuer un volatile, est si manifestement excessif, notamment dans un pays où est répandu l’amour des animaux, qu’il y a là, à notre sens, violation de la Convention.
C’est pourquoi nous avons voté contre la majorité sur les points 2 et 9 du dispositif et moi-même (le juge Valticos) ai voté contre la majorité sur le point 5.
1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
2.  L’affaire porte le n° 67/1997/851/1058. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et  sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.  Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
4.  Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT STEEL ET AUTRES DU 23 SEPTEMBRE 1998
ARRÊT STEEL ET AUTRES DU 23 SEPTEMBRE 1998
ARRÊT STEEL ET AUTRES


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 24838/94
Date de la décision : 23/09/1998
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-lieu à examiner l'art. 5-3 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-2 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3-b ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3-c ; Non-lieu à examiner l'art. 11 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Non-violation de l'art. 5-1 (première requérante) ; Non-violation de l'art. 5-1 (deuxième requérante) ; Violation de l'art. 5-1 (troisième, quatrième et cinquième requérants) ; Non-violation de l'art. 5-1 (première et deuxième requérantes) ; Non-violation de l'art. 5-5 ; Non-violation de l'art. 6-3-a ; Non-violation de l'art. 10 (première requérante) ; Non-violation de l'art. 10 (deuxième requérante) ; Violation de l'art. 10 (troisième, quatrième et cinquième requérants) ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PREVISIBILITE, (Art. 10-2) PROTECTION DES DROITS D'AUTRUI, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-1-b) INSOUMMISSION A UNE ORDONNANCE RENDUE PAR UN TRIBUNAL, (Art. 5-1-c) INFRACTION PENALE


Parties
Demandeurs : STEEL ET AUTRES
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-09-23;24838.94 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award