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14/10/1999 | CEDH | N°39076/97

CEDH | LEHTINEN contre la FINLANDE


[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant [M. Kenneth Lehtinen] est un ressortissant finlandais né en 1950 et résidant à Järvenpää.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les 7, 9 et 14 février 1995, la police de Vantaa procéda à une perquisition dans les locaux de la société à responsabilité limitée du requérant, Järvenpään Yrityspalvelu Oy, ainsi qu’à son domicile. Le mandat indiquait que la perquisition devait être effectuée à l’adre

sse de la société susmentionnée, dans les locaux « d’autres sociétés » sises à la même adresse a...

[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant [M. Kenneth Lehtinen] est un ressortissant finlandais né en 1950 et résidant à Järvenpää.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les 7, 9 et 14 février 1995, la police de Vantaa procéda à une perquisition dans les locaux de la société à responsabilité limitée du requérant, Järvenpään Yrityspalvelu Oy, ainsi qu’à son domicile. Le mandat indiquait que la perquisition devait être effectuée à l’adresse de la société susmentionnée, dans les locaux « d’autres sociétés » sises à la même adresse ainsi qu’au domicile du requérant. La perquisition concernait également les ordinateurs de la société. Elle visait à rassembler des éléments de preuve relatifs à une escroquerie qualifiée et à une infraction comptable, que le requérant était soupçonné d’avoir commises entre le 5 juin 1991 et le 25 mai 1994. Certaines pièces, dont la liste fut dressée, furent saisies. Le 10 février 1995, une partie de ces pièces furent restituées au requérant.
Le 12 février 1995, le requérant adressa une plainte au médiateur parlementaire (eduskunnan oikeusasiamies, riksdagens ombudsman – « le médiateur ») quant à la perquisition des 7 et 9 février. Il lui demanda d’ouvrir une enquête pour déterminer si les enquêteurs de la police de Vantaa traitant des infractions économiques avaient agi conformément à la loi et au bon usage. En outre, il demanda au médiateur de prendre les mesures appropriées afin que la police fût tenue pour responsable des conséquences juridiques. Il déclara que la police avait saisi, dans le but d’en établir des copies, douze dossiers contenant des documents à caractère personnel, dont neuf lui avaient été rendus. Il attira l’attention sur les dates indiquées dans le mandat de perquisition. Il affirma que, bien que ce fait ne figurât pas dans le mandat de perquisition, on l’avait informé oralement que les soupçons concernaient la complicité d’infractions économiques impliquant Lehtikarin Kirjapaino, une société à laquelle il dispensait ses conseils en qualité de comptable et conseiller fiscal.
La plainte du requérant énonçait cinq griefs relatifs à la perquisition et à la saisie. L’intéressé s’en prenait premièrement à l’inconduite des enquêteurs. Deuxièmement, il soutenait que les documents saisis n’avaient pas de rapport avec l’infraction faisant l’objet de l’enquête. Il mentionnait à titre d’exemple une lettre d’ordre privé datée du 31 janvier 1995 et adressée au secrétaire d’un parti politique. Il affirmait en troisième lieu que l’un des officiers de police avait lu la correspondance qu’il avait échangée par télécopieur avec son avocat en décembre 1994 et décembre 1995. En outre, l’officier en question avait consulté son calendrier pour l’année 1995 et son agenda. Quatrièmement, il affirmait que la police avait saisi, au moyen de copies, un nombre considérable d’informations informatisées qui n’avaient pas de lien avec l’infraction faisant l’objet de l’enquête. Il indiquait enfin que les documents saisis lui étaient nécessaires pour son travail quotidien. Il demandait au médiateur d’ordonner à la police de restituer tous les documents saisis et d’en détruire toutes les copies.
En février 1995, le médiateur demanda aux fonctionnaires de police concernés ainsi qu’à leurs supérieurs de formuler des observations sur la plainte du requérant. Il reçut leurs réponses vers mai 1995. D’après une déclaration du département de la police nationale, au ministère de l’Intérieur, la perquisition visait à la découverte de pièces et de documents comptables se rapportant à une infraction économique qui faisait l’objet d’une enquête. Les éléments recueillis ne comprenaient aucun document qui ne pût être saisi ou servir de preuve. Un des officiers de police avait lu un message que le requérant et son avocat avaient échangé par télécopieur, « dans le but de vérifier qu’il concernait uniquement la procédure en cours » contre le requérant et non « l’infraction faisant l’objet de l’enquête ». En outre, l’avocat en question n’assistait pas le requérant devant le tribunal pour la procédure alors pendante. La télécopie n’avait pas été saisie.
En mars 1995, le reliquat des éléments saisis furent restitués au requérant.
Le 7 février 1996, le requérant compléta sa plainte au médiateur d’une déclaration écrite fournie par un officier de la direction de la police criminelle. Le 6 février 1996, l’officier de police avait interrogé le requérant comme témoin dans une affaire impliquant deux sociétés distinctes de celle mentionnée dans le mandat de perquisition. Il confirma qu’il avait alors soumis au requérant des documents écrits que les officiers de la police de Vantaa avaient recueillis, le 14 février 1995, au cours de la perquisition au bureau du requérant « relativement à une autre enquête préliminaire ». Le requérant prétendit que l’utilisation des éléments saisis dans le cadre d’autres enquêtes n’était pas acceptable. Il soutint, se référant à l’affaire Niemietz c. Allemagne (arrêt du 16 décembre 1992, série A n° 251-B), que la saisie constituait une atteinte à ses droits fondamentaux. Il allégua également que, la perquisition ayant été rapportée dans les quotidiens régionaux, on lui avait confié moins de travaux, ce qui avait causé de lourdes pertes financières à sa société. Il renouvela sa plainte concernant, en premier lieu, l’accusation de faute dans l’exercice de ses fonctions et, en second lieu, la destruction des éléments saisis.
Le requérant fut inculpé de complicité de dissimulation d’actifs et de faux en écriture. La procédure judiciaire débuta le 21 février 1996. Il fut relaxé sur les deux chefs d’accusation.
Le 4 avril 1997, la médiatrice adjointe, se référant aux observations formulées par les officiers de police concernés et leurs supérieurs, ne trouva aucune raison de penser que les mesures prises à propos de la perquisition et de la saisie étaient illégales ou entachées d’une quelconque irrégularité. Elle estima donc que la requête n’appelait aucune autre action de sa part.
Le requérant n’a pas contesté la perquisition devant le tribunal en vertu de l’article 13 du chapitre 4 de la loi de 1987 sur les moyens coercitifs utilisés dans les enquêtes pénales (pakkokeinolaki, tvångsmedelslagen 450/1987 – « la loi sur les moyens coercitifs » ; voir le droit interne pertinent). Il n’a pas non plus engagé d’action en réparation car il a déclaré ne pas être encore en mesure d’estimer le montant des dommages éventuels.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
En vertu de l’article 1 du chapitre 4 de la loi sur les moyens coercitifs, un objet peut être saisi lorsqu’il existe des motifs de supposer qu’il pourrait servir de preuve dans une procédure pénale. Aux termes de l’article 9 du chapitre 4, la saisie donne lieu à un procès-verbal. La finalité de la saisie et les mesures prises doivent être dûment consignées et les objets saisis être inventoriés dans le procès-verbal. Aux termes de l’article 11 du chapitre 4, la saisie doit être levée dès qu’elle n’est plus nécessaire, ainsi que dans le cas où l’infraction à l’origine de la saisie ne donne lieu à aucune accusation dans le délai de quatre mois à compter de la date de la saisie. En vertu de l’article 1 du chapitre 5, une perquisition peut être effectuée dans le but de trouver l’objet à saisir ou d’enquêter sur les circonstances entourant l’infraction. Il doit exister une raison de soupçonner qu’a été commise une infraction pour laquelle la peine la plus lourde encourue est l’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois.
L’article 13 du chapitre 4 de la loi sur les moyens coercitifs est ainsi libellé (traduction) :
« Si une personne impliquée dans l’affaire le demande, le tribunal reconsidère l’opportunité du maintien de la saisie. Une demande en ce sens soumise au tribunal avant qu’il n’examine les chefs d’accusation est étudiée dans un délai d’une semaine à compter de sa réception au tribunal. (…) Une décision du tribunal quant à la saisie est susceptible d’un recours distinct. »
Aux termes de l’article 40 de la loi sur les enquêtes préliminaires, les objets saisis au cours d’une telle enquête doivent être rassemblés dans un dossier, si cette mesure est jugée nécessaire pour poursuivre l’examen de l’affaire. Le dossier doit contenir les procès-verbaux d’interrogatoires ainsi que les documents et les enregistrements jugés importants. Il doit également indiquer les mesures prises au cours de l’enquête et toute autre pièce n’y ayant pas été versée.
En vertu de la Constitution de 1919 (Suomen Hallitusmuoto, Regeringsform för Finland), quiconque subit une violation de ses droits ou un préjudice par suite d’un acte illégal ou d’une faute commise par un fonctionnaire est fondé à engager une action contre ce dernier ou à exiger qu’il soit poursuivi, et à réclamer des dommages-intérêts (article 93).
En vertu du code pénal de 1889 (rikoslaki, strafflag), le fonctionnaire qui, intentionnellement ou par négligence, commet un acte ou une omission contraire à ses obligations professionnelles telles que les prévoient la loi ou les règlements, est passible d’une sanction, si l’acte ou l’omission n’est pas de caractère négligeable, compte tenu du dommage causé et d’autres circonstances (articles 10 et 11 du chapitre 40).
En vertu de la loi de 1974 sur la réparation des dommages (vahingonkorvauslaki, skadeståndslag 412/1974), une action peut être engagée contre l’Etat pour dommages causés par la faute ou la négligence de fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions (chapitres 3 et 4).
Aux termes de l’article 7 de l’instruction au médiateur (Eduskunnan oikeusasiamiehen johtosääntö, Instruktion för riksdagens justitieombudsman 10.1.1920/2), si le médiateur est saisi d’une plainte contre un fonctionnaire ou une autorité publique concernant une question relevant de sa compétence, il doit ouvrir une enquête. S’il soupçonne que l’intéressé ou l’autorité concernée a commis un acte illégal ou un manquement appelant son intervention, il doit l’en informer et l’entendre. Le médiateur n’a toutefois pas compétence pour annuler ou modifier des décisions rendues par les autorités administratives ou judiciaires. La mesure la plus  rigoureuse qu’il puisse appliquer consiste à engager des poursuites pénales ou à ordonner que des poursuites pénales soient engagées devant un tribunal contre tout fonctionnaire relevant de sa compétence pour inconduite dans l’exercice de ses fonctions. Cette mesure est assez rarement utilisée (3 décisions sur 2674 en 1997, aucune décision sur les 2361 rendues en 1998 ; rapports d’activités du médiateur parlementaire pour 1997, p. 303, et pour 1998, p. 310 (Eduskunnan oikeusasiamiehen kertomus toiminnastaan, Riksdagens justitieombudsmans berättelse över sin verksamhet). Un comportement manifestement illégal ou injustifié peut conduire à un blâme de la part du médiateur (17 en 1997 et 9 en 1998, rapports susmentionnés). Celui-ci peut également exprimer des critiques sur le comportement injustifié d’une autorité ou d’un fonctionnaire publics, critiques qui pourront servir ultérieurement.
GRIEF
Le requérant prétend que la perquisition et la saisie ont enfreint son droit au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance. Il soutient que les mesures avaient un caractère systématique et débordaient le cadre du mandat requis puisque la majeure partie des objets saisis n’avaient pas de rapport avec la société ou la période faisant l’objet de l’enquête. Il y aurait eu violation du droit du requérant au secret professionnel. Les reportages publiés dans les quotidiens locaux, qui rendirent l’affaire publique, auraient nui à la réputation professionnelle de l’intéressé. En outre, une partie des éléments saisis auraient été photocopiés aux fins d’un usage ultérieur éventuel contre le requérant.
Celui-ci estime que la plainte qu’il adressa au médiateur était le seul recours au sens de l’article 35 de la Convention qui s’offrît à lui. La perquisition aurait porté atteinte à ses droits au titre de l’article 8 de la Convention et les juridictions nationales n’examineraient pas les griefs concernant des violations des droits de l’homme considérés isolément (yksistään). Le requérant précise ne formuler aucune demande de réparation.
PROCÉDURE
La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 29 septembre 1997 et enregistrée le 22 novembre 1997.
Le 8 juillet 1998, la Commission a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.
Les observations écrites du Gouvernement sont parvenues le 8 octobre 1998. Le requérant y a répondu le 3 décembre 1998.
Le 27 octobre 1998, la Commission a octroyé au requérant le bénéfice de l’assistance judiciaire.
A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention le 1er novembre 1998, la requête est examinée par la Cour, en application de l’article 5 § 2 dudit Protocole.
EN DROIT
Le requérant allègue que la perquisition et la saisie de certains documents ont enfreint son droit au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance. Il soutient que les mesures étaient inconsidérées et débordaient le cadre du mandat étant donné que la majeure partie des éléments saisis n’avaient pas de lien avec la société ou la période faisant l’objet de l’enquête. Il se plaint également d’une atteinte à son droit au respect du secret professionnel. En outre, une partie des documents saisis auraient été photocopiés aux fins d’un éventuel usage ultérieur à son encontre. Le requérant invoque l’article 8 de la Convention aux termes duquel :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1.  Sur la perquisition et la saisie
Le Gouvernement soutient que la requête doit être rejetée pour inobservation de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 (ancien article 26) de la Convention. Le requérant n’a pas contesté la saisie devant le tribunal en se prévalant des articles 13 et 16 du chapitre 4 de la loi sur les moyens coercitifs. S’il avait présenté une telle demande, le tribunal se serait trouvé dans l’obligation d’examiner l’affaire dans le délai d’une semaine à compter de la réception de la demande et de décider ensuite, motifs à l’appui, s’il y avait lieu de maintenir la saisie. Par conséquent, le requérant était en mesure de s’opposer à la saisie et d’obtenir ainsi le redressement des violations alléguées. Les articles de la Convention, même considérés isolément, étaient directement applicables en droit interne. D’après le Gouvernement, le recours habituel, en vertu de la loi sur les moyens coercitifs, ne peut pas être remplacé par un recours au médiateur.
Le requérant conteste l’opinion du Gouvernement. Il soutient qu’il est impossible de recourir contre une décision prononcée par le médiateur. Par conséquent, en déposant une plainte auprès de celui-ci, il a épuisé les voies de recours internes. En outre, eu égard au dommage que l’affaire lui a prétendument causé, il affirme que les pertes ne peuvent pas encore être estimées.
La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 de la Convention impose aux personnes désireuses d’intenter contre l’Etat une action devant un organe judiciaire ou arbitral international l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de leur pays. Les Etats n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif pour la violation alléguée, indépendamment de l’incorporation ou non dans l’ordre interne des dispositions de la Convention. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 22, § 48).
Dans le cadre de l’article 35 de la Convention, un requérant doit se prévaloir de recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, notamment, les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11-12, § 27, et Johnston et autres c. Irlande du 18 décembre 1986, série A n° 112, p. 22, § 45).
L’article 35 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler devant la Cour ; il commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, § 34).
En outre, l’article 35 prévoit une répartition de la charge de la preuve quant à l’épuisement des voies de recours internes. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de cette obligation.
La Cour souligne qu’elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme que les Parties contractantes sont convenues d’instaurer. Elle a ainsi reconnu que la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (arrêt Cardot précité, ibidem). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (arrêt Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, série A n° 40, pp. 17-18, § 35). Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, pp. 1210-1211, §§ 65-68).
En appliquant ces principes dans la présente affaire, la Cour constate d’abord que, en règle générale, une plainte adressée au médiateur ne saurait passer pour un recours effectif au sens de l’article 35 de la Convention (voir, mutatis mutandis, arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, pp. 30-32, §§ 80-84, et Montion c. France, requête n° 11192/84, décision de la Commission du 14 mai 1987, Décisions et rapports (DR) 52, pp. 227-231). En second lieu, la Cour rappelle que, dans l’affaire Raninen, dans laquelle le requérant avait saisi uniquement le médiateur de ses griefs, la Cour a rejeté l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes (arrêt Raninen c. Finlande du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2816-2818, §§ 38-42). Cependant, dans l’affaire Raninen, la Cour, allant à l’encontre du contexte précisé dans l’arrêt, a jugé que le Gouvernement n’avait pas démontré que poursuites ou action en dommages-intérêts auraient eu des chances raisonnables de réussir dans les circonstances particulières de la cause (p. 2818, § 42). Il y a également lieu de noter que dans les circonstances de l’affaire Raninen, aucun recours judiciaire spécifique comparable à celui prévu à l’article 13 du chapitre 4 de la loi sur les moyens coercitifs dans la présente affaire, n’était disponible (Raninen c. Finlande, requête n° 20972/92, décision de la Commission du 7 mars 1996, point 1, non publiée (des extraits sont publiés dans DR 84-B, pp. 17-33)).
En l’espèce, la Cour rappelle que le requérant se plaint principalement de ce que la perquisition et la saisie aient dépassé le cadre du mandat en ce que la majeure partie des documents ne concernaient pas la société ou la période faisant l’objet de l’enquête. A cet égard, la Cour constate que le requérant disposait d’un recours, prévu à l’article 13 du chapitre 4 de la loi sur les moyens coercitifs, grâce auquel il aurait pu bénéficier d’un contrôle juridictionnel du maintien de la saisie (voir également l’arrêt Z c. Finlande du 25 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 337-338, § 49, et pp. 348-349, § 101). Si le tribunal avait estimé qu’il n’y avait aucun motif de maintenir la saisie, il en aurait ordonné la mainlevée. Ce pouvoir n’appartient pas au médiateur.
En outre, la Cour rappelle que, en vertu du droit interne, le tribunal se trouvait dans l’obligation d’examiner rapidement un recours relatif à une saisie. Cette requête aurait pu être introduite même avant le début de l’audience dans l’affaire pénale. La décision du tribunal aurait aussi été susceptible d’un recours distinct.
La Cour conclut que le recours contre la saisie peut être jugé accessible et suffisant aux fins de l’article 35 de la Convention.
Il reste à rechercher s’il existait des raisons précises dispensant le requérant, conformément aux principes de droit international généralement reconnus, d’épuiser cette voie de recours qui s’offrait à lui. A cet égard, la Cour renvoie d’abord aux considérations qui précèdent quant aux différences entre la présente affaire et l’affaire Raninen. Ensuite, la Cour estime que la décision du médiateur du 4 avril 1997 ne fournissait pas une raison dispensant le requérant d’épuiser le recours judiciaire à sa disposition. L’obligation d’épuiser les voies de recours internes doit, en principe, s’apprécier à la lumière des circonstances qui régnaient à l’époque, et non à la lumière de tel ou tel événement ultérieur pouvant jeter le doute sur l’efficacité du recours. A supposer même que la décision susmentionnée du médiateur doive être prise en compte dans l’appréciation de l’efficacité du recours judiciaire en l’espèce, la Cour constate que le recours au tribunal national quant à la saisie n’a pas le même objet qu’une plainte adressée au médiateur. A cet égard, la Cour observe, par exemple, que la plainte du requérant adressée au médiateur concernait notamment le comportement des policiers dans le cadre de la perquisition, aspect ressortissant à la compétence du médiateur. D’autre part, l’examen auquel le tribunal se serait livré quant à la saisie aurait d’abord porté sur les raisons de la saisie et son étendue, c’est-à-dire le noyau du grief formulé par le requérant devant la Cour.
La Cour estime qu’il n’y avait aucune raison particulière dispensant le requérant d’épuiser le recours judiciaire prévu par la loi sur les moyens coercitifs.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention.
2.  Sur les photocopies
Le Gouvernement ne conteste pas que les documents saisis aient été photocopiés. Cependant, d’après lui, la conservation des photocopies cadrait avec la loi. Le Gouvernement observe ensuite que, dans sa décision du 30 mars 1998, la médiatrice parlementaire adjointe conseilla expressément de photocopier les documents saisis, au lieu de les conserver au commissariat. Lorsque le but poursuivi est de rassembler des éléments de preuve aux fins d’une procédure pénale ultérieure, il est préférable de faire des copies lorsque celles-ci peuvent être utilisées à la place des documents originaux, lesquels doivent être restitués dès que possible. Cette pratique est conforme au principe du dommage minimum. En l’occurrence, les photocopies assuraient la continuation du travail au bureau du requérant. Quant aux photocopies des pièces informatisées, le Gouvernement observe que, en pratique, la seule façon de manipuler de tels documents est de les photocopier.
En ce qui concerne l’utilisation des documents saisis dans le cadre d’une autre enquête qui ne met pas le requérant en cause, le Gouvernement observe que la loi finlandaise n’apporte aucune restriction au droit de la police à utiliser des informations supplémentaires ou les informations relatives à une infraction que la police a recueillies dans le cadre de son enquête sur une autre infraction. En outre, il ne serait pas réaliste, en pratique, d’interdire à la police d’utiliser des informations déjà en sa possession, de même qu’il serait impossible de veiller au respect de cette interdiction.
Le requérant fait valoir à cet égard que la police a photocopié les documents saisis, y compris des documents portant une date en dehors de la période mentionnée dans le mandat, des documents à caractère personnel et des documents qui ne se rapportaient pas à la société visée dans le mandat. D’après le requérant, les photocopies étaient destinées à un « usage ultérieur » et l’intéressé ignora leur existence jusqu’à ce qu’il en eût vent le 6 février 1996 à propos d’autres enquêtes pénales dans lesquelles la police le cita comme témoin.
a)  En ce qui concerne le fait d’avoir photocopié les documents saisis et copié les dossiers informatisés, la Cour estime que ces mesures sont liées à la saisie initiale. Il lui paraît impossible de séparer la question de la légalité d’une saisie de l’acte de photocopier ultérieurement les documents saisis. Si le tribunal avait jugé la saisie illégale, le requérant aurait pu introduire une action en dommages-intérêts à raison de la perquisition, de la saisie et du fait d’avoir établi des photocopies.
Se fondant sur ses constatations susmentionnées, la Cour juge donc que cette partie de la requête doit être rejetée en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention.
b)  La Cour observe que le requérant s’en prend également à la manière dont les photocopies ont été utilisées dans le cadre d’une autre enquête pénale. Elle observe qu’il a formulé des plaintes précises à cet égard auprès du médiateur un an après avoir introduit sa première plainte. A ce moment-là, le médiateur avait déjà entendu les autorités concernées. La Cour estime cependant qu’il est inutile de déterminer si le requérant a épuisé les voies de recours internes étant donné que cette partie de la requête est de toute façon irrecevable pour les raisons suivantes.
La Cour relève que la procédure pénale dirigée contre le requérant n’avait pas commencé au moment où il se rendit compte que la police détenait des photocopies des documents obtenus au moyen de la saisie dans son bureau. A supposer même que la simple existence de pareilles photocopies dans les archives de la police concernât, comme question distincte, la vie privée du requérant, la Cour estime que cette question est liée elle aussi à la saisie initiale de la même manière que les photocopies. Quant au grief du requérant selon lequel les copies furent utilisées contre lui dans d’autres enquêtes pénales, la Cour estime que les allégations de l’intéressé à cet égard ne se trouvent pas étayées puisqu’il n’a pas identifié de telles procédures.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
DÉCISION lehtinen c. finlande
DÉCISION LEHTINEN c. FINLANDE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 39076/97
Date de la décision : 14/10/1999
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Partiellement recevable

Analyses

(Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) PRIVATION DE LIBERTE


Parties
Demandeurs : LEHTINEN
Défendeurs : la FINLANDE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-10-14;39076.97 ?
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