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10/07/2001 | CEDH | N°48221/99

CEDH | BERGER contre la FRANCE


TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 48221/99  présentée par Marie Therese BERGER  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 10 juillet 2001 en une chambre composée de
MM. L. Loucaides, président,    J.-P. Costa,    P. Kūris,   Mme F. Tulkens,   M. K. Jungwiert,   Mme H.S. Greve,   M. M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits

de l’Homme le 28 octobre 1998 et enregistrée le 20 mai 1999,
Vu les observations soumises par le gouverne...

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 48221/99  présentée par Marie Therese BERGER  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 10 juillet 2001 en une chambre composée de
MM. L. Loucaides, président,    J.-P. Costa,    P. Kūris,   Mme F. Tulkens,   M. K. Jungwiert,   Mme H.S. Greve,   M. M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 28 octobre 1998 et enregistrée le 20 mai 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme Marie Therese Berger, est une ressortissante française, née en 1932 et résidant à Champagny–en–Vanoise (Savoie).
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 30 septembre 1991, la requérante signa un acte authentique notarié de crédit-bail immobilier avec la société anonyme SOFEBAIL, pour la rénovation d’un établissement de vacances qui devait être transformé en meublé. La requérante devait exploiter à titre individuel le fonds de commerce. Dès la fin de l’année 1991, la requérante se plaignait de ce que la société n’avait pas mené les travaux de rénovation à leur terme, comme prévu par le contrat.
Le 13 juin 1994, la requérante déposa une plainte avec constitution de partie civile contre la société pour escroquerie, vol et abus de confiance.
Le 5 mai 1997, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu, rédigée en ces termes :
« Il est apparu en réalité des auditions des parties civiles et du responsable de SOFEBAIL ainsi que des documents produits par les parties que l’ensemble de l’opération de crédit–bail immobilier dont le mécanisme a été qualifié par la partie civile de véritable escroquerie, ne revêt pas de qualification pénale. Les litiges opposant [la requérante] à la SOFEBAIL sont manifestement d’ordre civil ou commercial et ont d’ailleurs donné lieu à diverses procédures de ce type devant les juridictions civiles ou commerciales. »
Le 7 mai 1997, la requérante releva appel de cette ordonnance.
Le 10 juillet 1997, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Colmar confirma l’ordonnance attaquée. Elle estima que les plaintes de la requérante avaient « un caractère manifestement dilatoire » et que certaines de ses allégations étaient « contradictoires », « purement gratuites » et « aucunement étayées ».
Le 11 juillet 1997, la requérante se pourvut en cassation. L’audience eut lieu le 24 septembre 1998. La requérante était représentée par un conseil. Les deux volets du rapport du conseiller rapporteur avaient été transmis à l’avocat général avant l’audience ; par contre, la requérante n’avait pas eu communication des conclusions de ce dernier. Par arrêt du même jour, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable, aux motifs suivants :
« Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance de non–lieu entreprise, la chambre d’accusation, après avoir analysé les faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a exposé les motifs pour lesquels elle a estimé qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis les délits d’abus de confiance et d’escroquerie reprochés ou toute autre infraction ;
Attendu que les moyens proposés, qui reviennent à discuter la valeur des motifs de fait et de droit retenus par les juges, ne contiennent aucun des griefs que l’article 575 du code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler contre un arrêt de la chambre d’accusation en l’absence de pourvoi du ministère public. »
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  L’article 575 du Code de procédure pénale est ainsi libellé :
« La partie civile ne peut se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre d’accusation que s’il y a pourvoi du ministère public. Toutefois, son seul pourvoi est recevable dans les cas suivants :
   1° Lorsque l’arrêt de la chambre d’accusation a dit n’y avoir lieu à informer ;
   2° Lorsque l’arrêt a déclaré l’irrecevabilité de l’action de la partie civile ;
   3° Lorsque l’arrêt a admis une exception mettant fin à l’action publique ;
   4° Lorsque l’arrêt a, d’office ou sur déclinatoire des parties, prononcé l’incompétence de la juridiction saisie ;
   5° Lorsque l’arrêt a omis de statuer sur un chef de mise en examen ;
   6° Lorsque l’arrêt ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ;
  7° En matière d’atteintes aux droits individuels telles que définies aux articles 224-1 à 224-5 et 432-4 à 432-6 du code pénal. »
La Cour de cassation a confirmé la conformité de l’article 575 avec les dispositions de l’article 6 de la Convention. Dans un arrêt récent, la chambre criminelle rappelle qu’il n’y a pas incompatibilité entre les deux articles ci-dessus, « la victime disposant d’un recours devant les juridictions civiles pour faire valoir ses droits » (Cass. crim. 23 novembre 1999, Société Besnier Charchigne, Bull. crim. n° 268).
2.  De nos jours, l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 666, § 106).
GRIEFS
1.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint qu’il y a eu rupture du principe de l’égalité des armes en raison de la décision de la Cour de cassation de déclarer son pourvoi irrecevable à défaut d’un pourvoi de la part du ministère public.
2.  Invoquant la même disposition, la requérante se plaint aussi du caractère inéquitable de la procédure en cassation en raison de la transmission des deux volets du rapport du conseiller rapporteur à l’avocat général avant l’audience et de l’absence de communication à la requérante des conclusions de ce dernier.
EN DROIT
1.  La requérante se plaint du rejet de son pourvoi conformément à l’article 575 du Code de procédure pénale. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement rappelle d’emblée que, quelles que soient les possibilités d’intervention offertes par la procédure pénale aux parties civiles, l’objectif premier du droit pénal ne concerne pas la réparation de leurs préjudices, mais la poursuite et la répression des auteurs d’infractions. C’est ce principe qui sous-tend les dispositions de l’article 575 du Code de procédure pénale. La limitation portée par cet article à la faculté pour la partie civile de se pourvoir en cassation résulte à la fois de la nature des arrêts des chambres d’accusation et de la place dévolue à l’action civile dans le procès pénal. Les chambres d’accusation ne statuent pas sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire qu’elles ne se prononcent pas sur la culpabilité du prévenu, mais contrôlent la bonne marche de l’instruction, et sont notamment conduites, à ce titre, à déterminer la suite qu’il convient de réserver à la poursuite pénale – renvoi devant une juridiction de jugement ou non-lieu. Quant à l’action civile, elle n’est qu’une action accessoire à l’action publique, laquelle est en principe initiée par le ministère public. C’est pourquoi, si le ministère public ne juge pas utile de former un pourvoi contre l’arrêt de la chambre d’accusation attaqué, l’intérêt général ne justifie pas que la partie civile dispose également de cette faculté, à moins que la décision en cause ne nuise gravement à ses intérêts. En tout état de cause, la partie civile conserve toujours la possibilité d’agir devant les juridictions civiles pour solliciter l’indemnisation de son préjudice.
Pour ce qui est de la présente affaire, le Gouvernement note que la décision d’irrecevabilité rendue par la chambre criminelle a été précédée d’une vérification de la conformité de l’arrêt attaqué aux règles de droit applicables. Force donc est de constater que le pourvoi en cassation formé par la requérante n’a pas été privé de tout effet, puisqu’il a conduit la Cour de cassation à examiner, au moins sommairement, les griefs invoqués au fond et à contrôler la régularité de la décision attaquée. En outre, le Gouvernement souligne que la plainte de la requérante avait préalablement fait l’objet d’un examen par deux ordres de juridiction successifs qui sont parvenus à la même conclusion.
La requérante répond qu’il ne faut pas censurer ou réduire la portée générale voulue par l’article 6 de la Convention.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
2.  Selon la requérante, la circonstance que, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation statuant sur le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Colmar du 10 juillet 1997, le rapport du conseiller rapporteur et les conclusions de l’avocat général ne furent communiqués ni à elle-même ni à son avocat et qu’ils ne purent en conséquence y répondre, s’analyse en une méconnaissance du principe de l’égalité des armes et de son droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
Sur le défaut de transmission des deux volets du rapport du conseiller rapporteur aux parties
Le Gouvernement rappelle le rôle dévolu à ce magistrat, chargé d’examiner avec une objectivité complète l’affaire faisant l’objet d’un pourvoi. Cet examen a un double objet, visant d’une part à vérifier la recevabilité du pourvoi et la régularité des pièces transmises, et d’autre part à rédiger un rapport écrit. Une pratique voudrait que les avocats des parties soient informés de celui-ci par une mention au rôle diffusé à l’Ordre des avocats aux conseils huit jours avant l’audience ; au vu de cette mention, les conseils des parties pourraient apprécier l’opportunité de déposer une note complémentaire ou de plaider l’affaire à l’audience. Toutefois, se référant à la jurisprudence de la Cour (arrêt Reinhardt et Slimane–Kaïd, op. cit.), le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour quant au bien-fondé de ce grief.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Sur le défaut de communication des conclusions de l’avocat général aux parties
Le Gouvernement rappelle la pratique selon laquelle les conseils des parties sont informés du sens des conclusions de l’avocat général et ont la possibilité d’y répliquer, soit en prenant la parole après son intervention, soit en présentant une note en délibéré. Il rappelle que la Cour a jugé que cette pratique est de nature à offrir aux parties « la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses [de l’avocat général] et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité, p. 666, § 106). Pour ce qui est de la présente affaire, le Gouvernement note que les faits de la cause sont contemporains de l’arrêt de la Cour susmentionné. Par conséquent, le conseil de la requérante a effectivement disposé de la possibilité de connaître le sens général des conclusions de l’avocat général avant l’audience devant la chambre criminelle. Ce grief serait donc mal fondé.
La Cour rappelle que selon la jurisprudence, un Etat qui se dote d’une Cour de cassation a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elle des garanties fondamentales de l’article 6 (voir, entre autres, l’arrêt Ekbatani c. Suède du 26 mai 1988, série A n° 134, p. 12, § 24).
Or, s’il est vrai que, dans la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, les conclusions de l’avocat général ne sont pas communiquées aux parties, la Cour note qu’il existe de nos jours une pratique, selon laquelle l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré. La Cour a déjà jugé que cette pratique, qui existait à l’époque des faits de la cause, est de nature à offrir aux parties « la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses [de l’avocat général] et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd op. cit.). Par conséquence, la requérante, qui était assistée par un conseil, aurait pu en bénéficier. Il n’y a donc pas eu atteinte au principe de l’égalité des armes.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, le grief relatif à la décision de la Cour de cassation de déclarer le pourvoi de la requérante irrecevable à défaut d’un pourvoi de la part du ministère public ainsi que le grief tiré du défaut de transmission du rapport du conseiller rapporteur aux parties ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S.  Dollé L. Loucaides   Greffière Président
DÉCISION BERGER c. FRANCE
DÉCISION BERGER c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 48221/99
Date de la décision : 10/07/2001
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : BERGER
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-07-10;48221.99 ?
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