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13/09/2001 | CEDH | N°48077/99

CEDH | BAKARIC contre la CROATIE


[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant, Josip Bakarić, est un ressortissant croate né en 1928 et résidant à Zagreb. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, Mme Lidija Lukina-Karajković.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Après avoir servi dans l’armée populaire yougoslave (APY), le requérant prit sa retraite en 1983. Calculée sur la base de son grade et de ses années de service, sa pension militaire lui fut payée par la C

aisse fédérale des pensions yougoslaves jusqu’en décembre 1991, lorsqu’à la suite de la ...

[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant, Josip Bakarić, est un ressortissant croate né en 1928 et résidant à Zagreb. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, Mme Lidija Lukina-Karajković.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Après avoir servi dans l’armée populaire yougoslave (APY), le requérant prit sa retraite en 1983. Calculée sur la base de son grade et de ses années de service, sa pension militaire lui fut payée par la Caisse fédérale des pensions yougoslaves jusqu’en décembre 1991, lorsqu’à la suite de la dissolution de la République fédérale de Yougoslavie ledit organisme mit fin à ses versements. Or le 12 décembre 1992, le bureau de Zagreb de la Caisse de sécurité sociale (Republički fond mirovinskog i invalidskog osigurnaja radnika Hrvatske, Područna služba u Zagrebu) décida qu’à compter du 1er octobre 1992 la pension du requérant s’établirait à 63,22 % du montant que l’intéressé avait perçu en décembre 1991.
Le requérant introduisit alors un recours, dont il fut débouté. Il intenta ensuite une procédure devant le tribunal administratif (Upravni Sud Republike Hrvatske), soutenant que les décisions relatives à la diminution de sa pension militaire étaient illégales et discriminatoires et portaient atteinte à ses droits de propriété.
Le 17 décembre 1993, le tribunal administratif rejeta les prétentions du requérant. Il considéra que les autorités inférieures avaient appliqué de manière correcte les dispositions légales régissant les droits à pension des anciens officiers de l’APY. Il fonda sa décision sur la loi du 31 décembre 1991, qui prévoyait que les pensions des anciens officiers de l’APY devaient être fixées à 63,22 % du montant perçu par les intéressés en décembre 1991. Il estima de surcroît que les autorités croates n’avaient pas porté atteinte aux droits de propriété du requérant dès lors que c’était la Caisse fédérale yougoslave qui avait interrompu le paiement de la pension du requérant. Les autorités croates avaient accepté de verser ladite pension conformément aux dispositions pertinentes des lois régissant la matière.
Le requérant forma un recours constitutionnel, dans lequel il s’en prenait non pas à la décision du tribunal administratif, mais à la constitutionnalité des lois de 1991 et 1992 auxquelles obéissaient les droits à pension des anciens officiers de l’APY.
Le 4 février 1998, la Cour constitutionnelle mit fin à la procédure au motif que, le 18 octobre 1993, le parlement croate avait adopté une nouvelle loi gouvernant la matière : la loi relative aux pensions des anciens officiers de l’APY (Zakon o ostvarivanju prava iz mirovinskog i invalidskog osiguranja pripadnika bivše JNA – Journal officiel no 96/1993).
Dans l’intervalle, le 1er février 1994, le requérant avait formé un nouveau recours constitutionnel, dans lequel il plaidait l’inconstitutionnalité de ladite loi de 1993. Il soutenait que celle-ci portait atteinte à ses droits de propriété dans la mesure où elle prévoyait que sa pension militaire devait être réduite et était discriminatoire à son égard dès lors qu’elle ne touchait pas aux pensions des autres catégories de citoyens.
Le 20 janvier 1999, la Cour constitutionnelle (Ustavni sud Republike Hrvatske) mit fin à la procédure au motif que, le 1er janvier 1999, une nouvelle loi avait été adoptée qui régissait les droits à pension de l’ensemble des citoyens croates.
B.  Le droit interne pertinent
Les dispositions pertinentes de la loi constitutionnelle de 1991 sur la Cour constitutionnelle (ci-après « la loi de 1991 sur la Cour constitutionnelle » – Ustavni zakon o Ustavnom sudu, Journal officiel 13/1991) sont ainsi libellées :
Article 15
« Toute personne a le droit d’engager une procédure tendant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle (...) »
Article 23 § 2
« Toute personne dont les droits ont été violés par une décision fondée sur une législation déclarée inconstitutionnelle ou illégale peut inviter l’organe auteur de la décision à la modifier (...) »
Article 27
« La Cour constitutionnelle met fin aux procédures pendantes devant elle qui portent sur la constitutionnalité de lois ayant entre temps été abrogées ou mises en conformité avec la Constitution et les autres lois. »
Article 28 § 1
« Toute personne qui estime que l’un quelconque de ses droits constitutionnels à été violé par une décision d’un organe judiciaire ou administratif ou d’un quelconque autre organe investi d’une parcelle de l’autorité publique peut former un recours constitutionnel devant la Cour constitutionnelle. »
Article 30
« Lorsqu’elle rend une décision accueillant un recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle annule la décision attaquée et renvoie l’affaire pour réexamen. »
GRIEFS
Le requérant se plaint du fait que la Cour constitutionnelle s’est abstenue de statuer sur son recours constitutionnel, se contentant de mettre fin à la procédure au motif qu’une nouvelle législation avait été adoptée.
EN DROIT
Le requérant se plaint que la Cour constitutionnelle se soit abstenue de statuer sur son recours contestant la constitutionnalité de la loi du 18 octobre 1993 sur les pensions des anciens officiers de l’APY. La Cour examinera ce grief sur le terrain de l’article 6 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement soutient que la présente requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention dans la mesure où l’affaire concerne un contrôle abstrait de la constitutionnalité de lois ayant servi de fondement à la réduction de la pension militaire du requérant. Il ne s’agit pas, dans une telle procédure, de statuer sur une contestation relative à des droits de caractère civil, mais exclusivement d’examiner la question de savoir si la loi attaquée est conforme à la Constitution. La Cour constitutionnelle ne peut rechercher si les droits civils individuels du requérant ont été violés par les décisions des autorités inférieures que dans le cadre d’une procédure engagée par le biais d’un recours constitutionnel individuel. Or le requérant s’est abstenu de former pareil recours, au travers duquel il aurait pu attaquer les décisions des autorités administratives et du tribunal administratif à l’origine de la réduction de sa pension militaire.
Le requérant soutient que la décision de la Cour constitutionnelle ayant mis fin à la procédure relative à son recours constitutionnel, dans lequel il alléguait que son droit de propriété avait été enfreint et qu’il était victime d’une discrimination, l’a privé de l’accès à un tribunal dans la mesure où les autorités internes n’ont pas répondu à ses griefs.
La Cour considère qu’il ne s’impose d’examiner ni la compatibilité de la requête ratione personae ni la question des voies de recours internes, la requête étant de toute manière irrecevable pour les motifs qui suivent.
La Cour rappelle qu’elle a eu à examiner dans un certain nombre d’affaires la question de l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à des procédures devant des juridictions constitutionnelles. Conformément à sa jurisprudence bien établie sur ces questions (arrêts Deumeland c. Allemagne du 29 mai 1986, série A no 100, p. 26, § 77, Bock c. Allemagne du 29 mars 1989, série A no 150, p. 18, § 37, Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993, série A no 262, p. 19, § 35, et Süßmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1171, § 39), le critère pertinent pour déterminer s’il faut prendre en compte une instance devant une juridiction constitutionnelle en vue d’établir le caractère raisonnable de la durée globale d’une procédure consiste à rechercher si le résultat de ladite instance pouvait influer sur l’issue du litige devant les juridictions ordinaires.
Dans l’arrêt Ruiz-Mateos précité, la Cour considéra également (pp. 23–24, §§ 55–60) que l’exigence d’équité de l’article 6 § 1 trouvait à s’appliquer aux procédures devant les juridictions constitutionnelles. Elle jugea que si elle n’avait pas à se prononcer dans l’abstrait sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 aux cours constitutionnelles en général, elle devait rechercher si les droits garantis au requérant par ce texte avaient été touchés dans l’affaire dont elle se trouvait saisie (ibidem, § 57). Elle releva en outre qu’en suscitant des questions d’inconstitutionnalité, les requérants utilisaient l’unique moyen – indirect – dont ils disposaient pour se plaindre d’une atteinte à leur droit de propriété (ibidem, § 59). Il en résulte qu’en principe les procédures devant les juridictions constitutionnelles n’échappent pas au champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.
Dans l’arrêt Süßmann, également précité, la Cour jugea (p. 1164, §§ 16–17) que l’article 6 s’appliquait même lorsque la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale n’était pas une « extension » de celle devant les juridictions ordinaires. Dans l’affaire en question, le requérant s’était adressé directement à la Cour constitutionnelle fédérale sans engager tout d’abord une procédure devant les juridictions civiles ordinaires. La Cour fonda sa conclusion sur le constat selon lequel la contestation relative au montant de la pension à laquelle le requérant pouvait prétendre revêtait un caractère patrimonial et concernait indéniablement un droit de caractère civil au sens de l’article 6 (ibidem, p. 1171, § 41), et que le seul moyen au travers duquel M. Süßmann pouvait faire trancher ce litige était de saisir la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours alléguant une violation de son droit de propriété garanti par la Constitution (ibidem, pp. 1171–1172, § 42).
Dans l’arrêt Pauger c. Autriche du 28 mai 1997 (Recueil 1997–III, p. 894, § 47), la Cour considéra que l’article 6 § 1 s’appliquait à la procédure devant la Cour constitutionnelle dès lors que la seule voie qui s’ouvrait à M. Pauger pour contester les décisions des autorités administratives était l’introduction d’un recours auprès de la Cour constitutionnelle, elle seule pouvant statuer sur la question de la constitutionnalité des dispositions législatives litigieuses. Un constat d’inconstitutionnalité de ces dispositions aurait conduit à l’annulation de celles-ci et à une réévaluation de l’étendue des droits à pension du requérant.
En l’espèce, toutefois, la procédure devant la Cour constitutionnelle diffère sur plusieurs points importants des affaires précitées. La pension du requérant fut réduite le 12 décembre 1992 par la Caisse de sécurité sociale, bureau de Zagreb. Après avoir recouru en vain contre cette décision, l’intéressé engagea une procédure administrative. Le 17 décembre 1993, le tribunal administratif considéra que les autorités inférieures avaient appliqué de façon correcte les dispositions des lois régissant les droits à pension des anciens officiers de l’APY. Il fonda sa décision sur la loi du 31 décembre 1991, aux termes de laquelle les pensions des anciens officiers de l’APY devaient être fixées à 63,22 % du montant perçu par les intéressés en décembre 1991. Il estima par ailleurs que les autorités croates n’avaient pas porté atteinte aux droits de propriété du requérant, dès lors que c’était la Caisse fédérale yougoslave qui avait interrompu le paiement de la pension de l’intéressé. Les autorités croates avaient accepté de verser ladite pension conformément aux dispositions pertinentes des lois régissant la matière.
Les arguments développés devant ladite juridiction se concentraient donc sur les questions juridiques, et principalement sur celles de savoir si la décision de réduire la pension du requérant avait une base légale et si elle avait violé le droit de propriété de l’intéressé.
Par la suite, le requérant eut à sa disposition une autre possibilité de faire examiner les décisions de réduction de sa pension militaire : celle d’un recours constitutionnel visant directement la constitutionnalité desdites décisions. Dans le cadre d’une telle procédure, la Cour constitutionnelle aurait eu l’occasion de statuer sur une contestation portant sur l’étendue des droits à pension du requérant. Vu le caractère patrimonial de pareille contestation, l’article 6 lui aurait été applicable.
Or le requérant s’abstint de former semblable recours. Il choisit d’introduire, à deux reprises, un recours constitutionnel visant la constitutionnalité des lois régissant les droits à pension des anciens officiers de l’APY. C’est la procédure relative au recours intenté le 1er février 1994, dans lequel le requérant contestait la constitutionnalité de la loi du 18 octobre 1993 sur les pensions des anciens officiers de l’APY, qui fait l’objet de la présente requête devant la Cour.
Dans le cadre de ladite procédure, la Cour constitutionnelle ne pouvait toutefois examiner les décisions des autorités inférieures qui avaient réduit la pension militaire du requérant : elle était appelée uniquement à statuer dans l’abstrait sur la constitutionnalité des dispositions incriminées.
En conséquence, ladite procédure n’était pas déterminante pour les droits de caractère civil du requérant, et l’article 6 de la Convention ne lui était donc pas applicable.
Il en résulte que la requête telle qu’elle a été présentée à la Cour est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3 de celle-ci, et qu’elle doit être rejetée, conformément à l’article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent Berger Georg Ress   Greffier Président
DÉCISION BAKARIC c. CROATIE
DÉCISION BAKARIC c. CROATIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 48077/99
Date de la décision : 13/09/2001
Type d'affaire : Decision (Finale)
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 35-3) RATIONE TEMPORIS, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : BAKARIC
Défendeurs : la CROATIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-09-13;48077.99 ?
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