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16/10/2001 | CEDH | N°38055/97

CEDH | AFFAIRE ELIAZER c. PAYS-BAS


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ELIAZER c. PAYS-BAS
(Requête no 38055/97)
ARRÊT
STRASBOURG
16 octobre 2001
DÉFINITIF
16/01/2002
En l’affaire Eliazer c. Pays-Bas,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mmes E. Palm, présidente,    W. Thomassen,   MM. Gaukur Jörundsson,    R. Türmen,    C. Bîrsan,    J. Casadevall,    R. Maruste, juges,  et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le

3 juillet 2001 et le 25 septembre 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’o...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ELIAZER c. PAYS-BAS
(Requête no 38055/97)
ARRÊT
STRASBOURG
16 octobre 2001
DÉFINITIF
16/01/2002
En l’affaire Eliazer c. Pays-Bas,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mmes E. Palm, présidente,    W. Thomassen,   MM. Gaukur Jörundsson,    R. Türmen,    C. Bîrsan,    J. Casadevall,    R. Maruste, juges,  et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2001 et le 25 septembre 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38055/97) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant néerlandais, M. Gerson G.C. Eliazer (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 juillet 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me G. Spong, avocat inscrit au barreau d’Amsterdam. Le gouvernement néerlandais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme J. Schukking, du ministère néerlandais des Affaires étrangères.
3.  Dans sa requête à la Commission, M. Eliazer alléguait que le régime d’accès à la Cour de cassation des Pays-Bas prévu à l’article 10 du règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises et Aruba était contraire à l’article 6 §§ 1 et 3 c) et à l’article 14 de la Convention.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit instrument).
5.  Elle a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci a alors été constituée la chambre appelée à examiner l’affaire (articles 27 § 1 de la Convention et 26 § 1 du règlement).
6.  Par une décision du 8 février 2000, la chambre a déclaré la requête recevable[Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe].
7.  Le Gouvernement a déposé des observations sur le fond (article 59 § 1 du règlement). Le requérant, pour sa part, n’en a pas présenté. Après avoir consulté les parties, la chambre a décidé qu’il ne s’imposait pas de consacrer une audience au fond de l’affaire (article 59 § 2 in fine du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  Par une assignation du 5 juin 1995, le requérant fut invité à comparaître le 14 juin 1995 devant le tribunal de première instance (Gerecht in Eerste Aanleg) des Antilles néerlandaises aux fins d’y répondre d’une accusation de détention d’environ un kilogramme de cocaïne.
9.  Par un jugement du 28 juin 1995, rendu à la suite d’une procédure contradictoire dans le cadre de laquelle le requérant était assisté par un avocat, le tribunal de première instance acquitta l’intéressé. Le parquet interjeta appel devant la Cour de justice commune (Gemeenschappelijk Hof van Justitie) des Antilles néerlandaises et d’Aruba.
10.  Absent lors de la première audience d’appel le 2 janvier 1996, le requérant fut déclaré défaillant (verstek). La Cour de justice commune ajourna l’audience au 9 janvier 1996. Le jour venu, le requérant omit à nouveau de comparaître. Sans procéder à un nouveau report d’audience, la Cour de justice commune reprit la procédure et examina le recours. L’avocat du requérant, qui s’était lui déplacé, assura la défense de son client.
11.  Par un arrêt du 23 janvier 1996, rendu à l’issue d’une procédure par défaut, la Cour de justice commune annula le jugement du 28 juin 1995, reconnut le requérant coupable d’avoir enfreint l’article 3 § 1 de l’ordonnance de 1960 des Antilles néerlandaises sur l’opium (Opiumlandsverordening 1960) et le condamna à deux ans d’emprisonnement.
12.  S’appuyant sur le règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises et Aruba (Cassatieregeling voor de Nederlandse Antillen en Aruba), le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation (Hoge Raad) des Pays-Bas. Pareil recours ne peut porter que sur des points de droit et de conformité procédurale.
13.  Dans son arrêt du 27 mai 1997, la Cour de cassation releva qu’en vertu de l’article 10 § 2 du règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises les jugements rendus à l’issue d’une procédure par défaut n’étaient pas susceptibles d’un pourvoi en cassation.
14.  Elle écarta l’argument de la défense aux termes duquel le pourvoi devait malgré tout être déclaré recevable au motif que ladite disposition du règlement de cassation était contraire à l’article 14 de la Convention et à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qu’elle créait une différence de traitement injustifiée entre les personnes jugées contradictoirement et celles jugées par défaut.
15.  La Cour de cassation releva que d’après l’article 239 du code de procédure pénale des Antilles néerlandaises (Wetboek van Strafvordering van de Nederlandse Antillen) une personne condamnée en appel à l’issue d’une procédure par défaut pouvait faire opposition (verzet) contre sa condamnation. Si l’accusé comparaissait alors devant la juridiction de jugement, l’affaire devait, en vertu de l’article 240 § 2 du code de procédure pénale des Antilles néerlandaises, être entièrement rejugée par la même juridiction dans le cadre d’une procédure contradictoire, et le jugement rendu à l’issue de celle-ci était susceptible d’un pourvoi en cassation.
16.  La Cour de cassation conclut que, dans ces conditions, le jugement du 23 janvier 1996 ne pouvait faire l’objet d’un recours en cassation. Toutefois, sur la base du contenu d’une déclaration faite au nom du requérant le 29 janvier 1996, elle interpréta le pourvoi formé par l’intéressé comme une opposition dirigée contre sa condamnation par défaut et ordonna la communication du dossier du requérant à la Cour de justice commune afin que celle-ci statuât sur ladite opposition.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
17.  D’après l’article 216 du code de procédure pénale des Antilles néerlandaises, les jugements rendus par le tribunal de première instance peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour de justice commune. L’appel en question est un recours de pleine juridiction, c’est-à-dire que la Cour de justice commune peut connaître tant des questions de fait que des questions de droit.
18.  En vertu du règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises, un pourvoi peut être formé devant la Cour de cassation des Pays-Bas contre les décisions rendues en appel par la Cour de justice commune des Antilles néerlandaises et d’Aruba. Pareil pourvoi ne peut porter que sur des questions de conformité procédurale et sur des points de droit.
19.  D’après l’article 239 du code de procédure pénale des Antilles néerlandaises, une personne condamnée par défaut par la Cour de justice commune peut former opposition (verzet) contre sa condamnation.
20.  Si l’accusé comparaît alors à l’audience consacrée à l’examen de son opposition devant la Cour de justice commune, l’affaire doit, conformément à l’article 240 § 2 du code de procédure pénale des Antilles néerlandaises, être entièrement rejugée par cette juridiction. Le jugement rendu à l’issue de la procédure est susceptible d’un pourvoi en cassation.
21.  Si l’accusé ne comparaît pas devant la Cour de justice commune aux fins d’être rejugé, l’opposition est déclarée caduque, et le jugement rendu par défaut devient définitif.
22.  L’article 10 § 2 du règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises et Aruba est ainsi libellé :
« L’accusé ne peut se pourvoir en cassation contre un jugement rendu par défaut [bij verstek gewezen vonnissen]. »
23.  D’après l’exposé des motifs du règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises et Aruba (Memorie van Toelichting, Kamerstukken II, Zitting 1959-1960 – 5959 (R 1945), no 3, p. 5), l’article 10 du règlement se fondait sur les considérations suivantes :
« (...) compte tenu de la grande distance qui sépare le siège de la Cour de cassation et les Antilles néerlandaises, il n’est pas recommandé de prévoir dans les Antilles la possibilité d’un pourvoi en cassation dans tous les cas où pareil recours est possible aux Pays-Bas (...) En général, c’est le suspect lui-même qui sera responsable du fait que sa cause a été traitée en son absence. Dans ces conditions, il n’y a aucun motif d’accorder plus de poids à ses intérêts qu’aux inconvénients liés aux procédures en cassation dans les affaires d’outre-mer. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION
24.  Le requérant se plaint de l’impossibilité pour lui de saisir la Cour de cassation, du fait de l’article 10 du règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises et Aruba. Il y voit une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, dont voici le texte pertinent :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
25.  Le requérant soutient que le droit pour un accusé d’être défendu par un avocat à son procès lorsque lui-même n’y comparaît pas – échappant ainsi au risque d’être arrêté – fait partie intégrante du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention. Renvoyant aux conclusions de la Cour dans les arrêts Lala c. Pays-Bas et Pelladoah c. Pays-Bas du 22 septembre 1994 (série A no 297-A et B), il considère que lorsqu’il s’agit de mettre en balance l’intérêt de l’Etat à garantir la comparution des accusés à leur procès et celui de chaque accusé à exercer son droit à être défendu par un avocat, c’est au second qu’il convient d’attribuer le poids le plus important.
26.  Le Gouvernement soutient en premier lieu que l’article 6 de la Convention ne garantit pas le droit à un appel ni à un pourvoi en cassation. Toutefois, si pareil recours est prévu par la législation interne, la procédure y relative doit satisfaire aux exigences de l’article 6. En l’espèce, le requérant revendique un droit à introduire un recours en cassation que le droit interne ne lui reconnaît pas. Pour le Gouvernement, le droit d’accès à un tribunal n’est pas ici en cause, dès lors que le requérant a eu accès à des juridictions à deux degrés distincts. Ce que l’intéressé réclame en substance, c’est le droit à présenter sa cause – suivant ses propres conditions – à une troisième juridiction afin de faire statuer sur des questions qui ont déjà été tranchées dans le cadre de deux instances successives.
27.  Le Gouvernement plaide de surcroît, sur la base des conclusions de la Cour dans l’arrêt Guérin c. France du 29 juillet 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-V), que le droit d’accès à un tribunal peut être soumis à des restrictions pour autant que celles-ci servent un but légitime et qu’il y ait un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens employés et le but recherché. Le code de procédure pénale des Antilles néerlandaises prévoit un système fermé de voies de droit (gesloten systeem van rechtsmiddelen) en vertu duquel seule une opposition peut être formée contre un jugement rendu par défaut, après quoi un pourvoi en cassation peut être introduit. Par contre, un pourvoi en cassation ne peut être formé directement contre un jugement rendu par défaut. Se référant à l’arrêt Poitrimol c. France du 23 novembre 1993 (série A no 277-A), où la Cour a considéré que le législateur doit avoir le pouvoir de décourager les accusés de s’abstenir de comparaître à leur procès, le Gouvernement souligne que le choix de la voie de droit que représente l’opposition pour contester les jugements rendus par défaut s’explique par le souci de voir le plus grand nombre possible d’affaires jugées en présence de l’accusé.
28.  A cet égard, le Gouvernement considère qu’en exigeant de l’accusé qu’il fasse opposition et en n’autorisant la formation d’un pourvoi en cassation que contre le jugement rendu à l’issue de pareille procédure, à laquelle l’accusé a dû prendre part, il n’emploie pas un moyen disproportionné pour assurer la présence de l’accusé à son procès. De surcroît, le fait que le requérant en l’espèce n’avait pas comparu devant la juridiction d’appel ne constitue pas le motif décisif pour lequel son pourvoi en cassation a été jugé irrecevable. L’irrecevabilité résultait en réalité du fait que l’accusé disposait d’un autre recours : l’opposition.
29.  Le Gouvernement soutient de surcroît que le requérant n’a pas été privé d’un examen équitable de sa cause. Il prit part à la procédure de première instance, où sa défense fut assurée par son avocat, et s’il ne comparut pas en appel, sa défense fut assurée par l’avocat qui comparaissait en son nom.
30.  La Cour rappelle que le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu : il peut donner lieu à des limitations, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours. Toutefois, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. Elles doivent poursuivre un but légitime et il doit exister un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens employés et le but visé. En outre, la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d’accès à un tribunal reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause, et il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d’un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, §§ 35-37, CEDH 1999-IX).
31.  Il convient d’observer en outre que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer des cours de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de pareille juridiction a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elle des garanties fondamentales de l’article 6 (Omar c. France, arrêt du 29 juillet 1998, Recueil 1998-V, p. 1841, § 41). Dans un certain nombre d’affaires, la Cour a considéré que le refus d’examiner un recours en cassation au motif que l’accusé ne s’était pas constitué prisonnier avant l’audience représentait une entrave excessive au droit d’accès à un tribunal et donc au droit à un procès équitable (arrêts Omar et Guérin précités, p. 1842, § 44, et p. 1869, § 47, Khalfaoui, loc. cit., § 54, Krombach c. France, no 29731/96, §§ 82-91, CEDH 2001-II, et Goedhart c. Belgique, no 34989/97, §§ 31-33, 20 mars 2001, non publié).
32.  La Cour rappelle que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale, en raison tant du droit de l’intéressé à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins. Dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées (arrêts Poitrimol précité, p. 15, § 35, et Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 33, CEDH 1999-I).
33.  Contrairement aux requérants dans les affaires Poitrimol, Omar et Khalfaoui précitées, le requérant en l’espèce n’avait pas l’obligation de se constituer prisonnier pour que la procédure d’opposition devant la Cour de justice commune pût se dérouler. C’est délibérément que l’intéressé choisit de ne pas comparaître à cette procédure, car il craignait d’être arrêté. De surcroît, à la différence desdites affaires, il lui aurait été possible de former un recours en cassation s’il avait choisi de comparaître dans la procédure d’opposition (Haser c. Suisse (déc.), no 33050/96, 27 avril 2000, non publiée).
34.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’en l’espèce l’intérêt de l’Etat à s’assurer que dans le plus grand nombre possible de cas les procès aient lieu en présence de l’accusé et à ne permettre un accès à la procédure de cassation qu’à cette condition l’emporte sur le souci qu’avait l’accusé d’éviter le risque d’être arrêté en comparaissant à son procès (voir, mutatis mutandis, Haser, décision précitée).
35.  Pour aboutir à cette conclusion, la Cour a pris en compte l’intégralité de la procédure, et en particulier le fait que l’avocat du requérant avait été entendu lors de l’audience d’appel devant la Cour de justice commune, à laquelle le requérant lui-même n’avait pas comparu – cet élément différenciant la présente espèce des affaires Lala et Pelladoah précitées invoquées par le requérant – et qu’il était loisible à l’intéressé de s’assurer un accès à la Cour de cassation en engageant une procédure qui aurait abouti à un réexamen des charges dirigées contre lui à la condition qu’il comparût au procès. Pour la Cour, on ne peut pas dire que pareil système, qui cherche à ménager un juste équilibre entre les intérêts en cause, revête un caractère inéquitable.
36.  En conséquence, la limitation du droit d’accès à un tribunal qu’a représentée pour le requérant la déclaration d’irrecevabilité de son pourvoi en cassation ne saurait être considérée comme disproportionnée ou comme ayant eu pour effet de priver l’intéressé d’un procès équitable. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
37.  Le requérant estime de surcroît que la différence de traitement quant à l’accès à la Cour de cassation entre les accusés ayant comparu à leur procès et ceux déclarés défaillants n’a pas de justification objective et raisonnable et se heurte dès lors à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 du même instrument.
38.  L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
39.  Le Gouvernement rétorque que la différence de traitement litigieuse repose sur une justification objective et raisonnable, à savoir – hormis les éléments cités dans l’exposé des motifs du règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises et Aruba – le but poursuivi par le système de justice antillais. Celui-ci consisterait à garantir que le plus grand nombre possible d’affaires soient jugées en présence de l’accusé, et le moyen utilisé à cet effet ne saurait passer pour disproportionné.
40.  La Cour rappelle que l’article 14 de la Convention interdit de traiter différemment des personnes placées dans des situations comparables lorsqu’il n’y a pas pour cela une justification objective raisonnable (Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000-IV).
41.  A la lumière des considérations développées plus haut sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention (paragraphes 32-35), la Cour considère que la situation d’une personne condamnée par défaut n’est pas comparable à celle d’une personne condamnée à l’issue d’une procédure contradictoire, dans la mesure où il y a eu comparution du prévenu à son procès dans le second cas mais non dans le premier.
42.  Il n’y a donc pas eu violation de l’article 14 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 de la Convention ;
2.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2001, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O’Boyle Elisabeth Palm   Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune à M. Türmen et M. Maruste.
E.P.
M.O’B.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE À MM. LES JUGES TÜRMEN ET MARUSTE
(Traduction)
Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en l’espèce.
I.  Dans un grand nombre d’affaires où l’exercice de droits garantis par l’article 6 de la Convention se trouvait subordonné à la reddition du prévenu aux autorités ou à sa comparution personnelle au procès, la Cour a constaté une violation de l’article 6 de la Convention (arrêts Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, série A no 277-A, Lala c. Pays-Bas et Pelladoah c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, série A no 297-A et B, Omar c. France et Guérin c. France, 29 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, CEDH 1999-I, Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX, Krombach c. France, no 29731/96, CEDH 2001-II, et Goedhart c. Belgique, no 34989/97, 20 mars 2001, non publié).
Bien que chacune des affaires énumérées ci-dessus possédât ses propres caractéristiques, toutes mettaient en jeu certains principes fondamentaux pouvant être appliqués aux affaires où des prévenus ont été jugés par défaut.
La seule affaire concernant une procédure par défaut dans laquelle la Cour a rejeté un grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention est l’affaire Haser c. Suisse ((déc.), no 33050/96, 27 avril 2000, non publiée). Dans sa décision sur la recevabilité de celle-ci, la Cour jugea en effet que ledit grief était manifestement mal fondé. La position de la majorité en l’espèce semble avoir été largement influencée par cette décision. Or, d’après nous, la situation qui caractérise la présente espèce se distingue de façon substantielle de celle qui caractérisait l’affaire Haser, et ce à plusieurs égards :
1.  Dans les cantons suisses du Tessin et de Neuchâtel, le système judiciaire comporte deux instances. Dans les Antilles néerlandaises, il en comporte trois.
2.  Les recours portés devant la juridiction de seconde instance dans lesdits cantons suisses ne constituent pas des appels mais des pourvois. Dans les Antilles néerlandaises, les recours formés devant la Cour de justice commune contre les décisions des juridictions de première instance ne sont pas limités aux points de droit ou de conformité procédurale mais sont des recours de pleine juridiction.
3.  Le recours pouvant être formé devant la juridiction de seconde instance dans les deux cantons suisses précités revêt une portée très limitée. Il ne donne lieu qu’à un examen des faits sous l’angle de la question de  
savoir si l’appréciation faite par la juridiction de première instance peut ou non être qualifiée d’arbitraire. Cet examen s’effectue sur la base du seul dossier. La procédure est en principe écrite, la tenue d’une audience n’étant qu’exceptionnelle, et l’accusé n’a pas l’obligation de comparaître. Au contraire, la Cour de justice commune des Antilles néerlandaises et d’Aruba est une juridiction d’appel au plein sens du terme. Elle examine tant les questions de fait que les questions de droit. En réalité, c’est elle qui, en l’espèce, a condamné le requérant.
4.  Compte tenu des différences entre les deux systèmes, les intérêts protégés sont également distincts. Dans l’affaire Haser, la portée du recours offert par la juridiction du second degré était très étroite. En pareil cas, la comparution personnelle du prévenu devant le tribunal est importante pour garantir l’équité du procès. C’est en fait sur cet élément particulier que la Cour s’est basée pour statuer dans l’affaire Haser. A la page 9 de sa décision sur la recevabilité de ladite affaire, on peut lire le passage suivant :
« De l’avis de la Cour, toutefois, l’intérêt à un débat contradictoire devant un tribunal pénal de première instance dont le jugement ne peut pas faire l’objet d’un appel, mais seulement d’un pourvoi, prévaut sur celui du condamné par contumace par ce tribunal à être dispensé de relever le défaut afin de ne pas encourir le risque d’être arrêté. Dans un tel cas, en effet, la comparution du condamné revêt une importance capitale au regard de l’exigence du procès pénal équitable et juste, mené dans le respect des droits de la défense. »
Or ces considérations ne sont pas pertinentes en l’espèce. M. Eliazer comparut en personne devant la juridiction de première instance. En appel, son avocat comparut à l’audience organisée par la Cour de justice commune et assura sa défense. M. Eliazer souhaitait former un pourvoi en cassation afin d’obtenir de la Cour de cassation un avis sur la légalité de la perquisition de son domicile. Son avocat avait en effet plaidé l’illégalité de cette mesure devant la Cour de justice commune, qui avait examiné l’argument mais l’avait écarté. Dans ces conditions, nous estimons que les intérêts de M. Eliazer à pouvoir former un pourvoi en cassation l’emportaient sur l’intérêt public à ce qu’il comparût devant la Cour de justice commune.
II.  De surcroît, le requérant n’a pas agi en méconnaissance d’une quelconque obligation prévue par le droit interne en choisissant de ne pas comparaître à son procès devant la Cour de justice commune. Cette juridiction ne délivra ni mandat de comparution ni mandat d’amener. En l’absence d’une obligation générale pour les prévenus de comparaître à leur procès, un défaut de comparution ne peut être considéré comme illégal. En conséquence, si un prévenu choisit de ne pas comparaître, il ne doit pas être pénalisé par la perte d’autres possibilités de se défendre – par exemple celle consistant dans la faculté de se pourvoir en cassation – que conservent les prévenus qui font un choix différent. Lorsque la loi autorise un prévenu à choisir entre comparaître ou ne pas comparaître à son procès, le fait d’opter pour la non-comparution ne peut passer pour une raison valable d’opérer une différence de traitement par rapport aux prévenus qui optent pour la comparution. En l’espèce, le requérant s’est vu dépouiller de son droit de se pourvoir en cassation, et cela constitue à notre avis une différence de traitement injuste entre les personnes jugées dans le cadre d’une procédure contradictoire et celles jugées par défaut.
Eu égard à la portée d’un pourvoi en cassation et aux raisons données dans l’exposé des motifs du règlement de cassation pour justifier l’exclusion de pareil recours pour les accusés n’ayant pas comparu à leur procès – raisons qui semblent avoir été essentiellement fondées sur des considérations organisationnelles tenant aux difficultés inhérentes aux procédures outre-mer –, nous estimons que le fait d’avoir privé le requérant de la possibilité de se pourvoir en cassation au seul motif qu’il n’avait pas comparu à son procès est incompatible avec les droits de la défense et le principe de l’Etat de droit qui doivent exister dans toute société démocratique. Le fait que le requérant avait la faculté de former opposition contre le jugement rendu par la Cour de justice commune n’enlève rien à cette conclusion, dans la mesure où pareille opposition aurait été déclarée caduque si le requérant s’était abstenu de comparaître à l’audience consacrée à l’examen de son recours, ce qui aurait rendu définitif le jugement frappé d’opposition.
Eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, nous considérons que le requérant a subi une restriction excessive de son droit d’accès à un tribunal et qu’il n’a donc pas eu un procès équitable. Nous concluons dès lors qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention et de l’article 14 combiné avec l’article 6.
ARRÊT ELIAZER c. PAYS-BAS – OPINION DISSIDENTE COMMUNE 
À MM. LES JUGES TÜRMEN ET MARUSTE
ARRÊT ELIAZER c. PAYS-BAS 
ARRÊT ELIAZER c. PAYS-BAS – OPINION DISSIDENTE COMMUNE 
À MM. LES JUGES TÜRMEN ET MARUSTE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 38055/97
Date de la décision : 16/10/2001
Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Non-violation de l'art. 6-1 ; Non-violation de l'art. 6-3-c ; Non-violation de l'art. 14+6

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) SITUATION COMPARABLE, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : ELIAZER
Défendeurs : PAYS-BAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-10-16;38055.97 ?

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