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13/02/2003 | CEDH | N°42326/98

CEDH | AFFAIRE ODIEVRE c. FRANCE


AFFAIRE ODIÈVRE c. FRANCE
(Requête no 42326/98)
ARRÊT
STRASBOURG
13 février 2003
En l'affaire Odièvre c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. L. Wildhaber, président,    C.L. Rozakis,    J.-P. Costa,    G. Ress,   Sir Nicolas Bratza,   MM. G. Bonello,    L. Loucaides,    P. Kūris,    I. Cabral Barreto,   Mme F. Tulkens,   MM. K. Jungwiert,
M. Pellonpää,   Mmes H.S. Greve,
S. Botoucharova,   MM. M

. Ugrekhelidze,
S. Pavlovschi,    L. Garlicki,   ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier,
Après en avoir délibéré en ch...

AFFAIRE ODIÈVRE c. FRANCE
(Requête no 42326/98)
ARRÊT
STRASBOURG
13 février 2003
En l'affaire Odièvre c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. L. Wildhaber, président,    C.L. Rozakis,    J.-P. Costa,    G. Ress,   Sir Nicolas Bratza,   MM. G. Bonello,    L. Loucaides,    P. Kūris,    I. Cabral Barreto,   Mme F. Tulkens,   MM. K. Jungwiert,
M. Pellonpää,   Mmes H.S. Greve,
S. Botoucharova,   MM. M. Ugrekhelidze,
S. Pavlovschi,    L. Garlicki,   ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 octobre 2002 et 15 janvier 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 42326/98) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Pascale Odièvre (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 12 mars 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représentée devant la Cour par Me D. Mendelsohn, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3.  La requérante alléguait que le secret de sa naissance et l'impossibilité qui en résultait pour elle de connaître ses origines constituaient une violation de ses droits garantis par l'article 8 de la Convention et une discrimination contraire à l'article 14.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 16 octobre 2001, après une audience portant à la fois sur les questions de recevabilité et sur celles de fond (article 54 § 4 du règlement), elle a été déclarée recevable par une chambre de ladite section, composée des juges dont le nom suit : M. L. Loucaides, président, M. J.-P. Costa, M. P. Kuris, Mme F. Tulkens, M. K. Jungwiert, Mme H.S. Greve, M. M. Ugrekhelidze, ainsi que de Mme S. Dollé, greffière de section. Le 24 juin 2002, la chambre s'est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s'y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
6.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.
7.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire.
8. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 9 octobre 2002 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. F. Alabrune, directeur adjoint des affaires juridiques,    ministère des Affaires étrangères, agent,  Mmes L. Delahaye, magistrate détachée à la sous-direction des    droits de l'homme de la direction des affaires juridiques,    ministère des Affaires étrangères,   C. d'Urso, magistrate au service des affaires européennes    et internationales, chef du bureau des questions     institutionnelles, juridiques et du contentieux,   C. Briand, attachée principale d'administration,    direction générale de l'action sociale, ministère    de l'Emploi et de la Solidarité,   M.-C. Le Boursicot, secrétaire générale du Conseil national    pour l'accès aux origines personnelles, conseils ;
–  pour la requérante  Me D. Mendelsohn, avocat au barreau de Paris, conseil,  Mme O. Roy, maître de conférences     à l'université de Paris X, conseillère.
La requérante était également présente.
La Cour a entendu en leurs déclarations, et en leurs réponses à ses questions, Me Mendelsohn, M. Alabrune et Mme Roy.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9.  La requérante est une ressortissante française résidant à Paris.
10. Elle est née le 23 mars 1965 à Paris (XIVe). Demandant le secret de cette naissance, sa mère souscrivit aux services de l'assistance publique un acte d'abandon de son enfant après avoir signé la lettre qui suit :
« J'abandonne mon enfant Berthe Pascale. Je certifie avoir été informée que passé le délai d'un mois mon enfant sera définitivement abandonné et que l'administration se réserve la faculté de le faire adopter.
Je refuse les secours qui m'ont été proposés.
Je demande le secret de cette naissance.
Je certifie avoir reçu l'imprimé exposant les renseignements de l'abandon.
Paris le 24.5. [effacé] Berthe »
11.  Confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance de la DASS (Direction de l'action sanitaire et sociale), la requérante fut immatriculée le 1er juillet 1965 sous le no 280326 au nombre des pupilles de l'Etat du département de la Seine et, par la suite, adoptée en forme plénière le 10 janvier 1969 par M. et Mme Odièvre dont elle porte aujourd'hui le nom. Le dispositif du jugement du tribunal de grande instance de Paris prononçant l'adoption était ainsi rédigé :
« (...) Ordonner que le dispositif du jugement à intervenir sera dans les formes et les délais (...) transcrit sur les registres de l'état civil de la mairie du quatorzième arrondissement de Paris ;
Dire que ladite transcription tiendra lieu d'acte de naissance à l'enfant ;
Dire que l'acte de naissance originaire et l'acte de naissance établi en application de l'article 58 seront à la diligence du procureur de la République, revêtus de la mention « adoption » et considérés comme nuls. »
12.  Ayant pris connaissance de son dossier d'ancienne pupille du service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine en décembre 1990, la requérante réussit à obtenir des éléments non identifiants concernant sa famille naturelle :
« Bulletin de renseignements concernant un enfant admis à l'hôpital-hospice Saint-Vincent-de-Paul envoyé par : SECRET
Admission du [la date est effacée]
Explication détaillée des motifs qui ont amené l'admission de l'enfant (en cas d'abandon, ou de possibilité d'abandon, donner afin de permettre à l'administration d'assurer le meilleur placement possible à l'enfant, toutes indications sur : aspect physique, mentalité, santé, milieu social, métier, etc. de la mère et si possible du père)
Abandon : les parents vivent maritalement depuis sept ans. De leur liaison, sont issus deux enfants, l'aîné est âgé de 21 mois et Pascale, que la mère nous confie ce jour à titre d'abandon. Le couple est hébergé depuis deux ans mais la recueillante est menacée d'expulsion. Le père est de nationalité espagnole, exerce la profession de peintre en bâtiments, son gain mensuel est de 1 200 francs environ. Ce dernier est marié, a une fille légitime élevée par la mère. D'après les dires de la déposante, son ami ne veut pas entendre parler de Pascale, déclare qu'il ne peut assumer cette nouvelle charge. Mme Berthe paraît sans volonté, se soumet sans peine au désir de son ami. Elle n'a jamais visité sa fille à la clinique, ne voulait pas s'attacher dit-elle. Elle ne l'a vue qu'aujourd'hui, s'en sépare avec une indifférence absolue. Mme Berthe ne travaille pas, élève son fils et garde l'enfant de sa logeuse.
Le secret de cette naissance est demandé.
Signalement de la mère : taille 1 m 63, mince, visage aux traits réguliers, teint clair, yeux marrons très fardés, cheveux châtains longs – épais – est en bonne santé – a un genre équivoque ; moyens intellectuels très limités.
Signalement du père : est de taille moyenne, cheveux blonds, yeux marrons, en bonne santé, sobre.
Pascale est née au terme de 7 mois 1/4, pesait 1770 grammes. Ce jour pèse 3100 grammes. Elle n'a fait aucun incident pendant son séjour à la couverie de (...) Actuellement est à terme, elle ne présente aucune anomalie neurologique ni viscérale. Renseignements notés au certificat médical remis au service crèche.
25 mai (...) Acte de naissance demandé
14 juin (...) Acte joint
18 juin (...) Proposition d'immatriculation cat. A. »
13.  Le 27 janvier 1998, la requérante présenta une requête auprès du tribunal de grande instance de Paris afin de demander de « lever le secret de sa naissance en l'autorisant à se faire communiquer tous documents, pièces d'état civil, actes civils et extraits intégraux d'actes de naissance complets ». Elle exposait qu'elle avait appris que ses parents naturels avaient donné naissance à un garçon né en 1963, puis à deux autres garçons après 1965, qu'elle s'était heurtée au refus de la DASS de lui fournir des informations sur l'état civil de ses collatéraux au motif qu'une telle communication porterait atteinte au secret de sa naissance et qu'ayant appris l'existence d'une fratrie elle était bien fondée à demander que soit levé le secret de cette naissance.
14.  Le 2 février 1998, le greffier du tribunal renvoya le dossier à l'avocat de la requérante en écrivant ce qui suit :
« Après examen de votre dossier par Madame B., vice-présidente de la première chambre, il apparaît que la requérante doive éventuellement saisir le tribunal administratif pour contraindre si elle le peut l'administration à lever le secret ce qui serait en tout état de cause contraire à la loi du 8 janvier 1993. »
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Bref historique et évolution de l'accouchement anonyme en France
15.  La règle Mater semper certa est n'a pas été reçue par le droit français. Il existe en France une tradition ancienne d'abandon organisé d'enfants nouveau-nés. On peut faire remonter cette pratique à l'époque de saint Vincent de Paul qui introduisit l'usage du tour, sorte de tourniquet placé dans le mur d'un hospice. La mère y déposait l'enfant puis sonnait une cloche. A ce signal de l'autre côté du mur, quelqu'un faisait basculer le tour et recueillait le nourrisson. En créant l'œuvre des Enfants trouvés en 1638, saint Vincent de Paul eut pour objectif de lutter contre les infanticides, les avortements ou les expositions.
La prise en compte de l'accouchement dans l'abandon secret est l'œuvre de la Révolution. En 1793, la Convention vota le texte suivant :
« Il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement rétablie de ses couches. Le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne. »
Le système d'abandon dans le tour fut supprimé par une loi du 27 juin 1904 qui instaura le système du « bureau ouvert » (ouvert jour et nuit pour laisser à la femme la possibilité de déposer secrètement un enfant sans décliner son identité, tout en lui indiquant les conséquences de l'abandon et en lui proposant des secours). La tradition d'aide à la maternité secrète amena le gouvernement de Vichy à adopter le décret-loi du 2 septembre 1941 sur la protection de la naissance. Celui-ci organisait l'accouchement anonyme et la prise en charge gratuite de la femme enceinte pendant le mois qui précède et le mois qui suit l'accouchement dans tout établissement hospitalier public susceptible de lui donner les soins que comporte son état. Ce texte fut abrogé puis repris par les décrets du 29 novembre 1953 et du 7 janvier 1959, avant d'être modifié en 1986 pour devenir l'article 47 du code de la famille et de l'aide sociale puis l'actuel article L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles :
« Les frais d'hébergement et d'accouchement des femmes qui ont demandé, lors de leur admission dans un établissement public ou privé conventionné, à ce que le secret de leur identité soit préservé, sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département siège de l'établissement.
Sur leur demande ou avec leur accord, les femmes mentionnées au premier alinéa bénéficient d'un accompagnement psychologique et social de la part du service de l'aide sociale à l'enfance.
Pour l'application du premier alinéa, aucune pièce d'identité n'est exigée et il n'est procédé à aucune enquête.
Lorsque le nom du père ou de la mère de l'enfant figure dans l'acte de naissance établi dans le délai prévu par les articles 55 et suivants du code civil, la prise en charge des frais d'hébergement et d'accouchement par le service n'est pas de droit. »
La loi no 93-22 du 8 janvier 1993 « modifiant le code civil relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant un juge aux affaires familiales » a consacré l'accouchement sous X en donnant une nouvelle dimension à l'abandon secret. Pour la première fois, l'accouchement secret a une incidence sur l'établissement de la filiation, les articles 341 et 341-1 du code civil élevant une fin de non-recevoir à la recherche en maternité naturelle : il n'y a pas de mère au sens juridique du terme :
« La recherche en maternité est admise sous réserve de l'application de l'article 341-1. L'enfant qui exerce l'action sera tenu de prouver qu'il est celui dont la mère prétendue est accouchée. La preuve ne peut en être rapportée que s'il existe des présomptions ou indices graves.
Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. »
En plus de l'accouchement anonyme et secret organisé par l'article L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles, qualifié généralement « d'accouchement sous X » et associé du point de vue de la filiation aux articles 341 et 341-1 du code civil précités, le secret des origines pouvait provenir également d'une autre disposition. Les parents peuvent remettre leur enfant de moins d'un an aux services de l'aide sociale à l'enfance en demandant le secret de leur identité (ancien article 62-4o du code de la famille et de l'aide sociale devenu l'article L. 224-5, 4o, du code de l'action sociale et des familles) : le lien de filiation établi dans l'acte d'état civil est annulé et donne lieu à un acte de naissance fictif appelé état civil provisoire.
16.  Depuis l'adoption de la loi de 1993, plusieurs rapports officiels sont allés dans le sens d'un aménagement de l'accouchement anonyme.
Déjà en 1990, un rapport du Conseil d'Etat « Statut et protection de l'enfant » proposait la création d'un organe de médiation, le « Conseil pour la recherche des origines familiales », afin de permettre, avec l'accord des parties intéressées, la communication d'informations et la mise en relation des personnes concernées. Le Conseil d'Etat insistait ainsi sur la base consensuelle indispensable et préalable à la levée du secret des origines. A cet égard, il rappelait la difficulté de la recherche du parent (« cette tâche est d'autant moins facile à entreprendre que les pratiques actuellement suivies par les services administratifs en matière de secret des origines sont les plus variées. Aucune technique de recherche ne peut, dans ces conditions, être établie. Or il est constant qu'en pratique un certain nombre d'informations sont recueillies et conservées, ce qui rend leur exploitation virtuellement possible. Mais celle-ci ne peut en fait être entreprise que si au préalable, une procédure uniforme, claire et simple de recueil et de conservation des secrets invoqués est instaurée ») mais également la difficulté à laquelle cette recherche se heurtait, à savoir le secret professionnel. C'est pourquoi il proposait une voie médiane qui conférerait aux personnes tenues au secret la faculté de lever le secret professionnel auquel elles sont tenues si elles l'estiment utile pour les besoins de l'établissement des origines familiales. En bref, le Conseil d'Etat suggérait d'organiser un droit d'accès limité de l'enfant à l'identité de ses auteurs par l'intermédiaire d'une structure spécialement créée qui serait chargée de recueillir la volonté des parents et d'opérer au rapprochement psychologique des parties.
En 1995, le rapport de M. Mattéi, « Enfant d'ici, enfant d'ailleurs – l'adoption sans frontières », proposait le maintien du secret de l'accouchement et de la naissance mais envisageait le recueil de renseignements non identifiants.
Le rapport de la commission d'enquête parlementaire présidée par Laurent Fabius « Droits de l'enfant, de nouveaux espaces à conquérir » rendu public le 12 mai 1998 proposait d'aménager l'accouchement sous X en ces termes :
« Il pourrait être envisagé de conserver auprès d'une institution publique les informations relatives à la filiation biologique de l'enfant. Le secret de l'information pourrait être levé, sur la base d'une demande commune de la mère et de l'enfant pendant la minorité de celui-ci. Cette possibilité pourrait être conditionnée, soit à la capacité de l'enfant soit à un âge minimal. Elle ne pourrait être exercée que par l'enfant personnellement et non par son représentant légal. Le secret serait levé de plein droit, à la demande du seul enfant mais sous réserve de l'information de la mère, à l'âge de dix-huit ans. En tout état de cause, la divulgation du secret ne serait pas susceptible de remettre en cause les liens de filiations déjà reconnus à l'enfant. (...)
Ce type de dispositif pourrait être dans un premier temps mis en place pour l'accouchement sous X et pour l'abandon secret, et serait ensuite, lorsque le législateur le jugera opportun, étendu aux naissances par procréation médicalement assistées. »
Le rapport d'Irène Théry « Couple, filiation et parenté aujourd'hui – Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée » remis aux ministres de la Justice et de l'Emploi et de la Solidarité le 14 mai 1998 faisait la proposition suivante :
« Compte tenu des conséquences extrêmement graves de l'accouchement anonyme, celui-ci privant doublement l'enfant de sa filiation paternelle et maternelle, il est proposé de supprimer l'article 341-1 du code civil. L'abandon volontaire et responsable de l'enfant en vue de son adoption paraît une issue plus équilibrée, et moins douloureuse pour l'enfant. »
Le rapport du professeur Françoise Dekeuwer-Défossez « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps », remis au ministre de la Justice le 14 septembre 1999, livre un résumé de la vive discussion concernant la légitimité du secret. Il propose de conserver l'accouchement anonyme, de supprimer la disposition de l'article 62-4o du code de la famille et de l'aide sociale, et d'encourager une mise en œuvre réversible du droit à la discrétion de la femme qui accouche en créant par exemple un organisme ou en désignant des référents chargés, d'une part, de conserver dans la confidentialité l'identité de la femme ayant demandé le secret de son identité et, d'autre part, de jouer un rôle de médiateur.
B.  Loi no 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à « l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat »
17.  La loi marque l'aboutissement du processus de réformes décrit ci-dessus. Elle ne remet pas en cause le principe de l'accouchement anonyme mais permet d'organiser la réversibilité du secret de l'identité sous réserve de l'accord exprès de la mère et de l'enfant. Elle a en revanche supprimé la possibilité de demande de secret des parents telle qu'elle résultait de l'article L. 224-5 du code de l'action sociale et des familles. Les principales dispositions sont ainsi libellées :
Article 1
« Le titre IV du livre Ier du code de l'action sociale et des familles est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
Conseil national pour l'accès aux origines personnelles
Art. L. 147-1 – Un Conseil national, placé auprès du ministre chargé des affaires sociales, est chargé de faciliter, en liaison avec les départements et les collectivités d'outre-mer, l'accès aux origines personnelles dans les conditions prévues au présent chapitre.
Il assure l'information des départements, des collectivités d'outre-mer et des organismes autorisés et habilités pour l'adoption sur la procédure de recueil, de communication et de conservation des renseignements visés à l'article L. 147-5, ainsi que sur les dispositifs d'accueil et d'accompagnement des personnes à la recherche de leurs origines, des parents de naissance et des familles adoptives concernés par cette recherche ainsi que sur l'accueil et l'accompagnement des femmes demandant le bénéfice des dispositions de l'article L. 222-6. (...)
Il est composé d'un magistrat de l'ordre judiciaire, d'un membre de la juridiction administrative, de représentants des ministres concernés, d'un représentant des conseils généraux, de trois représentants d'associations de défense des droits des femmes, d'un représentant d'associations de familles adoptives, d'un représentant d'associations de pupilles de l'Etat, d'un représentant d'associations de défense du droit à la connaissance de ses origines, et de deux personnalités que leurs expérience et compétence professionnelles médicales, paramédicales ou sociales qualifient particulièrement pour l'exercice de fonctions en son sein.
Art. L. 147-2 – Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles reçoit :
1o  La demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant formulée :
–  s'il est majeur, par celui-ci ;
–  s'il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même avec l'accord de ceux-ci ;
–  s'il est majeur placé sous tutelle, par son tuteur ;
–  s'il est décédé, par ses descendants en ligne directe majeurs ;
2o  La déclaration de la mère ou, le cas échéant, du père de naissance par laquelle chacun d'entre eux autorise la levée du secret de sa propre identité ;
3o  Les déclarations d'identité formulées par leurs ascendants, leurs descendants et leurs collatéraux privilégiés ;
4o  La demande du père ou de la mère de naissance s'enquérant de leur recherche éventuelle par l'enfant.
Art. L. 147-3 – La demande d'accès à la connaissance de ses origines est formulée par écrit auprès du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles ou du président du conseil général ; elle peut être retirée à tout moment dans les mêmes formes.
Le père ou la mère de naissance qui font une déclaration expresse de levée du secret ou les ascendants, descendants ou collatéraux privilégiés du père ou de la mère de naissance qui font une déclaration d'identité sont informés que cette déclaration ne sera communiquée à la personne concernée que si celle-ci fait elle-même une demande d'accès à ses origines.
Art. L. 147-4 – Le conseil communique au président du conseil général copie de l'ensemble des demandes et déclarations reçues en application de l'article L. 147-2.
Art. L. 147-5 – Pour satisfaire aux demandes dont il est saisi, le conseil recueille copie des éléments relatifs à l'identité :
1o  De la femme qui a demandé le secret de son identité et de son admission lors de son accouchement dans un établissement de santé et, le cas échéant, de la personne qu'elle a désignée à cette occasion comme étant l'auteur de l'enfant ;
2o  De la ou des personnes qui ont demandé la préservation du secret de leur identité lors de l'admission de leur enfant comme pupille de l'Etat ou de son accueil par un organisme autorisé et habilité pour l'adoption ;
3o  Des auteurs de l'enfant dont le nom n'a pas été révélé à l'officier de l'état civil lors de l'établissement de l'acte de naissance.
Les établissements de santé et les services départementaux ainsi que les organismes autorisés et habilités pour l'adoption communiquent au conseil national, sur sa demande, copie des éléments relatifs à l'identité des personnes mentionnées aux alinéas qui précèdent ainsi que tout renseignement ne portant pas atteinte au secret de cette identité, et concernant la santé des père et mère de naissance, les origines de l'enfant et les raisons et circonstances de sa remise au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé et habilité pour l'adoption.
Pour satisfaire aux demandes dont il est saisi, le conseil recueille également, auprès de l'Autorité centrale pour l'adoption, de la mission de l'adoption internationale ou des organismes autorisés et habilités pour l'adoption, les renseignements qu'ils peuvent obtenir des autorités du pays d'origine de l'enfant en complément des informations reçues initialement.
Art. L. 147-6 – Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1o de l'article L. 147-2, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité de la mère de naissance :
–  s'il dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité ;
–  s'il n'y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ;
–  si l'un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ;
–  si la mère est décédée, sous réserve qu'elle n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Dans ce cas, l'un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille de la mère de naissance et lui propose un accompagnement.
Si la mère de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celle-ci, si elle ne s'est pas opposée à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au 3o de l'article L. 147-2.
(...) [pareille disposition suit pour le « père de naissance »]
Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1o de l'article L. 147-2 les renseignements ne portant pas atteinte à l'identité des père et mère de naissance, transmis par les établissements de santé, les services départementaux et les organismes visés au cinquième alinéa de l'article L. 147-5 ou recueillis auprès des père et mère de naissance, dans le respect de leur vie privée, par un membre du conseil ou une personne mandatée par lui.
Art. L. 147-7 – L'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit.
Art. L. 147-8 – Le procureur de la République communique au conseil national, sur sa demande, les éléments figurant dans les actes de naissance d'origine, lorsque ceux-ci sont considérés comme nuls en application de l'article 354 du code civil.
Article 2
« I. – Il est inséré, au début de l'article L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles, un alinéa ainsi rédigé :
« Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article L. 147-6. Elle est également informée qu'elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu'elle a donnés au moment de la naissance. Les prénoms donnés à l'enfant et, le cas échéant, mention du fait qu'ils l'ont été par la mère, ainsi que le sexe de l'enfant et la date, le lieu et l'heure de sa naissance sont mentionnés à l'extérieur de ce pli. Ces formalités sont accomplies par les personnes visées à l'article L. 223-7 avisées sous la responsabilité du directeur de l'établissement de santé. A défaut, elles sont accomplies sous la responsabilité de ce directeur. »
Article 3
II. – L'article L. 223-7 du même code est ainsi rétabli :
« Art. L. 223-7 – Pour l'application de l'article L. 222-6, dans chaque département, le président du conseil général désigne au sein de ses services au moins deux personnes chargées d'assurer les relations avec le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, d'organiser, dès que possible, la mise en œuvre de l'accompagnement psychologique et social dont peut bénéficier la femme et de recevoir, lors de la naissance, le pli fermé mentionné au premier alinéa de l'article L. 222-6, de lui délivrer l'information prévue à l'article L. 224-5 et de recueillir les renseignements relatifs à la santé des père et mère de naissance, aux origines de l'enfant et aux raisons et circonstances de sa remise au service de l'aide sociale à l'enfance ou à l'organisme autorisé et habilité pour l'adoption. Elles s'assurent également de la mise en place d'un accompagnement psychologique de l'enfant.
Ces personnes devront suivre une formation initiale et continue leur permettant de remplir ces missions. Cette formation est assurée par le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles qui, selon des modalités définies par décret, procède à un suivi régulier de ces personnes. »
C.  Autres dispositions pertinentes
18.  Code civil
Article 354
« Dans les quinze jours de la date à laquelle elle est passée en force de chose jugée, la décision prononçant l'adoption plénière est transcrite sur les registres de l'état civil du lieu de naissance de l'adopté, à la requête du procureur de la République.
La transcription énonce le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant ainsi que ses prénoms, tels qu'ils résultent du jugement d'adoption, les prénoms, noms, date et lieu de naissance, profession et domicile du ou des adoptants. Elle ne contient aucune indication relative à la filiation réelle de l'enfant.
La transcription tient lieu d'acte de naissance à l'adopté.
L'acte de naissance originaire et le cas échéant, l'acte de naissance établi en application de l'article 58 sont, à la diligence du procureur de la République, revêtus de la mention « adoption » et considérés comme nuls. »
Article 356
« L'adoption confère à l'enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d'origine : l'adopté cesse d'appartenir à sa famille par le sang (...) »
D.  Droit comparé
19.  La maternité secrète est peu connue des législations internes européennes puisque seuls l'Italie et le Luxembourg n'imposent pas légalement aux parents biologiques de faire enregistrer un nouveau-né ou de déclarer leur identité lors de son enregistrement. En revanche, l'indication du nom de la mère, qui se voit automatiquement rattacher l'enfant, mais aussi du père, est obligatoire dans bon nombre de pays : Norvège, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Espagne (une décision de la Cour suprême rendue en 1999 a constaté l'inconstitutionnalité de l'article 47 de la loi sur l'état civil qui offrait la possibilité de faire figurer la mention « de mère inconnue » sur les registres de l'état civil), Danemark, Royaume-Uni, Portugal, Slovénie ou Suisse.
On assiste ces dernières années dans certains pays à une évolution vers une acceptation, sinon de l'accouchement sous X, du moins d'un accouchement dans la discrétion. On peut citer la Belgique, où le débat est ouvert compte tenu notamment du nombre de femmes passant la frontière pour aller accoucher en France dans l'anonymat. Un avis du comité consultatif de bioéthique rendu le 12 janvier 1998 fait état des deux positions défendables proposées du point de vue éthique : certains estiment qu'il n'est pas acceptable que viennent au monde des enfants sans filiation ; c'est pourquoi ils préfèrent proposer d'organiser « l'accouchement dans la discrétion » ne fermant pas définitivement la porte à toute recherche de filiation. D'autres pensent que le dilemme éthique soulevé par l'accouchement dans l'anonymat ne réside nullement dans l'opposition des droits respectifs « de l'enfant à une filiation » et de « la mère en détresse » à résoudre sa situation conflictuelle, mais dans la confrontation plus fondamentale de deux valeurs, celle de la vie de l'enfant d'une part, et le droit de toute personne à connaître sa mère biologique d'autre part. Ils affirment que, dans ce dilemme, c'est la sauvegarde de la vie de l'enfant et de son épanouissement qui doit être la première valeur à respecter. C'est pourquoi ils jugent que l'accouchement dans l'anonymat est parfaitement légitime et acceptable d'un point de vue éthique. En Allemagne également, devant l'augmentation des nouveau-nés abandonnés, une première « boîte à bébés » (Babyklappe) – un endroit où la mère dépose son enfant, sonne et s'en va sans donner son identité – s'est installée à Hambourg il y a deux ans environ. Depuis, d'autres Babyklappen se sont créées dans plusieurs villes. En mai 2002, un projet de loi relatif à l'accouchement anonyme a été rejeté par le Bundestag. Le 21 juin 2002, le Land de Bade-Wurtemberg a soumis au Bundesrat un autre projet de loi qui a été renvoyé aux commissions compétentes afin de le présenter au Bundestag. Autre exemple encore, la Hongrie, où la mère peut décider de garder l'anonymat en abandonnant son nouveau-né dans une salle spéciale non surveillée existant dans les hôpitaux.
EN DROIT
I.  SUR L'EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
20.  Le Gouvernement demande à la Grande Chambre de revenir sur la décision de recevabilité de la chambre. Il affirme que la requérante devait saisir les juridictions administratives en cas de refus de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de lui communiquer des éléments identifiants sur sa mère biologique (voir la décision sur la recevabilité du 16 octobre 2001 concernant la présente affaire, partie « Le droit et la pratique internes pertinents »). Dès lors, si à la lumière des seuls textes de droit interne qui prévoient et protègent le secret de l'identité de la mère lors de l'accouchement, le recours avait peu de chance de succès, la requérante pouvait soulever l'éventuelle contrariété de la loi interne avec les dispositions de la Convention en vertu de l'application directe de celle-ci dans le système juridique français.
21.  La Cour observe que, dans sa décision du 16 octobre 2001, la chambre compétente rejeta l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement, identique à celle soulevée maintenant devant la Grande Chambre, dans les termes suivants :
« (...) La Cour constate que la loi no 78/753 du 17 juillet 1978 sur le droit d'accès aux documents administratifs prévoit le droit pour toute personne à qui l'administration a opposé un refus, sur la base des articles 6 et 6 bis de la loi, de saisir la CADA. Toutefois, elle relève qu'il ressort clairement des avis de cette commission que la communication des documents détenus par l'administration est refusée en cas de manifestation expresse du souhait de la mère de préserver le secret de son identité. Tout recours ultérieur devant le tribunal administratif s'avère par ailleurs vain, et ce, toujours au nom du secret protégé par la loi au sens de l'article 6 de la loi précitée. Ainsi, faute d'explications convaincantes du Gouvernement sur le caractère « effectif » et « adéquat » du recours invoqué par lui, et compte tenu du caractère certain de la demande de secret de la mère naturelle, la Cour estime que le recours dont la requérante disposait n'était pas, en l'espèce, normalement disponible et suffisant pour lui permettre d'obtenir les détails de son identité en tant qu'être humain. »
22.  La Cour rappelle qu'il n'est pas exclu que la Grande Chambre puisse se prononcer, le cas échéant, sur des questions relatives à la recevabilité de la requête en vertu de l'article 35 § 4 de la Convention selon lequel la Cour peut rejeter une requête qu'elle considère comme irrecevable « à tout stade de la procédure ». Ainsi, même au stade de l'examen au fond, sous réserve de ce qui est prévu à l'article 55 de son règlement, elle peut revenir sur la décision par laquelle la requête a été déclarée recevable lorsqu'elle constate que celle-ci aurait dû être considérée comme irrecevable pour une des raisons énumérées aux alinéas 1 à 3 de l'article 35 de la Convention (arrêt Pisano c. Italie [GC] (radiation), no 36732/97, § 34, 24 octobre 2002).
23.  Toutefois, en dépit de la responsabilité des autorités nationales dans la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la Convention, la Cour est d'avis qu'en l'espèce il ne saurait être reproché à la requérante de n'avoir pas soumis sa plainte devant les juridictions administratives en raison, de l'aveu même du Gouvernement, de ce que ce recours eût été voué à l'échec compte tenu du secret protégé par les lois concernées. Le Gouvernement n'ignore pas la détermination de l'intéressée à connaître l'identité de sa mère biologique et ne saurait, sous couvert d'une interprétation particulièrement large du respect du principe de subsidiarité, lui reprocher de n'avoir pas soulevé la violation de ses droits garantis par l'article 8 de la Convention, alors même que ceux-là, en droit interne, n'étaient pas reconnus et qu'ils ne le sont, sous conditions, que depuis l'adoption de la loi du 22 janvier 2002 (paragraphe 17 ci-dessus), qui est de près de quatre ans postérieure à l'introduction, par la requérante, de sa requête devant la Commission. Dans ces circonstances, la Cour ne voit pas de raison de revenir sur le rejet de l'exception soulevée par le Gouvernement devant la chambre.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
24.  La requérante se plaint de ne pouvoir obtenir la communication d'éléments identifiants sur sa famille naturelle et de l'impossibilité qui en résulte pour elle de connaître son histoire personnelle. Elle allègue la violation de l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A.  Applicabilité de l'article 8
1.  Arguments des parties
25.  La requérante soutient que sa demande d'obtention de renseignements sur des aspects éminemment personnels de son histoire et de son enfance entre dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention. La recherche de son identité fondamentale fait partie intégrante de sa « vie privée » mais également de sa « vie familiale », celle de sa famille naturelle avec qui elle pourrait établir des liens affectifs si la loi française ne l'en empêchait pas.
26.  Le Gouvernement exclut cette dernière hypothèse en rappelant qu'en garantissant le droit au respect de la vie familiale, l'article 8 présuppose l'existence d'une famille (Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31). Si la jurisprudence n'exige pas une cohabitation entre les différents membres de la « famille », il doit exister à tout le moins des rapports personnels étroits entre eux. L'existence de liens qui démontreraient une relation affective entre deux êtres et leur volonté d'entretenir cette relation serait primordiale pour les organes de la Convention. Ces derniers estiment même que le seul lien biologique est insuffisant, faute de liens personnels étroits entre les intéressés pour constituer une vie familiale au sens de l'article 8. Ainsi, la Commission a pu décider que le fait pour un homme de faire don de son sperme pour permettre à une femme de concevoir par insémination artificielle ne confère pas en soi au donneur le droit au respect de sa vie familiale avec l'enfant issu de cette insémination (M. c. Pays-Bas, no 16944/90, décision de la Commission du 8 février 1993, Décisions et rapports 74, p. 121). En l'espèce, le Gouvernement soutient qu'il n'existe entre la requérante et sa mère biologique aucune vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention car la première n'a jamais vu sa mère au motif que celle-ci n'a jamais souhaité la connaître et la considérer comme son enfant. Elle a en effet expressément manifesté sa volonté de l'abandonner et a accepté que son enfant soit adoptée par d'autres personnes. Seule la vie familiale constituée par la requérante avec ses parents adoptifs serait susceptible d'entrer dans le champ de l'article 8.
27.  Le Gouvernement ne dénie pas que la notion de vie privée, visée également par l'article 8 de la Convention, peut englober parfois les éléments d'identification physique et sociale de l'individu. Il rappelle que, dans l'affaire Gaskin, l'intéressé qui avait été placé très jeune à l'assistance publique souhaitait consulter le dossier confidentiel constitué par les autorités locales comprenant les rapports de toutes les personnes qui étaient intervenues dans sa prise en charge ; il n'avait pu avoir accès à la totalité de son dossier en raison du refus de certains informateurs de lui communiquer les renseignements qu'ils avaient donnés sous le sceau du secret (Gaskin c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 160). En l'espèce, l'Etat français n'a pas refusé de fournir des renseignements à la requérante mais a tenu compte de la volonté de sa mère qui a refusé, dès le départ, de voir communiquer son identité. A l'instar de l'affaire Gaskin, la présente requête met en jeu deux intérêts concurrents : la demande d'accès à ses origines et le respect de la vie privée d'une femme qui d'emblée n'a pas voulu être considérée comme mère de la requérante. Toutefois, la demande de l'intéressée ne concernait pas l'obtention de renseignements sur des « aspects éminemment personnels de [son] enfance, de [son] évolution et de [ses] antécédents », car elle cherchait à entrer en contact avec sa fratrie dont elle a appris l'existence à l'âge adulte et qu'elle n'a jamais connue. Le Gouvernement en conclut que la demande actuelle de la requérante ne relève pas de la « vie privée » au sens de l'article 8 de la Convention car elle concerne des informations relatives à une famille naturelle dont elle a été séparée dès la naissance et à la suite de la décision de sa mère de l'abandonner.
2.  Appréciation de la Cour
28.  En l'espèce, la Cour relève que la quête de la requérante n'est pas de remettre en cause l'existence de sa filiation adoptive mais de connaître les circonstances de sa naissance et de son abandon englobant la connaissance de l'identité de ses parents biologiques et de ses frères. C'est la raison pour laquelle elle n'estime pas nécessaire d'examiner l'affaire sous l'angle de la vie familiale, mais sous celui de la vie privée. En effet, c'est de l'impossibilité d'avoir accès à ses origines et à des données identifiantes sur celles-ci que la requérante tire, au nom de la vérité biologique, sa revendication à connaître son histoire personnelle.
29.  La Cour rappelle à cet égard  que « l'article 8 protège un droit à l'identité et à l'épanouissement personnel et celui de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur. (...) La sauvegarde de la stabilité mentale est à cet égard un préalable inéluctable à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée » (arrêt Bensaid c. Royaume-Uni, no 44599/98, § 47, CEDH 2001-I). A cet épanouissement contribuent l'établissement des détails de son identité d'être humain et l'intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l'identité de ses géniteurs (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, §§ 54 et 64, CEDH 2002-I). La naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l'enfant, puis de l'adulte, garantie par l'article 8 de la Convention qui trouve ainsi à s'appliquer en l'espèce.
B.  Observation de l'article 8
1.  Arguments des parties
a)  La requérante
30.  La requérante défend les droits de l'enfant. En France, on peut faire comme si la mère n'avait pas existé alors que dans la plupart des pays du monde, la naissance constitue automatiquement un lien de filiation entre une mère et l'enfant qu'elle met au monde. Par une fiction juridique et parce qu'elle a expressément demandé le secret, sa mère est censée n'avoir jamais accouché. L'intéressée décrit sa difficulté à vivre dans l'ignorance de son identité première et dénonce une ingérence arbitraire dans sa vie de citoyenne par l'organisation du secret mais également l'abstention fautive des autorités nationales du fait du refus de lever le secret alors que les renseignements demandés figurent dans son dossier.
31.  La requérante soutient que l'accouchement sous X n'est pas un droit pour la femme : il ne serait que la traduction d'un échec. Elle affirme que la situation des femmes qui demandent le secret de leur accouchement et de leur identité renvoie essentiellement au manque d'autonomie, aux problèmes associés à la jeunesse, aux difficultés d'entrée dans la vie professionnelle, à l'isolement et aux difficultés matérielles des familles monoparentales ainsi qu'à la violence conjugale. L'accouchement anonyme constitue donc, selon elle, une violence largement inutile : la prise en compte de la santé de la mère et de celle de l'enfant ne nécessite nullement de s'appuyer sur un droit au secret qui interdit à l'enfant d'accéder à ses origines. Remédier à la détresse des mères ne pouvant assumer leur enfant suppose le plus souvent de leur apporter les aides nécessaires ou de leur permettre de confier leur enfant en vue d'une adoption et non de leur promettre l'anonymat. Le temps est révolu où personne n'avait jamais entendu une femme confier ses sentiments après l'abandon de son enfant et de nombreuses femmes se sont constituées en associations. Leurs témoignages permettent de connaître la suite de l'histoire. Malgré les apparences, l'enfant est souvent « investi », la page est rarement tournée et la vie ne continue pas comme si de rien n'était. L'argument selon lequel il serait nécessaire de rassurer la mère pour éviter les infanticides est révolu et peu convaincant si l'on examine la situation des pays qui n'admettent pas l'accouchement sous X. La prise en compte de la santé de la mère et de celle de l'enfant est assurée dans de nombreux pays sans s'appuyer sur un droit au secret qui interdit définitivement à l'enfant d'avoir accès à ses origines.
32.  L'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat et le fait de pouvoir être rapidement adopté n'ont, selon la requérante, aucun lien avec le secret puisque ces effets se produisent dès que l'enfant a été abandonné même quand le secret n'a pas été demandé. Il s'agit de la crainte irraisonnée de certaines familles adoptives et des œuvres d'adoption : un enfant sans passé est plus facilement adoptable, mais il serait pourtant facile de rassurer les parents adoptifs en leur rappelant que le lien de filiation juridique résultant de l'adoption plénière est irrévocable. Quant au lien affectif, il ne peut être que renforcé s'ils comprennent le désir de leur enfant de connaître ses parents biologiques et s'ils l'accompagnent dans sa démarche.
33.  La recherche d'une conciliation entre des points de vue inconciliables conduit aujourd'hui à proposer de transformer l'accouchement anonyme en accouchement secret avec une possibilité de réversibilité de ce secret. Pourtant, la liberté de la femme ne devrait-elle pas s'arrêter là où celle de son enfant commence ? La requérante rappelle la jurisprudence Gaskin selon laquelle un système qui subordonne l'accès aux dossiers à l'acceptation des informateurs ne cadre avec le principe de proportionnalité que s'il charge un organe indépendant, au cas où un informateur ne répond pas ou ne donne pas son consentement, de prendre la décision finale sur l'accès aux dossiers. Or, selon l'intéressée, dans une société qui met l'accent sur la responsabilité dans la procréation, la mère biologique qui ne peut nier sa maternité même si elle ne veut pas en assumer la charge ne mérite pas forcément la même protection que les tiers informateurs cités dans l'affaire Gaskin. En l'espèce, rien n'était organisé jusqu'à présent pour rechercher la mère et vérifier qu'elle persiste dans une attitude de refus. La loi du 22 janvier 2002 prévoit d'organiser une telle procédure. Cela ne diminuera en rien les préjudices d'ores et déjà subis. Mais ce qui est plus grave encore, selon la requérante, c'est que la nouvelle loi conforte l'existence de l'accouchement secret, le droit au secret de la mère est solennellement réaffirmé. Le législateur s'est efforcé de désamorcer les demandes des enfants nés sous X et a choisi la démarche la plus contraire au but prétendument recherché. Avec ce texte, la France se contenterait d'offrir une parade qui n'écarte pas les rigueurs du secret car la nouvelle loi ouvre aujourd'hui un seul droit, celui de chercher la mère, et cette recherche est subordonnée au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles à qui il revient de s'assurer que la mère dont il conservera l'identité accepte de la révéler à son enfant. Le système mis en place par la loi de 2002 maintient ainsi une préférence aveugle pour ce que l'on prétend être les intérêts de la mère et au mépris évident des droits de l'enfant : le conseil ne peut analyser les raisons du refus de la mère, ni apprécier leur légitimité et surtout ne peut passer outre si ces raisons ne sont pas légitimes. Aucune décision finale sur la levée du secret au vu des intérêts en cause ne pourra être prise dans l'hypothèse où la mère persiste dans son attitude de refus. Les innovations de la loi nouvelle sont donc toujours en contradiction avec les dispositions de la Convention car le droit au secret organisé en faveur de la mère reste entier et ne cadre pas avec le principe de proportionnalité.
34.  La requérante considère que le respect de sa vie privée justifie, plus encore que dans le contexte de l'affaire Gaskin précitée, le droit d'avoir accès à son dossier. Par ailleurs, la jurisprudence Mikulić précitée qui donne priorité à l'enfant, dans le cadre d'une action qui met en concurrence un enfant et l'un de ses parents, en condamnant l'inefficacité des tribunaux croates qui l'ont laissé dans un état d'incertitude prolongée quant à son identité personnelle, confirme le bien-fondé de sa réclamation. 
35.  La requérante dénonce enfin la position isolée de la France en la matière. Certes, dans l'arrêt X, Y et Z c. Royaume-Uni (du 22 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II), mettant en conflit le droit de l'enfant né d'une procréation médicalement assistée et l'anonymat promis au donneur de sperme, la Cour a considéré que compte tenu de la phase de transition dans laquelle se trouvait le droit en la matière, la marge d'appréciation accordée à l'Etat défendeur est large. Or, selon l'intéressée, l'accouchement secret pose un problème bien différent : une marge d'appréciation ne peut être laissée à un Etat lorsque, en présence de l'intérêt supérieur de l'enfant, il choisit de se placer en dehors de la communauté de vues en la matière entre les Etats membres du Conseil de l'Europe ; tel serait le cas du dispositif français en matière d'accouchement anonyme y compris depuis la promulgation de la loi du 22 janvier 2002.
b)  Le Gouvernement
36.  Le Gouvernement soutient que la possibilité pour une femme de demander le secret de son accouchement et de son identité résulte de l'article 341-1 du code civil et qu'il s'agit bien d'une ingérence prévue par la loi. L'ingérence répondrait à un but légitime : remédier à la détresse de certaines mères qui sont dans l'impossibilité d'assumer l'éducation de leur enfant. Par cette possibilité, l'Etat français souhaite inciter ces femmes à venir accoucher dans de bonnes conditions et éviter qu'elles n'accouchent seules, au risque de ne pas porter assistance à leur enfant. Ces situations de détresse seraient loin d'être isolées en France (le nombre d'accouchements où l'identité de la mère n'est pas connue est d'environ six cents par an). Le Gouvernement rappelle que jusque dans les années 60, époque où la mère biologique de la requérante prit la décision de demander le secret de son identité, ni la contraception ni l'avortement n'étaient légalisés en France. Aujourd'hui, trois principales catégories de femmes accouchent sous X : de jeunes femmes n'ayant pas d'autonomie, de jeunes femmes vivant encore chez leurs parents et appartenant à une famille musulmane, originaire du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne où la grossesse hors mariage représente un grand déshonneur, et des femmes isolées et en proie à des difficultés matérielles (les plus jeunes d'entre elles, souvent âgées de moins de vingt-cinq ans, sont des mères célibataires ; les plus âgées, qui ont souvent plus de trente-cinq ans, sont aussi plus souvent des femmes séparées, divorcées ou abandonnées, parfois marquées par la violence conjugale, avec plusieurs enfants à charge). En ce qui concerne les motifs qui conduisent ces femmes à demander le secret, le Gouvernement fait remarquer que ceux invoqués peuvent en cacher de plus graves, comme le viol ou l'inceste, qui ne sont pas toujours révélés par les intéressées.
Ainsi, selon le Gouvernement, le système prend en compte la santé de la mère mais également celle de l'enfant et répond à un objectif de santé publique qui permet, en protégeant la vie privée de la mère, de garantir les droits et libertés d'autrui. Il permet d'accoucher dans des conditions sanitaires correctes et d'apporter les soins nécessaires à l'enfant. Par ailleurs, l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat qui en découle permet à celui-ci d'être rapidement adopté.
37.  Sur la proportionnalité de l'ingérence, le Gouvernement relève que la demande éventuelle de l'enfant d'avoir accès à son identité peut entrer en conflit avec la liberté de toute femme de refuser son statut de mère et de ne pas assumer son enfant. Le droit français considère la maternité comme un des aspects de la vie privée, qui est à ce titre protégée par la loi (article 9 du code civil). Sur la base de ce texte, la Cour de cassation a estimé que constitue une atteinte à la vie privée la publication, sans l'autorisation de la mère, de son état de grossesse, même s'il avait pu être constaté dans un lieu public. La Cour, dans l'affaire Gaskin, a rappelé l'importance du caractère confidentiel des dossiers officiels si l'on souhaite recueillir des informations dignes de foi et préserver des tiers ; la Cour a également considéré qu'un système qui subordonne l'accès aux dossiers à l'acceptation des informateurs peut en principe être compatible avec l'article 8 eu égard à la marge d'appréciation de l'Etat. Elle a ainsi estimé que lorsque deux intérêts privés se trouvent en conflit, l'Etat dispose d'une certaine marge d'appréciation qui est d'ailleurs renforcée, en l'espèce, dans la mesure où il n'existe sur la question de l'accès de l'enfant à la connaissance de ses origines aucun consensus au plan européen. Le Gouvernement affirme que traditionnellement avec la France, seuls l'Italie et le Luxembourg autorisent la mère à ne pas indiquer son nom au moment de l'accouchement. Par ailleurs, depuis quelques années, dans certains pays, dont la législation exclut l'accouchement anonyme, un débat s'est instauré sur une possible remise en cause de leur système. En Belgique, une proposition de loi avait été déposée devant le Sénat le 30 septembre 1999 puis représentée avec amendements le 28 mai 2002 afin que la femme soit autorisée à demander le secret de son accouchement. En Allemagne, un projet de loi sur la réglementation des naissances anonymes a été déposé en juin 2002. L'Autriche serait revenue sur l'interdiction de l'accouchement anonyme par une loi et un décret des 7 mars et 27 juin 2001.
38.  Le Gouvernement fait observer que la législation française, y compris avant l'adoption de la loi de 2002, a tenté de concilier les intérêts en présence dans trois directions :
i.  en essayant d'inciter les mères à assumer la naissance de leurs enfants :
La loi a mis en place depuis longtemps des systèmes alternatifs d'ordre psychologique et social pour inciter la mère à garder son enfant malgré la situation de détresse. L'ancien article 62 du code de la famille imposait aux services sociaux d'informer la mère des diverses mesures existantes pour l'aider à élever elle-même son enfant. Par ailleurs, ces services devaient informer la mère des délais et conditions dans lesquels elle pouvait reprendre son enfant ;
ii.  en permettant à ces enfants d'accéder à certaines informations :
La loi du 17 juillet 1978 a généralisé la possibilité pour l'enfant abandonné ou adopté d'obtenir des renseignements non identifiants sur sa mère, son père et même sur les autres membres de sa famille biologique, ce qui lui permet  de reconstituer une histoire personnelle ;
iii.  en prévoyant la réversibilité du secret demandé par la mère :
Depuis une loi du 5 juillet 1996, la réversibilité du secret avait été facilitée en prévoyant d'informer la mère, lorsqu'elle a demandé le secret au titre de l'ancien article 62 du code de la famille, de la possibilité, outre celle de donner des renseignements non identifiants, de révéler son identité en s'adressant au président du conseil général, qui conserve alors ces informations jusqu'à ce que l'enfant ou ses descendants en fassent la demande expresse .
Il résultait de toutes ces dispositions qu'un équilibre était soigneusement ménagé en droit interne entre l'intérêt d'une femme à ne pas révéler la naissance et celui d'un enfant à accéder à ses origines.
39.  Le Gouvernement considère enfin que la loi de 2002 renforce considérablement les moyens de revenir sur le secret. La requérante a toute latitude pour recourir aux dispositions de la loi nouvelle et saisir le Conseil national pour l'accès aux origines. L'instauration du mécanisme prévu par cette loi satisfait le principe de proportionnalité exigé par la jurisprudence de la Cour. En effet, l'Etat français prendrait en compte l'intérêt de l'enfant puisqu'il réglemente l'accès aux origines et favorise la réversibilité du secret. Tout d'abord, la mère est invitée, dès son accouchement, à laisser son identité sous pli fermé ainsi que des éléments non identifiants auxquels l'enfant aura accès s'il le souhaite. Ensuite des moyens importants sont mis en œuvre pour retrouver la mère et solliciter son accord pour révéler à l'enfant son identité. Il est également prévu des mesures d'accompagnement des personnes en quête de leur origine et de leurs parents biologiques. Un juste équilibre est donc ménagé, selon le Gouvernement, entre les intérêts en présence.
2.  Appréciation de la Cour
40.  La Cour rappelle que si l'article 8 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. Elles peuvent impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 23). La frontière entre les obligations positives et négatives de l'Etat au titre de l'article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (arrêt Mikulić précité, § 58).
41.  La requérante reproche à la France de ne pas assurer le respect de sa vie privée par son système juridique qui, de manière absolue, fait obstacle à l'action en recherche de maternité lorsque la mère biologique a demandé le secret et qui, surtout, ne permet pas la communication de données identifiantes sur celle-ci, ni par l'intermédiaire des services d'aide sociale à l'enfance ni par celui d'un autre organisme qui lui donnerait accès à ces renseignements.
42.  Aux yeux de la Cour, les personnes « ont un intérêt primordial protégé par la Convention à recevoir des renseignements qu'il leur faut connaître, à comprendre leur enfance et leurs années de formation ». A propos de M. Gaskin qui souffrait de maux psychologiques en raison des maltraitances qu'il estimait avoir subies alors qu'il était pupille de l'assistance publique, et qui souhaitait  avoir accès à son dossier tenu par les services sociaux, la Cour considéra
« (...) que le caractère confidentiel des dossiers officiels revêt de l'importance si l'on souhaite recueillir des informations objectives et dignes de foi ; en outre, il peut être nécessaire pour préserver des tiers. Sous ce dernier aspect, un système qui subordonne l'accès aux dossiers à l'acceptation des informateurs, comme au Royaume-Uni, peut en principe être tenu pour compatible avec l'article 8, eu égard à la marge d'appréciation de l'Etat. Il doit toutefois sauvegarder, quand un informateur n'est pas disponible ou refuse abusivement son accord, les intérêts de quiconque cherche à consulter des pièces relatives à sa vie privée et familiale ; il ne cadre avec le principe de proportionnalité que s'il charge un organe indépendant, au cas où un informateur ne répond pas ou ne donne pas son consentement, de prendre la décision finale sur l'accès. (...) » (arrêt Gaskin précité, p. 20, § 49 ; voir également l'arrêt M.G. c. Royaume-Uni, no 39393/98, § 27, 24 septembre 2002).
Dans l'affaire Mikulić précitée, la requérante, une enfant de cinq ans, se plaignait de la lenteur d'une procédure engagée avec sa mère en recherche de paternité et de l'inexistence en droit croate de mesures procédurales permettant aux tribunaux de contraindre « le père » à se soumettre aux tests d'ADN ordonnés par les juges. La Cour mit en balance l'intérêt vital des individus à obtenir les informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de leur identité personnelle et l'intérêt des tiers à refuser d'être contraints de se soumettre à un examen médical. Elle considéra que l'Etat avait l'obligation de mettre en place des moyens alternatifs permettant à une autorité indépendante de trancher la question de la paternité à bref délai. En l'espèce, le principe de proportionnalité n'avait pas été respecté concernant les intérêts de la requérante qui avait été laissée dans un état d'incertitude prolongée quant à son identité personnelle (§§ 64-66).
43.  La Cour observe que les situations de M. Gaskin et de Mlle Mikulić étaient différentes de celle de la requérante. En effet, la question de l'accès à ses origines et de la connaissance de l'identité de ses parents biologiques n'est pas de même nature que celle de l'accès au dossier personnel établi sur un enfant pris en charge ou celle de la recherche des preuves d'une paternité alléguée. La Cour se trouve en effet dans le cas d'espèce en présence d'une personne dotée d'une filiation adoptive qui recherche une autre personne, sa mère biologique, qui l'a abandonnée dès sa naissance et qui a expressément demandé le secret de celle-ci.
44.  L'expression « toute personne » de l'article 8 de la Convention s'applique à l'enfant comme à la mère. D'un côté, il y a le droit à la connaissance de ses origines  qui trouve son fondement dans l'interprétation extensive du champ d'application de la notion de vie privée. L'intérêt vital de l'enfant dans son épanouissement est également largement reconnu dans l'économie générale de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, les arrêts Johansen c. Norvège, 7 août 1996, Recueil 1996-III, p. 1008, § 78, Mikulić précité, § 64, ou Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 66, CEDH 2002-I). De l'autre, on ne saurait dénier l'intérêt d'une femme à conserver l'anonymat pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées. En l'espèce, la mère de la requérante n'est jamais allée voir le bébé à la clinique et s'en est séparée, semble-t-il, avec une indifférence absolue (paragraphe 12 ci-dessus), et il n'est pas allégué qu'elle ait exprimé par la suite le moindre désir de connaître sa fille : il n'appartient pas à la Cour de porter un jugement sur cette attitude, mais seulement de la constater. La Cour se trouve en l'espèce en présence de deux intérêts privés difficilement conciliables, qui touchent d'ailleurs non une adulte et une enfant, mais deux adultes jouissant chacune de l'autonomie de sa volonté.
En sus de ce conflit d'intérêts, la problématique de l'accouchement anonyme ne saurait se poser sans que la question de la protection des tiers, essentiellement les parents adoptifs et le père ou le restant de la famille biologique, ne soit soulevée. La Cour note à cet égard que la requérante a aujourd'hui près de trente-huit ans, qu'elle a été adoptée dès l'âge de quatre ans, et que la levée non consensuelle du secret de sa naissance pourrait comporter des risques non négligeables, non seulement pour sa mère elle-même, mais aussi pour sa famille adoptive qui l'a élevée, pour son père et pour sa fratrie biologique, qui tous ont également droit au respect de leur vie privée et familiale.
45.  L'intérêt général n'est pas non plus absent dans la mesure où la loi française s'inscrit, depuis longtemps, dans le souci de protéger la santé de la mère et de l'enfant lors de la grossesse et de l'accouchement, et d'éviter  des avortements, en particulier des avortements clandestins, ou des abandons « sauvages ». Le droit au respect de la vie, valeur supérieure garantie par la Convention, n'est ainsi pas étranger aux buts que recherche le système français.
Dans ces conditions, la question à laquelle la Cour doit répondre – le droit de savoir signifie-t-il l'obligation de divulguer – prend toute sa dimension dans l'examen de la loi du 22 janvier 2002, en particulier au regard de la marge d'appréciation de l'Etat.
46.  La Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l'observation de l'article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d'appréciation des Etats contractants. Il existe à cet égard différentes manières d'assurer le « respect de la vie privée » et « la nature de l'obligation de l'Etat dépend de l'aspect de la vie privée qui se trouve en cause » (arrêt X et Y c. Pays-Bas précité, p. 12, § 24).
47.  La Cour observe que les Etats contractants ne connaissent pas, pour la plupart d'entre eux, de législations comparables à celle de la France, au moins sur l'impossibilité à jamais d'établir un lien de filiation à l'égard de sa mère biologique, dans le cas où celle-ci persiste à maintenir le secret de son identité vis-à-vis de l'enfant qu'elle a mis au monde. Elle note cependant que certains pays ne prévoient pas l'obligation de déclarer le nom des parents biologiques lors de la naissance et que des pratiques d'abandon sont avérées dans plusieurs autres engendrant de nouveaux débats sur l'accouchement anonyme. Elle en déduit que face à la diversité des systèmes et traditions juridiques, ainsi d'ailleurs que des pratiques d'abandon, les Etats doivent jouir d'une certaine marge d'appréciation pour décider des mesures propres à assurer la reconnaissance des droits garantis par la Convention à toute personne relevant de leur juridiction.
48.  En l'espèce, la Cour observe que la requérante a eu accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d'établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers.
49.  Par ailleurs, le système mis en place par la France récemment, s'il conserve le principe de l'admission de l'accouchement sous X, renforce la possibilité de lever le secret de l'identité qui existait au demeurant à tout moment avant l'adoption de la loi du 22 janvier 2002. La nouvelle loi facilitera la recherche des origines biologiques grâce à la mise en place d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, organe indépendant, composé de magistrats, de représentants d'associations concernées par l'objet de la loi et de professionnels ayant une bonne connaissance pratique des enjeux de la question. D'application immédiate, elle peut désormais permettre à la requérante de solliciter la réversibilité du secret de l'identité de sa mère sous réserve de l'accord de celle-ci de manière à assurer équitablement la conciliation entre la protection de cette dernière et la demande légitime de l'intéressée, et il n'est même pas exclu, encore que cela soit peu probable, que, grâce au nouveau conseil institué par le législateur, la requérante puisse obtenir ce qu'elle recherche.
La législation française tente ainsi d'atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause. La Cour observe à cet égard que les Etats doivent pouvoir choisir les moyens qu'ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation ainsi recherchée. Au total,  la Cour estime que la France n'a pas excédé la marge d'appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question que soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial existant et des parents adoptifs.
Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8
50.  La requérante soutient que le secret, tel qu'institué en France, constitue une discrimination fondée sur la naissance incompatible avec l'article 14 de la Convention, ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
51.  Du fait de la prohibition qui lui est opposée, la requérante se dit victime de restrictions à sa capacité de recevoir des biens de sa mère naturelle quelle que soit la compensation pouvant résulter du fait de son adoption. Elle invoque l'arrêt Marckx précité qui aurait jugé discriminatoire l'absence totale de vocation successorale fondée sur le seul caractère du lien de parenté.
52.  Il n'existe selon le Gouvernement aucune différence de traitement dans le cas d'espèce. L'enfant abandonné par sa mère ne se trouve pas dans une situation comparable à celle des autres enfants qui seront assumés par leurs parents. Seule une différence de traitement entre les enfants nés dans les conditions prévues par l'article 341-1 du code civil pourrait porter à critique. Or tel n'est pas le cas puisque tous les enfants pour lesquels le secret de la naissance a été demandé sont soumis aux mêmes règles pour accéder à la connaissance de leurs origines.
53.  A titre subsidiaire, et si la Cour devait estimer que les conséquences du secret demandé par la mère au regard de l'accès par son enfant à la connaissance de ses origines le placent dans une situation discriminatoire en raison de sa naissance, le Gouvernement considère alors que cette différence de traitement est justifiée, d'une part, en raison du but légitime poursuivi par l'article 341-1 du code civil et, d'autre part, compte tenu du rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Le Gouvernement renvoie sur ce point aux développements précédents.
54.  La Cour rappelle que, selon la jurisprudence constante des organes de la Convention, l'article 14 ne fait que compléter les autres clauses normatives de la Convention ou de ses Protocoles : il n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins de ces clauses. La Cour observe que les faits de l'espèce relèvent de l'article 8 de la Convention (paragraphe 29 ci-dessus) et que dès lors l'article 14 s'applique.
55.  De même, dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l'article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (arrêt Salgueiro Da Silva Mouta c. Portugal, no 33290/96, § 26, CEDH 1999-IX).
56.  La Cour constate qu'au cœur du grief énoncé par la requérante sur le terrain de l'article 14 de la Convention se trouve l'impossibilité de connaître ses origines et non l'établissement d'une filiation qui lui permettrait de prétendre à une succession. La Cour considère que, dans les circonstances de l'espèce, le grief relatif à la discrimination que l'intéressée aurait subie en raison de l'anonymat de sa mère coïncide en pratique, bien que présenté sous un angle différent, avec le grief qu'elle a déjà examiné sur la base de l'article 8 de la Convention. A toutes fins utiles, la Cour estime qu'aucune discrimination ne frappe la requérante en raison de la qualité de sa filiation car, d'une part, elle dispose d'un lien de filiation à l'égard de ses parents adoptifs avec un enjeu patrimonial et successoral et, d'autre part, elle ne saurait prétendre, à l'égard de sa mère biologique, se trouver dans une situation comparable à celle d'enfants ayant une filiation établie à l'égard de la leur.
Pour les raisons qui précèdent, la Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Rejette, à l'unanimité, l'exception préliminaire du Gouvernement ;
2.  Dit, par dix voix contre sept, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;
3.  Dit, par dix voix contre sept, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 13 février 2003.
Luzius Wildhaber    Président   Paul Mahoney   Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion concordante de M. Rozakis ;
–  opinion concordante de M. Ress à laquelle se rallie M. Kūris ;
–  opinion concordante de Mme Greve ;
–  opinion dissidente commune à M. Wildhaber, Sir Nicolas Bratza, M. Bonello, M. Loucaides, M. Cabral Barreto, Mme Tulkens et M. Pellonpää.
L.W.  P.J.M.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE ROZAKIS
(Traduction)
Je souscris entièrement à la conclusion de la majorité de la Grande Chambre selon laquelle il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 8 de la Convention. Toutefois, j'aimerais exprimer un point de vue différent quant au raisonnement qui a conduit à cette conclusion, plus particulièrement quant au poids que la majorité a accordé à la marge d'appréciation dont bénéficie l'Etat français dans les circonstances de la cause.
Bien entendu, je ne nie pas qu'en l'absence de normes européennes communes en matière d'abandon d'enfants dans le secret et l'anonymat, la France jouisse d'une certaine marge d'appréciation pour fixer les modalités selon lesquelles seront divulguées les informations relatives à l'identité des parties ; la Cour s'y réfère d'ailleurs à juste titre. Cependant, il me paraît que, dans son raisonnement, la Cour a accordé une trop grande place à cet aspect particulier de la marge d'appréciation (voir, par exemple, la dernière phrase du paragraphe 45, le paragraphe 46 et la fin du paragraphe 49) au lieu de montrer qu'elle a établi un équilibre juste et satisfaisant entre la marge d'appréciation limitée (une « certaine » marge d'appréciation) dont jouit la France et le critère de nécessité (nécessaire dans une société démocratique) qui est pour moi le critère fondamental à appliquer dans les circonstances de la cause. De fait, lorsque, comme en l'espèce, la Cour a en sa possession une multitude d'éléments permettant de conclure qu'il est satisfait au critère de nécessité et prend la peine de procéder à une analyse soigneuse de tous ces éléments, la référence à la marge d'appréciation devrait être reléguée à un rôle subsidiaire.
En lisant attentivement l'arrêt, on se rend compte que la Cour a procédé à une analyse des intérêts concurrents en jeu en appliquant de manière explicite ou implicite sa propre jurisprudence afin de rechercher lesquels des intérêts de la requérante, d'une part, et de la société démocratique, de l'autre, méritent le plus d'être protégés et pourquoi. Elle a à l'évidence tenu compte des faits suivants : a) à l'époque où elle a demandé aux autorités des informations sur ses parents, la requérante était adulte, et non mineure. En conséquence, la position privilégiée reconnue aux enfants dans la jurisprudence (« [L]'intérêt vital de l'enfant dans son épanouissement est (...) largement reconnu dans l'économie générale de la Convention » – paragraphe 44 de l'arrêt) n'est pas un facteur pertinent en l'espèce ; b) dès lors, l'intérêt de l'adulte à jouir d'une vie privée (ou familiale) doit être pesé sur un pied d'égalité avec l'intérêt correspondant des autres personnes intéressées, à savoir la mère, les frères et la famille adoptive, qui devraient également avoir leur mot à dire. (La Cour dit à juste titre que « la levée non consensuelle du secret de sa naissance pourrait comporter des risques non  
négligeables, non seulement pour sa mère elle-même, mais aussi pour sa famille adoptive qui l'a élevée, pour son père et pour sa fratrie biologique, qui tous ont également droit au respect de leur vie privée et familiale » – ibidem) ; c) c'est également l'intérêt général qui a dicté sa position à la France, à savoir éviter les « avortements clandestins, ou des abandons « sauvages ». Le droit au respect de la vie, valeur supérieure garantie par la Convention, n'est ainsi pas étranger aux buts que recherche le système français » (paragraphe 45 de l'arrêt).
C'est dans ce contexte que la Cour a dû peser les intérêts importants en jeu et décider si la France avait dûment tenu compte de chacun d'entre eux et notamment de ceux de la requérante. Je pense que la réponse donnée par la Cour est la bonne. Dans une affaire où les intérêts protégés semblent être d'une égale importance au regard de la Convention, et où l'intérêt général ainsi que des valeurs plus élevées doivent l'emporter sur les intérêts individuels, la solution adoptée par la France face à ce dilemme semble pertinente et suffisante : la requérante a eu accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique qui lui ont permis « d'établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers » (paragraphe 48 de l'arrêt) et, avec l'adoption de la nouvelle loi du 22 janvier 2002, elle pourra plus facilement rechercher ses origines biologiques grâce à la mise en place d'un nouvel organisme, le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.
Il ressort clairement de l'analyse des éléments pris en compte qui précède que la Cour a traité de manière approfondie du fond de l'affaire et qu'en réalité la marge d'appréciation a joué un rôle assez marginal dans cette appréciation. Or, comme je l'ai déjà déclaré, le libellé de l'arrêt peut donner une fausse impression et affaiblir la règle énoncée dans l'affaire Mikulić c. Croatie (no 53176/99, CEDH 2002-I) rappelée en l'espèce, à savoir que les principes applicables sont les mêmes que les obligations découlant de l'article 8 soient positives ou négatives : « En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation » (paragraphe 40 de l'arrêt).
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE RESS,  À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE KŪRIS
Je partage entièrement le raisonnement de la majorité, mais tiens cependant à souligner quelques points.
1.  Tout en reconnaissant le droit fondamental de l'enfant à recevoir des informations sur son origine biologique et sur son ascendance sur la base de l'article 8 de la Convention, les organes de l'Etat peuvent néanmoins prévoir des mesures pour protéger les droits des tiers et l'intérêt général dans le cadre de l'article 8 § 2. Il est certainement dans l'intérêt général de prendre des mesures adéquates pour améliorer la situation des mères en détresse et protéger la vie de l'enfant, c'est-à-dire diminuer le plus possible le nombre d'avortements, officiels ou clandestins. A mon avis, il s'agit là d'une considération prépondérante susceptible de prévaloir sur le droit de l'enfant à connaître ses origines. On ne peut pas déduire de la décision de la majorité que tous les Etats devraient avoir un système d'accouchement sous X pour résoudre ce conflit. Il y a plusieurs moyens pour les Etats de résoudre ce conflit par des mesures adéquates. La marge d'appréciation des Etats ne se limite pas à un seul moyen. La majorité, à laquelle je me suis rallié, a pris sa décision uniquement pour la France et non pour d'autres pays, qui peuvent choisir des moyens différents en essayant de limiter le plus possible le conflit entre les droits individuels de la mère et de l'enfant et l'intérêt général.
2.  Si l'accouchement sous X a vraiment fait baisser le nombre d'avortements, cela n'est qu'un aspect de ce conflit. Ce procédé répond aussi très précisément à une détresse profonde de la mère, même et justement si la mère n'envisage pas un avortement. Il y a là deux aspects auxquels répond la loi et l'un est soutenu par l'autre. Même s'il n'est pas établi que le nombre d'avortements a réellement baissé avec l'introduction de cette mesure, qui existe d'ailleurs en France depuis longtemps, il me semble qu'elle est néanmoins justifiée par le besoin d'éviter une telle situation de détresse et l'avortement. Cette situation de détresse peut avoir des causes multiples et peut s'exprimer de manière tout à fait imprévisible. Le gouvernement français, comme il est indiqué dans l'arrêt, en a donné de nombreux exemples. Il est difficile de voir comment un système d'adoption quasiment automatique organisé par les services de l'Etat, combiné avec une cessation de toute responsabilité légale du père naturel et de la mère naturelle envers leur enfant, pourrait constituer une solution équivalente. Il est vrai qu'elle sauvegarderait l'essentiel du droit à connaître ses origines. Mais il n'est pas exclu, il est même plutôt probable, qu'une femme dans une telle situation aurait plutôt recours à un avortement, soit dans les formes légales soit clandestinement, pour éviter d'être confrontée aux inconvénients et à la responsabilité morale qui découlent d'une telle naissance. 
3.  Le souci de l'Etat de protéger la vie et de faire baisser le nombre des interruptions volontaires de grossesse, qui sont en principe considérées dans certains pays du Conseil de l'Europe – par exemple en Allemagne – comme « illégales », même si l'Etat ne prévoit pas, pour la première période de la grossesse, de mesures en droit pénal pour éviter de tels avortements, est un but légitime. Il n'est pas nécessaire, pour statuer sur l'affaire, de répondre à la question de savoir si la notion de vie dans le cadre de l'article 2 de la Convention englobe aussi la vie de l'enfant à naître. Dans la poursuite de l'intérêt général, l'Etat peut prendre en considération, selon l'article 8 § 2, la protection de la vie après la conception pour des raisons de morale générale, de santé ou de démographie. Même si, comme il est souligné dans l'opinion dissidente, dans les dernières années le nombre d'avortements dans les pays du Conseil de l'Europe est resté stable (sans compter les avortements causés par l'utilisation de médicaments après conception – « la pilule du lendemain »), une telle stabilité dépend de plusieurs facteurs qui peuvent influencer l'opinion publique. Une telle stabilité n'exclut pas que l'Etat prévoie dans l'intérêt général des mesures pour réduire ce nombre. De plus, le facteur statistique ne peut pas être le seul moyen pour justifier ou non une telle ingérence. Une loi telle que la loi française comporte aussi un jugement de valeur, en reconnaissant la situation de détresse profonde de la mère et en essayant de sauver la vie de l'enfant, jugement qui peut être décisif pour la société tout entière.
4.  Nous ne sommes pas seulement face à un conflit entre le droit de l'enfant à connaître ses origines et l'intérêt de la mère à garder l'anonymat. Nous sommes aussi face à l'intérêt de l'Etat de prévoir une solution pour les mères en détresse et de protéger en même temps la vie des enfants à naître. L'Etat doit prendre en considération ces trois aspects. Il serait trop simple de réduire le conflit à la seule relation entre la mère et l'enfant après la naissance de celui-ci. Dans de telles situations à relations multiples, l'Etat dispose, à mon avis, d'une certaine marge d'appréciation. Le souci d'éviter ou de faire baisser le nombre d'avortements est un aspect de la protection de la vie, intimement lié à la situation de la mère et de l'enfant à naître. L'Etat peut faire prévaloir, dans ces situations de détresse de la mère, l'intérêt de celle-ci sur le droit de l'individu à connaître ses origines. L'introduction d'un système où l'anonymat, c'est-à-dire le secret, sera levé sur décision d'une commission peut avoir des effets néfastes pour tout le système et pour la protection de la vie. L'individu qui cherche à lever le secret à tout prix, même contre la volonté expresse de sa mère naturelle, doit se poser la question de savoir si sa naissance aurait eu lieu sans le système de 
l'accouchement anonyme. Sur un tel souci se fonde et peut se fonder légitimement le choix de l'Etat d'introduire et de soutenir un tel système.
OPINION CONCORDANTE DE Mme LA JUGE GREVE
(Traduction)
Remarques introductives
Bien que je souscrive au raisonnement et aux conclusions de la majorité en cette affaire, il me semble important d'approfondir quelque peu certaines des questions qu'elle soulève.
Dans l'idéal, à mon avis, tout enfant adopté doit systématiquement pouvoir connaître l'identité de ses parents et savoir dans quelles circonstances il a été déclaré adoptable. On devrait pouvoir attendre de toute société qu'elle fasse les efforts qu'il convient pour que cet idéal devienne réalité dans le plus grand nombre possible de cas. A cet égard, la société devrait fournir un accompagnement social et psychologique aux femmes enceintes qui envisagent d'abandonner l'enfant à naître et conserver un minimum de documents de façon à permettre à la mère de retrouver son enfant si elle décidait un jour de divulguer son identité. Les circonstances de la vie ne permettent toutefois pas toujours que les choses se passent de manière idéale.
Il faut dire qu'un cas comme celui-ci ne peut se produire – une fois que tout a été tenté – que lorsqu'une femme refuse de renoncer à son anonymat à l'égard de l'enfant à naître. Ce refus peut se manifester de deux manières : la femme peut, en dépit de tous les avis contraires, refuser de révéler son identité, ou elle peut insister pour ne pas donner ce renseignement s'il appartient à un comité (ou à toute autre personne qu'elle-même) de décider dans l'avenir s'il est raisonnable qu'elle continue à cacher à son enfant cette information cruciale. Si l'on parvenait à convaincre la femme enceinte d'adopter une attitude moins rigide, il n'y aurait pas d'affaire telle que celle à l'étude.
Selon toute vraisemblance, il n'y a pas beaucoup de cas de ce type en Europe à l'heure actuelle. Ainsi, au contraire de l'avis exprimé par la minorité dans son opinion dissidente, je pense qu'il est vain de rechercher des informations pertinentes par exemple dans les statistiques en matière d'avortement dont disposent les Etats parties à la Convention. Ni les changements dans le nombre d'avortements ni les quelques mentions des raisons poussant à avorter ne sont susceptibles de fournir une aide. La seule chose certaine statistiquement, c'est qu'il y a encore bel et bien chaque année un certain nombre, certes faible, de naissances clandestines avec abandon d'enfant, qui sont autant de tragédies personnelles.
Les intérêts en jeu en l'espèce
L'affaire à l'étude, comme toutes les autres affaires traitées par la Cour, comporte un conflit d'intérêts concurrents. En l'espèce, il s'agit de ceux de  
la mère et de l'enfant, mais aussi, pour ce qui est de l'enfant, de ses intérêts avant la naissance et après la naissance.
Avant de poursuivre, il me semble opportun d'attirer l'attention sur le fait qu'à mon sens la Cour s'est engagée à confirmer et renforcer ses décisions antérieures concernant des principes fondamentaux présentant un intérêt pour l'espèce.
Premièrement, la Cour continue de s'engager à respecter, protéger et promouvoir l'égalité entre les enfants nés du mariage de leurs parents et les enfants nés hors mariage (Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31). La plupart des enfants nés de femmes qui gardent à l'heure actuelle leur identité secrète ont probablement été conçus hors mariage ; toutefois, cette question n'est pas pertinente pour la décision prise par la Cour en l'espèce. En effet, elle n'y fait aucune distinction entre les enfants nés de parents mariés l'un à l'autre, de parents mariés mais non l'un à l'autre, de parents non mariés ou de parents dont l'un est marié et l'autre pas.
Deuxièmement, la Cour ne modifie pas sa jurisprudence existante, selon laquelle la violation de la Convention commise par un Etat contractant peut résulter soit d'un acte soit d'une omission. Elle énonce par exemple dans les arrêts Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, série A no 32, p. 17, § 32, et Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, série A no 160, pp. 16-17, § 41, que le requérant « se plaint en substance non d'un acte, mais de l'inaction de l'Etat ».
Troisièmement, enfin, la décision prise par la Cour en l'espèce ne modifie pas la jurisprudence établie dans l'affaire Gaskin quant à l'obligation positive qui découle de l'article 8 de la Convention lorsqu'il y a lieu de rechercher un juste équilibre entre des droits. L'affaire Gaskin concernait le droit du requérant d'avoir accès à son dossier personnel constitué à partir du moment où, après le décès de sa mère, il a été pris en charge et placé chez divers parents nourriciers. Les autorités britanniques subordonnaient au consentement des personnes ayant fourni les renseignements figurant au dossier la communication de ces renseignements au requérant. Les refus abusifs de consentement n'étaient pas interdits. La Cour a jugé que pareil système était en principe compatible avec les obligations résultant de l'article 8 mais qu'il ne cadrait avec le principe de proportionnalité que s'il chargeait un organe indépendant, au cas où un informateur ne répondait pas ou ne donnait pas son consentement, de prendre la décision sur l'accès. Or il n'en allait pas ainsi dans l'affaire
Gaskin, raison pour laquelle la Cour a conclu à la violation de l'article 8 en cette affaire.
En l'occurrence, la Cour se trouve devant une question bien différente et nettement plus complexe que celle examinée dans l'affaire Gaskin. En l'espèce, la Cour établit une distinction entre deux stades – le premier étant la période prénatale, l'accouchement et les suites immédiates de celui-ci, et le second la période postérieure à la naissance. A ce dernier stade, les intérêts de l'enfant ainsi que ceux de sa mère tombent dans le champ d'application de l'article 8. Au stade prénatal, pendant l'accouchement et juste après, la mère comme l'enfant/l'enfant à naître jouissent également de droits sous l'angle des articles 2 et 3 de la Convention. A cet égard, il n'y a pas lieu de décider si un enfant in utero bénéficie au titre de l'article 2 d'une protection distincte ou d'une protection par l'intermédiaire de sa mère, le vieil adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commmodis ejus agitur », « l'enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu'il y a avantage », étant respecté dans un cas comme dans l'autre. Dans l'affaire Gaskin, la Cour s'est bornée à examiner les problèmes posés au second stade, après la naissance de l'enfant. C'est pourquoi l'arrêt Gaskin n'offre aucune aide pour ce qui est des questions essentielles que soulève l'espèce, à savoir les droits de l'enfant et de la mère avant la naissance ainsi qu'un acte/une omission de l'Etat à ce même stade.
En l'occurrence, les autorités françaises ont pris leur décision (qu'elle soit considérée comme un acte ou une omission) au stade prénatal, mais cette décision a eu des conséquences pour l'enfant après sa naissance.
L'acte en question peut se définir comme le fait de permettre à la mère d'accoucher dans les meilleures conditions de sécurité avec l'aide de médecins, même si elle refuse de communiquer son nom et ses coordonnées de manière que ces renseignements puissent être divulgués ultérieurement sans son consentement, et a pris la décision irrévocable d'abandonner son enfant. Selon moi, cette décision de l'Etat respecte les droits de la mère et de l'enfant avant la naissance, lorsque les travailleurs sociaux et les psychologues n'ont pas réussi à convaincre la mère de donner ses coordonnées même si elle veut que son enfant soit adopté ou lorsqu'elle a refusé de rencontrer ces personnes. Il va sans dire que je suis bien entendu entièrement favorable à ce que la société offre le meilleur accompagnement social et psychologique possible aux femmes enceintes dans la détresse ainsi que des informations générales à celles qui sont potentiellement dans cette situation. Cela ne change toutefois rien au fond du problème, à savoir la pondération des intérêts concurrents à laquelle la Cour est appelée à procéder dans une affaire où une femme refuse de renoncer à l'anonymat. A cet égard, il ne change rien que la question de l'anonymat soit laissée en suspens et tranchée ultérieurement par un comité qualifié pour cela. Le véritable problème est que la femme enceinte persiste dans sa volonté de ne pas accoucher en sécurité si elle doit renoncer à l'anonymat pour avoir accès à des soins médicaux.
De plus, la Cour reconnaît que le droit à la vie l'emporte sur tout autre ; en effet, tous les autres droits consistent à conférer une certaine qualité à la vie. Cela replace aussi dans leur contexte les deux intérêts concurrents de l'enfant. Le principal intérêt de celui-ci est de naître, et ce dans des conditions où sa santé n'est pas mise inutilement en danger parce que sa mère tente d'accoucher en secret, même si cela veut dire qu'elle ne pourra pas bénéficier de l'aide de professionnels pendant qu'elle sera en travail. La mère est aussi en grand danger lorsqu'elle accouche dans la clandestinité si la moindre complication survient. Pour la vie et/ou la santé de la mère, un avortement « en sécurité » dans un hôpital correctement équipé peut sembler une meilleure solution qu'un accouchement sans l'aide de professionnels. Quoi que l'on puisse en dire d'autre, l'avortement représente au minimum un problème éthique et aucune société ne devrait, au nom de la défense des droits de l'homme, être contrainte de ne laisser d'autre choix à une femme que d'avorter pour assurer sa sécurité. Un avortement clandestin peut mettre la santé, sinon la vie de la mère en danger. Avant la naissance, les intérêts de la mère et ceux de l'enfant sont essentiellement convergents.
Assistance médicale et exécution de la loi
La grossesse n'est pas une maladie. A l'heure actuelle en Europe, la grossesse ne représente tout au plus des cas qu'une épreuve physique pour la mère et l'enfant, mais l'accouchement nécessite aussi souvent une assistance médicale – dont on ne peut prévoir dans quel cas elle ne sera pas nécessaire. De manière générale, il est recommandé aux femmes – pour des raisons de sécurité médicale – d'accoucher dans des hôpitaux pour bénéficier de soins médicaux. Nous rappelons que le corps médical a pour vocation de soigner, d'alléger les souffrances et de réconforter les personnes malades ; la médecine ne doit pas être utilisée pour faire respecter des conditions qui n'ont pu être obtenues grâce à un accompagnement social et psychologique. Même selon le droit de la guerre, un ennemi mortel ayant un besoin urgent de soins médicaux est habilité à en bénéficier ; fournir une assistance médicale ne saurait être en tant que tel interprété comme une violation des droits de l'homme. Il n'existe pas non plus d'autre situation en Europe aujourd'hui où le droit reconnaît, pour ne pas dire promeut, le refus de soins médicaux pour forcer une personne ayant besoin de tels soins à respecter les besoins ou droits d'autrui. Contraindre les femmes enceintes à se soumettre à une pratique différente en matière d'exécution constituerait de fait un retour en arrière considérable. Bénéficier de soins médicaux de base, lorsque cela est possible, constitue en soi un droit de l'homme que la société ne saurait supprimer pour atteindre un autre objectif social sans rapport avec lui. La jurisprudence de la Cour dans plusieurs affaires turques établit clairement que le refus d'accorder une assistance médicale peut mettre en jeu la responsabilité de l'Etat au titre des articles 2 et 3 de la Convention. Le refus d'accorder à une femme enceinte une assistance médicale inconditionnelle – pour autant qu'il s'agisse de conditions autres que médicales – peut à mon avis donner potentiellement lieu à une violation des articles 2 et 3 de la Convention.
Conclusion
Dans l'idéal, même une femme enceinte placée dans une situation difficile – ce qui est le cas en l'espèce et pour les femmes qui choisissent aujourd'hui d'accoucher dans l'anonymat – doit pouvoir donner naissance à son bébé en toute sécurité pour elle-même et l'enfant et celui-ci doit pouvoir connaître l'identité de sa mère même s'il est immédiatement adopté par une autre famille. Toutefois, lorsqu'une femme ne veut pas recourir à cette possibilité pour quelque raison que ce soit – et il peut être difficile pour toute autre personne qu'elle-même d'en juger pleinement – les droits de l'homme veulent néanmoins qu'elle puisse accoucher en toute sécurité pour elle et pour l'enfant même si elle insiste pour conserver son anonymat à l'égard de ce dernier. Il serait à l'évidence inhumain d'invoquer les droits de l'homme pour contraindre une femme dans cette situation à choisir entre un avortement et un accouchement clandestin, solutions qui comportent toujours un risque potentiel pour la santé de la mère et/ou de l'enfant et, au pire, un danger pour la vie, et/ou peuvent conduire à la naissance d'un bébé mort. 
OPINION DISSIDENTE COMMUNE  À M. WILDHABER, Sir Nicolas BRATZA, M. BONELLO, M. LOUCAIDES, M. CABRAL BARRETO,  Mme TULKENS ET M. PELLONPÄÄ, JUGES
Nous ne partageons pas l'avis de la majorité selon lequel il n'y a pas violation de l'article 8 de la Convention et nous souhaitons nous en expliquer.
1.  En l'espèce, sans remettre en cause sa filiation adoptive, la requérante se plaint de ne pouvoir obtenir communication d'éléments identifiants sur sa famille naturelle et de l'impossibilité qui en résulte, pour elle, de connaître son histoire personnelle. Dans ce contexte, après avoir rejeté l'exception préliminaire du Gouvernement en constatant que tout recours interne était vain en raison du secret absolu protégé par la loi (paragraphe 23 de l'arrêt), la Cour examine, successivement, l'applicabilité et l'observation de l'article 8 de la Convention.
2.  En ce qui concerne l'applicabilité de l'article 8, la Cour estime « qu'il n'est pas nécessaire d'examiner l'affaire sous l'angle de la vie familiale, mais sous celui de la vie privée », dans la mesure où la demande de la requérante « n'est pas de remettre en cause l'existence de sa filiation adoptive mais de connaître les circonstances de sa naissance et de son abandon englobant la connaissance de l'identité de ses parents biologiques et de ses frères » (paragraphe 28 de l'arrêt). Tout en considérant que la conception de la vie familiale soutenue par la majorité, qui la définit par la référence à la filiation, est trop étroite, nous sommes d'accord qu'il n'est pas nécessaire, en l'espèce, d'examiner l'affaire sous l'angle du droit au respect de la vie familiale puisqu'en tout état de cause les faits tombent manifestement sous l'empire du droit de la requérante au respect de sa vie privée.
3.  Sous l'angle de la vie privée, qui est donc le seul retenu par la Cour, nous sommes entièrement d'accord avec la majorité qui estime, dans le prolongement notamment de l'arrêt Mikulić c. Croatie (no 53176/99, §§ 54 et 64, CEDH 2002-I), que « la naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l'enfant, puis de l'adulte, garantie par l'article 8 de la Convention » (paragraphe 29 de l'arrêt in fine). Comme la Cour l'a déjà reconnu, le droit au respect de la vie privée inclut le droit au développement de la personnalité et à l'épanouissement personnel. Touchant à l'identité fondamentale de la personne, la question de l'accès à ses origines constitue un élément essentiel de la vie privée protégé par l'article 8 de la Convention qui trouve donc, comme la Cour le reconnaît, à s'appliquer en l'espèce. Même en cas d'adoption, la possibilité d'avoir accès à ses origines et de pouvoir ainsi retracer les éléments de son histoire personnelle relève de la liberté, et donc de la dignité humaine qui est au cœur des droits garantis par la Convention.
4.  En ce qui concerne le respect de l'article 8, nous sommes confrontés à une situation de conflit de droits ou d'intérêts concurrents, à savoir, d'un côté, le droit de l'enfant d'avoir accès à ses origines et, d'un autre côté, le droit de la mère de garder secrète son identité quant à la naissance, pour un ensemble de raisons qui lui sont propres et qui relèvent de l'autonomie personnelle. En outre, d'autres intérêts peuvent également entrer en jeu comme notamment le souci de protéger la santé de la mère et de l'enfant pendant la grossesse et l'accouchement ou encore la nécessité de prévenir des avortements ou des infanticides.
5.  En l'espèce, en rappelant que l'article 8 ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir d'ingérences arbitraires mais qu'« à cet engagement plutôt négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée » (paragraphe 40 de l'arrêt), la Cour estime que le grief de la requérante s'analyse moins en une ingérence par l'Etat dans les droits qui lui sont garantis par la Convention que dans un manquement à une obligation d'agir. En d'autres termes, la requérante « se plaint en substance non d'un acte mais de l'inaction de l'Etat » (Airey c. Irlande, arrêt du 9 octobre 1979, série A no 32, p. 17, § 32). Dans ces conditions, la Cour doit examiner si l'Etat, en refusant la demande d'information de la requérante quant à l'identité de sa mère biologique, a manqué à l'obligation positive qui découle de l'article 8 de la Convention. Il ne s'agit donc pas de vérifier si l'ingérence dans le droit de la requérante au respect de la vie privée est proportionnée au but poursuivi mais de déterminer si l'obligation mise à la charge de l'Etat n'est pas excessive au regard du droit individuel à protéger, même si dans les deux cas les principes sont d'une certaine manière comparables en ce qui concerne l'équilibre à assurer entre les droits de l'individu et de la société (arrêts Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, série A no 290, p. 19, § 49 ; Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, série A no 297-C, p. 56, § 31).
6.  Pour en juger, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été atteint entre les intérêts en présence. Il ne s'agit donc pas de déterminer quel intérêt doit, dans un cas donné, prévaloir absolument sur un autre. Plus concrètement, nous ne devons pas examiner si la requérante aurait dû, en vertu des droits garantis par l'article 8, avoir le droit d'accéder à la connaissance de ses origines, quelles qu'en soient les conséquences et sans se soucier de l'importance des intérêts concurrents, ou, inversement, si un rejet de la demande d'accès à l'information était justifié par la protection des droits de la mère (ou des droits des tiers ou des intérêts de santé publique, etc.). La Cour doit rechercher la pondération des intérêts et
examiner si le système français, dans le cas présent, a maintenu un équilibre raisonnable entre les droits et les intérêts concurrents.
7.  Nous touchons ici au cœur de ce qui pose problème. En fonction du droit et de la pratique internes, il n'y a eu en l'espèce, ni en fait, ni en droit,  
de pondération d'intérêts possible. En réalité, la loi accepte, comme un obstacle absolu à toute recherche d'information entreprise par la requérante, la décision de la mère, quelle que soit la raison ou la légitimité de cette décision. En toute circonstance et de manière irréversible, le refus de la mère s'impose à l'enfant qui ne dispose d'aucun moyen juridique de combattre la volonté unilatérale de celle-ci. La mère dispose ainsi d'un droit purement discrétionnaire de mettre au monde un enfant en souffrance et de le condamner, pour toute sa vie, à l'ignorance. Il ne s'agit donc en aucune manière d'un système mixte assurant un quelconque équilibre entre les droits en présence. Le « droit de veto » pur et simple reconnu à la mère entraîne pour effet que les droits de l'enfant, reconnus dans l'économie générale de la Convention (arrêts Johansen c. Norvège, 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, CEDH 2002-I), sont entièrement négligés, oubliés. En outre, la mère peut aussi, de la même manière, paralyser les droits des tiers, notamment ceux du père biologique ou des frères et sœurs, qui peuvent eux aussi être privés des droits garantis par l'article 8 de la Convention. Dans cette perspective, nous ne pouvons être satisfaits par la concession de la majorité selon laquelle « la requérante a eu accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d'établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers » (paragraphe 48 de l'arrêt).
8.  A différents endroits, la Cour semble attacher une importance décisive au fait que la requérante est dotée d'une filiation adoptive (paragraphes 43, 44 et 49 de l'arrêt), laissant implicitement entendre que, dans ces conditions, la recherche de sa mère biologique, qui de surcroît l'a abandonnée à la naissance, serait superflue, voire inutile. Nous ne partageons pas cette appréciation. Il a été montré que les enfants adoptés ressentent souvent comme une forme de devoir la recherche de leurs parents d'origine. L'enfant, même adopté, qui ne peut accéder à ses origines familiales, sous quelque forme que ce soit, est placé dans une situation de souffrance dont il risque de conserver des séquelles. Quant à la nécessité de protéger les parents adoptifs qui est également évoquée par la majorité, rien dans le dossier ne permet de penser qu'ils se sont opposés à la démarche de la requérante.
9.  Sur le terrain de l'intérêt général, la Cour invoque, notamment, la nécessité d'éviter les avortements clandestins (paragraphe 45 de l'arrêt). Tout d'abord, il faut rappeler que le risque d'augmentation des avortements, voire même des infanticides, dans l'hypothèse où l'accouchement sous X serait supprimé, n'est pas dans l'état actuel des choses soutenu par des données sérieuses. En outre, il importe d'évaluer ce risque à la lumière de la situation qui existe dans les pays qui ne connaissent pas l'accouchement sous X. Or il n'est pas établi, sur la base de données statistiques notamment, qu'il y ait une élévation du nombre d'avortements ni d'infanticides dans la majorité des pays du Conseil de l'Europe qui ne possèdent pas une législation du type de celle qui existe en France. Dans de nombreux pays, comme en France d'ailleurs, le développement de la contraception et du planning familial joue un rôle considérable dans la parenté responsable. Quant au « droit au respect de la vie, valeur supérieure garantie par la Convention » invoqué par la majorité, qui ne serait pas « étranger aux buts que recherche le système français » (paragraphe 45 de l'arrêt in fine), nous ne pouvons accepter l'idée qui en découle, à savoir que, parmi l'ensemble des pays du Conseil de l'Europe, seul le système français serait celui qui assurerait le respect du droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention.
10.  Enfin, avec le Gouvernement, la majorité invoque l'argument de la marge d'appréciation dont dispose l'Etat dans le choix des mesures propres à garantir le respect de l'article 8 dans les rapports interindividuels, marge qui se trouverait renforcée en raison de la diversité des systèmes et des traditions juridiques ainsi que des pratiques d'abandon sous des formes détournées (paragraphes 46-47 de l'arrêt).
11.  En ce qui concerne, tout d'abord, la marge d'appréciation elle-même, l'ampleur de celle-ci peut dépendre non seulement du ou des droits concernés mais également, au sein de chaque droit, de la nature même de ce qui est en cause. Ainsi, certains aspects du droit à la vie privée se rattachent à la périphérie de ce droit tandis que d'autres font partie du noyau dur de celui-ci. Nous sommes fermement convaincus que le droit à l'identité, comme condition essentielle du droit à l'autonomie (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III) et à l'épanouissement (Bensaid c. Royaume-Uni, no 44599/98, § 47, CEDH 2001-I), fait partie du noyau dur du droit au respect de la vie privée. Dès lors, un examen d'autant plus soutenu s'impose pour peser les intérêts en présence.
12.  En ce qui concerne, ensuite, l'absence de dénominateur commun aux différents droits internes, qui laisserait à l'Etat une certaine marge d'appréciation, cette constatation nous paraît tout simplement contredite par les éléments de droit comparé avancés par la Cour elle-même. D'un côté, la Cour constate que « la maternité secrète est peu connue des législations internes européennes » (paragraphe 19 de l'arrêt). D'un autre côté, en ce qui concerne l'évolution qui se dessine dans certains pays, la Cour observe qu'elle s'oriente vers l'acceptation « sinon de l'accouchement sous X, du moins d'un accouchement dans la discrétion », qui sont deux situations singulièrement différentes.
13.  En fait, aucun autre système législatif ne connaît un régime aussi poussé d'anonymat de la maternité, avec en cascade l'accouchement secret et l'abandon secret, tel qu'il est formalisé et institutionnalisé en France par le code civil et le code de la famille et de l'aide sociale. Comme le reconnaît le Gouvernement (paragraphe 37 de l'arrêt), seuls deux pays, l'Italie et le Luxembourg, permettent que le nom de la mère ne figure pas obligatoirement dans l'acte de naissance. Dans ce cas, le secret se limite donc au secret de l'identité dans l'acte de naissance et il n'empêche pas l'établissement ultérieur de la filiation maternelle de l'enfant à l'égard de sa mère biologique. En outre, en Italie, la loi de 1983 sur l'adoption garantit le secret des origines, sauf si l'autorité judiciaire donne une autorisation expresse. En Espagne, l'article 47 de la loi sur l'état civil, qui offrait la possibilité de faire figurer sur les registres de l'état civil « De mère inconnue », a été déclaré inconstitutionnel par un arrêt du 21 septembre 1999 du Tribunal suprême.
14.  En revanche, certains pays reconnaissent expressément le droit de « connaître ». Ainsi, en Allemagne, le droit pour toute personne de connaître ses origines a été érigé en droit fondamental de la personnalité, se fondant sur le droit général à la dignité et au libre épanouissement, par l'arrêt du 31 janvier 1989 de la Cour constitutionnelle fédérale. La pratique des « boîtes à bébés » à laquelle l'arrêt de la Cour se réfère (paragraphe 19 de l'arrêt), largement médiatisée, reste cependant un phénomène marginal et le projet de leur légalisation suscite de sérieuses critiques. En Suisse, la Constitution fédérale reconnaît, depuis 1992, le droit de chacun de connaître ses origines comme un droit de la personnalité et, en cas d'adoption, l'article 138 de l'ordonnance sur l'état civil prévoit que la personne intéressée à connaître le contenu de l'acte de naissance original obtienne l'autorisation de l'autorité cantonale de surveillance. Il en va de même aux Pays-Bas où la Cour suprême, dans son arrêt Valkenhorst du 15 avril 1994, accepta le droit général de l'enfant à sa personnalité, qui comprend le droit de connaître l'identité de ses parents biologiques et ouvrit la voie, en cette matière, à la pesée des différents droits et intérêts en jeu.
15.  Enfin, la majorité utilise l'argument de l'absence de consensus sans rappeler les différents instruments internationaux qui jouent un rôle déterminant dans la construction d'un consensus et qui, en l'espèce, veillent à assurer un équilibre entre les droits en présence. Ainsi, la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 dispose que l'enfant a dès sa naissance « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents » (article 7). De même, la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, ratifiée par la France, prévoit que les autorités compétentes de l'Etat contractant veillent à conserver les informations qu'elles détiennent sur les origines de l'enfant, notamment celles relatives à l'identité de sa mère et de son père, ainsi que les données sur le passé médical de l'enfant et de sa famille. Elles assurent l'accès de l'enfant ou de son représentant à ces informations avec les conseils appropriés, dans la mesure permise par la loi de leur Etat (article 30). Dans la Recommandation 1443 (2000) du 26 janvier 2000 « Pour un respect des droits de l'enfant dans l'adoption internationale », l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe invite les Etats « à assurer le droit de l'enfant adopté de connaître ses origines au plus tard à sa majorité et à éliminer de leurs législations nationales toute disposition contraire ».
16.  Dans ces conditions, en se fondant sur la prétendue diversité des systèmes et des traditions juridiques (prenant même en compte des projets de lois qui sont seulement envisagés) pour encadrer la marge d'appréciation et valider ainsi, au regard de la Convention, le droit absolu de la mère de garder secrète son identité, la majorité prend l'argument du consensus européen à rebours et le vide complètement de sa substance. Plutôt que de permettre une évolution dans le sens du développement des droits garantis par la Convention, au départ de ce qui est accepté dans une large majorité de pays, le recours à l'interprétation consensuelle, fondée sur la pratique quasi isolée d'un pays (paragraphe 47 de l'arrêt), sert à justifier une limitation des droits.
17.  Dans la voie de la recherche d'un juste équilibre entre les droits en présence, l'approche adoptée par la Cour dans l'arrêt Gaskin c. Royaume-Uni (du 7 juillet 1989, série A no 160, p. 20, § 49), suivie encore dans l'arrêt M.G. c. Royaume-Uni (no 39393/98, 24 septembre 2002), nous paraît pertinente.
« Aux yeux de la Cour, les personnes se trouvant dans la situation du requérant ont un intérêt primordial, protégé par la Convention, à recevoir les renseignements qu'il leur faut pour connaître et comprendre leur enfance et leurs années de formation. Cependant, on doit aussi considérer que le caractère confidentiel des dossiers officiels revêt de l'importance si l'on souhaite recueillir des informations objectives et dignes de foi ; en outre, il peut être nécessaire pour préserver des tiers. Sous ce dernier aspect, un système qui subordonne l'accès aux dossiers à l'acceptation des informateurs, comme au Royaume-Uni, peut en principe être tenu pour compatible avec l'article 8, eu égard à la marge d'appréciation de l'Etat. Il doit toutefois sauvegarder, quand un informateur n'est pas disponible ou refuse abusivement son accord, les intérêts de quiconque cherche à consulter des pièces relatives à sa vie privée et familiale ; il ne cadre avec le principe de proportionnalité que s'il charge un organe indépendant, au cas où un informateur ne répond pas ou ne donne pas son consentement, de prendre la décision finale sur l'accès. »
18.  Dans l'hypothèse du maintien de l'accouchement sous X, un tel organe indépendant serait amené à décider, au terme d'un débat contradictoire et sur la base de tous les éléments de fait et de droit de l'affaire, si l'accès à l'information peut ou ne peut pas être donné, éventuellement à certaines conditions ou selon certaines modalités. Dans la situation présente, en l'absence de tout mécanisme destiné à mettre en balance le droit de la requérante à connaître ses origines avec les droits et les intérêts concurrents, une préférence aveugle est inévitablement donnée aux seuls intérêts de la mère. Sans une pesée des intérêts en présence et sans aucune possibilité de recours, la requérante s'est vu opposer un refus absolu et définitif.
19.  La majorité de la Cour s'efforce de distinguer l'espèce de l'affaire Gaskin comme de l'affaire Mikulić au motif que la question de « l'accès à ses origines et de la connaissance de l'identité de ses parents biologiques » n'est pas de même nature que celle de l'accès « au dossier personnel établi sur un enfant pris en charge » (Gaskin) ou celle de « la recherche des preuves d'une paternité alléguée » (Mikulić) (paragraphe 43 de l'arrêt). La distinction établie par la majorité entre les trois affaires ne nous paraît pas convaincante. Elle nous paraît encore moins être de nature à justifier que la Cour parvienne, en l'espèce, à une conclusion différente. En particulier, affirmer que l'affaire Gaskin ne concernait que l'accès à des informations contenues dans un dossier de prise en charge nous paraît sous-estimer considérablement la portée de l'enjeu, puisque la Cour a dit dans cet arrêt que le dossier contenait « des précisions sur des aspects éminemment personnels de l'enfance, de l'évolution et des antécédents du requérant » et pouvait représenter « sa principale source d'information sur son passé et ses années de formation » (arrêt Gaskin précité, p. 15, § 36). De surcroît, même si les circonstances de l'espèce peuvent passer pour distinctes de celles des affaires antérieures, l'intérêt de la présente requérante à connaître ses origines nous paraît être au moins aussi fort, et peut-être même plus fort, que ceux précédemment examinés par la Cour et exiger qu'un grand poids lui soit en conséquence accordé lors de l'exercice de mise en balance des intérêts concurrents.
20.  La loi no 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat, qui porte notamment sur la création d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), reconnaît clairement la nécessité de trouver un rééquilibrage entre les droits en présence. Sans remettre en cause le principe de l'accouchement secret, elle marque certainement une avancée dans la question de l'accès aux origines. Comme le constate l'arrêt de la Cour, d'application immédiate, cette loi peut désormais permettre à la requérante de solliciter la réversibilité du secret de l'identité de sa mère, mais – et cet élément est à nos yeux essentiel – sous réserve de l'accord de celle-ci (paragraphe 49 de l'arrêt). D'un côté, la mère est seulement invitée et n'a pas l'obligation de laisser des renseignements identifiants (article L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles introduit par l'article 2 de la loi du 22 janvier 2002) ; d'un autre côté, elle peut toujours s'opposer à ce que son identité soit dévoilée, même après sa mort (article L. 147-6 du code de l'action sociale et des familles introduit par l'article 1 de la loi du 22 janvier 2002). La loi nouvelle n'a pas prévu que le Conseil national qu'elle instaure (ni aucun autre organe indépendant) puisse prendre une décision finale sur la levée du secret, au vu des intérêts en cause, dans l'hypothèse où la mère persiste dans son attitude de refus, privant ainsi définitivement l'enfant de son droit de connaître sa famille de naissance. Le déséquilibre initial est maintenu dans la mesure où le droit d'accès aux origines personnelles reste, en dernière instance, subordonné à la décision unique de la mère. En outre, tout en observant que la loi nouvelle est postérieure de quatre ans à l'introduction de la requête devant la Commission (paragraphe 23 de l'arrêt) et que la requérante est aujourd'hui âgée de trente-huit ans (paragraphe 44 de l'arrêt), la majorité ne prend pas en compte la situation de celle-ci avant l'adoption de la loi du 22 janvier 2002 et de l'impossibilité qui existait pour elle, jusqu'à ce moment, de formuler quelque demande que ce soit (voir, mutatis mutandis, arrêt M.G. c. Royaume-Uni précité, § 31).
21.  En définitive, contrairement à la majorité, nous estimons donc que la législation française n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, ménagé un juste équilibre entre les intérêts en cause (paragraphe 49 de l'arrêt in fine) et que l'article 8 de la Convention a été violé. Dès lors, nous estimons qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 8.
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE 
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE ROZAKIS 
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE
ARRÊT ODIEVRE c. FRANCE 
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE
DE M. LE JUGE RESS, À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE KŪRIS 
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE
DE M. LE JUGE RESS, À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE KŪRIS
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE
DE Mme LA JUGE GREVE
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE 
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE
DE Mme LA JUGE GREVE
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE
DE Mme LA JUGE GREVE
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE
DE Mme LA JUGE GREVE   
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION CONCORDANTE
DE Mme LA JUGE GREVE   
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE COMMUNE 
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE –  OPINION DISSIDENTE COMMUNE  
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE COMMUNE
ARRÊT ODIÈVRE c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE COMMUNE   


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 42326/98
Date de la décision : 13/02/2003
Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement) ; Non-violation de l'art. 8 ; Non-violation de l'art. 14+8

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) NAISSANCE, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : ODIEVRE
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-02-13;42326.98 ?
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