La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/03/2003 | CEDH | N°59584/00

CEDH | RIVAS contre la FRANCE


PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 59584/00  présentée par Giovanni RIVAS  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 6 mars 2003 en une chambre composée de
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa,    G. Bonello,   Mme S. Botoucharova,   M. A. Kovler,
Mme E. Steiner, juges,  et de S. Nielsen, greffier adjoint de section ,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 juillet 2000,
Vu les observations soumises

par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibér...

PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 59584/00  présentée par Giovanni RIVAS  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 6 mars 2003 en une chambre composée de
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa,    G. Bonello,   Mme S. Botoucharova,   M. A. Kovler,
Mme E. Steiner, juges,  et de S. Nielsen, greffier adjoint de section ,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 juillet 2000,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Giovanni Rivas, est un ressortissant français, né en 1979 et résidant à Nouméa. Il est représenté devant la Cour par Me Claire Waquet, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 14 janvier 1997, à 11 h 50, le requérant, à l’époque âgé de 17 ans, fut interpellé dans le cadre d’une enquête sur un vol avec effraction. Le jeune homme avait déjà eu affaire à la police pour des petits délits, vols et autres.
A 14 h 10, le lieutenant W., de l’unité des flagrants délits du Commissariat central de Nouméa, commença l’audition de l’intéressé.
A 14 h 30, ce policier informa le responsable de son groupe, le capitaine H., que Giovanni Rivas « niait l’évidence ». Le capitaine H. décida alors d’emmener le jeune homme dans son bureau, afin de le « raisonner ».
Quelques instants plus tard, le fonctionnaire de police lui porta un coup qui l’atteignit aux parties génitales.
Selon les déclarations du requérant, le capitaine H. lui donna, au moment de pénétrer dans le bureau, un coup de poing dans le dos, pour le pousser à l’intérieur. Sous la violence du choc, il aurait fait quelques pas dans le bureau, puis se serait retourné pour parer d’autres coups éventuels. C’est à ce moment que le policier lui aurait porté un violent coup l’atteignant au niveau des testicules.
Selon la version du capitaine H., le requérant serait normalement entré dans son bureau, et se serait assis sur le siège qui lui était indiqué. Lui-même se serait assis à son bureau et aurait tenté de raisonner le mineur. Ce dernier se serait alors énervé, se serait levé et dirigé vers la porte. Le policier aurait rapidement contourné le bureau et attrapé le jeune homme par l’épaule, qui se serait retourné et aurait levé son bras dans la direction du policier. Se sentant menacé, il aurait riposté, en parant le bras du jeune homme avec le sien, et en donnant un coup de genou au niveau des parties génitales.
Dans le procès-verbal de compte rendu établi le 14 janvier 1997, le capitaine H. précisa ceci :
« Nous informons [le requérant] que sa garde à vue serait maintenue s’il persistait à nier les faits. [le requérant] élève alors le ton, s’agite, vitupère et tape des pieds. Il se lève alors et se tourne vers la porte avec l’intention manifeste de partir en criant qu’il n’avait rien fait. Nous nous levons rapidement et nous précipitons vers lui pour le saisir par le bras gauche. Ainsi empêché, Rivas se retourne vers nous et se met en garde un point levé. Parons le coup et ripostons en lui donnant un coup de genou qui le touche au bas-ventre ».
Dans un procès verbal d’audition du capitaine H. en date du 16 janvier 1997, ce dernier déclara :
« Soudain [le requérant] s’est levé et s’est dirigé vers la porte de mon bureau. Je me suis précité derrière lui et l’ai saisi par le bras. [le requérant] s’est alors retourné et s’est mis en garde en levant un poing. Il alors porté dans ma direction un coup de poing que j’ai évité et j’ai riposté en lui portant un coup de genou ».
Dans un autre procès-verbal daté du 27 août 1997, le capitaine H. s’exprima ainsi :
« [le requérant] s’est retourné vers moi et en faisant cela il a esquissé un coup de poing, en tout cas j’ai eu l’impression qu’il esquissait un coup de poing. Je me suis senti menacé et j’ai immédiatement riposté ; avant de riposter j’ai paré le coup et j’ai porté un coup de genou. C’est une riposte globale instinctive ».
Le requérant fut immédiatement transporté à l’hôpital. Le certificat médical du praticien ayant vu le requérant dès son arrivée à l’hôpital mentionna ceci :« à l’examen constate une importante augmentation de volume du testicule gauche. A l’échographie, il y a fracture testiculaire avec volumineux hématome nécessitant une intervention chirurgicale ».
Le requérant sortit de l’hôpital le 17 janvier 1997. Le certificat médical établi la veille prévoyait une incapacité temporaire (ITT) de sept jours pour le traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule et réservait la détermination ultérieure d’une éventuelle incapacité permanente partielle.
Le 6 mars 1997, la mère de l’intéressé se présenta au commissariat central de Nouméa, munie d’un certificat médical constatant un « traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule » qui prévoyait une ITT de sept jours, et déposa une plainte avec constitution de partie civile contre le capitaine H. en tant que représentante légale de son fils mineur.
Un examen échographique pratiqué le 19 juin 1997 révéla ceci :
« - Nette asymétrie des dimensions des testicules avec
- à droite un testicule normal de 40 mm de longueur 24 mm de large
- à gauche un testicule de moindre volume mesurant 25 mm de long 15 mm de large (...) »
A la suite d’un réquisitoire introductif du 18 avril 1997 contre le capitaine H. et le requérant, visant des faits de violences volontaires commises par une personne dépositaire de l’autorité publique d’une part, et de rébellion d’autre part, une information fut ouverte de ces chefs.
Le 24 juin 1998, le Procureur de la République requit un non-lieu pour le capitaine H., et le renvoi du requérant devant le tribunal pour enfants pour rébellion. Ces réquisitions ne furent pas suivies par le juge d’instruction.
Par une ordonnance du 20 juillet 1998, le juge d’instruction ordonna le renvoi du fonctionnaire de police devant le tribunal correctionnel, du chef de violences volontaires ayant entraîné une I.T.T. inférieure à 8 jours, par personne dépositaire de l’autorité publique. Il releva :
- que le fonctionnaire de police avait été plusieurs fois mis en cause par de jeunes délinquants comme donnant facilement des coups au cours des interrogatoires, ce qui résultait de deux auditions de témoins et de procédures ;
- que le requérant était connu pour des vols, mais non pour des actes de violence ;
- qu’il était établi qu’à aucun moment le mineur n’avait frappé le capitaine de police ;
- que ce dernier avait déjà paré l’éventuel coup du requérant en lui opposant son bras, et que le coup de genou porté par la suite ne revêtait aucun caractère nécessaire et proportionné au comportement du jeune homme, de sorte que la légitime défense ne pouvait être invoquée.
Le fonctionnaire de police comparut devant le tribunal correctionnel de Nouméa où le Procureur de la République requit la relaxe du prévenu qui invoquait le fait justificatif de la légitime défense.
Par un jugement du 9 octobre 1998, le tribunal déclara le capitaine H. coupable d’avoir commis le délit de violences ayant entraîné une incapacité inférieure à 8 jours avec cette circonstance que lesdites violences ont été commises par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions et le condamna à une amende de 80 000 francs de la Communauté financière du Pacifique (CFP). Il considéra que le caractère volontaire de la riposte était avéré et observa surabondamment que le capitaine H. invoquait la légitime défense, laquelle était inconciliable selon la cour de cassation avec le caractère involontaire de l’infraction poursuivie. Il ajouta que :
« Si le premier geste de défense accompli par le capitaine H. était nécessaire et mesuré, parfaitement adapté à la situation, il n’en est pas de même du second. (...)
Le coup de genou au demeurant assez violent donné par le Capitaine H. dans les parties génitales du jeune Rivas n’était pas rendu strictement nécessaire à la riposte. »
Le capitaine H. et le ministère public relevèrent appel de cette décision.
Par un arrêt du 2 mars 1999, la cour d’appel de Nouméa infirma le jugement et relaxa le fonctionnaire de police. Elle précisa notamment que le requérant faisait l’objet de très mauvais renseignements, puisque son casier judiciaire comportait deux condamnations pour vol prononcées par le tribunal pour enfants et qu’il avait en outre fait l’objet de multiples procédures, interpellations et conduites au poste de police depuis l’âge de treize ans, et que monsieur H. était un officier de police judiciaire excellemment noté tant par ses supérieurs que par le Procureur de la République.
Elle rappela les conclusions du rapport d’expertise médicale effectuée par le Docteur G. le 20 janvier 1998  :
« - que Rivas présentait des séquelles morphologiques palpables d’une fracture du testicule gauche (diminution de volume glandulaire) ;
- que le faible quota de parenchyme testiculaire n’était pas de nature à entraîner des risques d’infertilité liée à ce traumatisme pour le sujet ;
- le retentissement psychologique est peu important. Monsieur Rivas a rapidement repris une vie relationnelle normale ;
- que l’ITT avait été de 5 jours ;
- qu’il n’y avait pas d’IPP à prévoir ;
- que le préjudice esthétique était nul et le préjudice d’agrément faible et difficilement évaluable en ce qui concerne le domaine de la sexualité dont l’aspect ludique était actuellement prédominant pour monsieur Rivas. »
La cour d’appel motiva sa décision comme suit :
« Attendu qu’il n’est pas contesté que les blessures subies par le requérant résultent d’un coup porté par le capitaine H. ; qu’il paraît cependant peu vraisemblable que ce coup ait pu être porté ainsi que le soutient la victime dès son entrée dans le bureau du capitaine alors que la porte de celui-ci devait nécessairement être encore ouverte et que des personnes circulaient dans le couloir ; qu’aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de confirmer la relation des faits donnés par la victime dont l’attitude ne peut s’expliquer que par les nombreuses interpellations et conduites au poste de police dont elle a régulièrement fait l’objet depuis l’âge de 13 ans ;
Attendu que les explications fournies par le capitaine H. compte tenu du contexte présentent quant à elles une certaine apparence de vérité ; qu’en effet, ayant de par son expérience, son grade et les fonctions de chef de l’unité des flagrants délits, l’habitude de traiter ce type de procédure et ayant par ailleurs déjà eu affaire [au requérant] bien connu des services de police, il peut paraître vraisemblable que le requérant après avoir été invité, devant l’évidence des charges établies contre lui, à reconnaître les faits, se soit soudainement levé de sa chaise et ait voulu quitter le bureau du capitaine H. que ce dernier pour l’en empêcher se soit précité sur lui, l’ai saisi d’une main par l’épaule, le faisant ainsi pivoter, que [le requérant] dans ce mouvement tournant se soit retrouvé face au policier la main droite levée afin de le repousser et que ce geste ait pu être perçu par le capitaine H comme une menace voir l’esquisse d’un coup que [le requérant] voulait lui porter ;
Attendu qu’il s’en suit que le capitaine H. se trouvait dans la nécessité de réagir pour d’une part parer le coup qui allait lui être porté et d’autre part prévenir d’autres coups que [le requérant] empêché dans sa tentative de fuite n’aurait pas manqué de lui porter ;
Attendu qu’il n’est pas établi que le capitaine H. ait eu l’intention en portant un coup de genou [au requérant] de l’atteindre au niveau des parties sexuelles et encore moins de lui causer de tels dommages ; que ce coup de genou donné dans un mouvement réflexe visait plutôt l’abdomen que les parties génitales, qu’il apparaît dès lors proportionné à la menace réelle que l’attitude [du requérant] faisait peser sur le capitaine H. dans l’instant précis où se retournant subitement il apparaissait face à lui le bras levé prêt à frapper ; (...) » 
Par arrêt du 1er février 2000, la chambre criminelle de la cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant au motif que la cour d’appel avait justifié sa décision au regard de l’article 122-5 du code pénal (irresponsabilité pénale en cas de légitime défense).
GRIEFS
Le requérant se plaint d’avoir été victime de sévices corporels lors de sa garde à vue et estime que cela constitue un traitement inhumain au regard de l’article 3 et une atteinte à sa sûreté physique au sens de l’article 5 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint du déroulement de sa garde à vue qui a entraîné une violation de l’article 3 de la Convention, libellé comme suit :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Après avoir rappelé que le requérant a fait l’objet, entre le 8 octobre 1992 et le 14 janvier 1997, de huit procédures pour des faits de vol et tentative de vols, le Gouvernement fait un rappel des faits et de la procédure.
Le Gouvernement n’entend pas dénier que le requérant a reçu un coup le 14 janvier 1997 qui a entraîné une fracture du testicule nécessitant une opération chirurgicale. Il rappelle cependant que ces violences ont fait l’objet d’une enquête pénale approfondie et d’un procès. Les différentes autorités judiciaires en charge du dossier auraient ainsi toutes considéré que les violences consistaient en un acte involontaire et isolé, porté par Monsieur H., qui n’avait fait que répliquer au requérant qui s’était rebellé et le menaçait. Le coup porté n’aurait donc pas procédé d’une volonté de punir ou de briser la résistance morale ou physique du requérant et ne traduit pas une intention délibérée d’infliger un mauvais traitement. Contrairement à ce que soutient le requérant, le Gouvernement affirme qu’il a toujours été établi au niveau interne que le fonctionnaire de police ne faisait que répliquer à une agression du premier et que dès lors l’intervention du policier ne pouvait passer pour illégitime ou injustifiée.
La difficulté à laquelle les juges ont été confrontés a consisté à déterminer s’il y avait eu, en l’espèce, légitime défense au sens de l’article 122-5 du code pénal. Il ressort de l’arrêt de la cour d’appel et de la décision de la cour de cassation que l’usage de la force était justifié par la nécessité de maîtriser le jeune homme, surexcité du fait de son placement en garde à vue, et qui refusait de se soumettre spontanément aux forces de l’ordre. C’est donc à la suite d’une enquête minutieuse que les autorités judiciaires ont estimé que le coup avait été porté en état de légitime défense. Selon le Gouvernement, une telle explication pour rendre compte de l’origine des blessures du requérant apparaît parfaitement « plausible » (arrêt Selmouni c. France [GC], 28.7.1999, § 87).
Certes, le Gouvernement rappelle que le requérant conteste la thèse des juridictions nationales. Celle de l’intéressé se contenterait cependant d’indiquer que lorsqu’une personne est placée en garde à vue dans un commissariat de police, elle doit en ressortir dans l’état physique dans lequel elle y est entrée et il ne saurait être admis que les blessures qu’elle a subies du fait de violences dont il est acquis qu’elles ont été le fait des officiers de police judiciaire, aient été motivées exclusivement par la légitime défense ; elle ne serait pas nouvelle par rapport à la thèse développée devant le juge interne et n’apporterait aucun élément de preuve permettant d’accréditer sa version. Le Gouvernement rappelle à cet égard que la Cour ne peut « substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux (arrêt Klaas c. Allemagne du 22 septembre 1993, série A no 269, § 30). Et même si elle demeure libre d’apprécier les faits elle-même à la lumière de tous les éléments qu’elle possède (arrêt Selmouni précité, § 86), l’ensemble des éléments de fait dont disposaient les juridictions internes ne permet pas d’infirmer la solution à laquelle est parvenue la cour d’appel approuvée par la cour de cassation. En conclusion, le Gouvernement soutient que la présente affaire est proche de celle qui a donné lieu à une décision de la Commission concernant la légitime défense dans laquelle « le requérant n’a apporté aucun élément suffisamment convainquant de manière à ébranler les conclusions de fait des juridictions nationales » et qui concluait à une situation de légitime défense qui « ne saurait passer pour arbitraire ou déraisonnable » (Antonio Joaquim Laginha de Matos c. Portugal, D.R. 89, p. 89).
Le requérant dénonce la pratique du Gouvernement dressant de lui un portrait délibérément négatif afin de tout mettre en œuvre pour le réduire au seul statut de délinquant d’habitude. Il rappelle qu’il était mineur au moment des faits et que ses droits devaient être protégés au même titre que ceux de n’importe quel être humain, son casier judiciaire ne pouvant en aucun cas justifier les coups donnés ou passer pour une circonstance atténuante du comportement du capitaine H. S’il ne nie pas être connu pour des faits de vols, le requérant affirme qu’il ne l’était pas pour des actes de violence. En réalité, la question est de savoir si, en sa seule qualité d’être humain, qui a subi un coup violent pendant sa garde à vue, il a été victime d’une violation de l’article 3 de la Convention.
Le requérant soutient que le Gouvernement ne tire pas les conclusions de l’incohérence des versions des faits données par le capitaine H. dans les différents procès verbaux établis. Selon lui, les termes utilisés par celui-ci révèlent d’abord que le rapport de force crée ne s’est pas établi en sa faveur mais que l’officier de police a en revanche semblé particulièrement actif tout au long de l’altercation en pleine possession de ses moyens, et non pas sur la défensive, et encore moins en danger comme il le prétendra par la suite en invoquant la légitime défense pour justifier du coup brutal qu’il a porté. Il relève l’emploi des termes sans équivoque tels que « pour le saisir par le bras gauche », « se met en garde », « ainsi empêché », « nous parons et nous ripostons », « saisi le bras, et ai riposté », « attrape le jeune à l’épaule ». Le requérant considère que l’on peut ainsi s’interroger sur la nécessité pour le capitaine H., s’il se trouvait saisi par le bras, et ainsi empêché, de lui asséner un ultime coup volontairement dans les parties génitales. La riposte apparaît, au regard des faits, disproportionnée et sans justification. Il n’est donc pas possible d’invoquer la légitime défense pour justifier le coup alors que le capitaine se trouvait dans son propre commissariat avec à portée de main tous ses policiers et qu’il est connu pour ses méthodes violentes.
Le requérant relève également une volonté de la part du Gouvernement de minorer l’atteinte physique subie. Le certificat médical établi le 20 janvier 1998 dont le Gouvernement tire ses conclusions sur ce point a été établi un an après les faits, et son invocation tend en fin de compte à réduire la portée du coup, partant d’une expertise médicale qui un an plus tard fait un bilan médical plus positif. La notion de traitement inhumain ou dégradant ne se limite pas à la seule appréciation de savoir si, ultérieurement, l’intéressé conserve ou non des séquelles physiques du traitement subi. Mais son caractère résulte également d’une attitude psychologique, du mépris des coups portés. Et l’exigence doit encore être plus grande quand ils sont le fait d’un officier de police, tenant de l’autorité, qui n’avait aucun besoin d’y recourir.
Le requérant relève ensuite un certain nombre d’éléments qui lui paraissent inexacts dans les observations du Gouvernement. Il rappelle par exemple que personne n’a jamais considéré que le coup donné constituait un acte involontaire. A la suite du réquisitoire introductif du 18 avril 1997, le capitaine était visé pour des faits de violences volontaires commises par une personne dépositaire de l’autorité publique ; puis par une ordonnance du 20 juillet 1998, le juge d’instruction renvoyait le capitaine devant le tribunal correctionnel du chef de violences volontaires ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours ; enfin le tribunal a déclaré dans un jugement du 9 octobre 1998 le capitaine coupable d’avoir commis le délit de violences ayant entraîné une incapacité inférieure à 8 jours, commises par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions. Le requérant soutient également qu’il n’est question à aucun moment d’acte involontaire qui n’aurait pas été fait de manière délibérée ; bien au contraire, et si la cour d’appel a finalement relaxé le capitaine H., préférant retenir un acte malencontreux avant tout, elle ne se serait pas privée de sermonner le policier : « (...) vous êtes relaxé mais tenez compte de ce qui a été dit dans cette enceinte et faites en sorte que vous et vos collègues n’ayez plus à l’avenir des comportements susceptibles de vous conduire devant cette cour » (déclaration du président de la cour d’appel à l’occasion de l’arrêt rendu).
Le requérant soutient encore que la relaxe du capitaine s’est jouée à peu. Seule la cour d’appel a jugé les faits en faveur du policier et dans les termes suivants : « compte tenu du contexte, les explications du capitaine H. présentent quant à elles une certaine apparence de vérité [c’est le requérant qui souligne] ; qu’en effet, ayant de par son expérience, son grade et les fonctions de chef de l’unité des flagrants délits, l’habitude de traiter ce type de procédure (...) il peut paraître vraisemblable (...) ». Autrement dit, la relaxe a pu être prononcée uniquement parce qu’il existerait une présomption de bonne foi du policier.
En dernier lieu, le requérant considère que le Gouvernement minimise la gravité de l’acte commis par l’officier de police afin que l’acte ne puisse être constitutif d’un traitement inhumain et par là même écarter l’application de l’article 3 de la Convention. En se référant au faisceau de critères dégagés par la jurisprudence de la Cour en la matière, le requérant considère que l’on peut constater qu’un certain nombre d’entre eux convergent, en l’espèce, en faveur d’une qualification de traitement inhumain : jeune, de sexe masculin, le requérant rappelle qu’il a reçu un coup dans les parties génitales et de manière si violente qu’une fracture du testicule s’en est suivie nécessitant une intervention chirurgicale, et cela au milieu d’un commissariat de police alors qu’il subissait un interrogatoire, qu’il était de ce fait déjà privé de sa liberté dans une pièce isolée par un capitaine de police connu pour sa propension à donner des coups. A la lumière de la jurisprudence de la Cour selon laquelle  lorsqu’une personne est placée en garde à vue alors qu’elle se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’elle est blessée au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible de l’origine de ses blessures (arrêt Selmouni précité, § 87 ; arrêt Ribistch c. Autriche du 4 décembre 1995, série A no 336, § 34), le requérant considère que le seuil de gravité exigible pour qualifier le traitement qu’il a subi d’inhumain a été atteint en l’absence d’explication plausible. La seule justification du capitaine H. résulte du seul acte de la procédure qui ait excusé son comportement, à savoir l’arrêt de la cour d’appel de Nouméa. Toutes les autres autorités judiciaires ont été convaincues que son comportement n’était pas excusable.
Le requérant en conclut que le coup litigieux a constitué un traitement inhumain au regard de l’article 3 de la Convention. 
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
2. Le requérant se plaint également d’une atteinte à sa sûreté physique qui constituerait une violation de l’article 5 de la Convention, selon lequel :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. (...) »
La Cour considère que le grief tiré de la violation alléguée de l’article 5 de la Convention est couvert par l’examen de celle de l’article 3 et n’estime pas nécessaire de l’examiner sous cet angle là.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de l’article 3 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier adjoint Président
DÉCISION RIVAS c. FRANCE
DÉCISION RIVAS c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 59584/00
Date de la décision : 06/03/2003
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 2-1) PEINE DE MORT, (Art. 2-1) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 2-1) TRIBUNAL COMPETENT, (Art. 3) PEINE INHUMAINE, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 34) ENTRAVER L'EXERCICE DU DROIT DE RECOURS, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-3) AUSSITOT TRADUITE DEVANT UN JUGE OU AUTRE MAGISTRAT, (Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION, (Art. 5-4) GARANTIES PROCEDURALES DE CONTROLE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE, (Art. 6-3-c) SE DEFENDRE AVEC L'ASSISTANCE D'UN DEFENSEUR


Parties
Demandeurs : RIVAS
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-03-06;59584.00 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award