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10/04/2003 | CEDH | N°69829/01;2672/03

CEDH | NUNES DIAS contre le PORTUGAL


TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 69829/01 et no 2672/03  présentée par José Daniel NUNES DIAS  contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 10 avril 2003 en une chambre composée de
MM. G. Ress, président,    I. Cabral Barreto,    P. Kūris,    B. Zupančič,    J. Hedigan,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. K. Traja, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites les 19 avril 2001 et 1

5 janvier 2003,
Vu la décision du 10 avril 2003 de joindre les requêtes,
Après en avoir délibéré, rend...

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 69829/01 et no 2672/03  présentée par José Daniel NUNES DIAS  contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 10 avril 2003 en une chambre composée de
MM. G. Ress, président,    I. Cabral Barreto,    P. Kūris,    B. Zupančič,    J. Hedigan,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. K. Traja, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites les 19 avril 2001 et 15 janvier 2003,
Vu la décision du 10 avril 2003 de joindre les requêtes,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. José Daniel Nunes Dias, est un ressortissant portugais, né en 1947 et résidant à Carnaxide (Portugal). Il est représenté devant la Cour par Me M. Reis Cunha, avocat à Algés.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
1.  La procédure principale
En 1984, deux personnes introduisirent devant le tribunal d’Oeiras une demande en dommages et intérêts contre le requérant. Elles demandaient la réparation des préjudices résultant d’un accident de la circulation à la suite duquel une autre personne de leur famille était décédée.
Le juge ordonna la citation à comparaître du requérant. Toutefois, ce dernier, qui avait entre-temps déménagé, ne fut pas retrouvé à l’adresse indiquée par les demanderesses. Le 13 février 1985, la police de sécurité publique indiqua au tribunal que l’adresse actuelle du requérant n’était pas connue.
Par une ordonnance du 25 février 1985, le juge ordonna la citation du requérant par voie d’affichage (citação edital). Des annonces furent ainsi publiés dans un quotidien national, les 29 et 30 avril 1985, informant le requérant de ce qu’une demande en dommages et intérêts à son encontre était pendante devant le tribunal d’Oeiras.
En l’absence de toute intervention du requérant dans la procédure, le juge, par une ordonnance du 14 octobre 1985, désigna, conformément à la loi, le ministère public en tant que représentant du requérant.
Une audience eut lieu le 28 octobre 1986, en l’absence du requérant.
Par un jugement du 12 juillet 1989, le tribunal accueillit la demande et condamna le requérant à verser aux demanderesses une somme équivalente à 26 186 euros, assortie des intérêts y relatifs. Le ministère public n’ayant pas fait appel contre ce jugement, la décision est passée en force de chose jugée.
D’après le requérant, celui-ci ne prit connaissance de ce jugement ainsi que de l’existence de cette procédure que le 2 février 2000. Il expose avoir reçu notification, à son domicile actuel, de ce qu’une procédure d’exécution du jugement en cause avait été introduite à son encontre en 1999 devant le tribunal d’Oeiras. Il donna alors procuration à un avocat, lequel consulta le dossier de la procédure le jour susmentionné.
Le 11 février 2000, le requérant fit appel contre le jugement du tribunal d’Oeiras du 12 juillet 1989. Il allégua notamment n’avoir jamais eu connaissance de l’existence de la procédure litigieuse et que la citation par voie d’affichage était nulle et non avenue, le juge ayant omis de demander au préalable aux autorités administratives et de police des renseignements sur son adresse.
Par une ordonnance du 29 février 2000, le juge du tribunal d’Oeiras déclara le recours irrecevable, considérant que le jugement litigieux était bel et bien définitif et par conséquent non susceptible d’appel. Il souligna que le requérant devrait interjeter un recours en révision aux termes de l’article 771 du code de procédure civile.
Le requérant déposa une réclamation contre cette décision devant le président de la cour d’appel de Lisbonne, soutenant que l’appel devrait être déclaré recevable et examiné au fond.
Par une décision du 19 octobre 2000, le président de la cour d’appel rejeta la réclamation, se référant aux motifs de l’ordonnance attaquée.
Le requérant déposa encore une demande d’éclaircissement de cette décision, rejetée par le président de la cour d’appel par une décision du   20 décembre 2000.
2.  L’opposition à l’exécution
Le 14 février 2000, le requérant fit opposition (embargos) à l’exécution introduite à son encontre par les demanderesses devant le tribunal d’Oeiras. Il souleva notamment la nullité de la citation dans le cadre de la procédure principale. Pour le requérant, le tribunal d’Oeiras aurait dû s’adresser aux autorités administratives, comme ce fut le cas dans le cadre de la procédure d’exécution, dans laquelle il fut régulièrement cité à comparaître. Il souligna à cet égard avoir signalé dès 1984 sa nouvelle adresse à la Direction générale des impôts, à la Direction générale de la circulation routière et au Centre d’identification civile et criminelle de Lisbonne. Enfin, l’affichage avait été publiée dans un quotidien de circulation réduite, qui fit d’ailleurs faillite peu après 1985. Le requérant contesta également le montant demandé à titre d’intérêts par la partie adverse.
Par une décision du 6 juin 2000, le juge accueillit l’opposition du requérant quant aux intérêts réclamés par les demanderesses mais la rejeta pour le surplus.
Le requérant fit appel devant la cour d’appel de Lisbonne, laquelle, par un arrêt du 2 octobre 2001, rejeta le recours.
Le requérant se pourvut en cassation devant la Cour suprême, invoquant, en sus de la nullité de la citation, la violation de l’article 20 de la Constitution, concernant l’accès aux tribunaux et le principe du procès équitable.
Celle-ci, par un arrêt du 19 mars 2002, rejeta le recours.
Le requérant introduisit alors un recours constitutionnel devant le Tribunal constitutionnel.
Par un arrêt du 2 décembre 2002, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours. Il s’exprima notamment ainsi :
« (...) La législation procédurale civile règle de manière détaillée la citation à comparaître du défendeur. Elle vise à garantir que la citation par voie d’affichage ne s’effectue que lorsque le juge s’assure de l’impossibilité de trouver la personne à citer. Cette réglementation n’a pas, pour l’essentiel, subi d’évolution substantielle. Au moment des faits, elle disposait que le juge avait la faculté de demander des renseignements aux autorités administratives (...). Rien n’y était dit sur un prétendu devoir1 qui obligerait le juge à demander de tels renseignements à certaines entités, notamment celles indiquées par le [requérant].
[L’article 239 § 3 du code de procédure civile] imposait au juge de s’assurer de l’impossibilité de retrouver le défendeur avant d’ordonner sa citation par voie d’affichage ; le juge devait être sûr1 d’une telle impossibilité, pouvant, à cette fin, faire appel aux moyens qu’il entendrait nécessaires ou adéquats. Il n’y avait aucun libre arbitre gratuit ou un pouvoir totalement discrétionnaire ; si pouvoir discrétionnaire il y avait, il se limitait au choix des moyens à utiliser par le juge ou, plus précisément, au choix des autorités à contacter à cette fin. Mais une fois que le juge était sûr d’une telle impossibilité, cette disposition lui imposait - et continue d’ailleurs de le faire - la poursuite de la procédure moyennant la citation par voie d’affichage.
Il faut en effet trouver un équilibre entre la pluralité de principes et intérêts en jeu, notamment ceux du contradictoire et de la prohibition de l’absence de défense, et ceux de la célérité et de la sécurité et paix juridiques, eux aussi protégés par la Constitution.
Une fois garanti que le juge utilisera tous les moyens, notamment ceux qui se révèlent les plus adéquats, afin de retrouver le défendeur, et après qu’il ait acquis la conviction [qu’il est impossible de retrouver le défendeur], il faut poursuivre la procédure, sans permettre que cette dernière s’allonge indéfiniment en raison de longues et exhaustives recherches ou que celles-ci puissent s’effectuer de nouveau à n’importe quel stade de la procédure, ce qui aurait des conséquences fâcheuses et pourrait même frustrer la justice à rendre.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
Aux termes de l’article 239 du code de procédure civile, dans la rédaction en vigueur au moment des faits, la citation par voie d’affichage était ordonnée lorsque le défendeur n’était pas retrouvé à l’adresse indiquée par le demandeur. Aux termes du paragraphe 3 de cette disposition, le juge devait être sûr quant à l’impossibilité de retrouver le défendeur, pouvant à cette fin recueillir des renseignements auprès des autorités administratives et de police.
Des annonces contenant les renseignements essentiels sur la procédure en cause devaient être publiés dans un journal. Par ailleurs, trois autres annonces étaient affichés au tribunal saisi, à la porte de la dernière résidence connue du défendeur, et à la mairie de la commune dans laquelle se trouvait cette résidence. Après un délai donné (trente jours en l’espèce), le défendeur devait déposer ses conclusions en réponse dans les dix jours. S’il ne le faisait pas, la procédure se poursuivait, le défendeur étant représenté dans la procédure par le ministère public.
L’article 771 f) du code de procédure civile donne la possibilité de demander la révision du procès dans des cas où une partie n’est pas du tout intervenu dans la procédure. L’intéressé doit alors démontrer que la citation à comparaître n’a pas été effectuée conformément à la loi. Toutefois, l’article 772 § 2 limite la possibilité de demander une telle révision aux cinq années suivant la date à laquelle la décision dans la procédure en cause est passée en force de chose jugée.
L’article 813 d) du code de procédure civile permet également à l’intéressé de déposer une opposition à l’exécution se fondant sur la nullité de la citation à comparaître effectuée dans la procédure principale.
GRIEFS
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, vu l’impossibilité de se prononcer dans le  cadre d’une procédure contradictoire dans la procédure principale, qui s’est déroulée à son insu.
EN DROIT
Le requérant allègue ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, respectant les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention. Cette disposition prévoit notamment ceci :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [et] publiquement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Pour le requérant, son absence de participation à la procédure principale l’a privé de manière irrémédiable des garanties prévues par cette disposition. Il souligne ne pas avoir eu la possibilité de répondre aux arguments de la partie adverse, sans que les juridictions ad quem y aient remédié.
Dans la requête no 2672/03, le requérant se plaint du fait que les juridictions saisies dans le cadre de la procédure d’opposition à l’exécution n’ont pas porté remède à une telle absence de participation dans la procédure principale.
La Cour relève d’emblée que les deux requêtes portent sur le même problème, à savoir l’absence totale de participation du requérant à la procédure principale, dans laquelle il a été décidé de condamner le requérant au paiement de l’indemnisation en cause. Il convient donc, en application de l’article 43 du règlement de la Cour, de joindre les requêtes et de les examiner ensemble.
La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le droit à un tribunal, dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect. Ce droit ne revêt toutefois pas un caractère absolu : il peut donner lieu à des limitations, sans que celles-ci puissent restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (De Geouffre de la Pradelle c. France, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 253-B, p. 41, § 28).
L’effectivité du droit d’accès demande qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits (Bellet c. France, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 333-B, p. 42, § 36 ; voir également Cañete de Goñi c. Espagne, no 55782/00, § 34, 15 octobre 2002, non publié).
Enfin, l’un des éléments d’une procédure équitable au sens de l’article 6 § 1 est le caractère contradictoire de celle-ci : chaque partie doit en principe avoir la faculté non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision (voir, parmi d’autres, Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 436, § 33).
S’agissant de la présence du prévenu en matière pénale, la Cour a déjà considéré que l’intéressé doit pouvoir assister à son procès et y participer. De même, aviser quelqu’un des poursuites intentées à sa charge constitue un acte juridique d’une telle importance qu’il doit répondre à des conditions de forme et de fond propres à garantir l’exercice effectif des droits de l’accusé, une connaissance vague et non officielle ne pouvant suffire (T. c. Italie, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 245-C, p. 42, § 28).
Bien que cette jurisprudence concerne la procédure pénale, la Cour considère qu’elle est également valable, mutatis mutandis et en certaines circonstances, en matière civile, nonobstant la latitude plus grande dont jouissent les Etats contractants dans le domaine du contentieux civil (Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil 1997-I, p. 108, § 28).
En l’espèce, le requérant n’a pas eu la possibilité de participer efficacement à la procédure principale, dans laquelle il a été décidé de le condamner au paiement de dommages et intérêts. En application de la législation interne concernant la citation à comparaître, le juge a décidé de le citer par voie d’affichage afin de donner suite à la procédure.
La Cour rappelle à cet égard que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique (voir Cañete de Goñi c. Espagne précité, § 36).
Les règles concernant la citation à comparaître appliquées en l’espèce visent justement à assurer une telle bonne administration de la justice. Comme le Tribunal constitutionnel l’a relevé, il faut trouver un équilibre entre les différents intérêts en jeu. Prolonger une procédure pour un temps indéfini afin de rechercher l’adresse de l’un des intéressés pourrait se révéler contraire au principe de la sécurité juridique et à une bonne administration de la justice. Le droit d’accès à un tribunal n’empêche donc pas les Etats contractants de prévoir dans leur législation une procédure afin de régler ce type de situation, pourvu que les droits des intéressés soient dûment protégés.
La Cour considère, au vu des circonstances de l’affaire et de la réglementation applicable, que tel a été le cas en l’espèce. En effet, le juge n’a ordonné la citation par voie d’affichage qu’après s’être assuré, s’enquérant auprès des autorités de police, que l’adresse du requérant était impossible à trouver.
Par ailleurs, les justiciables se trouvant dans la même situation que le requérant ne sont pas totalement dépourvus de moyens afin de réagir contre de pareilles décisions. En premier lieu, l’article 771 f) du code de procédure civile donne la possibilité de contester la validité de la citation par voie d’affichage, même si en l’occurrence le requérant n’en a pas bénéficié en raison de l’écoulement du délai de cinq ans prévu à l’article 772 § 2 du même code. Deuxièmement, le requérant a pu contester la validité d’une telle citation par voie d’affichage dans le cadre de la procédure d’exécution qui a suivi la procédure principale. Il a ainsi pu présenter des arguments tendant à démontrer qu’une telle citation n’aurait pas dû être ordonnée, sans toutefois réussir à obtenir gain de cause. Les juridictions internes ont en effet considéré que la validité de la citation par voie d’affichage n’était pas affectée par les motifs avancés par le requérant. La Cour rappelle à cet égard que c’est au premier chef aux juridictions nationales d’interpréter les règles de nature procédurale. En l’espèce, une telle interprétation ne se révèle ni arbitraire ni déraisonnable.
Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’a pas été porté atteinte à la substance même du droit d’accès du requérant à un tribunal.
Il s’ensuit que les requêtes sont manifestement mal fondées et doivent être rejetées, conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.  
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de joindre les requêtes ;
Déclare les requêtes irrecevables.
Vincent Berger Georg Ress   Greffier  Président
1 En gras dans l’original.
DÉCISION NUNES DIAS c. PORTUGAL
DÉCISION NUNES DIAS c. PORTUGAL 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 69829/01;2672/03
Date de la décision : 10/04/2003
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE


Parties
Demandeurs : NUNES DIAS
Défendeurs : le PORTUGAL

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-04-10;69829.01 ?
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