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13/05/2003 | CEDH | N°62960/00

CEDH | ANTOINE contre le ROYAUME-UNI


[TRADUCTION-EXTRAITS]
EN FAIT
Le requérant, M. Pierre Harrison Antoine, est un ressortissant britannique né en 1979. Il est actuellement interné à l'hôpital de Bexley. Il est représenté devant la Cour par le cabinet Kaim Todner Solicitors, établi à Londres.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant, qui était âgé de seize ans à l'époque des faits, fut arrêté le 3 décembre 1995 en compagnie d'un autre jeune homme, D., qui était

âgé de dix-sept ans, dans le cadre d'une enquête sur le meurtre d'un garçon de quinze a...

[TRADUCTION-EXTRAITS]
EN FAIT
Le requérant, M. Pierre Harrison Antoine, est un ressortissant britannique né en 1979. Il est actuellement interné à l'hôpital de Bexley. Il est représenté devant la Cour par le cabinet Kaim Todner Solicitors, établi à Londres.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant, qui était âgé de seize ans à l'époque des faits, fut arrêté le 3 décembre 1995 en compagnie d'un autre jeune homme, D., qui était âgé de dix-sept ans, dans le cadre d'une enquête sur le meurtre d'un garçon de quinze ans, Michael Earridge. Le requérant fut placé en garde à vue et interrogé par la police pendant trois jours. Il avoua sa présence sur les lieux du crime mais nia y avoir participé. Il indiqua qu'il était sorti à deux reprises de la pièce où le crime avait eu lieu et qu'il avait vu D. poignarder Michael Earridge au moment où il y était rentré pour la seconde fois. D. fut inculpé de meurtre le 4 décembre 1995, le requérant le lendemain.
Le parquet soutenait que les deux jeunes gens avaient agi de concert et de façon préméditée et qu'ils avaient conçu leur acte comme un sacrifice offert au diable. D. aurait plongé un poignard dans la poitrine de Michael Earridge en présence du requérant, qui l'aurait auparavant empêché de s'enfuir et frappé. Le requérant et D. furent déférés à la Crown Court de Londres pour y répondre des chefs d'accusation de meurtre et, à titre subsidiaire, d'homicide involontaire. Invoquant une responsabilité atténuée, D. plaida coupable d'homicide involontaire. L'accusation retint cette qualification sur la foi d'expertises médicales, et le tribunal prit à l'encontre de l'intéressé, au titre des articles 37 et 41 de la loi de 1983 sur la santé mentale, une mesure d'internement en milieu hospitalier assortie d'une « ordonnance de restriction » (restriction order) à durée indéterminée.
Le requérant comparut devant la Crown Court le 13 mars 1997. Les trois psychiatres qui l'examinèrent et déposèrent à son procès diagnostiquèrent chez lui une schizophrénie paranoïde. Son avocat soutint que l'altération de ses facultés mentales le rendait inapte à se défendre et à être jugé.
Le 18 mars 1997, les jurés entendirent les dépositions de trois psychiatres, deux d'entre eux ayant été désignés par la défense, le troisième par l'accusation. En accord avec l'avocat du ministère public et avec celui de la défense, le juge recommanda au jury de déclarer que le requérant était inapte à se défendre et à être jugé. Conforme au jugement qui avait été rendu dans l'affaire R. c. Pritchard (Carrington & Payne's Reports 1836, vol. 7, p. 303), cette recommandation se fondait sur l'incapacité du requérant à donner des instructions à ses avocats en vue de répondre à l'acte d'accusation, à exercer son droit de récusation des jurés, à comprendre les témoignages et à s'exprimer lui-même à la barre dans le cadre de sa défense. Les jurés ayant suivi cette recommandation, un second jury fut constitué, conformément à l'article 4A de la loi de 1964 sur la procédure pénale en cas d'aliénation mentale (Criminal Procedure (Insanity) Act). Il s'agissait pour lui de se prononcer sur le point de savoir si l'accusé avait « commis l'acte ou l'omission à l'origine des poursuites » (« la procédure prévue par l'article 4A »).
Le 19 mars 1997, l'avocat du requérant soutint que l'accusé devait pouvoir invoquer l'excuse de responsabilité atténuée dans le cadre de la procédure prévue par l'article 4A. Le juge décida, d'une part, que pour prouver que l'accusé avait commis l'acte incriminé le ministère public devait faire la preuve tant de la réalité de la commission de l'acte (actus reus) que de l'intention coupable de son auteur (mens rea), et, d'autre part, que l'excuse de responsabilité atténuée était irrecevable dans le cadre de pareille procédure.
Le 2 juin 1997, le jury entendit des témoins au sujet des circonstances du crime, y compris les interrogatoires auxquels le requérant avait été soumis. L'audience se déroula selon la procédure contradictoire usuelle en matière pénale : chacune des parties cita des témoins et interrogea ceux de la partie adverse, puis prononça sa plaidoirie finale, avant le résumé de la cause au jury. A l'issue des débats, les jurés estimèrent que le requérant avait bien commis l'acte qui lui était reproché et le juge ordonna son internement en milieu hospitalier pour une durée indéterminée, sur le fondement de l'article 5 de la loi de 1964 sur la procédure pénale en cas d'aliénation mentale.
Le 19 avril 1999, le requérant fut autorisé à interjeter appel. Le 29 avril 1999, la Cour d'appel le débouta, non sans relever un point de droit d'intérêt général dans la question de savoir si une personne reconnue incapable de se défendre et dont l'implication matérielle dans la commission d'un meurtre faisait l'objet d'une procédure au titre de l'article 4A de la loi de 1964 pouvait ou non invoquer l'excuse de responsabilité atténuée. Le 26 juillet 1999, la Chambre des lords autorisa le requérant à se pourvoir devant elle.
Le 30 mars 2000, elle jugea que, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 4A, l'accusation devait établir l'actus reus mais non la mens rea. Selon elle, la question de l'intention délictueuse ne pouvait se poser qu'en présence « d'éléments objectifs permettant d'invoquer l'erreur, l'acte accidentel ou la légitime défense et empêchant le jury de conclure que l'accusé a commis l'acte, sauf à être convaincu au-delà de tout doute raisonnable compte tenu de l'ensemble des circonstances que l'accusation a justement récusé ces moyens de défense ». La Chambre des lords estima en outre que l'excuse légale de responsabilité atténuée ne pouvait être invoquée dans le cadre de la procédure prévue par l'article 4A. Elle se fonda principalement sur l'article 2 de la loi de 1957 sur l'homicide (Homicide Act 1957), selon lequel ce moyen ne pouvait être soulevé que par une personne encourant une condamnation pour meurtre. Dès lors que l'incapacité d'un accusé à se défendre a été établie, celui-ci ne peut faire l'objet d'un procès dans la mesure où il n'est plus susceptible « de se voir imputer la responsabilité d'un meurtre », ce qui le prive par conséquent de la possibilité d'invoquer l'excuse de responsabilité atténuée.
Lord Hutton, en prononçant la décision principale (leading judgment), déclara :
« A mon avis, l'article 4A a pour objet de ménager un juste équilibre entre la protection due à l'accusé inapte à se défendre qui n'a en réalité commis aucun acte répréhensible et la nécessité de protéger la société contre l'auteur d'un acte qui aurait constitué une infraction s'il avait été commis avec une intention coupable. La protection de la société est particulièrement nécessaire lorsque l'acte commis a causé la mort ou des dommages corporels et que l'accusé risque de récidiver. Je pense que les dispositions en cause ménagent pareil équilibre, en établissant une distinction entre celui qui n'a pris aucune part à la commission de l'infraction dont il est accusé et l'auteur, par commission ou omission, d'un acte qui aurait été constitutif d'une infraction s'il s'était accompagné d'une intention coupable. »
Les poursuites pénales engagées contre le requérant sont actuellement suspendues pour une durée indéterminée, et le parquet a annoncé son intention de les réactiver si le requérant devait à l'avenir recouvrer ses facultés intellectuelles.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  La reconnaissance de l'incapacité à se défendre
Un jury ne peut décider de l'incapacité d'un accusé à faire l'objet de poursuites pénales « qu'après avoir pris connaissance des dépositions écrites ou orales d'au moins deux experts médicaux » (article 4(6) de la loi de 1964 sur la procédure pénale en cas d'aliénation mentale). Le jury doit à cet égard vérifier si l'accusé est capable de répondre à l'acte d'accusation, s'il a les capacités intellectuelles suffisantes pour comprendre le déroulement des différentes phases du procès et organiser sa défense en conséquence, pour récuser les jurés contre lesquels il aurait des objections et pour comprendre dans le détail les éléments de preuve à charge » (R. c. Pritchard précité).
2.  L'article 4A de la loi de 1964 sur la procédure pénale en cas d'aliénation mentale (« la loi de 1964 »)
Lorsqu'un accusé est déclaré incapable de se défendre « le procès ne peut avoir lieu » (article 4A(2)) et un autre jury doit être constitué avec pour mission de « dire, pour chacun des chefs d'accusation dont le prévenu devait être appelé à répondre, s'il est convaincu que l'intéressé a commis l'acte ou l'omission incriminés » (article 4A(2)). Si tel est le cas, les jurés doivent « déclarer que l'accusé a commis l'acte ou l'omission incriminés » (article 4A(3)). Dans le cas contraire, ils sont tenus de « rendre un verdict d'acquittement dans les mêmes conditions que si le procès avait permis d'aboutir à une conclusion sur le chef d'accusation considéré » (article 4A(4)).
La charge de la preuve incombe à l'accusation, qui doit démontrer, au-delà de tout doute raisonnable, que l'accusé a commis l'acte visé. Si elle y parvient, la décision du jury ne vaut pas constat de culpabilité (R. c. Southwark Crown Court, ex parte Koncar, Criminal Appeal Reports 1998, vol. 1, p. 321, DC).
Selon l'article 5 de la loi, lorsque l'accusé est déclaré incapable de se défendre et que le jury estime qu'il a commis l'acte ou l'omission visés, le tribunal peut prendre à son égard :
a)  une ordonnance d'internement dans un hôpital choisi par le ministre ;
b)  une ordonnance de mise sous tutelle sur le fondement de la loi de 1983 sur la santé mentale ;
c)  une ordonnance portant placement sous contrôle judiciaire et obligation de traitement ;
d)  une ordonnance d'absolution pure et simple.
Toutefois, lorsque l'infraction à l'origine des poursuites est un meurtre, le tribunal est tenu de prendre une ordonnance d'internement en milieu hospitalier assortie d'une interdiction de remise en liberté non limitée dans le temps. Si le jury n'est pas convaincu que l'accusé a commis l'acte ou l'omission litigieux, il doit l'acquitter dans les mêmes conditions que si le procès avait permis d'aboutir à une conclusion sur le chef d'accusation considéré (article 4A(4)).
Lorsque le ministre estime que l'état de santé d'une personne détenue en vertu d'une ordonnance d'internement en milieu hospitalier lui permet de passer en jugement, il peut la déférer devant le tribunal (paragraphe 4(1) de l'annexe 1 à la loi de 1991 sur la procédure pénale en cas d'aliénation mentale et d'incapacité à se défendre – Criminal Procedure (Insanity and Unfitness to Plead) Act 1991).
A la suite du prononcé de la décision rendue dans la cause du requérant et de l'entrée en vigueur de la loi de 1998 sur les droits de l'homme (Human Rights Act 1998), la Cour d'appel autorisa la saisine de la Chambre des lords dans l'affaire R. v. H. and Secretary of the State for the Home Department, reconnaissant que la question de la compatibilité de la procédure prévue par l'article 4A avec les droits garantis à tout accusé par l'article 6 §§ 1, 2 et 3 d) de la Convention européenne des Droits de l'Homme soulevait un point de droit d'intérêt général.
Dans un arrêt de la Chambre des lords du 30 janvier 2003, Lord Bingham fit sienne l'opinion que Lord Hutton avait exprimée dans la cause du requérant (voir ci-dessus). Examinant la question de l'applicabilité de l'article 6 de la Convention à la procédure prévue par l'article 4A, il déclara notamment, en se référant à l'affaire Engel et autres c. Pays-Bas (arrêt du 8 juin 1976, série A no 22) :
« 16.  Il s'agit tout d'abord de savoir comment le droit interne qualifie la procédure en cause. Ce critère est toutefois, et à juste titre, loin d'être décisif car l'objectif de la Convention, qui vise à ce que soient appliquées des règles globalement équivalentes dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe, ne pourrait être atteint si les dispositions nationales devaient prévaloir. Néanmoins, la qualification en droit interne constitue le point de départ du raisonnement et, à cet égard, il est certain que, du point de vue du droit britannique, la procédure décrite à l'article 4A n'a pas pour objet de statuer sur une accusation en matière pénale puisqu'elle prévoit que le procès (c'est-à-dire le procès pénal) « ne peut avoir lieu ou doit être interrompu » lorsque l'accusé est déclaré incapable de se défendre. L'article 4A(2) est libellé en des termes qui font apparaître clairement que la mission du jury n'est pas la même que dans le cadre d'un procès pénal : (...) le jury a le pouvoir d'acquitter mais pas celui de condamner. La formule du serment que prêtent les jurés n'est pas la même que celle dont il est fait usage dans un procès pénal. Il ne peut y avoir de verdict de culpabilité. Aucune peine ne peut être infligée. Dans une affaire comme celle-ci, une ordonnance d'absolution pure et simple peut être prononcée en l'absence de toute condamnation et indépendamment de l'opportunité d'un châtiment. La loi a été modifiée en ce sens pour que cela soit bien clair. Il est vrai que dans l'article 1(4)b de la loi de 1974 sur la réinsertion des délinquants le terme de « condamnation » englobe les cas où une personne a été reconnue avoir commis l'acte ou l'omission à l'origine des poursuites, mais il s'agissait là d'une loi destinée à faciliter la réadaptation des délinquants en leur permettant de se dédouaner de leurs condamnations passées, et il apparaît évident que la disposition en cause visait à permettre aux personnes non innocentées dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 4A de bénéficier de ce droit à l'oubli. Il est vrai aussi qu'en application de l'article 1(1)b de la loi de 1997 sur les délinquants sexuels, toute personne jugée avoir commis un acte réprimé par cette loi doit se soumettre aux obligations de signalement et d'enregistrement qu'elle prévoit. Mais il me paraît clair que, du point de vue du droit interne, la disposition en cause a pour fonction de protéger la société et non de pénaliser ceux auxquels elle s'applique. La Commission a déclaré, à l'occasion de l'affaire Ibbotson c. Royaume-Uni, European Human Rights Reports CD 1998, vol. 27, p. 332, que les ordonnances prononcées sur le fondement de ce texte n'avaient pas un caractère punitif. L'obligation de se faire enregistrer auprès des autorités est une mesure de même nature que les contraintes imposées aux délinquants sexuels ou aux personnes dont le comportement est jugé antisocial (...)
17.  Le deuxième critère dégagé dans l'affaire Engel, celui invoqué par l'appelant, avait trait à la nature de l'infraction (...)
18.  Il serait très singulier que l'article 4A fût considéré comme contraire à la Convention alors qu'il a été adopté à la suite d'un amendement visant à protéger les personnes incapables, en raison de leurs troubles psychiques, de se défendre dans le cadre d'un procès. Il est en effet dans l'intérêt de pareilles personnes que les faits à l'origine des poursuites (dépouillés des questions relatives au consentement) fassent l'objet d'un examen contradictoire et solennel devant un tribunal siégeant en audience publique, en présence d'un avocat chargé de défendre leurs intérêts du mieux possible compte tenu des circonstances. L'abrogation de l'article 4A ne serait certainement pas de nature à améliorer leur situation. Quoi qu'il en soit, je pense que la thèse de l'incompatibilité de cette procédure avec la Convention est totalement infondée en droit. Que l'on se place du point de vue du droit interne ou du point de vue du droit européen, le constat est le même : la procédure prévue par l'article 4A n'a pas pour objet ni pour fonction de déterminer si l'accusé a ou non commis une infraction. Elle peut se conclure par un acquittement, mais ne peut donner lieu à un verdict de culpabilité ni au prononcé d'une peine. Même une réponse affirmative à la question de savoir si l'accusé a commis l'acte litigieux peut s'accompagner, comme en l'espèce, d'une absolution pure et simple. En revanche, si pareille réponse affirmative se double du prononcé d'une ordonnance d'internement en milieu hospitalier, rien ne s'oppose à ce que l'intéressé fasse l'objet d'un véritable procès pénal une fois guéri, issue évidemment inconcevable si l'accusé a déjà été condamné. (...)
19.  (...) [Quant au troisième critère énoncé dans l'affaire Engel], M. Smith, avocat de l'appelant, a reconnu qu'il ne pouvait être invoqué, dans la mesure où, selon lui, aucune des mesures susceptibles d'être prononcées par le tribunal dans le cadre de la procédure prévue par l'article 4A en cas de verdict défavorable n'a un caractère punitif. Or le fait que la procédure ne puisse aboutir au prononcé d'une peine n'est pas anodin. On n'a cité à la Chambre des lords aucune affaire où la Cour européenne des Droits de l'Homme aurait qualifié de « pénale » une procédure ne pouvant donner lieu au prononcé d'une peine même lorsqu'elle aboutit à une décision défavorable à l'accusé. Il est en effet difficile, sinon impossible, de donner pareille qualification à une instance qui ne peut en aucun cas conduire à l'infliction d'une peine, car la fonction même du droit pénal est d'interdire et de prévenir en les réprimant les comportements jugés suffisamment préjudiciables à la société pour mériter une sanction pénale. »
3.  La loi de 1957 sur l'homicide
L'article 2 de cette loi prévoit une excuse de responsabilité atténuée pouvant être invoquée comme moyen de défense face à une accusation de meurtre :
« 1)  La personne ayant commis un homicide ou y ayant participé ne peut être condamnée pour meurtre si elle souffrait d'un trouble du discernement (...) de nature à entraîner une altération substantielle de sa responsabilité mentale dans la commission de cet homicide ou dans la part qu'elle y a prise, par action ou omission. (...)
2)  Il incombe à la défense de démontrer que la personne accusée de meurtre ne peut, en vertu du présent article, être reconnue coupable de pareille infraction.
3)  La personne qui, en l'absence des dispositions du présent article, aurait encouru, comme auteur ou comme complice, une condamnation pour meurtre, encourt en lieu et place une condamnation pour homicide involontaire. »
GRIEFS
Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant allègue qu'il n'a pu participer utilement à la procédure diligentée au titre de l'article 4A ni obtenir sa confrontation avec les témoins à charge. Subsidiairement, il se plaint de ne pas avoir été jugé dans un délai raisonnable, les chefs d'accusation retenus à son encontre n'ayant toujours pas fait l'objet d'une décision.
EN DROIT
I.  LA PROCÉDURE DEVANT LA CROWN COURT
S'appuyant sur l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant se plaint que, dans le cadre de la procédure devant la Crown Court, qui était appelée à statuer sur une accusation en matière pénale, il n'a pu, à cause de son état mental, ni participer utilement aux débats ni être confronté aux témoins à charge. A titre subsidiaire, il soutient qu'il n'a pas été statué dans un délai raisonnable sur les chefs d'accusation retenus à son encontre, ceux-ci étant toujours en suspens.
Les dispositions pertinentes de l'article 6 §§ 1 et 3 d) sont ainsi libellées :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
A.  Arguments des parties
1.  Le Gouvernement
Le Gouvernement allègue que l'article 6 ne s'applique pas à la procédure prévue par les articles 4 et 4A de la loi de 1964. En effet, si le jury reconnaît l'incapacité du requérant à se défendre, celui-ci n'encourt plus aucune condamnation et ne doit plus répondre d'aucun chef d'accusation. Dès lors, l'article 6 n'a plus vocation à s'appliquer à la procédure dont il fait l'objet. Au soutien de cette thèse, le Gouvernement fait valoir que la loi de 1964 dispose que « le procès ne peut avoir lieu » et que le requérant ne court plus aucun risque de se voir infliger une peine. Il considère que la procédure incriminée avait pour objet de statuer sur le point de savoir si le requérant devait être détenu comme aliéné mental et qu'elle offrait toutes les garanties nécessaires. Il souligne à cet égard qu'elle s'est déroulée devant un tribunal composé d'un juge et de jurés et en présence d'un avocat, que les témoins entendus ont fait l'objet d'un contre-interrogatoire et que la charge de la preuve incombait à l'accusation.
Quant aux effets attachés à la décision rendue à l'issue de cette procédure, le Gouvernement affirme que si le ministre estime que la personne poursuivie est en état de se défendre, il n'est pas tenu compte du verdict de commission de l'acte ou omission à l'origine des poursuites, ce verdict ne pouvant être invoqué comme élément de preuve dans le cadre du procès pénal. Ce procès se déroule alors selon la procédure ordinaire, l'accusé bénéficiant pleinement des garanties consacrées par l'article 6 de la Convention, et notamment du droit à la présomption d'innocence.
Le Gouvernement fait en outre valoir que si l'article 6 § 1 devait être considéré comme applicable à la procédure contestée, celle-ci devrait être jugée conforme aux exigences posées par l'article 6 §§ 1 et 3 d) compte tenu de la nature des garanties offertes par elle, du caractère limité de son objet et de la nature de l'incapacité de l'accusé. Il fait observer que le requérant comparut à l'audience, qu'il y bénéficia de l'assistance d'un avocat et qu'aucun obstacle juridique ne l'empêchait de produire des preuves à décharge. En conclusion, la procédure prévue par l'article 4A respecterait l'équilibre qu'il convient de ménager entre les impératifs de protection de la société et la nécessité de garantir aux aliénés un traitement juste et adapté.
2.  Le requérant
Le requérant soutient que la procédure litigieuse avait pour objet de statuer sur une accusation pénale et relevait par conséquent des dispositions de l'article 6 de la Convention. Elle aurait été engagée contre lui sur le fondement d'une accusation de meurtre dans le cadre d'une procédure pénale contradictoire qui aurait pu se conclure par son acquittement et son absolution si le jury avait douté de son implication dans l'homicide. La charge de la preuve incombait à l'accusation dans les mêmes conditions qu'en matière pénale, et la procédure était en tous points semblable à celle qui aurait été suivie dans le cadre d'un procès pénal stricto sensu, et les circonstances de la cause devaient être instruites suivant les principes régissant la preuve en matière pénale. Eu égard au pouvoir pour le jury de prononcer l'acquittement à l'issue de pareille instruction, force serait d'analyser celle-ci comme l'instruction d'un procès pénal. De plus, en cas de non-acquittement, les charges seraient maintenues au dossier et l'accusé demeurerait indéfiniment susceptible d'être poursuivi.
Quand bien même un internement en milieu hospitalier ne devrait pas être considéré comme une mesure punitive, il s'agirait d'une sanction que les tribunaux répressifs ont la faculté de prononcer et dont ils se servent effectivement lorsque, dans le cadre d'un procès pénal stricto sensu, l'accusé est reconnu coupable de l'infraction qui lui est reprochée. En l'espèce, le tribunal était tenu de prendre une ordonnance d'internement pour une durée indéterminée dès lors que le jury avait jugé que le requérant avait commis les actes qui lui étaient reprochés. Le requérant fait observer que le Gouvernement n'a invoqué aucun fondement légal ou judiciaire à l'appui de sa thèse selon laquelle le verdict prononcé à l'issue d'une procédure au titre de l'article 4A n'aurait aucune incidence sur un procès ultérieur. Si cette affirmation est exacte, il en résulte qu'une personne peut être jugée deux fois pour la même accusation.
Le requérant invoque en outre l'incompatibilité de la procédure litigieuse, qui s'est déroulée sans sa participation active, avec les exigences de l'article 6 §§ 1 et 3 d). Ses avocats n'ont pu recevoir des instructions complètes et lui-même n'a pu déposer comme témoin principal. Dans ces conditions, les possibilités d'examiner correctement les circonstances de la cause ne pouvaient qu'être singulièrement réduites. De surcroît, comme la question de la mens rea était exclue dans le cadre de cette procédure, le requérant n'a pu invoquer l'excuse de responsabilité atténuée et bénéficier de la requalification de l'accusation de meurtre en homicide involontaire. L'intéressé soutient enfin que les intérêts de la société sont suffisamment protégés par les dispositions de la loi sur la santé mentale qui prévoient la possibilité d'ordonner le placement en détention, le suivi thérapeutique et le contrôle judiciaire de l'intéressé sans qu'il soit nécessaire de démontrer que l'accusé a commis l'acte qui lui est reproché.
B.  Appréciation de la Cour
La Cour observe que, soupçonné d'avoir participé au meurtre de Michael Earridge, le requérant fut arrêté par la police le 3 décembre 1995 et accusé de meurtre le 5 décembre 1995. Il comparut devant la Crown Court le 13 mars 1997 pour y répondre des chefs de meurtre ou, subsidiairement, d'homicide involontaire retenus dans l'acte d'accusation. Il est incontestable que pendant cette période il se trouvait accusé d'une infraction en matière pénale.
Toutefois, le 13 mars 1997, c'est-à-dire dès l'ouverture du procès, son avocat demanda à la Crown Court de constater qu'il était incapable de se défendre et qu'il n'était donc pas en état d'être jugé. Après avoir entendu les dépositions de trois psychiatres, les jurés furent dûment invités par le juge à suivre les conclusions de l'avocat, ce qu'ils firent. Leur décision mit fin au procès, conformément à l'article 4A(2) de la loi de 1964 qui, comme la jurisprudence de la Cour, consacre le principe selon lequel il est d'une manière générale inéquitable de faire passer en jugement un accusé reconnu incapable de participer utilement à la procédure.
La Crown Court décida donc de faire application de la procédure de l'article 4A et de faire comparaître le requérant devant un nouveau jury en vue de déterminer s'il avait commis l'acte à l'origine des poursuites. En vertu de la loi de 1964, l'intéressé pouvait être acquitté des charges retenues contre lui mais, en raison de la reconnaissance de son incapacité à se défendre, il ne pouvait être condamné. Dans ces conditions, la Cour considère que la procédure critiquée n'avait pas pour objet de statuer sur une accusation en matière pénale. Le requérant ne courait plus aucun risque de subir une condamnation. D'après l'intéressé, la possibilité d'un acquittement fait relever la procédure du champ d'application de l'article 6 dès lors que, dans cette mesure, une décision définitive peut être prise sur une accusation en matière pénale. La Cour n'est cependant pas convaincue que cela oblige à qualifier la procédure de « pénale » aux fins de l'article 6 § 1 de la Convention. On peut considérer en effet qu'il s'agit d'un mécanisme visant à protéger les personnes accusées à tort d'être impliquées dans la commission de prétendues infractions contre le risque de se voir infliger l'une des mesures préventives prévues par l'article 5(2) de la loi de 1964. L'impossibilité d'une condamnation et l'absence de sanctions pénales sont des critères plus déterminants. Bien que des ordonnances d'internement en milieu hospitalier puissent être prises à l'égard de personnes jugées au pénal, on ne peut soutenir qu'une mesure de ce type, tout en étant privative de liberté, revête un caractère punitif ou dissuasif au même titre que l'infliction d'une peine d'emprisonnement.
Si la procédure de l'article 4A présente des ressemblances importantes avec celle mise en œuvre dans le cadre d'un procès pénal, la Cour note qu'elle concerne principalement l'actus reus, c'est-à-dire la question de savoir si le comparant a commis l'acte ou l'omission dont on l'accuse et qui aurait été constitutif d'une infraction s'il avait été accompli avec la mens rea requise. Comme l'a expliqué Lord Hutton devant la Chambre des lords, il s'agit par ce biais de ménager un juste équilibre entre la protection due à l'accusé incapable de se défendre qui n'a, en réalité, commis aucun acte répréhensible et la nécessité de protéger la société contre une personne qui a commis un acte dommageable qui aurait constitué une infraction si son auteur avait agi avec la nécessaire intention coupable.
Dans ces conditions, la Cour estime que la procédure critiquée visait essentiellement à déterminer si le requérant avait commis un acte dont la dangerosité justifiait un internement en milieu hospitalier en vue de garantir la sécurité publique. Il ne s'agissait donc pas dans ce cadre de statuer sur une accusation en matière pénale. Par conséquent, la question de savoir si le fait qu'à cause de son état mental le requérant n'a pu y prendre utilement part est compatible avec l'article 6 § 1 de la Convention ne se pose pas.
La Cour rappelle que le requérant allègue à titre subsidiaire que si la procédure qu'il incrimine n'a pas donné lieu à une décision sur une accusation en matière pénale, son droit à un procès équitable dans un délai raisonnable a été violé et continuera à l'être tant qu'il n'aura pas recouvré sa capacité à se défendre et qu'il n'aura pas été jugé, qu'il soit en définitive acquitté ou condamné. Ainsi, selon lui, la procédure durait déjà, à la date de l'introduction de la requête, depuis cinq ans et elle serait toujours pendante.
Il résulte toutefois du raisonnement développé par la Cour ci-dessus que, d'un point de vue pratique, la procédure pénale engagée contre le requérant a pris fin le 18 mars 1997, date à laquelle a été constatée l'inaptitude de l'intéressé à être jugé. Même si le ministre peut, en théorie, décider un jour que le requérant a recouvré sa capacité à se défendre, il n'y a pas lieu d'en conclure que les accusations portées contre lui sont toujours pendantes. En réalité, le ministre peut très bien ne jamais réactiver les poursuites, et, s'il le fait, la question de savoir si le requérant a été jugé dans un délai raisonnable sera tranchée au vu de la période écoulée entre le moment où aura été pris le premier acte matériel tendant à la tenue d'un nouveau procès susceptible d'affecter substantiellement la situation de l'intéressé et la clôture de ce procès. Par conséquent, aucune question de délai excessif pour statuer sur une accusation en matière pénale ne se pose en l'espèce.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est à la fois incompatible ratione materiae avec la Convention et manifestement mal fondée, et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
DéCISION ANTOINE c. ROYAUME-UNI
DéCISION ANTOINE c. ROYAUME-UNI 
DéCISION ANTOINE c. ROYAUME-UNI 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 62960/00
Date de la décision : 13/05/2003
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE


Parties
Demandeurs : ANTOINE
Défendeurs : le ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-05-13;62960.00 ?
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