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12/06/2003 | CEDH | N°45681/99

CEDH | AFFAIRE GUTFREUND c. FRANCE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GUTFREUND c. FRANCE
(Requête no 45681/99)
DÉFINITIF
12/09/2003
ARRÊT
STRASBOURG
12 juin 2003
En l’affaire Gutfreund c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    I. Cabral Barreto,    J.-P. Costa,    L. Caflisch,    P. Kūris,    J. Hedigan,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 m

ai 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une req...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GUTFREUND c. FRANCE
(Requête no 45681/99)
DÉFINITIF
12/09/2003
ARRÊT
STRASBOURG
12 juin 2003
En l’affaire Gutfreund c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    I. Cabral Barreto,    J.-P. Costa,    L. Caflisch,    P. Kūris,    J. Hedigan,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mai 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45681/99) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Alain Gutfreund (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 janvier 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me F. Vallens, avocat à Saverne. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3.  Le requérant se plaignait notamment du défaut d’impartialité d’un magistrat dans le cadre d’une procédure d’octroi de l’aide juridictionnelle.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Par une décision du 25 avril 2002, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  Par une ordonnance pénale du 8 octobre 1997, le requérant fut condamné, pour des faits de violence n’ayant entraîné aucune incapacité de travail à l’encontre de son épouse, à une amende de 1 000 francs français (FRF). Le 8 décembre 1997, il forma opposition à cette ordonnance devant le tribunal de police de Saverne.
9.  Par un acte d’huissier du 3 juillet 1998, le requérant fut cité à comparaître le 15 septembre 1998 devant cette juridiction du chef de « violences volontaires n’ayant entraîné aucune incapacité de travail » commises le 24 juillet 1997. Qualifiés de « contravention de la 4e classe », ces faits sont réprimés par la peine d’amende maximale de 5 000 FRF prévue à l’article 131-13 du code pénal.
10.  Le 11 août 1998, le requérant forma une demande d’aide juridictionnelle devant le bureau d’aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Saverne conformément aux dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle et à son décret d’application du 19 décembre 1991.
11.  Le requérant justifia de ressources mensuelles à hauteur de 2 423 FRF, montant qui fut retenu par le bureau d’aide juridictionnelle. Conformément à l’article 4 de la loi de 1991, il prétendit alors au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale.
12.  Statuant sous la présidence de R. (ainsi que l’atteste une lettre du greffe du tribunal de grande instance de Saverne de novembre 2000), le bureau d’aide juridictionnelle rejeta cette demande le 27 octobre 1998, au motif qu’elle était « manifestement irrecevable, s’agissant d’une contravention de 4e classe ».
13.  Le 13 novembre 1998, le requérant contesta cette décision devant le président du tribunal de grande instance de Saverne.
Il indiqua que, dans une affaire similaire, l’aide juridictionnelle avait été accordée par le tribunal de grande instance de Strasbourg sur la base d’une autre interprétation du décret. Dans son ordonnance du 16 septembre 1998, le tribunal de grande instance de Strasbourg relevait un conflit de normes entre le décret et la loi et spécifiait que, pour le résoudre, il fallait interpréter le décret en fonction de la finalité de la loi.
14.  Statuant sur ce recours, cette fois-ci en qualité de président du tribunal de grande instance de Saverne, R. confirma la décision contestée par une ordonnance du 27 novembre 1998, contre laquelle le droit français n’ouvre pas de recours (article 23, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991).
Le président du tribunal de grande instance releva plusieurs arguments pour rejeter la demande du requérant :
« (...) si l’article 10 de la loi susvisée [loi du 10 juillet 1991] dispose que « l’aide juridictionnelle est accordée (...) devant toute juridiction » (...), il n’impose pas qu’elle le soit dans tous les types de procédure.
(...) le tableau annexé à l’article 90 du décret et auquel celui-ci renvoie en ce qui concerne le calcul de la rétribution des avocats ne prévoit que l’hypothèse de l’assistance du prévenu poursuivi devant le Tribunal de Police du chef d’une contravention de 5e classe.
(...) cette restriction ne peut résulter d’une inattention des pouvoirs publics.
(...) il n’appartient pas au bureau d’aide juridictionnelle, ni au président de la juridiction d’étendre, de façon prétorienne, le champ d’application du texte réglementaire à l’encontre duquel aucun recours n’a été formé devant le Conseil d’Etat.
(...) le caractère limitatif du tableau en cause est parfaitement évident. »
15.  Le 15 décembre 1998, le requérant se présenta à l’audience du tribunal de police de Saverne assisté d’un avocat. Par un jugement rendu le même jour, le tribunal déclara le requérant coupable de la contravention de violences n’ayant entraîné aucune incapacité de travail, mais le dispensa de peine.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Législation
16.  La loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique dispose :
Article 2
« Les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d’une aide juridictionnelle. (...) »
Article 4
« Le demandeur à l’aide juridictionnelle doit justifier que ses ressources mensuelles sont inférieures à 4 400 F pour bénéficier de l’aide juridictionnelle totale. »
Article 10
« L’aide juridictionnelle est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense devant toute juridiction ainsi qu’à l’occasion de la procédure d’audition du mineur prévue par l’article 388-1 du code civil.
Article 16
« Chaque bureau ou section de bureau d’aide juridictionnelle prévus à l’article 13 est présidé, selon le cas, par un magistrat du siège du tribunal de grande instance ou de la cour d’appel.
Article 23
« Les décisions du bureau d’aide juridictionnelle, de la section du bureau ou de leur président peuvent être déférées, selon le cas, au président du tribunal de grande instance, au premier président de la cour d’appel ou de la Cour de cassation (...) ou à leur délégué.
Ces autorités statuent sans recours.
17.  Le décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 dispose notamment :
Article 57
« Les décisions des bureaux établis au siège des tribunaux de grande instance (...) sont déférées au président du tribunal de grande instance près lequel le bureau est institué.
18.  L’article 90 de ce décret précise que la contribution de l’Etat à la rétribution des avocats qui prêtent leur concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale est déterminée en fonction de plusieurs critères figurant dans un tableau annexé. Celui-ci fait apparaître uniquement, dans la catégorie des « procédures contraventionnelles », « l’assistance d’un prévenu devant le tribunal de police (5e classe) ».
19.  Par ailleurs, un projet de loi relatif à l’accès au droit et à la justice, réformant notamment le système de l’aide juridictionnelle, est en cours d’adoption.
B.  Jurisprudence
20.  A ce jour, il n’y a pas de jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’attribution de l’aide juridictionnelle à une personne poursuivie pour une contravention autre qu’une contravention de 5e classe (et donc non prévue par le tableau annexé au décret du 19 décembre 1991 mentionné ci-dessus).
21.  A l’époque des faits, les juridictions donnaient différentes interprétations du tableau. Ainsi, comme les parties elles-mêmes l’ont relevé, l’ordonnance rendue le 27 novembre 1998 par le président de grande instance de Saverne contredisait une ordonnance rendue le 16 septembre 1998, quelques mois auparavant, par le président du tribunal de grande instance de Strasbourg.
22.  Une ordonnance rendue le 22 septembre 2000 par le président du tribunal de grande instance de Béthune a considéré que l’aide juridictionnelle ne saurait être refusée à une personne poursuivie pour une contravention de 4e classe au motif que le tableau annexé à l’article 90 du décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 ne prévoit l’assistance du prévenu, devant le tribunal de police, que pour la contravention de 5e classe.
EN DROIT
23.  Le requérant se plaint de ce que le même magistrat ait statué sur la même demande d’aide juridictionnelle à la fois comme président du bureau d’aide juridictionnelle et comme instance d’appel de la décision rendue par ce bureau. Il estime que ces faits sont contraires à l’exigence d’impartialité des tribunaux découlant de l’article 6 § 1 de la Convention qui dispose, dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
Se fondant sur l’arrêt Procola c. Luxembourg (28 septembre 1995, série A no 326) le requérant estime qu’il y a eu confusion, dans le chef de la même personne, des fonctions d’autorité administrative statuant sur la demande d’aide juridictionnelle et des fonctions judiciaires, consistant à statuer sur le recours contre cette décision. Il met en cause l’impartialité du président du tribunal de grande instance.
24.  Le Gouvernement rejette cette thèse. Il soutient que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable à la procédure engagée par le requérant pour obtenir l’aide juridictionnelle. Il rappelle, d’abord, que la procédure en question, régie par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, permet à tout justiciable de former une demande d’aide juridictionnelle pour les besoins d’une procédure civile ou pénale. Une telle demande, qui est facultative, peut être présentée préalablement ou parallèlement à une procédure en cours, sans en affecter en rien l’issue.
25.  En effet, la procédure d’examen de la demande d’aide juridictionnelle a pour seul but d’examiner si les conditions prescrites par la loi de 1991 sont réunies et d’accorder alors l’aide juridictionnelle au demandeur de manière totale ou partielle ou, au contraire, de rejeter sa demande. En conséquence, la décision du bureau d’aide juridictionnelle est sans influence sur la décision concernant la culpabilité de l’« accusé ». En effet, seule la juridiction pénale saisie, en l’espèce le tribunal de police, statue sur le bien-fondé de l’accusation. Le Gouvernement en conclut que la procédure d’examen de la demande d’aide juridictionnelle est totalement indépendante de celle portant sur le bien-fondé des accusations pénales portées contre le requérant.
26.  Le Gouvernement ajoute que la procédure d’aide juridictionnelle est sans influence sur l’accès au tribunal chargé de se prononcer sur le bien-fondé des accusations pénales portées contre le requérant. Notant la simplicité de la procédure par laquelle le requérant, poursuivi pour une contravention de 4e classe, a saisi le tribunal de police, le Gouvernement souligne que, malgré le refus de sa demande d’aide juridictionnelle, l’intéressé a été parfaitement en mesure de se défendre devant le tribunal de police des accusations portées contre lui.
27.  Quant à la question de savoir si le bureau d’aide juridictionnelle a été appelé à trancher une « contestation » sur un droit de « caractère civil » dont le requérant aurait été titulaire, le Gouvernement estime tout d’abord que l’intéressé n’avait aucun droit en soi à obtenir l’aide juridictionnelle dans la mesure où l’octroi de cette aide est soumis à des conditions strictement définies par le droit interne (appréciation de la situation financière du demandeur ; évaluation des chances de succès de l’action que le demandeur veut intenter et qui doivent être raisonnables). Il ne s’agirait donc pas d’un droit mais d’une simple possibilité. Même en admettant qu’il puisse s’agir, dans certains cas, d’un droit, le Gouvernement souligne sa nature procédurale dans la mesure où la demande visant à obtenir l’aide juridictionnelle n’affecte pas le fond de l’affaire.
28.  Enfin, le Gouvernement soutient que les bureaux d’aide juridictionnelle, qui ne sont d’ailleurs pas considérés au plan interne comme des juridictions, ne tranchent aucun litige, puisqu’il n’existe, à ce stade, aucune contestation sur un droit. Leur rôle se limiterait à l’examen d’une demande facultative présentée avant ou pendant une procédure en cours, sans en affecter l’issue. Ces bureaux ne seraient donc pas appelés à décider d’une contestation de caractère civil dont pourrait se prévaloir le requérant.
29.  Le Gouvernement déduit de ce qui précède que l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable à la procédure d’examen de la demande d’aide juridictionnelle.
30.  Le requérant observe que la question de l’octroi de l’aide juridictionnelle et l’issue de la procédure pénale sont sans incidence l’une sur l’autre. Toutefois, il objecte que, selon les textes applicables en droit interne, dès lors que la condition de ressources est remplie et que le bureau d’aide juridictionnelle n’estime pas qu’il s’agit d’une action dénuée de succès (ce qui ne saurait se produire en l’espèce, s’agissant d’une défense pénale), l’aide juridictionnelle doit obligatoirement être accordée. Il s’agirait donc d’un droit de caractère civil au sens de l’article 6 § 1. L’intéressé ajoute que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue sur un recours contre une décision du bureau d’aide juridictionnelle, il tranche une « contestation » au sens de la Convention, portant sur une décision à caractère administratif, comme dans l’arrêt Procola précité. Selon le requérant, il découle de ces éléments que l’article 6 § 1 est applicable en l’espèce.
31.  La Cour note d’emblée que le grief du requérant concerne exclusivement la procédure de demande d’aide juridictionnelle. Elle relève qu’il y a lieu de déterminer si l’article 6 § 1 de la Convention y est applicable. Pour cela, il convient de rechercher si la procédure litigieuse avait ou non trait au « bien-fondé [d’une] accusation en matière pénale » dirigée contre le requérant, ou à une « contestation sur [d]es droits et obligations de caractère civil ».
32.  En ce qui concerne le « bien-fondé [d’une] accusation en matière pénale », la Cour souligne que la procédure de demande d’aide juridictionnelle concerne uniquement l’octroi d’une assistance judiciaire au requérant. Elle ne concerne ni l’établissement de la culpabilité ni la fixation du montant de la peine, et ne vise ni le bien-fondé en droit ni le bien-fondé en fait (arrêts Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 13-15, § 25, et Deweer c. Belgique, 27 février 1980, série A no 35, pp. 24-25, § 48).
33.  De plus, comme elle l’a déjà exposé dans sa décision sur la recevabilité de la présente requête, la Cour relève que l’enjeu de la procédure engagée contre le requérant était limité. En effet, le requérant était poursuivi devant le tribunal de police pour une contravention de 4e classe (violence n’ayant entraîné aucune incapacité de travail à l’encontre de son épouse), et encourait une peine d’amende maximale de 5 000 FRF. En outre, la procédure devant le tribunal de police est orale et la représentation par un avocat n’est pas obligatoire. Le contrevenant peut se présenter seul et développer, le jour même de l’audience, les moyens de défense qu’il estime utiles. Ainsi, la nature de la procédure peut être qualifiée de « simple », ce qui la rendait accessible au requérant, même en admettant que ses connaissances juridiques eussent été limitées.
34.  Par conséquent, eu égard à l’enjeu de la procédure et à sa nature, les « intérêts de la justice » ne commandaient pas l’assistance d’un avocat d’office (Mato Jara c. Espagne (déc.), no 43550/98, 4 mai 2000).
35.  Le requérant pouvait donc, malgré le refus d’aide juridictionnelle et compte tenu de l’enjeu de la procédure et de sa nature, décider de se défendre seul ou de se faire représenter par un avocat. L’intéressé choisit d’ailleurs cette dernière solution. Il s’ensuit que le rejet de la demande d’aide juridictionnelle a été sans conséquence sur l’appréciation du bien-fondé des accusations portées contre le requérant, ce que d’ailleurs ce dernier ne conteste pas.
36.  La Cour déduit de ce qui précède que le rejet de la demande d’aide juridictionnelle du requérant n’était pas déterminant pour le bien-fondé de l’accusation en matière pénale portée contre lui.
37.  Partant, l’article 6 § 1 n’entre pas en jeu sous son aspect pénal.
38.  En ce qui concerne l’existence d’une « contestation sur [d]es droits et obligations de caractère civil », la Cour rappelle que, d’après sa jurisprudence constante, « pour que l’article 6 § 1 de la Convention sous sa rubrique « civile » trouve à s’appliquer, il faut qu’il y ait contestation sur un droit que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même du droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, l’article 6 § 1 ne se contentant pas, pour entrer en jeu, d’un lien ténu ni de répercussions lointaines. Enfin, [le droit] doit revêtir un caractère civil » (voir notamment les arrêts Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, série A no 52, p. 30, § 81, Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, série A no 327-A, p. 17, § 44, et Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 45-46, § 56).
39.  La Cour, quant au point de savoir s’il existait une « contestation » sur un « droit » de nature à faire jouer l’article 6 § 1, examinera d’abord si un « droit » à l’aide juridictionnelle demandée pouvait, de manière défendable, passer pour reconnu en droit interne ou par la Convention.
40.  La Cour relève que l’article 6 § 3 c) de la Convention reconnaît à « tout accusé » le droit « s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, [de] pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ». Cependant, dans sa décision sur la recevabilité, la Cour a estimé que, compte tenu de l’enjeu limité et de la nature « simple » de la procédure, les intérêts de la justice n’exigeaient pas que l’accusé soit obligatoirement assisté par un avocat commis d’office (paragraphes 34 et 35 ci-dessus). Il s’ensuit qu’en l’espèce la Convention ne garantit pas au requérant un droit à être assisté gratuitement par un avocat d’office et, par conséquent, elle ne garantit pas non plus un droit à l’aide juridictionnelle.
41.  La question de savoir si l’on peut, dans la présente affaire, affirmer l’existence d’un tel droit commande donc que l’on se réfère au seul droit interne. A cet égard, pour décider si un « droit », de caractère civil ou autre, peut valablement passer pour reconnu par le droit français, la Cour doit tenir compte du libellé des dispositions légales pertinentes et de la manière dont les juridictions internes les ont interprétées (Masson et Van Zon précité, p. 19, § 49).
42.  L’article 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique dispose que les personnes dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice « peuvent » bénéficier d’une aide juridictionnelle. L’emploi de ce terme dans le libellé de la disposition légale doit être interprété comme une volonté du législateur de ne pas imposer d’obligation absolue d’accorder l’aide juridictionnelle (voir, mutatis mutandis, Dobbertin c. France, no 23930/94, décision de la Commission du 15 mai 1996, non publiée).
43.  La possibilité d’obtenir l’aide juridictionnelle ne semble pas constituer un droit reconnu en droit interne. La Cour relève que le décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ne comporte pas de dispositions relatives à l’octroi de l’aide juridictionnelle pour les procédures contraventionnelles autres que celles de 5e classe. Quant à l’interprétation faite par les juridictions internes de ces dispositions, il ressort des éléments fournis par les parties qu’elle n’est pas uniforme.
44.  En tout état de cause, la Cour constate que si la procédure concernant l’octroi de l’aide juridictionnelle peut être déterminante en matière de droit d’accès au tribunal, ce qui implique l’applicabilité de l’article 6 § 1, un tel droit d’accès n’a pas été invoqué en l’espèce. D’ailleurs, la Cour relève que, compte tenu de l’enjeu limité et de la nature « simple » de la procédure, la décision du bureau d’aide juridictionnelle n’a eu aucune influence sur l’accès du requérant au tribunal.
45.  La Cour estime donc que le requérant, à l’époque des faits, n’était pas titulaire d’un droit qui, de manière défendable, pouvait passer pour reconnu en droit interne.
46.  Partant, l’article 6 § 1 n’entre pas non plus en jeu sous son aspect civil.
47.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut que la procédure litigieuse n’avait pas trait au « bien-fondé [d’une] accusation en matière pénale » dirigée contre le requérant, ni à une « contestation sur [d]es droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1. Partant, l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce.
PAr ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Dit que l’article 6 § 1 de la Convention ne s’applique pas en l’espèce.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juin 2003, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Georg Ress   Greffier Président
ARRÊT GUTFREUND c. FRANCE
ARRÊT GUTFREUND c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 45681/99
Date de la décision : 12/06/2003
Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Non-violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 6-1) ACCUSATION EN MATIERE PENALE


Parties
Demandeurs : GUTFREUND
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-06-12;45681.99 ?
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