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01/04/2004 | CEDH | N°67114/01

CEDH | AFFAIRE COORBANALLY c. FRANCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE COORBANALLY c. FRANCE
(Requête no 67114/01)
ARRÊT
STRASBOURG
1er avril 2004
DÉFINITIF
01/07/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Coorbanally c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    J.-P. Costa,   Mmes F. Tulkens,    N. Vajić,   M. E. Levits,   Mme S. B

otoucharova,   M. V. Zagrebelsky, juges,  et de M. S. quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir d...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE COORBANALLY c. FRANCE
(Requête no 67114/01)
ARRÊT
STRASBOURG
1er avril 2004
DÉFINITIF
01/07/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Coorbanally c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    J.-P. Costa,   Mmes F. Tulkens,    N. Vajić,   M. E. Levits,   Mme S. Botoucharova,   M. V. Zagrebelsky, juges,  et de M. S. quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mars 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 67114/01) dirigée contre la République française et dont un ressortissant Mauricien, M. Mahamood Coorbanally (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 décembre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me Jean-Pierre Mougel, avocat à Dunkerque. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.
3.  Le requérant se plaignait en particulier que la procédure devant la Cour de cassation n'avait pas été équitable.
4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. Le 7 novembre 2002, la Cour a décidé de communiquer le grief déduit de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus.
5.  Par une décision finale du 5 juin 2003, la Cour a déclaré le restant de la requête recevable.
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
7.  Le requérant est né en 1954 et réside à Coudekerque Branche.
8.  Le permis de conduire du requérant fut annulé par décision du tribunal de grande instance de Dunkerque du 23 septembre 1993. Le requérant prit cependant le volant le 16 novembre 1996, et conduisit de Bergues à Contrexeville, en passant par Valfroicourt. Il fut verbalisé une première fois à Bergues par la Gendarmerie de ce lieu. Il continua sa route. A Valfroicourt, alors qu'il excédait la vitesse autorisée, il fut photographié par un appareil de la Gendarmerie de Neufchâteau, la vitesse étant relevée par cinémomètre ; un procès verbal constatant l'excès de vitesse fut dressé.
Par un jugement du 27 novembre 1996, le tribunal correctionnel de Dunkerque condamna le requérant à 6 mois d'emprisonnement et plusieurs amendes. Il fut notamment reconnu coupable d'avoir, à Bergues, le 16 novembre 1996, « conduit un véhicule alors que son permis de conduire était annulé » par décision de justice. Par un arrêt du 4 février 1997, la cour d'appel de Douai réduisit la peine d'emprisonnement à trois mois, confirmant le jugement entrepris quant à ses autres dispositions.
Le 22 juin 1998, par jugement contradictoire, le tribunal correctionnel d'Epinal condamna le requérant à 6 mois d'emprisonnement et 1 500 francs français (FRF), soit 228,67 euros (EUR), d'amende pour avoir, à Valfroicourt, le 16 novembre 1996, « conduit un véhicule alors que son permis de conduire était annulé » et dépassé la vitesse maximale autorisée. Le 17 juin 1999, statuant par défaut, la cour d'appel de Nancy porta la peine d'emprisonnement à 8 mois, confirmant le jugement entrepris quant à ses autres dispositions. Le requérant ayant fait opposition, la cour d'appel de Nancy statua une nouvelle fois par un arrêt du 18 novembre 1999, confirmant le jugement déféré sur la culpabilité et portant la peine à 8 mois d'emprisonnement et 1 500 FRF d'amende.
9.  Le requérant se pourvut en cassation contre ce dernier arrêt. Il assurait lui-même la défense de ses intérêts devant la haute juridiction. La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 20 septembre 2000.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
10.  Le requérant se plaint d'une méconnaissance du principe du contradictoire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. A cet égard, il expose qu'il ne fut pas convoqué à l'audience et, se référant aux arrêts Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II), et Voisine c. France (no 27362/95, 8 février 2000), ne reçut communication ni du rapport du conseiller rapporteur ni des conclusions de l'avocat général, et ne put répondre à ces dernières. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
11.  Le Gouvernement soutient que l'absence de convocation du requérant à l'audience de la Cour de cassation n'a pas par elle-même enfreint son droit à un procès équitable. Il se réfère à cet égard aux décisions de la Cour dans les affaires Gaucher c. France (no 51406/99, décision du 24 octobre 2002) et Hager c. France (no 56616/00, décision du 24 octobre 2002).
Pour le reste, le Gouvernement expose qu'à la suite des arrêts Voisine (précité) et Meftah et autres c. France (arrêt du 26 juillet 2002 [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII), des mesures ont été prises au sein de la Cour de cassation pour « modifier les modalités d'instruction et de jugement des affaires ». Il ajoute cependant que ces mesures n'étaient pas en vigueur à l'époque où le requérant s'est pourvu en cassation, et déclare en conséquence « s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour pour apprécier le grief tiré du défaut de communication au requérant du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions de l'avocat général, et de l'impossibilité pour le requérant de répondre à ces conclusions ». 
12.  La Cour rappelle que dans l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité (§ 105), elle a jugé que l'absence de communication au requérant ou à son conseil, avant l'audience, du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document avait été fourni à l'avocat général, ne s'accorde pas avec les exigences du procès équitable.
Dans le même arrêt, la Cour a jugé que l' « absence de communication des conclusions de l'avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution ». Elle a cependant relevé que, lorsque les parties sont représentées par un avocat aux Conseils, l'avocat général informe celui-ci avant le jour de l'audience du sens de ses propres conclusions, de sorte que lorsque, à la demande dudit avocat aux Conseils, l'affaire est plaidée, ce dernier a la possibilité de répliquer aux conclusions oralement ou par une note e n délibéré ; elle a jugé que cette pratique était « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuse et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (§ 106). Par la suite, dans l'arrêt Voisine précité (§§ 25 et suivants), la Cour a constaté que, les parties qui – comme le requérant – ont choisi de se défendre sans la représentation d'un avocat aux Conseils ne bénéficient pas de cette pratique, et a jugé que cela n'était pas compatible avec les exigences de l'article 6 § 1 ; cette jurisprudence a été confirmée par la Grande Chambre (Meftah et autres, précité, §§ 49 et suivants).
Relevant que le Gouvernement ne prétend pas que la procédure s'est déroulée autrement en l'espèce, la Cour ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente.
Partant, il y eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de l'absence de communication au requérant, avant l'audience, du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document avait été fourni à l'avocat général, ainsi que de l'impossibilité pour le requérant de répondre aux conclusions de ce dernier.
Vu cette conclusion, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément la branche du grief relative à l'absence de convocation du requérant à l'audience. 
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
13.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
14.  Le requérant réclame 100 000 euros (« EUR ») pour préjudice matériel et moral.
15.  Le Gouvernement estime que le préjudice invoqué par le requérant est sans lien avec le constat de violation auquel la Cour est parvenue.
16.  La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d'une méconnaissance de l'article 6 § 1 devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, du fait de l'absence de communication au requérant, avant l'audience, du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document avait été fourni à l'avocat général, ainsi que de l'impossibilité pour le requérant de répondre aux conclusions de ce dernier. Dans ces circonstances, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (voir, par exemple, Arvois c. France, no 38249/97, §18, 23 novembre 1999).
Quant au préjudice moral, la Cour l'estime suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle parvient.
B.  Frais et dépens
17.  Le requérant demande 2 631,20 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (« TVA ») comprise, pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il ne fournit aucune pièce justificative.
18.  Le Gouvernement considère que seuls les frais et dépens exposés devant la Cour peuvent être pris en compte, sous réserve de leur justification.
19.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 60 § 2 de son règlement, « (...) le requérant doi[t] chiffrer et ventiler par rubrique toutes [ses] prétentions [au titre de l'article 41 de la Convention], auxquelles il[] doi[t] joindre les justificatifs nécessaires, faute de quoi la chambre peut rejeter la demande, en tout ou en partie ».
La Cour relève que le greffe a attiré l'attention de l'avocat du requérant sur cette disposition du règlement et constate qu'aucune pièce justificative n'a été produite. Au vu des diligences autrement accomplies par l'avocat, elle estime néanmoins qu'il convient d'allouer 1 000 EUR au requérant pour frais et dépens, taxe sur la valeur ajoutée (« TVA ») comprise (voir, par exemple, l'arrêt Voisine c. France du 8 février 2000, no 27362/95, § 39)
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2.  Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, toutes taxes comprises ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette  la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er avril 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago quesada Christos Rozakis   Greffier adjoint Président
ARRÊT COORBANALLY c. FRANCE
ARRÊT COORBANALLY c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 67114/01
Date de la décision : 01/04/2004
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE


Parties
Demandeurs : COORBANALLY
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-04-01;67114.01 ?

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