La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/10/2004 | CEDH | N°17707/02

CEDH | AFFAIRE MELNITCHENKO c. UKRAINE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MELNITCHENKO c. UKRAINE
(Requête no 17707/02)
ARRÊT
STRASBOURG
19 octobre 2004
DEFINITIF
30/03/2005
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Melnitchenko c. Ukraine,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,    M. Ugrekhelidze, juges,  et de M. T.L. Early, greffier adjoin

t de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 et 28 septembre 2004,
Rend l'arrêt que v...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MELNITCHENKO c. UKRAINE
(Requête no 17707/02)
ARRÊT
STRASBOURG
19 octobre 2004
DEFINITIF
30/03/2005
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Melnitchenko c. Ukraine,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,    M. Ugrekhelidze, juges,  et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 et 28 septembre 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 17707/02) dirigée contre l'Ukraine et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mikola Ivanovitch Melnitchenko (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 avril 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant a été représenté par Me S. Holovati, avocat à Kiev, en Ukraine. Le gouvernement ukrainien (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agentes successives, Mme V. Loutkovska et Mme Z. Bortnovska.
3.  Le requérant alléguait en particulier que son droit de se présenter à des élections, tel que garanti par l'article 3 du Protocole no 1, n'avait pas été respecté.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 4 novembre 2003, la chambre a déclaré la requête recevable pour autant qu'elle concernait les griefs exprimés sur le terrain de l'article 3 du Protocole no 1.
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). La chambre ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 3 in fine), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre.
EN FAIT
7.  Le requérant est né le 18 octobre 1966 dans le village de Zapadinka, district de Vasilkiv, dans la région de Kiev. Il réside actuellement aux Etats-Unis d'Amérique, où il bénéficie du statut de réfugié.
8.  Le requérant, officier des services de sécurité ukrainiens, était membre de la garde présidentielle. Il était chargé de la sécurité du bureau du président. Dans le cadre de son travail, il aurait enregistré des entretiens secrets entre le président et des tiers concernant l'implication possible du chef de l'Etat dans la disparition du journaliste Guéorgui Gongadzé.
9.  M. Gongadzé était journaliste politique et rédacteur en chef de la Oukraïnska Pravda, un journal publié sur Internet. Il était connu pour sa critique du pouvoir en place et pour ses activités militantes en faveur de la liberté d'expression en Ukraine et à l'étranger. Après s'être plaint pendant des mois d'être menacé et surveillé, il disparut le 16 septembre 2000. Le 2 novembre 2000, un corps décapité, que des médecins légistes identifièrent par la suite comme étant celui de M. Gongadzé, fut découvert à proximité de la ville de Tarachtcha, dans la région de Kiev. La veuve de M. Gongadzé a déposé une requête auprès de la Cour (requête no 34056/02).
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  Contexte de l'affaire
10.  Le 26 novembre 2000, le requérant quitta l'Ukraine car il craignait de faire l'objet de représailles de la part du régime après la divulgation des enregistrements.
11.  Le 28 novembre 2000, lors d'une session du Parlement de l'Ukraine, la Verkhovna Rada (Верховна Рада України), le président du parti socialiste ukrainien, M. O. Moroz, annonça publiquement l'existence d'enregistrements audio effectués secrètement dans le bureau du président. Ces enregistrements mettaient en cause le chef de l'Etat et d'autres hauts fonctionnaires dans la disparition de Guéorgui Gongadzé. Selon un rapport de Reporters sans frontières publié le 22 janvier 2001, il était question dans les conversations enregistrées des différentes manières d'éliminer M. Gongadzé. Dans l'une de ces conversations, qui aurait eu lieu entre le président et le ministre de l'Intérieur, ce dernier déclara qu'il connaissait des personnes capables de se charger de cette mission. Il appelait ces personnes de « vrais aigles », prêts à faire tout ce qui était demandé. (Les « vrais aigles » étaient prétendument une équipe illégale d'anciens membres ou de membres alors en fonction des forces de sécurité.) La divulgation de ces informations provoqua un scandale politique de grande ampleur.
12.  Deux jours plus tard, le 30 novembre 2000, le tribunal du district Petcherski de Kiev engagea une procédure pénale pour diffamation contre M. O. Moroz au sujet des enregistrements.
13.  Le requérant quitta précipitamment l'Ukraine. Il conserva toutefois un passeport intérieur sur lequel figurait son adresse enregistrée à Kiev à des fins administratives (alors appelée « propiska » ; voir les paragraphes 40-42 ci-dessous).
14.  Le requérant demanda l'asile politique aux Etats-Unis. Le 27 avril 2001, le service de l'immigration et de la naturalisation du ministère de la Justice américain accorda à l'intéressé le statut de réfugié en vertu de la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »). Le ministère délivra une autorisation de circulation (travel document) au requérant et lui accorda le droit de résider indéfiniment aux Etats-Unis.
15.  Le 4 janvier 2001, l'enquêteur du parquet général décida d'engager des poursuites pénales contre le requérant pour diffamation du président ukrainien, M. L. Koutchma, ainsi que de MM. V. Litvine et I. Kravtchenko, respectivement directeur du cabinet du président de l'Ukraine et ministre de l'Intérieur à l'époque des faits. Des poursuites pour faux visant la demande officielle de passeport formulée par le requérant furent également ouvertes, l'intéressé n'ayant pas indiqué qu'il était dépositaire de secrets d'Etat en raison des fonctions qu'il avait exercées antérieurement (paragraphe 34 ci-dessous). Le même jour, le parquet général lança un mandat de recherche contre le requérant.
16.  Le 14 février 2001, le parquet général engagea d'autres poursuites pénales contre M. Melnitchenko pour sa participation alléguée à la divulgation de secrets d'Etat et pour abus de pouvoir. Le 15 février 2001, le requérant fut officiellement inculpé des quatre chefs simultanément. Le 19 octobre 2001, le parquet général prononça à nouveau l'inculpation conformément au nouveau code pénal. Le chef de diffamation fut abandonné car le nouveau code avait décriminalisé la diffamation. Le 24 janvier 2002, le tribunal du district Petcherski de Kiev décerna un mandat prescrivant l'arrestation et la mise en détention provisoire, en l'absence du requérant.
B.  Les faits à l'origine des griefs du requérant
17.  Le 12 janvier 2002, le neuvième congrès du parti socialiste d'Ukraine désigna le requérant comme le candidat no 15 sur la liste du parti socialiste pour les élections au Parlement ukrainien, la Verkhovna Rada.
18.  Le 22 janvier 2002, le parti socialiste soumit la candidature du requérant à la commission électorale centrale (Центральна Виборча Комісія) pour son inscription sur la liste officielle. Dans sa demande d'inscription, le requérant donna l'adresse qui figurait sur sa propiska comme lieu de résidence en Ukraine au cours des cinq années précédentes.
19.  Le 26 janvier 2002, la commission électorale centrale adopta la résolution no 94 concernant le refus d'inscrire certains candidats à l'élection des députés du peuple à la Verkhovna Rada fixée au 31 mars 2002.
20.  Cette résolution était fondée sur le compte rendu intégral d'une discussion concernant la demande d'inscription formée par le requérant. Elle fut adoptée à la suite d'une proposition de Mme I. Stavnitchouk, membre de la commission électorale centrale, qui avait expliqué que l'inscription devait être refusée pour les raisons suivantes :
« (...) Il ressort de ce qui a été dit que la disposition qui figure au deuxième paragraphe de l'article 8 de la loi relative à l'élection des députés du peuple à la Verkhovna Rada d'Ukraine et qui énonce les règles applicables à la résidence conformément aux traités internationaux conclus par l'Ukraine, ne s'étend pas à M.I. Melnitchenko.
D'un point de vue juridique, M.I. Melnitchenko résidant aux Etats-Unis, il ne peut pas être considéré comme résident permanent en Ukraine, au sens des dispositions de l'article 8 de la loi (...)
(...) M.I. Melnitchenko demeure à l'étranger pour des raisons qui ne figurent pas parmi celles énoncées au deuxième paragraphe de l'article 8 de la loi (...)
(...) toute interruption de la résidence en Ukraine pour des raisons autres que celles énoncées au deuxième paragraphe de l'article 8 de la loi en matière de séjour ou de résidence (...) prive l'intéressé de la possibilité d'exercer son droit d'être élu député du peuple à la Verkhovna Rada d'Ukraine étant donné qu'[une interruption dans la période de résidence] ne saurait être comptée dans la période de résidence en Ukraine (...)
(...) Pour cette raison et considérant que M.I. Melnitchenko a fourni des informations inexactes sur son lieu de résidence ou de séjour habituel au cours des cinq dernières années, ainsi que la commission électorale centrale l'a établi, nous proposons que la commission refuse d'inscrire l'intéressé comme candidat à l'élection des députés du peuple à la Verkhovna Rada d'Ukraine (...) »
21.  La commission électorale centrale adopta donc la proposition de Mme I. Stavnitchouk et rejeta l'inscription de treize candidats potentiels, parmi lesquels le requérant. Elle décida en particulier de :
2.  Refuser d'inscrire Mikola Ivanovitch Melnitchenko comme candidat à l'élection à la Verkhovna Rada d'Ukraine dans le cadre de la circonscription nationale plurinominale. M. Melnitchenko était quinzième sur la liste des candidats à l'élection des députés du peuple prévue le 31 mars 2002. Les documents qu'il a soumis à la commission électorale centrale contiennent des informations foncièrement inexactes sur son lieu et sa période de résidence au cours des cinq dernières années. »
22.  Lors de la réunion, la commission avait établi une distinction entre la situation du requérant et celle d'un certain M. Y.M. Zviahilski, qui avait été autorisé par le passé à participer à des élections législatives, dans le cadre d'une réglementation différente, en dépit du fait qu'il avait séjourné, à titre temporaire, plus de deux ans en Israël pour y subir un traitement médical. Le requérant soutint que M. Zviahilski, poursuivi pour abus de pouvoir commis alors qu'il était premier ministre par intérim de l'Ukraine, s'était réfugié en Israël pendant la période où son immunité parlementaire avait été levée.
23.  Les douze autres candidatures furent rejetées au motif que les documents nécessaires à l'inscription n'avaient pas été dûment remplis.
24.  Le 30 janvier 2002, le parti socialiste saisit la Cour suprême d'Ukraine d'un recours contre la résolution no 94 de la commission électorale centrale du 26 janvier 2002. Il demandait que la résolution fût déclarée illégale et annulée.
25.  Le 8 février 2002, la Cour suprême d'Ukraine rejeta ce recours pour les raisons suivantes :
« (...) la commission électorale centrale et la cour contestent les informations concernant le lieu de résidence habituel de M.I. Melnitchenko en Ukraine au cours des cinq dernières années, dont il est fait état dans les documents cités. Ces informations, destinées à une candidature aux élections législatives, sont foncièrement inexactes. Par conséquent, le deuxième paragraphe de la résolution no 94 de la commission électorale centrale du 26 janvier 2002 est conforme aux règles énoncées au deuxième paragraphe de l'article 8 et aux articles 41 et 47 de la loi sur l'élection des députés du peuple à la Verkhovna Rada d'Ukraine.
Sur la base de ce qui précède, (...) la cour
dit :
que la plainte introduite par le parti socialiste d'Ukraine au sujet du paragraphe 2 de la résolution no 94 de la commission électorale centrale du 26 janvier 2002, concernant le refus d'inscrire M.I. Melnitchenko comme candidat à l'élection à la Verkhovna Rada d'Ukraine dans le cadre de la circonscription nationale plurinominale, doit être rejetée. »
26.  Le 21 novembre 2002, le requérant a informé la Cour qu'il résidait aux Etats-Unis, où il bénéficiait du statut de réfugié. Les médias ayant beaucoup parlé de son cas, ce fait était de notoriété publique en Ukraine.
II.  LE DROIT INTERNATIONAL ; LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
A.  Restrictions apportées en droit international au droit de vote des réfugiés
27.  L'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, auquel l'Ukraine est partie, garantit à tout citoyen le droit de voter et de se porter candidat à une fonction publique de son pays.
28.  En ce qui concerne la participation de réfugiés à des élections dans leur pays d'origine, le Comité des droits de l'homme, dans son observation générale no 25 (1996) sur l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tout en notant que cet article interdit une discrimination arbitraire entre citoyens, a estimé qu'une règle qui impose l'inscription –inscription qui serait elle-même liée à une condition de résidence – peut être justifiée. Ainsi, les Etats sont autorisés à limiter le droit de vote en général aux citoyens qui résident habituellement sur leur territoire. Il est en outre précisé dans l'observation no 25 :
« 15.  L'application effective du droit et de la possibilité de se porter candidat à une charge élective garantit aux personnes ayant le droit de vote un libre choix de candidats. Toute restriction au droit de se porter candidat, par exemple un âge minimum, doit reposer sur des critères objectifs et raisonnables. Les personnes qui à tous autres égards seraient éligibles ne devraient pas se voir privées de la possibilité d'être élues par des conditions déraisonnables ou discriminatoires, par exemple le niveau d'instruction, le lieu de résidence ou l'ascendance, ou encore l'affiliation politique. Nul ne devrait subir de discrimination ni être désavantagé en aucune façon pour s'être porté candidat. Les Etats parties devraient exposer les dispositions législatives privant un groupe ou une catégorie de personnes de la possibilité d'être élu et les expliquer. »
B.  Extraits des lignes directrices en matière électorale adoptées par la Commission de Venise lors de sa 51e session plénière (5-6 juillet 2002)
29.  Les passages pertinents des lignes directrices en matière électorale adoptées les 5 et 6 juillet 2002 par la Commission de Venise sont ainsi libellés (notes de bas de page omises) :
Les principes du patrimoine électoral européen (Projet de rapport explicatif)
« (...) En troisième lieu, des conditions de résidence peuvent être imposées aussi bien en matière de droit de vote que d'éligibilité ; la résidence est comprise comme la résidence habituelle (...) A l'inverse, un bon nombre d'Etats octroient le droit de vote, voire l'éligibilité, à leurs ressortissants vivant à l'étranger (...) Il est envisageable de prévoir une inscription au lieu où l'électeur a une résidence secondaire, si celle-ci est régulière et apparaît, par exemple, par le paiement d'une contribution fiscale locale ; l'électeur ne doit alors bien évidemment pas être inscrit au lieu de sa résidence principale.
La liberté de circulation des citoyens à l'intérieur du pays est l'un des droits fondamentaux nécessaires à de véritables élections démocratiques. Toutefois, lorsque des personnes ont été déplacées contre leur gré, il convient de leur laisser à titre transitoire la possibilité d'être considérées comme résidant à leur ancien lieu de résidence. Cette possibilité doit exister pendant cinq ans au minimum mais pas au-delà de quinze ans au bénéfice des personnes déplacées au sein du territoire national.
Enfin, certaines clauses d'exclusion des droits politiques peuvent être prévues. Elles doivent toutefois répondre aux conditions usuelles de restriction des droits fondamentaux, et plus précisément :
–  être prévues par la loi ;
–  respecter le principe de la proportionnalité ;
–  être motivées par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits graves.
En outre, l'exclusion des droits politiques doit être prononcée par un tribunal dans une décision spécifique. En cas d'interdiction pour motifs liés à la santé mentale toutefois, une telle décision spécifique peut porter sur l'interdiction et entraîner ipso jure la privation des droits civiques.
L'exclusion de l'éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celles du droit de vote, car l'exercice d'une fonction publique est en cause et il peut être légitime d'en écarter les personnes dont l'activité dans cette charge contreviendrait à un intérêt public prépondérant. »
C.  La pratique de différents Etats en matière de condition de résidence et de droit de vote
30.  Il n'existe pas de pratique uniforme d'un Etat à l'autre en ce qui concerne la participation des citoyens expatriés à des élections. De nombreux Etats n'exigent pas des candidats qu'ils résident sur leur territoire (par exemple : le Royaume-Uni, l'Irlande, Chypre, la Finlande, l'Italie, la France, la Grèce, la Pologne, les Pays-Bas, la République tchèque, l'Espagne, le Portugal, l'Estonie, la Lettonie, la Croatie, la Moldova, la Suisse, l'Autriche, la Turquie). D'autres Etats, par contre, continuent d'exiger d'un candidat à l'élection présidentielle qu'il réside sur leur territoire (par exemple : l'Allemagne, la Bulgarie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », l'Azerbaïdjan, l'Albanie, la Russie). D'autres encore imposent toujours la condition de résidence pour les élections législatives (Malte et l'Islande, qui sont des régimes présidentiels ; le Liechtenstein, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, la Norvège et la Suède, qui ne sont pas des régimes présidentiels). Enfin, certains Etats l'imposent tant pour les élections présidentielles que pour les élections législatives (par exemple : la Hongrie, la Slovaquie, l'Arménie, la Roumanie, la Géorgie, la Lituanie, l'Ukraine).
D.  La Constitution de l'Ukraine de 1996
31.  La Constitution de l'Ukraine, en ses parties pertinentes, se lit comme suit :
Article 8
La Constitution de l'Ukraine est la norme suprême (...) »
Les dispositions de la Constitution ont un effet direct (...)
Article 9
« Les traités internationaux en vigueur que la Verkhovna Rada d'Ukraine reconnaît comme contraignants font partie de la législation nationale.
Article 22
Les droits et libertés garantis par la Constitution ne peuvent être abolis.
Article 24
Aucun privilège ni aucune restriction ne peuvent être fondés (...) sur des convictions politiques (...) ou autres (...), [ou] sur le lieu de résidence (...)
Article 38
« Les citoyens ont le droit de participer à l'administration des affaires publiques, aux référendums nationaux et locaux ; ils ont le droit d'élire librement et d'être élus à des organes exerçant la puissance publique au niveau national ou local.
Tous les citoyens bénéficient d'un droit égal d'accès à la fonction publique, au niveau national comme au niveau local. »
Article 64
« Les droits de l'homme et les droits et libertés du citoyen garantis par la Constitution ne peuvent être restreints que dans les cas prévus par la Constitution.
En cas d'application de la loi martiale ou en état d'urgence, des restrictions spécifiques aux droits et libertés peuvent être autorisées à condition que la durée d'application en soit précisée. Les droits et libertés énoncés aux articles 24, 25, 27, 28, 29, 40, 47, 51, 52, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62 et 63 de la Constitution ne peuvent faire l'objet de restrictions. »
Article 76
Un citoyen ukrainien âgé de vingt et un ans au moins à la date des élections a le droit de voter, et, s'il réside sur le territoire national depuis cinq ans, peut devenir député à la Verkhovna Rada (...)
Un citoyen qui a été condamné pour un acte criminel intentionnel ne peut être élu à la Verkhovna Rada d'Ukraine que si cette infraction a été effacée de son casier judiciaire dans les conditions établies par la loi.
Article 77
La loi définit les règles à suivre pour l'élection des députés du peuple à la Verkhovna Rada (...) »
E.  La loi du 17 décembre 1997 sur la commission électorale centrale d'Ukraine
32.  Les articles pertinents de la loi du 17 décembre 1997 sur la commission électorale centrale d'Ukraine sont ainsi libellés :
Article 1  Le statut de la commission électorale centrale
« La commission électorale centrale est un organe permanent de l'Etat qui, conformément aux dispositions de la Constitution de l'Ukraine, de la présente loi et d'autres lois ukrainiennes, organise, prépare et dirige les élections du président de l'Ukraine, des députés du peuple à la Verkhovna Rada d'Ukraine, ainsi que les référendums nationaux. »
Article 14  Les pouvoirs de la commission électorale centrale
« La commission électorale centrale :
11.  enregistre, conformément aux lois ukrainiennes, les listes des candidats aux élections législatives soumises par des partis politiques ou des groupes électoraux de partis, et communique auxdits partis et groupes une copie de sa décision sur l'enregistrement des listes ; elle remet également aux candidats une attestation d'inscription. »
F.  Le code civil du 18 juillet 19631
33.  L'article pertinent du code civil se lit comme suit :
Article 17  Lieu de résidence
« Le lieu de résidence est généralement le lieu où un citoyen réside à titre permanent ou temporaire.
G.  Demandes de passeports par des personnes qui détiennent des secrets d'Etat
34.  La loi régissant l'entrée et la sortie des ressortissants ukrainiens du territoire national renvoie en son article 12 à la loi relative aux secrets d'Etat. Les personnes qui détiennent des secrets d'Etat font l'objet d'un contrôle plus strict lorsqu'elles formulent une demande de passeport international ou de résidence permanente à l'étranger. Le ministère de l'Intérieur examine systématiquement auprès des services de renseignements le dossier des personnes qui demandent un passeport de ce type.
H.  La loi du 18 octobre 2001 sur les élections (telle que modifiée le 17 janvier 2002)
35.  Les articles pertinents de la loi sur les élections sont ainsi libellés :
Article 8  Le droit d'être élu
« 1.  Un citoyen ukrainien âgé de vingt et un ans à la date des élections a le droit de voter, et, s'il réside sur le territoire national depuis cinq ans, d'être élu député.
2.  Au sens de la présente loi, résider en Ukraine signifie résider sur le territoire qui comprend le territoire situé en deçà des frontières de l'Etat d'Ukraine et les navires battant pavillon ukrainien ; sont également considérés comme ayant valeur de résidence en Ukraine le séjour, conformément à la procédure établie par la loi, de ressortissants ukrainiens dans des missions diplomatiques et consulaires ukrainiennes, des organisations internationales et leurs organes, dans les stations polaires ukrainiennes, ainsi que le séjour de ressortissants ukrainiens hors du territoire national conformément aux traités internationaux en vigueur à l'égard de l'Ukraine. »
Article 41  Les conditions d'inscription d'un candidat aux élections législatives  qui figure sur la liste électorale d'un parti
8.  La notice biographique des personnes inscrites sur la liste électorale d'un parti (groupe) ne doit pas dépasser 2 000 caractères. Elle comprend les informations suivantes : le nom de famille, le prénom, le nom patronymique, le jour, le mois, l'année et le lieu de naissance, la citoyenneté, la formation, le parcours professionnel, la profession, le lieu de travail, les fonctions publiques éventuellement exercées (y compris les dates de mandats électoraux), l'appartenance à un parti, la situation familiale, le domicile, avec indication de la période de résidence en Ukraine, [et, le cas échéant,] les antécédents judiciaires ;
Article 47  Refus d'inscrire un candidat aux élections législatives
« La commission électorale refuse d'inscrire une personne sur la liste des candidats aux élections législatives lorsque :
4.  (...) les documents énumérés à l'article 41 (...) de la présente loi sont incomplets ;
6.  la personne proposée comme candidat émigre dans un autre pays dans le but d'y résider en permanence ;
8.  elle constate que les informations sur le candidat, bien que présentées conformément à la loi, étaient foncièrement inexactes ;
I.  Le code de procédure civile (tel que modifié le 7 mars 2002)
36.  Les extraits pertinents du code de procédure civile se lisent comme suit :
Article 243-16  Compétence pour connaître des recours ou pourvois
« La Cour suprême d'Ukraine examine les recours formés contre les décisions, actes ou omissions de la commission électorale centrale. »
Article 243-17  Introduction d'un recours ou pourvoi
« Tout recours formé contre une décision, un acte ou une omission de la commission électorale centrale, à l'exception des cas énoncés aux chapitres 30-Б et 30-В du présent code, doit être porté devant la Cour suprême d'Ukraine dans le délai de sept jours à compter de l'adoption par la commission de la décision en cause ou de l'exécution de l'acte ou de l'omission en cause. Les personnes qui participent au processus électoral peuvent saisir la Cour suprême d'Ukraine lorsqu'elles estiment qu'une décision, un acte ou une omission de la commission électorale centrale porte atteinte à leurs droits ou intérêts juridiques. »
Article 243-20  Décision de la Cour [suprême]
« Après examen du recours, la cour statue : si le grief est fondé, elle déclare l'acte ou l'omission de la commission électorale centrale illicite, annule la décision, accueille la plainte du requérant et répare la violation. Si la cour constate que la décision ou l'acte incriminé de la commission est conforme à la loi, elle rejette le recours. La décision de la cour est définitive et insusceptible d'appel (...) »
J.  La loi du 10 janvier 2002 sur l'adhésion à la Convention relative au statut des réfugiés et au Protocole relatif au statut des réfugiés
37.  Aux termes de la partie pertinente de cette loi :
« La Verkhovna Rada d'Ukraine décide d'adhérer à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ainsi qu'au Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés. »
L'instrument de ratification du protocole fut déposé le 4 avril 2002, avec effet immédiat. L'instrument de ratification de la convention fut déposé le 10 juin 2002 et entra en vigueur le 8 septembre 2002.
K.  La décision de la Cour constitutionnelle d'Ukraine du 14 mars 2002 (no 4-y/2002)
38.  Dans sa décision du 14 mars 2002, la Cour constitutionnelle s'est exprimée en ces termes :
« Selon la loi sur la citoyenneté ukrainienne, une personne est réputée résider continûment sur le territoire de l'Ukraine si son séjour à l'étranger pour des raisons personnelles ne dépasse pas quatre-vingt-dix jours successifs et cent quatre-vingts jours au total dans l'année. La condition de la résidence continue n'est pas méconnue lorsque la personne concernée est en voyage d'affaires, fait des études à l'étranger, ou reçoit un traitement conformément à l'avis donné par un établissement médical, ou déménage à l'intérieur du territoire ukrainien (article 1 de la loi susmentionnée) (...) »
L.  Pratique de la Cour suprême
39.  Les passages suivants de la jurisprudence de la Cour suprême sont pertinents en l'espèce :
1.  Arrêt de la Cour suprême du 25 mars 2002 en l'affaire concernant M. Victor Tchaïka
« On considère que les informations concernant un candidat aux élections législatives sont foncièrement inexactes lorsque l'intéressé a eu l'intention de cacher à la commission électorale centrale et à l'électorat des renseignements qui eussent été véridiques mais de nature à exclure son élection (...) »
2.  Arrêt de la Cour suprême du 13 février 2002 en l'affaire concernant M. Iouri Bouzdougan
« Une simple erreur matérielle figurant dans les documents remis à la commission électorale centrale ne saurait justifier le refus d'inscrire un candidat sur les listes des élections législatives. »
3.  Arrêt de la Cour suprême du 25 mars 2002 en l'affaire concernant M. Olexandre Vasko
« L'information foncièrement inexacte (...) peut concerner (...) la biographie du candidat, sa situation financière (...) ; elle porterait l'électorat à se faire une idée erronée de l'honnêteté du candidat, de ses qualifications, de son indépendance économique ou de ses possibilités financières. Toutefois, dans chaque cas, la conclusion de la commission sur la question de savoir si des informations étaient foncièrement inexactes se fonde sur un examen minutieux de tous les renseignements contenus dans les documents déposés par le candidat et sur les circonstances qui ont conduit à la soumission de ces fausses informations. »
4.  Arrêt de la Cour suprême du 25 mars 2002 en l'affaire concernant M. Stepan Khmara
« (...) les informations inexactes communiquées par un candidat, qui dissimulent des renseignements qui rendraient impossible son élection en tant que député, peuvent concerner l'âge, la citoyenneté, la période de résidence en Ukraine ou des condamnations antérieures pour infractions intentionnelles (...) La cour estime que le fait qu'un candidat n'ait pas mentionné, sur la liste de ses biens, des propriétés privées non résidentielles lui appartenant (...) ne constitue pas en soi une information foncièrement inexacte susceptible d'entraîner l'annulation de son inscription comme candidat à l'élection. »
M.  Les règles applicables en matière de résidence
40.  Les extraits pertinents de la recommandation du 28 décembre 2001 sur la manière dont les candidats à des élections doivent remplir les déclarations de biens se lisent comme suit2 :
« B.  Sur la manière de remplir le formulaire (...)
1.2.  Le présent paragraphe [concernant le lieu de résidence] doit être rempli conformément aux informations qui figurent sur la propiska ou la propiska temporaire (enregistrement) inscrite dans le passeport [du citoyen ordinaire]. »
41.  Un citoyen qui demande l'accès à des services téléphoniques doit indiquer l'adresse de sa résidence permanente (c'est-à-dire celle figurant sur sa propiska – l'adresse du passeport). Des règles semblables existent notamment dans le domaine des allocations chômage, des recensements de population et de la délivrance des passeports.
N.  Théorie et pratique juridiques
42.  L'Institut Koretski de l'Etat et du droit (Académie nationale des sciences), institution qui fait autorité dans le domaine juridique, définit le passeport en ces termes : document officiel qui certifie l'identité de son titulaire, confirme la citoyenneté ukrainienne et atteste le lieu de résidence permanent de l'individu concerné. Une personne est réputée avoir résidé en Ukraine les cinq années précédentes si elle détient un passeport avec une propiska applicable à cette période. Ni la Constitution ni la loi sur les élections n'exigent d'informations sur le lieu de résidence effectif ; elles ne demandent que l'indication du lieu de résidence officiel, sur la base de ce qui figure sur la propiska du passeport. La chambre civile de la Cour suprême a suivi cette interprétation dans l'affaire no 6-110y98 (décision du 10 juin 1998) :
« (...) Les informations concernant le lieu de résidence d'un député du peuple, d'un candidat aux élections législatives ou d'une autre personne concernée par des élections ne sont valables que si elles sont étayées et ont été recueillies conformément à la loi car elles constituent des informations essentielles sur la personne (...)
(...) un passeport est un document qui certifie l'identité de son titulaire, confirme la citoyenneté ukrainienne et atteste le lieu de résidence permanent de l'individu concerné (voir l'article 5 de la loi sur la citoyenneté ukrainienne et les articles 1 et 6 des règles applicables au passeport du citoyen ukrainien, 2 septembre 1993, no 3423-XII) (...)
Une personne est réputée avoir résidé en Ukraine les cinq années précédentes si elle détient un passeport de citoyen ukrainien avec une propiska applicable à cette période. La propiska a valeur d'enregistrement du lieu de résidence permanent. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
43.  Le requérant se plaint d'une violation de l'article 3 du Protocole no 1, aux termes duquel :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
A.  Arguments des parties
44.  Le requérant soutient que son inscription sur la liste des candidats du parti socialiste d'Ukraine aux élections législatives fut arbitrairement refusée. Il avance tout d'abord que les renseignements qu'il avait communiqués sur son lieu de résidence au cours des cinq années précédentes étaient exacts et conformes à sa propiska. Il déclare ensuite que, les Etats-Unis lui ayant accordé le statut de réfugié et l'Ukraine ayant signé la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, rien ne s'opposait à ce qu'il ait une résidence en Ukraine tout en séjournant à l'étranger « conformément aux traités internationaux », comme il est prévu dans la loi sur les élections. Selon lui, le refus de l'inscrire comme candidat à l'élection des députés à la Verkhovna Rada n'avait pas de justification objective ou raisonnable, ne poursuivait pas un but légitime, et l'atteinte portée à ses droits a été disproportionnée.
45.  Le requérant explique que, même si la loi sur les élections est compatible avec l'article 3 du Protocole no 1, les autorités internes en ont fait une interprétation arbitraire dans son cas, la loi ne précisant pas si un candidat devait avoir résidé cinq ans en Ukraine officiellement ou habituellement. Selon lui, la propiska telle que tamponnée sur le passeport intérieur du citoyen ukrainien suffisait à établir la résidence sur le territoire national. La propiska indiquant son lieu de résidence officiel et permanent en Ukraine, le requérant a porté cette information sur son acte de candidature. L'intéressé cite d'autres procédures administratives dans lesquelles les informations de la propiska étaient exigées, celle-ci étant considérée comme indiquant le « lieu de résidence » (paragraphes 40 à 42 ci-dessus). La propiska faisait selon lui partie intégrante du système administratif ukrainien, dont elle représentait un élément fondamental, et c'est avant tout le lieu de résidence y figurant qui était utilisé pour les démarches officielles. La loi sur les élections ne parle que de « résidence » en Ukraine, alors que la commission électorale centrale, pour rejeter la candidature de l'intéressé, a employé différentes expressions, comme « réside en permanence en Ukraine » ou « son lieu de résidence habituel », expressions qui n'apparaissent pas dans le texte de la loi en question. Le refus de la candidature de l'intéressé sur cette base serait par conséquent contraire aux principes de l'égalité devant la loi, de la sécurité juridique et de la généralité de la loi.
46.  Le requérant soutient en outre qu'il a remis des informations exactes sur son lieu de résidence et avait été contraint de quitter l'Ukraine en raison des persécutions que les autorités lui faisaient subir pour des motifs politiques. Selon lui, la commission électorale centrale et la Cour suprême ont restreint son droit de se porter candidat aux élections en violation de l'article 24 de la Constitution ukrainienne qui interdit toute forme de discrimination fondée sur le lieu de résidence.
47.  Le Gouvernement avance pour sa part que le requérant n'a pas, dans un premier temps, fourni à la commission électorale centrale l'adresse de son véritable lieu de résidence et n'a pas cherché à démontrer qu'il vivait à l'étranger conformément aux traités internationaux signés par l'Ukraine parce qu'il ne voulait pas que son adresse aux Etats-Unis fût divulguée aux forces de l'ordre ukrainiennes. L'intéressé n'avait pas vécu en Ukraine au cours des cinq années précédentes, comme l'exigeait l'article 8 de la loi sur les élections. En effet, avant de présenter sa candidature aux élections, il vivait depuis plus d'un an aux Etats-Unis, où il bénéficiait du statut de réfugié. De surcroît, ses conditions de résidence à l'étranger n'auraient pas été conformes aux traités internationaux signés par l'Ukraine, comme le voulait l'article 8 § 2 de cette même loi. Le Gouvernement observe que la Convention de Genève de 1951 n'est entrée en vigueur à l'égard de l'Ukraine que le 8 septembre 2002 et que les décisions internes concernant le requérant avaient été rendues bien avant cette date.
48.  Le Gouvernement cite l'article 17 du code civil qui définit le lieu de résidence d'une personne comme l'endroit où celle-ci réside temporairement ou en permanence (paragraphe 33 ci-dessus). Il note que la Cour constitutionnelle a confirmé le sens à donner à une « absence temporaire » du territoire national dans l'arrêt qu'elle a rendu le 14 mars 2002 en l'affaire no 4-y/2002 (paragraphe 38 ci-dessus). Le lieu de résidence aurait un sens totalement différent du lieu d'enregistrement indiqué à l'époque dans la propiska. Le Gouvernement soutient que les autorités doivent bénéficier d'une ample marge d'appréciation dans l'interprétation de la législation pertinente et de la conformité de celle-ci avec l'article 3 du Protocole no 1.
49.  Le Gouvernement nie par conséquent que la loi sur les élections soit ambiguë en ce qui concerne la condition de résidence de cinq ans. En outre, l'article 8 § 2 accorde aux autorités étatiques une grande latitude pour décider selon quels critères déterminer si un individu réside dans un lieu donné conformément aux traités internationaux auxquels l'Ukraine est partie.
50.  Le Gouvernement soutient que le requérant ne pouvait être considéré comme un réfugié car il n'était pas l'objet et n'était pas menacé de persécutions en Ukraine. Il reconnaît toutefois que si le requérant pénétrait sur le territoire ukrainien, les forces de l'ordre l'arrêteraient. Il fait notamment état de l'enquête pénale en cours concernant la divulgation des enregistrements audio que le requérant aurait effectués dans le bureau du président ukrainien. Le Gouvernement observe que des candidatures mensongères aux élections législatives peuvent avoir pour finalité l'obtention de l'immunité de poursuites pénales. Ce genre de démarche serait incompatible avec le statut et la fonction de député.
51.  Le Gouvernement est d'avis que les motifs qui ont amené les autorités à refuser d'inscrire le requérant comme candidat aux élections législatives étaient liés au fait que celui-ci avait présenté des informations inexactes et non pas au lieu de résidence en tant que tel. De tels mensonges seraient de nature à induire l'électorat en erreur quant à l'intégrité et aux qualifications du candidat. La vérification de ce genre d'informations serait donc nécessaire dans une société démocratique.
52.  Le Gouvernement estime que dans toute cette affaire le requérant a eu une conduite qui ne se conciliait pas avec son aspiration au statut de député.
B.  La jurisprudence de la Cour
53.  La Cour souligne que l'article 3 du Protocole no 1 consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, arrêt du 2 mars 1987, série A no 113, p. 22, § 47). Quant aux liens entre la démocratie et la Convention, la Cour a formulé les observations suivantes dans son arrêt du 30 janvier 1998 en l'affaire Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie (Recueil des arrêts et décisions 1998-I, pp. 21-22, § 45, cité dans Yazar et autres c. Turquie, nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93, § 47, CEDH 2002-II) :
« La démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de « l'ordre public européen » (...). Ceci ressort d'abord du préambule à la Convention, qui établit un lien très clair entre la Convention et la démocratie en déclarant que la sauvegarde et le développement des droits de l'homme et des libertés fondamentales reposent sur un régime politique véritablement démocratique d'une part, et sur une conception commune et un commun respect des droits de l'homme d'autre part (...). Le même préambule énonce ensuite que les Etats européens ont en commun un patrimoine d'idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit. La Cour a vu dans ce patrimoine commun les valeurs sous-jacentes à la Convention (...) ; à plusieurs reprises, elle a rappelé que celle-ci était destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d'une société démocratique (...) »
54.  La Cour rappelle que l'article 3 du Protocole no 1 implique des droits subjectifs : le droit de vote et le droit de se porter candidat à des élections. Pour importants qu'ils soient, ces droits ne sont cependant pas absolus. Comme l'article 3 les reconnaît sans les énoncer en termes exprès ni moins encore les définir, il y a place pour des « limitations implicites » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, p. 23, § 52). Dans leurs ordres juridiques internes respectifs, les Etats contractants entourent les droits de vote et d'éligibilité de conditions auxquelles l'article 3 ne met en principe pas obstacle. Ils jouissent en la matière d'une large marge d'appréciation, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l'observation des exigences du Protocole no 1 ; il lui faut s'assurer que lesdites conditions ne réduisent pas les droits dont il s'agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu'elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés.
55.  Pour ce qui est des critères d'éligibilité, qui font partie des règles constitutionnelles relatives au statut de parlementaire, quoique procédant d'un souci commun – assurer l'indépendance des élus mais aussi la liberté des électeurs –, ils varient en fonction des facteurs historiques et politiques propres à chaque Etat ; la multitude de situations prévues dans les constitutions et les législations électorales de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe démontre la diversité des choix possibles en la matière. Aux fins de l'application de l'article 3, toute loi électorale doit toujours s'apprécier à la lumière de l'évolution politique du pays, de sorte que des détails inacceptables dans le cadre d'un système déterminé peuvent se justifier dans celui d'un autre. Cette marge de manœuvre reconnue à l'Etat est toutefois limitée par l'obligation de respecter le principe fondamental de l'article 3, à savoir « la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, pp. 23-24, § 54, et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II).
56.  Quant au rapport entre la condition de résidence et le droit d'éligibilité, la Cour ne s'est jamais prononcée sur ce point. Toutefois, en ce qui concerne le droit de vote proprement dit, elle a affirmé qu'une telle condition n'était pas en soi déraisonnable ou arbitraire (Hilbe c. Liechtenstein (déc.), no 31981/96, CEDH 1999-VI). Elle considère que l'obligation de résider sur le territoire national pour pouvoir voter se justifie pour les raisons suivantes : 1. le fait qu'un citoyen non résident est concerné moins directement ou moins continuellement par les problèmes quotidiens de son pays et qu'il les connaît moins bien ; 2. le fait qu'il peut être difficile (voire impossible) ou inopportun pour les candidats au Parlement d'exposer les différents choix électoraux aux citoyens résidant à l'étranger d'une manière qui respecte la liberté d'expression ; 3. l'influence des citoyens résidant sur le territoire national sur la sélection des candidats et sur la formulation de leurs programmes électoraux, et 4. la corrélation existant entre le droit de vote lors d'élections législatives et le fait d'être directement visé par les actes des organes politiques ainsi élus (Polacco et Garofalo c. Italie, no 23450/94, décision de la Commission du 15 septembre 1997, Décisions et rapports 90-B, avec renvoi à la jurisprudence antérieure de la Commission).
57.  Cela dit, la Cour reconnaît que des conditions plus strictes peuvent être fixées pour l'éligibilité au Parlement que pour le droit de voter (voir les lignes directrices de la Commission de Venise en matière électorale, paragraphe 29 ci-dessus). Elle ne saurait donc exclure d'office une condition de résidence de cinq années consécutives applicable aux candidats potentiels à des élections législatives. Les Etats pourraient faire valoir qu'il est opportun d'imposer cette condition afin que les candidats acquièrent des connaissances suffisantes pour mener à bien les missions confiées aux parlementaires.
58.  En outre, il est essentiel que les candidats à la fonction de député apparaissent comme des personnes intègres et sincères. Leur imposer de se présenter ouvertement et avec franchise au public permet à l'électorat d'apprécier leurs qualifications personnelles et leur aptitude à représenter au mieux ses intérêts au Parlement. De telles conditions répondent manifestement aux intérêts d'une société démocratique et les Etats jouissent d'une certaine marge d'appréciation dans leur application.
59.  A cet égard, la Cour réaffirme que l'objet et le but de la Convention appellent à interpréter et à appliquer ses dispositions d'une manière qui en rende les exigences non pas théoriques ou illusoires, mais concrètes et effectives (voir par exemple les arrêts Artico c. Italie, 13 mai 1980, série A no 37, pp. 15-16, § 33, Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, pp. 18-19, § 33, et Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 100, CEDH 1999-III). Or le droit de se porter candidat aux élections, garanti par l'article 3 du Protocole no 1 et inhérent à la notion de régime véritablement démocratique, ne serait qu'illusoire si l'intéressé pouvait à tout moment en être arbitrairement privé. Par conséquent, s'il est vrai que les Etats disposent d'une grande marge d'appréciation pour établir des conditions d'éligibilité in abstracto, le principe d'effectivité des droits exige que la procédure qui permet de déterminer l'éligibilité s'accompagne de suffisamment de garanties pour éviter l'arbitraire.
C.  Application de la jurisprudence de la Cour à l'espèce
60.  La Cour rappelle qu'elle jouit d'une compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A no 171-A, p. 16, § 47) et qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions d'un Etat. C'est au premier chef aux autorités nationales qu'il incombe d'interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I). Néanmoins, le rôle de la Cour est de rechercher si les décisions des juridictions nationales en l'espèce étaient compatibles avec le droit du requérant de se présenter à des élections (voir, mutatis mutandis, Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 95, CEDH 2002-VII).
61.  Compte tenu du droit et de la pratique internes pertinents, la Cour est d'avis que l'obligation de résider en Ukraine n'était pas absolue et que les autorités ukrainiennes, en acceptant ou en refusant l'inscription d'un candidat donné, devaient prendre sa situation particulière en considération. Elle estime que ni la législation ni la pratique ne prévoyaient expressément que, pour être éligible, un candidat devait résider « habituellement » ou « continûment » sur le territoire ukrainien. En outre, la loi n'établissait pas de distinction entre la résidence « officielle » et la résidence « habituelle ». Certes, le requérant « résida habituellement » en partie hors de l'Ukraine au cours de la période en question puisqu'il avait été contraint de quitter le pays le 26 novembre 2000 par peur de persécutions et s'était installé aux Etats-Unis en tant que réfugié (paragraphe 10 ci-dessus). La propiska figurant sur son passeport intérieur ne fut toutefois pas modifiée.
62.  La Cour observe qu'à l'époque des faits la seule preuve de l'enregistrement officiel du lieu de résidence se trouvait dans le passeport intérieur du citoyen ordinaire, et le lieu ainsi indiqué ne correspondait pas toujours au lieu de résidence habituel de l'intéressé (paragraphes 56-58 ci-dessus). Elle note en outre que la propiska faisait partie intégrante du système administratif ukrainien, en était un élément fondamental et était largement utilisée pour les démarches officielles (enregistrement du lieu de résidence d'un citoyen, conscription, vote, questions immobilières, etc.).
63.  La Cour juge particulièrement significatif le fait que les candidats aux élections législatives devaient fournir des informations sur leurs biens et leurs revenus ainsi que sur ceux de leur famille. Il était demandé aux candidats, dans le formulaire de déclaration standard, d'inscrire « leur propiska ou propiska temporaire (enregistrement) telle qu'elle figurait dans le passeport du citoyen ordinaire » (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour conclut dès lors que le requérant n'était tenu d'indiquer, dans la déclaration de ressources destinée à la commission électorale centrale pour l'inscription sur la liste des candidats, que les informations figurant sur sa propiska.
64.  Le requérant s'appuie sur la Convention de Genève de 1951, mais cet argument juridique n'est pas d'un grand poids puisque l'instrument en question n'était pas en vigueur à l'égard de l'Ukraine à l'époque des faits. La Cour relève toutefois que l'Ukraine aurait dû, en tant qu'Etat signataire et en vertu de l'obligation qui découle de l'article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, s'abstenir d'actes susceptibles de priver la Convention de Genève de son objet et de son but en attendant son entrée en vigueur.
65.  Qui plus est, la Cour juge que le requérant peut arguer de sa crainte de persécutions : il s'agit là d'un argument objectif et concret que justifient l'emploi que l'intéressé occupait, les circonstances suspectes de la disparition et de l'assassinat du journaliste Guéorgui Gongadzé, et le scandale prévisible des enregistrements audio. La Cour note d'ailleurs que les Etats-Unis reconnurent rapidement le statut de réfugié à M. Melnitchenko. La fuite précipitée d'Ukraine de ce dernier était donc compréhensible et son intention de quitter le pays définitivement n'était pas avérée. Selon la Cour, le requérant se trouvait dans une situation délicate : d'un côté, s'il était resté en Ukraine, sa sécurité et son intégrité physique auraient pu être gravement menacées, ce qui aurait rendu impossible l'exercice de tout droit politique ; de l'autre côté, en quittant le pays il se privait également de la possibilité d'exercer ces droits.
66.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la décision de la commission électorale centrale de refuser la candidature du requérant à la Verkhovna Rada au motif qu'elle n'était pas conforme à la vérité alors que l'intéressé pouvait encore se prévaloir d'un lieu de résidence officiel et valide enregistré en Ukraine (attesté par la propiska) a méconnu l'article 3 du Protocole no 1.
67.  Dès lors, il y a eu violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
68.  Le requérant se plaint en outre que le fait d'avoir été privé de la possibilité de se présenter aux élections législatives au seul motif qu'il n'aurait pas communiqué des informations exactes sur son lieu de résidence au cours des cinq années précédentes a constitué une discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention dans l'exercice de son droit découlant de l'article 3 du Protocole no 1. Il compare sa situation à celle d'un autre candidat qui n'avait pas résidé en Ukraine pendant cinq années continues mais avait pu se présenter aux élections. Aux termes de l'article 14 de la Convention :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
69.  Le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas été victime de discrimination et qu'il n'y a donc pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
70.  Le requérant combat cette thèse en tirant notamment argument du cas de M. Y.M. Zviahilski, élu membre de la Verkhovna Rada en dépit du fait qu'il avait résidé à l'étranger (paragraphe 22 ci-dessus).
71.  La Cour considère que ce grief est essentiellement identique à celui tiré de l'article 3 du Protocole no 1. Au vu des conclusions qu'elle a formulées à cet égard (paragraphes 60-67 ci-dessus), elle juge qu'il ne s'impose pas d'examiner séparément le grief présenté sous l'angle de l'article 14 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
72.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage matériel
73.  Le requérant fonde sa demande au titre du dommage matériel sur les indemnités qu'il aurait perçues s'il avait été élu député à la Verkhovna Rada. Il explique qu'il aurait été élu sur la liste du parti socialiste car celui-ci avait obtenu suffisamment de suffrages pour cela. Il réclame 52 224,83 hrivnas (7 838,93 euros (EUR)) de réparation, ce qui représente à peu près l'indemnité d'un député du peuple, dont il aurait bénéficié s'il avait été élu.
74.  Le Gouvernement, lui, trouve que les montants sollicités au titre du préjudice matériel ne présentent aucun lien de causalité avec la violation alléguée. Il avance que la situation est semblable à celle en cause dans l'affaire Podkolzina précitée (§ 48).
75.  La Cour estime, comme le Gouvernement, qu'aucun lien de causalité entre le préjudice matériel invoqué et la violation constatée n'a été établi (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 40, CEDH 1999-I, et Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 73, CEDH 1999-II). Elle rejette donc les prétentions du requérant à ce titre.
B.  Dommage moral
76.  Le requérant soutient que le refus de l'inscrire comme candidat aux élections l'a contraint à demeurer en exil aux Etats-Unis, où il est réfugié politique. Il ajoute que la violation de ses droits l'a gravement perturbé, l'a angoissé et a nui à sa réputation, d'autant que les autorités de l'Etat continuent à le discréditer en Ukraine et à l'étranger par la voie des médias. Il réclame 100 000 EUR de réparation.
77.  Le Gouvernement considère que le montant demandé par le requérant est exorbitant eu égard aux niveaux de vie et de revenu qui prévalent actuellement en Ukraine. Selon lui, les revendications sont dépourvues de fondement. Le constat d'une violation fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral que le requérant pourrait avoir subi. Le Gouvernement fait de plus valoir que les requêtes portées devant la Cour européenne des Droits de l'Homme ne sauraient être l'occasion d'un enrichissement sans cause.
78.  La Cour rappelle que l'appréciation du préjudice moral s'effectue en vertu de critères autonomes dégagés par la Cour à partir de la Convention, et non en vertu des principes définis dans le droit ou la pratique de l'Etat concerné (voir, mutatis mutandis, les arrêts Sunday Times c. Royaume-Uni (article 50), 6 novembre 1980, série A no 38, p. 17, § 41, et Probstmeier c. Allemagne, 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV, p. 1140, § 77). En l'espèce, elle reconnaît que le requérant, empêché de présenter sa candidature aux élections législatives, a subi un préjudice moral. En conséquence, statuant en équité et eu égard à toutes les circonstances de l'affaire, elle lui alloue 5 000 EUR au titre du dommage moral.
C.  Frais et dépens
79.  Le requérant ne demande pas le remboursement de frais et dépens, les services d'un avocat lui ayant été fournis à titre gracieux. La Cour ne lui alloue donc aucune somme à ce titre.
D.  Intérêts moratoires
80.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par six voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 ;
2.  Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 14 de la Convention ;
3.  Dit, par six voix contre une,
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, à convertir en dollars américains au taux applicable à la date d'adoption du présent arrêt, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2004, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early  Jean-Paul Costa  Greffier adjoint  Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente de M. Loucaides.
J.-P.C.  T.L.E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE LOUCAIDES
(Traduction)
Le requérant se plaint d'avoir été arbitrairement privé de la possibilité de se voir inscrire sur la liste des candidats du parti socialiste d'Ukraine aux élections à la Verkhovna Rada, le Parlement ukrainien. Les autorités nationales refusèrent de l'inscrire comme candidat à l'élection en question au motif qu'il avait remis de fausses informations sur son lieu de séjour ou de résidence habituel au cours des cinq années précédentes. Le requérant soutient que les informations qu'il présenta aux autorités compétentes correspondaient à son lieu de résidence officiel enregistré en Ukraine (la « propiska », comme on l'appelait à l'époque). La propiska faisait partie intégrante du système administratif ukrainien, dont elle constituait un élément fondamental, et était largement utilisée pour les démarches officielles. Le requérant explique qu'à partir du moment où il ressortait de sa propiska que son lieu de résidence officiel enregistré pour les cinq années précédant la date de remise de sa demande de candidature (le 12 janvier 2002) se trouvait en Ukraine, on ne pouvait pas considérer qu'il avait fourni des informations erronées. Par conséquent, selon lui, sa candidature ne pouvait être écartée au motif qu'il ne répondait pas à la condition de résidence applicable, même si, sans conteste, il n'avait pas effectivement résidé en Ukraine au cours de la période en question.
Selon l'article 76 de la Constitution ukrainienne :
« (...)Un citoyen ukrainien âgé de vingt et un ans au moins à la date des élections a le droit de voter, et, s'il réside sur le territoire national depuis cinq ans, peut devenir député à la Verkhovna Rada (...) » (c'est moi qui souligne)
En outre, l'article 8 de la loi sur les élections dispose :
« 1.  Un citoyen ukrainien âgé de vingt et un ans à la date des élections a le droit de voter, et, s'il réside sur le territoire national depuis cinq ans, d'être élu député. » (c'est moi qui souligne)
Il est de notoriété publique que le requérant avait quitté l'Ukraine le 26 novembre 2000 et s'était installé aux Etats-Unis en qualité de réfugié à la suite d'une décision rendue par les autorités américaines le 27 avril 2001. Il n'est pas rentré en Ukraine. Par conséquent, il ne résidait pas réellement en Ukraine « depuis cinq ans » au moment de sa candidature. Comme on l'a dit, le requérant conteste cela en arguant qu'à partir du moment où il ressortait de sa propiska que son lieu de résidence officiel enregistré se trouvait en Ukraine, on devait considérer qu'il répondait à la condition de résidence. 
Dans le système administratif ukrainien, la propiska constituait un mode de désignation officiel du lieu de résidence d'une personne et était utilisée, manifestement à des fins pratiques, comme preuve formelle du lieu de résidence. On ne peut imaginer qu'elle pouvait servir à confirmer de manière incontestable le lieu de résidence d'une personne en Ukraine lorsqu'il était connu que cette personne vivait hors du territoire national. Autrement dit, je suis d'avis qu'il n'était pas déraisonnable de la part des autorités de se fonder en l'espèce sur le véritable lieu de résidence du requérant plutôt que de fermer les yeux et de ne s'appuyer que sur la propiska.
Dès lors, j'estime que ne saurait être considéré comme arbitraire ou même erroné le fait que les autorités nationales, lorsqu'elles ont déterminé si le requérant remplissait les qualifications exigées des candidats aux élections législatives, aient choisi de se fonder sur le lieu de résidence véritable et incontesté de l'intéressé et non sur le lieu de sa résidence officiellement enregistré, et aient conclu que la mention du lieu officiel et non véritable de sa résidence constituait une déclaration inexacte justifiant le rejet de sa candidature.
Cet élément est au cœur du grief exprimé par le requérant et constitue le point que la Cour avait à examiner au regard de l'article 3 du Protocole no 1. Dans la mesure où le requérant ne les a ni invoqués ni établis à l'appui du grief qu'il tire de la disposition susmentionnée, les aspects et le contexte politiques de l'affaire ne concernaient pas la Cour.
Pour les raisons qui précèdent, j'estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 en l'espèce.
1.  En vigueur à l’époque des faits.
2.  Intitulé complet : la déclaration des biens et des revenus d’un candidat à l’élection à la Verkhovna Rada et de sa famille pour l’année 2001, et la recommandation sur la manière de remplir la déclaration, telle qu’approuvée par le ministère des Finances ukrainien par l’arrêté no 611 du 28 décembre 2001 enregistré auprès du ministère de la Justice le 2 janvier 2002 (no 1/6289).
ARRÊT MELNITCHENKO c. UKRAINE
ARRÊT MELNITCHENKO c. UKRAINE 
ARRÊT MELNITCHENKO c. UKRAINE 
ARRÊT MELNITCHENKO c. UKRAINE 
ARRÊT MELNITCHENKO c. UKRAINE 
ARRÊT MELNITCHENKO c. UKRAINE – OPINION DISSIDENTE 
DE M. LE JUGE LOUCAIDES
ARRÊT MELNITCHENKO c. UKRAINE – OPINION DISSIDENTE 
DE M. LE JUGE LOUCAIDES


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 17707/02
Date de la décision : 19/10/2004
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-3 ; Non-lieu à examiner l'art. 14 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(P1-3) SE PORTER CANDIDAT AUX ELECTIONS


Parties
Demandeurs : MELNITCHENKO
Défendeurs : UKRAINE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-10-19;17707.02 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award