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03/03/2005 | CEDH | N°60861/00

CEDH | MANOILESCU ET DOBRESCU c. ROUMANIE ET RUSSIE


EN FAIT
1.  Les requérants, M. Ion Aurel Manoilescu et Mme Alexandra Maria Dobrescu, sont des ressortissants roumains nés respectivement en 1941 et 1921. Le premier réside à Dithmarschen (Allemagne) et la seconde à Paris (France). Ils sont représentés devant la Cour par Me M. Ghiga, avocat à Bucarest.
A.  Les circonstances de l'espèce
2.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  La genèse de l'affaire
3.  En 1929, A.D., dont les requérants héritèrent, acheta un terrai

n de 6 650 m2 à Snagov, près de Bucarest, sur lequel il fit construire une maison (ci-a...

EN FAIT
1.  Les requérants, M. Ion Aurel Manoilescu et Mme Alexandra Maria Dobrescu, sont des ressortissants roumains nés respectivement en 1941 et 1921. Le premier réside à Dithmarschen (Allemagne) et la seconde à Paris (France). Ils sont représentés devant la Cour par Me M. Ghiga, avocat à Bucarest.
A.  Les circonstances de l'espèce
2.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  La genèse de l'affaire
3.  En 1929, A.D., dont les requérants héritèrent, acheta un terrain de 6 650 m2 à Snagov, près de Bucarest, sur lequel il fit construire une maison (ci-après « l'immeuble de Snagov »).
a)  La procédure pénale dirigée contre A.D.
4.  Par un jugement du tribunal militaire de première instance de Bucarest du 26 juillet 1950, A.D. fut condamné à vingt ans de prison ferme pour actions subversives contre l'Etat. En 1963, il décéda en prison.
5.  Par une décision du 17 novembre 1995, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation formé par le procureur général contre ce jugement et le cassa, acquittant A.D. de tous les chefs d'inculpation au motif que les éléments constitutifs de l'infraction pour laquelle il avait été condamné n'étaient pas réunis.
b)  L'entrée de l'immeuble de Snagov dans le patrimoine de l'Etat roumain
6.  Par ordre no 4913 du 9 avril 1945, donc durant la Seconde Guerre mondiale, l'immeuble de Snagov fut réquisitionné par l'Etat roumain et mis à la disposition de la mission de contrôle des alliés de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).
7.  A l'issue de la Conférence de Potsdam, le 2 août 1945, l'Allemagne fut reconnue responsable des dommages de guerre causés aux alliés et soumise à l'obligation de les réparer au moyen de prélèvements sur des avoirs allemands à l'étranger, dans des pays comme la Roumanie.
8.  La loi no 182 du 23 mars 1946 sur la remise aux autorités de l'URSS des actifs allemands sis sur le territoire roumain conformément aux décisions prises lors de la Conférence de Potsdam habilitait le Conseil des ministres de Roumanie à établir la procédure de remise des biens aux autorités de l'URSS indiquées par la Commission alliée de contrôle en Roumanie.
9.  Le 30 mars et le 10 août 1946, le Conseil des ministres de Roumanie décida que les actifs ayant appartenu à des personnes physiques et morales allemandes et recensés dans les listes de l'Office d'administration des biens des ennemis de guerre devaient être remis aux autorités désignées par la Commission alliée de contrôle en vertu de la loi no 182. Parmi les immeubles ainsi remis aux autorités soviétiques figurait un immeuble sis au numéro 63 de la rue Docteur-Lister, à Bucarest, propriété d'une personne physique, Mme L.B.
10.  C'est dans ce contexte que, sur ordre du ministère roumain de l'Intérieur, l'immeuble de A.D. fut à nouveau réquisitionné le 24 mai 1947. Le 27 mai 1947, son utilisation fut attribuée à la Direction soviétique du commerce extérieur.
11.  En 1950, l'immeuble en question fut nationalisé par l'Etat roumain en vertu du décret de nationalisation no 92/1950. Il fut affecté à l'ambassade de l'URSS en Roumanie, comme il ressort des listes annexées au décret.
c)  Le transfert à l'URSS de l'immeuble de Snagov
12.  Par le décret no 25 du 26 janvier 1959, le présidium de l'Assemblée nationale de la République populaire de Roumanie autorisa le ministère des Affaires étrangères à effectuer, pour le compte de l'Etat roumain, un échange d'immeubles avec l'URSS. Le décret disposait que le ministère était habilité à transmettre à l'URSS un droit de propriété sur plusieurs villas sises à Snagov (connues sous le nom d'« Adesgo »), appartenant à l'Etat roumain, et à recevoir en échange un droit de propriété sur deux immeubles sis à Timişoara et à Iaşi, que possédait l'URSS. L'échange d'immeubles fut approuvé le 2 mars 1962 par la décision no 175 du Conseil des ministres de la République populaire de Roumanie.
13.  Par le décret no 163 du 12 mars 1962, le Conseil d'Etat de la République populaire de Roumanie autorisa un autre échange d'immeubles entre l'Etat roumain et l'Etat soviétique : le premier était autorisé à recevoir le droit de propriété sur un immeuble sis à Bucarest, au numéro 63 de la rue Docteur-Lister (paragraphe 9 ci-dessus), dont le propriétaire était l'Etat soviétique ; ce dernier obtenait en échange le droit de propriété sur deux villas sises à Snagov (appelées « villa rouge » et « villa aux roseaux ») et sur le terrain attenant de 10 560 m2, qui appartenaient à l'Etat roumain.
Selon les requérants, la « villa rouge » n'est autre que l'immeuble de Snagov ayant appartenu à A.D. avant d'être réquisitionné puis de devenir propriété de l'Etat roumain en vertu du décret de nationalisation no 92/1950 (paragraphes 10 et 11 ci-dessus).
14.  Par une note verbale non datée, adressée au ministère roumain des Affaires étrangères en réponse à une demande de la mairie de Snagov, l'ambassade de la Fédération de Russie à Bucarest fit valoir qu'en vertu du décret no 201/1993 du président Boris Eltsine la Fédération de Russie avait pris tous les droits mobiliers et immobiliers dont l'URSS avait été titulaire à l'étranger. Elle relevait ensuite que la Fédération de Russie détenait désormais sur le territoire roumain un droit de propriété sur un complexe de villas sises à Snagov et sur le terrain attenant. Elle indiquait que le droit de propriété en question était confirmé par les décisions du Conseil des ministres de Roumanie du 30 mars et du 10 août 1946, par le décret no 25 pris le 26 janvier 1959 par le présidium de l'Assemblée nationale de la République populaire de Roumanie, ainsi que par le décret no 163 pris le 12 mars 1962 par le Conseil d'Etat de la République populaire de Roumanie (paragraphes 9, 12 et 13 ci-dessus).
15.  Par une lettre du 6 avril 1994, le maire de Snagov répondit à une demande du requérant en l'informant que l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie utilisait l'immeuble de Snagov ayant appartenu à A.D. ; une annexe au décret de nationalisation indiquait en effet que l'ambassade était la détentrice de l'immeuble litigieux en vertu d'un échange d'immeubles intervenu entre la République populaire de Roumanie et l'URSS.
2.  La procédure de restitution de l'immeuble de Snagov fondée sur la loi no 112/1995
16.  En 1996, après l'adoption de la loi no 112/1995 réglementant la situation juridique des immeubles destinés à l'habitation et devenus propriété de l'Etat roumain, le requérant introduisit en tant qu'héritier de A.D. une demande de restitution de l'immeuble de Snagov auprès de la commission administrative pour l'application de la loi no 112/1995 (ci-après « la commission administrative ») de Snagov.
17.  Par une décision du 18 juin 1997, la commission administrative fit droit à sa demande en ordonnant qu'on lui restitue en nature la totalité de l'immeuble litigieux, à savoir une villa et le terrain de 6 650 m2 sur lequel elle était sise.
18.  L'entreprise d'Etat A. forma un recours contre cette décision devant le tribunal de première instance de Buftea. Elle faisait valoir que l'immeuble n'était pas destiné à l'habitation et n'était pas vacant à la date d'entrée en vigueur de la loi no 112/1995, conditions pourtant requises par ce texte pour que les autorités administratives habilitées à l'appliquer puissent ordonner la restitution en nature aux intéressés. Les requérants formèrent une demande d'intervention, en sollicitant le rejet du recours de l'entreprise d'Etat A. au motif que l'immeuble en cause n'était pas géré par celle-ci.
19.  Par un jugement du 12 janvier 1998, le tribunal de première instance de Buftea fit droit à la demande des requérants et rejeta le recours parce que la société A. n'avait pas qualité pour agir, l'immeuble n'étant pas géré par elle. En l'absence d'appel, ce jugement devint définitif.
3.  Tentatives des requérants pour contraindre les autorités administratives à exécuter la décision du 18 juin 1997
a)  Action contre la mairie de Snagov et le conseil départemental d'Ilfov en vertu de l'article 1075 du code civil
20.  A une date non précisée, le requérant assigna en justice le conseil départemental d'Ilfov et la mairie de Snagov pour les contraindre, en vertu des articles 1075 et suivants du code civil, à exécuter la décision administrative du 18 juin 1997 par la restitution du bien litigieux.
S'appuyant sur divers documents au moyen desquels il entendait prouver que A.D. était l'ancien propriétaire de l'immeuble litigieux et que lui-même possédait la qualité d'héritier de A.D., il demanda que cette restitution soit effective et qu'elle puisse être opposée au successeur en droit de l'URSS nonobstant les principes internationaux en matière d'immunité garantis par la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques.
Il allégua que l'exécution de la décision administrative définitive du 18 juin 1997, qui lui avait donné gain de cause, était impossible à obtenir par la voie habituelle des huissiers de justice compte tenu de l'immunité dont l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie jouissait quant aux locaux détenus par elle. Rappelant les circonstances dans lesquelles le bien était sorti du patrimoine de A.D., il estimait que la loi nationale no 112/1995, dont l'application impliquait la restitution de son bien, ne pouvait être privée d'effets par la reconnaissance de droits diplomatiques en faveur d'Etats qui de surcroît n'existaient plus.
21.  La requérante demanda à intervenir dans cette procédure en faisant valoir qu'en tant qu'héritière de A.D. elle avait les mêmes droits que le requérant.
22.  Par un jugement du 16 mars 1998, le tribunal de première instance de Buftea accueillit les demandes des requérants et ordonna aux autorités défenderesses de leur restituer l'immeuble litigieux. Il releva que la décision de restitution du 18 juin 1997, devenue définitive, avait été prise après vérification préalable de la situation juridique du bien en cause et que les défendeurs ne pouvaient plus désormais prétendre qu'il était administré par l'URSS.
i.  Premier cycle procédural en appel et recours
23.  La mairie de Snagov fit appel de ce jugement. Elle allégua que l'immeuble litigieux ne lui appartenait pas et n'était pas administré par elle, mais qu'il était utilisé par l'ambassade de la Fédération de Russie, laquelle l'avait informée qu'elle en était propriétaire par une note diplomatique que la mairie versa au dossier (paragraphe 14 ci-dessus). Soulignant qu'elle ne contestait pas le droit de propriété des requérants sur l'immeuble, la mairie invoqua le défaut de qualité pour agir dans le sens souhaité par les intéressés, le bien étant détenu par l'ambassade en question.
La mairie arguait enfin de l'impossibilité d'exécuter la décision définitive du 18 juin 1997, faisant valoir que les huissiers de justice en étaient également empêchés pour des raisons similaires aux siennes.
24.  Par un arrêt du 20 novembre 1998, le tribunal départemental de Bucarest accueillit l'appel de la mairie, cassa le jugement du tribunal de première instance et rejeta la demande des requérants pour défaut de fondement. Il relevait que l'immeuble n'était pas géré par les autorités administratives en cause, mais était utilisé par l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie, qui par une note avait fait savoir qu'elle était propriétaire de l'immeuble (paragraphe 14 ci-dessus). Il estimait qu'exécuter la décision administrative du 18 juin 1997 revenait à outrepasser l'immunité attachée à la mission diplomatique de la Fédération de Russie en Roumanie, ce qui impliquait une atteinte directe aux intérêts fondamentaux de la Fédération. Il soulignait enfin que l'immunité d'exécution était un principe reconnu par le droit, la doctrine et la pratique internationaux.
25.  Les requérants formèrent un recours contre cet arrêt en faisant valoir que les juridictions inférieures avaient interprété de manière erronée les preuves versées au dossier et la nature des rapports juridiques présentés devant les tribunaux roumains. Ils invoquaient en particulier l'illégalité de la réquisition de l'immeuble et de l'entrée de ce bien dans le patrimoine de l'Etat, au motif que le décret d'échange immobilier no 163/1962 n'avait pas été signé et était dès lors frappé de nullité absolue. Ils versèrent au dossier plusieurs plans de situation du bien litigieux ainsi que les documents relatifs à l'échange des biens entre l'Etat soviétique et l'Etat roumain (paragraphes 8, 9, 12 et 13).
26.  Par un arrêt du 26 mai 1999, la cour d'appel de Bucarest fit droit à leur recours, cassa l'arrêt du 20 novembre 1998 et renvoya l'affaire devant le tribunal départemental pour un nouveau jugement. La cour d'appel demanda au tribunal de vérifier, au moyen d'un supplément d'enquête, les modalités suivant lesquelles l'immeuble était devenu propriété de l'Etat roumain et avait été transféré à l'Etat soviétique, et d'éclaircir la situation juridique de l'immeuble sis au numéro 63 de la rue Docteur-Lister, à Bucarest, que l'URSS avait échangé contre l'immeuble litigieux. Le tribunal devait également rechercher qui avait utilisé l'immeuble avant et après le mois de décembre 1989 et quelle avait été la destination de ce bien.
ii.  Second cycle procédural en appel et recours
27.  Lors de l'audience du 4 octobre 1999, le tribunal départemental de Bucarest souleva d'office l'exception d'absence de qualité pour agir des autorités administratives défenderesses au motif que le bien n'était pas géré par celles-ci ; il soumit cette exception au débat.
28.  Par une décision du même jour, le tribunal, sans avoir procédé au supplément d'enquête ordonné par la cour d'appel, accueillit l'exception et rejeta l'action des requérants. Il releva que l'immeuble litigieux avait été tout d'abord réquisitionné puis nationalisé dans les conditions décrites aux paragraphes 6 à 11 ci-dessus, et qu'ensuite il était devenu propriété de l'Etat soviétique en vertu d'un échange entre la République populaire de Roumanie et l'URSS, approuvé par le décret no 163 du 12 mars 1962 (paragraphe 13 ci-dessus). Observant que l'immeuble était désormais la propriété de la Fédération de Russie, successeur en droit de l'URSS, le tribunal estima que l'action du requérant visant à faire contraindre les autorités concernées à remettre aux intéressés l'immeuble litigieux en vertu de l'article 1075 du code civil était dirigée contre des personnes dépourvues de qualité pour agir.
29.  Les requérants formèrent un recours contre ce jugement, alléguant que le tribunal avait omis de tenir compte non seulement du fait que le bien avait été illégalement retiré du patrimoine de A.D., mais aussi des preuves en ce sens qu'ils avaient versées au dossier (paragraphe 25 in fine ci-dessus).
30.  Par un arrêt définitif du 25 février 2000, la cour d'appel de Bucarest rejeta leur recours et confirma le bien-fondé de l'arrêt du 4 octobre 1999. Elle releva, d'une part, que la critique des intéressés selon laquelle la juridiction inférieure n'avait pas pris en considération et interprété correctement les preuves versées au dossier par eux n'était pas fondée. Sur ce point, elle estimait que l'immeuble était entré dans le patrimoine de l'Etat roumain en vertu du décret de nationalisation no 92/1950 et que, dès lors, les intéressés ne pouvaient prétendre qu'il avait été pris abusivement par cet Etat. Elle constata, d'autre part, que la preuve du droit de propriété de la Fédération de Russie sur l'immeuble litigieux avait été rapportée et que dans ces conditions la juridiction inférieure avait à juste titre jugé que l'action des requérants était dirigée contre des défendeurs dépourvus de qualité pour agir.
iii.  Contestation en annulation
31.  Le 6 juin 2000, les requérants introduisirent une contestation en annulation contre l'arrêt définitif du 25 février 2000. Selon eux, la cour d'appel qui l'avait prononcé avait perdu de vue son arrêt antérieur du 26 mai 1999 – lequel avait ordonné un supplément d'enquête –, au mépris de l'article 315 du code de procédure civile. Ils ajoutaient que la cour d'appel avait omis de tirer des conclusions des preuves qu'ils avaient versées au dossier.
32.  Par un arrêt définitif du 25 octobre 2000, la cour d'appel de Bucarest rejeta la contestation en annulation des intéressés pour défaut de fondement. Elle observa que, dans son arrêt du 26 mai 1999, elle n'avait pas tranché des points de droit, de sorte que sa décision ne pouvait s'imposer dans le nouveau cycle procédural après renvoi, mais avait simplement demandé à la juridiction inférieure d'éclaircir la situation juridique de l'immeuble litigieux et de son possesseur. Elle jugea dès lors que l'article 315 du code de procédure civile n'avait pas été méconnu par la juridiction inférieure. Quant à la seconde critique des requérants, elle était également dénuée de fondement, dès lors que, par l'arrêt définitif du 25 février 2000, la cour d'appel saisie du recours des intéressés avait estimé que le droit de propriété sur l'immeuble litigieux appartenait à la Fédération de Russie et non aux parties défenderesses, tranchant ainsi le litige à la lumière de l'ensemble des preuves versées au dossier.
b)  Autres démarches en vue de la restitution de l'immeuble
33.  A une date non précisée, les requérants envoyèrent un mémoire à l'ambassadeur de la Fédération de Russie à Bucarest et le prièrent d'accepter que les autorités roumaines compétentes leur remettent l'immeuble de Snagov, dont ils avaient hérité et dont la loi nationale no 112/1995 leur accordait la restitution. Après avoir rappelé les circonstances ayant conduit à la perte de l'immeuble par A.D. (paragraphes 6-10 ci-dessus), ils faisaient valoir que l'échange d'immeubles intervenu entre l'Etat roumain et l'Etat soviétique en vertu du décret no 163 du 12 mars 1962 était illégal et donc frappé de nullité, au motif que, d'une part, le décret d'échange n'avait été ni signé ni publié et que, d'autre part, l'immeuble offert par l'Etat soviétique contre l'immeuble de Snagov n'avait pas appartenu à une personne physique de nationalité allemande, ce qui aurait justifié sa remise aux autorités russes en vertu des décisions prises lors de la Conférence de Potsdam.
Les requérants indiquaient enfin qu'ils ne souhaitaient pas être parties à un éventuel litige avec la Russie, toute procédure en ce sens étant selon eux rendue impossible par l'application du principe d'immunité diplomatique dont jouissait l'ambassade. Ils estimaient toutefois que ce principe ne devait pas aller à l'encontre de l'ordre juridique national, le bien litigieux ne présentant du reste aucun intérêt pratique particulier.
34.  Les pièces fournies ne permettent pas de déterminer si les intéressés ont reçu une réponse à cette demande.
35.  A une date non précisée, les requérants s'adressèrent à la préfecture d'Ilfov. S'appuyant sur la loi no 10/2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'Etat roumain entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, ils demandaient la restitution en nature de l'immeuble de Snagov. Par une lettre du 27 janvier 2003, le préfet leur répondit que l'autorité compétente pour la restitution de tels biens était, selon les articles 21 et 25 combinés de la loi no 10/2001, la personne morale détentrice de l'immeuble ou la mairie de l'arrondissement où le bien était sis. Il invitait les intéressés à s'adresser à ces autorités par la voie des huissiers de justice près du tribunal de Buftea. Les éléments fournis n'indiquent pas si les requérants ont donné suite à cette recommandation.
4.  Situation actuelle de l'immeuble
36.  Par une lettre datée du 23 septembre 2002, le représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour, en réponse à une demande d'information de la chambre chargée d'examiner l'affaire fondée sur l'article 54 § 2 a) du règlement, a fait savoir que la Fédération de Russie, en sa qualité de successeur pour tous les droits mobiliers et immobiliers de l'URSS à l'étranger, détenait en Roumanie un droit de propriété sur un complexe de villas sises à Snagov et sur le terrain attenant. Il a indiqué que ce droit de propriété de la Fédération de Russie était confirmé par les décisions du Conseil des ministres de Roumanie des 30 mars et 10 août 1946, par le décret no 25 pris le 26 janvier 1959 par le présidium de l'Assemblée nationale de la République populaire de Roumanie, ainsi que par le décret no 163 pris le 12 mars 1962 par le Conseil d'Etat de la République populaire de Roumanie (paragraphes 9, 12 et 13 ci-dessus), comme l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie en avait d'ailleurs informé le ministère roumain des Affaires étrangères par une note diplomatique (paragraphe 14 ci-dessus).
37.  Il ressort des éléments fournis par les requérants que l'immeuble litigieux est toujours utilisé par des fonctionnaires de l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie.
B.  Le droit international et interne pertinent
1.  Le droit international pertinent
38.  Les dispositions internationales pertinentes sont les suivantes :
a)  Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques (ratifiée par la Roumanie par la voie du décret no 566/1968, publié au Journal officiel le 8 juillet 1968)
Article 1
« Aux fins de la présente Convention, les expressions suivantes s'entendent comme il est précisé ci-dessous :
i.  L'expression « locaux de la mission » s'entend des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu'en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission. »
Article 22
« 1.  Les locaux de la mission sont inviolables. Il n'est pas permis aux agents de l'Etat accréditaire d'y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission.
2.  L'Etat accréditaire a l'obligation spéciale de prendre toutes les mesures appropriées afin d'empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou endommagés, la paix de la mission troublée ou sa dignité amoindrie.
3.  Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s'y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l'objet d'aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d'exécution. »
b)  Convention européenne sur l'immunité des Etats (Bâle, 16 mai 1972) (non signée par la Roumanie)
Article 9
« Un Etat contractant ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre Etat contractant si la procédure a trait :
a)  à un droit de l'Etat sur un immeuble, à la possession d'un immeuble par l'Etat ou à l'usage qu'il en fait ; ou
b)  à une obligation qui lui incombe, soit en sa qualité de titulaire d'un droit sur un immeuble, soit en raison de la possession ou de l'usage de ce dernier,
et si l'immeuble est situé sur le territoire de l'Etat du for. »
Article 23
« Il ne peut être procédé sur le territoire d'un Etat contractant ni à l'exécution forcée, ni à une mesure conservatoire sur les biens d'un autre Etat contractant, sauf dans les cas et dans la mesure où celui-ci y a expressément consenti par écrit. »
c)  Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, décembre 2004
39.  Le 2 décembre 2004, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, prié le Secrétaire général, en sa qualité de dépositaire, de l'ouvrir à la signature, et invité les Etats à devenir parties à cet instrument. Les dispositions pertinentes de la Convention, qui est ouverte à la signature du 17 janvier 2005 au 17 janvier 2007, sont les suivantes :
Article 5 – Immunité des Etats
« Un Etat jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l'immunité de juridiction devant les tribunaux d'un autre Etat, sous réserve des dispositions de la présente Convention. »
Article 6 – Modalités pour donner effet à l'immunité des Etats
« 1.  Un Etat donne effet à l'immunité des Etats prévue par l'article 5 en s'abstenant d'exercer sa juridiction dans une procédure devant ses tribunaux contre un autre Etat et, à cette fin, veille à ce que ses tribunaux établissent d'office que l'immunité de cet autre Etat prévue par l'article 5 est respectée.
2.  Une procédure devant un tribunal d'un Etat est considérée comme étant intentée contre un autre Etat lorsque celui-ci :
a)  est cité comme partie à la procédure ; ou
b)  n'est pas cité comme partie à la procédure, mais que cette procédure vise en fait à porter atteinte aux biens, droits, intérêts ou activités de cet autre Etat. »
Article 13 – Propriété, possession et usage de biens
« A moins que les Etats concernés n'en conviennent autrement, un Etat ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre Etat, compétent en l'espèce, dans une procédure se rapportant à la détermination :
a)  d'un droit ou intérêt de l'Etat sur un bien immobilier situé sur le territoire de l'Etat du for, de la possession du bien immobilier par l'Etat ou de l'usage qu'il en fait, ou d'une obligation de l'Etat en raison de son intérêt juridique au regard de ce bien immobilier, de sa possession ou de son usage ;
b)  d'un droit ou intérêt de l'Etat sur un bien mobilier ou immobilier né d'une succession, d'une donation ou d'une vacance ; ou
c)  d'un droit ou intérêt de l'Etat dans l'administration de biens tels que biens en trust, biens faisant partie du patrimoine d'un failli ou biens d'une société en cas de dissolution. »
Article 19 – Immunité des Etats à l'égard des mesures de contrainte postérieures  au jugement
« Aucune mesure de contrainte postérieure au jugement, telle que saisie, saisie-arrêt ou saisie-exécution, ne peut être prise contre des biens d'un Etat en relation avec une procédure intentée devant un tribunal d'un autre Etat excepté si et dans la mesure où :
a)  l'Etat a expressément consenti à l'application de telles mesures dans les termes indiqués :
i.  par un accord international ;
ii.  par une convention d'arbitrage ou un contrat écrit ; ou
iii.  par une déclaration devant le tribunal ou une communication écrite faite après la survenance du différend entre les parties ; ou
b)  l'Etat a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande qui fait l'objet de cette procédure ; ou
c)  il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire de l'Etat du for (...) »
d)  Résolution de l'Institut de droit international sur l'immunité de juridiction et d'exécution forcées des Etats étrangers (session d'Aix-en-Provence, 1954)
Article 5
« Il ne peut être procédé ni à l'exécution forcée, ni à une saisie conservatoire, sur les biens qui sont la propriété d'un Etat étranger, s'ils sont affectés à l'exercice de son activité gouvernementale qui ne se rapporte pas à une exploitation économique quelconque. »
e)  Résolution de l'Institut de droit international sur les aspects récents de l'immunité de juridiction et d'exécution des Etats (session de Bâle, 1991)
Article 4 – Mesures d'exécution forcée
« 1.  Les biens d'un Etat étranger ne peuvent faire l'objet d'une procédure ou d'une décision de la part des tribunaux ou d'autres organes de l'Etat du for en vue de l'exécution d'un jugement ou d'une ordonnance, ou en vue de mesures préalables à une telle exécution, sauf dans les conditions prévues par les dispositions du présent article et de l'article 5.
2.  En particulier, les catégories suivantes de biens d'un Etat bénéficient de l'immunité d'exécution :
a)  Les biens utilisés par les missions diplomatiques ou consulaires de l'Etat, par ses missions spéciales ou par ses missions auprès des organisations internationales ou dont l'utilisation par ces missions est prévue ;
Article 5 – Consentement ou renonciation
« 1.  Un Etat étranger ne peut invoquer l'immunité de juridiction ou d'exécution à l'égard de compétences des tribunaux ou autres organes de l'Etat du for auxquelles il a expressément consenti :
a)  dans un accord international ;
b)  dans un contrat écrit ;
c)  par une déclaration relative à une affaire déterminée ;
d)  par une soumission volontaire à l'exercice de ces compétences, sous la forme soit de l'introduction d'une procédure devant les organes pertinents de l'Etat du for, soit d'une intervention dans une procédure aux fins de faire valoir certains moyens liés au fond, soit de toute autre intervention comparable.
2.  Le consentement à l'exercice de la juridiction n'implique pas le consentement à l'exécution forcée, qui nécessite un consentement exprès distinct. »
2.  Le droit interne pertinent
40.  Les dispositions internes pertinentes sont les suivantes :
a)  Loi no 112/1995 réglementant la situation juridique des immeubles destinés à l'habitation et devenus propriété de l'Etat
Article premier
« Les personnes physiques anciennement propriétaires de biens immeubles à usage d'habitation qui sont devenus, en vertu d'un titre, propriété de l'Etat ou d'autres personnes morales après le 6 mars 1945 et qui au 22 décembre 1989 étaient détenus par l'Etat ou d'autres personnes morales bénéficient, à titre de réparation, des mesures prévues par la présente loi.
Les dispositions de la présente loi sont également applicables, sans préjudice des lois existantes, aux héritiers des anciens propriétaires. »
Article 2
« Les personnes visées à l'article premier bénéficient d'une restitution en nature se concrétisant par le rétablissement de leur droit de propriété sur les logements qu'elles habitent en tant que locataires et sur ceux qui sont vacants ; pour les autres logements, elles sont indemnisées (...) »
Article 14
« Les personnes pouvant prétendre à la restitution en nature (...) forment une demande à cet effet (...) »
Article 15
« Les demandes visées à l'article 14 sont adressées à la commission municipale de l'arrondissement où le bien est sis. La demande doit comporter des renseignements complets sur la personne du demandeur, sa qualité de propriétaire ou d'héritier, (...) des copies certifiées conformes des documents par lesquels l'intéressé entend prouver son droit de propriété ou celui du défunt dont il a hérité (...) Les décisions de restitution en nature sont prises par le conseil départemental de l'arrondissement où le bien est sis. »
Article 16
« (...) La commission départementale pour l'application des dispositions de la loi se compose des membres suivants : le président du conseil départemental, qui préside la commission, le notaire public, le directeur général de la direction départementale des finances publiques et du contrôle financier de l'Etat, le directeur de la direction départementale de l'urbanisme, des travaux publics et de l'aménagement du territoire, le chef du service du contentieux du conseil départemental, deux ou trois spécialistes en matière d'aménagements locatifs et d'expertise des bâtiments et terrains, assistés d'un secrétaire. »
Article 17
« Dans un délai de soixante jours à compter de la date de réception des propositions des commissions municipales, les commissions déterminent le droit des anciens propriétaires ou de leurs héritiers d'obtenir la restitution en nature ou l'octroi d'un dédommagement, et rendent leurs décisions à cet effet. Ces décisions sont communiquées dans un délai de cinq jours aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers (...) et aux personnes morales qui détiennent les biens (...). Les décisions des commissions sont adoptées à la majorité de leurs membres. »
Article 18
« Les décisions des commissions départementales (...) sont soumises au contrôle des juridictions nationales et peuvent être contestées, selon la loi civile, dans un délai de trente jours à compter de leur communication. »
Article 22
« (...) En invoquant la décision de la commission départementale ou, le cas échéant, la décision juridictionnelle définitive, le bénéficiaire de la restitution en nature du bien demande l'inscription de son droit sur le registre foncier.
La décision de la commission départementale ou, le cas échéant, la décision juridictionnelle définitive, vaut titre de propriété. »
b)  Décision du gouvernement no 20/1996 sur la définition des normes d'application de la loi no 112/1995
Article 1
« 1.  Ne bénéficient des mesures réparatrices de la loi no 112/1995 que les anciens propriétaires d'immeubles à usage d'habitation devenus comme tels propriété de l'Etat, en vertu d'un titre, (...) ainsi que leurs héritiers (...)
2.  Les immeubles à usage d'habitation devenus comme tels propriété de l'Etat, avec titre, sont les immeubles qui ont été nationalisés en tant qu'immeubles destinés à l'habitation en application d'une disposition légale en vigueur à la date de leur entrée dans le patrimoine de l'Etat, telle que le décret no 92/1950 (...) »
c)  Décision du gouvernement no 11/1997 modifiant et complétant les normes d'application de la loi no 112/1995
Article 3
« L'article 1 [de la loi no 112/1995] est complété par les paragraphes suivants :
4.  Les immeubles à usage d'habitation qui sont devenus propriété de l'Etat en violation des dispositions légales en vigueur à la date de leur entrée dans le patrimoine de l'Etat, ou en l'absence de réglementation légale constituant le fondement juridique du droit de propriété de l'Etat, sont considérés comme étant devenus propriété de l'Etat sans titre, et ne relèvent pas du champ d'application de la loi no 112/1995.
5.  Les immeubles qui ne relèvent pas du champ d'application de la loi no 112/1995 et pour lesquels l'Etat n'a pas de titre de propriété valable peuvent faire l'objet d'une demande de restitution ou de dédommagement selon le droit commun. »
d)  Loi no 10 du 14 février 2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'Etat entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989
Article 1
« 1.  Les immeubles que l'Etat, une organisation coopérative ou toute autre personne juridique s'est appropriés abusivement entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, de même que ceux pris par l'Etat en vertu de la loi no 139/1940 sur les réquisitions et non restitués, feront l'objet d'une restitution, en règle générale en nature, selon les conditions prévues par la présente loi.
2.  Si la restitution en nature n'est pas possible, des mesures de réparation par équivalent sont adoptées. Ces mesures comprennent la compensation par d'autres biens ou services offerts en échange par le détenteur, sous réserve du consentement de l'intéressé, l'attribution d'actions de sociétés commerciales qui se négocient sur le marché des capitaux, de titres de valeur nominale utilisés exclusivement dans le processus de privatisation ou de dédommagements pécuniaires. »
e)  Code civil
Article 1075 – Les effets des obligations
« Toute obligation de faire ou de ne pas faire donne lieu à un dédommagement en cas de non-exécution par le débiteur. »
f)  Code de procédure civile
41.  A l'époque des faits, l'article 315 était libellé comme suit :
« En cas de cassation avec renvoi, la décision prononcée à l'issue d'un recours sur des questions de droit s'impose aux juges du fond. »
Cette disposition a été modifiée ainsi par l'ordonnance d'urgence du gouvernement no 138/2000 :
« En cas de cassation avec renvoi, la décision prononcée à l'issue d'un recours sur des questions de droit et sur la nécessité d'administrer de nouvelles preuves s'impose aux juges du fond. »
GRIEFS
42.  Sous l'angle de l'article 5 § 5 de la Convention, les requérants allèguent que la détention de A.D. était irrégulière et qu'ils ne se sont vu octroyer aucune réparation en tant qu'héritiers de ce dernier.
43.  Sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention, ils estiment qu'ils n'ont pas bénéficié d'un procès équitable devant les tribunaux internes saisis de leur action visant à faire contraindre les autorités administratives à exécuter la décision définitive du 18 juin 1997. Ils se plaignent notamment de la manière dont les juridictions nationales ont interprété les éléments de preuve qu'ils avaient versés au dossier pour appuyer leur demande. Ils font valoir aussi que le tribunal départemental de Bucarest n'a pas effectué le supplément d'enquête ordonné par l'arrêt de la cour d'appel du 26 mai 1999.
44.  Toujours sous l'angle de l'article 6 § 1, les intéressés se plaignent de l'impossible exécution de la décision administrative du 18 juin 1997, rendue définitive par le jugement du 12 janvier 1998, et mettent en cause tant le gouvernement roumain que celui de la Fédération de Russie.
45.  Ils allèguent aussi que la suite donnée par les tribunaux roumains à leur demande d'exécution de la décision de restitution de l'immeuble ainsi que l'impossibilité dans laquelle ils se trouvent de faire exécuter cette décision constituent une violation, par les gouvernements roumain et russe, de leur droit de propriété au regard de l'article 1 du Protocole no 1.
EN DROIT
A.  Pour autant que la requête est dirigée contre la Roumanie
1.  Sur la recevabilité du grief tiré de l'article 5 de la Convention
46.  Les requérants se plaignent que A.D. ait été victime d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de l'article 5 de la Convention et qu'ils ne se soient vu octroyer aucune réparation pour cette détention, au mépris du paragraphe 5 de la disposition précitée.
47.  La Cour rappelle d'emblée qu'elle n'est pas compétente pour examiner des griefs ayant trait à des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard des Hautes Parties contractantes. Seule une privation de liberté postérieure à l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard de l'Etat défendeur peut se produire « dans des conditions contraires » à l'article 5 et, par voie de conséquence, obliger cet Etat à dédommager la victime ou ses ayants droit en vertu du paragraphe 5 de la disposition précitée (Romanescu c. Roumanie (déc.), no 43137/98, 23 octobre 2001).
48.  Pour autant que les requérants se plaignent du caractère irrégulier de la détention de A.D., la Cour relève que les faits allégués par les intéressés, à supposer que ceux-ci puissent être considérés comme des « victimes » au sens de l'article 34 de la Convention, se sont produits entre 1950 et 1963, soit avant le 20 juin 1994, date de la ratification de la Convention par la Roumanie. Il s'ensuit que cette partie du grief est incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
49.  La Cour n'est pas davantage compétente pour connaître de l'atteinte alléguée au droit garanti par l'article 5 § 5 de la Convention ; en effet, il s'agit là d'un grief directement lié au caractère prétendument irrégulier de la détention de A.D., et dont la compatibilité avec les exigences de l'article 5 échappe à sa compétence (paragraphe 48 in fine ci-dessus). Il s'ensuit que cette partie du grief est également incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.  Sur la recevabilité du grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention
50.  La Cour relève que le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention comporte deux branches distinctes : la première a trait au caractère prétendument inéquitable de la procédure ayant visé à contraindre les autorités à exécuter la décision administrative favorable aux requérants ; la seconde concerne la prétendue impossibilité d'exécuter cette décision.
a)  Sur le caractère prétendument inéquitable de la procédure ayant visé à contraindre les autorités nationales à exécuter la décision du 18 juin 1997
51.  Les requérants se plaignent de l'issue de la procédure qui visait à contraindre les autorités à exécuter la décision du 18 juin 1997 et invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
52.  Ils font valoir que le tribunal départemental de Bucarest n'a pas effectué le supplément d'enquête ordonné par l'arrêt de la cour d'appel du 26 mai 1999 et que les juridictions nationales n'ont pas pris en considération les éléments de preuve qu'ils avaient versés au dossier pour appuyer leur demande. En particulier, ils se plaignent que les tribunaux aient négligé de prendre en compte la circonstance que le décret no 163 du 12 mars 1962 sur l'échange d'immeubles entre l'Etat roumain et l'URSS, dont ils avaient présenté une copie, était nul faute d'avoir été signé par le président du Conseil d'Etat. Selon eux, les tribunaux ne se seraient pas non plus penchés sur le fait que l'immeuble sis à Bucarest, au numéro 63 de la rue Docteur-Lister, offert en échange par l'URSS, n'était pas entré légalement dans le patrimoine de cet Etat, dès lors qu'il n'avait pas appartenu à un citoyen allemand et que son régime juridique ne pouvait donc dépendre des décisions prises lors de la Conférence de Potsdam.
53.  Le gouvernement roumain conteste ces allégations, estimant qu'aucune méconnaissance de l'article 6 § 1 de la Convention ne saurait être retenue en l'espèce. S'appuyant sur l'article 315 du code de procédure civile tel qu'il était rédigé à l'époque des faits, il affirme que le tribunal n'était pas tenu de respecter les indications de la cour d'appel en matière de preuve ; celles-ci se seraient imposées aux juges auxquels l'affaire avait été renvoyée s'il s'était agi d'une question de droit, ce qui n'était pas le cas en l'occurrence. Il ajoute que le tribunal départemental n'a pas examiné le fond du litige, mais a tranché l'affaire en soulevant une exception absolue tirée du défaut de qualité pour agir des autorités défenderesses.
54.  Le gouvernement roumain considère que, s'agissant d'une action que les requérants avaient fondée sur l'article 1075 du code civil, les tribunaux n'étaient pas tenus de comparer les titres de propriété des intéressés et de la Fédération de Russie sur le bien litigieux ; une telle obligation leur aurait en revanche incombé en cas d'action en revendication immobilière fondée sur les dispositions du droit commun. Il estime donc que c'est à juste titre que le tribunal départemental s'est borné en l'espèce à remarquer que la Fédération de Russie jouissait de la possession du bien concerné en vertu d'un titre dont la validité n'avait pas été contestée en justice et que ce bien ne faisait pas partie du patrimoine des autorités administratives assignées en justice, lesquelles n'avaient, dès lors, aucune qualité pour agir.
55.  La Cour rappelle qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C'est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 290, § 33). Cela est particulièrement vrai s'agissant de l'interprétation par les tribunaux de règles de nature procédurale (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3255, § 43). Le rôle de la Cour se .limite à rechercher si la procédure litigieuse, envisagée en bloc, y compris le mode d'administration des preuves, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi d'autres, l'arrêt Edwards c. Royaume-Uni du 16 décembre 1992, série A no 247-B, pp. 34-35, § 34).
56.  Pour autant que les requérants allèguent que le tribunal départemental de Bucarest n'a pas effectué le supplément d'enquête ordonné par l'arrêt de la cour d'appel du 26 mai 1999, la Cour relève que ce grief était au cœur de la contestation en annulation des requérants contre l'arrêt définitif du 25 février 2000 (paragraphe 31 ci-dessus). Force est de constater que, dans son arrêt du 25 octobre 2000, la cour d'appel compétente pour l'examiner a jugé que l'arrêt du 26 mai 1999 n'avait pas tranché des points de droit, de sorte qu'il ne pouvait s'imposer – en vertu de l'article 315 du code de procédure civile tel qu'il était libellé à l'époque des faits – dans le nouveau cycle procédural après renvoi (paragraphe 32 ci-dessus), et qu'elle n'a donc décelé aucune atteinte aux dispositions procédurales nationales. S'agissant de la seconde critique des requérants dans le cadre du présent grief, à savoir l'omission des juridictions de prendre en compte les preuves versées par eux au dossier, la même cour d'appel a jugé qu'elle était également non fondée, la juridiction compétente pour examiner leur recours ayant constaté que la Fédération de Russie avait un titre de propriété sur l'immeuble litigieux, tranchant ainsi le litige à la lumière de l'ensemble des éléments du dossier (paragraphe 32 in fine ci-dessus).
57.  La Cour elle-même ne relève d'apparence d'arbitraire ni dans cette interprétation donnée par les juridictions nationales au droit interne pertinent – plus particulièrement à l'article 315 du code de procédure civile tel qu'il était libellé à l'époque des faits – ni dans la manière dont elles ont apprécié les preuves compte tenu de la nature de l'action engagée devant elles par les intéressés.
58.  Il y a lieu de constater, enfin, que les requérants ont bénéficié d'une procédure publique et contradictoire, qu'ils ont été représentés par un avocat de leur choix, qu'ils ont pu verser au dossier d'instruction les documents qu'ils estimaient utiles à leur défense et que leur cause a été examinée dans un délai raisonnable, soit environ trois ans pour trois degrés de juridiction, et a été l'objet de décisions motivées en fait et en droit.
59.  En conclusion, la Cour estime que la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, que cette partie du grief est manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle doit donc être rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
b)  Sur l'impossibilité alléguée d'exécuter la décision du 18 juin 1997 confirmée par le jugement définitif du 12 janvier 1998
i.  Thèse du gouvernement roumain
60.  Le gouvernement roumain considère que l'article 6 § 1 de la Convention ne garantit que l'exécution d'une décision judiciaire prononcée par un organe présentant des garanties d'indépendance et d'impartialité, à l'issue d'une procédure ayant offert des garanties d'équité, ce qui n'était pas le cas en l'occurrence. Il souligne que la décision du 18 juin 1997 ayant ordonné la restitution du bien litigieux aux requérants a été prise par une autorité administrative qui ne remplissait pas les conditions d'indépendance et d'impartialité, et ce à l'issue d'une procédure non contradictoire puisque la Fédération de Russie n'avait pas été invitée à comparaître.
61.  Il admet par ailleurs que la décision en cause, qui ordonnait le transfert de propriété d'un bien dont l'Etat roumain n'était plus en possession ou n'était plus propriétaire, était erronée. Selon le gouvernement roumain, il s'agit d'une erreur administrative provoquée par la négligence des autorités nationales, qui n'avaient pas fait inscrire le titre de propriété de la Fédération de Russie sur le registre foncier et n'avaient pas mené d'enquête diligente sur le titulaire du droit de propriété concernant l'immeuble en question avant d'ordonner sa restitution aux requérants. Quant au jugement du 12 janvier 1998, le Gouvernement fait valoir que le tribunal de première instance de Buftea n'a pas recherché si les requérants avaient ou non un droit d'obtenir la restitution de l'immeuble, mais a simplement rejeté le recours de la société A. pour des raisons procédurales liées au défaut de qualité pour agir de la demanderesse.
62.  A titre subsidiaire, le gouvernement roumain estime que l'article 6 § 1 de la Convention, applicable en l'espèce, n'a pas été méconnu dès lors que le titre de propriété des requérants reconnu par la commission administrative s'est révélé impossible à faire respecter parce que l'immeuble litigieux était occupé par des fonctionnaires de l'ambassade de la Fédération de Russie. A cet égard, le gouvernement roumain note que le grief né de l'impossibilité pour les requérants de faire exécuter la décision de la commission administrative a été soumis à l'examen d'un tribunal répondant aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention, lequel a tranché la demande d'exécution que les intéressés avaient fondée sur l'article 1075 du code civil en rendant des décisions soucieuses de respecter le droit de propriété de la Fédération de Russie et la prééminence du droit dans une société démocratique. Le gouvernement roumain fait valoir notamment que l'exécution de la décision administrative favorable aux requérants, en l'absence de décision judiciaire invalidant le droit de propriété de la Fédération de Russie sur le même bien, aurait porté atteinte au droit de propriété de cet Etat étranger, ce qui aurait été contraire à l'ordre public national et européen, ainsi qu'au principe de prééminence du droit dans une société démocratique.
ii.  Thèse des requérants
63.  Les requérants contestent les arguments du gouvernement roumain, faisant valoir que la décision du 18 juin 1997 constitue un acte administratif à effet juridictionnel et que son bien-fondé a été confirmé par les jugements du tribunal de première instance de Buftea rendus le 12 janvier et le 16 mars 1998 (paragraphes 19 et 22 ci-dessus), ce qui leur donnait le droit d'obtenir son exécution.
64.  Ils estiment que le principe qui garantit l'immunité diplomatique de l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie ne devait pas aller à l'encontre de l'ordre juridique national ou impliquer un abandon de la légalité nationale, vu l'importance de leur propre droit d'obtenir l'exécution de la décision qui leur était favorable, décision adoptée conformément à la loi no 112/1995.
65.  Invoquant l'illégalité du transfert de propriété de l'immeuble au profit de l'URSS du fait que le président du Conseil d'Etat n'avait pas signé le décret no 163 du 12 mars 1962 (paragraphe 13 ci-dessus), ils considèrent que l'Etat roumain était tenu de faire diligence par voie diplomatique auprès des autorités de la Fédération de Russie afin que le bien litigieux leur soit remis, et critiquent sa négligence à agir en ce sens.
iii.  Appréciation de la Cour
66.  L'article 6 § 1 de la Convention garantit à chacun le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, pp. 13-18, §§ 28-36). Le droit à un tribunal n'est pas seulement un droit théorique d'obtenir la reconnaissance de son droit par une décision définitive, mais il comprend encore l'espoir légitime que cette décision sera exécutée. La protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l'obligation pour l'administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l'Etat en la matière (Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil 1997-II, pp. 510-511, §§ 40 et suiv.).
67.  En l'espèce, les requérants se plaignent de l'inexécution de la décision administrative adoptée par la commission pour l'application de la loi no 112/1995. S'il ne s'agissait assurément pas « d'une décision ou d'un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l'Etat en la matière » (voir, a contrario, Hornsby précité, pp. 510-511, § 40), il n'en reste pas moins que la décision litigieuse favorable aux intéressés émanait de l'autorité qualifiée compétente en matière de restitution immobilière en vertu de la loi no 112/1995 et qu'elle était devenue définitive compte tenu de l'absence de toute contestation en justice de la part des autorités compétentes pour agir (paragraphe 19 ci-dessus). De surcroît, la décision en cause valait titre de propriété puisqu'il était loisible aux requérants, en s'appuyant sur celle-ci, de demander l'inscription de leur droit de propriété sur le registre foncier sans recourir à aucune autre procédure administrative ou juridictionnelle (paragraphe 40 a) in fine ci-dessus). Les intéressés pouvaient dès lors avoir une espérance légitime de la voir exécuter.
68.  Certes, le droit d'accès aux tribunaux n'est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l'Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l'article 6 § 1 de la Convention que si elles tendent à un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I).
69.  Il incombe dès lors à la Cour de déterminer si la conduite que les requérants reprochent à l'Etat roumain – que cette conduite puisse être considérée comme une limitation au droit d'accès à un tribunal ou comme une abstention d'agir, ou encore comme une combinaison des deux – se justifiait à la lumière des principes applicables exposés ci-dessus.
70.  Les requérants estiment que leur droit individuel de voir exécuter une décision interne leur reconnaissant un droit de propriété revêt une importance telle qu'il devrait l'emporter sur les principes de droit international, y compris donc sur le principe de l'immunité des Etats. La Cour n'est pas convaincue par cet argument. Elle rappelle que la Convention doit s'interpréter à la lumière des principes énoncés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, dont l'article 31 § 3 c) précise qu'il faut tenir compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». Il convient également de garder à l'esprit le caractère spécifique de la Convention, traité de garantie collective des droits de l'homme, ainsi que les principes pertinents du droit international (voir, mutatis mutandis, Loizidou c. Turquie (fond), arrêt du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2231, § 43). La Convention doit s'interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris donc celles relatives à la reconnaissance de l'immunité des Etats.
71.  Il ressort des faits de l'espèce que le bien immobilier dont la restitution a été accordée aux requérants en vertu de la décision – restée inexécutée – de la commission administrative est affecté aux fonctionnaires de l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie et qu'il constitue donc un « local de la mission », au sens de l'article 1 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (paragraphe 38 a) ci-dessus). Bien que les autorités nationales n'aient pas généralement invoqué le principe de l'immunité des Etats pour justifier l'adoption des décisions juridictionnelles litigieuses ou leur propre inaction, il apparaît clairement, à la simple lecture des décisions des tribunaux roumains et des motifs d'appel versés au dossier par les autorités administratives compétentes pour exécuter la décision favorable aux requérants, que la non-exécution de celle-ci découlait de leur volonté de ne pas porter atteinte aux droits dont jouissait la Fédération de Russie sur le bien litigieux (paragraphes 23, 24, 28 et 30 ci-dessus).
72.  Il s'agissait là assurément d'une reconnaissance, quoique plutôt tacite, du principe de l'immunité diplomatique de l'Etat étranger sur le sol roumain.
73.  Force est de constater que tous les textes juridiques internationaux traitant de l'immunité des Etats consacrent le principe général selon lequel les Etats étrangers bénéficient, sous réserve de certaines exceptions strictement circonscrites, de l'immunité d'exécution sur le territoire de l'Etat du for (paragraphes 38 et 39 ci-dessus). Cette protection accordée aux Etats étrangers est accrue s'agissant des biens appartenant à leurs missions diplomatiques et consulaires sis dans l'Etat du for. La Cour relève en particulier que l'article 22 de la Convention de Vienne garantit le caractère inviolable des locaux de la mission, en interdisant aux agents de l'Etat accréditaire d'y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission, et en imposant à l'Etat du for l'obligation spéciale de prendre toutes les mesures appropriées afin d'empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou endommagés (paragraphe 38 a) ci-dessus).
74.  De même, l'article 5 de la résolution de l'Institut de droit international consacrée précisément à « l'immunité de juridiction et d'exécution forcées des Etats étrangers » indique clairement qu'il ne peut être procédé ni à l'exécution forcée ni à une saisie conservatoire sur les biens qui sont la propriété d'un Etat étranger et sont affectés à l'exercice de son activité gouvernementale qui ne se rapporte pas à une exploitation économique quelconque (paragraphe 39 d) ci-dessus), et l'article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques affirme que les locaux de la mission ne peuvent faire l'objet d'aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d'exécution (paragraphe 38 a) ci-dessus). Des dispositions similaires se trouvent dans la Convention européenne sur l'immunité des Etats qui énonce, en son article 23, qu'il ne peut être procédé sur le territoire d'un Etat contractant ni à l'exécution forcée, ni à une mesure conservatoire sur les biens d'un autre Etat contractant, sauf dans les cas et dans la mesure où celui-ci y a expressément consenti par écrit (paragraphe 38 b) ci-dessus).
75.  Enfin, la Cour relève que la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens dispose, à l'article 19, qu'aucune mesure de contrainte postérieure au jugement, telle que la saisie, la saisie-arrêt et la saisie-exécution, ne peut être prise contre des biens d'un Etat en relation avec une procédure intentée devant un tribunal d'un autre Etat excepté si et dans la mesure où l'Etat y a expressément consenti ou s'il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales (paragraphe 39 ci-dessus).
76.  Rien parmi les pièces du dossier n'indique que le bien litigieux ne serait pas affecté par l'Etat étranger – en l'occurrence la Fédération de Russie – à l'exercice de sa souveraineté (jure imperii) ou encore que cet Etat aurait consenti expressément à d'éventuelles mesures de contrainte, telles la saisie, la saisie-arrêt ou la saisie-exécution, circonstances qui justifieraient la levée de son immunité d'exécution (paragraphes 38 et 39 ci-dessus).
77.  Pour autant que les requérants allèguent que le bien en cause a été transmis illégalement à la Fédération de Russie, et donc à son ambassade en Roumanie, la Cour relève que les dispositions du droit international pertinent en matière d'immunité ne font pas de distinction selon la voie, légale ou illégale, par laquelle les biens sis dans l'Etat du for qui sont destinés à être des « locaux de la mission » sont entrés dans le patrimoine de l'Etat étranger. Il suffit que les biens soient « utilisés aux fins de la mission » de l'Etat étranger pour que les principes deviennent applicables, condition qui semble remplie en l'espèce, dès lors que le bien immobilier en cause est utilisé par des fonctionnaires de l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie (paragraphe 37 ci-dessus). D'autre part, la Cour observe que les juridictions nationales ont constaté que la Fédération de Russie détenait elle aussi un titre de propriété sur le bien litigieux, sans pour autant affirmer qu'il s'agissait d'un titre obtenu illégalement (paragraphes 28, 30 et 32 ci-dessus).
78.  La Cour n'est pas compétente pour examiner elle-même la légalité du titre en question. Elle ne saurait davantage examiner la légalité de la décision de la commission administrative favorable aux requérants – considérée comme erronée par le gouvernement roumain – ni procéder à une comparaison des deux titres concurrents sur le bien en cause, cette tâche étant l'apanage des juridictions nationales de l'Etat du for dans le cadre d'une action en revendication immobilière.
79.  La question qui se pose dans la présente affaire n'est pas de savoir si une telle action pourrait aboutir à une issue favorable aux requérants dans l'éventualité où ils l'introduiraient devant les juges de l'Etat du for. Les développements récents du droit international laissent certes entrevoir une certaine tendance à limiter, dans de telles procédures se rapportant à la détermination même d'un droit ou intérêt de l'Etat étranger sur un bien immobilier situé dans l'Etat du for, l'immunité de juridiction dont l'Etat étranger pourrait se prévaloir devant les tribunaux du for (voir notamment l'article 9 de la Convention européenne sur l'immunité des Etats et l'article 13 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, paragraphes 38 et 39 ci-dessus).
En l'espèce, il s'agit simplement de savoir si la responsabilité des autorités roumaines peut être engagée du fait qu'elles ont refusé de procéder, en vertu de la décision administrative du 18 juin 1997, à une exécution forcée concernant un bien immobilier occupé par l'ambassade de la Fédération de Russie, et, plus généralement, du fait qu'elles n'ont pas agi dans le sens souhaité par les requérants.
80.  A cet égard, la Cour a déjà jugé qu'elle ne saurait considérer de façon globale comme une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal tel que le consacre l'article 6 § 1 de la Convention des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des règles de droit international généralement reconnues en matière d'immunité des Etats. Elle a déjà estimé que de même que le droit d'accès à un tribunal est inhérent à la garantie d'un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l'accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations communément admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l'immunité des Etats (Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, §§ 52-56 ; CEDH 2001-XI ; Fogarty c. Royaume-Uni [GC], no 37112/97, § 36, 21 novembre 2001 ; McElhinney c. Irlande [GC], no 31253/96, § 37, 21 novembre 2001).
81.  Rien dans la présente espèce ne permet de s'écarter d'une telle conclusion. Aucune tendance ne va à la connaissance de la Cour vers un assouplissement de la règle de l'immunité d'exécution des Etats étrangers en ce qui concerne les biens de ces Etats qui constituent des locaux de missions consulaires ou diplomatiques sis dans l'Etat du for. Compte tenu des règles de droit international énoncées ci-dessus, il ne saurait donc être demandé au gouvernement roumain d'outrepasser contre son gré la règle de l'immunité des Etats qui vise à assurer le fonctionnement optimal des missions diplomatiques (ne impediatur legatio) et, plus généralement, à favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats souverains. Cela vaut du moins en l'état actuel du droit international public, ce qui n'exclut pas pour l'avenir un développement du droit international coutumier ou conventionnel. Dès lors, ni les décisions par lesquelles les juridictions nationales ont refusé d'obliger les autorités administratives à procéder à l'exécution forcée concernant le bien immobilier détenu par l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie, ni le fait que les autorités administratives aient négligé d'agir dans le sens souhaité par les requérants ne sauraient passer pour une restriction injustifiée au droit d'accès des requérants à un tribunal.
82.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3.  Sur la recevabilité du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1
83.  Les requérants allèguent aussi que leur droit au respect de leur bien est affecté par l'impossibilité dans laquelle ils se trouvent de faire exécuter la décision administrative ordonnant la restitution de leur immeuble. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1 qui dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
a)  Thèse du gouvernement roumain
84.  Le gouvernement roumain considère que l'article 1 du Protocole no 1 n'est pas applicable en l'espèce, au motif que les requérants n'avaient pas un « bien » au sens de ladite disposition. Il fait valoir que les intéressés se prévalent d'une décision prononcée par un organe administratif à l'issue d'une procédure qui n'a pas offert les garanties d'un procès équitable et qui ne s'est pas déroulée de façon contradictoire, le possesseur du bien en question, à savoir l'ambassade de la Fédération de Russie, n'ayant pas été invité à comparaître. Il réitère qu'il s'agit là d'une décision erronée. Il ajoute que les requérants n'ont joui à aucun moment de la possession du bien litigieux et n'ont pas non plus payé de taxes ou d'impôts afférents à ce bien (voir, a contrario, l'arrêt Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII). Se référant à l'affaire Constandache c. Roumanie ((déc.), no 46312/99, 11 juin 2002), il relève par ailleurs que les requérants ne sauraient alléguer une violation de la Convention découlant de l'acte de nationalisation lui-même et il note que la décision de la commission n'avait pas d'effet rétroactif, un nouveau droit de propriété – distinct de celui dont A.D. avait été titulaire – étant né par l'effet de la loi no 112/1995.
85.  A titre subsidiaire, le gouvernement roumain considère qu'aucune atteinte à l'article 1 du Protocole no 1 ne saurait être établie dans le chef des requérants. Il fait valoir que l'inexécution de la décision de la commission administrative poursuivait un but légitime d'intérêt général, à savoir la nécessité de respecter le droit sur le bien en question de la Fédération de Russie, qui jouissait d'une apparence de propriété assortie de la possession effective depuis plus de trente ans. L'exécution de la décision administrative de la commission n'aurait pu avoir lieu en l'absence d'une décision judiciaire définitive invalidant le titre de propriété de la Fédération de Russie. Les décisions des juridictions nationales ayant rejeté la demande en justice des requérants visant à faire contraindre le conseil départemental d'Ilfov et la mairie de Snagov à exécuter la décision administrative du 18 juin 1997 étaient le seul moyen dont disposaient les autorités roumaines pour atteindre le but d'intérêt public poursuivi.
b)  Thèse des requérants
86.  Les requérants contestent ces arguments du gouvernement roumain. Rappelant les circonstances dans lesquelles l'immeuble est sorti du patrimoine de A.D. (paragraphes 6-13 ci-dessus), ils font valoir que l'inexécution de la décision des autorités roumaines prévoyant la restitution de l'immeuble constitue une atteinte à leur droit de propriété au regard de l'article 1 du Protocole no 1.
87.  Les requérants réitèrent leurs arguments sous l'angle de l'article 6 § 1 (paragraphes 63-65 ci-dessus), invoquant en particulier l'illégalité du transfert de propriété de l'immeuble au profit de l'URSS et considérant que le principe qui garantit l'immunité diplomatique de l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie ne devrait pas aller à l'encontre de l'ordre juridique national ou impliquer un abandon de la légalité nationale.
c)  Appréciation de la Cour
88.  La Cour estime que la décision administrative par laquelle les requérants ont été reconnus titulaires d'un droit de propriété sur un bien immobilier s'analysait en une créance à l'encontre de l'Etat roumain pouvant être réputée suffisamment établie pour être qualifiée de « valeur patrimoniale » et appeler la protection de l'article 1 du Protocole no 1. En effet, il ne s'agissait, pour les requérants, ni d'un simple espoir de restitution ni d'une créance conditionnelle dont la concrétisation aurait dépendu de la réunion des conditions prévues par la loi (voir, a contrario, Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, §§ 71-73, CEDH 2002-VII ; Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 58, CEDH 2004-IX) : la décision dont ils se prévalaient, devenue définitive en l'absence de toute contestation en justice par les autorités compétentes (paragraphe 19 ci-dessus), émanait de l'autorité administrative compétente pour ordonner la restitution en vertu de la loi no 112/1995. Pour autant que le gouvernement roumain allègue qu'il s'agit d'une décision erronée, force est de constater que l'autorité administrative chargée d'appliquer la loi était tenue de vérifier que les exigences requises étaient réunies avant de choisir, parmi les mesures réparatrices prévues par la loi, celle qui était applicable dans une situation donnée.
89.  De surcroît, la décision administrative donnant en l'espèce gain de cause aux requérants n'a été invalidée par aucune décision juridictionnelle ultérieure. Dès lors qu'elle était devenue définitive, elle valait titre de propriété, les intéressés pouvant demander en l'invoquant l'inscription de leur droit de propriété sur le registre foncier sans recourir à aucune autre procédure administrative ou juridictionnelle (paragraphe 40 ci-dessus, notamment l'article 22 de la loi no 112/1995). Elle devait donc passer pour avoir raisonnablement suscité en eux l'espoir justifié de pouvoir obtenir la mise en possession de l'immeuble.
90.  A cet égard, la Cour note que les requérants se plaignent non pas d'un acte déterminé, mais plutôt de l'inaction des autorités roumaines et de leur refus de prendre des mesures afin de leur garantir la restitution effective du bien. Il n'est pas contesté, en effet, que les intéressés n'ont pu obtenir la mise en possession de celui-ci en raison de l'incapacité alléguée par les autorités administratives compétentes et, comme cela a été affirmé devant la Cour par le gouvernement roumain, du fait de la prétendue impossibilité d'engager la procédure d'exécution parce que l'immeuble litigieux était possédé par l'ambassade de la Fédération de Russie en Roumanie.
91.  La Cour recherchera, à la lumière du principe général de respect de la propriété consacré par la première phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1, si les autorités roumaines, en s'abstenant d'agir dans le sens souhaité par les requérants, ont ménagé un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, parmi beaucoup d'autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69).
92.  En l'espèce, la Cour a jugé que le refus des autorités nationales d'accueillir la demande d'exécution de la décision de la commission administrative favorable aux requérants ne constituait pas une entrave disproportionnée à leur droit d'accès à un tribunal au regard de l'article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 81 ci-dessus). Elle a souligné à cet égard qu'il ne saurait être demandé au gouvernement roumain d'outrepasser contre son gré le principe de l'immunité des Etats et de compromettre de bonnes relations internationales pour permettre aux requérants d'obtenir l'exécution d'une décision rendue à l'issue d'une procédure administrative instituée en vertu de la loi no 112/1995. Pareille considération s'impose aussi dans le cadre de l'examen du présent grief.
93.  La Cour ne doute pas, vu les circonstances de l'espèce, que l'omission par les autorités compétentes de l'Etat roumain de prendre des mesures d'exécution servait une « cause d'utilité publique », à savoir la nécessité d'éviter de perturber les relations entre la Roumanie et la Fédération de Russie et de ne pas entraver le fonctionnement optimal de la mission diplomatique de cet Etat étranger en Roumanie. Qui plus est, la Fédération de Russie avait fait savoir à l'Etat roumain, par l'intermédiaire du ministère roumain des Affaires étrangères, qu'elle avait un titre de propriété sur l'immeuble en cause (paragraphe 14 ci-dessus). Force est de constater aussi que les juridictions nationales ont débouté les requérants de leur demande d'exécution en indiquant que la Fédération de Russie avait un titre de propriété sur le bien immobilier en question (paragraphes 28, 30 et 32 ci-dessus). Pour autant que les requérants invoquent l'illégalité de ce titre, la Cour note qu'à ce jour il n'a été invalidé par aucune décision judiciaire définitive.
94.  Si la Cour peut admettre que l'inexécution, depuis plusieurs années, de la décision administrative définitive qui leur était favorable a dû leur causer un sentiment d'injustice et de frustration, les intéressés n'ont pas pour autant perdu leur créance à l'encontre de l'Etat roumain. Contrairement à ce qui est allégué par le gouvernement roumain, la Cour note qu'aucune juridiction nationale n'est venue invalider leur titre de propriété sur l'immeuble litigieux. Elle relève sur ce point que les juridictions nationales les ont simplement déboutés de leur demande d'exécution en raison du défaut de qualité pour agir des autorités roumaines défenderesses sans pour autant analyser – du fait de la nature juridique de leur action devant les tribunaux nationaux – la validité des titres de propriété concurrents sur le bien litigieux, ni comparer ces titres entre eux (paragraphes 28, 30 et 32 ci-dessus).
95.  Le titre de propriété des requérants sur le bien en cause ne saurait non plus se périmer par l'écoulement du temps, et il n'est pas exclu que l'exécution ait lieu ultérieurement, comme cela pourrait être le cas si par exemple l'Etat étranger bénéficiant de l'immunité d'exécution donnait son consentement à l'adoption par les autorités de l'Etat du for de mesures de contrainte, renonçant ainsi de son propre gré à se prévaloir des dispositions internationales qui lui sont favorables, possibilité consacrée expressément par le droit international pertinent (paragraphes 38 et 39 ci-dessus, voir notamment l'article 5 de la résolution de l'Institut de droit international sur l'immunité de juridiction et d'exécution forcées des Etats étrangers et l'article 23 de la Convention européenne sur l'immunité des Etats).
96.  La Cour note, enfin, qu'il serait loisible aux requérants, pour autant qu'ils allèguent que leur bien est sorti illégalement de leur patrimoine, d'obtenir, en vertu de la récente loi no 10 du 14 février 2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'Etat roumain entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, sinon la restitution en nature du bien, qu'ils sembleraient d'ailleurs avoir demandée sans succès auprès de la préfecture d'Ilfov (paragraphe 35 ci-dessus), du moins des mesures réparatrices par équivalent comprenant la compensation par d'autres biens, l'attribution d'actions de sociétés commerciales qui se négocient sur le marché des capitaux, de titres de valeur nominale utilisés dans le processus de privatisation ou de dédommagements pécuniaires, comme il est prévu à l'article 1 de la loi (paragraphe 40 d) ci-dessus).
97.  Dans ces conditions, l'omission des autorités roumaines de prendre des mesures en vue de la mise en possession du bien litigieux, omission qui servait une « cause d'utilité publique » directement liée au respect du principe d'immunité des Etats – unanimement consacré dans le droit international conventionnel et coutumier – n'a pas enfreint en l'espèce l'équilibre qui doit exister entre la protection du droit des particuliers au respect de leurs biens et les exigences de l'intérêt général.
98.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
B.  Pour autant que la requête est dirigée contre la Russie
99.  Les requérants allèguent la méconnaissance par l'Etat russe de leur droit de faire exécuter une décision définitive qui leur était favorable, droit garanti par l'article 6 § 1 de la Convention. Ils considèrent que l'issue de la procédure qu'ils avaient engagée devant les juridictions nationales en vue d'obtenir l'exécution de ladite décision définitive et, plus généralement, leur impossibilité de se voir restituer leur bien, constituent une atteinte injustifiée, par le gouvernement russe, au droit au respect de leurs biens au regard de l'article 1 du Protocole no 1. Ils font valoir, enfin, que le bien immobilier de A.D. a été transmis illégalement à l'URSS.
100.  La Cour estime qu'il faut rechercher d'abord si la Fédération de Russie peut avoir à répondre, sur le terrain de la Convention, des faits dont se plaignent les requérants. En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, la responsabilité d'un Etat se trouve engagée quand la violation de l'un des droits et libertés définis dans la Convention découle d'une infraction à l'article 1, aux termes duquel « [l]es Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention » (Costello-Roberts c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1993, série A no 247-C, p. 57, §§ 25-26). La Cour doit donc rechercher si les requérants « relevaient de la juridiction » de la Fédération de Russie au sens de cette disposition. Autrement dit, il s'agit de déterminer si, bien que la procédure litigieuse ne se soit pas déroulée sur le sol de cet Etat, l'issue de celle-ci est imputable à la Fédération de Russie, de même que la prétendue impossibilité d'obtenir l'exécution de la décision des autorités roumaines favorable aux requérants.
101.  La Cour rappelle que, du point de vue du droit international public, la compétence juridictionnelle d'un Etat est principalement territoriale. Il ressort en effet de sa jurisprudence que la Cour n'admet qu'exceptionnellement qu'un Etat contractant s'est livré à un exercice extraterritorial de sa compétence : elle ne l'a fait jusqu'ici que lorsque l'Etat défendeur, au travers du contrôle effectif exercé par lui sur un territoire extérieur à ses frontières et sur ses habitants par suite d'une occupation militaire ou en vertu du consentement, de l'invitation ou de l'acquiescement du gouvernement local, assumait l'ensemble ou certains des pouvoirs publics relevant normalement des prérogatives de celui-ci (Drozd et Janousek c. France et Espagne, arrêt du 26 juin 1992, série A no 240, p. 29, § 91, et Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], no 52207/99, § 71, CEDH 2001-XII) ; elle a récemment étendu la portée de ce principe en indiquant que, même en l'absence de contrôle effectif sur un territoire extérieur à ses frontières, un Etat demeure tenu, en vertu de l'article 1 de la Convention, par l'obligation positive de prendre les mesures qui sont en son pouvoir et en conformité avec le droit international – qu'elles soient d'ordre diplomatique, économique, judiciaire ou autres – afin d'assurer dans le chef des requérants le respect des droits garantis par la Convention (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 331, CEDH 2004-VII).
102.  La Cour a jugé, conformément à cette approche, que la participation d'un Etat en qualité de défendeur à une procédure dirigée contre lui dans un autre Etat n'emporte pas par cela seul un exercice extraterritorial par lui de sa juridiction (McElhinney c. Irlande et Royaume-Uni (déc.) [GC], no 31253/96, 9 février 2000). La Cour s'exprima ainsi :
« Dans la mesure où le requérant se plaint, sur le terrain de l'article 6 (...), de l'attitude adoptée par le gouvernement britannique dans la procédure irlandaise, la Cour ne juge pas nécessaire d'examiner dans l'abstrait la question de savoir si les actes accomplis par un gouvernement en sa qualité de partie à des procédures judiciaires menées dans un autre Etat contractant sont de nature à engager sa responsabilité au titre de l'article 6 (...) La Cour considère que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, le fait que le gouvernement britannique ait soulevé devant les juridictions irlandaises une exception tirée de son immunité souveraine dans une procédure dont l'initiative avait été prise par le requérant ne suffit pas à faire relever ce dernier de la juridiction du Royaume-Uni au sens de l'article 1 de la Convention. »
103.  La Cour a réaffirmé ce constat dans l'affaire Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne ((déc.), no 59021/00, CEDH 2002-X). S'agissant d'une action civile engagée par les requérants devant les tribunaux grecs en vue de l'obtention d'une indemnisation par l'Etat allemand, la Cour a écarté la responsabilité de ce dernier quant au refus du ministre grec de la Justice d'autoriser la procédure d'exécution forcée et quant aux jugements grecs ayant confirmé ce refus, au motif que les requérants n'avaient pas démontré qu'ils étaient susceptibles de relever de la juridiction de l'Allemagne au sens de l'article 1 de la Convention :
« (...) la procédure litigieuse s'est exclusivement déroulée sur le sol grec, et les tribunaux grecs étaient les seules instances à exercer un pouvoir de souveraineté envers les requérants. Il est en effet évident que les juridictions allemandes n'avaient aucun pouvoir de contrôle, ni direct ni indirect, sur les décisions et arrêts rendus en Grèce. (...) [L]a situation qui fait grief aux requérants, à savoir le refus du ministre [grec] de la Justice d'autoriser la procédure d'exécution forcée et les jugements grecs qui confirmèrent ce refus, ne saurait être imputée à l'Allemagne : cette dernière était l'adversaire des requérants dans le cadre d'un litige civil examiné par les juridictions grecques ; à cet égard elle pouvait être assimilée à une personne privée partie au procès. »
104.  Les circonstances de la présente affaire font clairement apparaître que les requérants ne relevaient pas davantage de la juridiction de la Fédération de Russie. Force est de constater, en effet, que cet Etat n'a exercé aucune juridiction sur les intéressés : la Fédération de Russie n'était pas partie défenderesse à l'action civile que les requérants avaient engagée devant les tribunaux roumains en vue d'obtenir l'exécution de la décision administrative définitive leur ayant donné gain de cause, et elle n'est pas non plus intervenue dans la procédure pour soulever une exception tirée de son immunité souveraine (voir, a contrario, les décisions McElhinney et Kalogeropoulou et autres précitées) ; la procédure litigieuse s'est déroulée exclusivement sur le sol roumain ; les tribunaux roumains étaient les seules instances à exercer un pouvoir de souveraineté envers les requérants, sans que les autorités de la Fédération de Russie aient un quelconque pouvoir de contrôle, direct ou indirect, sur les décisions et arrêts rendus en Roumanie.
105.  Que les requérants aient informé l'ambassadeur de la Fédération de Russie qu'ils avaient obtenu une décision de restitution d'un immeuble possédé par l'ambassade de cet Etat étranger et que celle-ci ait fait savoir à la commission administrative de Snagov – par l'intermédiaire du ministère roumain des Affaires étrangères et sans pour autant intervenir dans la procédure litigieuse – qu'elle s'estimait propriétaire d'un ensemble d'immeubles sis à Snagov, dont celui à restituer aux requérants, ne suffisent pas pour que les intéressés relèvent de la juridiction de la Fédération de Russie au sens de l'article 1 de la Convention. Aucune autre circonstance ne pourrait justifier une conclusion différente.
106.  Il s'ensuit que la situation qui fait grief aux requérants, à savoir le refus des autorités roumaines de procéder à l'exécution de la décision administrative leur ayant donné gain de cause ainsi que les jugements des tribunaux roumains les ayant déboutés de leur demande d'exécution en raison du défaut de qualité pour agir des défenderesses, ne saurait être imputée à la Fédération de Russie.
107.  La responsabilité de la Fédération de Russie ne saurait davantage être engagée en vertu de l'article 1 de la Convention du fait d'éventuels manquements à son obligation positive d'assurer le respect des droits garantis par la Convention et invoqués par les requérants. On ne saurait en effet reprocher à la Fédération de Russie de ne pas avoir pris de mesures positives, par exemple en intervenant dans la procédure introduite par les requérants devant les tribunaux en raison de l'inexécution par les autorités administratives roumaines de la décision leur ayant donné gain de cause, ou en donnant son consentement préalable à d'éventuelles mesures de contrainte. Si de telles mesures avaient en effet été « en son pouvoir » (Ilaşcu et autres précité, § 331), exiger de la Fédération de Russie qu'elle les adopte serait sans nul doute contraire à l'ordre public international actuel, car cela impliquerait la renonciation de cet Etat au bénéfice de l'immunité des Etats étrangers, alors qu'il s'agit d'un principe unanimement admis en droit international (paragraphes 38 et 39 ci-dessus) et visant légitimement à favoriser la sauvegarde de la courtoisie et les bonnes relations entre les Etats.
108.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les requérants n'ont pas démontré qu'ils étaient susceptibles de « relever de la juridiction » de la Fédération de Russie. Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l'article 35 § 4.
109.  Enfin, pour autant que les requérants invoquent le caractère illégal de la transmission aux autorités de l'URSS du bien immobilier ayant appartenu à A.D., la Cour note que l'échange d'immeubles entre l'Etat roumain et l'Etat soviétique que les intéressés estiment frappé de nullité est intervenu en 1962, après avoir été autorisé par le décret no 163 pris le 12 mars 1962 par le Conseil d'Etat de la République populaire de Roumanie, soit avant le 5 mai 1998, date à laquelle la Fédération de Russie a ratifié la Convention et le Protocole no 1.
110.  Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l'article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
DÉCISION MANOILESCU ET DOBRESCU c. ROUMANIE ET RUSSIE
DÉCISION MANOILESCU ET DOBRESCU c. ROUMANIE ET RUSSIE


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 60861/00
Date de la décision : 03/03/2005
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Exceptions préliminaires rejetées (non-épuisement des voies de recours internes, victime) ; Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : MANOILESCU ET DOBRESCU
Défendeurs : ROUMANIE ET RUSSIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-03-03;60861.00 ?
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