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06/09/2005 | CEDH | N°63512/00;63513/00

CEDH | LEVEAU c. FRANCE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes
no 63512/00
présentée par Francis LEVEAU
no 63513/00
présentée par Jean-François FILLON
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section) siégeant le 6 septembre 2005 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,   Mme D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu les requêtes susmenti

onnées introduites le 22 novembre 2000,
Vu la décision de la Cour du 17 février 2004 de joindre les deux requêtes,
Vu les ...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes
no 63512/00
présentée par Francis LEVEAU
no 63513/00
présentée par Jean-François FILLON
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section) siégeant le 6 septembre 2005 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,   Mme D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites le 22 novembre 2000,
Vu la décision de la Cour du 17 février 2004 de joindre les deux requêtes,
Vu les observations soumises par le Gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Messieurs Francis Leveau (ci-après dénommé « le premier requérant ») et Jean-François Fillon (ci-après dénommé « le second requérant ») sont des ressortissants français, nés respectivement en 1959 et 1955. Ils résident, pour le premier, à Coudray-au-Perche et, pour le second, aux Autels-Villevillon, dans le département d’Eure-et-Loir. Ils sont représentés devant la Cour par Me C. Charles, avocat à Paris. Le gouvernement défendeur a été représenté par son agent M. R. Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions, Mme E. Belliard, Directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Les requérants sont agriculteurs éleveurs. Ils exploitent chacun un élevage de porcs charcutiers. Ce type d’élevage est soumis à la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (loi no 76-663 du 19 juillet 1976).
Les exploitations des requérants firent l’objet d’une inspection de la direction des services vétérinaires d’Eure-et-Loir à la suite de laquelle des poursuites pénales furent engagées.
Ils furent condamnés pénalement pour avoir exploité leur élevage soit, s’agissant du premier requérant, parce qu’il n’avait pas fait de déclaration préalable soit, s’agissant du second requérant, parce qu’il n’avait pas reçu d’autorisation préalable du préfet.
1.  Le cas du premier requérant (M. Leveau)
Le premier requérant, M. Leveau, est co-gérant avec son épouse d’une entreprise agricole à responsabilité limitée dénommée « EARL Leveau ».
Le 27 décembre 1996, le requérant acquit une ferme située sur la commune des Etilleux, commune voisine située à quelques kilomètres de son lieu d’habitation (Coudray-au-Perche).
Par une lettre du 5 février 1997, l’épouse du requérant informa la direction des services vétérinaires de l’achat de la ferme et de leur projet d’aménagement d’un bâtiment sur paille accumulée à usage de porcherie, prévu pour accueillir 449 places de porcs charcutiers. La lettre informait également le service vétérinaire de ce qu’une déclaration serait faite avant le mois de juillet 1997.
Le 27 février 1997, l’inspecteur des installations classées au titre de la protection de l’environnement, procéda à l’inspection de la porcherie. Le requérant arriva en fin de matinée au cours de la visite de l’inspecteur.
Par un procès-verbal dressé le jour même, l’inspecteur constata la présence d’environ 210 porcs d’engraissement et indiqua que l’exploitation entrait dans la catégorie des élevages de plus de 40 et de moins de 450 porcs, c’est-à-dire dans la nomenclature des installations classées soumises à déclaration auprès de l’autorité préfectorale (rubrique 2102). L’inspecteur indiqua dans le procès-verbal que le requérant, arrivé dans l’exploitation en cours de visite, n’était pas en mesure de fournir un reçu de déclaration provenant de la préfecture d’Eure-et-Loir.
Le 17 avril 1997, le requérant fut entendu par la brigade de gendarmerie d’Authon-du-Perche. Il fit valoir la lettre du 5 février 1997 dans laquelle il indiquait son intention de faire la déclaration avant le mois de juillet 1997.
Le 5 août 1997, le procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Chartres cita le requérant à comparaître devant le tribunal de police de Nogent-le-Rotrou pour avoir exploité une installation classée sans déclaration préalable, en l’espèce un élevage comprenant 210 porcs destinés à l’engraissement prévu à la rubrique 2102 de la nomenclature des installations classées soumis à déclaration.
Devant le tribunal, le requérant souleva, in limine litis, la nullité de la procédure du fait de la violation de domicile par l’officier de police judiciaire, en application de l’article 76 du code de procédure pénale, la visite de l’inspecteur ayant eu lieu sans la présence de l’exploitant et sans son assentiment exprès, ainsi que celle du procès-verbal de l’inspecteur qui ne mentionnait pas sa qualité d’officier de police judicaire et était imprécis quant au nombre et au poids des porcs.
Par un jugement du 27 mars 1998, le tribunal écarta cette exception de nullité dans les termes suivants :
« Sauf à soutenir que le prévenu ait fait de sa porcherie son domicile, ce qui n’est tout de même pas le cas, il ne peut être considéré que le local d’élevage des porcs réponde aux critères du domicile.
Ainsi et sans qu’il soit besoin de répondre aux arguments fallacieux relatifs à la qualité d’officier de police judiciaire qu’un inspecteur des installations classées pour la protection de l’environnement n’a évidemment pas, convient-il de considérer qu’aucune perquisition ni violation de domicile n’a été faite par l’inspecteur.
Celui-ci n’a fait qu’utiliser le pouvoir de visiter à tout moment les installations qu’il tient de l’article 13 de la loi no 76-663, sans être tenu au respect des règles régissant les perquisitions ».
Au fond, le tribunal déclara le requérant coupable d’avoir exploité une installation classée sans déclaration préalable et le condamna au paiement d’une amende de 6 000 francs (FRF), soit 915 euros (EUR).
Le requérant interjeta appel.
Par un arrêt du 20 novembre 1998, la cour d’appel de Versailles se prononça comme suit sur l’exception de nullité tirée d’une violation de l’article 8 de la Convention :
« Attendu que cette notion de vie privée et de domicile reste circonscrite au cercle que constitue l’intimité de la personne même si les activités professionnelles ou commerciales dans certaines circonstances ne peuvent en être exclues ;
Qu’en l’espèce, la visite faite par l’inspecteur des installations classées a été effectuée conformément aux dispositions de l’article 13 de la loi du 19 juillet 1976 (...) dans une porcherie qui est exclusivement un lieu d’exploitation agricole pouvant présenter certains dangers pour l’environnement, en aucun cas dans un domicile au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme ; qu’il y a lieu en conséquence de rejeter la première exception soulevée ;
Considérant par ailleurs que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs des installations classées sont établis généralement lors de la visite de contrôle effectuée au titre de la police administrative, que dès lors les dispositions de l’article 76 du code de procédure pénale ne leur sont pas applicables ; qu’en tout état de cause leur pouvoir résulte de l’article 13 de la loi du 19 juillet 1976 qui leur donne des prérogatives spécifiques et dérogatoires au régime de police de droit commun en stipulant "qu’ils peuvent visiter à tout moment les installations soumises à leur surveillance" ; qu’à cet égard l’esprit de la loi est de permettre à l’autorité préfectorale de s’assurer du fonctionnement ou de l’exploitation des installations classées, pouvant par définition présenter des dangers ou des nuisances pour la collectivité, dans le respect des prescriptions légales ou réglementaires ; que l’application des dispositions de l’article 76 aux opérations de contrôle de ces installations classées conduirait en effet à priver de son efficacité le dispositif prévu par la loi no 76-663 du 19 juillet 1976 ».
La cour d’appel confirma la condamnation prononcée en première instance mais, constatant que la situation avait été entre-temps mise en conformité, elle réduisit l’amende à 3 000 FRF (457 EUR).
Par un arrêt du 26 avril 2000 notifié le 7 juin 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant en considérant que la cour d’appel avait justifié sa décision et en s’exprimant notamment comme suit :
« (...) les visites que les inspecteurs des installations classées effectuent dans les installations soumises à leur surveillance, en application de l’article 13, alinéa 2, de la loi du 19 juillet 1976, ne constituent pas une perquisition ou une visite domiciliaire au sens des articles 59 et 76 du code de procédure pénale ».
2.  Le cas du second requérant (M. Fillon)
Le second requérant, M. Fillon, exploite une ferme. Il créa un atelier d’élevage de porcs naisseurs-engraisseurs sur son exploitation en 1980.
Le plan de masse, fourni par le requérant, montre son exploitation comme se composant d’un ensemble de plusieurs bâtiments d’élevage ainsi que de sa maison d’habitation, située en retrait des bâtiments abritant les porcs.
Le 6 février 1997, l’inspecteur des services vétérinaires, effectua, en présence du requérant, une visite dans l’exploitation et dressa un procès-verbal aux termes duquel il constata la présence d’un verrat, de 90 truies et d’environ 600 porcs charcutiers. Il indiqua que l’élevage comprenait plus de 450 porcs et appartenait à la nomenclature des installations classées (rubrique 2102) soumises au régime d’autorisation préfectorale. L’inspecteur indiqua dans le procès-verbal que le requérant n’était pas en mesure de fournir un arrêté d’autorisation de la préfecture d’Eure-et-Loir, car il n’avait pas déposé de dossier à cet effet.
Le 11 mars 1997, le requérant fut entendu par la brigade de gendarmerie d’Authon-du-Perche et justifia l’augmentation des capacités d’accueil de son élevage par des nécessités financières.
Le procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Chartres cita le requérant à comparaître devant le tribunal correctionnel pour avoir exploité une installation classée, en l’espèce un élevage de porcs comprenant plus de 450 animaux, sans autorisation préfectorale préalable (nomenclature 2102).
Par un jugement du 30 juin 1998, le tribunal correctionnel de Chartres annula le procès-verbal et la procédure subséquente, en ces termes :
« (...) en vertu de l’article 13 de la loi du 19 juillet 1976, ces inspecteurs peuvent visiter à tout moment les installations soumises à leur surveillance ;
Attendu cependant que si ces dispositions leur permettent de déroger aux heures de visites domiciliaires fixées par l’article 59 du code de procédure pénale, elles ne dérogent cependant pas à l’obligation stipulée à l’article 76 dudit code de recueillir, en cas d’enquête préliminaire, l’assentiment préalable exprès de la personne chez laquelle l’opération a lieu ;
Qu’il convient à cet égard de relever qu’une exploitation agricole constitue un domicile ;
Qu’il convient en outre de relever que ce contrôle avait été effectué dans le but de vérifier la situation de l’élevage de M. Fillon au regard du récépissé de déclaration pour 370 truies dont il disposait ;
Qu’ainsi les dispositions de l’article 76 du code de procédure pénale devaient être respectées ; que leur violation entraîne l’annulation du procès-verbal et en conséquence de la procédure et des poursuites subséquentes. »
Le ministère public interjeta appel.
Le requérant fit valoir devant la cour d’appel que le droit au respect de son domicile garanti par l’article 8 de la Convention était applicable aux locaux professionnels et considéra qu’en l’espèce cette disposition avait été violée du fait de l’ingérence de l’inspecteur dans sa propriété.
Par un arrêt du 17 décembre 1998, la cour d’appel de Versailles infirma le jugement dans les termes suivants :
« Mais considérant que si l’article 8 de la Convention susvisée dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance sauf ingérence d’une autorité publique limitativement prévue suivant des conditions très strictes, il n’en demeure pas moins que cette notion de vie privée et de domicile reste circonscrite au cercle que constitue l’intimité de la personne même si les activités professionnelles ou commerciales dans certaines circonstances ne peuvent en être effectivement exclues ;
Qu’en l’espèce l’inspection faite par M. Guerrin a été effectuée (...) dans une porcherie qui est exclusivement un lieu d’exploitation agricole (...), en aucun cas au domicile de Jean-François Fillon dont la demeure et le local administratif sont séparés, l’inspecteur Guerrin n’ayant procédé qu’au comptage des animaux ;
Considérant par ailleurs que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs des installations classées sont établis généralement lors de visites de contrôle effectuées au titre de la police administrative ;
Que dès lors les dispositions de l’article 76 du code de procédure pénale ne sont pas applicables ».
Statuant au fond, la cour d’appel déclara le requérant coupable de n’avoir pas sollicité d’autorisation comme le régime applicable à son exploitation l’y obligeait, et le condamna à payer une amende de 3 000 FRF (457 EUR), à la publication de la condamnation dans deux journaux locaux ainsi qu’à l’affichage de celle-ci à l’entrée de son exploitation.
Le 26 avril 2000, la Cour de cassation rendit un arrêt, notifié le 31 mai 2000, qui rejetait le pourvoi du requérant en ces termes :
« (...) les visites que les inspecteurs des installations classées effectuent dans les installations soumises à leur surveillance, en application de l’article 13, alinéa 2, de la loi du 19 juillet 1976, ne constituent pas une perquisition ou une visite domiciliaire au sens des articles 59 et 76 du code de procédure pénale ».
B.  Le droit interne pertinent
1.  Loi no 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement
Cette loi régit toutes les installations qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients sérieux pour le voisinage et l’environnement (article 1er). Elle soumet les exploitants à des contraintes juridiques et pratiques telles que l’obligation d’autorisation ou de déclaration (voir article 3 ci-après). La loi de 1976 a depuis lors, été abrogée et codifiée aux articles L. 511-1 à L. 517-2 du code de l’environnement.
Les dispositions pertinentes sont codifiées aux articles L. 511-1 et suivants du code de l’environnement. Dans sa rédaction applicable au moment des faits, la loi se lisait ainsi :
Article 1
« Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature et de l’environnement, soit pour la conservation des sites et monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. »
Article 3
« Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l’article 1er (...)
Sont soumises à déclaration les installations qui ne présentant pas de tels dangers ou inconvénients, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales édictées par le préfet en vue d’assurer dans le département la protection des intérêts visés à l’article 1er. »
Article 13
« Les personnes chargées de l’inspection des installations classées (...) sont assermentées et astreintes au secret professionnel (...)
Elles peuvent visiter à tout moment les installations soumises à leur surveillance. »
Article 18
« Quiconque exploite une installation sans l’autorisation requise sera puni d’une peine d’emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende de 2 000 francs à 500 000 francs ou de l’une de ces deux peines. (...) »
2.  Décret no 77-1133 du 21 septembre 1977 pris notamment pour l’application de la loi du 19 juillet 1976
Article 43
« Sera puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe :
1o Quiconque aura exploité une installation soumise à déclaration sans avoir fait la déclaration prévue à l’article 3 de la loi du 19 juillet 1976 (...) ».
3.  Rubrique no 2102 de la nomenclature (actuelle) des installations classées
Porcs (établissements d’élevage, vente, transit etc.,) en stabulation ou en plein air :
1. Plus de 450 animaux-équivalents
autorisation
2. De 50 à 450 animaux-équivalents
déclaration 
GRIEF
Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que l’inspection des services vétérinaires a été faite à leur insu, à leur domicile (domicile professionnel pour le premier requérant, domicile professionnel et privé pour le second requérant) et a ainsi méconnu leur droit au respect de leur domicile. Les requérants font valoir que l’article 13 de la loi du 19 juillet 1976 (art. L. 514-5 du code de l’environnement) n’est pas conforme aux garanties posées par l’article 8 de la Convention.
EN DROIT
Les requérants allèguent le non-respect de leur « domicile » : professionnel pour le premier requérant, professionnel et privé pour le second requérant, en raison de la visite inopinée de l’inspecteur des services vétérinaires sans leur accord. Ils estiment que l’ingérence en cause n’était pas proportionnée au but poursuivi. Ils invoquent l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :
« 1.  Toute personne a droit au respect (...), de son domicile (...)
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Le Gouvernement considère que les porcheries des requérants ne sauraient être considérées comme un « domicile » au sens de l’article 8 de la Convention.
Il soutient que, bien que la jurisprudence de la Cour inclue dans certains cas les locaux professionnels, il n’en résulte pas pour autant que tous les locaux professionnels soient assimilables à des domiciles.
A cet égard, le Gouvernement considère que selon la jurisprudence de la Cour, seuls « certains » locaux professionnels peuvent être entendus comme étant des « domiciles ». En outre, l’assimilation de la notion de « domicile » ne peut s’entendre que « dans certaines circonstances » ainsi qu’il ressort de l’arrêt Société Colas Est et autres c. France (no 37971/97, § 41, CEDH 2002-III). Selon le Gouvernement, l’arrêt précité n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce, puisque les requérants ont introduit leur requête en leur nom propre c’est-à-dire en leur qualité de personnes physiques, et non en tant que représentant d’une personne morale. Or, le Gouvernement précise que l’arrêt Société Colas Est précité ne vise que les « domiciles professionnels » des personnes morales.
Le Gouvernement estime que, si l’on peut envisager qu’un bureau ou le cabinet d’une personne exerçant une profession libérale puisse être assimilé à un « domicile », un élevage industriel peut difficilement être considéré comme tel.
Le Gouvernement souligne que, dans les deux cas d’espèce, les bâtiments à définir sont exclusivement consacrés à l’élevage de plusieurs centaines de porcs.
Ainsi, s’agissant du premier requérant, le Gouvernement rappelle que la porcherie est située sur le territoire d’une autre commune que celle du lieu d’habitation du requérant. Il se réfère aux décisions rendues par les juridictions internes et en particulier à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 20 novembre 1998 qui énonce que la porcherie du premier requérant est « exclusivement un lieu d’exploitation agricole pouvant présenter certains dangers pour l’environnement, en aucun cas un domicile au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
S’agissant du second requérant dont l’exploitation est proche de son lieu d’habitation, le Gouvernement affirme qu’aucun élément ne permet de penser que l’inspection aurait été faite dans d’autres locaux que ceux de la porcherie, dans la mesure où l’inspection ne portait que sur le seul comptage des animaux aux fins d’établir le régime administratif auquel l’exploitant était soumis.
En outre, le Gouvernement précise en se fondant sur les procès-verbaux, que dans les deux cas, les requérants étaient présents pendant la visite de l’inspecteur. Dans le cas du premier requérant, ce dernier est arrivé en cours de visite ; le second requérant, quant à lui, était présent pendant la visite.
Le Gouvernement conclut que l’article 8 de la Convention n’est pas applicable à l’espèce et que les deux requêtes doivent être rejetées pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
Le premier requérant se plaint d’une violation de l’article 8 de la Convention car l’inspecteur a effectué sa visite de contrôle sans le prévenir et en son absence.
Il affirme que le domicile professionnel entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention qui est applicable à son cas d’espèce.
Le second requérant indique que son exploitation porcine fait partie d’un ensemble de bâtiments à usage mixte puisque les locaux administratifs tels que le bureau ainsi que la pharmacie sont situés dans le cellier de sa ferme, entre deux pièces à usage privé (à savoir, entre sa cuisine et sa salle à manger). De plus, il fait valoir que le bâtiment où sont élevés les cochons est attenant à la ferme. Le domicile professionnel et privé forme donc un ensemble indissociable puisque sa ferme est à usage mixte, ainsi que le montrent plusieurs attestations rédigées par des agriculteurs connaissant les lieux et décrivant la configuration des pièces de sa ferme à usage professionnel et privé et qui mettent en exergue l’usage mixte des bâtiments.
Le second requérant se réfère au jugement du 30 juin 1998 rendu par le tribunal de grande instance de Chartres qui a annulé le procès-verbal de l’inspecteur, au motif notamment qu’une exploitation agricole constituait un domicile et que l’assentiment exprès de la personne devait être requis.
Il estime que l’article 8 de la Convention doit s’appliquer en l’espèce et que le bâtiment où l’inspecteur a effectué sa visite constitue bien un « domicile » au sens de l’article 8 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour.
La Cour rappelle qu’au sens de sa jurisprudence, le terme « domicile » a une connotation plus large que le mot « home » figurant dans le texte anglais de l’article 8 et peut englober par exemple le bureau ou le cabinet d’un membre d’une profession libérale (Niemietz c. Allemagne arrêt du 16 décembre 1992, série A no 251-B p. 34, § 30).
Dans l’affaire Chappell c. Royaume-Uni, (arrêt du 30 mars 1989, série A no 152-A, pp. 12-13, § 26 et p. 26, § 63) la Cour avait considéré qu’une perquisition effectuée dans le domicile d’une personne physique se trouvant simultanément être le siège des bureaux d’une société contrôlée par elle, constituait bien une ingérence dans le droit au respect du domicile, au sens de l’article 8 de la Convention. Elle a par la suite reconnu que, dans certaines circonstances, les droits garantis sous l’angle de l’article 8 de la Convention peuvent être interprétés comme incluant pour une société le droit au respect de son siège social, son agence ou ses locaux professionnels (arrêt Société Colas Est c. France précité, §§ 41-42).
Dans les présentes affaires, la Cour relève qu’en vertu des dispositions de droit interne applicables en l’espèce, il s’agissait pour l’inspecteur, de procéder au comptage des porcs en vue de déterminer le régime administratif applicable aux exploitations (régime d’autorisation ou de déclaration préalables) et de vérifier le respect de la réglementation par les requérants.
La Cour note également que les juridictions internes auxquelles incombent l’interprétation et l’application du droit interne, ont considéré que les visites effectuées par l’inspecteur vétérinaire chez les deux requérants, ne constituaient pas une perquisition ou une visite domiciliaire au sens des articles 59 et 76 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, en l’espèce, la Cour constate au vu des procès-verbaux, que dans le cadre d’une visite inopinée, l’inspecteur des installations classées s’est rendu exclusivement dans les bâtiments abritant les porcs des requérants afin de contrôler le respect de la réglementation propre à ces installations et relever des infractions à la législation en dressant procès-verbal. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme M. Fillon, les « locaux administratifs » n’ont pas été compris dans l’inspection.
La Cour relève également que dans les deux cas d’espèce, les bâtiments qui ont fait l’objet de la visite sont indépendants des lieux d’habitation.
Dans le cas du premier requérant, la porcherie est située à plusieurs kilomètres de son lieu d’habitation, sur une commune voisine. Dans le cas du second requérant, la Cour relève que le plan de masse de l’exploitation   du requérant fait ressortir une nette séparation entre les lieux à usage exclusif d’élevage porcin et le lieu d’habitation privée, lequel est situé en retrait.
La Cour souligne que la notion de « domicile » peut faire l’objet d’une conception extensive, et être applicable aux termes de sa jurisprudence à des locaux professionnels. Elle a en particulier jugé, se prévalant de son interprétation dynamique de la Convention, que le droit d’une société au respect de son siège ou de ses locaux professionnels peut entrer dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention (voir la jurisprudence précitée, et notamment l’arrêt Société Colas Est c. France, § 41). Toutefois cette conception extensive du « domicile », et cette interprétation évolutive de l’article 8 doivent trouver des limites, sauf à heurter le bon sens et à prendre le contre-pied complet de l’intention des auteurs de la Convention. Il est ainsi clair qu’une exploitation agricole spécialisée dans l’élevage porcin et abritant plusieurs centaines de porcs peut difficilement être qualifiée de « domicile », fût-il professionnel, sauf éventuellement à ce que la société elle-même allègue une violation de son siège ou de ses bureaux (arrêt Société Colas Est précité, § 40), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La Cour relève d’ailleurs que dans le cas de M. Leveau, l’exploitation constituée en EARL n’est pas requérante. La requête a été introduite par le requérant en sa qualité de personne privée, et non pas en sa qualité de gérant de l’EARL exploitant l’élevage, et son habitation était clairement distincte et séparée des locaux à usage de porcherie.
Dans ces conditions, la Cour estime que les requérants ne sauraient soutenir que leur porcherie est assimilable à un « domicile » même professionnel au sens de l’article 8 de la Convention tel qu’interprété par sa jurisprudence et elle conclut que cet article ne trouve donc pas à s’appliquer aux faits de l’espèce. Les bâtiments à usage de porcherie des requérants ne sont ainsi pas protégés au titre de l’article 8 de la Convention.
Il s’ensuit que les requêtes sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3 et doivent être rejetées en application de l’article 35 § 4, ce qui dispense la Cour de se pencher sur la légalité de l’ingérence alléguée, sur la légitimité du but de celle-ci, et sur sa nécessité dans une société démocratique.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare les requêtes irrecevables.
S. Dollé A.B. Baka  Greffière Président
DÉCISION LEVEAU et FILLON c. FRANCE
DÉCISION LEVEAU et FILLON c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 63512/00;63513/00
Date de la décision : 06/09/2005
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-3) MANIFESTEMENT MAL FONDE, (Art. 35-3) RATIONE PERSONAE, (Art. 35-3) RATIONE TEMPORIS, (Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : LEVEAU
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-09-06;63512.00 ?
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