La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2006 | CEDH | N°26739/04

CEDH | AFFAIRE DOSTAL c. REPUBLIQUE TCHEQUE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DOSTÁL c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 26739/04)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2006
DÉFINITIF
21/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme]
En l’affaire Dostál c. République tchèque,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    I. Cabral Barreto,    K. Jungwiert,    V. Butkevych

,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de ...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DOSTÁL c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 26739/04)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2006
DÉFINITIF
21/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme]
En l’affaire Dostál c. République tchèque,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    I. Cabral Barreto,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,  Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 janvier 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26739/04) dirigée contre la République tchèque et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jaroslav Dostál (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me K. Veselá-Samková, avocate au barreau tchèque. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. V.A. Schorm.
3.  Le 13 janvier 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1947 et réside à Brno.
5.  En juin 1988, T.D. est née du mariage du requérant avec T.M.
6.  Le 11 octobre 1989, le divorce fut prononcé. Par le même jugement, le tribunal de district (Okresní soud) de Jihlava approuva l’accord des parents concernant l’exercice de l’autorité parentale sur T.D., en vertu duquel la garde de celle-ci était attribuée à sa mère et le requérant devait payer une pension alimentaire ; son droit de visite ne fut pas déterminé.
7.  Par la suite, le requérant demanda au tribunal de statuer sur son droit de visite, alléguant que T.M. ne lui permettait pas de voir l’enfant.
8.  Par le jugement du 20 mai 1991, passé en force de chose jugée le 11 juin 1991, le tribunal de district accorda à l’intéressé un droit de visite sur sa fille.
9.  Après que le requérant sollicita, le 15 septembre 1992, l’exécution dudit jugement, le tribunal somma T.M. à s’y conformer.
10.  Le 23 octobre 1992, le tribunal de district modifia le jour des rencontres régulières entre le requérant et sa fille.
11.  Le 2 août 1993, le requérant demanda l’exécution de ce dernier jugement par infliction d’une amende à T.M. Plus tard, lors d’une entrevue des parties et de l’assistante sociale organisée par le tribunal, les parents parvinrent à un accord sur les dates des visites.
12.  Le 20 octobre 1994, le requérant saisit le tribunal d’une nouvelle demande relative à la détermination du droit de visite, mais il s’en désista par la suite, invoquant la possibilité d’un règlement amiable. Le 7 juin 1995, le tribunal municipal (Městský soud) de Brno prononça donc l’extinction de cette instance.
13.  Le 1er décembre 1998, le requérant et son ex-épouse conclurent un accord reflétant les horaires de travail irréguliers de l’intéressé ; en vertu de celui-ci, le requérant pouvait passer avec sa fille au moins un week-end par mois (à condition d’en préciser la date à l’avance), ainsi qu’une partie des vacances scolaires.
14.  Le 24 janvier 2000, le requérant saisit le tribunal d’une demande tendant au changement de garde, alléguant que T.M. l’empêchait de voir sa fille (le dernier contact datant du 30 octobre 1999) et tentait de dresser celle-ci contre lui, tandis que l’enfant se sentait bien dans sa nouvelle famille. Lors de l’audience du 26 avril 2000, la mineure déclara vouloir rencontrer son père comme auparavant ; dès lors, le requérant se désista de sa demande et la procédure prit fin.
15.  Le 26 mai 2000, le requérant demanda au tribunal de statuer de nouveau sur son droit de visite, faisant valoir que les circonstances avaient changé depuis l’accord du 1er décembre 1998 et qu’il n’arrivait pas toujours à se mettre d’accord avec son ex-épouse. Cette dernière réagit par une contre-proposition et demanda l’augmentation de la pension alimentaire. Le 18 septembre 2000, l’intéressé modifia sa demande en sollicitant un droit de visite plus ample.
16.  Sur demande du requérant, l’audience tenue le 15 décembre 2000 fut ajournée en vue de faire élaborer une expertise en psychologie ; l’experte fut nommée le 20 février 2001.
17.  Le 2 janvier 2001, l’intéressé élargit sa demande et sollicita que le tribunal oblige T.M. à lui fournir des informations régulières sur la santé et les activités de la mineure. Le 2 mai 2001, il modifia sa demande en sollicitant la garde alternée, avec laquelle la mineure aurait été d’accord.
18.  L’examen psychologique des parties fut effectué les 18 mai, 25 mai et 1er juin 2001. Selon le rapport d’expertise présenté au tribunal le 31 octobre 2001, la mineure avait une relation positive envers l’intéressé et il n’y avait pas d’obstacle à leurs rencontres. Le requérant allègue néanmoins que T.M. obtint ainsi accès à des informations que sa fille lui avait fournies à titre confidentiel.
19.  Le 12 décembre 2001, le requérant sollicita l’adoption d’une mesure provisoire déterminant son contact avec l’enfant.
20.  Le 18 décembre 2001, le tribunal rendit une mesure provisoire par laquelle il enjoignit à T.M. de permettre au requérant de rencontrer l’enfant à raison d’un week-end sur deux. T.M. fit appel.
21.  Les 16 janvier et 1er février 2002, le requérant demanda au tribunal de faire exécuter ladite mesure par infliction d’une amende à T.M., car il n’aurait pas vu sa fille depuis plusieurs mois.
22.  Il ressort d’une lettre de l’assistante sociale datée du 26 avril 2002 que la mineure lui avait dit ne pas souhaiter voir son père ; l’assistante recommanda donc au requérant de n’exercer aucune pression sur sa fille.
23.  Le 2 mai 2002, l’intéressé demanda de nouveau que soit exécutée la mesure provisoire du 18 décembre 2001. Selon lui, en refusant de le voir, l’enfant ne faisait qu’exécuter les ordres de sa mère.
24.  Le 23 mai 2002, le tribunal invita T.M. à ne pas faire obstacle au droit de visite du requérant déterminé par la mesure provisoire.
25.  Le 19 juin 2002, le requérant relança sa demande d’exécution.
26.  Le 26 juin 2002, il demanda au tribunal de déterminer, par le biais d’une mesure provisoire, son droit de visite pendant les vacances d’été. Le tribunal rejeta cette demande en date du 9 juillet 2002, relevant qu’une réglementation provisoire nécessaire était déjà en place.
27.  Le 9 août 2002, l’intéressé redemanda une exécution rapide de son droit de visite.
28.  Le 20 août 2002, le tribunal régional (Krajský soud) de Brno, décidant de l’appel de T.M. contre la mesure provisoire du 18 décembre 2001, rejeta la demande du requérant ayant conduit à cette mesure. Selon lui, il n’était pas possible de conclure que c’était T.M. qui empêchait le requérant de voir sa fille et que, partant, une réglementation provisoire correspondait aux intérêts de la mineure. Il releva également que le tribunal de première instance disposait de preuves suffisantes pour statuer sur le fond et qu’il n’aurait pas dû préjuger ainsi la décision finale.
29.  Les 7 octobre 2002 et 23 avril 2003, le requérant demanda au tribunal de tenir une audience sur le fond. Il faisait valoir qu’il n’avait pas de contact avec sa fille qui approchait l’âge de quinze ans, et que le rapport d’expertise de 2001 ne correspondait plus à la situation actuelle.
30.  Lors de l’audience du 17 septembre 2003, la mineure déclara ne pas ressentir le besoin de voir son père, et l’intéressé (continuant à privilégier la garde alternée) se désista de ses demandes tendant à une nouvelle détermination de son droit de visite et à l’exécution dudit droit.
31.  Par le jugement rendu à l’issue de cette audience, le tribunal municipal prononça l’extinction des instances portant sur le droit de visite du requérant et sur son exécution, faisant ainsi suite au désistement du requérant, approuvé par T.M. et le tuteur. Le tribunal rejeta ensuite la demande de l’intéressé tendant à la garde alternée, se fondant en particulier sur le refus de la mineure et sur une opinion négative de l’experte, et décida d’augmenter le montant de la pension alimentaire à payer par le requérant.
Le requérant fait valoir dans sa requête que, dans ces conditions, son droit de visite continue à être régi par le jugement du 23 octobre 1992 qui n’est plus exécutable, entre autres en raison du changement de domiciles des parties.
32.  Le 12 décembre 2003, le requérant interjeta appel contre la partie du jugement concernant la pension alimentaire. Ayant pris en compte la déposition et le comportement de sa fille, faisant apparaître une aliénation due à une longue absence de contact, l’intéressé décida de ne pas recourir contre le rejet de la garde alternée.
En même temps, il demanda au tribunal municipal de rectifier les inexactitudes et les erreurs de fait qui se trouvaient dans son jugement.
33.  Le 25 janvier 2004, le requérant se plaignit auprès de la présidente du tribunal municipal du travail de la juge chargée de son affaire ainsi que des retards de la procédure. Dans une lettre du 19 février 2004, la vice-présidente dudit tribunal admit que la procédure avait accusé des retards entre les mois de mai et septembre 2003 et qu’il y avait eu des manquements dans le travail du greffe.
34.  Le 24 février 2004, le tribunal municipal procéda à une rectification du jugement. Le requérant se vit notifier le nouveau texte le 23 mars 2004 et, le lendemain, il demanda la correction des erreurs restantes. Il relança sa demande le 21 octobre 2004.
35.  Le 25 mai 2004, le dossier fut soumis au tribunal régional pour décision sur l’appel du requérant. Le 25 octobre 2004, le tribunal régional retourna le dossier au tribunal municipal, au motif qu’il n’avait pas été décidé de la demande du requérant tendant à la rectification des erreurs.
36.  Le 9 novembre 2004, la vice-présidente du tribunal municipal informa l’intéressé que la juge chargée de l’affaire était en arrêt maladie et allait décider dès son retour. Le 20 décembre 2004, le dossier fut retourné au tribunal régional, au motif qu’il n’était pas possible d’accueillir la demande de l’intéressé tendant à la rectification des erreurs restantes.
37.  Le 18 janvier 2005, une audience fut tenue au sujet de la pension alimentaire.
38.  Par l’arrêt du 25 janvier 2005, le tribunal régional réforma le jugement du 17 septembre 2003 pour ce qui est de la pension alimentaire. A la suite d’un recours extraordinaire formé par le requérant se plaignant des vices de procédure, le tribunal prononça d’abord un sursis à l’exécution et, le 22 août 2005, annula ledit arrêt au motif que le requérant avait été privé de la possibilité de dûment participer à la procédure. Par la décision du 18 octobre 2005, le tribunal régional prononça l’extinction de l’instance d’appel portant sur la question de la pension alimentaire, au motif que l’intéressé s’était désisté de son appel en date du 13 octobre 2005.
39.  Le Gouvernement ajoute que tout au long de la procédure, le tuteur présentait des rapports au tribunal, effectuait des enquêtes et s’entretenait avec les parties. Il ressortirait des déclarations de la mineure faites devant lui les 6 mars 2002 et 6 janvier 2005 qu’elle refusait de son propre gré de rencontrer le requérant, car elle n’appréciait pas l’épouse de celui-ci et ressentait qu’ils n’aimaient pas sa propre mère.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
40.  Le requérant allègue que sa cause n’est pas examinée dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
41.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il considère que la seule procédure susceptible de faire l’objet de l’examen par la Cour est celle intentée par la demande du requérant du 26 mai 2000, laquelle se serait terminée par le jugement du 17 septembre 2003. En effet, les autres procédures n’ont connu qu’une brève durée et se sont terminées du fait du désistement de l’intéressé.
Le requérant objecte que la procédure en question n’a pris fin que par l’arrêt du 25 janvier 2005 ; par la suite, il a fait parvenir à la Cour la décision du 22 août 2005, en vertu de laquelle cet arrêt avait été annulé, ainsi que la nouvelle décision du 18 octobre 2005. Il estime également que la période à prendre en considération court depuis ses premières demandes tendant à la détermination du droit de visite, soit depuis pratiquement quinze ans.
42.  La Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel la période à considérer a débuté le 26 mai 2000. En effet, le traitement des autres demandes introductives d’instance formées par le requérant s’est achevé plus de six mois avant la date d’introduction de la présente requête. Puis, pour ce qui est de la procédure d’exécution du droit de visite, la Cour ne voit pas de raison pour s’écarter de l’approche adoptée dans les affaires tchèques analogues, notamment Kříž c. République tchèque ((déc.), no 26634/03, 29 novembre 2005), dans lesquelles elle a jugé utile d’examiner la durée et le déroulement d’une telle procédure uniquement sur le terrain de l’article 8 de la Convention.
Il est vrai que la dernière décision portant sur les droits de garde et de visite a été rendue le 17 septembre 2003, à savoir plus de six mois avant la date d’introduction de la présente requête. La Cour observe cependant que le litige concernant la pension alimentaire, qui est une contestation sur une obligation civile du requérant, n’a pris fin que par l’extinction de l’instance prononcée le 18 octobre 2005. Ainsi, la période à prendre en considération par la Cour est de cinq ans et cinq mois pour deux instances.
A.  Sur la recevabilité
43.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B.  Sur le fond
44.  Le Gouvernement note que la procédure a été marquée surtout par des tensions entre les parents, qui ont abouti à une incapacité de parvenir à un accord quelconque. La situation s’est compliquée aussi en raison de diverses modifications apportées par le requérant à sa demande, lesquelles laissent apparaître son indécision quant au droit de visite. Le Gouvernement s’étonne notamment du fait que, tandis qu’il se plaint devant la Cour de la violation de son droit au respect de la vie familiale, le requérant s’est désisté, le 17 septembre 2003, de sa demande concernant la détermination et l’exécution de son droit de visite. Représenté par un avocat, le requérant aurait dû supposer, selon le Gouvernement, que sa demande de garde alternée allait être rejetée car les conditions nécessaires pour une telle solution, dont notamment une volonté commune des deux parents, n’étaient pas réunies.
Le Gouvernement ajoute qu’un certain temps a été nécessaire pour l’élaboration du rapport d’expertise et que les tribunaux ont été confrontés à la demande de mesure provisoire ainsi qu’au problème de l’exécution du droit de visite de l’intéressé.
Il estime donc que, mis à part un manquement reconnu par la vice-présidente du tribunal municipal dans sa lettre au requérant datée du 19 février 2004 (paragraphe 33 ci-dessus), la durée de la procédure en question peut encore passer pour être raisonnable.
45.  Le requérant allègue que les tribunaux nationaux, tenus d’agir d’office en matière des mineurs, auraient dû se montrer plus actifs en l’espèce. Selon lui, ils auraient pu déduire de son comportement qu’il était soumis à une pression de la part de la mère et, partant, initier eux-mêmes une détermination de son droit de visite. Il s’oppose également à ce que son effort de régler l’affaire à l’amiable soit utilisé en sa défaveur, et soutient, en s’appuyant sur un jugement rendu par un tribunal tchèque dans une autre affaire, que la volonté commune des deux parents n’est pas une condition légale pour la mise en place d’une garde alternée.
46.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
47.  En l’espèce, la Cour note que la partie de la procédure concernant les droits de garde et de visite, présentant un grand enjeu pour le requérant, a pris fin par la décision du 17 septembre 2003, et que l’intéressé n’a fait appel que de la décision sur la pension alimentaire. Cette question est restée pendante jusqu’au 18 octobre 2005, date à laquelle le tribunal a prononcé l’extinction de l’instance à la suite du désistement du requérant.
Tout en admettant que l’affaire présentait une certaine complexité, notamment en raison des différends existant entre les parents et de plusieurs modifications apportées par le requérant à sa demande initiale, la Cour se doit de relever plusieurs périodes d’inactivité dans la conduite des juridictions nationales. Ainsi, force est de constater, pour ce qui est de la procédure sur le fond de l’affaire, qu’aucune démarche n’a été entreprise par le tribunal municipal depuis la réception du rapport d’expertise, le 31 octobre 2001, jusqu’à l’adoption du jugement du 17 septembre 2003. Il convient à noter à cet égard que le tribunal régional a relevé, dès le 20 août 2002, que le tribunal municipal disposait de preuves suffisantes pour statuer sur le fond. La procédure suivant le jugement du 17 septembre 2003 ne s’est pas non plus déroulée à un rythme soutenu, en raison notamment de la nécessité de rectifier les erreurs dudit jugement ayant pour conséquence plusieurs transmissions de dossier. En sus, l’arrêt rendu en appel a dû être annulé en raison d’un vice de procédure, non imputable au requérant.
48.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
1. Sur le grief tiré de l’iniquité de la procédure et du défaut d’impartialité des tribunaux
49.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, l’intéressé semble aussi dénoncer l’iniquité de la procédure et le défaut d’impartialité des tribunaux.
50.  La Cour note tout d’abord que le requérant n’a aucunement spécifié son grief. Elle constate ensuite qu’il n’a pas recouru contre le jugement du 17 septembre 2003, par lequel il a été valablement décidé des droits de garde et de visite à l’égard de sa fille, et que la procédure relative à la pension alimentaire reste pendante devant le tribunal régional.
Les voies de recours internes n’ont donc pas été épuisées comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
2. Sur le grief concernant l’atteinte alléguée au droit du requérant au respect de sa vie familiale
51.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant dénonce que les autorités nationales, par leur inactivité, l’ont empêché d’exercer ses droits parentaux, notamment de réaliser son droit de visite et de participer à l’éducation de sa fille.
52.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, faute pour le requérant d’avoir soumis lesdits griefs à la Cour constitutionnelle.
Quant au bien-fondé, il note que, de 1989 jusqu’en 2000, les rencontres entre le requérant et sa fille se déroulaient sans grands problèmes et sur la base d’un accord des parents ; c’est pourquoi le requérant s’est à plusieurs reprises désisté de ses demandes relatives à son droit de visite. En 2000, les relations entre l’intéressé et son ex-épouse se sont dégradées, de même que la communication du requérant avec sa fille, marquée sans doute aussi par l’attitude de l’intéressé. En effet, depuis septembre 2001, la fille du requérant refuse de le voir, manifestant ainsi sa propre opinion qui, compte tenu de son âge, devrait être respectée. Le Gouvernement se dit donc convaincu que l’absence de contact entre le requérant et sa fille n’est pas imputable à la mère de l’enfant, comme l’a constaté le tribunal régional dans sa décision du 20 août 2002.
L’on ne saurait non plus constater selon le Gouvernement que les autorités nationales sont restées inactives. A plusieurs reprises, le tuteur de la mineure s’est entretenu avec tous les intéressés, et la mère de l’enfant s’est vu adresser plusieurs sommations judiciaires l’invitant à s’acquitter de ses obligations. Cependant, en se désistant, le 17 septembre 2003, de ses demandes tendant à la détermination et à l’exécution de son droit de visite, le requérant a empêché les autorités de poursuivre leurs démarches. Dans la mesure où il n’a pas fait appel de la décision rejetant sa demande de garde alternée, le Gouvernement estime que le requérant a tenu compte de l’avis exprimé par sa fille et accepté le statu quo.
53.  Le requérant conteste l’exception de non-épuisement des voies de recours internes, soulevée par le Gouvernement. Se référant à l’arrêt Hartman c. République tchèque (no 53341/99, CEDH 2003-VIII (extraits)), il fait valoir que, tout comme en matière de l’article 6 de la Convention, la Cour constitutionnelle n’est pas en mesure de mettre fin à une violation de l’article 8 et d’accorder à la victime une indemnisation du préjudice moral subi. Il s’oppose également à l’argument du Gouvernement selon lequel il aurait dû, au vu de la jurisprudence interne pertinente, renoncer à sa demande de garde alternée.
54.  Tout d’abord, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la question de savoir si le recours constitutionnel constituait en l’espèce un recours effectif que le requérant aurait dû exercer avant de soulever ses griefs devant elle, puisqu’à supposer même qu’il l’ait fait, cette partie de la requête est irrecevable pour d’autres motifs indiqués ci-dessous.
55.  La Cour relève notamment que la dernière décision des juridictions nationales portant sur les droits de garde et de visite du requérant a été rendue le 17 septembre 2003, soit plus de six mois avant l’introduction de la présente requête, et que l’intéressé a décidé de ne pas en faire appel. De plus, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait depuis ladite date entrepris une quelconque démarche au niveau interne témoignant de son intérêt à rencontrer sa fille.
En tout état de cause, il convient de rappeler que l’article 8 de la Convention ne reconnaît pas à l’un ou l’autre des parents un droit préférentiel à la garde d’un enfant. Par ailleurs, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite, car les juridictions nationales sont en principe mieux placées que le juge international pour évaluer les éléments dont elles disposent et jouissent donc d’une grande latitude en la matière (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 48, CEDH 2000-VIII). Il leur faut par ailleurs tenir compte notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention.
En l’occurrence, il n’est pas contesté par les parties que le requérant a pu voir sa fille assez régulièrement jusqu’en 2001. A cette époque, comme le fait observer le Gouvernement, la mineure âgée de treize ans a commencé à déclarer qu’elle ne voulait plus le rencontrer. C’est pour cette raison que le tribunal régional a estimé dans sa décision du 20 août 2002 qu’il n’était pas possible de conclure que c’était T.M. qui empêchait le requérant de voir sa fille et qu’une réglementation provisoire correspondrait aux intérêts de la mineure. Dans ces circonstances, la Cour considère que l’on ne saurait reprocher aux tribunaux de ne pas avoir à ce stade recouru à des mesures coercitives, qui auraient pu s’avérer contreproductives, et rappelle que la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constituent toujours un facteur important.
Face à l’attitude du requérant qui a par la suite renoncé à voir son droit de visite nouvellement déterminé et exécuté, il n’y a pas lieu selon la Cour d’accuser les autorités nationales de l’inactivité. En effet, si les tribunaux tchèques peuvent agir de leur propre initiative dans les affaires concernant les enfants mineurs, cela présuppose selon la Cour qu’ils aient connaissance de la nécessité d’intervenir. En l’occurrence, il serait difficilement imaginable que le requérant se voie « imposer » un droit de visite, vu qu’il s’est désisté de sa demande et qu’il ne ressort pas du dossier qu’il ait cherché un terrain d’entente avec sa fille. Le requérant ne saurait dès lors rejeter sur l’Etat toute la responsabilité de la dégradation de sa vie familiale.
56.  Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits garantis par la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. Sur le grief concernant la discrimination alléguée du requérant
57.  Le requérant allègue enfin subir une discrimination fondée sur le sexe, prohibée par l’article 14 de la Convention. A cet égard, il soutient que dans les affaires familiales, les pères des enfants sont systématiquement discriminés par les juridictions tchèques (la garde étant attribuée aux mères dans 92% des cas).
58.  Le Gouvernement note entre autres que le requérant n’a aucunement spécifié son allégation de discrimination et estime qu’il n’a fait que reprendre le grief formulé par les requérants ayant introduit des requêtes analogues devant la Cour.
59.  Selon le requérant, la charge de la preuve incombe au Gouvernement ; il estime que c’est à ce dernier d’expliquer pourquoi sa position est tellement différente de celle de la mère et pourquoi il est obligé de solliciter depuis quinze ans une décision sur son droit de visite.
60.  La Cour observe que le grief du requérant manque de précision et qu’aucun élément du dossier ne permet de dire que la conduite des tribunaux ait été motivée par le sexe de l’intéressé (voir, mutatis mutandis, Kříž c. République tchèque (déc.), précité).
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
61.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
62.  Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure, et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 février 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Naismith J.-P. Costa   Greffier adjoint Président
ARRÊT DOSTÁL c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
ARRÊT DOSTÁL c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 26739/04
Date de la décision : 21/02/2006
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Violation de l'art. 6 en ce qui concerne la durée de la procédure ; Irrecevable sous l'angle de l'art. 6-1 (procès équitable) ; Irrecevable sous l'angle de l'art. 8 ; Irrecevable sous l'angle de l'art. 14

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : DOSTAL
Défendeurs : REPUBLIQUE TCHEQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-02-21;26739.04 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award